Notes
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[1]
Une centaine d’entretiens ont été réalisés au début de l’année 1999, dans trois circonscriptions de sécurité publique de la région parisienne, pour moitié auprès de policiers, îlotiers, officiers de police judiciaire (OPJ), membres des brigades anti-criminalité (BAC) ou des UTJTR (voir infra), et pour une autre moitié auprès de partenaires potentiels (élus, gardiens, associations, Éducation nationale) et de représentants du public (habitants, jeunes ou moins jeunes rencontrés dans les rues).
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[2]
Changement décidé par le haut, le politique, et appliqué par le bas, les acteurs de terrain (Muller, 1994).
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[3]
Loi du 21 janvier 1995 d’orientation et de programmation relative à la sécurité.
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[4]
Unités de traitement judiciaire en temps réel : unités de gardiens de la paix chargés des prises de plaintes dans les commissariats.
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[5]
Contrats locaux de sécurité : signés par le préfet, le procureur de la République territorialement compétent, et le (ou plus rarement les) maire(s) concerné(s), ces contrats cherchent à favoriser la coopération locale sur les questions de sécurité.
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[6]
Adjoints de sécurité : « emplois-jeunes » de la police nationale. Ces personnels, engagés pour une période limitée de cinq ans dans le cadre du programme gouvernemental de lutte contre le chômage des jeunes, sont envoyés sur le terrain après une formation légère, sans disposer des pouvoirs légaux des policiers titulaires (Gorgeon, 2001).
-
[7]
C’est l’opposition maintes fois évoquée entre police d’ordre, au service de l’État et police de sécurité, au service du public (Monjardet, 1996).
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[8]
Dès 1974, une note de la Direction Centrale de la Sécurité Publique définissait précisément les méthodes et objectifs de l’ilotage : y est inscrite la volonté de privilégier les fonctions relationnelles et l’assistance au public…, Note de la DCSP/18 juin 1974.
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[9]
Le rapport Peyrefitte préconise déjà la participation des policiers à des activités sportives avec les jeunes, pour leurs vertus éducatives.
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[10]
Voir les regrets exprimés par J.-M. Belorgey (1999).
-
[11]
L’îlotage est alors conçu comme une « vitrine », sans que soit recherché le dialogue, le discours policier penchant plutôt vers le on sait faire, laissez-nous faire, tendant à ériger la compétence policière en profession au sens socio-logique du terme (Abbott, 1988).
-
[12]
Note de la DCSP du 18 juin 1994.
-
[13]
Par exemple, Le Monde du 28 octobre 1997, ou Gleizal (1999).
-
[14]
Au sens littéral : principe premier, indémontrable ou non-démontré. On notera que l’îlotage n’a jamais fait l’objet de réelles évaluations à grande échelle.
-
[15]
Brigades anti-criminalité, ayant pour mission de faire des interpellations et de mener une politique de dissuasion dans les quartiers, essentiellement la nuit.
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[16]
En général, les jeunes policiers sont affectés en premier poste en région parisienne, dont les effectifs sont traditionnellement déficitaires, le jeu consistant à accumuler les années de pratique pour obtenir un poste dans sa région d’origine, laissant ainsi aux nouveaux venus des postes vacants en région parisienne.
-
[17]
Voir par exemple Faivre (1993).
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[18]
On peut dès lors imaginer que l’un des premiers effets d’une politique de tolérance zéro pourrait être un rejet plus massif de la police.
-
[19]
Agents locaux de médiation sociale : emplois recrutés par des structures associatives, plus ou moins proches des municipalités, chargés de faire de la médiation et de la prévention dans les quartiers sensibles.
-
[20]
Unité d’investigations et de recherches : service regroupant les OPJ dans les commissariats les plus petits.
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[21]
Ceci s’avèrerait peut-être un peu moins vrai avec la police de proximité, encore que les manifestations de mécontentement des policiers à ce sujet en juin 2001 laissent à penser que les problèmes de gestion des ressources humaines sont toujours aussi prégnants dans la police…
-
[22]
Sur ce terme, voir Garapon (1996).
-
[23]
…ce qui est l’objectif que nombre de chercheurs américains (Goldstein, 1990; Skogan, Hartnett, 1997) identifient comme essentiel pour la mise en place d’une véritable police de proximité.
-
[24]
Voir supra note 4.
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[25]
Dans les faits, un certain nombre de gardiens, appelés les « déshabillés » puisqu’ils ne portaient pas la tenue, apportaient leur concours aux OPJ.
-
[26]
Agent de police judiciaire (article 20 du code de procédure pénale).
-
[27]
Officier de police judiciaire (article 16), fonction dont l’accès est désormais possible aux gardiens de la paix (loi n° 98-1035 du 18 novembre 1998).
-
[28]
C’est le cas des querelles entre voisins, ou des conflits jeunes-plus anciens qui enclenchent souvent le cercle vicieux disputes-représailles.
-
[29]
Voir Sebastian Roché dans Le Monde du 6 mars 1999 ou P. Glorieux qui parle des ADS recrutés pour remplir cette tâche de ressemblance (2001).
1Alors que les bilans sur la mise en place de la police de proximité, politique phare du gouvernement Jospin en matière de sécurité publique, parviennent difficilement à déboucher sur des conclusions claires et indiscutables, les résultats d’une enquête de terrain [1] (Mouhanna, 1999) permettent de distinguer certains des écueils auxquels cette nouvelle (?) stratégie policière risque d’être confrontée. Bien que ces travaux, et notamment le recueil de données (entretiens et observations) aient été réalisés avant le démarrage officiel de la police de proximité, il semble néanmoins que les mécanismes sociaux mis à jour à cette occasion soient confortés par la nouvelle organisation. En tous cas, celle-ci ne constitue en aucun cas une rupture radicale avec les pratiques observées. Certes, les discours des responsables politiques et policiers (Coll., 1997) ont tendance à insister sur le changement que constitue, à leurs yeux, le remplacement de la stratégie antérieure désignée sous le vocable d’îlotage, terme dont l’utilisation officielle est aujourd’hui bannie, par celui de police de proximité. Mais cette annonce d’une nouvelle forme de policing correspond, par bien des aspects, davantage à une régularisation de pratiques ancrées plutôt qu’à une véritable refonte top-down [2] de celles-ci. Et s’il y a quand même eu des modifications effectives dans le fonctionnement des services de police, elles nous semblent aller dans le sens d’un renforcement des tendances décrites ici. Un suivi attentif de ces questions, postérieurement à l’enquête, montre en outre que les points qui ont été retenus ici ne sont pas frappés d’obsolescence.
2D’ailleurs, la notion de police de proximité, et les modes d’action qui en découlent, viennent s’inscrire dans un dispositif plus vaste de mesures déjà existantes au moment de notre enquête, qu’il s’agisse de la réforme des corps et de l’évolution du statut des gardiens de la paix [3], de la création des UTJTR [4], de l’élaboration des CLS [5], ou de l’arrivée des ADS [6] dans les commissariats. Ces changements, antérieurs au démarrage officiel de la police de proximité, ont modifié les habitudes de travail et l’organisation des rapports entre les différentes catégories de policiers. La prise de plaintes en particulier, activité de proximité parmi d’autres mais qui reste trop souvent oubliée dans le cadre d’une politique de service public de sécurité, a, en s’ouvrant à d’autres catégories de policiers que les anciens inspecteurs, introduit un élément important dans les rapports du gardien de la paix en tenue avec la population.
3Plus généralement, l’évolution des rapports de l’institution, et des membres qui la composent, avec le public représentent l’objectif – et le défi – principal de la nouvelle police de proximité. Or, il apparaît que le prisme à travers lequel est lue la demande de la population et la manière dont cette demande est traduite par les professionnels policiers, leurs responsables et les élus, ne correspondent pas tout à fait aux aspirations d’une grande partie de la population, et notamment des plus jeunes. La nouvelle stratégie de proximité ne paraît pas intégrer toutes les dimensions des exigences publiques en matière de sécurité, et risque fort de butter sur l’insuffisante prise en compte de la complexité et de la diversité qu’exprime le corps social à travers la demande de sécurité.
I. De l’îlotage à la police de proximité : une conception en partie préventive finalement rarement appliquée
4Sans entrer dans les détails d’une histoire de l’îlotage, il convient de rappeler quelques-uns des principes essentiels sur lesquels s’est construite cette approche de la fonction policière. Elle reste étroitement associée à l’arrivée au pouvoir de la gauche et aux rapports Bonnemaison (1983) et Belorgey (1991) qui visaient déjà à instaurer de nouveaux rapports entre police et population, en rupture avec la conception « droitière » d’une police avant tout au service de l’État [7]. Des auteurs (par ex. Monjardet, 1996), en soulignant avec justesse que la notion d’îlotage se trouvait déjà inscrite dans les Réponses à la violence de la Commission dite Sécurité et liberté de 1977 (Peyrefitte, 1977) [8], ont montré combien cette vision d’un style de police « de gauche » simplifiait les choses à l’extrême. Ainsi, tout au long des années 1980 et 1990, le développement de l’îlotage va, certes avec des inflexions différentes selon les majorités politiques, figurer parmi les solutions avancées par les gouvernements successifs pour contrecarrer ce qu’ils perçoivent comme une montée incessante de la criminalité.
5Concrètement, les principes sur lesquels se fonde la philosophie de l’îlotage s’articulent autour de la construction d’une relation privilégiée avec la population, dépassant la réponse uniquement réactive qui reste le cœur du métier de policier dans la rue. Une présence policière permanente, assurée par des fonctionnaires connus, disponibles et à l’écoute, doit faciliter les échanges avec tous les types de publics. Dans cette optique, on souligne l’importance du rôle « social » de l’îlotier. À côté des missions traditionnelles, celui-ci doit jouer une fonction d’aide et d’assistance, voire d’éducation [9], afin de prévenir les comportements délinquants ou prédélinquants, et de diminuer sinon l’insécurité, du moins le sentiment d’insécurité.
Une pratique virtuelle ?
6Au delà des considérations générales, il apparaît toutefois que la doctrine de l’îlotage ne se traduit que de manière insatisfaisante dans les pratiques quotidiennes des policiers. L’approche sécuritaire reste, dans la plupart des circonscriptions, primordiale, tant pour des raisons d’organisation que de culture professionnelle policière [10]. La répression subsiste comme fondement essentiel de la mission. Non seulement elle constitue une ressource indispensable pour l’îlotier, qui y voit, à travers la menace ou la démonstration de force un moyen d’asseoir une autorité qui, de son point de vue, trouve difficilement une autre légitimité. À sa décharge, il faut d’ailleurs souligner qu’on ne lui offre pas d’autres ressources facilement mobilisables. Mais de surcroît la répression conserve aux yeux de la hiérarchie le mérite de pouvoir servir de base à une évaluation chiffrée de l’activité, ce qui est toujours utile dans un univers bureaucratique. Ainsi, bien que l’on assigne aux îlotiers des objectifs parfois qualifiés de « sociaux », et faute de moyens permettant d’en mesurer l’impact social, les critères sur lesquels les agents seront jugés se limitent trop souvent à un nombre d’interpellations ou de procès-verbaux dressés. Tous ces éléments font « naturellement » pencher la balance du côté de la répression.
7De plus, pour répondre à la double injonction du pouvoir – développer une police proche des citoyens tout en conservant des moyens d’une police destinée à préserver l’ordre public (Gleizal, 1985) – et pour éviter de creuser davantage le fossé entre l’îlotage et les pratiques professionnelles traditionnelles, les gestionnaires locaux ont souvent pratiqué l’îlotage virtuel. Il consiste à utiliser les îlotiers à une multitude de tâches ingrates dévolues aux services de police, telles que les gardes statiques, les transfèrements de détenus, les surveillances de manifestations à caractère social ou sportif. Ce n’est que lorsque toutes ces missions sont remplies que le policier est envoyé, sans qu’il y ait ni permanence de sa présence, ni fidélisation à un secteur géographique donné, îloter quelques heures dans un quartier aux contours très vaguement définis. Ces exercices ponctuels, aux objectifs flous, n’ont bien entendu pas aidé à rehausser, au sein de l’institution, l’image d’une fonction qui correspond d’ailleurs très peu à l’idéal professionnel policier. D’un point de vue critique, on peut dire qu’ils offrent néanmoins l’avantage – c’est du moins le raisonnement à court terme – de préserver la distance nécessaire entre l’institution et le citoyen, afin d’éviter que celui-ci ne s’y intéresse de trop près [11].
8Dans les discours et les politiques internes, la tendance à revenir à des pratiques professionnelles et organisationnelles plus classiques s’est concrétisée, entre autres, en 1994 par le passage au concept d’îlotage opérationnel [12], qui recentre l’îlotier sur sa fonction première de policier, et donc de répression. Elle s’est affirmée de manière plus forte encore lors du colloque de Villepinte(Collectif, 1997), au cours duquel la gauche a pris acte (plus qu’elle n’a découvert comme le laissent à penser certaines analyses [13] ) de ce postulat [14], fortement ancré chez les élus locaux toutes tendances confondues, de la non-convertibilité de la Police Nationale à une véritable action de prévention et de l’inutilité apparente de cette conversion. Le développement du partenariat, par les CLS notamment, va, contre toute attente, dans le même sens : celui d’une invitation au retour du policier à sa fonction traditionnelle de répression. Ainsi, fréquemment, les partenaires -élus locaux, transporteurs publics, éducation nationale- veulent cantonner la police dans une posture strictement punitive, afin de bien préserver un strict partage des rôles. D’une part, cela leur permet d’utiliser l’institution policière comme une menace et un repoussoir, lui réservant la fonction du « méchant ». De l’autre, une moindre implication d’îlotiers dans des dispositifs éducatifs et sociaux évite le regard critique qu’ils pourraient porter, avec la légitimité que leur confère leur statut officiel, sur les dysfonctionnements ou les manques qui apparaissent dans les pratiques des structures normalement concernées par ces questions sociales ou éducatives.
9Globalement, à la fin des années 1990, les îlotiers se trouvent souvent dans des positions tout aussi inconfortables les unes que les autres. Soit ils se désintéressent de cette fonction, n’y voyant, pour les plus jeunes, qu’une sorte de purgatoire en attendant l’entrée dans le « vrai » métier de police, en patrouille. Soit au contraire ils s’y investissent, mais au risque de se trouver marginalisés par rapport à leurs collègues, et même par rapport aux autres intervenants institutionnels dans les quartiers. Isolés, ils ne parviennent pas à faire bénéficier leurs collègues des réseaux qu’ils ont pu créer dans les secteurs difficiles.
10La confrontation avec le terrain nous convie toutefois à constater qu’existe un troisième type d’îlotage, qui parvient à s’affranchir en partie des deux écueils que sont le désinvestissement et la marginalisation.
II. De l’îlotage « social » à l’îlotage judiciarisé : une adaptation aux enjeux internes
11Sur trois sites de la région parisienne, dont deux considérés comme très sensibles, nous avons pu interviewer longuement des îlotiers ainsi que leurs collègues des services de policesecours, des BAC [15] et des unités de police en civil chargées des investigations et recherches, mais aussi des élus, des représentants de diverses institutions présentes sur les lieux, et des habitants de ces secteurs. Ces entretiens ont pu être complétés par de longues observations sur les pratiques quotidiennes.
12De tout cela, il ressort une orientation assez nette vers de nouvelle formes d’îlotage dont les objectifs, que ce soit à l’échelle de l’institution ou à celle de l’individu, prennent nettement leurs distances avec l’approche « sociale » qui fondait, souvent en théorie plus qu’en pratique, la spécificité de la fonction d’îlotier au sein de la police. Ces évolutions « sur le terrain » sont confortées par les décisions politiques.
Une tradition préservée, au moins dans la forme
13Dans deux des trois circonscriptions considérées, et curieusement dans les plus difficiles, l’îlotage a subsisté en tant que pratique effective, durant les dix dernières années au moins, malgré les épisodes violents et les changements de dirigeants ou de personnels que ces secteurs ont pu connaître. Certes, cette mission, toujours considérée comme secondaire, n’a jamais fait l’objet d’une politique volontariste ou très ambitieuse tout au long de ces années. Néanmoins, avec des fortunes diverses, elle a pu se maintenir et pérenniser son action, le soutien officiel se faisant plus ou moins sentir selon les années. Cela s’avère d’autant plus important que la continuité se révèle un élément indispensable pour ce type de mission car, contrairement aux opérations de maintien de l’ordre ou de police-secours, où des résultats se mesurent rapidement, l’îlotage a besoin de beaucoup de temps pour s’implanter et voir ses effets se concrétiser.
14Avec plus ou moins d’enthousiasme, l’îlotage s’inscrit donc localement dans une certaine tradition. La portée en est largement symbolique : la présence de policiers au milieu des immeubles dans les quartiers sensibles démontre que la police n’a pas abandonné le terrain, que l’image médiatique des secteurs « où la police ne va plus » ne correspond pas à la réalité. De cet enjeu d’occupation du territoire découle une nécessité, celle de disposer de patrouilles à pied, car l’urbanisme local a favorisé les grandes zones piétonnières interdites physiquement aux véhicules automobiles.
Cette ville, avec ses dalles, ses passages, est ainsi faite que, s’il n’y avait pas d’îlotiers, il n’y aurait plus de policiers dans la ville (gardien de la paix).
16Mais la tradition repose également sur quelques anciens, qui, ayant été îlotiers eux-mêmes à l’époque où le discours politique les considérait comme les fers de lance de la nouvelle police, sont restés sur place, au lieu de participer au mouvement national qu’impose le jeu des mutations dans l’institution policière [16]. Ces anciens, en nombre très limité il est vrai, se retrouvent à deux types de postes dans les circonscriptions qui nous intéressent. Soit ils sont devenus cadres intermédiaires, et ils encouragent alors la préservation de la fonction d’îlotage, y compris lorsque celle-ci a complètement changé d’objectifs et de nature. Soit un ou deux individus tout au plus sont restés îlotiers dans le même quartier, et illustrent, par leur présence et leurs actions, tout le profit que représente un investissement de longue haleine reposant sur des policiers connaissant parfaitement les habitants, ayant vu grandir les jeunes, et sachant utiliser leurs savoirs pour calmer les esprits ou jouer les médiateurs.
« L’îlotage c’est bien, mais pas pour moi »
17Dans les deux secteurs où l’îlotage a pu se maintenir à travers cette permanence d’anciens qui détiennent la mémoire du quartier et de ces habitants, on constate des sentiments en apparence ambigus à l’égard de la police. Si ces îlotiers anciens sont connus, tolérés, voire appréciés dans le quartier, l’image relativement positive qu’ils drainent ne rejaillit pas sur l’ensemble de l’institution. De plus, ils ne sont acceptés qu’à condition de faire preuve d’une mansuétude assez large dans l’application de la loi [17]. Pour eux, il est hors de question de « tout sanctionner », ce qui remettrait en cause leur présence à pied, et donc vulnérable, dans le quartier [18]. C’est donc davantage à une fonction de médiateur, ou à défaut à une position de neutralité, qu’à celle de sanctionneur qu’ils doivent leur pérennité. Ces contraintes expliquent en grande partie la marginalisation dont souffrent souvent les vrais îlotiers au sein de la police nationale : ils deviennent de facto les « bons flics », compréhensifs, tolérants, alors que leurs collègues de patrouilles, ne connaissant quasiment personne dans leur secteur de travail, n’ayant ni les moyens, ni le désir de s’attarder à comprendre les problématiques locales, sont considérés comme des ennemis a priori par les habitants, surtout les plus jeunes, habitués aux rapports conflictuels avec les forces de l’ordre. Îlotiers ancrés dans leur secteur et « vrais » policiers s’opposent donc sur leur connaissance et leur perception du quartier, comme sur les registres de réponses qu’il apportent.
Je travaillais en brigade, en patrouille. En roulement, on a l’impression de connaître, mais on ne connaît pas la ville de l’intérieur. On la découvre avec l’îlotage (îlotier).
19D’ailleurs, on peut remarquer que la connaissance personnelle des jeunes et de leur entourage constitue une certaine protection pour les vrais îlotiers, qui peuvent retrouver, le cas échéant, leurs agresseurs, alors que l’anonymat dans lequel évoluent les patrouilles renforce le sentiment d’impunité des éventuels agresseurs. Du coup, la peur est beaucoup mois présente chez les premiers que chez les seconds.
Dans un groupe qui s’énerve, on repère une personne que l’on connaît. Cela nous sauve, et eux aussi. Ils savent qu’on pourra les repérer, alors ils cherchent à calmer le jeu (îlotier).
21Toutes ces différences entre îlotiers et autres policiers expliquent pourquoi, dans nombre de sites, parmi lesquels ne figurent pas ceux qui nous intéressent, l’îlotier se trouve pris dans un dilemme, ayant à choisir entre l’isolement par rapport à ses collègues et le rejet de sa fonction pour mieux préserver ses relations internes.
22Or, nous l’avons dit, ce n’est pas le cas dans les quartiers qui ont retenu notre attention. Certes, parmi les îlotiers, on trouve une majorité de gens désignés, et résignés, pour qui cette fonction représente un purgatoire avant d’affronter le vrai métier policier. Il s’agit d’une position d’attente, où prime la stratégie de ne pas se faire remarquer. Pourtant, d’autres, une petite minorité active, utilisent astucieusement les nouvelles opportunités offertes par les réformes successives qui ont touché les corps de la police ces dernières années.
23La stratégie professionnelle de ces policiers s’inscrit dans la tradition de l’îlotage symbolisée par les anciens, mais dans une tradition rénovée, qui leur permet d’acquérir une meilleure image auprès de leurs collègues tout en préservant leur place dans le quartier. Cela ne signifie pas que cette fonction suscite un fort volontariat. Au contraire, la plupart des policiers refusent d’y aller. Malgré tout, ils n’expriment pas un rejet aussi net à son propos que leurs homologues d’autres circonscriptions. On pourrait résumer leur sentiment dans la formule, utilisée à maintes reprises lors des entretiens : l’îlotage, c’est bien, c’est utile, mais ce n’est pas pour moi.
24Outre les stéréotypes qui subsistent et font persister l’image d’une fonction « non virile », d’une action contraire à l’idéal professionnel du métier de police, les personnels en tenue expliquent qu’ils trouvent ce métier ennuyeux, répétitif, lassant, et peu valorisant.
Moi, je ne suis pas volontaire pour l’îlotage. Déjà il y a un problème d’horaires; ils finissent tard le soir. Et à l’îlotage, on en a vite marre. On voit toujours le même quartier, les mêmes gens. Nous, en bagnole, quand on en a marre de… (quartier sensible), on va à… (zones résidentielles) (gardien de la paix).
Les jeunes îlotiers retournent dans le roulement aussi parce que quand ils ont une famille et qu’ils doivent raconter ce qu’ils font, ce n’est pas facile. S’il raconte qu’il passe sa journée sur un terrain à discuter avec des jeunes, il n’est pas fier… Alors qu’en police-secours, on travaille sur des braquages, des accidents… L’îlotage, c’est plus ingrat. Comment se définit, comment s’explique ce travail-là ? (îlotier).
26Parallèlement, les mêmes reconnaissent que l’îlotage, tel qu’il se développe, s’intègre dans les besoins du commissariat. C’est le cas des autres policiers en tenue mais surtout des officiers de police judiciaire (OPJ).
Sortir du dilemme marginalisation ou rejet : le recours au judiciaire
27Avant le démarrage effectif de la police de proximité – et d’ailleurs son instauration ne remettra pas en cause cette orientation – domine la doctrine de l’îlotage opérationnel, qui insiste sur les capacités judiciaires et répressives des îlotiers, en laissant de côté l’aspect préventif qui officiellement devait l’accompagner auparavant. Dans la pratique, cette doctrine se heurte aux réalités des quartiers. Concrètement, il faut choisir entre s’y maintenir ou appliquer strictement les textes.
Au début des années 90, la DCSP a forgé un nouveau concept, dans un souci de recentrage : « l’îlotage opérationnel ». L’îlotier doit être immergé dans la population, mais doit rester avant tout un policier. Il doit faire du répressif, des interpellations. Il s’affirme comme celui qui fait respecter la règle. On en est là.
On a essayé de donner plus d’aspect opérationnel à l’îlotage. C’est théoriquement facile.
On peut imaginer cela ici en centre-ville. Quand c’est dans un quartier difficile, entouré de jeunes plus ou moins bienveillants, prêts à se rebeller, à établir un rapport de force, quand il y a des pitbulls, on fait ce qu’on peut. Si dans ce quartier, on décide « zéro tolérance », les îlotiers ne vont pas y rester longtemps (commissaire).
29De fait, l’îlotage plus répressif prôné par les directives internes reste souvent du domaine de la théorie. Néanmoins, on ne bascule pas pour autant dans l’îlotage « tout préventif » tel que l’ont lu les détracteurs du rapport Bonnemaison. D’une part parce que la prévention a très rarement été véritablement mise en œuvre par les policiers, qu’elle n’entre pas dans leurs identités et leurs savoir-faire professionnels (Monjardet, 1996,224-229; 2001). D’autre part, la marginalisation qu’entraînent des pratiques fondées sur la prévention au sein de l’institution est à terme intenable. En effet, en cas de crise urbaine, l’îlotier doit pouvoir compter sur l’appui de ses collègues. De surcroît, la création, à la fin des années 1990, des ALMS [19] renforce encore davantage l’idée que ce n’est pas à la police de mener une action de médiation.
30Si, sur le terrain, les choses sont parfois plus ambiguës, on voit cependant émerger une nette orientation vers une mission qui permet de se valoriser au sein de l’institution tout en réussissant à se maintenir dans un quartier hostile à la police. Cette mission, c’est le renseignement.
Notre travail, c’est la récolte d’informations. C’est un travail de fourmi… (îlotier).
32En se présentant vis-à-vis de ses collègues comme une source de renseignements administratifs et judiciaires, évoluant en milieu hostile pour leur rapporter des informations, l’îlotier retrouve à ses propres yeux une légitimité policière et par là même une certaine image « virile ». Il est désormais plus un « espion » qu’une « assistante sociale », terme ô combien repoussoir dans l’institution policière.
L’îlotage, on m’y a mis d’office quand je suis arrivé ici. Ce n’est pas trop mon truc au départ.
Je ne suis pas une assistante sociale. À l’îlotage ici, on peut faire autre chose que du boulot d’assistante sociale. J’ai pas fait des études ou une formation de flic pour ça ! (îlotier).
34En même temps qu’il lui redonne un rôle policier, l’exercice du « renseignement » fournit à l’îlotier un objectif à peu près clair et évaluable de son travail. En effet, si l’aspect social et la prévention souffrent de la difficulté d’une évaluation précise de leurs conséquences, rendant du même coup plus complexe toute tentative de légitimation aux yeux des collègues, le primat accordé au renseignement rend les choses plus aisées. Il permet de comptabiliser les informations recueillies, comme peuvent l’être les affaires résolues grâce à l’aide apportée par l’îlotier. Ce dernier s’affirme donc ainsi comme un véritable policier, puisqu’il participe aux traditionnelles missions de base du travail de police que sont la lutte directe contre la délinquance et l’information des autorités.
35En plus, la valorisation de cet « îlotage de renseignement » sert également à instaurer un modus vivendi entre de deux « écoles » traditionnelles de l’îlotage : la très petite minorité des agents engagés dans une action sociale, et l’immense majorité de ceux qui, en situation transitoire, restent relativement passifs. Car, si l’îlotage de renseignement tend à se développer pour diverses raisons que nous évoquerons ultérieurement, cela ne signifie pas qu’il s’impose comme une pratique généralisée. Il reste encore l’apanage d’une minorité active certes, mais limitée. Néanmoins, il paraît amené à s’étendre, tant il est vrai qu’il répond à des attentes, aussi bien vis-à-vis de l’institution policière que de la population.
Un appui de plus en plus nécessaire au travail judiciaire
36Au sein de la police nationale, les raisons qui expliquent l’émergence de ce nouveau modèle, à côté des précédents, renvoient à la fois à des soucis de carrière, de reconnaissance professionnelle, et d’intérêt du travail. Contre toute attente, ce n’est pas auprès des autres policiers en tenue que les îlotiers vont trouver des appuis. Au contraire, les patrouilles de policesecours ou les BAC, même si elles considèrent leur présence comme un symbole fort, prennent autant de distance à l’égard des « spécialistes du renseignement » qu’envers les « assistantes sociales ». L’histoire de l’îlotage et le contexte organisationnel se mêlent pour expliquer ce rejet, qui doit également se comprendre par le manque d’efficacité dans l’institution des effets de cette mission toujours considérée comme marginale :
L’image véhiculée, si un fonctionnaire du roulement postulait pour aller à l’îlotage… Il aurait une étiquette « puni parce qu’il a fait une bêtise ». Quand on fait un appel d’offre, personne du roulement ne se propose pour l’îlotage. Donc on envoie les (agents les derniers sortis d’école) car ils n’ont pas leur mot à dire (commandant-tenue).
Au roulement, personne ne veut venir à l’îlotage. Le cloisonnement, c’est le problème de base des commissariats. La hiérarchie n’y peut rien. La plupart des îlotiers connaissent peu le roulement (îlotier).
38En fait, les patrouilles de police-secours ne voient pas quelle peut être pour eux l’utilité des dispositifs pédestres. S’ils la reconnaissent vaguement, essentiellement à titre symbolique, ils disent qu’ils ne recevront ni appui, ni aide des îlotiers qui, dispersés sur un vaste territoire, arrivent toujours trop tard en cas de situation urgente.
39Par contre, les ex-inspecteurs, officiers de police judiciaire, dans les deux commissariats qui nous intéressent, et où s’est développé ce nouveau type d’îlotage, ne tarissent pas d’éloges sur les personnels qui ont adopté cette méthode de travail.
Nous avons des contacts avec les îlotiers, surtout ceux de X… Je vois leur chef à la prise de service. Il vient me voir pour voir s’il y a des consignes, pour voir si j’ai des tuyaux à lui demander. Sur le terrain, ils ont des contacts privilégiés, ils rencontrent des gens qui leurs filent des tuyaux. Les gens savent que leur anonymat sera préservé. Et ça ne paraît pas bizarre de discuter avec des îlotiers (OPJ-UIR [20] ).
41De fait, les îlotiers de renseignement se trouvent donc insérés dans la police judiciaire, activité noble par excellence au sein de la police. La réorganisation des corps, plaçant les gardiens de la paix sous la tutelle des OPJ, offre aux « marginaux » de l’institution un accès direct à l’échelon supérieur du commissariat. Et, le statut d’OPJ s’ouvrant désormais aux gardiens, les jeunes les plus motivés qui se sont retrouvés par obligation à l’îlotage peuvent envisager de se familiariser avec le métier d’enquête via les contacts privilégiés qu’ils entretiennent avec les officiers. S’ils s’impliquent dans cette nouvelle forme d’îlotage, c’est aussi, et surtout, pour des considérations personnelles. Ayant un niveau scolaire parfois élevé, ils n’envisagent pas de se professionnaliser comme îlotier, mais au contraire de monter en grade, en commençant par évoluer dans leurs fonctions :
Je suis à l’îlotage, ce n’est pas si mal que ça, mais je ne compte pas y rester toute ma vie. Je compte passer l’OPJ. En travaillant avec les officiers, on apprend, on se forme (îlotier).
43De leur côté, les officiers se félicitent de cette coopération avec des personnels présents sur le terrain. Eux-mêmes reconnaissent aisément ne plus avoir le temps, ni même l’envie, d’aller « traîner » dans les quartiers sensibles pour rechercher des informations. Du coup, les îlotiers, du moins ceux qui jouent le jeu, suppléent à ces manques et à cette absence :
Des îlotiers comme X ou Y, ce sont des puits de science, ce serait difficile de les remplacer. On les appelle tous les jours (OPJ-UIR).
Ici, les îlotiers, on les utilise de façon systématique pour identifier des auteurs. Dix minutes de contact, c’est plus efficace que des heures de renseignement. Dans des quartiers comme
X (quartier sensible), on ne trouve pas d’indic et je le regrette, mais la pression est trop forte. Les îlotiers remplacent ça. Ils ont des indics. (…) Mon travail ici, c’est d’exploiter les renseignements recueillis par les autres, en particulier les îlotiers. On n’a pas les moyens de faire une planque ici (OPJ-UIR).
45D’une manière générale, les ex-inspecteurs se vivent comme des « bureaucrates », des spécialistes de la procédure, (Jankowski, 1993; Mouhanna, 2001) et abandonnent de plus en plus le terrain, ce qui d’un côté leur donne du recul par rapport aux affaires qu’ils traitent, mais de l’autre complique leur tâche. Dès lors, l’échange avec l’îlotier s’avère un élément essentiel, à condition que ce dernier apporte effectivement de l’information :
Nous, on est dans les papiers. On fait un travail de bureaucrate. Et on dépend du parquet et de la procédure. On n’a pas le temps d’aller sur le terrain. L’îlotage, c’est une source d’information. Eux, ils voient beaucoup de choses, mais il faut un îlotier qui s’intéresse à son travail. Or, on y met des jeunes.
Nous, on n’est jamais sur le terrain. On a sorti de belles affaires avec les îlotiers (OPJ-UIR).
47Si beaucoup d’OPJ se félicitent de cette coopération, quand elle est rendue possible par le travail et la présence d’îlotiers motivés, d’autres regrettent toutefois que la proximité devienne une spécialité dévolue à ceux-ci, alors qu’eux-mêmes sentent leurs propres liens avec la population se distendre :
La police de proximité, ce n’est pas une fonction, c’est une volonté, un état d’esprit. Ou on est flic, ou on est fonctionnaire. La police de proximité, c’est l’ensemble de la sécurité publique. Nous, on fait plus de judiciaire que de proximité, mais ça fait partie de notre job, de faire de la proximité, de voir les gens, de faire du renseignement. Nos recherches, les enquêtes de voisinage, c’est de la police de proximité. Quand on ne les connaît pas, les gens ne se livrent pas facilement, surtout dans des villes comme ici (OPJ-UIR).
49Cette relation privilégiée, OPJ-îlotier, qui vient combler un vide, génère des effets paradoxaux, en multipliant les intermédiaires entre monde judiciaire et monde « réel ». En effet, les OPJ restent très souvent les principaux pourvoyeurs d’informations aux magistrats. Or, on voit que l’information dont ils disposent eux-mêmes dépend d’une source, en l’occurrence les îlotiers, qu’ils maîtrisent plus ou moins bien. En outre, il arrive, comme le montre l’exemple du troisième commissariat, que cette information ne circule pas, laissant les OPJ dans une situation de manque important :
Le problème ici, c’est que chaque service est cloisonné. Nous, en tant qu’îlotiers, on a des idées mais elles ne sont pas prises en compte. Le fait d’être tout en bas dans la hiérarchie… on est moins écouté que les officiers, mais eux ils ne sont pas sur le terrain. Il y a des systèmes d’info mais on ne voit jamais le retour. Nous, on demande depuis longtemps qu’il y en ait. Quand on ne fait rien de nos infos, on se les garde (îlotier).
51L’établissement de liens de travail privilégiés entre OPJ et îlotiers s’avère donc un exercice difficile et fragile, qui nécessite des îlotiers motivés et intéressés par l’activité judiciaire. En outre, les exemples de terrain montrent que « l’ancrage » de ces derniers dans la population, source de leur information, n’a été rendu possible que grâce à l’action antérieure des vieux îlotiers « sociaux ». Dès lors se pose la question de la continuité de l’exercice sur le long terme.
III. Quelle contrepartie pour les acteurs locaux : l’îlotier judiciaire face aux habitants ?
52Jusqu’ici, alors que nous nous intéressons à la police de proximité, nous avons parlé exclusivement des relations internes, laissant de côté les contacts avec les habitants. Ceci n’est pas qu’un effet de présentation. Les contraintes internes pèsent souvent davantage que les influences extérieures sur les modes d’actions des îlotiers. La « police de proximité » rencontre d’ailleurs dans les pesanteurs organisationnelles de l’institution de forts obstacles.
53Mais, bien entendu, l’interne et l’externe se trouvent étroitement mêlés dans la fonction même de l’îlotier. Rappelons que l’un des objectifs clairement affiché par les promoteurs successifs de ce type de police a toujours été l’instauration de meilleurs rapports entre les policiers en général et les populations qu’ils sont censés servir. L’image de l’ensemble de l’institution devait s’améliorer par la présence et l’action des îlotiers.
54De ce point de vue, l’échec est patent. Non parce que l’îlotage en tant que pratique a échoué, mais parce que la politique d’image consistant à mettre en avant des îlotiers à la vocation plus sociale tout en maintenant des moyens lourds privilégiants la répression – BAC, CRS (compagnies républicaines de sécurité) – n’a pas trompé les habitants des secteurs sensibles. Ces derniers ont su faire, puisqu’ils en ressentent quotidiennement la traduction concrète, la différence entre les îlotiers et les autres. Et, parmi les îlotiers, ils savent distinguer les passifs, qui se rangent dans la catégorie anonyme des forces de l’ordre, des plus motivés, qu’ils soient sociaux ou judiciaires, qu’on peut désigner par un nom, un prénom ou un surnom. De là a émergé une distinction nette entre les « bons » et les mauvais flics.
L’îlotier au sein de la population : des approches diverses
55La classification esquissée précédemment se répercute bien évidemment sur les interactions qu’auront les policiers de l’îlotage avec leur environnement. En premier lieu, les passifs (Sainsaulieu, 1977), ou peu motivés, qui vivent l’îlotage comme un purgatoire, adoptent une attitude de retrait. En attente d’un autre poste plus conforme à leurs aspirations professionnelles, ils évitent le contact et s’inscrivent dans un logique quantitative classique.
Si les jeunes veulent discuter, j’y vais… enfin, ça m’arrive. Sinon, je fais surtout de la surveillance, je verbalise, je fais pas mal de contrôles routiers, ça permet de faire des affaires.
Les contacts avec les commerçants, j’ai abandonné car ils sont réticents. Je ne vais pas les supplier (îlotier).
57En général, ces îlotiers-là subissent le plus d’agressions verbales ou physiques. Ne cherchant pas à connaître le quartier, ils refusent d’entrer dans la logique des demandes des habitants, qui peuvent d’ailleurs être contradictoires, et font preuve d’un certain rejet à l’égard d’une population qui le leur rend bien.
Il faut savoir créer un climat pour que les jeunes parlent. L’îlotier qui évite les caves, les squats, celui-là il se fera insulter, caillasser, sans savoir quoi faire. On peut leur faire comprendre des choses aux jeunes, mais il faut y aller. Le risque, c’est la peur, les horaires, le « je m’en-foutisme »: alors on ne voit rien, on ne discute pas. 80% des îlotiers sont comme ça, car ils sont mis d’office (îlotier).
59Le second type identifié – le « social » – renvoie davantage à l’image idéale de l’îlotier traditionnel. Par rapport au précédent, celui-ci reste très minoritaire au sein de l’institution. Ancien, il connaît beaucoup de monde dans le quartier, sert souvent de médiateur informel dans des situations tendues. Il a pu éviter des ennuis à l’un ou l’autre des jeunes qui a fait des bêtises, ce qui ne signifie pas d’ailleurs qu’il est laxiste, mais qu’il a su intégrer la difficulté d’imposer abruptement des normes légales théoriques dans ces quartiers aux repères troublés. S’il est relativement bien intégré dans sa population, cet îlotier se heurte assez fréquemment aux habitants « honnêtes », qui ne comprennent pas toujours pourquoi il accepte d’être en contact avec des jeunes délinquants potentiels ou avérés.
60Une autre cause de fragilisation aux yeux du public provient de la position marginale qu’occupe, dans l’institution, ce type d’îlotiers. Ne disposant pas de suffisamment de relais internes, ils ne peuvent pas gérer les affaires judiciaires nées des demandes de la population auxquelles ils sont confrontés : ce manque de résultats leur fait perdre leur crédibilité auprès d’un public qui attend beaucoup, et souvent trop, de la police.
61Le résultat est une usure importante de ces îlotiers, qui, d’une part, ne se sentent pas soutenus par leur administration, et de l’autre, doutent parfois de l’appui de leur public. Celui-ci, tenant un policier disponible et à l’écoute, a tendance à lui faire part de tous les reproches adressés à l’institution dans son ensemble. N’y pouvant rien du fait de son poids restreint dans le commissariat, l’îlotier subit sans forcément répondre, d’autant que l’Administration, malgré les effets d’annonce, n’a pas réellement pris en compte toutes les dimensions du problème de la proximité, et notamment pas suffisamment l’aspect de gestion du personnel [21] :
L’administration souhaite avoir des îlotiers volontaires. Au final, la plupart sont désignés d’office. Le jeune îlotier, il lui faut un an pour qu’il puisse asseoir ses bases et prendre ses repères. La deuxième année, il est opérationnel, il rentre dans le vif du sujet. À la fin de la deuxième année, ce policier formé part au roulement.
On n’est pas cohérent ! Si on veut un service d’îlotage viabilisé, il faudrait que ces éléments soient pris en compte par la hiérarchie, et par la Direction Centrale. Que l’administration permette au policier, jeune ou ancien, d’être pris en considération. On ne fait rien pour nous dire que l’administration tient compte de nos difficultés. Il faudrait une prime, une révision du temps sur la retraite, des petits riens qui feraient que le policier se dise : « j’ai l’alternative d’aller au roulement ou de rester, mais il y a un supplément que l’administration m’offre si je reste ». Il faudrait des actions pour que l’îlotier sente qu’il ne travaille pas pour rien, qu’il sente que son travail a autant de qualité que celui des gens du roulement.
Pourquoi ceux du roulement ne sont-ils pas intéressés par l’îlotage ? Parce que c’est ingrat comme tâche. Pour intéresser quelqu’un à une tâche, il faut lui montrer qu’elle a un intérêt pour lui (îlotier).
63Dès lors, en analysant ce système de relations, on comprend mieux pourquoi, aux facteurs internes déjà décrits, s’ajoutent des éléments d’ordre externe pour inciter les îlotiers à évoluer vers le modèle judiciaire, ou au pire vers le modèle passif. Tenir le modèle social tient presque du sacerdoce. Au contraire, le judiciaire offre à la fois une reconnaissance interne, comme nous l’avons déjà dit, mais aussi, du moins les îlotiers motivés le pensent-ils dans un premier temps, un accroissement de leur crédibilité auprès du public, et surtout parmi les plus « insécurisés » des habitants.
Les ambiguïtés de la judiciarisation [22]
64En apparence, l’îlotage judiciarisé se distingue peu du modèle social, notamment parce que le premier prend largement appui sur les savoirs acquis par les adeptes du second.
Mes premiers pas d’îlotiers, je les ai faits avec des anciens, qui m’ont donné une approche des commerçants, des gardiens de résidences. C’est important d’être pris en main par des anciens. Ça m’a permis de découvrir les populations délinquantes, et les citoyens. En plus, ça donne une approche plus tranquille de la ville. Ils m’ont présenté à des partenaires : des gardiens, des personnels scolaires, ou de la mairie. J’ai essayé de conserver ces contacts.
C’est notre travail. C’est grâce à ça qu’on survit, qu’on récolte les renseignements qui permettent d’avancer dans les recherches judiciaires ou administratives (îlotier).
66Dans les deux modes, qui de plus en plus se confondent, la stratégie de départ est la même : prendre contact avec les habitants, les commerçants, les jeunes qui « tiennent les murs » dans les quartiers, en passant par les différentes catégories de professionnels qui fréquentent le secteur. Nous avons déjà signalé combien cette connaissance apportait un surcroît de sécurité à l’îlotier, les éventuels agresseurs hésitant à s’attaquer à quelqu’un susceptible de les identifier ultérieurement. Par ailleurs, si aborder un commerçant, un gardien d’immeuble ou un surveillant de collège s’avère un exercice relativement aisé, l’approche avec les jeunes les plus rétifs à la police suit les modalités développées par les anciens :
La plupart des gens, on ne les identifie pas avec un contrôle d’identité, mais dans une discussion informelle. On écoute, on mémorise. Individuellement, ces jeunes sont sympas. Le problème, c’est la meute, le collectif. Quand on en connaît un, son nom, son adresse, et son véhicule, il cherche moins à nous provoquer. S’il se passe quelque chose, on sait qu’on le retrouvera (îlotier).
Certains jeunes nous connaissent par notre prénom. On va au contact verbal, même si on sait que c’est un groupe qui n’aime pas la police. On dit bonjour, et on recommence le len-demain. On est correct et poli. On est sérieux. On les respecte. C’est important : après ils nous respectent aussi. C’est un avantage (îlotier).
68Mais les objectifs poursuivis par les îlotiers judiciaires sont tout à fait différents de ceux affichés par et assignés aux policiers sociaux, au moins dans les modèles. Il ne s’agit pas d’intégrer les conversations afin de rechercher une solution aux problèmes émergeants [23], mais de prendre de l’information pour la transmettre aux autorités judiciaires via les OPJ. Si l’on comprend les raisons qui amènent les îlotiers les plus motivés à « glisser » vers ce type de pratiques, et si un regard purement pragmatique conduit à envisager sans a priori ces stratégies professionnelles, on note cependant que celles-ci, sur le moyen ou le long terme, débouchent sur un certain nombre d’interrogations.
69Tout d’abord, on observe que la position du policier devient assez ambiguë, du fait du « double jeu » dans lequel il s’insère : est-il un confident ou un espion ? Si les enjeux judiciaires de la mission peuvent permettre de s’affranchir de tout questionnement d’ordre moral sur ce sujet, on peut se demander comment, sur le long terme, ce comportement peut être compris et accepté par des jeunes déjà naturellement très méfiants à l’égard des institutions, et de celle-ci en particulier. Pour contrebalancer cette remarque, on pourrait aussi à l’inverse affirmer que ces jeunes ne sont pas dupes et que, vivant eux-mêmes dans une certaine ambiguïté en ce qui concerne leur rapport à la norme et à la loi, ils savent utiliser ce double jeu îlotier pour faire passer des messages sans en assumer les conséquences.
70Au delà de cette première interrogation et des questionnements que cette attitude soulève sur son caractère exemplaire ou non, la priorité ainsi donnée à la recherche d’informations d’ordre judiciaire remet en cause la notion même de proximité. En effet, l’îlotier qui s’inscrit dans le schéma judiciaire donne priorité à des considérations de carrière, sans que cette remarque ne s’accompagne de jugement de valeur de notre part. En gros, il cherche simultanément à s’impliquer dans la récolte d’éléments susceptibles d’alimenter des dossiers judiciaires tout en cherchant à se faire remarquer positivement par les OPJ à l’origine des demandes d’information. Par ce biais, il risque cependant fort, et certaines remarques émises par des habitants que nous avons rencontrés viennent conforter cette hypothèse, de privilégier une logique judiciaire par rapport à la demande du public.
71On pourrait objecter que les deux se confondent, et que l’on peut parfaitement les concilier. C’est l’approche que défend en partie le ministère de la Justice à travers la notion de justice de proximité, et le développement de structures de médiation (MJD, médiateurs, associations). Mais, dans les secteurs où nous avons travaillé, l’institution judiciaire paraît tout à fait absente, et en tout cas lointaine. Les habitants des quartiers, et même la plupart des policiers hors OPJ manifestent une grande incompréhension des priorités affichées par la Justice et des décisions qu’elle prend. Logique judiciaire et logiques locales des quartiers ne convergent donc pas nécessairement. Dès lors, en donnant la priorité à la première, l’îlotier risque fort de ne pas répondre aux préoccupations de ses interlocuteurs, mais de chercher à travers les discussions informelles avec ces derniers, à « prendre » de l’information sans rien donner en échange. De plus, entraîné dans une philosophie du résultat judiciaire, l’îlotier quitte de plus en plus sa casquette de médiateur pour celle de coproducteur d’affaires et de participant – de surcroît lointain – aux décisions judiciaires.
72À titre d’illustration de cette opposition fréquente entre travail « social » et travail judiciaire du policier, on peut se référer au fonctionnement des UTJTR [24]. Mises en place à la toute fin des années 1990 dans le département que nous avons étudié, celles-ci concrétisent la place désormais accordée aux gardiens de la paix « de base » dans le travail judiciaire. Auparavant, la prise de plaintes, y compris les plus insignifiantes, relevait, au moins en théorie [25], exclusivement des OPJ-inspecteurs de police. Désormais, cette mission est assurée par des personnels en tenue ayant une qualification d’APJ [26] ou d’OPJ [27]. Or, on observe que ces derniers, tout à fait satisfaits de cette évolution, critiquent la part importante que le non-judiciaire occupe dans leur fonction, ce que, faute de moyens pour répondre en termes « sociaux » aux problèmes posés et faute de la volonté d’agir dans un sens « social », beaucoup d’entre eux récusent :
On attache une trop grande importance au public. Il faut être gentil avec des imbéciles, c’est exagéré. Hier, un type est venu là déposer plainte pour une claque. On a passé trois heures avec lui, c’est inadmissible ! Nous sommes à la merci des gens ! Trop, c’est trop. Faut se mettre un genou devant le public, c’est pas normal (gardien de la paix-UTJTR).
74Un tel exemple, qui ne concerne pas directement les îlotiers, mais préfigure l’attitude que pourraient adopter de manière plus crue les îlotiers judiciarisés, montre bien les tensions que peut générer le glissement vers un traitement de plus en plus judiciarisé des problèmes. Ou bien ces problèmes n’entrent pas dans le champ judiciaire et dans les préoccupations des autorités de Justice, et alors on renvoie le plaignant chez lui, en oubliant que les petites tensions sont souvent à l’origine des crises plus graves [28]. Ou bien, au contraire, on judiciarise le problème, en transmettant aux magistrats et avocats, sans avoir l’assurance que les choses ne s’envenimeront pas. A contrario, le modèle de l’îlotier social encourage d’une part à l’écoute, le policier servant d’exutoire aux tensions, ce qui assez souvent se révèle un traitement suffisant, il tend, d’autre part, vers une médiation « douce », faite, sans le dire explicitement, par l’îlotier lui-même. Au lieu de cela, la médiation officielle s’inscrit souvent dans un cheminement judiciaire, moins maîtrisé par le « client ». C’est du moins ce qu’en disent certains habitants.
75Or, cette priorité accordée à l’institutionnel sur le relationnel, ou plutôt l’inféodation du second au premier, paraît une situation difficilement tenable à long terme pour l’îlotier, ou pour le nouveau policier de proximité. Devenant un simple relais, le policier de terrain perd la légitimité – faible mais réelle – que pouvaient détenir les anciens îlotiers sociaux. La décision, il ne la prend plus mais a tendance à la déléguer au magistrat. Or, ce faisant, il est associé de fait par les habitants aux défauts de la machine judiciaire : éloignement, caractère incompréhensible et souvent injuste, lenteur, inadaptation de la réponse. Finalement, alors que l’un des objectifs est de passer, selon la classification maintes fois utilisée pour caractériser la police française, d’une police d’ordre à une police au service du public – police de sécurité –, la tendance qui se dessine à travers cet exemple est celui d’une évolution vers une police au service des magistrats, sans que ceux-ci d’ailleurs se satisfassent de cette évolution. En effet, déjà submergés par leurs tâches traditionnelles, ils se trouvent bien souvent dans l’incapacité de traiter le surcroît d’informations amenées par les îlotiers :
Avec la police de proximité, on est noyé. De plus en plus de policiers sans expérience juridique nous appellent, souvent pour des broutilles (substitut du procureur).
77Déjà, les OPJ, interlocuteurs privilégiés des îlotiers judiciaires, sont eux-mêmes les premières victimes de cette surcharge, corroborant les reproches adressés par la population au système judiciaire :
Ici, ce qui est déprimant, c’est que l’on traite au coup par coup. On est obligé de traiter l’actualité. On n’a pas le temps d’aller au fond des choses, pas autant que ce que l’on voudrait. Quand on privilégie une action ou un secteur géographique, forcément c’est au détriment d’une autre partie de la circonscription (OPJ-UIR).
79On voit donc clairement que la logique de judiciarisation trouve rapidement ses limites, qui sont celles de l’engorgement des circuits classiques, et alors que les nouveaux modes de régulation se révèlent encore insuffisants (Brunet, 1998; Wyvekens, 2000).
La judiciarisation : quel impact sur la place de l’ilotier dans la police ?
80Un autre effet inattendu de cette montée en puissance – limitée – de la police de proximité judiciarisée, qui contribue encore davantage à l’affaiblir à terme, nous renvoie aux relations internes à l’institution. Nous avons vu que l’îlotier ou le policier de proximité gagnait en reconnaissance auprès des OPJ à travers cette nouvelle forme de policing. Or, il n’est pas évident que cette reconnaissance rencontre des échos parmi les collègues de la tenue, et notamment les patrouilles de police-secours ou les BAC. Concernant les premières, d’autres travaux (Mouhanna, 1997) nous ont montré que les OPJ et les patrouilles ne partageaient pas obligatoirement des objectifs communs, ni une même lecture de la situation d’un secteur donné. Malgré la réorganisation des corps, la césure demeure entre ces deux catégories de policiers. Améliorer son image auprès des ex-inspecteurs n’entraîne donc pas de facto une meilleure relation de l’îlotier judiciaire avec les patrouilles.
81Quant aux BAC, l’approche sociale traditionnelle des îlotiers se construit sur un mode radicalement opposé à la leur, et invite ces derniers à porter un regard critique sur les interventions musclées faites par celles-ci. Néanmoins, ayant parfois besoin des BAC, soit comme image repoussoir, soit comme menace permettant d’asseoir la légitimité et la force policières, soit plus simplement pour obtenir une aide en cas de danger, les îlotiers hésitent à les dénoncer ouvertement. Les BAC symbolisent le « vrai » métier de police que les îlotiers sociaux « déshonorent » par leurs pratiques.
82En s’appuyant sur les sentiments exprimés parfois par les OPJ, de manière tout aussi prudente que les îlotiers et pour les mêmes raisons, on peut avancer l’hypothèse que l’îlotage judiciaire ne satisfera pas forcément davantage les BAC. En effet, ici encore, on se trouve face à des logiques qui ne sont pas convergentes. Le rôle dissuasif imposé aux BAC et la logique du chiffre qui s’impose à ces unités les conduit d’une part à « faire de la procédure » pour parvenir à atteindre les objectifs demandés, et d’autre part à prendre parfois des libertés avec le respect des règles. Ceci se traduit par des procédures sans utilité juridique et par des actions offensives « hors cadre »:
On nous demande de faire du chiffre, sinon ça gueule. Quand on a rien à se mettre sous la dent, on trouve un bout de shit, et on fait une procédure. C’est souvent classé par la Justice, mais nous on fait ça pour le chiffre (BAC).
La BAC a peut-être plus de moyens que la tenue; [à la BAC] on est plus exposé que les îlotiers, mais quand on intervient, on n’a pas à se poser la question du cadre légal. Tout ce qui entoure le travail est plus facile, par rapport à la légalité de l’action ou la légalité de la procédure (îlotier).
84D’où l’idée que ce n’est pas en passant à un fonctionnement « judiciaire » que les îlotiers pourront améliorer leurs relations avec la BAC, tant les stratégies et les modes d’action des uns et des autres s’opposent. A priori, cette existence de plusieurs types de polices n’est pas gênante. À l’intérieur de l’institution, on pourrait même la trouver complémentaire. Ceci n’est pas faux, mais en même temps, on voit combien ces divergences peuvent mettre à mal le dispositif de police de proximité, en « brouillant » l’image de la police auprès des citoyens.
Les emplois-jeunes dans la police et la consolidation du modèle judiciaire
85Parmi les bouleversements ayant touché dernièrement la police nationale, nous avons évoqué l’accès désormais possible au statut d’OPJ pour les gardiens de la paix, hypothèse d’autant plus plausible que nombre des jeunes gens qui réussissent le concours sont d’un niveau scolaire qui les rend parfaitement aptes à entamer cette progression. Cette accession potentielle va, comme nous l’avons vu, favoriser l’émergence du nouveau type d’îlotier largement décrit précédemment, sans que cela d’ailleurs remette en cause le modèle le plus courant de l’îlotier virtuel, ou passif.
86L’intégration, pour divers motifs, des ADS dans la police nationale, vient à notre avis, et d’après nos observations, conforter ce modèle « judiciaire », tout en le fragilisant. Du point de vue de l’îlotier en général, l’arrivée de ces jeunes apparaît comme une contrainte, dans la mesure où il est chargé, en plus de ses tâches « normales » et de sa propre sécurité, d’assurer la formation et la protection des ADS qui lui sont confiées. Il y voit également la confirmation du caractère secondaire du métier d’îlotier au sein de l’institution. L’arrivée de ces emplois-jeunes, très peu formés et tout à fait novices en matière de techniques policières, à ces postes de proximité montre bien aux îlotiers que les détracteurs de cette doctrine d’emploi avaient raison, au moins du point de vue des responsables de la police nationale : cette activité de proximité est si peu importante, demande si peu d’expérience et de savoir-faire qu’on peut la confier au premier venu ! Telle est la première conclusion que tirent les îlotiers de cette arrivée.
87Une autre partie du discours officiel sur les emplois-jeunes relativise encore leur rôle et explique une démotivation certaine. Pour une partie des promoteurs de cette politique, l’intégration de ces nouveaux personnels dans la police, outre son impact en termes de gestion des emplois, offre l’occasion de mettre en œuvre un dispositif fondé sur un paradigme assez répandu. Cette approche sociologique réductrice considère qu’il faut une police à l’image de la population, c’est-à-dire en particulier des jeunes pour parler aux jeunes, et plus particulièrement des jeunes issus des banlieues pour parler aux jeunes des banlieues [29]. Au delà des implications concrètes de ce type de réflexions, au delà du scepticisme auquel conduisent les observations de terrain et les témoignages d’ADS, l’effet immédiat sur les policiers « traditionnels » concernés est très négatif. On nie par ce discours l’impact qu’ont pu avoir les trop rares îlotiers soucieux de social, et on signifie aux autres, « non-ressemblants », leur incapacité à construire un dialogue avec les habitants des quartiers.
88Tout cela conduit clairement à renforcer le modèle judiciarisé de police, à la fois dans les idées et sur le terrain. Ainsi, certains policiers peuvent être tentés de moins s’impliquer dans de véritables contacts avec le public, et en particulier les jeunes, considérant que le principe énoncé par les autorités amène à réserver aux ADS la mission de dialogue. Celui-ci est d’ailleurs rendu plus difficile par le poids supplémentaire des responsabilités d’encadrement :
L’arrivée des ADS, je suis parti à cause de ça. Je ne les critique pas eux, mais le système.
Ceux qui ont créé ça ont bousillé notre travail. L’îlotage se fait à deux, pas à cinq. Or, on est 5. Le maire ici veut des ADS. Eux, ils n’ont aucun pouvoir, même pas ceux des policiers municipaux. Il n’ont que six semaines de formation, et ils sont à l’îlotage ! On nous dit de les former.
Moi, je vais partout ici, je vais chez les gens, mais on ne peut pas entrer chez un gardien ou un commerçant à 4 ! (gardien de la paix, ex-îlotier).
90Si certains se désengagent de l’îlotage en quittant le service, et d’autres en se désinvestissant tout en restant dans la structure, aucun n’est dupe de la véritable efficacité des jeunes ADS en matière de dialogue :
Les ADS n’ont pas du tout permis qu’il y ait plus de dialogue avec les jeunes. Je tourne depuis trois ans ici, et le dialogue avec les jeunes, je ne les ai pas attendus pour le faire ! Au contraire, avec ces jeunes-là, les plus anciens sont les plus respectés. Les jeunes ADS en bleu clair, les jeunes du quartier savent qu’ils n’ont rien le droit de faire. Les ADS sont des policiers au rabais, c’est ridicule (îlotier).
92Le manque de pertinence, ou le caractère non-systématique du principe énoncé se retrouve chez les ADS eux-mêmes, qui adoptent généralement les positions des « vrais » policiers. Pour eux également, l’îlotage n’est pas un métier de policier(Gorgeon, 2000; 2001):
Je suis arrivé, on m’a mis à l’îlotage. On est recrutés pour maintenir le contact avec les jeunes des quartiers. Ça ne se passe pas trop bien. Ils font de l’allergie au bleu. La discussion n’est pas trop ouverte. C’est pas évident de discuter. Avec les jeunes, on essaie… Eux ils se plaignent tout le temps. Au début, on essaie, mais après ça ne passe plus. […] Quand ils nous voient, ils ont l’impression d’être trahis par des jeunes. Dans les quartiers difficiles, le contact est rare avec les jeunes (ADS).
94À moyen terme, et surtout lorsque les îlotiers les plus anciens et les plus sociaux prendront leur retraite, il est parfaitement imaginable que la séparation des tâches se généralise et se durcisse, entre d’un côté des policiers diplômés aspirant à devenir officiers se réservant le traitement judiciaire, et de l’autre des jeunes ADS chargés du contact mais sous-qualifiés. Outre les ADS, les emplois-jeunes comptent aussi d’autres intermédiaires chargés de médiation, et en particulier les ALMS. Dès lors, on voit que la police de proximité nouvelle mouture, en insistant sur le « recentrage » des policiers sur leur métier d’origine, c’est-à-dire avant tout la répression et le judiciaire, ne peut qu’accentuer ces tendances.
95L’évolution des pratiques policières ne suit donc pas un cursus aussi simple que ne le laisserait croire l’énoncé des politiques officielles en ce domaine. Depuis la fin des années 1970, et sous des formulations diverses, celles-ci ont toujours annoncé un rapprochement des policiers et des citoyens, sans que cela se traduise par la mise en place d’une véritable police au service du public. Pour expliquer la non-émergence d’un réel service public en matière de sécurité, on a pendant longtemps évoqué, avec raison, la prééminence du maintien de l’ordre au profit de l’État sur la réponse aux demandes du public, ce qu’illustrait parfaitement la mobilisation des îlotiers dans les dispositifs de surveillance de manifestations ou de garde de bâtiments officiels. Et lorsque les îlotiers étaient envoyés dans les quartiers difficiles, les autorités avaient davantage le souci de les utiliser comme source d’informations ou comme « thermomètre » pour sentir le climat dans un secteur sensible.
96Une autre dimension explicative est à rechercher dans l’idée que se font les policiers de leur métier. Bien entendu, les exigences formulées par les autorités pèsent sur leur manière d’aborder leur profession, mais ils savent échapper en grande partie à ces orientations, surtout lorsqu’elles vont à l’encontre de leurs aspirations. L’inertie ou la résistance passive offrent la possibilité de s’affranchir en partie des directives trop opposées à leur vision du métier et de la meilleure façon d’aborder les gens.
97Ces deux dimensions expliquent la marginalisation d’une pratique, l’îlotage, qui ne s’inscrit, au delà des discours, ni dans une véritable priorité gouvernementale ou interne à l’institution, ni dans un corpus de pratiques reconnues sur le plan professionnel. Dans ce cadre, l’engagement de ceux que nous avons qualifié de « vrais » îlotiers ou îlotiers sociaux, qui cherchent avant tout à apporter des réponses pragmatiques aux demandes des populations placées sous leur responsabilité, tient du sacerdoce et reste de toutes façons exceptionnel.
98Dès lors, la figure de l’îlotier dit « judiciaire » ou « judiciarisé » a toutes les chances de se pérenniser et de se développer, parce qu’elle permet aux volontaires désignés pour ces missions de proximité de s’inscrire dans un schéma qui ne heurte pas la conception collective du métier. Dans le meilleur des cas, cette forme de police de proximité peut séduire certains parmi les plus rébarbatifs – les passifs –, en leur offrant une autre vision de l’îlotage, qui ne les met pas à la merci du public. Un regard attentif posé sur le milieu policier invite à penser que ce mouvement risque de rester très limité. Par contre, on voit que les îlotiers « sociaux », ou leurs héritiers, ont de grandes chances d’adopter ce modèle. Leur évolution professionnelle ainsi que les incitations politiques, à travers la nouvelle approche de la police de proximité, les y invitent.
99Mais cela ne suffira vraisemblablement pas à mener une politique de sécurité satisfaisante aux yeux des citoyens, d’une part parce que les îlotiers virtuels, ou peu impliqués, resteront certainement majoritaires, et d’autre part parce que cette approche judiciarisée, en renvoyant la réponse vers une institution judiciaire qui peine elle-même à trouver ses marques en matière de proximité, risque fort de ne pas susciter une réelle satisfaction. On passerait du pragmatisme affiché par une minorité d’îlotiers sociaux à une institutionalisation, avec toutes les conséquences que cela entraîne pour les relations avec les populations, exercée par une minorité peut-être un peu moins réduite, mais à l’impact beaucoup plus limité.
100En abandonnant la stratégie du problem-solving, celle de la réponse immédiate aux problèmes qui se posent, soit en organisant des activités sportives ou de l’aide aux devoirs pour les enfants désœuvrés, soit en s’interposant spontanément pour faire une médiation entre voisins, soit en servant d’exutoire à la personne qui cherche à ce qu’on l’entende, et en adoptant une attitude judiciaire, qui le place en situation d’auxiliaire de la Justice, l’îlotier, devenu désormais « policier de proximité », s’insère dans une chaîne qu’il ne maîtrise pas. Il abdique l’autonomie, certes restreinte et fragile mais réelle, dont il disposait pour devenir en quelque sorte un serviteur de la Justice. Si à court terme, cette évolution semble favorable, tant au sein de l’institution policière que vis-à-vis de l’extérieur, l’îlotier se trouve à plus long terme à la merci d’une institution judiciaire qui, déjà débordée, ne traitera pas, ou traitera mal, sans s’adapter au contexte particulier de l’environnement concerné, les demandes ainsi transmises. Dès lors, tous les échecs ou erreurs, tous les retards, contribueront à affaiblir la position du policier.
101Ce risque est d’autant plus plausible que le policier, privilégiant l’approche juridique, sera tenté de « lire » le quartier et ses difficultés en termes de loi, parfois très éloignées de certaines réalités du terrain. Comment construire ou préserver une proximité lorsque le pragmatisme, mode d’arbitrage entre les normes juridiques et les réalités sociales, s’efface au profit d’une judiciarisation des interactions entre le policier et les habitants ?
Bibliographie
BIBLIOGRAPHIE
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Mots-clés éditeurs : POLICE, IDENTITÉ PROFESSION - NELLE, SAVOIRS PROFESSIONNELS, FRANCE, SÉCURITÉ
Notes
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[1]
Une centaine d’entretiens ont été réalisés au début de l’année 1999, dans trois circonscriptions de sécurité publique de la région parisienne, pour moitié auprès de policiers, îlotiers, officiers de police judiciaire (OPJ), membres des brigades anti-criminalité (BAC) ou des UTJTR (voir infra), et pour une autre moitié auprès de partenaires potentiels (élus, gardiens, associations, Éducation nationale) et de représentants du public (habitants, jeunes ou moins jeunes rencontrés dans les rues).
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[2]
Changement décidé par le haut, le politique, et appliqué par le bas, les acteurs de terrain (Muller, 1994).
-
[3]
Loi du 21 janvier 1995 d’orientation et de programmation relative à la sécurité.
-
[4]
Unités de traitement judiciaire en temps réel : unités de gardiens de la paix chargés des prises de plaintes dans les commissariats.
-
[5]
Contrats locaux de sécurité : signés par le préfet, le procureur de la République territorialement compétent, et le (ou plus rarement les) maire(s) concerné(s), ces contrats cherchent à favoriser la coopération locale sur les questions de sécurité.
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[6]
Adjoints de sécurité : « emplois-jeunes » de la police nationale. Ces personnels, engagés pour une période limitée de cinq ans dans le cadre du programme gouvernemental de lutte contre le chômage des jeunes, sont envoyés sur le terrain après une formation légère, sans disposer des pouvoirs légaux des policiers titulaires (Gorgeon, 2001).
-
[7]
C’est l’opposition maintes fois évoquée entre police d’ordre, au service de l’État et police de sécurité, au service du public (Monjardet, 1996).
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[8]
Dès 1974, une note de la Direction Centrale de la Sécurité Publique définissait précisément les méthodes et objectifs de l’ilotage : y est inscrite la volonté de privilégier les fonctions relationnelles et l’assistance au public…, Note de la DCSP/18 juin 1974.
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[9]
Le rapport Peyrefitte préconise déjà la participation des policiers à des activités sportives avec les jeunes, pour leurs vertus éducatives.
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[10]
Voir les regrets exprimés par J.-M. Belorgey (1999).
-
[11]
L’îlotage est alors conçu comme une « vitrine », sans que soit recherché le dialogue, le discours policier penchant plutôt vers le on sait faire, laissez-nous faire, tendant à ériger la compétence policière en profession au sens socio-logique du terme (Abbott, 1988).
-
[12]
Note de la DCSP du 18 juin 1994.
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[13]
Par exemple, Le Monde du 28 octobre 1997, ou Gleizal (1999).
-
[14]
Au sens littéral : principe premier, indémontrable ou non-démontré. On notera que l’îlotage n’a jamais fait l’objet de réelles évaluations à grande échelle.
-
[15]
Brigades anti-criminalité, ayant pour mission de faire des interpellations et de mener une politique de dissuasion dans les quartiers, essentiellement la nuit.
-
[16]
En général, les jeunes policiers sont affectés en premier poste en région parisienne, dont les effectifs sont traditionnellement déficitaires, le jeu consistant à accumuler les années de pratique pour obtenir un poste dans sa région d’origine, laissant ainsi aux nouveaux venus des postes vacants en région parisienne.
-
[17]
Voir par exemple Faivre (1993).
-
[18]
On peut dès lors imaginer que l’un des premiers effets d’une politique de tolérance zéro pourrait être un rejet plus massif de la police.
-
[19]
Agents locaux de médiation sociale : emplois recrutés par des structures associatives, plus ou moins proches des municipalités, chargés de faire de la médiation et de la prévention dans les quartiers sensibles.
-
[20]
Unité d’investigations et de recherches : service regroupant les OPJ dans les commissariats les plus petits.
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[21]
Ceci s’avèrerait peut-être un peu moins vrai avec la police de proximité, encore que les manifestations de mécontentement des policiers à ce sujet en juin 2001 laissent à penser que les problèmes de gestion des ressources humaines sont toujours aussi prégnants dans la police…
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[22]
Sur ce terme, voir Garapon (1996).
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[23]
…ce qui est l’objectif que nombre de chercheurs américains (Goldstein, 1990; Skogan, Hartnett, 1997) identifient comme essentiel pour la mise en place d’une véritable police de proximité.
-
[24]
Voir supra note 4.
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[25]
Dans les faits, un certain nombre de gardiens, appelés les « déshabillés » puisqu’ils ne portaient pas la tenue, apportaient leur concours aux OPJ.
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[26]
Agent de police judiciaire (article 20 du code de procédure pénale).
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[27]
Officier de police judiciaire (article 16), fonction dont l’accès est désormais possible aux gardiens de la paix (loi n° 98-1035 du 18 novembre 1998).
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[28]
C’est le cas des querelles entre voisins, ou des conflits jeunes-plus anciens qui enclenchent souvent le cercle vicieux disputes-représailles.
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[29]
Voir Sebastian Roché dans Le Monde du 6 mars 1999 ou P. Glorieux qui parle des ADS recrutés pour remplir cette tâche de ressemblance (2001).