Notes
-
[1]
Voir principalement les travaux de Marie-Hélène Froeschlé-Chopard depuis 1995, réédités dans Regards sur les bibliothèques religieuses d’Ancien Régime, Paris, H. Champion, 2014.
-
[2]
David N. Bell (ed.), The Library of the Abbey of La Trappe. A Study of its History from the Twelfth Century to the French Revolution, with an Annotated Edition of the 1752 Catalogue, Turnhout, Brepols, 2014. Le catalogue en question est conservé à la B.M. Rouen, ms. 2240, Catalogue des livres de la bibliothèque de La Trappe, 182 p.
-
[3]
Sur cette réforme, ses aspects spirituels et institutionnels, voir Louis J. Lekai, The Rise of the Cistercian Strict Observance in Seventeenth Century France, Washington, The Catholic University of America Press, 1968 ; Réformes et continuité dans l’ordre de Cîteaux. De l’Étroite Observance à la Stricte Observance, Brecht, s.n., 1995.
-
[4]
David N. Bell, op. cit., p. 141.
-
[5]
Blandine Kriegel, La Querelle Mabillon-Rancé, Paris, Quai Voltaire, 1992 ; Daniel-Odon Hurel, Le Moine et l’historien. Dom Mabillon : œuvres choisies, Paris, Robert Laffont, 2007, pp. 367-379.
-
[6]
Richard Cadoux, « Autour de la notion de décadence monastique : La querelle entre Rancé et Le Masson », Transversalités, 2004, n° 91, pp. 99-120.
-
[7]
Voir les analyses de Brian Stock, Lire, une ascèse ? Lecture ascétique et lecture esthétique dans la culture occidentale, trad. fr. Grenoble, J. Millon, 2008.
-
[8]
Sur ces concurrences, voir Jugement critique mais équitable des vies de feu M. l’abbé de Rancé, Londres, 1742 ; Louis J. Lekai, « The problem of the authorship of Rancé’s ‘standard’ biography », Collectanea Ordinis Cisterciensium Reformatorum, 1959, t. 21, pp. 157-163 ; Alban John Krailsheimer, Armand-Jean de Rancé, abbé de La Trappe, Paris, Cerf, 1998, pp. 85-88.
-
[9]
Anacreontis carmina cum scholiis Armandi Joan. Boutillier de Rancé, Paris, J. Dugast, 1639.
-
[10]
Philippe Martin, Une religion des livres (1640-1850), Paris, Cerf, 2003.
-
[11]
Armand-Jean Le Bouthillier de Rancé, Correspondance, A.J. Krailsheimer (éd.), Paris, Cerf, 1993, 4 vol. [dorénavant Correspondance, suivie du numéro de la lettre selon l’éditeur]. Ici 581227.
-
[12]
Correspondance, 870211. Dominique Bouhours, La Vie de Mme de Bellefont, supérieure et fondatrice du monastère des religieuses Bénédictines de Notre-Dame des Anges, établi à Rouen, Paris, Mabre-Cramoisy, 1686.
-
[13]
Élisabeth Décultot, Lire, écrire, copier. Les bibliothèques manuscrites et leurs usages au xviiie siècle, Paris, Ed. du CNRS, 2003.
-
[14]
Correspondance, 580718.
-
[15]
Correspondance, 581214.
-
[16]
Correspondance, 830204.
-
[17]
Correspondance, 810424.
-
[18]
Correspondance, 900220. Il s’agit de l’Explication d’un ancien monument trouvé en Guienne, dans le diocèse d’Ausch, paru en 1689.
-
[19]
Correspondance, 890829a. Il s’agit probablement du manuscrit de Pierre Le Brun, Lettres qui decouvrent l’illusion des philosophes sur la baguette, et qui detruisent leurs systémes, qui sera publié en 1693.
-
[20]
Claude Nicaise, Les Sirènes ou Discours sur leur forme et figure, Paris, J. Anisson, 1691.
-
[21]
Correspondance, 911004.
-
[22]
Godefroid Hermant, Les Ascétiques, ou Traittez spirituels de St. Basile le Grand,... traduits en françois et éclaircis par des remarques tirées des conciles et des saints pères de l’Église, Paris, Du Puis, 1673.
-
[23]
Correspondance, 730128.
-
[24]
Correspondance, 881125. Lazare-André Bocquillot, Homélies ou Instructions familières sur les commandemens de Dieu et de l’Église, Paris, Horthemels, 1688.
-
[25]
Correspondance, 711212.
-
[26]
Correspondance, 720419a. Même propos dans une lettre à Antoine de Somont, abbé de Tamié : 780206.
-
[27]
Correspondance, 780705.
-
[28]
Fabienne Henryot, Livres et lecteurs dans les couvents mendiants (Lorraine, xvie - xviiie siècles), Genève, Droz, 2013, pp. 243-269.
-
[29]
Correspondance, 750303a.
-
[30]
Bernard Beugnot, « L’ermitage parmi les livres : image de la bibliothèque classique », Revue française d’histoire du livre, 1979, n° 24, pp. 687-707.
-
[31]
Correspondance, 751100a.
-
[32]
Julien Paris, Du premier esprit de l’ordre de Cisteaux, où sont traitées plusieurs choses nécessaires pour la conoissance & le rétablissement du gouvernement & des mœurs des instituteurs de cet ordre, 2nde éd., Paris, Vve Alliot et Gilles Alliot, 1664, pp. 200-201.
-
[33]
Armand-Jean Le Bouthillier de Rancé, De la sainteté et des devoirs de la vie monastique, Paris, Fr. Muguet, 1683 ; réédition en 1684 puis en 1687 avec des corrections et des ajouts [désormais De la sainteté…, éd. de 1683].
-
[34]
Xénia von Tippelskirch, « Radicalisme religieux et pratiques d’écriture au début de l’époque moderne en France », Archives de sciences sociales des religions, n° 150, 2010, pp. 9-17.
-
[35]
Réponse au traité des études monastiques par M. l’abbé de La Trappe, Paris Fr. Muguet, 1692, p. 302.
-
[36]
Ibid., p. 435.
-
[37]
C’est par exemple le cas des minimes : F. Henryot, Livres et lecteurs…, op. cit., pp. 89-93.
-
[38]
Rancé cite ici saint Jérôme : voir Thierry Kouamé, « Monachus non doctoris, sed plangentis habet officium », Cahiers de recherches médiévales et humanistes, 2009, t. 18, pp. 9-38.
-
[39]
Correspondance, 801005.
-
[40]
De la sainteté…, t. 1, p. 199.
-
[41]
Correspondance, 920416.
-
[42]
Correspondance, 830204.
-
[43]
De la sainteté…, t. 1, p. 204.
-
[44]
Pierre Le Nain, La Vie de dom Armand-Jean Le Bouthillier de Rancé, abbé & réformateur de l’Abbaye de la Maison-Dieu Notre-Dame de la Trappe, Paris, Delaulne, 1719 (2e éd.), pp. 427-428.
-
[45]
L’œuvre de saint Bernard fait précisément l’objet de diverses réappropriations à ce moment : voir Simon Icard, Port-Royal et saint Bernard de Clairvaux (1608-1709), Paris, H. Champion, 2010 ; Jean Mabillon donne une édition critique des œuvres complètes (Bernardi abbatis primi Clarevallensis, et ecclesiæ doctoris, Opera omnia in sex tomos distributa, Paris, Fr. Léonard, 1667) tandis que les feuillants, de filiation également cistercienne, en donnent une traduction française (Antoine de saint Gabriel (éd.), Traitez spirituels de S. Bernard nouvellement traduits en françois, Paris, J. de Laizz, 1674 et Traitez doctrinaux…, 1675).
-
[46]
De la sainteté…, t. 1, p. 304.
-
[47]
F. Henryot, « Les capucins et l’écriture aux xviie et xviiie siècles d’après la Bibliotheca de Bernard de Bologne », Études franciscaines, 2011, vol. 4, n° 1, pp. 111-143 ; « Portrait du récollet en écrivain au xviie siècle », in C. Galland et al. (dir.), Les Récollets en quête d’une identité franciscaine, Tours, PUFR, 2014, pp. 219-233.
-
[48]
De la sainteté, t. 2, p. 301.
-
[49]
Les figures des Pères du Désert sont revalorisées par Simon Martin, Les Sacrées reliques du désert, composées des vies de plusieurs saints solitaires qui ont esté fort peu connus jusques à présent, Paris, Josse, 1655 ; Arnauld d’Andilly, Les Vies des Saints Pères des déserts et de quelques saintes, Paris, s.n., 1647-1653. Les milieux port-royalistes, avant même les mauristes, ont mis en circulation des éditions fiables, en langue vulgaire, des traités ascétiques des Pères : par exemple, Arnauld d’Andilly publie en 1649 les Confessions de saint Augustin et, en 1658, L’Échelle sainte, ou les Degrez pour monter au ciel, composez par S. Jean Climaque.
-
[50]
Correspondance, 831207.
-
[51]
Correspondance, 880629.
-
[52]
F. Henryot, « L’enseignement de et par la lecture dans les noviciats de la Congrégation bénédictine de Saint-Vanne aux xviie et xviiie siècles », in I. Parmentier (dir.), Livre, éducation et religion dans l’espace franco-belge, xve - xixe siècles, Namur, Presses Universitaires de Namur, pp. 87-98.
-
[53]
F. Henryot, Livres et lecteurs…, op. cit., pp. 249-253.
-
[54]
Armand-Jean Le Bouthillier de Rancé, La Règle de saint Benoist nouvellement traduite et expliquée selon son véritable esprit, Paris, Fr. Muguet, G. et L. Josse, 1689, t. 1, pp. 293-295.
-
[55]
Ibid., p. 237.
-
[56]
Jacques Rousse, « Lectio divina et lecture spirituelle », in Dictionnaire de Spiritualité ascétique et mystique, Paris, Beauchesne, 1976, t. IX, col. 470-510.
-
[57]
Réponse au traité des études monastiques, op. cit., p. 78.
-
[58]
Marie-Raphaël Vallet, « Lectio according to Rancé », Liturgy, 1988, n° 22, pp. 21-75.
-
[59]
Réponse, op. cit., p. 254.
-
[60]
Armand-Jean Le Bouthillier de Rancé, Eclaircissemens de quelques difficultez que l’on a formées sur le livre de la sainteté et des devoirs de la vie monastique, Paris, Fr. Muguet, 1685, p. 323.
-
[61]
Ibid., p. 329.
-
[62]
Alain Viala, Naissance de l’écrivain : sociologie de la littérature à l’âge classique, Paris, Ed. de Minuit, 1985.
-
[63]
B. Kriegel, op. cit., p. 63.
-
[64]
Mathurin Queyras, Éclaircissement de cette célèbre et importante question, si le Concile de Trente a décidé ou déclaré que l’attrition conçeuë par la seule crainte des peines de l’enfer, et sans aucun amour de Dieu, soit une disposition suffisante pour recevoir la rémission des péchez et la grâce de la justification au sacrement de pénitence…, Paris, Dezallier, 1685.
-
[65]
Correspondance, 851206.
-
[66]
Eclaircissemens…, op. cit., p. 336.
-
[67]
Voir par exemple Juan de Jesus Maria, Instructio magistri novitiorum, Paris, Fouet, 1612, p. 93.
-
[68]
Pierre Le Nain, Essai de l’histoire de l’ordre de Cîteaux, tirée des Annales de l’ordre & de divers autres historiens, Paris, Fr. Muguet, 1696, t. 1, préface non paginée.
-
[69]
La règle de saint Benoist…, op. cit., t. 2, p. 290.
-
[70]
P. Le Nain, Essai…, t. 2, 1696, pp. 252-253.
-
[71]
Ibid., p. 248.
-
[72]
Armand-Jean Le Bouthillier de Rancé, Règlements généraux pour l’abbaye de Notre-Dame de La Trappe, Paris, 1701, vol. 1, p. 17 : « chaque religieux rendra ses livres quand il les aura lûs, afin qu’ils passent dans la main des autres, de crainte que sans y faire attention, il ne s’en fasse une propriété ».
-
[73]
P. Le Nain, Essai…, t. 5, 1697, pp. 115-117.
-
[74]
Voir par exemple F. Henryot, Livres et lecteurs…, op. cit., p. 114 à propos d’Antoine de Padoue.
-
[75]
P. Le Nain, Essai…, t. 7, 1697, p. 413.
-
[76]
Ibid., t. 6, 1697, p. 6.
-
[77]
Ibid., t. 1, 1696, p. 125.
-
[78]
Ibid., t. 6, p. 298.
-
[79]
F. Henryot, Livres et lecteurs, op. cit., p. ; F. Henryot, « L’enseignement… », op. cit.
-
[80]
P. Le Nain, Essai…, t. 6, p. 299-300.
-
[81]
Ibid., t. 6, 1697, p. 520.
-
[82]
Ibid., t. 5, 1697, p. 285.
-
[83]
Ibid., t. 2, p. 272.
-
[84]
P. Le Nain, La Vvie de dom Armand Jean Le Bouthillier de Rancé…, op. cit., vol. 2, livre VII, chap. II.
-
[85]
Ibid., p. 582.
-
[86]
A. J. Krailsheimer, Armand Jean de Rancé…, op. cit., p. 61-62.
-
[87]
Relations de la vie et de la mort de quelques religieux de l’abbaye de La Trappe, rééd. Paris, Delaulne, 1717-1718, 5 vol. : à propos de dom Jacques (mort en 1674, t. 1, p. 30), de dom Isidore (mort en 1694, t. 2, p. 137) et de frère Basile (mort en 1695, t. 3, p. 27).
-
[88]
Ibid., t. 1, p. 83 (religieux mort en 1683).
-
[89]
Ibid., t. 1, p. 250 (religieux mort en 1685).
-
[90]
P. Le Nain, Vie de dom Armand-Jean Le Bouthillier de Rancé…, op. cit., p. 559.
-
[91]
Relations…, t. 1, p. 59 (religieux mort en 1675).
-
[92]
Ibid., t. 3, p. 27.
-
[93]
Martine Delaveau et Yann Sordet (dir.), édition et diffusion de l’Imitation de Jésus Christ (1470-1800), Paris, BnF-Bibliothèque Mazarine, 2012.
-
[94]
Instruction sur la mort de dom Muce, religieux de l’abbaye de La Trappe, Paris, François Muguet, 1690.
-
[95]
Relations…, t. 1, p. 321 (religieux mort en 1686)
-
[96]
Ibid., t. 1, p. 272 (religieux mort en 1685).
-
[97]
Ibid., t. 5, p. 234.
-
[98]
Ibid., t. 5, p. 71.
-
[99]
F. Henryot, Livres et lecteurs…, op. cit., p. 263-269.
-
[100]
Ph. Martin, op. cit., p. 540-549.
-
[101]
Relations…, t. 1, p. 250.
-
[102]
Ibid., t. 2, p. 163-164 (dom Euthyme, né Pierre Fourdaine, religieux mort en 1685)
-
[103]
Ibid., t. 2, p. 184 (frère Bernard, né Louis Michel, religieux mort en 1694).
-
[104]
Ibid., t. 5, p. 167 (religieux né en 1663).
-
[105]
Ibid., t. 1, p. 17 (religieux mort en 1674).
-
[106]
Ibid., t. 1, p. 151.
-
[107]
Ibid., t. 2, p. 137.
-
[108]
Ibid., t. 3, p. 126-128.
1Alors que se multiplient depuis vingt-cinq ans les publications sur le contenu des bibliothèques ecclésiastiques d’Ancien Régime [1], David N. Bell a récemment édité l’intégralité du catalogue, dressé en 1752, de celle de l’abbaye de La Trappe, dans la Normandie percheronne [2]. La source vient documenter l’un des plus célèbres monastères d’Ancien Régime : celui où prit corps la réforme trappiste dans la seconde moitié du xviie siècle sous l’égide de l’abbé de Rancé (1626-1700). Certes, la réforme qui aboutira au mouvement de l’Étroite Observance de Cîteaux n’est pas née à La Trappe et elle sinue, d’abbaye en abbaye, depuis le début du xviie siècle, en Champagne et en Lorraine notamment [3], mais l’austérité prônée par Rancé et la renommée de sa direction spirituelle ont conféré une aura particulière à cette abbaye dans le dernier tiers du Grand Siècle.
2L’approche de Bell repose classiquement sur une analyse chronologique de la dilatation des collections de l’abbaye entre le xie siècle et la Révolution, et sur l’analyse thématique des ouvrages cités dans le catalogue. Bell suppose que la bibliothèque en 1752 serait, peu ou prou, la collection personnelle de Rancé telle qu’il l’avait fait déménager à La Trappe en 1662 afin de restaurer la bibliothèque commune, presque totalement dilapidée. Ce point mériterait d’être prouvé, car il s’écoule cinquante ans entre la mort de Rancé et la rédaction de ce catalogue, et la bibliothèque a pu s’enrichir dans cet intervalle, d’autant qu’un quart des livres inventoriés ont été publiés au xviiie siècle, donc après sa mort. Le contenu de cette bibliothèque s’organise certes autour des principales recommandations de l’abbé en matière de savoirs monastiques : Écritures (10 % des titres), Pères de l’Église et historiens ecclésiastiques (21 %), livres spirituels (17 %) et discipline monastique (8 %) composent l’essentiel de la bibliothèque et les savoirs profanes y représentent moins de 20 % de l’ensemble des titres. Mais il faudrait observer dans le détail la nature des ouvrages ainsi rassemblés : la Bible ne se lit pas de la même manière dans une édition savante et multilingue, et dans une édition commune, latine ou vernaculaire, en petit format, conçue pour la méditation et la lecture quotidienne. Les différentes Bibliothecae Patrum en multiples volumes in-folio signalées au catalogue [4] ne se prêtent certainement pas à la connaissance des Pères telle que Rancé la suggère à ses frères. Il y a donc loin de la possession à l’usage et le catalogue ne documente ni les modes d’entrée des livres au monastère, ni leur appropriation réelle par les moines de La Trappe. C’est pourtant là le point crucial de la question du livre chez Rancé, telle qu’elle fut soulevée dans le célèbre débat qui l’opposa violemment au mauriste Jean Mabillon [5] et au chartreux Innocent Le Masson [6] sur la question des études monastiques et, plus généralement, sur la place des savoirs et de l’érudition chez les moines, Rancé ayant pris position pour une restriction extrême de la lecture, dans ses gestes et dans ses contenus, contre l’inflation des savoirs proposée par les bénédictins. Cette querelle a déjà fait l’objet de maintes analyses et il ne s’agit pas ici de la retracer une fois de plus en détail. En revanche, cette polémique, qui a inévitablement entraîné un durcissement des prises de position et la nécessité de clarifier les points de vue, les héritages convoqués dans l’argumentation, enfin les concepts discutés, invite fermement à déplacer la question du livre à La Trappe, des contenus de la bibliothèque à l’analyse du concept de lecture, qui connaît au xviie siècle des acceptions concurrentes dont la querelle qui opposa Mabillon et Rancé ne rend compte qu’en partie [7]. Il s’agit alors de comprendre comment Rancé a construit un discours relatif à la lecture tributaire de son contexte polémique d’élaboration, et d’observer ensuite comment pouvaient (ou non) survivre cette théorie et ses applications hors de ce contexte de radicalisation, une fois le débat clos et l’abbé décédé. Pour ce faire, il est nécessaire de prendre en compte à la fois la période de réforme de La Trappe à partir de 1660, et celle de l’élaboration de la « légende » de cette personnalité hors du commun jusqu’en 1720, avec les éditions concurrentes de sa biographie qui entretiennent, selon les cas, l’apologie ou la controverse à l’égard de feu l’abbé de Rancé [8].
3Ce déplacement de problématique est servi par des sources riches et variées. Outre une importante production normative propre à un temps de réforme, de la plume même de Rancé (statuts de l’abbaye, commentaire de la Règle de saint Benoît, traités sur la vie monastique), l’historien peut compter sur l’abondante correspondance de l’abbé de La Trappe, sur les témoignages des contemporains en visite à l’abbaye et enfin, sur un important corpus de vies édifiantes des premiers religieux réformés. Ces sources permettent de définir une manière trappiste de concevoir et de pratiquer la lecture, en confrontant l’expérience de Rancé lui-même avec la manière dont, à partir des années 1680 et l’ouverture de la polémique avec Jean Mabillon, il théorise l’acte de lire et ses contenus, enfin avec la mise en place d’un imaginaire ambigu de la lecture à la Trappe à la fin de la vie de Rancé et au lendemain de sa disparition.
Rancé, du lecteur à l’anti-lecteur (avant 1683)
4Les attitudes extrêmes de Rancé à l’égard du livre, qu’il exposera avec clarté et rigueur dans De la sainteté et des devoirs de la vie monastique publié en 1683, n’allaient pourtant pas de soi. Rien, dans son origine sociale, dans sa formation, dans les pratiques de lecture et dans l’abondance de livres qu’il a connue avant son entrée à La Trappe, ne le prédisposait à ce refus.
5Né en 1626, Armand-Jean Le Bouthillier de Rancé, filleul de Richelieu, est destiné à une carrière ecclésiastique après la mort de son frère aîné. Il prend alors les manières d’un abbé de cour. Chanoine de Notre-Dame de Paris, abbé commendataire dès l’âge de douze ans, il poursuit le cursus intellectuel d’un jeune homme de sa condition. Il a treize ans quand il publie une notice érudite sur les œuvres du poète grec Anacréon [9]. Il étudie brillamment la philosophie, le droit et les humanités. Il est diplômé maître ès arts en 1643, puis entreprend un doctorat de théologie obtenu en 1654. Il est ordonné prêtre en 1651 mais conserve toutefois une vie brillante et toute profane au cœur des salons parisiens. Sa liaison, dont la nature reste controversée, avec la duchesse de Montbazon prend fin le 26 avril 1657 lorsque celle-ci décède de la fièvre scarlatine. Endeuillé et peut-être influencé par ses amis de Port-Royal qui avaient choisi la solitude après une vie souvent aussi mondaine que la sienne, Rancé décide de s’ensevelir à Veretz, la propriété familiale en Touraine. Il y mène une vie qui, sans être réellement austère, rompt avec les mondanités parisiennes. À partir de 1659, il cherche à se débarrasser de la plupart de ses bénéfices. Une visite de La Trappe, dont il est abbé commendataire, en 1660 lui fait prendre conscience de sa décadence matérielle et spirituelle et il demande l’introduction de religieux de Perseigne, abbaye dans la mouvance de l’Étroite Observance, pour réformer la communauté. En mai 1663, il commence un noviciat et l’année suivante, il est élu abbé régulier. Sa réforme est approuvée par Rome en 1677. La Trappe devient alors l’emblème non seulement du retour à l’austérité cistercienne primitive, mais aussi du retrait du monde et de l’anéantissement de soi, deux attitudes qui séduisent alors les milieux aristocratiques parisiens et une part du monde régulier en quête d’une surenchère d’observance.
6Cet itinéraire des milieux mondains et de la cour vers la solitude d’une région de forêts et d’étangs, des milieux lettrés et érudits vers le renoncement cistercien à tout savoir profane, se cristallise dans les débats concernant l’étude des moines et leurs lectures. Le parcours de Rancé en la matière est révélateur d’une évolution plus discrète, encore qu’elle ne soit pas dépourvue d’ambiguïtés, au cours de laquelle le futur réformateur de La Trappe, lecteur forcené, va devenir un anti-lecteur, à rebours des pratiques sociales et culturelles de son temps. En effet, tandis que les milieux ecclésiastiques, qu’ils se consacrent à l’érudition, la réflexion dogmatique ou l’apostolat, revendiquent une lecture extensive inscrite dans les pratiques savantes et spéculatives ; tandis que le monde laïc et dévot connaît un net élargissement des lectures servi par la mise en circulation d’un nombre grandissant de textes [10], Rancé parcourt le chemin contraire.
7La correspondance de Rancé est sans aucun doute le lieu des confidences les plus précises sur ses lectures et ses manières de lire. Les missives témoignent qu’avant d’être le théoricien de la lecture qui s’opposera vigoureusement aux ecclésiastiques les plus savants de son temps, il a été un praticien. Il avoue, d’abord, combien cette activité lui est agréable. Le « Petrus Aurelius », vraisemblablement un traité d’ecclésiologie de Saint-Cyran qui avait adopté ce pseudonyme, lui donne « d’extrêmes plaisirs » durant l’été 1658 dans sa retraite de Veretz. En fin lettré, il est sensible aux qualités littéraires des livres les plus arides, ainsi qu’il l’exprime à propos d’une défense d’Arnauld d’Andilly [11]. Il se dit « touché au-delà de ce que je puis vous dire » par les maximes chrétiennes de Laurence de Bellefonds éditées par le jésuite Bouhours en 1686 [12]. Les pratiques associées à la lecture sont également celles de ses contemporains lettrés. En décembre 1658, le « Petrus Aurelius » l’absorbe toujours et il achève d’en faire des « extraits », c’est-à-dire d’y prendre des notes, ainsi que le recommandent les théoriciens de la lecture au xviie siècle [13]. La lecture est
un chemin que l’on ne peut faire sans s’arrêter à tous les moments, et […] je n’envisage nullement la longueur de la carrière mais seulement la beauté du voyage que j’ai entrepris, que je suis en peine de le bien faire et non pas de le finir,
9écrit-il à Robert Arnauld d’Andilly en 1658 [14]. Les chemins sont parallèles et multiples : durant l’automne et l’hiver 1658, il lit simultanément l’ouvrage de Saint-Cyran, un ouvrage polémique de Du Perron non identifié, enfin les œuvres d’Eusèbe de Césarée sur l’histoire de l’Église primitive [15]. Les livres, dit-il, demandent du soin et de l’étude. Sa méthode quotidienne consiste à dépouiller sommairement les volumes qu’il vient de recevoir pour s’en faire une idée (ce qu’il appelle la « première inspection [16] »), puis de consacrer du temps – jamais autant qu’il le souhaiterait – à une lecture minutieuse d’un ouvrage choisi, généralement d’histoire ecclésiastique, de polémique janséniste ou de théologie. Il s’adonne parfois à des lectures plus variées, y compris lorsqu’il a quitté Veretz pour La Trappe et accompli sa spectaculaire conversion. En 1681, il lit, ou tout au moins feuillette, le Discours de l’histoire universelle de Bossuet que l’auteur lui a fait parvenir [17] ; en 1689, il se plonge dans un petit opuscule d’archéologie que son ami Claude Nicaise, prêtre et érudit, lui a envoyé et à propos duquel il écrit cette phrase significative des débats intérieurs que provoque en lui l’application stricte de l’esprit aux choses spirituelles :
il n’y a rien de plus recherché, de plus agréable à lire, ni de plus capable de faire renaître le désir du goût des choses auxquelles on a renoncé pour jamais : je veux dire celui des lettres humaines [18].
11Un ouvrage de Le Brun sur la divination par les baguettes [19] le fait renouer avec l’intérêt qu’il avait éprouvé dans sa jeunesse pour les prédictions et l’astrologie. En 1691, il accuse réception d’un ouvrage de Nicaise sur les sirènes [20] mais se contient de le lire, s’excusant auprès de l’auteur tout en admettant qu’il est très tenté par cette lecture : « Toutes les espèces fabuleuses se sont réveillées, et j’ai reconnu que je n’étais pas encore autant mort que je devrais l’être [21]. » Malgré tout ce que Rancé peut affirmer, il semble donc qu’il ait conservé, vingt et trente ans après sa conversion, des habitudes de lecture nettement plus larges que celles qu’il préconise aux cisterciens réformés. Cette diversité tient à l’étendue et l’indéfectibilité des amitiés nouées avant son entrée à La Trappe. Quarante-six missives accusent réception, avec bienveillance et gratitude, de livres adressés par des amis : Arnauld d’Andilly, Nicaise, Bossuet, Quesnel, Nicole, Henri Barillon, Mathurin Quéras, Lazare Bocquillot et quelques autres font converger vers La Trappe des livres récents, espérant une critique, un éloge, enfin une reconnaissance de l’abbé devenu une sorte d’arbitre de la pensée ecclésiastique du second xviie siècle. Se constituent ainsi des échanges de livres entre membres d’une « République des clercs » qui se connaissent et s’estiment même s’ils n’ont pas les mêmes positions doctrinales, autour de l’édition savante des œuvres de Pères de l’Église et de l’histoire ecclésiastique.
12La lecture, en outre, est faite dans une intention polémique et critique. Le 28 janvier 1673, il remercie Godefroid Hermant pour l’envoi des traités ascétiques de saint Basile qu’il vient de publier [22]. L’helléniste en lui se réveille à la lecture de l’ouvrage, estimant que certains termes grecs sont traduits approximativement, ce qui pourrait avoir des conséquences fâcheuses pour l’austérité alimentaire qu’il cherche à imposer à La Trappe. Il s’agit de nuancer l’expression « petite portion de chair salée » par « petit morceau de saline », afin de ne pas présupposer qu’il s’agit de viande, proscrite dans l’Étroite Observance. Pour justifier sa traduction, Rancé dit avoir consulté Le jardin des racines grecques de Lancelot, le dictionnaire de grec de Favorino Guarino, l’Onomasticon du philologue grec antique Pollux, le Lexicopator Etymon de Jean Chéradame, le Lexicon de grec imprimé par Gryphe en 1545, les comédies d’Aristophane… et très accessoirement, les traités des Pères de l’Église [23].
13Cette pratique de lecture, commune à l’ensemble du réseau lettré auquel il appartient et que la solitude à La Trappe n’affaiblira pas, s’explique notamment par le fait que Rancé est appelé à expertiser des manuscrits avant publication. Nombre des lettres adressées en guise de remerciement aux amis qui lui envoient des ouvrages alignent les formules répétitives des approbations officielles publiées en tête des ouvrages par les supérieurs ecclésiastiques. Rancé endosse ainsi le rôle de l’expert chargé de juger les livres, plus que de l’ami qui les reçoit avec bienveillance. À Lazare Bocquillot, qui lui a envoyé le premier tome de ses Homélies en 1688, il rapporte : « Je le lus avec soin et avec plaisir, je n’y vis rien qui ne me donnât de l’édification, qui ne me parût d’une grande utilité pour l’instruction du public [24] » : autant de mots qui sont systématiquement présents sous la plume des approbateurs du temps.
14Dans ces circonstances, jusqu’au commencement des années 1680 au moins, Rancé ne développe pas, à propos de la lecture, de théorie originale. Il se contente, au fil des conseils spirituels dispensés à des confrères, d’énoncer des évidences partagées par la plus grande part du monde monastique. À Robin Couturier, prieur de Perseigne, il rappelle que l’observance tient dans trois points : la prière, l’assiduité au chœur et « la lecture des choses saintes », notamment des écrits des Pères de l’Église qui permettent « de se maintenir dans l’esprit monastique » [25]. Charles de Bentzeradt, abbé d’Orval qui entreprend une réforme symétrique de celle de La Trappe à la frontière entre la Lorraine et les Pays-Bas, et qui s’inquiète de la formation de ses frères, se fait répondre que « si vous vous hâtez, dans ma pensée vous gâterez tout, l’étude altère l’esprit de piété, dessèche le cœur et nuit beaucoup à ceux qui n’ont pas encore une vertu affermie et qui ne font que commencer à servir Dieu [26] ». Trop de lecture, pense-t-il, est défavorable à la contemplation en dissipant l’esprit. Il propose aussi d’adapter le contenu des lectures au statut et à la fonction du religieux, les convers et les plus humbles n’ayant pas besoin de lire beaucoup, et encore moins des choses savantes, tandis que ceux qui ont une charge pastorale peuvent acquérir un vernis de théologie. Mais à tous, il recommande de se tenir loin des querelles dogmatiques, qui ne sont point conformes à la condition monastique [27]. Il n’y a là rien d’original : ce sont les préconisations faites à tous les réguliers, quelle que soit leur robe, au cours du xviie siècle [28]. Vers 1675, toutefois, il franchit un degré dans cette théorisation de la lecture en rattachant ce geste et les bienfaits qui en sont attendus à l’observance cistercienne primitive. À Nicolas Pinette, dévot pénitent et ami intime de Rancé, celui-ci rappelle en 1675 que la bibliothèque de l’abbaye est devenue inutile, puisque les moines, conformément à leurs statuts, sont absorbés par les travaux manuels [29]. Le propos tranche doublement avec l’esprit du temps. D’une part en ce que s’impose au même moment l’image de « l’ermitage parmi les livres » véhiculée par la littérature, qui lie au contraire le retrait du monde et le recueillement de soi dans un espace confiné et restreint délimité par les livres [30] ; d’autre part parce que les abbayes, prieurés ou couvents mendiants contemporains, à l’échelle de leurs moyens matériels, reconstituent leurs bibliothèques parfois malmenées par les guerres du xviie siècle et y consacrent toute leur attention. La rupture est toutefois purement symbolique et de l’ordre du discours, puisque la bibliothèque ne quittera pas La Trappe, mais elle est significative. En 1675 encore, Rancé confie à Agnès de Bellefonds, carmélite et amie :
Il faut que je vous dise une régularité de nos Pères que nous avons reprise depuis peu. Nous avons fait vitrer nos cloîtres et tous nos religieux y font leurs lectures le long des jours comme on faisait il y a cinq cents ans. Les cellules ne servent que pour la nuit [31].
16Ce point peut paraître anecdotique mais il ne l’est pas. En accordant le corps et l’esprit, le rythme des mots et celui des pas si le religieux souhaite marcher en lisant, en imposant la présence des religieux les uns aux autres, la lecture dans le cloître est en résolue contradiction avec des pratiques devenues communes dans les abbayes et les couvents du temps, où cette activité est une affaire individuelle, dans le silence de la cellule. En outre, en faisant ici référence à des pratiques originelles, ou du moins estimées telles, Rancé entame une argumentation qu’il utilisera systématiquement au sujet de la lecture monastique, en rattachant le moindre geste aux pratiques antiques de l’ordre, parfois de manière abusive. Sur cette question de la lecture collective dans le cloître, en effet, les autres partisans de l’Étroite Observance se montrent alors beaucoup plus circonspects, tel Julien Paris, abbé de Foucarmont, qui estime que la lecture en cellule est permise, même si elle n’est pas conforme aux anciens usages cisterciens, car
il estoit plus commode, & mesme plus expédient pour le silence, de permettre aux religieux de faire leurs lectures dans leurs cellules, que de les obliger à les faire tous ensemble dans les Cloistres ; n’important pas beaucoup où elles se fassent, pourveu qu’on y employe le tems precrit & ordonné par la Règle [32].
18La fin des années 1670 marque une césure dans la pensée de Rancé. Tandis que l’abbaye est dotée de statuts qui sont approuvés par Rome, Rancé entreprend la rédaction puis la publication de son traité De la sainteté et des devoirs de la vie monastique (1683) [33]. Les chapitres de cet ouvrage sont issus à la fois des causeries capitulaires de Rancé devant ses frères pour les entretenir dans leur vocation et les encourager à persévérer dans cette mort à soi-même qui est le fondement de sa réforme, et de lettres de l’abbé qui avaient circulé de mains en mains dans les milieux réguliers. Cette publication a un retentissement considérable. Jusqu’alors, Rancé s’était contenté de ramener à ses vues sur la nécessité de se réformer des religieux d’élite parfaitement consentants, et de dispenser des conseils à qui lui en demandait. Ce traité ressemble désormais à un manifeste qui met en tort tout religieux, quelle que soit sa bure, qui ne respecte pas les principes rancéens. L’ouvrage est autant une exhortation à la réforme qu’une apologie de son action à La Trappe. Le ton est, tout au long des deux volumes du traité, favorable à l’humiliation du religieux et à la pénitence forcenée. Parmi les vingt-trois chapitres du traité, la section XIX, consacrée au travail des mains, est une attaque en règle contre les études monastiques, en réaction au De re diplomatica de dom Mabillon et plus généralement, à l’effervescence érudite entretenue par les mauristes dans les milieux réguliers.
19Conçu ainsi dès l’origine comme une réponse polémique à une publication monastique, le traité de Rancé ne pouvait pas ne pas engendrer à son tour de débat et avec lui, la clarification progressive, chez l’abbé de La Trappe comme chez le mauriste, des prises de position. Rancé semble avoir été forcé de formaliser sa pensée sur l’étude et la lecture et c’est au fil de cette réflexion qu’a véritablement pris forme sa doctrine, non sans l’inévitable radicalisation provoquée à la fois par sa personnalité ombrageuse, et par le recours à l’écrit dont les codes poussent, les historiens l’ont démontré [34], à une doctrinalisation excessive. Celle-ci quitte, à partir de cette date, les observations stéréotypées et les recommandations somme toute ordinaires faites au bon religieux qui ne doit pas s’abîmer avec passion dans les livres. De la sainteté et des devoirs de la vie monastique et les publications qui suivront sont l’occasion d’une véritable construction théorique qui n’aurait peut-être pas existé hors de ce contexte polémique. Rancé, poussé dans ses retranchements, a dû inventer, dans une direction qui a probablement dépassé sa pensée originelle, une conception véritablement inédite de la lecture en milieu monastique.
La construction d’une théorie rancéenne de la lecture
20En 1692, dans sa Réponse au traité des études monastiques qui sera le dernier épisode de la polémique avec dom Mabillon, Rancé revient sur sa propre expérience de lecture. Il rappelle à propos des auteurs profanes :
ce serait perdre son tems, & s’exposer à lire beaucoup de choses mauvaises, que de s’y appliquer. Je les ay lüs avant que d’être engagé dans l’estat où je me trouve. Et depuis ce tems-là, je puis vous dire, qu’ayant ouvert trois ou quatre fois Homère, Théocrite & quelques Poëtes tragiques, je les ay quittez dans le moment ; le sentiment de ma conscience me disant, que je n’estois plus propre à de telles lectures [35].
22Il se souvient aussi que dans sa jeunesse il a dévoré avec enthousiasme le récit des combats entre Scipion et Hannibal dans Tite-Live ; « et si de là il eût fallu me présenter à la prière, j’aurois fait d’étranges méditations [36] », ironise-t-il. Ces ultimes remarques montrent le repli sur soi de Rancé qui se désintéressera finalement d’un débat qui aura duré dix ans, et elles disent surtout combien l’abbé a érigé son évolution spirituelle personnelle en modèle de désinvestissement intellectuel. Il convient de revenir sur les raisons, la chronologie et les ambiguïtés de ce changement, dont témoigne toute la littérature polémique produite à la suite de la publication De la sainteté et des devoirs de la vie monastique.
23Ce changement, d’abord, a plusieurs motifs. La réforme trappiste est extrêmement critiquée pour sa sévérité. Outre une mortalité excessive de religieux dans la force de l’âge, qui n’ont pas survécu à la rigueur des mortifications demandées par Rancé, l’annihilation des compétences intellectuelles des religieux, revalorisées partout ailleurs dans le monde régulier, y compris dans les ordres originellement anti-intellectuels [37], pose problème. Dès octobre 1680, l’abbé se plaint à un religieux bénédictin, dont le nom ne nous est pas connu, du procès que l’on fait à La Trappe, de n’y pas cultiver la lecture et l’étude :
Les moines sont faits pour pleurer leurs péchés [38] et leur obligation est d’édifier le monde par la sainteté de leur vie et non pas par l’éminence de leur doctrine. L’érudition est l’écueil de l’humilité et souvent la vanité qui est la production la plus ordinaire de l’étude a fait mille blessures mortelles dans le cœur d’un homme savant sans qu’il ait pu, avec toutes ses lumières, s’apercevoir de son désordre [39].
25À ces accusations, qui forcent Rancé à clarifier sa pensée, s’ajoute une évolution personnelle qui va dans le sens d’un véritable désapprentissage intellectuel. Dans De la sainteté, l’abbé expose que les supérieurs, « solitaires » comme leurs frères, n’ont pas à être plus instruits que les autres religieux, mais plutôt d’être exemplaires en matière d’observance. La mortification doit même être portée à un point extrême puisque la plupart de ces abbés, venus comme lui d’un milieu instruit, ne doivent pas seulement ne pas apprendre, mais aussi oublier ce qu’ils savent pour redevenir ignorants [40]. Rancé dira ainsi à Claude Nicaise à propos de son commentaire d’Anacréon publié l’année de ses treize ans :
Ce que j’ai fait sur Anacréon n’est rien de considérable ; qu’est-ce que l’on peut penser à l’âge de douze ans qui mérite qu’on l’approuve ? J’aimais les lettres et je m’y plaisais, et voilà tout [41].
27En outre, un supérieur est donné à ses frères, et ne peut donc pas retrancher du temps pour s’adonner à la lecture. La correspondance de Rancé témoigne, après 1683, que s’il ne cesse de recevoir de nombreux livres envoyés par des amis, il ne semble plus les lire en entier et se contente de formuler un remerciement poli, hormis pour les livres de spiritualité et les écrits des Pères, qu’il lit avec attention. Il écrit cette année-là au président de Mesmes à propos d’un envoi de livres : « Je n’ai pas encore eu le temps de les lire [42]. » Un abbé savant, pense-t-il, n’est pas un guide pour ses frères, se contentant d’être « dans la Communauté, vivant à luy-mesme, au lieu d’y vivre pour les autres [43] ».
28C’est donc finalement une question de charité : le temps, l’esprit et le cœur de l’abbé appartiennent à ceux qu’il sert. Pierre Le Nain, prieur de La Trappe et auteur d’une biographie de Rancé, le rappellera encore quinze ans après la mort de l’abbé, afin d’accorder l’idéal rancéen de refus des activités de l’esprit et l’abondante production littéraire de Rancé : celui-ci, qui partage avec ses frères la prière et le travail manuel sans dispense, qui dirige une abbaye, trouve encore le temps d’écrire « tant de Livres si excellens & si utiles à l’Eglise » car
l’Esprit saint conduisoit la main de M. l’abbé de la Trappe […]. Car pour en donner en exemple, il composa son Explication de la règle dans l’espace de quatre mois, & dans le tems qu’il etoit le plus accablé de visites des plus grands Seigneurs du Royaume & d’affaires importantes [44].
30En quoi Rancé s’impose comme un nouveau saint Bernard, figure tutélaire et malgré tout embarrassante dans la réforme trappiste, puisque le saint moine était indiscutablement un savant fort occupé à l’étude et à l’écriture [45]. Pour Rancé, le temps consacré au repentir et à la prière sera plus utile que les prédications et l’écriture, qui sont certes plus visibles pour le public, mais moins efficaces pour le salut du monde et des États [46]. La charité monastique devient ainsi un concept ambigu, puisque c’est aussi en son nom que Mabillon justifie en partie le temps consacré aux études chez les mauristes ; plus généralement, le discours sur l’émergence de l’écrivain ecclésiastique, au xviie siècle, s’appuie sur le service, la justice et la charité pour justifier cette mondanisation du régulier, censé rester discret dans son cloître mais appelé aussi à l’apostolat et à l’efficacité pastorale pour lesquelles la mobilisation de l’écrit est indispensable [47]. Ce désapprentissage et cette désolidarisation des causes apostoliques, dont Rancé se veut le modèle, fondent une théorie de la lecture qui va en se précisant et en se durcissant dans les années 1680 et 1690.
31La chronologie est en effet capitale pour repérer la radicalisation de Rancé. Dans le traité De la sainteté et des devoirs de la vie monastique, d’abord, il expose des vues sur la lecture monastique qui sont en rupture revendiquée avec les pratiques devenues communes dans le monde régulier contemporain. Cette théorie se caractérise par la restriction progressive du champ des lectures pour n’en conserver qu’un corpus minimaliste, puisque la vraie science du cloître ne s’acquiert pas par la lecture, mais par la persévérance dans la réforme. Saint Benoît recommande certes la lecture, au chapitre 48 de sa règle, mais la cantonne à celle des Écritures, des ouvrages des Pères et des saints Moines, et à leurs vies. Les solitaires, écrit Rancé en paraphrasant Jean Climaque, « ne rendront pas compte à Dieu de ce qu’ils n’auront pas pénétré les mystères de la Théologie, mais de ce qu’ils n’auront pas assez pleuré leurs péchez [48] ». L’abbé de La Trappe propose donc la lecture, continue et répétée, de la vie des Pères du Désert, des œuvres spirituelles de saint Bernard, d’Augustin, de Jean Climaque, de Cassien, d’Éphrem et de Basile comme une voie spirituelle neuve et profonde de rénovation monastique. Peut-être pas si neuve, toutefois, car ces conseils sont contemporains de la mise en circulation de nouvelles éditions de ces textes, signe d’une forte demande du public régulier autant que laïc [49]. Il ajoute, timidement, quelques livres de théologie pratique sur les cas de conscience, la Morale de Grenoble, les Conférences de Luçon et le catéchisme tridentin pour les religieux destinés au soin des âmes, estimant que « cette application ne mérite pas le nom d’étude et cependant elle est suffisante, et je ne pense pas qu’il en faille davantage pour un homme qui vit dans les cloîtres [50] ». Il s’en rétractera, du reste, un peu plus tard. Si les textes pointés par Rancé font globalement l’unanimité, c’est sur ceux qu’il exclut de la lecture des moines que le débat est vif. Au P. de La Grange, religieux de Saint-Victor, il écrit le 29 juin 1688 que les religieux ont seulement à connaître les principaux articles de foi sans matériaux théologiques pour les discuter, et que la lecture des Écritures et des Pères est bien suffisante pour avancer en piété [51]. Cette restriction semble anachronique au moment où la plupart des ordres religieux, après de longues décennies de suspicion à l’égard de la lecture et de la science, élargissent le champ des lectures possibles pour les religieux, attitude particulièrement sensible chez les bénédictins [52] et les religieux mendiants [53], dont les lectures s’adossent aux écrits mystiques français et espagnols et à toute une littérature, principalement jésuite, de piété et d’ascèse. Pourtant, Rancé s’obstine dans cette voie de la restriction : dans son commentaire de la règle de saint Benoît donné au public en 1689 en réponse à celui du bénédictin dom Mège, Rancé limite encore les lectures des moines aux seules Écritures, sans interdire formellement les écrits spirituels des Pères de l’Église ou les Vies des Pères du Désert, mais en leur accordant une importance moindre [54]. La Bible contient tout et enseigne le renoncement à soi-même, la préférence de la pauvreté, la mortification de la chair et de l’esprit, l’endurance à l’observance, la pénitence et le mépris des gloires terrestres. Puis, en 1692, à nouveau poussé à la polémique par dom Mabillon qui a publié son célèbre Traité des études monastiques l’année précédente, Rancé propose de limiter l’accès à l’Ancien testament, hormis les Psaumes qui « tous seuls sont capables de sanctifier tout un monde [55] ». La lecture des Pères est réduite à Cassien, le favori de Rancé,
la Philothée de Théodoret, les Traitez de saint Ephrem, de saint Nil, les Epîtres de saint Isidore de Damiette, l’Echelle sainte de saint Jean Climaque, les Instructions de saint Dorothée, les Vies des saint Pères du Désert, les Actes des Martyrs, & puis les Ascétiques & les Morales de saint Basile.
33Ce sont les mêmes livres qui doivent être commentés aux conférences monastiques : ainsi, qu’il soit seul et silencieux dans le cloître, ou en communauté, le moine s’impose une lecture circulaire, répétitive, ruminée à l’extrême. Les écrits apologétiques des Pères sont à éviter car ils disposeraient les moines à la critique, cette plaie du crépuscule du xviie siècle et du début du siècle suivant. Le pastoral de saint Grégoire, les homélies de Jean Chrysostome n’apparaissent pas dans la liste alors qu’ils sont unanimement conseillés aux religieux. Rancé revendique ainsi, dans cet appauvrissement de la connaissance, un rétrécissement salutaire de l’intelligence favorisant le recueillement de soi, là où Mabillon est persuadé que les savoirs sont interdépendants et qu’il n’est pas possible d’être bon moine sans être théologien, d’être théologien sans être exégète, d’être exégète sans être historien, d’être historien sans être versé dans la littérature et les sciences de tous les lieux et de tous les temps. Mais n’est-ce pas un luxe que Rancé peut se permettre, que ce renoncement aux savoirs dont il a fait l’acquisition, tandis que Mabillon, issu d’un milieu plus modeste, était travaillé par l’enthousiasme d’apprendre ? Cette limitation est aussi le gage de la paix de l’âme et des communautés. Il estime en effet que la lecture savante implique nécessairement le conflit, l’appartenance à une école, un parti. Ainsi, au terme de la querelle sur les études monastiques, le trappiste n’a plus guère que cinq à six volumes à sa disposition, et un seul à la fois : un dépouillement intellectuel sans commune mesure avec la fascination de l’abondance et l’angoisse de la perte qui caractérisent l’attitude générale des réguliers à l’égard de l’écrit au tournant des xviie et xviiie siècles.
34Le propos de l’abbé de Rancé n’est pourtant pas exempt d’ambiguïtés. Celles-ci tiennent à l’absence de clarification de la notion de lecture chez Rancé. Outre que le débat avec Mabillon porte sur les études et l’érudition, et non pas sur le bien-fondé de la lecture de piété, Rancé ne se donne pas la peine de qualifier précisément ce qu’il entend par lecture. Il n’emploie jamais le terme de lectio, lui qui revendique de revenir aux pratiques originelles des fils de saint Benoît. Au fil des traités polémiques publiés entre 1683 et 1692, les définitions qu’il en donne sont contradictoires et confuses. La lectio divina, en effet, celle que pratiquaient les premiers disciples de Benoît, est une lecture à la fois vocale et visuelle qui peut aussi donner lieu à une récitation de mémoire des textes ressassés. Ce qui est lu devient ainsi non seulement connaissance, mais aussi action. C’est une lecture énergique, mais lente, tranquille, méditative, attentive, nourrie du retrait du monde. Il s’agit pour le moine de recevoir la Parole de Dieu et de l’ingérer pour qu’elle pénètre son âme et la purifie, sans chercher à l’expliquer. Elle s’appuie exclusivement sur la Bible [56]. Certes, chez Rancé, la lecture de la Bible est l’occasion d’une rencontre avec Dieu et une manière de nourrir l’âme et ce texte passe avant tous les autres [57]. Il n’en reste pas moins des écarts flagrants avec la forme et le contenu de la lectio divina. Car à La Trappe, la place conservée aux Pères et aux textes édifiants telles les Vies des Pères du Désert montre que l’abbé n’assume pas cet héritage bénédictin primitif. Son vocabulaire, en outre, est ambigu : la lecture serait une forme d’apprentissage, elle aurait une fonction didactique et les livres, même en nombre réduit, seraient les mentors des moines. Ce n’est certes pas l’ambition de la lectio divina au sens strict. Est-ce à dire que Rancé se replie sur les modalités et la fonction de la lectio spiritualis, née au xiiie siècle et largement répandue, au xviie siècle, dans les milieux réguliers et laïcs ? Celle-ci laisse une large place à la méditation et à l’introspection, en laissant agir des associations d’idées par le passage du texte extérieur à la personne intérieure, en recourant aux images visuelles. Il s’agit cette fois d’une lecture silencieuse, qui vise l’exploration du sujet en faisant naître des pensées contrôlées. Rancé propose justement une lecture dont les modalités et la justification empruntent beaucoup à la lecture spirituelle. Enchâssée dans la prière qui ouvre et clôt cet exercice, elle implique une lecture lente, méditée, d’un seul livre à la fois, en prenant des notes pour mémoriser ce qui est lu, puis en laissant agir la lecture dans le cœur pour y chercher les applications concrètes dans la vie monastique quotidienne, faire son examen de conscience ou rendre grâce [58]. Il est bien question, sous sa plume, d’images qui doivent se former dans l’âme comme dans un miroir [59]. La lecture est un exercice ritualisé à vertu pédagogique et contemplative. Cette confusion montre la difficulté de Rancé de s’extraire des pratiques de son temps, et le caractère artificiel de tout retour à un âge originel fantasmé.
35L’explication de cette difficulté tient dans le fait que la lecture chez Rancé n’est pas tant une pratique codifiée qu’un concept qui concentre en lui toute une idée de la vie monastique, avec sa part d’abstraction et d’idéalisation : une « représentation » de l’observance cistercienne, en somme. Elle met en lumière un rapport au monde, à l’Église et au salut propres au périmètre trappiste : le solitaire doit se sauver lui-même, quand le clerc doit sauver autrui. À se demander même, si Rancé croit vraiment aux vertus de la lecture. Car il y voit aussi quatre dangers.
36Premièrement, elle est une fuite : fuite des exercices monastiques, fuite du travail manuel [60]. Elle est donc l’exact opposé de l’observance. La solitude est supposée incompatible avec l’étude et les lectures trop subtiles, dans leur teneur et dans leur mécanisme intellectuel (prise de note, compilation, digestion), car elles s’avèrent inutiles dans le projet de rédemption par le retrait du monde [61]. C’est donc le modèle monastique qui est tout entier contenu dans ce débat sur la place et la fonction du livre. Pour Rancé, le religieux solitaire doit se contenter de la « science des saints », transmise par un corpus restreint de lectures, les mêmes pour tout le monde. La spécialisation intellectuelle ou même purement spirituelle (il est admis dans la plupart des ordres que dans la contemplation aussi, tout le monde n’a pas les mêmes capacités, notamment chez les commençants) n’est pas autorisée chez Rancé. En cela, Rancé se positionne contre le pragmatisme de la plupart des ordres religieux, où chacun lit selon ses compétences et la finesse de son esprit. Au fond, Rancé craint la rupture du corps monastique, bien plus que la perdition des individus, et cherche à éviter l’éclatement de la communauté à partir de lectures restreintes et standardisées.
37Ensuite, la lecture présente le risque de nourrir la représentation de soi comme individu. L’entrée au monastère doit en effet, pour être authentique, être un anéantissement de soi, or la science ramène forcément l’individu à lui-même en tant qu’esprit autonome, voire en tant qu’écrivain, en un temps où l’auteur conquiert une indépendance et une autorité nouvelles [62]. Comment opérer ce retour « à l’état d’innocence du rapport de soi à soi [63] » en encombrant l’esprit de lectures trop variées ? À quoi on pourrait objecter, malgré tout, que ce patient travail sur soi demande aussi beaucoup d’orgueil et une paradoxale attention à soi-même, dont la lecture spirituelle pourrait précisément détourner. Rancé le concède, du bout de la plume : la lecture a la vertu de rappeler, par l’exemple des saints, la rumination de la Parole de Dieu et la méditation des propos spirituels des Pères, les fondements de l’état monastique.
38En troisième lieu, Rancé ne croit pas à la lecture agissante : le livre ne peut convaincre que les convaincus. Il est persuadé que l’étude théologique est inutile pour l’avènement d’une Église pacifiée. En 1685, remerciant Mathurin Queyras, oratorien qui lui a fait parvenir son opuscule sur l’attrition et la contrition [64], il le félicite pour la solidité de sa doctrine mais remarque, désabusé, qu’il ne suffit pas que la lumière soit dans l’esprit de celui qui écrit si elle déserte celui du lecteur [65]. À quoi bon, en effet, lire des livres de théologie ? Celui qui croit de manière ferme et orthodoxe n’y gagnera rien, et celui qui ne croit pas n’en sera pas plus édifié. La lecture spirituelle vient alors raffermir l’âme de celui qui a déjà opéré sa conversion et son retrait du monde.
39Enfin, la lecture n’est pas pour Rancé une activité qui permettrait, comme le suggèrent Mabillon et bien d’autres théoriciens de la vie régulière, d’empêcher l’oisiveté dénoncée par les règles monastiques. La lecture est une « désoccupation [66] » car il estime que l’acte de lire, comme action mentale et psychologique, est stérile en consistant la plupart du temps en un passage formel de signes graphiques devant les yeux, non profitable à l’esprit qui n’assimile pas les savoirs. L’assoupissement et une certaine forme d’anesthésie guettent le lecteur. Certes, les auteurs ascétiques du xviie siècle n’ignorent pas cette pente naturelle de l’esprit soumis à la lecture passive et les difficultés de concentration pour les religieux ou les laïcs à qui sont destinés les traités spirituels qui inondent le marché du livre. Dans les milieux carmélitains, par exemple, la lecture est proposée au contraire comme une alternative à la paresse et au désœuvrement, en ce qu’elle permet de fixer l’esprit du religieux sur de saintes pensées même si elle n’ouvre pas à la contemplation au sens strict, surtout pour les religieux débutants [67]. Rancé, lui, est formel : une lecture trop étendue « accable » et « ruine » plus qu’elle ne fait progresser le moine, en le soumettant au risque de la langueur et de l’insensibilité.
40La lecture, qui emprunte beaucoup chez Rancé à la lectio spiritualis et un peu à la lectio divina, garde le mérite de conserver l’esprit de retraite par son caractère solitaire et répétitif, qui abolit le temps et le lieu pour ne plus prendre en compte que l’espace intérieur du moine, le seul qui mérite une rénovation profonde. On le voit, les théories de Rancé sont beaucoup plus complexes que les propos tenus sous le coup de la provocation polémique ne le laissent voir d’emblée. Il construit, contre un modèle émergent de savant ecclésiastique, un nouvel imaginaire de la lecture monastique. Il reste à évaluer si cette refondation aurait encore du sens hors de ce contexte de radicalisation, et à quel jeu d’interprétation elle donne lieu une fois la querelle apaisée et Rancé décédé, le 27 octobre 1700.
La fabrique ambiguë d’un imaginaire trappiste de la lecture
41Alors que la réforme a conquis une partie de la constellation cistercienne et a trouvé dans le monde laïc friand de solitude et d’ascèse une caisse de résonance, commence l’écriture de la légende de Rancé et de sa réforme. Deux pratiques sont à l’œuvre dans ce processus : enraciner la réforme trappiste dans l’héritage bernardin en soulignant les continuités entre la mystique de Rancé et celle des premiers moines d’une part, et écrire les biographies de Rancé et de ses frères d’autre part. Dans les deux cas, le récit biographique est l’occasion d’incarner la réforme dans les pratiques et les gestes d’individus réels, non sans un exercice évident de réécriture et de reconstruction. En outre, le recours au genre biographique est aussi le moyen de tirer des recommandations très générales de pratiques individuelles et favorise, pour le lecteur, l’identification au personnage exemplaire, qu’il évolue dans un Moyen âge conventionnel et fort peu documenté historiquement, ou dans des temps plus contemporains. Deux attitudes se font jour : l’écriture d’un récit qui gomme les tâtonnements de Rancé et à l’inverse, la difficulté à assumer la marginalisation trappiste en matière de lecture.
42La première attitude est celle de Pierre Le Nain (1640-1713), fidèle lieutenant de Rancé. Il est sous-prieur de La Trappe lorsqu’il tente une grande fresque d’histoire cistercienne, qu’il publie en 1696-1697. Son Essai de l’histoire de l’ordre de Cîteaux est une succession de récits hagiographiques sur les religieux de l’ordre durant les cent trente premières années de la réforme. Cette restriction chronologique est déjà le symptôme de l’idéalisation des premiers temps de l’ordre en âge d’or au cours duquel « un Déluge de grâces […] s’y répandit avec tant de profusion », ainsi que l’auteur l’expose dans sa préface. Ce recours au mythe des origines est indispensable dans la fabrique d’un imaginaire trappiste lié étroitement au tronc originel de Cîteaux et de ses filles. Il lui confère force et légitimité. Pierre Le Nain revendique explicitement le choix du genre édifiant plus qu’historique, puisque ce dernier le placerait dans la position, gênante à La Trappe, de l’écrivain érudit dont la réforme se méfie, d’autant que ses liens fraternels avec l’érudit Louis-Sébastien Le Nain de Tillemont pouvaient attirer sur lui la suspicion. Aussi Le Nain rappelle dans les premières pages de sa fresque que ses infirmités l’ayant empêché de pratiquer tous les exercices réguliers comme il l’aurait souhaité, il a compensé cette défaillance d’observance, « avec l’agrément de son supérieur », par la lecture des vies des saints de son ordre, « sans autre dessein que celui de remplir saintement le tems qu’il avoit alors à lui plus que de coutume, & de suppléer par cette occupation au défaut du travail des mains » [68]. Ce faisant, Le Nain ne fait finalement qu’adopter l’argumentation bénédictine sur la compensation du travail manuel par la lecture et l’écriture, mais il minimise le fait par l’absence, sans doute volontaire, de toute citation érudite et référence savante dans son texte.
43Toujours est-il que Pierre Le Nain cherche à établir un lien entre les « Martyrs de la Pénitence » que furent les premiers cisterciens, et ceux qui, cinq siècles plus tard, ont accepté les rigueurs de la réforme de Rancé. L’effet de miroir est saisissant à toutes les lignes et les biographies collectées ne sont que des paraphrases incarnées des recommandations de l’abbé en matière de lecture. Rancé avait ainsi écrit :
On feuillete des livres, on les tourne, on les retourne pendant des années, disons pendant des vies toutes entières ; et les passions sont tousjours les mesmes, et souvent on les augmente et on les multiplie, en y ajoutant un orgueil, une présomption et une suffisance, qui est le vice des gens qui lisent beaucoup et qui n’en deviennent pas meilleurs [69].
45À propos d’Aëlred, religieux anglais du xiie siècle, Le Nain expose :
Nous passons notre tems, non pas comme ce saint [Aëlred] au milieu des rochers & des montagnes, gagnant notre vie comme des gens de la campagne & maniant sans cesse la coignée & le marteau, mais à lire, à étudier, à feuilleter les Livres & les Histoires, & après tout cela nous sommes comme ceux dont parle l’Apôtre, qui sont toujours à apprendre & qui ne deviennent jamais sçavans, ou si nous acquérons quelque science, c’est une science sèche, stérile, & qui ne nous sert de rien pour nous rendre éternellement heureux [70].
47Le Nain a ainsi cherché à prouver par l’histoire, ou au moins une histoire revisitée, que Rancé n’a fait que renouer avec le véritable esprit cistercien.
48La lecture est au cœur des pratiques qui définissent cette observance authentique et originelle. Elle l’est, d’abord, « en creux », puisqu’elle n’est pas censée être une occupation centrale chez les cisterciens. Aëlred, quoique lecteur assidu des Écritures et des Pères, n’a rien appris par la lecture et par l’étude, mais par la prière et le secours du Ciel, lui qui « à peine avoit eu quelque teinture des Lettres [71] ». De surcroît, la désappropriation des livres n’est pas un vain mot dans l’ordre, comme Rancé le rappelle dans les Règlements de l’abbaye [72], et chaque religieux doit se plier à une dépossession stricte de ses biens. C’est ainsi que le bienheureux Achard perce miraculeusement les sombres desseins d’un religieux qui s’apprête à fuir le monastère après avoir forcé l’armarium dans le cloître [73]. Les récits relatifs aux religieux voleurs de livres sont classiques et surtout stéréotypés dans l’hagiographie médiévale et moderne [74] ; leur réemploi chez Le Nain montre la volonté de rattacher l’ordre de Cîteaux à une tradition de pauvreté qui s’est perdue, suggère-t-il, dans les autres ordres suivant la règle de saint Benoît.
49Le corpus des lectures de ces religieux médiévaux est celui que préconise Rancé : la Bible, les Pères et la règle de saint Benoît. La Bible était déjà, affirme Le Nain, le socle de toute lecture au temps de ces saints pionniers de l’esprit cistercien. Le bienheureux Jean se contente toute sa vie de la lecture des Psaumes [75] ; la lecture ordinaire du bienheureux Gérard est celle de la Bible [76] ; elle était pour saint Étienne « le principe de toutes les lumières & comme la source de toutes les véritez qui devoient faire la nourriture, la consolation & la sanctification de leurs cœurs [77] ». Le maintien de la lecture de la Bible quand la vie communautaire est rompue est la seule manière de perpétuer, dans l’âme et dans les gestes, l’état monastique : le bienheureux Fastrède, après sa retraite à Cîteaux, ayant dû momentanément retourner chez son père, continue tous les jours la lecture des livres saints, y compris pendant les repas, respectant ainsi la liturgie de la table imposée dans l’ordre [78]. La lecture de la Bible est obligatoire dès le noviciat, ce qui n’est pas banal dans le monde régulier du xviie siècle, où elle n’est généralement donnée qu’aux religieux plus avancés [79]. Lambert, maître des novices, déconseille à Fastrède les livres de dévotion et
sçachant par sa propre expérience aussi bien que par les instructions & les exemples des anciens pères, quels sont les trésors de grâce et de lumière enfermez dans l’Ecriture sainte, il lui en ordonna une lecture assidue, sérieuse et accompagnée de cet esprit de piété & de prière avec lequel on la doit lire [80].
51Les lectures patristiques complètent avec profit celle de la Bible mais font moins l’unanimité. Saint Étienne se plonge avec délices dans les œuvres ascétiques de saint Basile tandis qu’Aëlred médite continuellement les Confessions de saint Augustin. On retrouve bien là les préconisations de Rancé.
52Non seulement le contenu, mais aussi les modalités de la lecture monastique se répondent à cinq siècles d’intervalle. La vie de Thomas de Cantorbery, qui n’eut de cistercienne que les deux années passées à Pontigny lors de son exil en France, est l’occasion d’une définition stricte de la lectio divina, de ce qu’elle est et de ce qu’elle n’est pas :
La plus grande consolation qui le soutenoit au milieu d’une vie si dure, etoit la lecture continue de l’Ecriture sainte, à laquelle il s’appliquoit par une méditation qui etoit plus du cœur que de l’esprit, et qui tendoit plutôt à la pratique qu’à la simple spéculation. Car au lieu qu’il n’en avoit fait jusqu’alors qu’une lecture superficielle, et qu’il n’en avoit point goûté les délices et les avantages, il en fit alors le sujet ordinaire de ses méditations, & y trouva une onction & une douceur si nouvelle qu’il ne pouvoit s’en lasser [81].
54Mais là encore, la lecture se fait multiforme. Elle présente aussi des vertus propres à susciter les vocations et à les conforter. Le livre intervient préalablement dans le renoncement au monde : c’est suite à la lecture appliquée des Évangiles que saint Étienne décide de renoncer à la vie séculière [82]. La lecture a aussi des vertus miraculeuses pour maintenir les religieux faibles dans l’état monastique. La vocation du bienheureux Walène paraît mal affirmée et pendant son noviciat, alors qu’il envisage de quitter l’ordre de Cîteaux, il se met en prière pour fortifier son esprit, et il est incontinent transporté « dans le même lieu où il avoit accoutumé de lire & de faire ses méditations [83] », ce lieu étant vraisemblablement le cloître, emblématique de la vie monastique, lieu de l’armarium et de la lecture.
55La vie de Rancé par le même Pierre Le Nain est doublement intéressante, en ce qu’elle est d’abord la seule produite par les milieux cisterciens réformés, et ensuite parce qu’elle s’inscrit dans un projet éditorial qui n’est pas sans rapport avec celui de l’Essai. Cette vie en conserve les caractères hagiographiques, ou tout au moins édifiants, et établit un lien entre le xiie siècle bernardin et le xviie siècle rancéen. Le Nain ressaisit la vie de Rancé en lui donnant une cohérence et une linéarité qu’elle n’a pas, notamment dans le domaine de l’érudition et de la lecture. Celle-ci est explicitement assimilée à l’observance bénédictine, dont elle serait à la fois une cause et un symptôme [84]. Alors que l’abbé est resté, malgré ses efforts, un lettré croisant les lectures et les savoirs, le prieur de La Trappe veut en faire l’anti-auteur du xviie siècle : refusant la norme savante qui consiste à toujours et beaucoup citer, par l’accumulation de références bibliographiques croisées, Le Nain présente Rancé comme celui qui sait sans avoir appris, et ne souscrit donc pas à cette habitude rédactionnelle de la citation. Ses lectures seraient inexistantes, hormis celle de la règle, affirme-t-il et pour ne pas assommer ses auditeurs et ses lecteurs et troubler leur cœur par des propos excessivement savants,
il evitoit même de citer les passages latins des Pères, & de nommer les Auteurs dont il tiroit ses riches pensées, excepté saint Augustin, saint Basile, saint Jean Climaque, Cassien et quelques autres ; mais il s’appuyoit beaucoup sur le Texte sacré & les oracles des prophètes [85].
57On notera ici la contradiction, dans la même page du texte : les lectures de Rancé, ne se cantonnent donc évidemment pas à celle de la règle, mais à un important corpus patristique. Cette contradiction montre combien il est difficile, au tournant des xviie et xviiie siècles, tandis que se renforce le modèle du clerc savant né trente à quarante ans plus tôt, d’assumer l’héritage de Rancé. D’autres textes, conçus pour alimenter un imaginaire trappiste de la lecture, montrent la même ambiguïté ou l’évacuent en s’écartant insidieusement des recommandations de Rancé.
58On le voit particulièrement dans les Relations de la vie et de la mort de quelques religieux de l’abbaye de La Trappe, ensemble de vies édifiantes dont les éditions successives voient gonfler le volume. Les premières relations, probablement écrites par Rancé lui-même dans les années 1670, avaient circulé de manière manuscrite. La première édition était parue en 1678 et ne concernait que quatre religieux. Les éditions suivantes s’étoffèrent ; celle de 1696, la dernière à paraître du vivant de Rancé, comprenait quatorze biographies. L’ultime édition, en 1755, en contiendra une soixantaine, rédigées à l’évidence par plusieurs mains [86]. Celle de 1717-1718 en rassemble déjà une trentaine, la plupart écrites ou dictées par Rancé lui-même, et en tout cas, au sein de la communauté normande. Elle est intéressante à double titre : parce qu’elle est contemporaine de la publication de la vie de Rancé par Le Nain, et parce qu’elle permet de saisir, avec un recul d’une vingtaine d’années, la manière dont se perpétuent après la mort de Rancé ses recommandations relatives à la lecture. Les vies en question relèvent du genre de l’exhortation littéraire ; du reste, beaucoup de relations donnent lieu à de courts développements théoriques sur l’un ou l’autre point d’observance, ce qui souligne la portée attendue de ces recueils. Les vies des religieux s’échelonnent de 1674 à 1710. Tous ont donc vécu à l’ombre de la forte personnalité de Rancé et ont dû se plier à ses principes en matière de livres et de lecture. C’est une véritable communauté de lecteurs qui est mise en scène, sur deux générations à peine, dans ces Relations. Le jeu de rééditions, qui ne s’est pas fait sans réécritures, révèle pourtant une évolution discrète et notable vers une standardisation du discours sur la place du livre à La Trappe et les modalités de lecture. Les premières vies, de la main de Rancé, sont à peu près conformes à ses théories ; ce qui est écrit ou réécrit plus tard l’est de moins en moins.
59« Il lisoit peu, mais prioit beaucoup. » Certes, cette formule redondante [87] dans les Relations indique à nouveau la fidélité à une économie parcimonieuse de la lecture à La Trappe. Les Écritures tiennent toujours la place centrale dans les pratiques de lecture des religieux. Dom Charles n’avait jamais lu autre chose de sa vie que le Nouveau testament et les Psaumes [88] ; dom Arsène recopie la Bible tout au long de la vie, pour preuve « de son profond respect de la parole de Dieu [89] ». En outre, la lecture est soumise à la surveillance de l’abbé, qui indique les livres à lire et en demande ensuite des comptes. Chez Le Nain, déjà, il était question d’un novice rétif à la mort intellectuelle exigée de lui :
Comme il aimoit la lecture, il demandoit souvent au Père des livres qui ne lui convenoient pas : mais le Père, ne juge[a] pas à propos de les lui accorder, parce qu’il demandoit à les lire plutôt par curiosité que par dévotion [90].
61Les Relations insistent également sur ce point d’obéissance. Dom Paul, ainsi, suit scrupuleusement les avis de Rancé pour le choix de ses lectures, quitte à s’en étonner lorsque celui-ci lui remet un livre « rempli de citations & de passages des saints Pères, de réflexions & de pensées chrétiennes sur l’Ecriture », dont le style lui paraît « si docte et si éclatant » qu’il ne s’estime pas digne de le lire [91]. Au frère Basile, Rancé remet les sermons de saint Augustin sur les Psaumes en latin, en lui commandant de les traduire pour mieux se les approprier [92]. Il y a là une contradiction flagrante, d’autant plus remarquable qu’elle s’exprime sous la plume de Rancé lui-même : il faut lire les Pères, ce à quoi tout le monde clérical s’accorde dans la seconde moitié du xviie siècle, mais finalement, avec les outils partagés par tous les contemporains, sans singularité aucune : traduction précise, réflexion sur les interprétations et l’intertextualité entre les œuvres et les Écritures. D’autant que d’après Le Nain, Rancé n’exige pas, à l’entrée de La Trappe, la maîtrise du latin et encore moins du grec. Il faut donc croire que Rancé a malgré tout orienté ses religieux vers des lectures adaptées aux capacités de chacun.
62De surcroît, le corpus des lectures s’élargit dans plusieurs directions. Quelques livres de dévotion passent désormais entre les mains des trappistes, telle l’Imitation de Jésus Christ de Thomas a Kempis, ce qui n’a rien d’original en soi puisque ce best-seller avait pénétré tous les milieux, cléricaux et laïcs, depuis le xvie siècle [93], mais ce titre apparaît pour la première fois dans les lectures des cisterciens réformés dans ces récits édifiants au début du xviiie siècle. On le trouve entre les mains de dom Albéric Godinot et de frère Basile ; dom Muce, dont la vie est publiée séparément, en est aussi amateur [94]. Plusieurs religieux s’adonnent en outre à celle de la règle, peut-être à la recherche des fondements juridiques de leur communauté et de leur réforme. Dom Paul Ferrand étudie assidûment les règlements du monastère et la règle de saint Benoît [95] ; frère Dorothée, travaillé par les scrupules d’observance, cherche dans la règle des modèles de comportement [96]. Le signe le plus flagrant de cette évolution des lectures vers les questions d’observance est l’insertion du traité De la sainteté et des devoirs de la vie monastique, dans les lectures des moines au commencement du xviiie siècle. Frère Arsène serait venu à la vie religieuse après la lecture de cet ouvrage [97] ; frère Jean Climaque, durant tout son noviciat, « n’a jamais eu d’autre livre spirituel que les devoirs de la vie monastique [98] ». On mesure ici le recul des injonctions de Rancé, qui proposait, à rebours de la prudence des autres ordres religieux, la lecture de la Bible dès les premiers jours de la vie claustrale. Que l’ouvrage de l’abbé de La Trappe se soit ainsi substitué à la méditation des Écritures constitue sans doute l’échec le plus patent de Rancé en matière de lecture.
63Les modalités de la lecture se standardisent aussi, en rejoignant celles qui sont enseignées depuis le début du xviie siècle dans les établissements réguliers [99], et qui commencent aussi à se répandre hors des cloîtres [100]. La lecture plume à la main s’impose, afin de rassembler sur le papier les points les plus saillants et les formules marquantes relevées dans les livres lus et de pouvoir prolonger, des heures ou des années durant, les bénéfices de la lecture. Dom Arsène
avoit soin d’extraire toutes les maximes & les vérités qui le touchoient ; & comme il ne perdoit pas un moment, on seroit surpris de voir ce qu’il a ramassé & recueilli de ses lectures, comme de Cassien, de saint Basile, saint Ephrem, saint Jean Climaque, saint Bernard. Ce sont les livres qu’il avoit incessamment entre les mains [101].
65Dom Euthyme, ardent lecteur, écrit afin que ses notes « passoient du bout de sa plume dans le fond de son cœur, qu’il en etoit & rempli & pénétré, de sorte qu’il trouvoit une perpétuelle instruction dans son travail [102] ». Frère Bernard, durant son noviciat, prend des notes dans un traité sur les vices et les vertus, puis affiche ces pages au mur de sa cellule pour les avoir toujours sous les yeux [103]. Ces religieux incarnent ainsi la mise en pratique de la lecture spirituelle et sa codification, adoptées par l’ensemble du monde ecclésiastique, tel le frère Moïse :
Ses lectures, écrit son biographe, se convertissoient en prières, en méditations. Il trouvoit tant de goût à lire les actions & les maximes de J.C. dans l’Evangile, qu’à chaque ligne il s’arrêtoit sans aller plus loin ; c’etoit pour lui comme autant d’autels où sa foi immoloit sa raison ; où par reconnoissance il s’attendrissoit sur la bonté du sauveur. Un chapitre seul le tenoit huit jours, sans qu’il lui fut possible d’avancer, parce qu’à chaque pas, adorer, bénir, remercier J.C. […] ces réflexions et actes consumoient tout son temps [104].
67Le texte passe ainsi des yeux à l’esprit, de l’esprit à l’âme qui y trouve une nourriture roborative, enfin de l’âme aux affections, à l’empathie et aux sentiments.
68La lecture de la Bible elle-même est traversée par des évolutions importantes. Tout en restant fidèle à la lectio divina, le ou les biographes des religieux insistent sur de nouvelles finalités de l’appropriation des textes sacrés. La méditation des Écritures reste gratuite, comme le revendique la lectio divina. Et pourtant, la plupart des religieux dont il est question dans les Relations cherchent dans cette lecture méditée les moyens d’une bonne mort : mort au monde, d’abord, à soi-même ensuite, et enfin, au terme d’une vie, à son propre corps. Frère Benoist, dans les derniers jours de son existence, demande à un jeune frère de lui faire la lecture de la Bible, en alternance avec les prières de l’agonie, estimant que celles-ci éclaireront le sens des Écritures [105]. Dom Augustin,
l’année qui précéda sa mort, […] la passa toute entière dans la lecture de l’Ecriture sainte & dans l’oraison, Dieu le préparant ainsi, & le purifiant par ces saintes occupations, comme une hostie qui etoit sur le point de lui être immolée [106].
70Cette lecture se pratique donc dans un esprit d’anéantissement de soi, de conscience de sa fragilité ; elle fait aussi office de fortifiant de l’âme habitant un corps dévasté par la maladie, comme celui de dom Isidore qui dans la lecture de la Bible « trouvoit la force & la santé de son homme intérieur : il s’engraissoit de cette nourriture divine, pendant que l’homme extérieur se dessechoit par la violence & la continuité de ses maux [107] ».
71Ainsi, la diffusion des vies des religieux trappistes, commencée dans les années 1670 avec l’intention de défendre un modèle d’observance austère et singulier, finit par mettre en scène une vie religieuse sans doute toujours aussi austère, mais qui se distingue nettement moins des autres traditions monastiques. Il n’est qu’à lire le récit de la vocation du futur frère Palémon, d’abord militaire en campagne dans les Flandres, et qui doit se faire véhiculer en carrosse car il est blessé à la jambe. Au fil du chemin, pour tuer le temps, il réclame des livres et feuillette une vie de saint Joseph, qui lui inspire d’abord « quelques réflexions légères sur la grandeur de Dieu et sur sa puissance » puis, après quelques heures de sommeil, une conversion nette et définitive vers la solitude et la vie monastique [108]. On retrouve dans cette narration les ingrédients d’un autre récit bien connu : la guerre, la jambe blessée, l’ennui, la lecture d’abord superficielle puis bienfaisante, enfin décisive d’une vocation religieuse rappellent évidemment l’histoire d’Ignace de Loyola. L’emprunt d’un stéréotype à une famille religieuse qui n’a rien de commun avec le monde cistercien montre la difficulté des moines réformés à définir et conserver leur identité du vivant même de Rancé. Le repli des lectures sur les œuvres de l’abbé réformateur au lendemain de sa disparition n’est sans doute qu’un symptôme de la difficulté à promouvoir cette observance et faute d’en conserver l’essence, les biographes des religieux s’en tiennent aux aspects formels et normatifs tel que l’abbé les avait exposés dans ses traités. Les Relations s’avèrent finalement en rupture avec les tentatives de Pierre Le Nain, dans son Essai de l’histoire de l’ordre de Cîteaux, en ce qu’elles renoncent à faire entrer les biographies de religieux dans les limites des recommandations de Rancé.
72*
73Tout au long du versant monastique de sa vie, Rancé aura ainsi été un lecteur ambigu, travaillé par deux extrêmes : la lecture tentaculaire à laquelle il a été formé dans sa jeunesse et dont il sait les applications bénéfiques dans le cloître, et le rejet de la lecture comme une activité nuisible au salut individuel et à la cohésion du groupe monastique. Son discours sur le sujet ne manque pas d’originalité. Le livre comme contenu et les différents gestes qui président à son appropriation empêchent l’accomplissement de la vocation monastique, qui consiste principalement à se défaire du monde et de soi. Les savoirs requis pour une approche autre que purement spirituelle des textes bibliques et patristiques sont au mieux inutiles, au pire encombrants. Mais par ce discours, Rancé se heurte finalement à une marginalisation intenable, qui l’oblige à réajuster ses principes aux pratiques de son temps et à faire maintes concessions, dans lesquelles la génération suivante s’engouffrera pour revenir à la lecture codifiée pratiquée l’ensemble du monde ecclésiastique. Les usages contemporains auront finalement été trop prégnants pour être si facilement évacués. Le particularisme trappiste aura échoué à rallier l’ensemble du monde monastique mais est parvenu à susciter un débat d’importance sur l’identité des fils de saint Benoît dix siècles après la mise en circulation de la règle.
Notes
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[1]
Voir principalement les travaux de Marie-Hélène Froeschlé-Chopard depuis 1995, réédités dans Regards sur les bibliothèques religieuses d’Ancien Régime, Paris, H. Champion, 2014.
-
[2]
David N. Bell (ed.), The Library of the Abbey of La Trappe. A Study of its History from the Twelfth Century to the French Revolution, with an Annotated Edition of the 1752 Catalogue, Turnhout, Brepols, 2014. Le catalogue en question est conservé à la B.M. Rouen, ms. 2240, Catalogue des livres de la bibliothèque de La Trappe, 182 p.
-
[3]
Sur cette réforme, ses aspects spirituels et institutionnels, voir Louis J. Lekai, The Rise of the Cistercian Strict Observance in Seventeenth Century France, Washington, The Catholic University of America Press, 1968 ; Réformes et continuité dans l’ordre de Cîteaux. De l’Étroite Observance à la Stricte Observance, Brecht, s.n., 1995.
-
[4]
David N. Bell, op. cit., p. 141.
-
[5]
Blandine Kriegel, La Querelle Mabillon-Rancé, Paris, Quai Voltaire, 1992 ; Daniel-Odon Hurel, Le Moine et l’historien. Dom Mabillon : œuvres choisies, Paris, Robert Laffont, 2007, pp. 367-379.
-
[6]
Richard Cadoux, « Autour de la notion de décadence monastique : La querelle entre Rancé et Le Masson », Transversalités, 2004, n° 91, pp. 99-120.
-
[7]
Voir les analyses de Brian Stock, Lire, une ascèse ? Lecture ascétique et lecture esthétique dans la culture occidentale, trad. fr. Grenoble, J. Millon, 2008.
-
[8]
Sur ces concurrences, voir Jugement critique mais équitable des vies de feu M. l’abbé de Rancé, Londres, 1742 ; Louis J. Lekai, « The problem of the authorship of Rancé’s ‘standard’ biography », Collectanea Ordinis Cisterciensium Reformatorum, 1959, t. 21, pp. 157-163 ; Alban John Krailsheimer, Armand-Jean de Rancé, abbé de La Trappe, Paris, Cerf, 1998, pp. 85-88.
-
[9]
Anacreontis carmina cum scholiis Armandi Joan. Boutillier de Rancé, Paris, J. Dugast, 1639.
-
[10]
Philippe Martin, Une religion des livres (1640-1850), Paris, Cerf, 2003.
-
[11]
Armand-Jean Le Bouthillier de Rancé, Correspondance, A.J. Krailsheimer (éd.), Paris, Cerf, 1993, 4 vol. [dorénavant Correspondance, suivie du numéro de la lettre selon l’éditeur]. Ici 581227.
-
[12]
Correspondance, 870211. Dominique Bouhours, La Vie de Mme de Bellefont, supérieure et fondatrice du monastère des religieuses Bénédictines de Notre-Dame des Anges, établi à Rouen, Paris, Mabre-Cramoisy, 1686.
-
[13]
Élisabeth Décultot, Lire, écrire, copier. Les bibliothèques manuscrites et leurs usages au xviiie siècle, Paris, Ed. du CNRS, 2003.
-
[14]
Correspondance, 580718.
-
[15]
Correspondance, 581214.
-
[16]
Correspondance, 830204.
-
[17]
Correspondance, 810424.
-
[18]
Correspondance, 900220. Il s’agit de l’Explication d’un ancien monument trouvé en Guienne, dans le diocèse d’Ausch, paru en 1689.
-
[19]
Correspondance, 890829a. Il s’agit probablement du manuscrit de Pierre Le Brun, Lettres qui decouvrent l’illusion des philosophes sur la baguette, et qui detruisent leurs systémes, qui sera publié en 1693.
-
[20]
Claude Nicaise, Les Sirènes ou Discours sur leur forme et figure, Paris, J. Anisson, 1691.
-
[21]
Correspondance, 911004.
-
[22]
Godefroid Hermant, Les Ascétiques, ou Traittez spirituels de St. Basile le Grand,... traduits en françois et éclaircis par des remarques tirées des conciles et des saints pères de l’Église, Paris, Du Puis, 1673.
-
[23]
Correspondance, 730128.
-
[24]
Correspondance, 881125. Lazare-André Bocquillot, Homélies ou Instructions familières sur les commandemens de Dieu et de l’Église, Paris, Horthemels, 1688.
-
[25]
Correspondance, 711212.
-
[26]
Correspondance, 720419a. Même propos dans une lettre à Antoine de Somont, abbé de Tamié : 780206.
-
[27]
Correspondance, 780705.
-
[28]
Fabienne Henryot, Livres et lecteurs dans les couvents mendiants (Lorraine, xvie - xviiie siècles), Genève, Droz, 2013, pp. 243-269.
-
[29]
Correspondance, 750303a.
-
[30]
Bernard Beugnot, « L’ermitage parmi les livres : image de la bibliothèque classique », Revue française d’histoire du livre, 1979, n° 24, pp. 687-707.
-
[31]
Correspondance, 751100a.
-
[32]
Julien Paris, Du premier esprit de l’ordre de Cisteaux, où sont traitées plusieurs choses nécessaires pour la conoissance & le rétablissement du gouvernement & des mœurs des instituteurs de cet ordre, 2nde éd., Paris, Vve Alliot et Gilles Alliot, 1664, pp. 200-201.
-
[33]
Armand-Jean Le Bouthillier de Rancé, De la sainteté et des devoirs de la vie monastique, Paris, Fr. Muguet, 1683 ; réédition en 1684 puis en 1687 avec des corrections et des ajouts [désormais De la sainteté…, éd. de 1683].
-
[34]
Xénia von Tippelskirch, « Radicalisme religieux et pratiques d’écriture au début de l’époque moderne en France », Archives de sciences sociales des religions, n° 150, 2010, pp. 9-17.
-
[35]
Réponse au traité des études monastiques par M. l’abbé de La Trappe, Paris Fr. Muguet, 1692, p. 302.
-
[36]
Ibid., p. 435.
-
[37]
C’est par exemple le cas des minimes : F. Henryot, Livres et lecteurs…, op. cit., pp. 89-93.
-
[38]
Rancé cite ici saint Jérôme : voir Thierry Kouamé, « Monachus non doctoris, sed plangentis habet officium », Cahiers de recherches médiévales et humanistes, 2009, t. 18, pp. 9-38.
-
[39]
Correspondance, 801005.
-
[40]
De la sainteté…, t. 1, p. 199.
-
[41]
Correspondance, 920416.
-
[42]
Correspondance, 830204.
-
[43]
De la sainteté…, t. 1, p. 204.
-
[44]
Pierre Le Nain, La Vie de dom Armand-Jean Le Bouthillier de Rancé, abbé & réformateur de l’Abbaye de la Maison-Dieu Notre-Dame de la Trappe, Paris, Delaulne, 1719 (2e éd.), pp. 427-428.
-
[45]
L’œuvre de saint Bernard fait précisément l’objet de diverses réappropriations à ce moment : voir Simon Icard, Port-Royal et saint Bernard de Clairvaux (1608-1709), Paris, H. Champion, 2010 ; Jean Mabillon donne une édition critique des œuvres complètes (Bernardi abbatis primi Clarevallensis, et ecclesiæ doctoris, Opera omnia in sex tomos distributa, Paris, Fr. Léonard, 1667) tandis que les feuillants, de filiation également cistercienne, en donnent une traduction française (Antoine de saint Gabriel (éd.), Traitez spirituels de S. Bernard nouvellement traduits en françois, Paris, J. de Laizz, 1674 et Traitez doctrinaux…, 1675).
-
[46]
De la sainteté…, t. 1, p. 304.
-
[47]
F. Henryot, « Les capucins et l’écriture aux xviie et xviiie siècles d’après la Bibliotheca de Bernard de Bologne », Études franciscaines, 2011, vol. 4, n° 1, pp. 111-143 ; « Portrait du récollet en écrivain au xviie siècle », in C. Galland et al. (dir.), Les Récollets en quête d’une identité franciscaine, Tours, PUFR, 2014, pp. 219-233.
-
[48]
De la sainteté, t. 2, p. 301.
-
[49]
Les figures des Pères du Désert sont revalorisées par Simon Martin, Les Sacrées reliques du désert, composées des vies de plusieurs saints solitaires qui ont esté fort peu connus jusques à présent, Paris, Josse, 1655 ; Arnauld d’Andilly, Les Vies des Saints Pères des déserts et de quelques saintes, Paris, s.n., 1647-1653. Les milieux port-royalistes, avant même les mauristes, ont mis en circulation des éditions fiables, en langue vulgaire, des traités ascétiques des Pères : par exemple, Arnauld d’Andilly publie en 1649 les Confessions de saint Augustin et, en 1658, L’Échelle sainte, ou les Degrez pour monter au ciel, composez par S. Jean Climaque.
-
[50]
Correspondance, 831207.
-
[51]
Correspondance, 880629.
-
[52]
F. Henryot, « L’enseignement de et par la lecture dans les noviciats de la Congrégation bénédictine de Saint-Vanne aux xviie et xviiie siècles », in I. Parmentier (dir.), Livre, éducation et religion dans l’espace franco-belge, xve - xixe siècles, Namur, Presses Universitaires de Namur, pp. 87-98.
-
[53]
F. Henryot, Livres et lecteurs…, op. cit., pp. 249-253.
-
[54]
Armand-Jean Le Bouthillier de Rancé, La Règle de saint Benoist nouvellement traduite et expliquée selon son véritable esprit, Paris, Fr. Muguet, G. et L. Josse, 1689, t. 1, pp. 293-295.
-
[55]
Ibid., p. 237.
-
[56]
Jacques Rousse, « Lectio divina et lecture spirituelle », in Dictionnaire de Spiritualité ascétique et mystique, Paris, Beauchesne, 1976, t. IX, col. 470-510.
-
[57]
Réponse au traité des études monastiques, op. cit., p. 78.
-
[58]
Marie-Raphaël Vallet, « Lectio according to Rancé », Liturgy, 1988, n° 22, pp. 21-75.
-
[59]
Réponse, op. cit., p. 254.
-
[60]
Armand-Jean Le Bouthillier de Rancé, Eclaircissemens de quelques difficultez que l’on a formées sur le livre de la sainteté et des devoirs de la vie monastique, Paris, Fr. Muguet, 1685, p. 323.
-
[61]
Ibid., p. 329.
-
[62]
Alain Viala, Naissance de l’écrivain : sociologie de la littérature à l’âge classique, Paris, Ed. de Minuit, 1985.
-
[63]
B. Kriegel, op. cit., p. 63.
-
[64]
Mathurin Queyras, Éclaircissement de cette célèbre et importante question, si le Concile de Trente a décidé ou déclaré que l’attrition conçeuë par la seule crainte des peines de l’enfer, et sans aucun amour de Dieu, soit une disposition suffisante pour recevoir la rémission des péchez et la grâce de la justification au sacrement de pénitence…, Paris, Dezallier, 1685.
-
[65]
Correspondance, 851206.
-
[66]
Eclaircissemens…, op. cit., p. 336.
-
[67]
Voir par exemple Juan de Jesus Maria, Instructio magistri novitiorum, Paris, Fouet, 1612, p. 93.
-
[68]
Pierre Le Nain, Essai de l’histoire de l’ordre de Cîteaux, tirée des Annales de l’ordre & de divers autres historiens, Paris, Fr. Muguet, 1696, t. 1, préface non paginée.
-
[69]
La règle de saint Benoist…, op. cit., t. 2, p. 290.
-
[70]
P. Le Nain, Essai…, t. 2, 1696, pp. 252-253.
-
[71]
Ibid., p. 248.
-
[72]
Armand-Jean Le Bouthillier de Rancé, Règlements généraux pour l’abbaye de Notre-Dame de La Trappe, Paris, 1701, vol. 1, p. 17 : « chaque religieux rendra ses livres quand il les aura lûs, afin qu’ils passent dans la main des autres, de crainte que sans y faire attention, il ne s’en fasse une propriété ».
-
[73]
P. Le Nain, Essai…, t. 5, 1697, pp. 115-117.
-
[74]
Voir par exemple F. Henryot, Livres et lecteurs…, op. cit., p. 114 à propos d’Antoine de Padoue.
-
[75]
P. Le Nain, Essai…, t. 7, 1697, p. 413.
-
[76]
Ibid., t. 6, 1697, p. 6.
-
[77]
Ibid., t. 1, 1696, p. 125.
-
[78]
Ibid., t. 6, p. 298.
-
[79]
F. Henryot, Livres et lecteurs, op. cit., p. ; F. Henryot, « L’enseignement… », op. cit.
-
[80]
P. Le Nain, Essai…, t. 6, p. 299-300.
-
[81]
Ibid., t. 6, 1697, p. 520.
-
[82]
Ibid., t. 5, 1697, p. 285.
-
[83]
Ibid., t. 2, p. 272.
-
[84]
P. Le Nain, La Vvie de dom Armand Jean Le Bouthillier de Rancé…, op. cit., vol. 2, livre VII, chap. II.
-
[85]
Ibid., p. 582.
-
[86]
A. J. Krailsheimer, Armand Jean de Rancé…, op. cit., p. 61-62.
-
[87]
Relations de la vie et de la mort de quelques religieux de l’abbaye de La Trappe, rééd. Paris, Delaulne, 1717-1718, 5 vol. : à propos de dom Jacques (mort en 1674, t. 1, p. 30), de dom Isidore (mort en 1694, t. 2, p. 137) et de frère Basile (mort en 1695, t. 3, p. 27).
-
[88]
Ibid., t. 1, p. 83 (religieux mort en 1683).
-
[89]
Ibid., t. 1, p. 250 (religieux mort en 1685).
-
[90]
P. Le Nain, Vie de dom Armand-Jean Le Bouthillier de Rancé…, op. cit., p. 559.
-
[91]
Relations…, t. 1, p. 59 (religieux mort en 1675).
-
[92]
Ibid., t. 3, p. 27.
-
[93]
Martine Delaveau et Yann Sordet (dir.), édition et diffusion de l’Imitation de Jésus Christ (1470-1800), Paris, BnF-Bibliothèque Mazarine, 2012.
-
[94]
Instruction sur la mort de dom Muce, religieux de l’abbaye de La Trappe, Paris, François Muguet, 1690.
-
[95]
Relations…, t. 1, p. 321 (religieux mort en 1686)
-
[96]
Ibid., t. 1, p. 272 (religieux mort en 1685).
-
[97]
Ibid., t. 5, p. 234.
-
[98]
Ibid., t. 5, p. 71.
-
[99]
F. Henryot, Livres et lecteurs…, op. cit., p. 263-269.
-
[100]
Ph. Martin, op. cit., p. 540-549.
-
[101]
Relations…, t. 1, p. 250.
-
[102]
Ibid., t. 2, p. 163-164 (dom Euthyme, né Pierre Fourdaine, religieux mort en 1685)
-
[103]
Ibid., t. 2, p. 184 (frère Bernard, né Louis Michel, religieux mort en 1694).
-
[104]
Ibid., t. 5, p. 167 (religieux né en 1663).
-
[105]
Ibid., t. 1, p. 17 (religieux mort en 1674).
-
[106]
Ibid., t. 1, p. 151.
-
[107]
Ibid., t. 2, p. 137.
-
[108]
Ibid., t. 3, p. 126-128.