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Article de revue

Parler à des sourds. Les apostrophes métaleptiques dans le roman du xvii e siècle

Pages 329 à 344

Notes

  • [1]
    Marivaux, Pharsamon ou les Nouvelles folies romanesques, dans Œuvres de jeunesse, éd. F. Deloffre, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1972, p. 603.
  • [2]
    Pierre Fontanier, « Commentaire raisonné sur les Tropes de Dumarsais », dans Dumarsais-Fontanier, Les Tropes [1818], avec une introduction de G. Genette, Genève-Paris, Slatkine Reprints, 1984, p. 116.
  • [3]
    Gérard Genette, Figures iii, Paris, Seuil, coll. « Poétique », 1972, p. 245. C’est cet ouvrage qui a permis véritablement de faire passer la notion du domaine rhétorique au champ de la narratologie. G. Genette a depuis prolongé et approfondi sa réflexion dans Métalepse. De la figure à la fiction, Paris, Seuil, 2004. Comme exemple d’apostrophe de l’auteur à l’un de ses personnages, il cite (p. 32) un passage de la nouvelle de Giono Pour saluer Melville, où le narrateur reproche longuement à une jeune femme de n’avoir pas su se faire aimer du héros. L’effet est ici nettement comique.
  • [4]
    Une expérimentation si souvent faite à l’époque contemporaine qu’elle a peut-être tendance, note justement Françoise Lavocat, à perdre de son caractère transgressif : « Au xx e siècle se multiplient les rencontres entre auteurs, lecteurs et personnages à l’intérieur des fictions, ce qui pose d’ailleurs la question de savoir si la “métalepse ontologique” n’est pas à son tour en train de s’user, comme cela a été le cas pour la “métalepse rhétorique” » (Fait et Fiction. Pour une frontière, Paris, Seuil, coll. « Poétique », 2016, p. 477).
  • [5]
    Gérard Genette, Figures iii, op. cit., p. 244.
  • [6]
    Jean-Baptiste Du Pont, L’Enfer d’amour, Lyon, Th. Ancelin, 1603, p. 62.
  • [7]
    Sur la question plus générale du statut de la frontière entre fait et fiction, voir Françoise Lavocat (op. cit.). Le dernier chapitre remet en question l’idée répandue selon laquelle la métalepse abolirait les frontières de la fiction (pp. 473-520).
  • [8]
    « It is possible to build up almost unbearable tension in a play or film in which the audience knows who the murderer is all the time, and from the very start they want to scream out to all the other characters in the plot, “Watch out for So-and-So! He’s a killer! », Alfred Hitchcock, entretien avec Pete Martin, dans Film Makers on Film Making. Statements on their Art by Thirty Directors, Bloomington/Londres, Indiana University Press, 1967, p. 128 ; n. t.
  • [9]
    Diderot, Éloge de Richardson, éd. H. Lafon, dans Contes et Romans, M. Delon (dir.), Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 2004, p. 898. Pour une analyse du recours de Diderot à la métalepse avant Jacques le fataliste, voir Pedro Pardo-Jiménez, « Pour une approche fonctionnelle de la métalepse », Poétique, n° 170, 2012, pp. 163-176.
  • [10]
    Ainsi, Victor J. Matthews, « Metrical Reasons for Apostrophe in Homer », LCM 5, 1980, p. 93-99. Mais aussi Naoko Yamagata, « The Apostrophe in Homer as Part of the Oral Technique », Bulletin of the Institute of Classical Studies, 1989, nº 36, pp. 91-103.
  • [11]
    Voir notamment Scott D. Richardson, The Homeric Narrator, Nashville, Vanderbilt University Press, 1990, p. 170.
  • [12]
    C’est ce qu’estime notamment Adam Parry, « Language and Characterization in Homer », HSPh, nº 76, 1972, pp. 1-22. Il montre que les personnages auxquels Homère s’adresse le plus souvent sont Patrocle (huit fois) et Ménélas (sept fois) : ces deux personnages sont, d’après lui, les plus vulnérables ; ce ne sont pas les meilleurs combattants, mais ceux qui sont le plus pleins de noblesse héroïque.
  • [13]
    Voir notamment Irene de Jong, « Metalepsis in Ancient Greek Literature », dans Narratology and Interpretation. The Content of Narrative Form in Ancient Literature, Jonas Grethlein et Antonios Rengakos (dir.), Berlin/New York, Walter de Gruyter, 2009, p. 95.
  • [14]
    Anne Mackay, « The Frontal Face and “You”: Narrative Disjunction in Early Greek Poetry and Painting », Acta Classica, nº 44, 2001, pp. 5-34. Elle parle de turning points et souligne qu’elle prend l’expression au sens de la peripateia aristotélicienne (p. 11).
  • [15]
    Homère, Iliade, trad. P. Mazon [1937], avec la collaboration de P. Chantraine et P. Collart., Paris, Les Belles Lettres, 1967, t. iii, p. 128-129 (xvi, v. 786 sq.).
  • [16]
    Antoine de Nervèze, Amours diverses, divisees en dix histoires, reveuës & corrigees, Paris, Toussainct du Bray, 1611, t. I, fº 179 rº-vº.
  • [17]
    César François Oudin de Préfontaine, La Diane des bois [1629], Rouen, Jacques Cailloüé, 1632, p. 149.
  • [18]
    François de Rosset, Les Histoires mémorables et tragiques [1619], éd. Anne de Vaucher Gravili, Paris, Librairie générale française, coll. « le Livre de poche », 1994, p. 357.
  • [19]
    Mérille, La Philomène, Paris, P. Lamy, 1630, p. 356. Même exclamation chez Nervèze : « Consolez-vous (Birene) le terme de vostre delivrance approche » (Amours diverses, op. cit., « Histoire seconde », fº 101 rº-101 vº).
  • [20]
    Mérille, La Philomène, op. cit., pp. 208-209.
  • [21]
    Ibid., p. 194.
  • [22]
    Louis Moreau Du Bail, Le Sentier d’amour, Paris, Nicolas de La Vigne, 1622, p. 19 ; n. s.
  • [23]
    Ibid., pp. 45-50.
  • [24]
    Notons par ailleurs que Fouquelin définit également les passages où un personnage s’adresse à lui-même comme des apostrophes. « Aucunefois aussi nous parlons obliquement à nous-même », et il prend l’exemple de Didon s’enjoignant à elle-même de mourir (La Rhétorique françoise, [1555], dans Traités de poétique et de rhétorique de la Renaissance, éd. Francis Goyet, Paris, Le livre de poche classique, 1990, p. 423).
  • [25]
    Estienne Durand, Les Espines d’amour, où sont traitées Les infortunées Amours de Philadon & Caulisée, Paris, Gilles Robinot, 1604, pp. 95-96.
  • [26]
    Frank Greiner note bien la proximité de l’oracle et de la prolepse : l’oracle « peut remplir une fonction cohésive et participer à l’unification de la matière narrative d’un roman. À cet égard il peut en effet revêtir le rôle d’une prolepse, mais d’une prolepse obscure et incomplète et appelant donc une suite en forme de solution » (Les Secrets du destin : les oracles dans le roman français du xvii e siècle, dans Éthique, poétique et esthétique du secret de l’Ancien Régime à l’époque contemporaine, études réunies par Françoise Gevrey, Alexis Lévrier et Bernard Teyssandier, Leuven/Paris/Bristol, Peeters, 2015, pp. 251-265 ; ici p. 254).
  • [27]
    Ibid., p. 225. Nous soulignons.
  • [28]
    Anonyme, La Constance d’Alisee et de Diane, Lyon, Claude Morillon, 1602, p. 8.
  • [29]
    Ibid., pp. 9-10.
  • [30]
    Ibid., pp. 176-177.
  • [31]
    Voir notamment Frank Greiner, art. cit., p. 254.
  • [32]
    Marie-Laure Ryan, « Logique culturelle de la métalepse », dans Métalepses. Entorses au pacte de la représentation, John Pier et Jean-Marie Schaeffer (dir.), Paris, Éditions de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales, 2008, pp. 201-223 ; ici p. 207. Comme elle le note, Gérard Genette (op. cit.) s’intéresse surtout à des métalepses rhétoriques, tandis que la métalepse ontologique a été étudiée par Brian McHale (Postmodernist Fiction, Methuen, New York, 1987).
  • [33]
    Mérille, La Philomène, op. cit., pp. 59-60.
  • [34]
    Ibid., p. 244.
  • [35]
    Antoine de Nervèze, Amours diverses, divisées en dix histoires, op. cit., t. I, fº 115 vº.
  • [36]
    Nicolas Des Escuteaux, Amours de Lydiam et de Floriande, Paris, T. du Bray, 1605, f. 41 vº-42 rº.
  • [37]
    Louis Moreau Du Bail, Le Sentier d’amour, op. cit., pp. 19-22.
  • [38]
    « Où il se voit le combat avec Amphidamas ; Leur fuitte ; Leur peril sur la Mer ; Leurs victoires sur les Corsaires ; Leur abord dans Seuille ; Leur mariage ; L’empoisonnement de Pollidame par Vincentia ; Et la mort de Deiphile ».
  • [39]
    Ibid., p. 180.
  • [40]
    Antoine de Nervèze, Amours diverses, divisées en dix histoires, op. cit., t. I ; Histoire seconde, fº 115 vº.
  • [41]
    Antoine de Nervèze, Amours diverses, divisées en dix histoires, op. cit., « Histoire seconde », vol. 1, fº 113.
  • [42]
    Ibid., fº 175 vº.
  • [43]
    Antoine de Nervèze, Les Amours d’Olimpe, & de Birene. À l’imitation de l’Arioste, Paris, A. du Breuil, 1599. L’histoire est inspirée d’un épisode du Roland furieux, mais le remanie profondément. Notamment, dans le poème italien, le roi d’Irlande, ému par l’histoire d’Olympe, l’épouse et tue l’infidèle Birene.
  • [44]
    Voir Bruno Méniel, « La disposition des Amours diverses d’Antoine de Nervèze », Études françaises, vol. 38, n° 3, 2002, p. 93-105.
  • [45]
    Antoine de Nervèze, Les Amours diverses, divisées en dix histoires, op. cit., vol. III, fº 277 rº-vº. À propos de ce passage, Yves Giraud note : « Voilà donc un troisième dénouement possible pour la même histoire [le premier étant celui du Roland furieux, le second la fin heureuse de l’histoire], tragique celui-ci, mais qui n’a pas été retenu, au profit du dénouement sentimental » (« L’Arioste à la française. Amours d’Olympe et de Birène : réécriture par Nervèze d’un épisode du Roland furieux », dans Du roman courtois au roman baroque, Emmanuel Bury et Francine Mora (dir.), Paris, Les Belles Lettres, 2004, pp. 397-411 ; ici p. 402). Il ne mentionne pas la prolepse initiale, où un dénouement tragique est bien « retenu ».
  • [46]
    Yves Giraud, « L’Arioste à la française », art. cit., pp. 407-408.
  • [47]
    Ce style est déjà raillé par ses contemporains. Au chapitre XII de La Bibliothèque française, Sorel écrit ainsi : « Nervèze pensa se montrer plus élégant [que Béroalde de Verville] dans le Livre de ses Amours diverses, qu’il remplit de Métaphores continuelles et d’autres figures le plus souvent si contraintes, que le sens en était extravagant ou peu intelligible » (éd. cit., p. 306). Voir, à ce sujet, Roger Zuber, « Grandeur et misère du style Nervèze », dans Jean Lafond et André Stegmann (dir.), L’Automne de la Renaissance (1580-1630), Paris, Vrin, 1981, p. 53-64.

1

Voilà tous nos gens couchés ; il n’est encore que trois heures du matin pour eux, mais il n’est que neuf heures du soir pour moi, et ainsi je vais les faire agir tout comme s’ils avaient ronflé vingt-quatre heures.
Debout ! Tout m’obéit : déjà les domestiques allongent leurs bras et se frottent les yeux [1][…].

2 Le narrateur marivaldien de Pharsamon a parlé. Au lecteur moderne, l’apostrophe du narrateur à ses personnages, avec toute son artificialité, évoquera sans doute d’abord un procédé de roman comique : c’est le motif du créateur qui se représente lui-même en action, manipulant à sa guise ses héros et forgeant une histoire qui ne lui préexiste pas. Le procédé correspond très exactement à ce que Pierre Fontanier nomme la métalepse d’auteur, un trope qui permet de « transformer les poètes en héros des faits qu’ils célèbrent » et de « les représenter comme opérant eux-mêmes les effets qu’ils peignent ou chantent » [2]. Par la magie de la métalepse, une transgression a lieu, une frontière est franchie, la « frontière mouvante et sacrée entre deux mondes : celui où l’on raconte, celui que l’on raconte [3] ». Partant, il n’est pas étonnant que les exemples de métalepses qui nous viennent spontanément à l’esprit, et qui fournissent la grande majorité des citations critiques, soient issus d’une littérature comique, ludique ou expérimentale [4]. C’est la vision qu’en a Gérard Genette :

3

toute intrusion du narrateur ou du narrataire extradiégétique dans l’univers diégétique (ou de personnages diégétique dans un univers métadiégétique, etc.) […] produit un effet de bizarrerie soit bouffonne (quand on la présente, comme Sterne ou Diderot, sur le ton de la plaisanterie) soit fantastique [5].

4 Mais que faire si, au lieu de citer Marivaux, Sterne ou Diderot, nous nous tournions vers Du Pont, un auteur aussi inconnu que sérieux du siècle précédent ? Comment appréhender l’apostrophe qu’il adresse à son héroïne, Victoria, sur le point de trahir la mémoire de son amant Phidopiste ?

5

Où est le merite de vostre Phidopiste, et les larmes que vous devez à sa perte ? Vostre legereté offence ses ombres, mais vostre crime traine son supplice à sa queue : vous crachez contre le Ciel, vostre ordure vous retombera sur la face [6].

6 Il sera difficile, ici, d’évaluer l’effet de la métalepse : ni franchement comique, ni franchement expérimentale, elle est en tout cas singulièrement archaïque. De fait, le roman du premier xvii e siècle nous offre du procédé un visage auquel nous ne sommes pas habitués : il s’agit d’une littérature souvent sérieuse, en apparence assez peu soucieuse d’expérimentations formelles, et dans laquelle il est pourtant massivement présent. Esquisser une généalogie de ce procédé sera l’occasion de poser une question simple : doit-on penser que la métalepse constituait dans ces années une figure transgressive ? Autrement dit, la frontière entre le monde où l’on raconte et celui que l’on raconte était-elle déjà sacrée à une époque où le roman était un genre mal défini, et le narrateur une étrange figure au statut encore trouble [7] ?

7 Dans un contexte sérieux, ce qui peut porter le narrateur à franchir la frontière qui le sépare de son histoire, c’est un mouvement violent. Comme s’il assistait passivement à l’histoire, il feint d’avoir brusquement peur de ce qui va arriver, et s’adresse aux personnages pour les mettre en garde, les prévenir de leurs futurs malheurs. Ces « apostrophes métaleptiques », comme on peut les appeler, sont extrêmement fréquentes dans la prose du premier xvii e siècle. Le narrateur se comporte alors comme un lecteur ou un spectateur émotif : il fait comme s’il ressentait la même émotion que les enfants qui, regardant un spectacle de marionnettes, crient « Attention ! » à Guignol sur le point de recevoir un coup de massue. Cette attitude a été précisément décrite par Alfred Hitchcock dans un entretien célèbre :

8

On peut échafauder une tension presque insupportable dans une pièce ou un film où le public sait d’emblée qui est le meurtrier et dès le tout début veut crier à tous les autres personnages de l’intrigue : « Attention à untel ! C’est un meurtrier [8] ! »

9 Diderot avait raconté ce même mouvement du cœur bien plus tôt. C’était en évoquant sa lecture de la Clarisse Harlove de Richardson :

10

Combien de fois ne me suis-je pas surpris, comme il est arrivé à des enfants qu’on avait menés au spectacle pour la première fois, criant : Ne le croyez pas, il vous trompe… Si vous allez là, vous êtes perdu. Mon âme était tenue dans une agitation perpétuelle [9].

11 Mais le narrateur n’est pas un simple lecteur : les malheurs qu’il redoute, il ne les devine pas, il les connaît. Pire encore : il redoute ce dont il est l’unique responsable. En même temps qu’il exprime sa crainte, il apporte donc au lecteur, destinataire indirect de l’énonciation, une information : il lui apprend qu’un malheur est sur le point de se produire. En somme, l’apostrophe métaleptique est en même temps, bien souvent, une apostrophe proleptique.

12 Assez peu étudiées au sujet des textes d’Ancien Régime, les apostrophes du poète à ses personnages l’ont fréquemment été par les antiquisants. Elles sont monnaie courante chez Homère, et plus encore dans les épopées hellénistiques et latines. Plusieurs explications ont été données à ce procédé singulier. Un premier courant, soutenu notamment par les homéristes allemands du xix e siècle, veut que ce ne soit pas une figure poétique, mais une simple nécessité métrique [10] : selon ces homéristes, il n’y aurait pas de différence fondamentale entre les adresses directes et le récit à la troisième personne [11]. Une deuxième interprétation part du constat que l’apostrophe n’est utilisée qu’envers des personnages vulnérables et souligne qu’il s’agit là d’une expression d’empathie [12]. Selon une troisième interprétation, l’apostrophe contribue à l’enargeia homérique (les personnages sont réels, puisque l’on peut s’adresser à eux) [13]. Enfin, certains font de l’apostrophe un moyen d’attirer l’attention vers un « tournant » de la narration [14].

13 Parmi ces apostrophes, beaucoup sont proleptiques. Ainsi, immédiatement avant la mort de Patrocle dans l’Iliade, le poète s’adresse directement à lui pour l’en avertir :

14

Patrocle se jette férocement sur les Troyens. Trois fois il s’élance, émule de l’ardent Arès, en poussant des cris effroyables : trois fois il tue neuf hommes. Une quatrième fois encore, il bondit, pareil à un dieu. Mais, à ce moment, se lève pour toi, Patrocle, le terme même de ta vie [15].

15 Un tel passage peut être analysé en recourant aux trois dernières interprétations mentionnées : Patrocle est un personnage présenté comme aveuglé et vulnérable, et l’apostrophe suscite donc l’empathie. En même temps, la dimension métaleptique de l’apostrophe contribue à nous introduire avec le narrateur dans l’univers du personnage ; l’enargeia en est donc accrue. Enfin, la figure a bien ici un rôle de scansion, elle attire l’attention sur le basculement irréversible que va constituer, dans l’histoire de l’Iliade, la mort de Patrocle.

Quo vadis ? formes typiques de l’apostrophe metaleptique

16 Le procédé homérique se retrouve très précisément dans le roman des années 1600. Il est en effet fréquent que le narrateur tente vainement de mettre en garde un personnage aveuglé contre les périls qu’il encourt.

17 Vers le début de l’une des Histoires diverses de Nervèze, Cloridon quitte Paris pour voir ses parents et ses amis ; mais ce qu’il ignore, c’est qu’il va tomber dans les rets d’une certaine Melliflore. Le narrateur, qui le sait et veut le faire savoir à son lecteur, s’exclame :

18

Où allez vous Cloridon ? quel Démon ennemy de vostre liberté vous guide en ce voyage ? vous quittez la Cour, qui est le sejour des ames libres, pour aller en un lieu où vous trouverez des prisons : vous vous esloignez des appas de la grandeur, pour vous approcher des charmes d’amour : vous pensez que vostre dessein ne soit limité que de la veuë de vos parens, & qu’apres ceste visite, vous retournerez à la Cour, aussi libre que vous en partez. Non, non, Cloridon, une secrette destinée vous prepare des fers, qui vous tiendront estroitement captif […].
Allez donc Cloridon, allez recognoistre les forces d’Amour, qui sont campées dans les yeux de Melliflore [16].

19 L’apostrophe est construite selon un mouvement circulaire : à l’interrogation rhétorique initiale, où allez vous Cloridon ? qui marque une réprobation du narrateur, répondent en écho les impératifs finaux, Allez donc Cloridon, allez recognoistre les forces d’Amour. Le narrateur feint alors de prendre conscience de son impuissance à agir sur les événements : il n’a pas d’autre choix que de les accompagner, les « forces de l’Amour » ont raison des siennes propres. Le moment où surgit l’apostrophe au héros, immédiatement avant la rencontre amoureuse qui sera source de tant de maux, est topique, ainsi que ses accents. Trente ans plus tard, on retrouve une apostrophe semblable dans La Diane des bois de Préfontaine. L’interrogation rhétorique où vas-tu remplace simplement le où allez-vous. Le contexte est le même. Thirsis s’apprête à aller au palais d’Astrée, où ses yeux vont rencontrer ceux de Diane :

20

O pauvre Thirsis, ou vas tu ? Tu ne sçais guere quel doit estre le terme de ton voyage, ny la profondeur du precipice que tu vas chercher. Combien, helas ! seras tu changé de toy mesme à ton retour, les rages & les furies de l’amour vont miserablement traverser ton repos […] [17].

21 En passant du roman d’amour à l’histoire tragique, le motif ne s’infléchit que légèrement. Vers le début de l’une des Histoires tragiques de Rosset, Eranthe décide d’aller visiter Naples. Ce qu’il ignore, c’est qu’il doit rencontrer dans la ville italienne Flaminio, un gentilhomme débauché qui lui porte une « amour maudite et exécrable », et qui finira par le violer, aidé d’un moine lubrique :

22

Il fait donc disposer ses gens à partir avec lui. O misérable et infortuné, où vas-tu ? Le plus grand affront qui puisse jamais arriver à un gentilhomme de ta sorte t’y attend. Plût à Dieu que tu fusses encore en ton pays, sans dessein de passer jamais les Alpes [18] !

23 L’exclamation topique, où vas-tu, apparaît comme un détournement subversif du topos de la rencontre amoureuse, qui souligne l’horreur qu’éprouve le narrateur envers cette « abominable passion ».

24 Ces exemples combinent les deux traits typiques de l’apostrophe métaleptique : elle prévient d’ordinaire le personnage d’un malheur qu’il s’apprête à subir, et ce personnage est généralement digne de compassion.

25 Le schéma peut subir des variations. La dernière grande apostrophe de La Philomène de Mérille s’adresse ainsi à Floriste, qui a été capturée par des soldats, pour lui enjoindre de ne pas perdre espoir : « Ne vous desesperez pas Floriste, […] car l’yssuë vous en sera profitable [19]. » Mais ce sont bien plus souvent la tristesse et la peur, voire l’horreur, qui poussent le narrateur à franchir la frontière. Il peut également arriver que le narrateur s’adresse à un personnage a priori peu à même de susciter notre compassion. Dans La Philomène de Mérille, l’une des innombrables apostrophes s’adresse à un personnage criminel. Il s’agit d’Éliandre, qui a mis en prison Jullianne pour la forcer à céder à ses ardeurs :

26

Que penses-tu faire Eliandre […] ? le plaisir que tu te figures recevoir par la jouyssance de tes desirs ne te laissera qu’un desplaisir perpetuel, & un repentir à jamais de ta faute commise [20].

27 Mais ce passage ne saurait être lu isolément : il intervient dans un diptyque. Un peu auparavant, en effet, alors que Jullianne demandait à Éliandre de lui porter secours, le narrateur avait pris la parole pour la mettre en garde contre l’amour naissant d’Éliandre :

28

Que faites vous Jullianne, vous ne jugez pas que vos compliments sont autant de boutefeux qui eschauffent le cœur d’Eliandre […], ne vous rejouyssez pas si tost je vous prie d’un bien que vous ne possedez pas, les feux de vos allegresses sont de paille, vous en verrez aussi tost la mort que la vie [21].

29 Au « que faites vous Jullianne » répond donc le « Que penses-tu faire Eliandre », et l’effet d’écho permet de structurer cette intrigue secondaire. Le parallèle entre l’adresse à la victime et l’adresse au bourreau donne au narrateur la possibilité de nuancer le manichéisme de l’intrigue ; en entendant l’apostrophe à Éliandre, nous nous rappelons celle à Jullianne et comprenons un peu mieux comment le bourreau est devenu bourreau.

Une frontière brouillée

30 Il est bien difficile d’adopter une perspective endogène et de comprendre comment les lecteurs de l’âge baroque pouvaient percevoir un procédé qui, par la suite, a été si vite et si profondément transformé. Notre hypothèse, étayée par trois arguments, est que ces métalepses, au début du xvii e siècle, ne sont pas perçues comme de réelles transgressions.

Apostrophes et monologues

31 D’abord, l’apostrophe métaleptique, si elle nous paraît aujourd’hui très artificielle, se fond bien dans le récit de l’époque baroque, elle n’en constitue pas un élément saillant. Elle est en effet très proche d’une autre forme, celle du monologue. Dans le Sentier d’Amour de Du Bail, le narrateur interrompt sans cesse son récit pour apostropher les trois personnages principaux de l’histoire, Déiphile, son amant Pollidame, et Amphidamas, l’homme que Déiphile n’aime plus. Il les prévient de leurs malheurs à venir. Ainsi, vers le début du livre, au moment où Déiphile est en train de s’éprendre de Pollidame, le narrateur s’écrie :

32

He quoy ! Deiphile, est-ce ainsi que vous suivez les Loix de l’inconstance ? Courez vous à pas si precipitez au changement ? Que dira-t’on de vostre infidelité ? […] Où vous precipitez vous [22] ?

33 Plus tard, Déiphile se met à monologuer. Sa voix a des accents qui ressemblent à ceux du narrateur, et bientôt les deux se confondent :

34

[Deiphile] esvente en l’air ces plaintes.
Helas ! pauvre Amante abusée, où te precipites tu ? […] Rejette, miserable, rejette si tu peux hors de toy cette cuisante ardeur qui ronge tes vierges moüelles […] Apres avoir en vain quelque temps opposé à ce germe amoureux les froideurs de la consideration, […] elle dit : C’est une follie à toy Deiphile, de croire resister à la violence de l’amour qui te domine. […]
Tout beau Deiphile, vous vous laissez transporter à [c]es passions, il y a peu de temps que la prudence vous faisoit parler, & ores un esgarement d’esprit vous agit, vous mettiez tantost le doigt sur vostre playe, & comme une nouvelle Cassandre, vous prophetisiez vos futurs malheurs ; & ores vous jettez aux pieds du mespris, le pouvoir de la fortune variable. L’Amour luy fournissant de suject, elle suit son chemin : Si j’aime Pollidame (dit elle) mon inclination m’y force [23] […].

35 En s’exclamant d’emblée : « Helas ! pauvre Amante abusée, où te precipites tu ? », Déiphile fait écho à la propre parole du narrateur, qui employait deux fois le terme precipitez. Déiphile se met donc en garde elle-même exactement de la même manière que le narrateur la mettait en garde. La proximité du monologue et de l’apostrophe narratoriale est si forte qu’au dernier paragraphe, quand on lit « Tout beau Deiphile, vous vous laissez transporter à ses passions », on peut penser qu’il s’agit simplement d’une étape du monologue délibératif, alors même que c’est le narrateur qui vient de reprendre la parole. La confusion se renforce quand le narrateur compare Déiphile à « une nouvelle Cassandre » : Cassandre est la prophétesse que personne ne croit, et il est bien paradoxal de qualifier de Cassandre une femme qui se prédit à elle-même ses propres malheurs. Tout se passe comme si Déiphile se dédoublait et adoptait la posture du narrateur, qui se présente souvent justement comme une Cassandre que les personnages n’entendent pas [24]. Peu importe, après tout, qui prédit à Déiphile ses malheurs.

36 Le cas du Sentier d’amour n’est pas isolé, et une même analyse pourrait par exemple être menée au sujet des Espines d’amour d’Estienne Durand (1604) : le narrateur ne cesse de prédire à ses personnages leur avenir malheureux et les personnages ne cessent de s’apitoyer sur leur propre sort. C’est ainsi qu’après plusieurs pages où Sinnorix, amoureux de Caulisée et jaloux de Philadon, s’est parlé à lui-même en s’interpellant en des termes passionnés (« Helas Sinnorix, que dis tu, que t’a fait Caulisée, etc. »), le narrateur enchaîne immédiatement avec une apostrophe qui se termine en prolepse : « O miserable, où t’emporte ta jalouze fureur […], tu fille [sic] le cordeau pour te pendre, ou tu forges le glaive pour t’esgorger [25]. » Il est impossible de discerner d’emblée le monologue délibératif de l’apostrophe proleptique, et nous sentirons, à la lecture de ce roman, de fréquents et longs moments de flottement.

Apostrophes et oracles

37 Ensuite, l’apostrophe métaleptique (et proleptique) peut simplement être considérée comme une forme dérivée de l’oracle, dont le rôle est similaire [26]. Il s’agit en effet d’un discours adressé aux personnages, portant sur le futur, et que ces derniers ne prennent pas en considération. Nervèze, dans l’une de ses histoires, interrompt son récit pour apostropher son héros Lisiris et annoncer sa future réconciliation avec Palmélie. Quelques pages plus loin, quand Palmélie, de fait, se repent de sa conduite, le narrateur écrit : « [Elle accomplit] en cela ma prophetie, quand je disois qu’elle demanderoit en pleurs ce qu’elle avoit refusé avec mespris [27] ». Cette indifférenciation n’est pas pour surprendre le lecteur : en s’adressant directement à son héros, le narrateur, jusque-là extradiégétique, se transforme en oracle pour entrer dans la fiction, s’adresser à son personnage et lui révéler la suite de son histoire. Certes, le héros ne l’a pas entendu, mais qui « entend » vraiment un oracle ? L’usage du terme de prophetie souligne la proximité des mécanismes de l’oracle et de l’apostrophe métaleptique.

38 Dans sa « Préface aux beaux esprits », l’auteur anonyme de La Constance d’Alisée et de Diane, paru en 1602, annonce les infortunes des deux héros éponymes, « qui par leur constance ont épuisé les plus cruels supplices qui fussent en reserve dans l’épargne des vengeances d’Amour [28] » :

39

Mais las ! ils ont rencontré le mes-aise, estant presque arrivez dans le giste de la felicité. Ha ! pauvres Amans, que n’aviez vous recours à quelque Oracle, pour apprendre le miserable succez de vos amitiez ? Vous eussiez (estouffant vos amours dans le berceau) estouffé quant & quant vos malheurs : mais c’est un destin du ciel qu’on ne peut destourner. Supportez donc vos tristes advantures, à fin que vous entriez à la gloire par la porte de la patience […] [29].

40 On sait bien que dans les mythes et les romans, personne ne comprend l’oracle comme il le faut : quand même ils auraient été avertis par un oracle, Alisée et Diane n’auraient certainement pas étouffé « [leurs] amours dans le berceau ». Et en même temps que le narrateur déplore l’absence d’un tel oracle, il s’y substitue. À la fin du roman, Diane, au moment de mourir, tient justement un long discours sur la Providence, expliquant qu’elle ne peut en vouloir à son père car ses « infortunes estoyent marquées au ciel devant que de prendre naissance en terre [30] ». Tout se passe comme si le discours du narrateur, avec ses fréquentes prolepses, tenait lieu de Providence ; c’est lui qui a « marqué » dans son livre les infortunes de ses héros devant qu’elles n’aient pris naissance. Cette structure en boucle, qui combine une annonce et une « solution » où l’annonce est rappelée, fait naturellement penser au fonctionnement ordinaire de l’oracle [31].

41 Ce constat permet peut-être d’expliquer pourquoi les apostrophes métaleptiques se trouvent surtout dans des genres romanesques qui ont peu recours aux oracles. Si dans les « longs romans » comme L’Astrée ou Le Grand Cyrus, nous ne rencontrons que très exceptionnellement de telles apostrophes, c’est peut-être que les oracles y tiennent déjà la double fonction d’inciter le lecteur à anticiper sur la suite de l’histoire et de scander le texte (la prophétie, tendant l’intrigue entre le moment où elle est formulée et celui où elle s’accomplit, délimite des ensembles narratifs). Le narrateur n’éprouve donc pas le besoin d’y assumer le rôle de prophète, qu’il peut déléguer à d’autres figures. En somme, la métalepse ne serait pas la seule passerelle à permettre le passage du monde des personnages à celui du narrateur : parce qu’elle côtoie ou concurrence d’autres formes, comme celle de l’oracle, elle ne jouit pas d’un statut vraiment particulier au sein de la fiction.

Postures souples

42 Enfin, il faut, pour appréhender ces métalepses au xvii e siècle, nous défaire des catégories qui se sont élaborées par la suite : l’idée d’une posture narratoriale stable semble peu pertinente pour parler de ces textes. Nous nous contenterons de souligner trois formes d’ambiguïtés révélées par ces apostrophes métaleptiques.

43 Première ambiguïté : ces métalepses soulignent une tension entre la posture du narrateur impuissant, qui crie des mises en garde à des personnages sourds, et celle du narrateur démiurge, capable d’infléchir l’avenir.

44 Le plus souvent, dans ces apostrophes, le narrateur adopte la première posture. Si bien que l’on devrait, en vérité, parler de métalepses incomplètes ou de demi-métalepses, car le narrateur parle à ses personnages sans que ces derniers ne l’entendent : il ne pénètre qu’à moitié dans l’univers diégétique du personnage, et garde un pied chez lui. Ce genre de métalepses nous paraît constituer un moyen terme entre métalepses « rhétoriques » et métalepses « ontologiques ». Tandis que les premières, selon Marie-Laure Ryan, sont « un acte de communication entre deux membres du même monde au sujet d’un membre d’un autre monde », les secondes présentent « une action dont les participants appartiennent à deux domaines distincts » et remettent ainsi « radicalement en question la frontière entre l’imaginaire et le réel » [32]. Parce que le narrateur ne parle pas de ses personnages mais à ses personnages, les apostrophes métaleptiques vont plus loin que les simples métalepses rhétoriques, mais parce que les personnages n’entendent pas le narrateur, les apostrophes métaleptiques ne peuvent être considérés tout à fait comme des métalepses ontologiques. La surdité des personnages est d’ailleurs un motif récurrent de ces apostrophes : pourquoi parler à qui ne peut m’entendre ? se demande le narrateur dès qu’il retrouve un peu de lucidité. Mais il arrive aussi que, constatant la surdité de ses personnages, il l’interprète différemment. Dans La Philomène de Mérille, le narrateur s’adresse à ses deux héros, qui s’entretiennent joyeusement de leurs amours :

45

Pauvres Amants, vous ne voyez pas les malheurs qui vous pourchassent, ny les precipices que la Fortune vous prepare avec intention de vous perdre […].
Mais helas ! puis que je parle à des personnes que l’amour a rendu sans oreilles aussi bien que sans yeux, laissons les separer dans la joye […] [33].

46 Si les amants n’entendent pas les sombres prédictions du narrateur, ce n’est pas, nous dit plaisamment ce dernier, parce qu’ils ne se trouvent pas au même niveau diégétique que lui, mais bien parce que l’amour les a rendus « sans oreilles » : en somme, la surdité accidentelle s’est substituée à une surdité ontologique. Mais quelles que soient les raisons de cette surdité, le narrateur n’est pas un dieu tout-puissant capable de décider de l’avenir de son récit et des mouvements de ses personnages : il regarde impuissant et se pose en oracle ou en nouvelle Cassandre. Il se produit alors un effet proche de l’ironie tragique, puisque le personnage est foncièrement incapable d’entendre ce qu’on lui dit. L’effet de la métalepse est dédoublé : notre compassion s’adresse à la fois au personnage qui s’avance en aveugle vers son destin terrible, et au narrateur, qui, criant dans le vide, ne peut arrêter le destin.

47 Mais dans le même roman, après une nouvelle apostrophe métaleptique où le narrateur a prédit aux personnages leurs malheurs, il conclut :

48

je veux donc vous laisser arriver dans une ville des plus fameuses, de l’Europe […], je vous permets aussi de faire bondir vos chevaux sur le pavé […], pourveu que vous vous souveniez qu’on ne peut retrograder les planettes, que les ordonnances du destin sont sans appel, & que ce qui vous a acquis un peu de gloire, vous causera un deshonneur insupportable [34].

49 Le narrateur a quitté la posture de la Cassandre désespérée et impuissante. Il « laisse » ses personnages arriver à la ville, et leur « permet » de faire bondir leurs chevaux. On n’est pas loin, ici, de l’attitude de l’écrivain démiurge, dont on sait la postérité qu’elle aura dans la fiction comique (« Debout ! Tout m’obéit : déjà les domestiques allongent leurs bras et se frottent les yeux »).

50 Ces variations de posture sont un trait d’époque, et l’hésitation est parfois sensible au sein d’un même développement. Dans une histoire de Nervèze, le narrateur interpelle l’héroïne Olympe et la prévient que, pour son malheur, sa « pudicité » sera bientôt ébranlée… Voici comme il conclut son apostrophe : « Donnons quelque terme à son honneur pour respirer […] [35]. » L’ambiguïté de la posture narratoriale de Nervèze est particulièrement sensible ici, puisque cette dernière phrase, qui assure la liaison avec le récit, renoue avec l’idée que le narrateur peut infléchir le cours de l’action : s’il est capable de donner « quelque terme à son honneur pour respirer », n’aurait-il pas pu, alors, empêcher également que la pudicité d’Olympe fût ébranlée ? Le même constat pourrait être fait au sujet d’un passage des Amours de Lydiam et de Floriande de Des Escuteaux (1605). Au moment où Lydiam a obtenu du père de Floriande son consentement pour épouser celle qu’il aime, le narrateur l’apostrophe cruellement, à la manière d’un chœur antique :

51

Te voila bien content Lydiam […] : mais tu n’en es pas ou tu penses, & premier que tu en viennes là, il te coustera de ton sang, & de tes larmes, par un meslange si desagreable que tu souhaiteras mille-fois le tombeau, pour remede à ton desplaisir, que nous n’avancerons, ains le lairons venir au temps ordonné par ton destin [36] […].

52 La comparaison avec le chœur de la tragédie a ses limites : tandis que le chœur n’est en principe pour rien au déroulement de l’action et peut donc se lamenter en toute bonne conscience, l’auteur, qui se cache derrière le narrateur, en est à l’origine. Dès lors, les lamentations du narrateur ont quelque chose d’ambigu, puisque celui qui plaint son personnage est celui-là même qui l’a plongé dans le malheur. Ici, en disant « que nous n’avancerons », le narrateur présuppose bien qu’il aurait pu « avancer » le temps des épreuves de Lydiam, et avoue à demi-mot qu’il n’est pas entièrement impuissant face au destin de son personnage.

53 Cela dit, s’il y a une tension entre deux postures du narrateur, il n’y a pas vraiment de contradiction. Le narrateur se présente comme capable de freiner ou d’avancer à sa guise le cours du destin (simplement en consacrant plus ou moins de pages à tel ou tel récit, en insérant ou non des digressions permettant de retarder les moments fatidiques), mais non de le détourner : le cours de l’action reste immuable.

54 Deuxième ambiguïté de la posture narratoriale, sans doute plus profonde : le même narrateur peut tantôt être omniscient, tantôt avoir des connaissances limitées. En mettant un pied dans l’univers de ses personnages, il semble parfois perdre la claire conscience de leur avenir. Dans Le Sentier d’amour de Du Bail, le narrateur s’adresse à Pollidame, qui est en train de ravir à Amphidamas le cœur de la belle Déiphile. Il prévoit que l’issue sera sanglante, mais fait comme s’il ignorait l’identité du futur vainqueur :

55

Si vous estes son vainqueur, quel bien remporterez vous de ceste victoire, sinon un exil qui vous separera de vostre Amante ? Que si vous estes vaincu, n’aurez vous pas esté l’homicide de vous mesmes ? […] Tournez bride Pollidame, & ne vous avanturez point à une si difficile entreprise [37] […].

56 Pourtant, quand, bien plus tard, le duel entre Amphidamas et Pollidame se rapproche, le narrateur ne fera plus semblant d’en ignorer l’issue (laquelle nous a, d’ailleurs, déjà été donnée par le long sous-titre de l’ouvrage [38]) ; il s’adresse en effet à Déiphile, qui craint que Pollidame ne meure dans le combat, pour l’assurer de la victoire de ce dernier :

57

He quoy ! Deiphile, vous pleurez maintenant qu’il vous faut resjouir de l’heureux succez de vos amours ? […] Qu’apprehendez-vous ? Doubtez-vous de l’adresse de Pollidame ? […] asseurez-vous de sa victoire [39] […].

58 Comme très souvent dans ce genre d’apostrophes, la modalité interrogative, qui porte sur l’action en cours du personnage, précède une modalité assertive, proprement proleptique.

59 Cette hésitation entre deux postures, celle du narrateur de plain-pied avec les personnages et qui se perd comme eux en conjectures, d’une part, et celle du narrateur omniscient, parfaitement au fait de l’avenir de ses personnages, d’autre part, est thématisée chez Nervèze, dans le passage sur la « pudicité » d’Olympe. Le narrateur écrit en effet, au moment où Olympe se refuse à Birene :

60

Je vous louë, Olympe, d’avoir esté obeyssante à vostre honneur, & rebelle à vostre Amant en sa demande. […] mais je crains (& ma crainte sera juste) que la violence de l’Amour, & la force de ses flammes, esbranleront un jour vostre pudicité […] [40].

61 « Mais je crains (& ma crainte sera juste) » : étrange formule d’un narrateur qui se dédouble, à la fois témoin ou confident, capable de dire « je crains » comme un ami, et narrateur omniscient, capable de dire péremptoirement que sa crainte « sera juste ».

62 Troisième et dernière ambiguïté : on a tendance à penser que l’apostrophe aux personnages est plus artificielle dans un récit hétérodiégétique, où le narrateur ne les a jamais côtoyés, que dans un récit homodiégétique, où le narrateur les a fréquentés et, partant, peut s’égarer, confondre le temps de son écriture avec celui de ses souvenirs, et glisser sans y prendre garde d’un monde à l’autre. Mais justement, cette distinction entre narrateur hétérodiégétique et homodiégétique ne paraît que peu pertinente à l’âge baroque. Terminons par un dernier exemple, complexe, mais révélateur de cette hésitation.

63 L’« Histoire seconde » des Amours diverses de Nervèze raconte les amours d’Olympe et de Birène, auxquels le narrateur, a priori hétérodiégétique, ne prend apparemment aucune part. Le récit commence par une introduction générale sur les malheurs de l’amour. Puis, selon la technique de l’apostrophe métaleptique, le narrateur interpelle l’héroïne, morte victime de cette funeste passion :

64

Qu’en dictes vous belle Olympe, n’est-ce pas vostre dueil qui appelle en jugement vostre cruel Birene ? n’entens-je pas la voix de vos douleurs, & les accents de vostre mort, qui conjurent le Ciel de punir sa perfidie ? trouvez bon, puis que vous m’avez dicté vos malheurs, que je les raconte à la postérité, & que je convoque les larmes des pitoyables, pour plaindre vôtre martyre [41].

65 Or, très étrangement, à la fin de l’histoire, après bien des péripéties, Olympe retrouvera l’infidèle Birene, se mariera avec lui… et les douleurs se changeront en joie :

66

Ce mariage scellé d’une mutuelle foy bannit à perpétuité la perfidie, il sacre leur lict, & legitime leurs delices : ce n’est plus l’Isle deserte où habitoit le desespoir d’Olympe, ses yeux n’ont plus de larmes. […] [Nos Amants] ne se souviennent (que comme d’un songe) de leurs peines passées, & […] ils n’ont point de memoire qu’ils les ayent souffertes : car leur felicité à son evenement en a fait don à l’oubliance [42].

67 Tout se passe comme si le texte comportait deux scénarios différents, qu’il voulait accomplir en même temps : une histoire moralisante sur les malheurs de l’amour (elle se terminerait par l’infidélité de Birene et la mort d’Olympe) et une histoire d’amour heureuse, qui se clorait, sur le modèle des romans grecs, par la réunion des deux amants. Nervèze présente bien ici deux histoires absolument incompatibles entre elles : l’une, annoncée par l’apostrophe initiale, qui devrait se finir par la mort de l’héroïne désespérée par l’infidélité de son amant, l’autre qui se termine par un mariage.

68 Qu’en penser ? L’hypothèse selon laquelle l’auteur aurait oublié l’ouverture de son histoire est invraisemblable : cette histoire est relativement courte ; d’abord publiée de manière autonome en 1599 sous le titre des Amours d’Olimpe, & de Birene[43], elle a ensuite été reprise dans le recueil que Nervèze a fait paraître en 1605 ; elle est présente dans tous les remaniements ultérieurs du recueil. Nous pouvons donc penser qu’elle a été lue et relue, et qu’il s’agit d’un texte relativement maîtrisé. La clef est sans doute ailleurs. Si les histoires de Nervèze sont en principe indépendantes, certaines se font écho les unes aux autres [44]. Dans la neuvième, nous lisons un étrange dialogue entre Celidore et Lidior. La première, à l’occasion d’une remarque géographique, revient sur l’histoire d’Olympe et de Birène et dit à Lidior que l’île Infortunée « estoit une isle […] où jadis Olympe […] avoit esté delaissée par Birene, dequoy vous avez possible ouy raconter l’histoire ». Lidior dément alors l’histoire évoquée par Celidore : cet infidèle amant, rétorque-t-il, « repara sa faute en espousant sa Maistresse ». Et Celidore de corriger à son tour Lidior : selon elle, ce mariage était « une fiction de l’Autheur, qui pour couvrir la honte que ce perfide Birene fit à son sexe par un si lasche tour, a introduit des nopces, là où il n’y eut que des funerailles : car il est certain que la pauvre Olympe mourut de regret quelque temps apres ce delaissement [45] ».

69 Il s’agit ici d’une explication donnée a posteriori à la contradiction : le narrateur, qui devait d’abord obéir à Olympe et raconter les malheurs qu’elle lui avait « dictés » post mortem, aurait finalement obéi à la mémoire de Birène et décidé de cacher la perfidie que l’infidèle a faite à la gent féminine. Ce changement d’allégeance en cours de route pourrait expliquer le constat négatif que fait Yves Giraud au sujet de cette histoire et de la psychologie de ses protagonistes :

70

Ces revirements affectifs ne sont guère cohérents ni très vraisemblables d’un point de vue psychologique. On a quelque peine à comprendre le comportement de Birène, que l’auteur ne se soucie jamais d’expliquer ni de justifier ; […] [la conversion] du héros, type de volage « primaire », est trop subite et trop radicale pour convaincre le lecteur. Il faut bien convenir que l’auteur ne se montre ni fin psychologue ni très adroit conteur ; ses personnages sont typés, mais peu individualisés, leur caractère manque autant de profondeur que de cohérence [46].

71 Si l’on a en effet « quelque peine à comprendre le comportement de Birène », si sa conversion est « trop subite et trop radicale pour convaincre le lecteur », c’est peut-être justement parce que ce revirement est donné pour une fiction, une forgerie faite a posteriori par le narrateur pour sauver tant bien que mal le personnage masculin. Nous serions là face à un cas d’un narrateur « intéressé » dans une fiction supposée hétérodiégétique, à laquelle il n’était pas prévu que le narrateur prît part. Une fois de plus, les frontières admises aujourd’hui s’estompent : dans le roman du premier xvii e siècle, la notion de narrateur hétérodiégétique perd un peu de son sens ; le narrateur n’est pas seulement susceptible de s’émouvoir pour le sort de ses personnages, il est capable de prendre une part active au déroulement de l’histoire.

72 Si l’on doit bien reconnaître, avec Gérard Genette, une « bizarrerie » dans les apostrophes métaleptiques que nous avons rencontrées, elle n’est ni « bouffonne », ni vraiment « fantastique ». Ce qu’il faudrait plutôt nommer demi-métalepse, ou métalepse incomplète, permet avant tout un effet d’ironie tragique. Le narrateur, seul à savoir ce qui attend ses personnages, crie dans le vide ; et le seul à l’entendre est le destinataire indirect qu’est le lecteur. Bon exemple de ce qu’on a appelé, pour s’en moquer, le « style Nervèze [47] », l’apostrophe métaleptique fait partie de ces procédés dont il est bien difficile, aujourd’hui, de mesurer la portée, tant ils nous paraissent archaïques. Elle a été si rapidement récupérée par la fiction comique que nous avons tendance à sourire lorsque nous la rencontrons. Pourtant, y voir un trait comique ou louer l’audace formelle des romanciers de l’époque serait sans doute anachronique. Nous préférons faire l’hypothèse que la métalepse, au début du xvii e siècle, n’est qu’un procédé parmi d’autres. Son caractère transgressif est atténué par le fait que les frontières sont alors bien plus floues qu’aujourd’hui : non seulement il existe des passerelles entre le monde de la fiction et celui du récit, mais le statut du narrateur est mal défini, le passage d’une posture à l’autre particulièrement aisé. À une époque où le roman est encore un genre mineur, peu théorisé, l’apostrophe métaleptique relève plus d’une promenade du côté de chez les personnages que du voyage en terre inconnue, par-delà une frontière qu’on ne franchit qu’en frissonnant.


Mots-clés éditeurs : prolepse, métalepse, oracle, roman de l’âge baroque, apostrophe, narrateur, monologue délibératif

Date de mise en ligne : 09/05/2018

https://doi.org/10.3917/dss.182.0329

Notes

  • [1]
    Marivaux, Pharsamon ou les Nouvelles folies romanesques, dans Œuvres de jeunesse, éd. F. Deloffre, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1972, p. 603.
  • [2]
    Pierre Fontanier, « Commentaire raisonné sur les Tropes de Dumarsais », dans Dumarsais-Fontanier, Les Tropes [1818], avec une introduction de G. Genette, Genève-Paris, Slatkine Reprints, 1984, p. 116.
  • [3]
    Gérard Genette, Figures iii, Paris, Seuil, coll. « Poétique », 1972, p. 245. C’est cet ouvrage qui a permis véritablement de faire passer la notion du domaine rhétorique au champ de la narratologie. G. Genette a depuis prolongé et approfondi sa réflexion dans Métalepse. De la figure à la fiction, Paris, Seuil, 2004. Comme exemple d’apostrophe de l’auteur à l’un de ses personnages, il cite (p. 32) un passage de la nouvelle de Giono Pour saluer Melville, où le narrateur reproche longuement à une jeune femme de n’avoir pas su se faire aimer du héros. L’effet est ici nettement comique.
  • [4]
    Une expérimentation si souvent faite à l’époque contemporaine qu’elle a peut-être tendance, note justement Françoise Lavocat, à perdre de son caractère transgressif : « Au xx e siècle se multiplient les rencontres entre auteurs, lecteurs et personnages à l’intérieur des fictions, ce qui pose d’ailleurs la question de savoir si la “métalepse ontologique” n’est pas à son tour en train de s’user, comme cela a été le cas pour la “métalepse rhétorique” » (Fait et Fiction. Pour une frontière, Paris, Seuil, coll. « Poétique », 2016, p. 477).
  • [5]
    Gérard Genette, Figures iii, op. cit., p. 244.
  • [6]
    Jean-Baptiste Du Pont, L’Enfer d’amour, Lyon, Th. Ancelin, 1603, p. 62.
  • [7]
    Sur la question plus générale du statut de la frontière entre fait et fiction, voir Françoise Lavocat (op. cit.). Le dernier chapitre remet en question l’idée répandue selon laquelle la métalepse abolirait les frontières de la fiction (pp. 473-520).
  • [8]
    « It is possible to build up almost unbearable tension in a play or film in which the audience knows who the murderer is all the time, and from the very start they want to scream out to all the other characters in the plot, “Watch out for So-and-So! He’s a killer! », Alfred Hitchcock, entretien avec Pete Martin, dans Film Makers on Film Making. Statements on their Art by Thirty Directors, Bloomington/Londres, Indiana University Press, 1967, p. 128 ; n. t.
  • [9]
    Diderot, Éloge de Richardson, éd. H. Lafon, dans Contes et Romans, M. Delon (dir.), Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 2004, p. 898. Pour une analyse du recours de Diderot à la métalepse avant Jacques le fataliste, voir Pedro Pardo-Jiménez, « Pour une approche fonctionnelle de la métalepse », Poétique, n° 170, 2012, pp. 163-176.
  • [10]
    Ainsi, Victor J. Matthews, « Metrical Reasons for Apostrophe in Homer », LCM 5, 1980, p. 93-99. Mais aussi Naoko Yamagata, « The Apostrophe in Homer as Part of the Oral Technique », Bulletin of the Institute of Classical Studies, 1989, nº 36, pp. 91-103.
  • [11]
    Voir notamment Scott D. Richardson, The Homeric Narrator, Nashville, Vanderbilt University Press, 1990, p. 170.
  • [12]
    C’est ce qu’estime notamment Adam Parry, « Language and Characterization in Homer », HSPh, nº 76, 1972, pp. 1-22. Il montre que les personnages auxquels Homère s’adresse le plus souvent sont Patrocle (huit fois) et Ménélas (sept fois) : ces deux personnages sont, d’après lui, les plus vulnérables ; ce ne sont pas les meilleurs combattants, mais ceux qui sont le plus pleins de noblesse héroïque.
  • [13]
    Voir notamment Irene de Jong, « Metalepsis in Ancient Greek Literature », dans Narratology and Interpretation. The Content of Narrative Form in Ancient Literature, Jonas Grethlein et Antonios Rengakos (dir.), Berlin/New York, Walter de Gruyter, 2009, p. 95.
  • [14]
    Anne Mackay, « The Frontal Face and “You”: Narrative Disjunction in Early Greek Poetry and Painting », Acta Classica, nº 44, 2001, pp. 5-34. Elle parle de turning points et souligne qu’elle prend l’expression au sens de la peripateia aristotélicienne (p. 11).
  • [15]
    Homère, Iliade, trad. P. Mazon [1937], avec la collaboration de P. Chantraine et P. Collart., Paris, Les Belles Lettres, 1967, t. iii, p. 128-129 (xvi, v. 786 sq.).
  • [16]
    Antoine de Nervèze, Amours diverses, divisees en dix histoires, reveuës & corrigees, Paris, Toussainct du Bray, 1611, t. I, fº 179 rº-vº.
  • [17]
    César François Oudin de Préfontaine, La Diane des bois [1629], Rouen, Jacques Cailloüé, 1632, p. 149.
  • [18]
    François de Rosset, Les Histoires mémorables et tragiques [1619], éd. Anne de Vaucher Gravili, Paris, Librairie générale française, coll. « le Livre de poche », 1994, p. 357.
  • [19]
    Mérille, La Philomène, Paris, P. Lamy, 1630, p. 356. Même exclamation chez Nervèze : « Consolez-vous (Birene) le terme de vostre delivrance approche » (Amours diverses, op. cit., « Histoire seconde », fº 101 rº-101 vº).
  • [20]
    Mérille, La Philomène, op. cit., pp. 208-209.
  • [21]
    Ibid., p. 194.
  • [22]
    Louis Moreau Du Bail, Le Sentier d’amour, Paris, Nicolas de La Vigne, 1622, p. 19 ; n. s.
  • [23]
    Ibid., pp. 45-50.
  • [24]
    Notons par ailleurs que Fouquelin définit également les passages où un personnage s’adresse à lui-même comme des apostrophes. « Aucunefois aussi nous parlons obliquement à nous-même », et il prend l’exemple de Didon s’enjoignant à elle-même de mourir (La Rhétorique françoise, [1555], dans Traités de poétique et de rhétorique de la Renaissance, éd. Francis Goyet, Paris, Le livre de poche classique, 1990, p. 423).
  • [25]
    Estienne Durand, Les Espines d’amour, où sont traitées Les infortunées Amours de Philadon & Caulisée, Paris, Gilles Robinot, 1604, pp. 95-96.
  • [26]
    Frank Greiner note bien la proximité de l’oracle et de la prolepse : l’oracle « peut remplir une fonction cohésive et participer à l’unification de la matière narrative d’un roman. À cet égard il peut en effet revêtir le rôle d’une prolepse, mais d’une prolepse obscure et incomplète et appelant donc une suite en forme de solution » (Les Secrets du destin : les oracles dans le roman français du xvii e siècle, dans Éthique, poétique et esthétique du secret de l’Ancien Régime à l’époque contemporaine, études réunies par Françoise Gevrey, Alexis Lévrier et Bernard Teyssandier, Leuven/Paris/Bristol, Peeters, 2015, pp. 251-265 ; ici p. 254).
  • [27]
    Ibid., p. 225. Nous soulignons.
  • [28]
    Anonyme, La Constance d’Alisee et de Diane, Lyon, Claude Morillon, 1602, p. 8.
  • [29]
    Ibid., pp. 9-10.
  • [30]
    Ibid., pp. 176-177.
  • [31]
    Voir notamment Frank Greiner, art. cit., p. 254.
  • [32]
    Marie-Laure Ryan, « Logique culturelle de la métalepse », dans Métalepses. Entorses au pacte de la représentation, John Pier et Jean-Marie Schaeffer (dir.), Paris, Éditions de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales, 2008, pp. 201-223 ; ici p. 207. Comme elle le note, Gérard Genette (op. cit.) s’intéresse surtout à des métalepses rhétoriques, tandis que la métalepse ontologique a été étudiée par Brian McHale (Postmodernist Fiction, Methuen, New York, 1987).
  • [33]
    Mérille, La Philomène, op. cit., pp. 59-60.
  • [34]
    Ibid., p. 244.
  • [35]
    Antoine de Nervèze, Amours diverses, divisées en dix histoires, op. cit., t. I, fº 115 vº.
  • [36]
    Nicolas Des Escuteaux, Amours de Lydiam et de Floriande, Paris, T. du Bray, 1605, f. 41 vº-42 rº.
  • [37]
    Louis Moreau Du Bail, Le Sentier d’amour, op. cit., pp. 19-22.
  • [38]
    « Où il se voit le combat avec Amphidamas ; Leur fuitte ; Leur peril sur la Mer ; Leurs victoires sur les Corsaires ; Leur abord dans Seuille ; Leur mariage ; L’empoisonnement de Pollidame par Vincentia ; Et la mort de Deiphile ».
  • [39]
    Ibid., p. 180.
  • [40]
    Antoine de Nervèze, Amours diverses, divisées en dix histoires, op. cit., t. I ; Histoire seconde, fº 115 vº.
  • [41]
    Antoine de Nervèze, Amours diverses, divisées en dix histoires, op. cit., « Histoire seconde », vol. 1, fº 113.
  • [42]
    Ibid., fº 175 vº.
  • [43]
    Antoine de Nervèze, Les Amours d’Olimpe, & de Birene. À l’imitation de l’Arioste, Paris, A. du Breuil, 1599. L’histoire est inspirée d’un épisode du Roland furieux, mais le remanie profondément. Notamment, dans le poème italien, le roi d’Irlande, ému par l’histoire d’Olympe, l’épouse et tue l’infidèle Birene.
  • [44]
    Voir Bruno Méniel, « La disposition des Amours diverses d’Antoine de Nervèze », Études françaises, vol. 38, n° 3, 2002, p. 93-105.
  • [45]
    Antoine de Nervèze, Les Amours diverses, divisées en dix histoires, op. cit., vol. III, fº 277 rº-vº. À propos de ce passage, Yves Giraud note : « Voilà donc un troisième dénouement possible pour la même histoire [le premier étant celui du Roland furieux, le second la fin heureuse de l’histoire], tragique celui-ci, mais qui n’a pas été retenu, au profit du dénouement sentimental » (« L’Arioste à la française. Amours d’Olympe et de Birène : réécriture par Nervèze d’un épisode du Roland furieux », dans Du roman courtois au roman baroque, Emmanuel Bury et Francine Mora (dir.), Paris, Les Belles Lettres, 2004, pp. 397-411 ; ici p. 402). Il ne mentionne pas la prolepse initiale, où un dénouement tragique est bien « retenu ».
  • [46]
    Yves Giraud, « L’Arioste à la française », art. cit., pp. 407-408.
  • [47]
    Ce style est déjà raillé par ses contemporains. Au chapitre XII de La Bibliothèque française, Sorel écrit ainsi : « Nervèze pensa se montrer plus élégant [que Béroalde de Verville] dans le Livre de ses Amours diverses, qu’il remplit de Métaphores continuelles et d’autres figures le plus souvent si contraintes, que le sens en était extravagant ou peu intelligible » (éd. cit., p. 306). Voir, à ce sujet, Roger Zuber, « Grandeur et misère du style Nervèze », dans Jean Lafond et André Stegmann (dir.), L’Automne de la Renaissance (1580-1630), Paris, Vrin, 1981, p. 53-64.

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