Notes
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Je remercie beaucoup Sophie Burlot, Azilis Maguer, Dominique Duprez et les lecteurs anonymes de Déviance et Société d’avoir bien voulu m’aider à rendre ce texte un peu plus lisible.
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Université de Bielefeld, faculté de sociologie.
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[1]
L’arrangement de l’État social se réfère à l’idée que ce ne sont pas seulement les institutions de l’État qui participent à la production de la sécurité sociale, mais aussi, selon le principe de la subsidiarité, les associations civiles, notamment en Allemagne, les collectivités locales et les ménages privés. Ces institutions forment un système de division de travail en politique sociale.
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[2]
Ces questions sont maintenant au cœur des recherches empiriques comparatives. Pour une des plus élaborées de ce genre, voir Scharpf, Schmidt (2000). Pour des réflexions plus théoriques, voir aussi Rosanvallon (1995) et comme résumé (pour une vue d’ensemble), voir Kaufmann (1997).
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[3]
Cela ne concerne pas uniquement le discours politique, mais aussi les sciences sociales, où les contributions, qui ne travaillent pas avec la notion d’une crise, sont devenues rares. Je me limite ici à une esquisse du discours politique et public.
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[4]
Pendant que le taux des dépenses pour la politique sociale a augmenté dans presque tous les pays européens de l’Ouest pendant des années 1990, il restait presque stable en Allemagne. On y trouve même un abaissement dans les années 1980 jusqu’à la réunification, malgré une pression croissante des problèmes à la suite de la progression du chômage de masse. La (faible) montée dans les années 1990 est attribuée aux coûts de la réunification, avec laquelle a été installé sans transition le système de l’assurance sociale de l’Allemagne de l’Ouest dans les nouveaux Länder.
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[5]
À l’inverse de ce que l’on trouve souvent dans la plupart des livres sociologiques sur l’assurance sociale, cette mesure a montré que le système d’assurance sociale obligatoire paraît assez flexible pour réagir sur ces enjeux très différents. Elle ne suit pas forcément une seule logique qui est strictement liée au salariat et offre beaucoup de possibilités d’intégration aux droits de prestations hors du salariat. Dans ce cas, il faut en effet probablement ajouter un financement supplémentaire par l’impôt, ce qui est d’ailleurs le cas depuis longtemps.
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[6]
Les mots-clés de cette argumentation dans sa version sociale-démocrate se trouvent formulés également dans le programme de troisième voie de Anthony Giddens et Tony Blair. On assiste ici d’ailleurs à un changement fondamental d’interprétation du salariat. Ce n’est plus le salariat qui crée la dépendance, la discipline, l’exploitation et ainsi conduit à une démotivation des sujets, le salariat est aujourd’hui un privilège et la condition préalable pour la liberté.
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[7]
En 2001 il y avait environ 2,7 millions de personnes recevant des prestations régulières de l’aide sociale en Allemagne. La majorité d’entre elles ne sont guère disponibles sur le marché du travail : 300000 personnes ont plus de 60 ans, 1 million sont des mineurs, 270 000 ont des petits-enfants et n’ont pas de places pour les faire garder, 120 000 sont malades ou handicapés et 200 000 personnes ont déjà un travail mal payé ou sont en apprentissage professionnel. Il reste donc environ 800000 personnes qui sont théoriquement disponibles sur le marché du travail, mais plus de la moitié d’entre elles est déjà occupée dans des programmes d’occupation communaux.
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[8]
Bien entendu, l’existence de ces systèmes est aussi incontestée par le public, mais le taux de population qui accepterait leur réduction est plus élevé que pour les assurances maladie et retraite (Coughlin, 1980; Roller, 1998).
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[9]
C’est la raison pour laquelle la possibilité de choisir une assurance maladie privée pour la population active disposant d’un salaire élevé pose des problèmes pour l’assurance sociale. En même temps cette mesure évite des problèmes de surcharge pour l’infrastructure morale des classes élevées.
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[10]
La question de free rider (Olson, 1969) est toujours un problème fondamental pour l’allocation de biens publics, qui ne peut pas être évitée sans référence à une infrastructure sociale. La signification des scandales politiques actuels en Allemagne comme en France, ainsi que la pratique moins stigmatisée de l’évasion fiscale pratiquée par les grandes entreprises, se trouve dans le fait de fonctionner comme modèle pour suivre ses propres intérêts d’une manière maligne et corrobore ainsi les orientations vers la poursuite d’intérêts propres sans responsabilité pour la collectivité.
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[11]
Dans cette perspective la question de la justice sociale comme principe abstrait n’a en effet pas de signification importante. En exagérant on pourrait dire, que l’idée de justice sociale ne peut être discutée et réalisée que pendant les périodes de croissance économique, durant lesquelles un surcroît peut être distribué.
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[12]
Il différencie trois types d’État social : le premier institutional achievement model, récompense en particulier la performance individuelle, il est comparable en cela au type Bismarck; le second institutional redistributive model, dans lequel la redistribution sociale représente l’objectif le plus important et le troisième residual model, qui privilégie la protection privée que propose le marché.
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[13]
L’auteur y développe un index de démarchandisation qui mesure le degré d’indépendance ou de liberté auquel les systèmes de la politique sociale sont parvenus vis-à-vis du marché comme moyen essentiel de subsistance. Esping-Andersen distingue tout d’abord un régime libéral, que les États-Unis incarnent le mieux, ensuite un régime conservateur ou corporatiste, représenté par l’Allemagne, mais aussi par la France et enfin un régime démocratique social, qui est institutionnalisé en Suède. Pour d’autres typologies proposées, voir par exemple Korpi (1995) et Castles (1993).
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[14]
Cette forme d’intervention est très proche de l’analyse de Esping-Andersen (1999) sur le concept de « démarchandisation », la dimension selon laquelle les individus ou les ménages peuvent garder un standard de vie socialement accepté, indépendant de l’inclusion du marché de travail.
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[15]
En effet, le système des impôts sur les salaires en Allemagne implique un fort désavantage pour les ménages avec enfants; avoir des enfants est devenu un vrai risque de pauvreté, notamment pour les femmes non mariées.
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[16]
C’est d’ailleurs aujourd’hui un des problèmes majeurs de financement pour l’assurance maladie. Les exceptions de l’assurance sociale obligatoire pour des individus avec un salaire élevé fonctionnent comme une sélection de bons risques pour les assurances privées. Ces difficultés ne sont pas des problèmes liés à la structure ou à la logique du système d’assurance, mais sont plutôt une conséquence de servir les intérêts politiques des classes moyenne à se distinguer de la classe ouvrière.
Introduction
Quel est le problème ?
1Depuis les années quatre-vingt environ, les débats sur les réformes et l’avenir de l’État social se multiplient non seulement en Europe, mais également dans tous les pays modernes. Il existe un consensus général – en politique mais aussi en sciences sociales – sur la crise de l’État social. Cependant, ce diagnostic de crise qui n’est pas nouveau, avait déjà été formulé dès le XIXe siècle avec la naissance de l’idée d’une politique sociale. Même l’expansion extraordinaire de l’État-providence dans les Trente Glorieuses après la Deuxième Guerre mondiale, jusqu’au milieu des années 1970, s’était toujours accompagnée d’un diagnostic ou d’un pronostic de crise. En revanche, ce qui a changé avec le temps, c’est non seulement la rhétorique qui entoure ce diagnostic, mais le contenu même de son objet, tout comme le fait d’être accepté d’une manière généralisée.
2Jusque vers la fin des années 1960, la critique de la politique sociale est plutôt le monopole des libéraux qui analysent plus particulièrement les effets inflationnistes de l’État social. Au début des années 1970, les discours qui mettent au premier plan les conséquences du manque d’une vraie redistribution, sont accompagnés par des analyses constatant le caractère ingouvernable de l’État social. De plus, ils sont concomitants d’une crise financière et d’une perte de la légitimité de l’État. Cette critique repose donc plutôt sur l’idée que l’État est submergé par la politique sociale.
3Depuis les années 1980, la critique de l’État social développe le thème de la globalisation, conduisant les États nationaux à une concurrence en matière d’investissement des capitaux internationaux, mais aussi à une perte générale de pouvoir en tant qu’États nationaux. Parallèlement, on diagnostique l’échec structurel de l’arrangement de l’État social [1] à l’égard du chômage de masse et de la nouvelle pauvreté.
4À l’inverse des anciens débats sur les problèmes et l’avenir de l’État social, les discours actuels sur la crise de la politique sociale connaissent un développement d’une nature complètement différente. L’idée au cœur des thèses précédentes reposait plutôt sur les problèmes posés par l’État social à l’économie et la société, alors qu’aujourd’hui c’est le développement de la société (post-)moderne qui engendre des défis existentiels pour l’État social.
5Les caractéristiques essentielles et la structure de l’État social se sont développées sous l’influence des conséquences négatives liées à la modernisation capitaliste. Ces caractéristiques ont été considérées comme une réponse donnée à la question sociale, mais aussi comme un moyen de prévenir les mouvements sociaux et le danger d’une révolution socialiste. Dans cette perspective, l’État social est plutôt compris comme un instrument de légitimation du pouvoir politique et du système économique capitaliste basé sur le salariat. Si on suit l’argumentation de la théorie de la modernisation de T.H. Marshall (1950), le développement interdépendant des droits civils, politiques et sociaux, mène avec l’État de droit, la démocratie et l’État social à une inclusion généralisée des citoyens. De cette manière la société moderne atteindrait une harmonisation, au moins partielle, des classes sociales et ainsi son intégration et sa stabilité.
6Dans ce contexte, l’idée de la question sociale comme base de l’État social est directement liée à l’inégalité et à la justice sociales. En suivant cette argumentation, l’intégration de la société est en danger si la politique n’est pas capable de trouver des réponses adaptées et acceptées. L’inclusion généralisée, constatée par Marshall dans les sociétés modernes, n’était pas une idée normative fondée dans l’humanisme, mais une condition existentielle pour la légitimation et la stabilité de la société moderne.
7Aujourd’hui, on part de l’idée que c’est au plus tard à la fin de la période de croissance économique et de plein emploi des Trente Glorieuses, vers le milieu des années 1970, que la multiplication des mesures de la politique sociale a perdu à la fois sa capacité financière et sa légitimité. L’action publique basée sur le salariat ne serait plus adaptée au changement de la structure sociale et des valeurs culturelles. Les chiffres du chômage en progression et la réapparition de la pauvreté ont eu un effet de choc, notamment après les Trente Glorieuses.
8Dans ce contexte, il devient essentiel de savoir si l’État-providence, dans sa forme actuelle, est encore en mesure de produire une sécurité sociale et d’intégrer ou de réintégrer les personnes et les groupes qui sont exclus du salariat et ainsi de la chaîne de production de l’économie.
9Mais contrairement à la thèse développée dans l’article d’Autès, la question sociale ne me semble pas demeurer au cœur du débat actuel sur la crise de l’État social. J’argumenterai ici sur le fait que le fondement de l’intégration des sociétés aujourd’hui repose moins sur les valeurs communes d’une justice sociale ou d’équité produites par la politique sociale, que sur le fait que c’est plutôt la politique sociale elle-même qui doit être légitimée. Avec la différenciation et la pluralisation de la société moderne, cette légitimation repose sur des valeurs et intérêts ou sur un capital culturel qui sont aussi différenciés.
10Le discours de la crise de l’État social est tout d’abord entendu ici comme une construction politique qui cherche, selon l’idéologie politique privilégiée, à légitimer ou à délégitimer la politique sociale.
11Sur cette base, le diagnostic sur les tendances du développement de la politique sociale est une entreprise très prisée, mais également très risquée. En effet, selon le choix des indicateurs retenus, les champs ou l’idéologie politique, l’État social actuel peut paraître expansif ou régressif, forcer l’individualisation ou suivre une tendance au collectivisme, etc. On trouve toujours des indicateurs ou des modèles de réformes bien fondés, soulignant une tendance du développement dans une direction différente.
12Dans mon approche, je propose une autre perspective pour analyser le développement de l’État social et les nouvelles formes de régulation de la nouvelle question sociale, en partant des bases théoriques et cognitives du diagnostic d’une crise de l’État social. Par conséquent, je n’analyserai pas dans quelle mesure le développement technologique, la globalisation des marchés financiers, le développement démographique, le changement des valeurs ou de la structure sociale, exigent une nouvelle orientation de l’État social, de l’État national ou une nouvelle politique de la solidarité [2].
13Mais je précise, bien entendu, que je ne me rallie pas à l’idée que la crise de l’État social ne serait qu’une pure mise en scène politique, sans base réelle.
14La question, au centre des débats mais assez peu discutée actuellement, est celle des conditions culturelles du développement de la politique sociale. Les décisions politiques, comme les propositions d’une réforme et même leurs critiques, reposent toujours sur des constructions ou des interprétations de problèmes. Je proposerai ici quelques réflexions pour savoir, dans quelle mesure, les différentes formes de la politique sociale et ses arrangements institutionnels, facilitent ou rendent plus difficiles leurs délégitimations populistes. Il s’agit donc de la base culturelle et morale qui donne une légitimation à l’État social. Pour analyser les conditions de développement de la politique sociale, j’adopterai ici une position constructiviste.
15Les changements de la politique sociale ou de l’État national en général, qui s’expriment dans des mesures et réformes singulières et isolées, ne peuvent s’expliquer comme résultant, uniquement de l’évolution de l’économie, de la société ou d’un changement de gouvernement. Ce sont plutôt les acteurs politiques et administratifs qui construisent les cadres de l’analyse, dans lesquels certaines interprétations des problèmes et avec elles la définition des objectifs, perdent ou gagnent en lisibilité. Le diagnostic des développements de la politique sociale est donc relié dans les discours ou les débats spécifiques, qui ainsi forment un cadre cognitif dans lequel les politiques sont formulées et acceptées. Il s’agit ici en substance de discours de crises, qui suivent des conjonctures politiques et culturelles concernant sa diffusion et son acceptation par l’opinion publique (chapitre II).
16La réalisation de la politique sociale en des mesures ou des réformes concrètes est toujours confrontée à une structure déjà développée d’organisations, d’institutions, de valeurs et d’intérêts institutionnalisés. De là vient la nécessité d’un processus de négociations politiques qui ne peut s’analyser seulement par des potentiels de pouvoir ou de menaces entre des intérêts organisés, mais aussi comme une négociation des interprétations, de l’acceptation et de la légitimité entre les acteurs politiques et le public.
17C’est dans ce sens-là que l’État social repose sur une infrastructure culturelle, cognitive et morale. Les conceptions de la justice sociale, de la solidarité dans la vie quotidienne jouent un rôle décisif à ce titre et cette infrastructure morale ne suit guère les conceptions des philosophes.
18Les prestations de la politique sociale impliquent toujours une redistribution qui dépend largement de la forme de son institutionnalisation, mais qui doit être nécessairement légitimée dans la mesure où elle s’oppose aux intérêts individuels de certains groupes, ou même à ceux de la majorité de la société. Donc l’infrastructure morale se trouve toujours en tension avec les intérêts et les bénéfices individuels attendus des prestations de la politique sociale. Les options des réformes y trouvent toujours leurs limites (chapitre III).
19Si l’État social repose sur des conceptions morales, les institutions qui forment la politique sociale sont une sorte d’incarnation de ces conceptions; leurs structures et logiques de fonctionnement correspondent plus ou moins à l’infrastructure morale. Mais elles l’influencent en même temps en structurant les intérêts et les solidarités. Dans ce sens-là, les réformes et les développements de la politique sociale contribuent à une stabilisation ou à une érosion du capital culturel de l’État social (chapitre IV).
La construction politique de la crise de l’État social
20En Allemagne, les réformes et les débats sur l’État social sont guidés depuis longtemps par le concept d’une crise de l’État social [3]. En effet on y trouve plusieurs variations de diagnostics, en particulier dans les solutions proposées selon les idéologies politiques, mais aussi, assez souvent aujourd’hui, un consensus politique entre les grands partis et parfois même une concurrence populiste dans les stratégies et rhétoriques politiques sur les mesures de réforme les plus radicales.
a) Variations de la crise économique et financière de l’État social
21Au nombre des origines de la crise, se dégagent les conséquences économiques de la politique sociale qui ont particulièrement influencé le débat et s’y sont ancrées durant ces dernières années. Les dépenses croissantes de l’État social et ses régulations sont perçues, dans ce contexte, comme un obstacle au développement économique, un argument presque naturel, accepté par tous les partis politiques. Cette argumentation repose sur le ralentissement de la croissance économique dès les années 1970 avec sa réduction des recettes d’impôts, parfois attribuée à une conception vague du concept de globalisation ou plus souvent à l’idée d’une expansion de l’État social trop forte. Ce développement est vu comme cause principale qui gêne la productivité et la motivation pour le travail, augmente les attentes envers l’État de façon illimitée. Ce type d’argument libéral est néanmoins aussi ancien que la politique sociale elle-même.
22Sans discuter ici sa force de conviction empirique, on peut quand même constater que la question du financement de la politique sociale est cependant toujours un aspect qui peut facilement mobiliser la politique et l’opinion publique. Les impôts et les charges sociales touchent toujours directement les salaires de la population active et affaiblissent ainsi, tant les réserves de solidarité dans la société, que son potentiel de légitimité à l’égard de celle-ci.
23La légère reprise de la croissance économique des années 1980 accompagnée de quelques restructurations et réductions des prestations sociales a contribué à affaiblir ce débat. En effet, ces réductions de prestations étaient dans la plupart des pays très sélectives pour certains groupes, en particulier ceux qui n’ont pas le potentiel de mobiliser le public. Dans la plupart des cas, ces réformes étaient élaborées de telle manière que la majorité des électeurs ne se trouvaient pas directement concernés.
24En comparaison avec la situation en Grande-Bretagne sous Margaret Thatcher ou aux États-Unis sous Ronald Reagan, ces réformes étaient plutôt modérées. Et même là, les rhétoriques étaient beaucoup plus radicales que les réformes réalisées dans les faits (voir Pierson, 1996) [4].
25Ce sont en particulier les différences dans l’organisation de l’État social qui peuvent expliquer la diversité des réactions politiques face à la crise financière. En général, les États dont la structure est corporatiste et fédérale, avec des multiples organisations et acteurs collectifs extérieurs à l’État dans le domaine de la politique sociale, sont mieux protégés contre des réformes radicales que les États avec une politique sociale plus centralisée ou moins développée. C’est dans ce sens-là que la subsidiarité joue un rôle important pour défendre les acquis de la politique sociale.
26Il semble en particulier que les systèmes d’assurance sociale rendent plus difficiles l’instrumentalisation des prestations sociales de l’État à des fins politiques. Les Pays-Bas, exception à cette règle, ont réussi des réformes radicales malgré un système corporatiste, avec la participation de tous les acteurs collectifs importants dans le domaine de la politique sociale. Mais ce n’était possible que dans un petit pays doté d’une structure politique dont le nombre d’acteurs organisés est limité (voir Scharpf, Schmidt, 2000).
27Par ailleurs, il ne faut pas sous-estimer les effets culturels d’une rhétorique de la crise financière de l’État social. On peut constater que les énergies utopiques (Habermas, 1985), à savoir l’idée d’une redistribution sociale et d’équité produites par la politique sociale et la dynamique expansive de la politique sociale se sont épuisées vers les années 1980. Le débat sur l’État social, avec une perspective de redistribution et de justice sociale, n’existe presque plus dans les discours politiques, pas plus qu’il ne trouve de légitimité dans le public. L’État social est plutôt dans une position de défense et de maintien du statu quo.
28Avec la progression de l’intégration européenne, l’effondrement des régimes socialistes en Europe de l’Est, la globalisation des marchés financiers dérégulés et face à l’augmentation des chiffres du chômage, une autre approche de la crise a gagné l’adhésion et la popularité dans les discours politiques des années 1990. En Allemagne, en particulier, le poids des parts patronales dans les charges sociales est devenu un des thèmes majeurs dans le débat sur l’État social :le coût du travail serait une des causes principales de la perte de la capacité à concourir sur le marché mondial, ainsi que de l’évasion des capitaux et des investissements. Les problèmes financiers présumés de la politique sociale et ses régulations de protection face à la globalisation économique, concernant par exemple la sécurité des postes de travail, sont au cœur de ce discours de crise.
29Cette argumentation s’appuie sur une pertinence empirique discutée. D’une part les coûts effectifs élevés du travail sont un moteur de rationalisation, qui a pour conséquence une réduction du nombre d’emplois, notamment pour les moins qualifiés dans le secteur industriel. Ce processus de restructuration des industries moins productives, est en effet accéléré par la concurrence internationale dans un contexte de marchés ouverts. Mais d’autre part, les faibles coûts de travail peuvent bloquer le développement de la productivité et permettre des avantages dans la concurrence internationale, mais seulement à court terme.
30De plus, il y a toujours des pays moins développés dont les coûts du travail sont encore plus faibles. On a ainsi annoncé une course au plancher des salaires qui n’avait jusque-là pas eu réellement lieu. En toute hypothèse, on ne sait pas établir de seuils critiques à partir desquels le poids des charges sociales et le coût du travail obèrent la croissance de l’économie. Les pays scandinaves, avec leur système de l’État-providence et un emploi très élevé dans le secteur public, ont le mérite de montrer que dans la plupart des pays européens, cette valeur critique est loin d’avoir été atteinte.
31On peut même retourner cet argument concernant l’influence négative de la politique sociale sur la capacité à concourir sur le marché mondial. Un système développé de l’État social est l’une des défenses les plus fortes contre les mouvements protectionnistes et nationalistes, parce qu’il sécurise un mode de vie socialement accepté, y compris pour les victimes momentanées de la restructuration de l’industrie dans une économie ouverte. Ce n’est pas l’État social qui est un obstacle pour le développement de l’économie dans un contexte mondial, mais il est plutôt, au contraire, l’un de ses fondements.
32La relation entre la croissance économique et le niveau de prestations offertes par la politique sociale constitue un aspect décisif pour analyser les tendances des réformes. La conception d’une croissance économique, non influencée par les interventions de l’État social, représente l’idée la plus évidente pour développer la rhétorique d’une dérégulation et l’accentuation d’un marché libre, même pour la protection contre les risques sociaux. En tous cas, cette argumentation trouve également chez le public une adhésion plus forte que celle de la justice sociale. Dans cette perspective, on peut parler d’une hégémonie culturelle des idées néo-libérales dans les discours politiques, même si ceux-ci ne sont pas capables de les réaliser. Un autre indicateur pour cette hypothèse se trouve dans la construction de la crise démographique de l’État social.
b) La crise démographique de l’État social
33Dès le milieu des années 1990, on trouve une autre forme de discours de crise qui a déterminé pour longtemps le débat. Il s’agit moins de l’État social en général, que de l’effectivité et de la sécurité du système d’assurance de retraite. Ce discours repose sur les changements démographiques, qui notamment en Allemagne, mais aussi dans les pays d’Europe du sud, sont considérés comme un enjeu particulièrement important. Avec un taux de naissance de 1,4 enfant par femme et un taux de reproduction de la population allemande de 0,7, on pronostique que les générations actives seront surchargées par les cotisations des assurances de retraite. En conséquence, on constate une crise du contrat entre les générations et une redistribution inégale entre les jeunes et les vieux.
34La solution à ce défi démographique n’est pas cherchée dans le domaine de l’assurance sociale, mais dans celui du secteur privé avec des systèmes d’assurance complémentaires. Cette perspective ouvre la voie à un système de sécurité, guidé essentiellement par les intérêts individuels et ceux des sociétés d’assurances et non pas par une solidarité sociale. À cette solution de réforme, ce discours démographique sur la politique sociale s’est transformé récemment en discours sur l’immigration. Après des années de négligences et de blocages politiques, tous les partis acceptent aujourd’hui l’idée que l’Allemagne est un pays d’immigration qui doit développer des régulations pour importer des forces de travail.
c) La crise de l’efficacité de l’État social
35Un autre débat concernant la crise de l’État social repose sur les changements de la structure sociale et sur le statut des femmes. Certains systèmes d’assurances sociales sont basés sur des biographies d’emplois à plein temps d’après un modèle de travailleur masculin dans l’industrie. Face à l’augmentation des emplois à temps partiel, notamment chez les femmes et des biographies discontinues et interrompues par le chômage, l’efficacité de ces systèmes d’assurances contre les risques de la pauvreté devient un enjeu. Mais ce débat demeure plutôt du domaine scientifique, même si les quelques réformes des années 1980 avaient pris en compte ces problèmes en incluant dans la durée des cotisations la garde des enfants au foyer [5].
d) La crise de l’équité et de la légitimation de l’État social
36Une autre variation du débat sur l’efficacité de la politique sociale repose sur sa capacité d’intégrer ou de réintégrer les personnes et les groupes exclus du salariat, notamment les chômeurs et les pauvres. Cette version de la crise de l’action publique vise à une reforme de l’aide sociale, qui, selon ce discours, accorde des primes pour ne pas chercher de travail. C’est une argumentation déjà bien connue dans le contexte américain comme welfare dependency:l’aide sociale démobilise ses clientèles et crée un statut de dépendance envers l’État. En Allemagne, ce discours qui revient régulièrement, est lié à un débat sur la fraude des prestations sociales. Dans ce contexte, les stratégies rhétoriques comme politique sociale activante, aide contrôlée ou stimulations pour travailler ne cachent guère l’objectif de vouloir établir un contrôle plus fort sur l’obtention de prestations de l’aide sociale : Il n’y a pas un droit pour la paresse, comme l’a exprimé le chancelier allemand [6].
37Ce discours populiste, qui trouve assez facilement son soutien dans l’opinion publique, appelle directement les valeurs de justice et d’équité en s’appuyant sur une morale d’équilibre entre donner et recevoir. Cette construction normative ne repose pas seulement sur la norme de réciprocité, mais aussi sur le concept de citoyenneté de droits et de devoirs, où l’accomplissement des devoirs devient de plus en plus la condition sine qua non pour acquérir des droits.
38Les administrations et les associations, qui défendent le plus fréquemment la pratique actuelle en matière d’aide sociale, s’expriment contre la popularisation de ce débat. En tant que professionnels de la politique sociale, ce sont eux qui maîtrisent le mieux la législation actuelle qui offre déjà beaucoup de mesures de contrôle concernant la clientèle de l’aide sociale évoquée dans les discours politiques. Les programmes de travail communaux proposés dans cette critique de l’aide sociale en réalité ne sont adaptés que pour une minorité des pauvres [7].
39Le débat déclenché par les démocrates sociaux sur la fraude concernant les prestations issues de la politique sociale et celui sur la nécessité du contrôle de la clientèle de l’aide sociale, résulte directement de stratégies politiques contre l’opposition conservatrice.
40Pour mieux comprendre le fondement politique et culturel de cette construction de la crise de l’action publique, on peut mettre en perspective ce débat avec celui de la fraude concernant l’assurance médicale, pratiquée notamment par les médecins, qui n’est pas discutée de la même manière. Ici le contrôle des prescriptions des traitements et des médicaments est strictement refusé, non seulement par les associations professionnelles, qui ont un rôle très important dans la politique de santé en Allemagne, mais aussi par l’opinion publique. Une différence décisive entre l’aide sociale et l’assurance médicale, est que la première ne touche qu’une minorité de la population, alors que l’ensemble de la population doit la payer avec des impôts. Les prestations de l’assurance médicale en revanche, touchent potentiellement toute la population et sont payées par les cotisations. Dans les deux cas, l’infrastructure morale sur laquelle les deux systèmes sociaux sont basés dans l’opinion publique est complètement différente.
41Les débats politiques sur une crise de l’État social se résument en substance à trois aspects : – les conséquences présumées négatives de son financement sur la croissance économique – les charges financières sur la population active par le poids de l’impôt et des charges sociales et enfin l’incapacité de l’État social à atteindre ses objectifs de produire une protection sociale généralisée et aussi d’éviter les exclusions face au changement social et économique. Ce sont ces trois aspects qui forment actuellement le cadre d’interprétation des débats politiques en Allemagne et qui peuvent motiver avec beaucoup d’évidence l’idée qu’on doit faire quelque chose.
42Dans ces constructions de la critique de la politique sociale, on reconnaît facilement les trois hypothèses analysées par Hirschman (1991) comme discours réactionnaire : D’abord, l’hypothèse des effets pervers : la politique sociale induit des conséquences contre son intention en menant à la dépendance et à une démobilisation des clients. Ensuite, l’hypothèse de l’inutilité: la politique sociale n’est pas efficace. Enfin, l’hypothèse de la dangerosité: la politique sociale est dangereuse pour le développement de l’économie et mène à un ralentissement de la croissance économique, ainsi qu’à une augmentation du chômage et de la pauvreté.
43Mais bien entendu, en Allemagne, mais également dans la plupart des autres pays d’Europe, l’existence de l’État social n’est pas remise en question et les conceptions radicales néo-libé-rales sont loin d’être majoritaires comme aux États-Unis, en Nouvelle-Zélande ou dans la Grande-Bretagne des années 1980. Même si ce modèle d’argumentation d’une crise de l’État social est dominant, la légitimité du système de sécurité sociale reste stable jusqu’à présent.
44Les constructions de la crise et les stratégies rhétoriques de la critique de l’État social varient selon les domaines de la politique sociale concernée et cette variation est aussi liée à sa forme d’institutionnalisation, ainsi qu’à l’infrastructure morale incarnée dans ses organisations.
Infrastructure culturelle et options de la politique
45Déjà les restructurations et réductions des prestations dans la politique sociale après 1975 n’étaient guère perçues comme un problème par le public en raison de leur sélectivité pour certains groupes. Les personnes concernées par ces réformes étaient les chômeurs et ceux qui recevaient des aides sociales. Cela correspond tout à fait avec la légitimité et l’adhésion différenciée pour les systèmes de la sécurité sociale différents. Autant les assurances retraite et maladie sont approuvées en Allemagne par 90 % de la population et, ce faisant, interprétées comme des systèmes évidents et indispensables, autant l’assurance chômage et les aides sociales sont moins acceptées et par conséquent plus faciles à changer politiquement [8]. En effet, les débats politiques sur la crise de l’État social ont toujours évité d’établir un climat qui éveillerait l’impression que l’ensemble de la politique sociale est en jeu.
46Les réformes et les nouvelles réorganisations de la politique étaient l’objet de décisions très consensuelles entre les grands partis et distillées à petites doses. Mais surtout les intérêts de clientèle de groupes sociaux organisés et influents n’étaient pas directement touchés par ces réformes (Offe, 1991).
47Cette légitimation des politiques de sécurité sociale, tant dans la prévention des risques sociaux, que dans leur rôle de redistribution, contribue en même temps à la création de normes et donne un éclairage significatif à l’analyse des options et des tendances concernant le développement de la politique sociale.
48L’État social ne fonctionne qu’en reposant sur la confiance que lui accordent les individus et sur la garantie qu’il leur offre de se voir couverts lorsque le risque s’est réalisé (Hinrichs, 1994). Cela concerne directement, non seulement la disposition ou la bonne volonté de la population à payer des impôts et les charges sociales, mais aussi son adhésion aux différentes formes de redistribution des prestations, même si elles impliquent une violation des normes de la réciprocité et des intérêts individuels.
49Les redistributions de la politique sociale ne se laissent légitimer que si impôts et contributions s’appuient sur la conception morale commune. La solidarité, comprise comme renonciation des intérêts personnels au profit d’autrui, perd de sa vigueur dans deux situations particulières (Offe, 1990):
- Il y a des personnes qui bénéficient de prestations, mais « qui ne les ont pas méritées » ou qui n’y ont pas droit. Cette argumentation repose sur une idée de réciprocité et de reconnaissance de problèmes comme problème social et non pas individuel. Si les individus sont considérés comme responsables de leur misère ou s’ils n’en font pas assez pour s’en sortir, ils ne peuvent guère prétendre à avoir droit à la solidarité sociale. L’adhésion concernant les interventions de la politique sociale dépend de la capacité à assimiler ses propres conditions de vie à celles des individus directement confrontés à des problèmes sociaux. La popularité du débat sur les abus de prestations sociales s’inscrit dans le même contexte, car ici, ce sont les conceptions élémentaires de l’équité et de la justice qui sont en jeu.
- Les ayants droit n’ont pas les avantages attendus de prestations, malgré le fait d’avoir cotisé. Cette situation concerne le problème de la confiance dans la performance du système social actuel ou dans l’avenir.
50La situation la plus dangereuse serait que l’interprétation politique et publique suive l’idée que la situation b) découle de la situation a) et que la performance et la stabilité du système social soient remises en cause en raison des abus commis par des individus ou des groupes qui ne mériteraient pas de telles prestations. Dans le cas où il existe une redistribution intertemporelle ou intergénérationnelle, l’infrastructure morale, qui repose seulement sur la confiance à recevoir des prestations dans l’avenir, tient une place relativement modeste. Les mesures de la politique sociale impliquant une redistribution interpersonnelle, plus ambitieuses, doivent être fondées sur une culture solidaire, même si elle est abstraite.
51La moralité, des conceptions de justice et de solidarité par exemple, sont toujours en situation de tension avec des intérêts stratégiques personnels. Cette tension pose davantage de problèmes pour les classes sociales qui se perçoivent comme les payeurs nets. Plus la relation entre les charges et la possibilité d’utiliser les prestations est défavorable, plus l’intérêt porté aux institutions de la politique sociale est faible. C’est l’une des raisons principales pour lesquelles a été instauré le caractère obligatoire de l’assurance sociale, permettant ainsi d’éviter une fuite des bons risques [9].
52C’est dans ce sens-là que le fonctionnement de l’État social repose sur un capital culturel de la solidarité et sur une culture de la politique sociale publique, laquelle ne peut résulter du droit, ce dernier n’ayant que la tâche de le rendre effectif.
53L’érosion de cette base morale est rendue tangible par le phénomène de la fraude (fiscale, économique, travail au noir, etc.) et par celui de la fraude aux prestations sociales. L’effondrement progressif du capital culturel de l’État social entraîne avec lui la remise en question de l’existence des systèmes sociaux (voir aussi Immerfall, 1998) [10].
54Même si l’infrastructure morale de l’État social ne peut pas être créée directement par des institutions politiques, c’est malgré tout la forme de ces institutions qui l’influence, par exemple par leurs logiques de financements et leurs modes d’allocations de prestations.
55Ainsi, le débat sur l’assurance retraite en Allemagne développe des arguments s’adressant directement aux intérêts individuels en proposant une assurance privée supplémentaire qui promet une capitalisation de cotisations plus élevées que l’assurance sociale. Avec la construction d’un conflit de générations, cette réforme s’accomplit au détriment de l’infrastructure morale de l’assurance solidaire. La préférence, mais aussi l’évidence du bien-fondé de cette solution pour le marché, se nourrissent de l’idée que la redistribution intertemporelle et non pas interpersonnelle serait plus difficile à légitimer dans le discours actuel.
56En principe il y a deux aspects qui sont à la base de la légitimité de l’État social. La politique sociale repose sur l’idée que les risques ou les problèmes sont des risques sociaux et non une conséquence du comportement individuel déviant. Tant que la pauvreté par exemple ne concerne qu’un groupe marginal et peut être interprétée comme déviance individuelle, la disposition à la solidarité et à la renonciation individuelle est moindre que si cette pauvreté est considérée comme un problème de masse où la possibilité d’être concerné directement est loin d’être improbable. Par conséquent, l’adhésion à une politique publique liée au chômage et à l’aide sociale est plus élevée dans les classes moyennes et défavorisées.
57En outre, il faut mesurer si les conséquences de ces risques sont individuelles ou collectives. Tant que la pauvreté semble avoir une portée socialement et localement limitée, les conditions pour faire émerger une prise de conscience collective de la responsabilité sont moins favorables que si la pauvreté est interprétée comme un risque collectif, avec par exemple, la propagation d’épidémies, de révoltes, de violence ou de criminalité, qui menaceraient la communauté toute entière.
58Si ces scénarios de dramatisations et de menaces sont certainement capables de confirmer la légitimité des dépenses de l’État social, l’insécurité induite par une telle stratégie rhétorique risque aussi d’encourager le développement de mesures d’une politique pénale populiste. Cela devient encore plus évident s’il existe la possibilité de délimiter la population des pauvres par d’autres critères, par exemple ethniques, qui permettent de les marginaliser davantage. Les États-Unis sont un exemple typique de cette relation entre politique sociale et politique pénale (Wacquant, 1999).
59Bien entendu, la reconnaissance d’un problème social par les pouvoirs politiques et par le public et l’attribution à l’État d’une compétence à le gérer est tout à fait différente de son institutionnalisation et son organisation. Les solutions aux problèmes ne leur sont pas nécessairement adaptées avec la perspective de traiter leurs causes ou leurs origines. En effet, l’analyse de ces thèses sur la politique sociale montre que l’argument de l’efficacité de l’État social ne peut être convaincant que si le groupe d’individus concernés (au moins potentiel) est suffisamment large et si ses intérêts sont bien organisés. Tant que le problème reste limité aux groupes susceptibles d’être marginalisés, cette notion d’efficacité se rapporte plutôt à ce qui menace la majorité de la communauté, notamment si cette forme de régulation paraît moins coûteuse et conduit à des succès politiques à court terme [11].
Systèmes d’États-providence et infrastructure morale dans les régulations de la question sociale
60Pour analyser les développements de la politique contre la pauvreté, il faut toujours partir d’une définition de la politique sociale. Il est très difficile de trouver une définition consensuelle de l’État social, l’analyse des relations entre développement social et politique sociale étant le plus souvent prédéterminée par le choix des concepts, ce qui soulève d’importants problèmes, notamment dans une perspective comparative.
61En Allemagne par exemple, l’idée de l’État-providence a toujours eu une connotation négative à l’inverse du concept de l’État social. Ce dernier est défini comme la somme des interventions ponctuelles et régulières de l’État dans les relations sociales et les conditions de vie sur la base d’un diagnostic de problème social(Kaufmann, 1989, traduction A.G.). En revanche, le concept de l’État-providence se définit d’une manière plus large, comme une forme d’organisation de la société, où la régulation de l’intégration sociale repose sur la politique élargie d’un secteur social centralisé. Cette distinction, dont l’utilité pour des analyses sociologiques pourrait être aisément contestée, souligne néanmoins les différences culturelles concernant la conception de l’État et de la société, qui ont des conséquences dans la mise en œuvre des options du développement de la politique sociale. Ainsi, ces conceptions forment le cadre d’interprétation des discours politiques. L’idée de politique sociale repose (au moins dans les débats politiques) sur l’interprétation de problèmes sociaux concrets et sur la définition de groupes de problèmes différents, tandis que la conception de la question sociale et de l’intégration sociale est véritablement au cœur de l’idée de l’État-providence.
62Par contre, la distinction entre un type Bismarck et un type Beveridge, d’ailleurs plus souvent appliquée en France qu’en Allemagne, se réfère tant aux différences entre deux types d’institutionnalisation de la politique sociale et de leur mode de financement respectif, qu’aux discours qui se tiennent en arrière-plan sur les modèles étatiques et sociétaux.
63Les recherches comparatives internationales sur les formes de l’État social partent souvent de l’idée que l’institutionnalisation des mesures de politique sociale, dans les différentes formes qu’elle prend dans les pays industrialisés, répond à un système cohérent qui sert de point de départ aux typologies des pays.
64Dans la distinction entre les systèmes d’État social de type Bismarck et de type Beveridge par exemple, ce sont les formes d’organisations et de financements de la politique sociale, comme l’assurance sociale obligatoire alimentée par les charges sociales ou comme la politique de l’État-providence financée par les impôts, qui sont des critères décisifs (Palier, Bonoli, 1995). Une autre typologie plus élaborée, proposée par Titmuss (1974), repose plutôt sur les conceptions différentes des valeurs et de la société, institutionnalisées dans la politique sociale [12].
65La typologie actuellement la plus discutée est celle de welfare regimes de Gøsta Esping-Andersen (1999), dont chacun des types construits correspond à une orientation et une idéologie politique précises [13].
66Les typologies de ce genre sont très utiles pour analyser l’origine et l’évolution des arrangements de l’État social et sont indispensables pour développer les théories abstraites de l’Étatprovidence. Mais cette différenciation des types de régimes ou de familles d’État social devient problématique dès qu’on commence à analyser plus en détail l’arrangement ou la structure d’un seul système national.
67En tant que modèles de l’institutionnalisation de la politique prédominante, la Suède et les États-Unis pourraient être considérés comme les prototypes spécifiques de ces deux régimes contrastés, mais la classification de la France et de l’Allemagne illustrant le système Bismarck ou le régime conservateur corporatiste ne peut être acceptée que comme une abstraction très éloignée de la réalité.
68Dès qu’on analyse certains domaines particuliers de la politique sociale, la lutte contre la pauvreté par exemple, il apparaît clairement que l’aide sociale ou l’assistance familiale ne fonctionne guère selon le principe de l’assurance, ni même sur le mode conservateur de la charité, mais plutôt sur celui d’un modèle universaliste financé par l’impôt. Même le système suédois, souvent interprété comme le prototype d’un modèle universaliste, vient de créer certains éléments très importants qui s’apparentent à l’assurance sociale, financés par un système de charges sociales différenciées.
69Dans ce contexte, pour analyser les conditions culturelles du développement de la politique sociale, il paraît plus approprié de ne pas partir d’une approche globale des régimes différents de l’État social, mais plutôt des logiques institutionnalisées par les diverses formes et les types d’interventions à l’intérieur de ces systèmes nationaux. Mais cette approche rend de fait plus difficile l’établissement du diagnostic d’une tendance de développement unique de l’État social.
70Dans une telle perspective, les types de l’État social correspondent à certaines formes d’organisation des interventions, mélangées de manière caractéristique pour les différents modèles d’États nationaux. Ce sont ces types d’interventions et leurs formes d’organisations qui reposent sur des conceptions et des cadres d’interprétations différents de l’étatisme, de l’économie et de la citoyenneté. Cette approche donne en même temps l’occasion d’identifier les lignes de conflits actuelles dans la critique de la politique sociale.
71Si on part de l’étude de la politique sociale, de ses effets typiques, la caractéristique des interventions se retrouve dans ses références aux conditions de vie des groupes politiquement définis et typés. Kaufmann (1982), en faisant référence aux idées de la modernisation du fonctionnalisme structurel de Marshall (1950) et de la théorie des systèmes, choisit la conception de l’inclusion comme point de départ. La politique sociale est vue dans cette perspective comme un concept politique pour changer les conditions de vie et les chances de l’inclusion des individus, des ménages ou des groupes, sur la base de constructions sociales des déficits ou des problèmes sociaux.
72Les conditions de vie à l’égard de l’inclusion dans la société moderne sont à définir selon quatre aspects :
- l’inclusion comme droits accordés par l’État, qui définissent un statut de droit civil pour les citoyens;
- la disponibilité de ressources financières;
- l’occasion de bénéficier de prestations et des services publics;
- les compétences individuelles comme capacités et motivations acquises.
Il en résulte différentes formes d’interventions : - l’intervention légale;
- l’intervention économique;
- l’intervention écologique (concernant l’environnement social) et
- l’intervention pédagogique.
73Si on analyse, dans cette perspective, les formes de régulation de la question sociale, notamment la politique contre la pauvreté, il est évident qu’elle contient plus que les seuls programmes spécifiques qui lui sont destinés, comme les transferts financiers de l’aide sociale. Une telle réduction de l’analyse de la lutte contre la pauvreté, en particulier dans une approche comparative, conduit à de fausses interprétations, puisqu’une politique de lutte contre la pauvreté peut aussi bien combattre les risques de devenir pauvre que ceux de le rester. Il faut donc au moins différencier les interventions entre une politique préventive et une politique pour une population déjà catégorisée comme pauvre.
74Dans les sociétés modernes, l’inclusion économique s’est tout d’abord référée aux revenus du marché, ce qui veut dire dans la plupart des cas le salariat. Pour cette raison la régulation de la question sociale par la politique contient toujours les formes d’interventions différentes dans le marché ou en référence avec le marché, que l’on pourrait différencier de la manière suivante :
a) Garantie de besoins indépendants du marché ou politique sociale compensatrice
75Il s’agit des transferts financiers et des redistributions directes sans rendre compte de leurs formes d’organisation comme revenu minimum ou assurance sociale. L’idée de base de cette forme de l’intervention est la garantie de l’inclusion sociale des individus malgré leur manque de revenus sur le marché [14]. Selon son mode d’institutionnalisation, cette forme de redistribution agit contre le risque de devenir pauvre (l’assurance retraite par exemple) ou celui de rester pauvre (le revenu minimum d’insertion par exemple).
76Mais il existe toujours également des formes de redistribution indirectes, comme la progression des impôts ou les réductions de frais pour des services ou des biens, qui sont tout aussi importantes pour la politique sociale et pour le problème de la pauvreté [15].
77Dans ce sens-là, la politique contre la pauvreté est comprise comme une intervention économique. Lorsque cette forme d’intervention implique toujours et clairement une redistribution sociale, la question de sa légitimité est particulièrement virulente et sa forme d’institutionnalisation comme assurance ou comme approvisionnement de l’État devient très importante.
b) Régulation légale de contrats ou prévention de risque conforme au marché
78Pour cette forme de régulation de la question sociale, la différence entre prévention et intervention est particulièrement importante. L’analyse de la politique contre la pauvreté se limite souvent à une politique sociale compensatrice qui s’adresse à une population de pauvres définie et typée. Ainsi, les interventions destinées à permettre aux individus d’obtenir ou de conserver un emploi et éviter de devenir pauvre, restent-elles hors de vue.
79Les régulations légales de contrat, dont les modalités sont différentes, visent souvent des groupes à risque, afin de sécuriser leur statut d’inclusion sur le marché. Il existe pour cela plusieurs exemples :la fixation d’unsalaire minimum, les régulations du contrat de travail, concernant le temps du travail, les conditions de sa résiliation, le paiement du salaire en cas de maladie et enfin le droit syndical.
80Des facteurs comme le droit des dettes et de la saisie des biens ou encore la possibilité d’une faillite personnelle, participent également à la prévention d’une pauvreté installée.
81Comme exemple négatif, on pourrait évoquer aussi le droit d’asile, qui, au moins en Allemagne, interdit aux demandeurs d’asile de chercher du travail, ce qui engendre nécessairement un état de pauvreté.
82Toutes ces régulations contribuent à établir un statut civil pour ces personnes dans des contextes différents; les interventions légales représentent ainsi un élément important de la régulation de la question sociale.
83Ces régulations, qui n’impliquent pas de redistribution de ressources, ne posent pas les mêmes problèmes pour l’infrastructure morale publique. Mais obtenir et asseoir ces droits nécessite de la part des groupes sociaux qui n’en font pas usage une certaine solidarité, ou du moins, que ces groupes prêtent à ces droits une certaine légitimité. En raison de leur importance pour un fonctionnement flexible de l’économie, les droits du travail donnent souvent lieu à des conflits entre les entreprises et les syndicats. Dans ces débats, les associations d’entrepreneurs, mais aussi les partis politiques, ont souvent argumenté que ces régulations fonctionnent comme un obstacle à la création des emplois. Ainsi ces débats pèsent sur l’infrastructure morale puisqu’ils créent une tension entre ceux qui sont au chômage et ceux qui ont un emploi.
c) Interventions concernant les options d’inclusion au marché
84Souvent et même d’une manière croissante, les transferts opérés dans le cadre de l’aide sociale sont accompagnés de contrôles, destinés à s’assurer de la capacité et la disponibilité des individus pour la recherche d’un emploi. Ces mesures fonctionnent soit comme moyen de pression à accepter n’importe quel poste de travail proposé, soit comme outil de formation pour des chômeurs mal ou peu qualifiés (intervention pédagogique).
85Il existe dans ce domaine d’autres formes d’interventions, qui renforcent de façon importante les options de l’inclusion dans le marché du travail qui consistent à offrir des services sociaux aux individus. Le développement et l’accessibilité des institutions pour la garde des enfants, par exemple, sont directement liés au taux de l’emploi chez les femmes et ainsi également avec l’importance de la proportion de la pauvreté chez les mères célibataires (intervention écologique).
86Ces diverses formes d’intervention s’appuient d’une manière variable sur l’infrastructure culturelle de l’État social.
87Les interventions pédagogiques reposent directement sur une attribution individuelle des problèmes et elles trouvent donc facilement leur légitimation et leur adhésion dans le public, notamment dans une période où les ressources sont restreintes. Ainsi, les contrôles des besoins comme les mesures pédagogiques pour vérifier les motivations vis-à-vis du travail, sont bien adaptés pour éviter la situation (a), où il y a des personnes qui bénéficient de prestations sans les mériter et ne pèsent donc pas sur la solidarité.
88En revanche, les interventions légales sur le marché sont celles qui ne concernent pas la solidarité directement tant qu’elles sont interprétées comme mesures sans coûts directs. De plus, elles présentent l’avantage d’exclure pratiquement leur utilisation individuelle au détriment d’autres personnes ou groupes. Cependant, cet argument dépend largement du contexte culturel. Dans les débats actuels, on a réussi à promouvoir l’idée que les revendications en matière de droits seraient une des origines du chômage et donc aussi de la pauvreté. Même si un abus individuel est presque exclu, les débats sur une sur-régulation du marché du travail ont créé un conflit de distribution entre ceux qui disposent de la possibilité d’utiliser les avantages liés à ces droits (les employeurs) et ceux qui n’en disposent pas (les chômeurs).
89En ce qui concerne la solidarité et l’infrastructure morale, les interventions économiques sont celles qui sont les plus ambitieuses car elles touchent directement et d’une manière permanente les intérêts individuels. C’est pourquoi les structures de l’organisation de la sécurité sociale se présentent comme des systèmes sophistiqués qui assurent la base de leur légitimité.
90Les systèmes d’assurance sociale garantissent par le principe d’équivalence entre charges et prestations, que seuls les ayants droit doivent recevoir les prestations qu’ils méritent, ainsi, ce système est bien protégé contre la situation (a) de fraude. Le principe d’assurance obligatoire et notamment la surveillance de l’État, garantit la stabilité et la performance de ce système, assurant ainsi la confiance dans les assurances sociales en évitant la situation (b), où il n’est pas certain que les ayants-droit vont recevoir des prestations bien qu’ils aient cotisé.
91En outre, ces principes ne sont pas directement liés à celui de la redistribution sociale, celle-ci correspondant en effet à un niveau de solidarité supérieur. Les redistributions effectives, par exemple entre jeunes et vieux ou entre personnes avec des mauvais et des bons risques, procèdent plutôt du hasard et ne sont pas accessibles aux stratégies individuelles. De plus, les charges sociales, considérées comme propriété individuelle, ne sont pas directement disponibles pour le pouvoir politique dans la mesure où l’organisation de l’assurance, comme autogestion paritaire, est extérieure à l’administration de l’État. C’est pourquoi Offe (1990,185) a conclu que le système de l’assurance sociale obligatoire est, d’une manière idéale, moralement sans ambition, ce qui peut également expliquer sa stabilité historique. En effet, ce système s’est poursuivi, au moins en Allemagne, durant quatre systèmes et régimes politiques complètement différents, presque sans changements institutionnels de fond.
92Mais la modestie morale de ces systèmes d’assurance sociale semble moindre si on la compare avec l’infrastructure des systèmes d’assurances privées. L’abus de prestations est ici également contrôlé par les cotisations et la surveillance par l’État peut aussi garantir la stabilité de ce système et le maintien d’une confiance dans l’avenir, bien que d’une manière moins efficace que pour les assurances sociales. Dans une perspective de stratégie individuelle, les assurances privées ont l’avantage d’offrir la possibilité d’accroître le capital, d’évaluer les risques et par conséquent de différencier les prestations.
93C’est dans cette optique, que l’assurance privée repose le moins sur la solidarité sociale, mais parallèlement, elle fait courir à l’infrastructure morale le risque de s’installer dans une tendance à un affaiblissement croissant par la mise en œuvre de mécanismes d’individualisation et de différenciation des risques [16].
94En comparant les différents systèmes d’assurances avec ceux de la providence d’État financés par les impôts, ce sont ces derniers qui relèvent le plus de la solidarité sociale, car ils sont directement liés à une redistribution plus élevée. La question de leur légitimité n’est cependant pas particulièrement aiguë, puisque leur mode global de collecte ne permet pas au contribuable de définir précisément la part qui sert à financer la politique sociale. De cette manière, la redistribution sociale n’est pas immédiatement visible, mais ce système peut devenir facilement un enjeu pour les débats politiques.
95Les prestations issues de la providence ne sont pas bien protégées, du fait de leur propre logique de fonctionnement, contre la problématique de l’abus, en particulier s’il ne s’agit pas d’une providence universaliste (comme par exemple, l’allocation familiale). Dans la politique contre la pauvreté, les prestations financières ne sont pas universalistes, mais destinées aux groupes dont les caractéristiques sont socialement définies. C’est pourquoi ces prestations sont toujours accompagnées par le contrôle des besoins.
96Les prestations universalistes, par contre, ne sont légitimées que si les problèmes et les risques des ayants droit sont acceptés d’une manière générale comme relevant de la responsabilité de la société ou de l’État. Les expériences en Suède ou en Grande-Bretagne, avec leurs systèmes de santé publique, ont montré que les prestations universalistes sont en principe parfaitement acceptées par l’opinion publique. Cependant, cette situation n’est acceptable que dans un système qui se limite à offrir seulement des services de base, mais qui est obligé par ailleurs, pour conserver l’adhésion des classes moyennes, d’élargir ce système par les assurances complémentaires.
97L’État-providence s’appuie fortement sur une culture basée sur des solidarités différenciées, mais celle-ci est toujours fragile et difficile à stabiliser dans une société dont la structure sociale accorde des primes à l’individualisme et aux stratégies individuelles.
98Ce sont donc ces formes différentes des institutions de la politique sociale, qui stabilisent ou déstabilisent l’infrastructure culturelle. La providence par l’État court toujours le risque d’être politisée d’une manière populiste, tandis que l’assurance sociale, qui repose moins sur une solidarité sociale, protège davantage des changements quelle que soit l’évolution de perspectives. Dans une situation où la politique sociale dans les débats politiques apparaît plutôt menacée, le système d’assurance sociale apporte les options de développement les plus favorables pour une justice sociale, même si ses effets sur la redistribution sociale sont plutôt faibles.
99La nouvelle question sociale s’installe aujourd’hui dans une société pluraliste, qui est plus exigeante à l’égard des mécanismes de l’intégration sociale et de la solidarité. Les seules mesures de l’État-nation ne sont plus suffisantes pour assurer la solidarité de la société et résoudre les problèmes sociaux en même temps. C’est plutôt la solution de Durkheim, qui s’accorde mieux avec les caractères de la société moderne et pluraliste. Il regardait au delà de l’État centralisé pour établir des formes de solidarité et des façons de gouverner dans des associations et organisations de la société civile, en assurant à la fois la moralité individuelle et les liens sociaux.
100Le paradoxe aujourd’hui est que les États nationaux, dans le domaine de la politique sociale, cherchent plutôt à renforcer l’idée de l’individualisme du marché en mettant en jeu le capital culturel nécessaire pour établir et stabiliser les potentiels différenciés d’une société civile.
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Notes
-
[*]
Je remercie beaucoup Sophie Burlot, Azilis Maguer, Dominique Duprez et les lecteurs anonymes de Déviance et Société d’avoir bien voulu m’aider à rendre ce texte un peu plus lisible.
-
[**]
Université de Bielefeld, faculté de sociologie.
-
[1]
L’arrangement de l’État social se réfère à l’idée que ce ne sont pas seulement les institutions de l’État qui participent à la production de la sécurité sociale, mais aussi, selon le principe de la subsidiarité, les associations civiles, notamment en Allemagne, les collectivités locales et les ménages privés. Ces institutions forment un système de division de travail en politique sociale.
-
[2]
Ces questions sont maintenant au cœur des recherches empiriques comparatives. Pour une des plus élaborées de ce genre, voir Scharpf, Schmidt (2000). Pour des réflexions plus théoriques, voir aussi Rosanvallon (1995) et comme résumé (pour une vue d’ensemble), voir Kaufmann (1997).
-
[3]
Cela ne concerne pas uniquement le discours politique, mais aussi les sciences sociales, où les contributions, qui ne travaillent pas avec la notion d’une crise, sont devenues rares. Je me limite ici à une esquisse du discours politique et public.
-
[4]
Pendant que le taux des dépenses pour la politique sociale a augmenté dans presque tous les pays européens de l’Ouest pendant des années 1990, il restait presque stable en Allemagne. On y trouve même un abaissement dans les années 1980 jusqu’à la réunification, malgré une pression croissante des problèmes à la suite de la progression du chômage de masse. La (faible) montée dans les années 1990 est attribuée aux coûts de la réunification, avec laquelle a été installé sans transition le système de l’assurance sociale de l’Allemagne de l’Ouest dans les nouveaux Länder.
-
[5]
À l’inverse de ce que l’on trouve souvent dans la plupart des livres sociologiques sur l’assurance sociale, cette mesure a montré que le système d’assurance sociale obligatoire paraît assez flexible pour réagir sur ces enjeux très différents. Elle ne suit pas forcément une seule logique qui est strictement liée au salariat et offre beaucoup de possibilités d’intégration aux droits de prestations hors du salariat. Dans ce cas, il faut en effet probablement ajouter un financement supplémentaire par l’impôt, ce qui est d’ailleurs le cas depuis longtemps.
-
[6]
Les mots-clés de cette argumentation dans sa version sociale-démocrate se trouvent formulés également dans le programme de troisième voie de Anthony Giddens et Tony Blair. On assiste ici d’ailleurs à un changement fondamental d’interprétation du salariat. Ce n’est plus le salariat qui crée la dépendance, la discipline, l’exploitation et ainsi conduit à une démotivation des sujets, le salariat est aujourd’hui un privilège et la condition préalable pour la liberté.
-
[7]
En 2001 il y avait environ 2,7 millions de personnes recevant des prestations régulières de l’aide sociale en Allemagne. La majorité d’entre elles ne sont guère disponibles sur le marché du travail : 300000 personnes ont plus de 60 ans, 1 million sont des mineurs, 270 000 ont des petits-enfants et n’ont pas de places pour les faire garder, 120 000 sont malades ou handicapés et 200 000 personnes ont déjà un travail mal payé ou sont en apprentissage professionnel. Il reste donc environ 800000 personnes qui sont théoriquement disponibles sur le marché du travail, mais plus de la moitié d’entre elles est déjà occupée dans des programmes d’occupation communaux.
-
[8]
Bien entendu, l’existence de ces systèmes est aussi incontestée par le public, mais le taux de population qui accepterait leur réduction est plus élevé que pour les assurances maladie et retraite (Coughlin, 1980; Roller, 1998).
-
[9]
C’est la raison pour laquelle la possibilité de choisir une assurance maladie privée pour la population active disposant d’un salaire élevé pose des problèmes pour l’assurance sociale. En même temps cette mesure évite des problèmes de surcharge pour l’infrastructure morale des classes élevées.
-
[10]
La question de free rider (Olson, 1969) est toujours un problème fondamental pour l’allocation de biens publics, qui ne peut pas être évitée sans référence à une infrastructure sociale. La signification des scandales politiques actuels en Allemagne comme en France, ainsi que la pratique moins stigmatisée de l’évasion fiscale pratiquée par les grandes entreprises, se trouve dans le fait de fonctionner comme modèle pour suivre ses propres intérêts d’une manière maligne et corrobore ainsi les orientations vers la poursuite d’intérêts propres sans responsabilité pour la collectivité.
-
[11]
Dans cette perspective la question de la justice sociale comme principe abstrait n’a en effet pas de signification importante. En exagérant on pourrait dire, que l’idée de justice sociale ne peut être discutée et réalisée que pendant les périodes de croissance économique, durant lesquelles un surcroît peut être distribué.
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[12]
Il différencie trois types d’État social : le premier institutional achievement model, récompense en particulier la performance individuelle, il est comparable en cela au type Bismarck; le second institutional redistributive model, dans lequel la redistribution sociale représente l’objectif le plus important et le troisième residual model, qui privilégie la protection privée que propose le marché.
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L’auteur y développe un index de démarchandisation qui mesure le degré d’indépendance ou de liberté auquel les systèmes de la politique sociale sont parvenus vis-à-vis du marché comme moyen essentiel de subsistance. Esping-Andersen distingue tout d’abord un régime libéral, que les États-Unis incarnent le mieux, ensuite un régime conservateur ou corporatiste, représenté par l’Allemagne, mais aussi par la France et enfin un régime démocratique social, qui est institutionnalisé en Suède. Pour d’autres typologies proposées, voir par exemple Korpi (1995) et Castles (1993).
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Cette forme d’intervention est très proche de l’analyse de Esping-Andersen (1999) sur le concept de « démarchandisation », la dimension selon laquelle les individus ou les ménages peuvent garder un standard de vie socialement accepté, indépendant de l’inclusion du marché de travail.
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En effet, le système des impôts sur les salaires en Allemagne implique un fort désavantage pour les ménages avec enfants; avoir des enfants est devenu un vrai risque de pauvreté, notamment pour les femmes non mariées.
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C’est d’ailleurs aujourd’hui un des problèmes majeurs de financement pour l’assurance maladie. Les exceptions de l’assurance sociale obligatoire pour des individus avec un salaire élevé fonctionnent comme une sélection de bons risques pour les assurances privées. Ces difficultés ne sont pas des problèmes liés à la structure ou à la logique du système d’assurance, mais sont plutôt une conséquence de servir les intérêts politiques des classes moyenne à se distinguer de la classe ouvrière.