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Article de revue

Le tricentenaire de la mort de Louis XIV : un bilan historiographique fécond ?

Pages 501 à 508

Notes

  • [1]
    Martin Wrede, Der Kriegsherr aux Versailles, Darmstadt, Konrad Theiss-WBG, 2015, 304 p.
  • [2]
    Cf. « Et certains historiens y ont vu… », Maral, p. 112.
  • [3]
    Paris, Tallandier, 1715, 335 p.
  • [4]
    Paris, Gallimard, 2015, 190 p.
  • [5]
    Cf. la note 2, Cornette, p. 14.
  • [6]
    Cornette, p. 153.
  • [7]
    Cf. « cent quatre-vingt-quatre évêchés en 1715 », Cornette, p. 229. Les diocèses français, au nombre de 116 vers 1500, étaient 136 à la Révolution.
  • [8]
    Cf. Petitfils, p. 285.
  • [9]
    Paul Pellisson-Fontanier, Lettres inédites à Jean-Baptiste Boisot (1674-1693), Corinne Marchal et France Marchal-Ninosque éd., Paris, Classiques Garnier, coll. « Correspondances et mémoires », n° 22, 2015, 322 p.
  • [10]
    Cf. Petitfils, p. 379.
  • [11]
    Cf. Maral, p. 284.
  • [12]
    Paris, Arthena, 2015, 584 p.
  • [13]
    Point de vue très différent chez Hendrik Ziegler, Louis XIV et ses ennemis. Image, propagande et contestation, Paris, P.U. de Vincennes, 2013, 417 p.
  • [14]
    « Les ressorts de la gloire et de l’ambition » dans Petitfils, pp. 331-348.
  • [15]
    Emmanuel Pénicaut dans Petitfils, p. 448.
English version

1Joël Cornette, 1er septembre 1715. La mort de Louis XIV. Apogée et crépuscule de la royauté, Paris, Nrf-Gallimard, coll. « Les journées qui ont fait la France », 2015, 367 pages, 15 × 22 cm.

2Gaëlle Lafage, Charles Le Brun décorateur de fêtes, Rennes, P.U.R., coll. « Art & Société », 2015, 321 pages, 17,5 × 25 cm.

3Alexandre Maral, Les Derniers Jours de Louis XIV, Paris, Perrin, 2014, 308 pages, 14 × 20,5 cm.

4Jean-Christian Petitfils (dir.), Le Siècle de Louis XIV, Paris, Le Figaro/Histoire-Perrin, 2015, 456 pages, 14 × 20,5 cm.

5« On n’exagère pas outre mesure en disant que Louis XIV est resté roi de France bien au-delà de 1715 et qu’il le reste, en quelque sorte, jusqu’à nos jours. » C’est par ces mots provocateurs que le professeur Martin Wrede [1] convia les membres de l’Association des historiens modernistes de l’université française à la Journée d’étude organisée à Grenoble, le 13 novembre 2015, pour les trois cents ans de la mort du monarque. Les émissions télévisées ou radiophoniques consacrées en septembre 2015 au trépas le plus édifiant des fastes de la royauté d’Ancien Régime semblent accréditer cette opinion. Et il n’est peut-être pas insignifiant que « Louise » soit devenu, nous l’avons appris cette même année, le prénom féminin le plus communément donné aux petites Françaises.

6Bien que l’année passée ait fait coïncider plusieurs anniversaires à la symbolique évocatrice pour les dix-septiémistes, deux d’entre eux invitaient à une confrontation mémorielle plus spectaculaire que les autres. Le tricentenaire de la mort du souverain décédé à Versailles, au matin du 1er septembre 1715, fut précédé par l’évocation beaucoup plus discrète du quatrième centenaire de la naissance de son surintendant des finances Nicolas Fouquet, venu au monde à Paris le 26 janvier 1615. Disons-le d’emblée, malgré le remarquable Procès Fouquet publié en 2013 par Simone Bertière, objet d’un compte-rendu dans le n° 269 de XVIIsiècle, le ministre disgracié n’a pas eu droit à une revanche posthume, alors que l’offre de titres dédiés au roi-soleil, à son entourage et à son règne, connaissait entre 2014 et 2015 un gonflement notable. Peut-on pour autant parler de renouvellement de l’historiographie francophone ?

7Le tricentenaire invitait à réexaminer le rôle et les choix de Louis XIV, la place qu’il a occupée dans l’histoire de la France et dans celle de l’Europe. Trois orientations marquent les parutions ayant encadré la commémoration de son décès. Nous remarquons tout d’abord des études cherchant à reconstituer, à la manière d’une micro-histoire appliquée à la vie privée, les derniers instants de l’existence du roi. À côté de l’évocation de l’agonie stoïque du souverain, d’autres publications tentent d’établir à nouveaux frais un bilan global du règne, en insistant tout spécialement sur ses implications dans les domaines politique, administratif et religieux. Enfin, la question des arts, et plus largement la question du patrimoine culturel laissé par l’époque de Louis XIV, se taille une part non négligeable parmi les ouvrages récemment proposés au public.

8Les quatre livres présentés ici reflètent ces orientations. Celui d’Alexandre Maral retrace avec précision la dernière année du règne et suit la dégradation de l’état de santé du roi. Rien ne pouvait mieux en résumer le contenu que le portrait en relief d’Antoine Benoist, réalisé vers 1705, choisi comme image de couverture. Les ridules du coin de l’œil, les poils de la barbe renaissante, la légère couperose du nez, bref, ce réalisme saisissant correspond parfaitement à la démarche de l’auteur. Sa chronique alterne événements politiques, diplomatiques, anecdotes de la cour, cérémonies religieuses qu’il relate avec un luxe de détails en tant qu’historien de la Chapelle royale. Le compte à rebours débute le 1er janvier 1715 avec la célébration du jour de l’an. Il égrène les derniers épisodes marquants du règne : la dernière réception d’ambassade, où le souverain, resté debout malgré la fatigue, incarne encore une fois la grandeur du royaume ; le dernier séjour à Marly, le dernier « bon jour » où il communie en Très-chrétien. La grande affaire de l’année 1715 fut bien, pour le roi, la question de la réception de la bulle Unigenitus, qui troubla ses derniers instants. L’auteur n’oublie pas non plus les ultimes réorientations diplomatiques du temps, les projets de paix qui anticipèrent l’installation de la Régence.

9Le récit mobilise toutes les sources disponibles, dont un inventaire critique est proposé en introduction. Il s’appuie de préférence sur le manuscrit du marquis de Dangeau, le plus fiable ; écarte le fielleux Saint-Simon, qui n’approchait que rarement le roi. On regrette toutefois l’absence de notes et l’imprécision des références historiographiques [2]. Alexandre Maral rejette l’accusation de sénilité dont on a accablé Louis XIV et souligne sa robustesse jusque dans les derniers instants de la maladie. Sur la cause du décès, il retient l’hypothèse de la gangrène mais suggère la possibilité d’un cancer du pancréas dont les symptômes sont voisins. Le récit confine par endroits à l’hagiographie, reflétant finalement l’admiration de la cour – y compris de Saint-Simon – devant la résignation et la constance du souverain. Original, bien écrit et informé, l’ouvrage trouve son prolongement naturel dans Le Roi est mort : Louis XIV. 1715, dirigé par Gérard Sabatier et Béatrix Saule [3], qui accompagne l’exposition présentée au château de Versailles. Ce catalogue retrace les funérailles du roi depuis la présentation de la dépouille dans sa chambre mortuaire jusqu’à l’inhumation à Saint-Denis, le 23 octobre suivant. On pourra lire également le Louis XIV intime d’Hélène Delalex [4].

10La Mort de Louis XIV par Joël Cornette, dans la collection prestigieuse des « journées qui ont fait la France », diffère sensiblement des Derniers jours de Louis XIV. Ses deux premiers chapitres se conforment strictement au programme annoncé dans le titre. Le « coucher du soleil » (joli titre !) se sert des mêmes sources qu’Alexandre Maral, notamment Dangeau, mais l’utilisation de mémoires imprimés plutôt que des sources manuscrites génère quelques anecdotes douteuses [5]. Joël Cornette incrimine l’incompétence des médecins (Fagon… un favori de Mme de Maintenon) alors qu’Alexandre Maral se montre plus nuancé sur la question et se méfie des ragots de cour. La « cérémonie des adieux », qui porte sur les funérailles royales, renchérit sur la coupure entre la monarchie et le peuple, encore qu’aucune source directe ne mentionne des débordements. L’ouvrage part de ce terminus ad quem pour traverser l’ensemble du règne personnel du souverain, remontant même au-delà de 1661, jusqu’à l’épisode « fondateur » de la Fronde. L’objectif du livre est d’interroger le « secret de la fortune » et les « raisons de l’échec » de Louis XIV. La « mise à mort du Grand siècle » fait largement écho à la « légende noire » et aux chansons. Cette littérature pamphlétaire est reliée de manière convaincante à l’antijésuitisme, qui se déchaîna sous la Régence, et à la vague des libelles qui déferlait depuis les années 1680. À la différence d’Alexandre Maral, Joël Cornette écarte la responsabilité d’un réseau janséniste dans la production de ces textes. Il ne retient pas non plus l’idée d’une crise de régime qui annoncerait 1789.

11C’est à partir de cet « autre Louis XIV » campé dans les pamphlets que Joël Cornette entreprend de revoir l’ensemble du règne et son historiographie. Il revient sur l’arrestation de Fouquet, qui révèle un prince machiavélique et dissimulateur, sans fermer totalement la porte à l’hypothèse d’un surintendant comploteur, dernier avatar des dévots. Selon un schéma emprunté aux poupées russes, la déchéance de Fouquet conduit l’auteur à remonter à l’épisode de la Fronde pour expliquer le coup d’État de 1661. Les pages sur la Fronde sont très réussies, elles rappellent l’erreur d’interprétation de Saint-Simon sur la fameuse « nuit des rois », et montrent comment la guerre civile a fait comprendre au roi la nécessité d’être toujours visible et accessible, la monarchie française empruntant alors un chemin différent de celui suivi par son homologue castillane. C’est également la Fronde qui aurait poussé le roi-soleil à inventer un modèle de fonctionnement gouvernemental dont la Ve  République serait « pleinement héritière [6] ». Les relations du roi avec ses ministres font l’objet d’analyses fouillées démontrant la nécessité d’une approche chronologique fine. La prise en charge croissante des décisions par le souverain se fait avec l’aide d’un appareil d’État étoffé. C’est encore la Fronde qui l’aurait conduit à mettre en œuvre un « ministère de la gloire », dont l’habileté fut sans doute d’inciter, en jouant sur les ressorts de l’émulation, plutôt que d’imposer l’image du roi. L’anecdote de la thèse de théologie soutenue par un minime provençal, en 1685, comparant le roi à Dieu « d’une manière où l’on voit que Dieu est la copie », est à ce titre éclairante.

12Comme à l’ordinaire, l’érudition de Joël Cornette est impeccable. On se demande juste pourquoi il s’obstine à nommer le fils de Louvois Barbézieux… à moins qu’il ne s’agisse d’une coquille introduite par un relecteur. L’ouvrage, qui revisite la carrière de son auteur en même temps que celle du souverain – nous pensons notamment à l’évocation du « roi de guerre » dans le chapitre IX – est une réussite, avec deux petites réserves. L’une porte sur le chapitre XI, traitant des questions religieuses, qui est probablement le plus impersonnel du livre et comporte une erreur [7]. L’autre concerne la tendance à évaluer la monarchie louis-quatorzienne à partir de l’exercice versaillais du pouvoir, laissant de côté les réalités de l’administration provinciale.

13Il est vrai que l’objectif recherché n’était pas de produire une synthèse globale sur le règne, ce qui distingue La Mort de Louis XIV des titres relevant de la seconde orientation que nous avons signalée, représentée ici par Le Siècle de Louis XIV. Dirigé par Jean-Christian Petitfils, qui en a écrit l’introduction et un des chapitres de la 3e  partie consacrée au « gouvernement du roi », cet ouvrage collectif mêle de manière équilibrée des historiens confirmés et des chercheurs plus jeunes, tous spécialistes de la période. Cela lui permet d’être plus complet que l’ouvrage précédent, auquel il ajoute des éléments relatifs à la politique internationale et une présentation de la situation du royaume sur les plans social, économique et humain. L’inconvénient de la formule est qu’elle suscite des redites – par exemple entre le chapitre de Lucien Bély et celui de Jean-Philippe Cénat – et qu’elle engendre des développements d’une qualité inégale.

14Le livre est divisé en sept parties comportant chacune trois chapitres, à l’exception de la 7e  partie dédiée aux Arts et aux Lettres, qui n’en comprend que deux. Cette différence laisse supposer une défection de dernière minute, car l’absence d’étude sur l’iconographie déséquilibre l’ensemble. La première partie, centrée sur « La personne du roi », se lit agréablement mais souffre de la comparaison avec les ouvrages de Maral et de Cornette. À propos de l’impact de la Fronde sur la personnalité du jeune roi, l’analyse proposée par Françoise Hildesheimer s’avère en retrait des perspectives dégagées par La Mort de Louis XIV. Le « Louis XIV amoureux » campé par Jean-Paul Desprat présente un caractère anecdotique, même s’il n’est pas vain pour approcher la psychologie du souverain. La vie quotidienne du roi restituée par Mathieu Da Vinha éclaire davantage le lecteur et rappelle que l’existence du souverain n’était pas aussi réglée et immuable qu’on le pense. Suivent deux belles synthèses sur « Le royaume », partagée entre Jean-Marie Constant (société) et Jean-Pierre Poussou (agriculture et économie), dont l’expérience était requise pour donner, en si peu de pages, l’essentiel sur un vaste sujet, et sur « Le gouvernement du roi » répartie entre Jean Barbey (le roi au travail), Jean-Christian Petitfils (la construction de l’État) et Yves-Marie Bercé (le maintien de l’ordre intérieur). Les quatre autres parties abordent les aspects relatifs à « La cour » (Jean-François Solnon, Mathieu Da Vinha, Thierry Sarmant), « La religion » (Alexandre Maral, Sylvio de Franceschi, Bernard Cottret), « Louis XIV et l’Europe » (Joël Cornette, Lucien Bély, Jean-Philippe Cénat), « Les arts et les lettres » (Jean-Claude Le Guillou et Emmanuel Bury). Comme son titre l’exigeait, ce Siècle de Louis XIV embrasse à peu près tous les aspects du règne de Louis XIV, à l’exception notable de la politique ultramarine et des territoires coloniaux.

15Destiné à rencontrer un large public, l’ouvrage procède parfois à des simplifications excessives. On ne peut plus appeler la politique de conversion des huguenots une politique « d’achat des consciences [8] » depuis l’éclairage apporté par Corinne Marchal sur la personnalité de Paul Pellisson-Fontanier [9]. L’annexion de Strasbourg en 1681 ne fut pas, stricto sensu, une « réunion [10] ». Quoique tout ne soit pas neuf dans ce livre collectif, il s’avère néanmoins utile, car il s’emploie à débusquer les lieux communs qui servent de vulgate officielle sur le roi et son règne. Yves-Marie Bercé redit son opposition à la thèse du « grand renfermement » et insiste sur l’importance du secours social fourni par les hôpitaux généraux, après un premier xviie siècle marqué par une forte hausse de l’indigence et de la mendicité. Jean-François Solnon observe que la « société de cour » était beaucoup plus diverse et moins figée que ne le laissent accroire les mémorialistes et le protocole officiel. Quant à la cour elle-même, elle n’était pas ce gouffre financier que dénonçaient les libelles : Mathieu Da Vinha insiste sur la volonté de rationaliser la Maison du roi et de réduire le nombre d’officiers. Thierry Sarmant replace dans son contexte la réalité des « clans ministériels ». Sans chercher à la nier, il rappelle l’existence des liens familiaux entre les Le Tellier et les Colbert, et souligne la complexité de leurs rapports. Il conteste le rôle de boute feu prêté à Louvois au début de la guerre de la Ligue d’Augsbourg, et minimise également le rôle de ce dernier dans la Révocation de 1685. Lucien Bély, de son côté, lave Colbert de toute responsabilité dans le déclenchement de la guerre de 1672. Alexandre Maral relativise l’influence de Mme de Maintenon sur son second époux, constatant que les initiatives « dévotes » du roi furent antérieures à leurs relations. Tout aussi iconoclaste, le chapitre de Jean-Claude Guillou sur les résidences royales de 1643 à 1715 fait passer au second rang la continuité du projet politique pour retenir le caprice du prince et, parfois, la malice des architectes.

16Alexandre Maral termine ses Derniers jours de Louis XIV en insistant sur la force de l’héritage artistique laissé par le souverain [11]. Son affirmation est étayée par la variété des travaux actuellement édités sur la question. Conservateur en chef au château de Versailles chargé des sculptures, Alexandre Maral vient précisément de publier François Girardon (1628-1715). Le sculpteur de Louis XIV[12], retraçant la carrière de cet artiste, qui travailla sur les grands chantiers royaux, réalisa des bustes du souverain et conçut des modèles pour différents programmes. Le catalogue de l’exposition Images du Grand Siècle. L’estampe au temps de Louis XIV (1660-1715), qui s’est tenue à la BnF François-Mitterrand du 3 novembre 2015 au 31 janvier 2016, fournit un autre aperçu sur cet héritage. Les 170 pièces montrées au public, tirées du département des Estampes fondé par Louis XIV et Colbert en 1667, allant du chef-d’œuvre artistique à la petite image religieuse ou populaire, soulignent l’importance de la production de gravures à la fin du xviie siècle.

17Le dernier livre qu’il nous reste à examiner s’inscrit dans cette troisième orientation. Il s’agit de la thèse d’histoire de l’art de Gaëlle Lafage consacrée à Charles Le Brun décorateur de fêtes. Cet aspect fut longtemps considéré comme mineur dans la carrière du premier peintre du roi. L’ouvrage de Gaëlle Lafage en révèle l’importance. Bien qu’il n’ait jamais reçu de charge officielle dans le domaine des spectacles, son expérience et son talent amenèrent Le Brun à être sollicité pour de grandes entreprises, comme l’entrée du roi et de la reine en août 1660 à Paris. Fait assez exceptionnel, il fut lui-même l’ordonnateur de certaines cérémonies. Tous les décors éphémères réalisés par le premier peintre sont restitués, décrits, analysés, depuis leur commande jusqu’à leur mise en œuvre, sur une période allant des années 1660 à 1687. Parfaitement illustrée de gravures, de plans et d’images en couleurs, la thèse permet de redécouvrir Le Brun, qui sort du purgatoire où l’avait remisé son statut officiel. Elle montre que le roi, commanditaire des célébrations, n’a joué qu’un rôle secondaire dans la conception des décors étudiés. Elle souligne à quel point l’art « Louis XIV » fut surtout celui de son premier peintre, car le souverain n’imposa jamais aucun style.

18Une faiblesse de l’excellente thèse de Gaëlle Lafage réside peut-être dans la modération des conclusions qu’elle tire, dans sa dernière partie, des analyses minutieuses qu’elle a construites. Elle récuse a priori l’idée d’un art de propagande [13], considérant que les fêtes et leurs décors n’étaient que faiblement compris par l’ensemble de leurs spectateurs, et que l’usage des cérémonies publiques était de toute façon antérieur à l’absolutisme. Elle refuse ainsi d’engager le débat sur le concept de « propagande d’État », que Joël Cornette, par exemple, assume sans difficulté. Dans La Mort de Louis XIV comme dans sa contribution au Siècle de Louis XIV[14], ce dernier n’éprouve aucune répugnance à parler de propagande royale, même si cette dernière n’a pas été forcément imposée par le haut, et ne saurait être comparée avec celle d’États totalitaires contemporains.

19Parvenu au terme de cette recension, parler de renouvellement historiographique est peut-être excessif. Il paraît plus juste de signaler des inflexions. L’école anglo-saxonne revisitant l’absolutisme semble passée de mode. Seule la mise au point de Jean-Christian Petitfils sur « Louis XIV et la construction de l’État », stratégiquement située au cœur de l’ouvrage qu’il a dirigé, rappelle que l’absolutisme s’est surtout imposé par le compromis. Cet historien est le seul à s’appuyer sur les travaux de Samuel Clark, Thomas Ertman, Sharon Kettering et Roger Mettam, tous mentionnés dans sa bibliographie, qu’il faudrait d’ailleurs compléter par les recherches de Julian Swann sur les états provinciaux de Bourgogne ou les relations entre la monarchie et les parlements. Nous constatons l’accent mis sur l’héritage artistique légué par le règne. S’agirait-il de contrebalancer le nihilisme des programmes scolaires actuels, qui imposent un « devoir de mémoire » sur certains sujets contemporains, et un « devoir d’oubli » sur des événements matriciels de la culture française ? Constatons pour finir que Louis XIV, trois siècles après sa mort, ne laisse toujours pas les chercheurs français indifférents. Le regard est souvent critique chez Joël Cornette, plutôt admiratif chez Alexandre Maral, nuancé selon les sensibilités convoquées par Jean-Christian Petitfils. Tous s’accordent à voir dans le règne un moment décisif dans la construction de l’État, et pour reconnaître au souverain les capacités d’un homme politique exceptionnel. Cela n’exclut pas des échecs personnels, en particulier dans le domaine religieux, et des contradictions propres à tout homme. Le roi qui a trop aimé la guerre s’éteint en rêvant d’une Europe pacifiée ; et l’incarnation du souverain absolu achève son règne en recommandant, pour la régence qui s’annonce, un gouvernement collégial [15].


Date de mise en ligne : 19/08/2016

https://doi.org/10.3917/dss.163.0501

Notes

  • [1]
    Martin Wrede, Der Kriegsherr aux Versailles, Darmstadt, Konrad Theiss-WBG, 2015, 304 p.
  • [2]
    Cf. « Et certains historiens y ont vu… », Maral, p. 112.
  • [3]
    Paris, Tallandier, 1715, 335 p.
  • [4]
    Paris, Gallimard, 2015, 190 p.
  • [5]
    Cf. la note 2, Cornette, p. 14.
  • [6]
    Cornette, p. 153.
  • [7]
    Cf. « cent quatre-vingt-quatre évêchés en 1715 », Cornette, p. 229. Les diocèses français, au nombre de 116 vers 1500, étaient 136 à la Révolution.
  • [8]
    Cf. Petitfils, p. 285.
  • [9]
    Paul Pellisson-Fontanier, Lettres inédites à Jean-Baptiste Boisot (1674-1693), Corinne Marchal et France Marchal-Ninosque éd., Paris, Classiques Garnier, coll. « Correspondances et mémoires », n° 22, 2015, 322 p.
  • [10]
    Cf. Petitfils, p. 379.
  • [11]
    Cf. Maral, p. 284.
  • [12]
    Paris, Arthena, 2015, 584 p.
  • [13]
    Point de vue très différent chez Hendrik Ziegler, Louis XIV et ses ennemis. Image, propagande et contestation, Paris, P.U. de Vincennes, 2013, 417 p.
  • [14]
    « Les ressorts de la gloire et de l’ambition » dans Petitfils, pp. 331-348.
  • [15]
    Emmanuel Pénicaut dans Petitfils, p. 448.

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