1Jean-Pierre Landry (1948-2012)
2Jean-Pierre Landry s’est éteint, le 18 janvier 2012. Ses derniers mois, les plus difficiles pour lui sans doute, il fit face, avec un courage constant et un formidable esprit de vie, à la maladie de Charcot qui lui avait été diagnostiquée très peu de temps après son départ à la retraite, en 2009. Le cours inexorable de la maladie lui ôta d’abord, et très vite, la force de lire puis la possibilité même de parler. Il fut ainsi privé, sans se plaindre jamais, de ce qui avait donné à son métier de professeur sa raison d’être et sa signification profonde : le plaisir d’un dialogue intime noué avec les textes par une lecture attentive et affective, et l’envie absolue de diffuser la connaissance et la nécessité de la littérature qu’il orienta toujours vers la compréhension de notre humanité.
3Ses collègues, ses étudiants, dont il parlait avec tant de bonté et de sollicitude, ceux qui ont eu le privilège de compter parmi ses amis garderont de Jean-Pierre Landry le souvenir d’un chercheur reconnu, consulté et respecté, d’un professeur enthousiaste et brillant, d’un homme humble, accessible, affable, et d’une extrême générosité. Il avait les qualités de l’honnête homme, qu’il évoquait souvent à l’occasion de ses cours et quelquefois de ses travaux ; il admirait dans cette haute figure de la sociabilité la bienveillance lucide, le charme sans artifice et l’accueil souriant au monde. L’humour fut, pour Jean-Pierre Landry, un art de vivre et de penser. Aussi ponctuait-il ses conversations comme ses communications lors des colloques de jeux de mots érudits et facétieux. Il fit pleinement sienne la devise classique : plaire et instruire ; elle fut le credo de son enseignement auquel il se dévoua sans relâche, soucieux par-dessus tout de faire connaître à ses étudiants la richesse et la profondeur du Grand Siècle qu’il aimait et dans lequel il se reconnaissait. Il se donna continûment pour mission de transmettre avec sensibilité et passion la valeur des beaux textes, qu’il lui plaisait de réciter afin de les rendre plus vivants encore, certain que la littérature féconde la réalité et offre pour chacun des modèles d’existence.
4Sa vocation de professeur, qui l’habitait, et sa carrière de chercheur accompagnèrent continûment une démarche plus personnelle, distincte en apparence, mais en réalité parfaitement complémentaire, liée aux élans de la spiritualité (il fut ordonné diacre par l’évêque de Viviers en 2007). Cette spiritualité qu’il envisageait aimable, attentive à autrui, pleine de compassion fut la ligne de vie de Jean-Pierre Landry ; il y arraisonna sa foi et voulut, pour en faire aussi l’unité de sa recherche, la retrouver dans les textes qui le touchaient et dont il interrogeait la rencontre.
5Après avoir obtenu l’agrégation en 1971, Jean-Pierre Landry commença son parcours d’enseignant au lycée technique puis à l’École normale de filles de Poitiers. Il rejoignit l’université de Poitiers comme assistant en 1974, avant de devenir maître-assistant en 1981. Puis il fut nommé à l’université Jean-Moulin Lyon-III. Dans cette université où il prit ses fonctions en 1986 et qu’il ne quitta plus, il occupa la chaire de littérature française du xviie siècle ; il y remplit de nombreuses fonctions, fonda notamment l’équipe de recherches locale sur l’Ancien Régime : le Groupe d’analyse de la dynamique des genres et des styles qu’il dirigea de 2002 à 2007.
6L’année 1974 inaugura aussi son travail de thèse. Sous la direction de Jacques Truchet, Jean-Pierre Landry se consacra à la prédication du jésuite Louis Bourdaloue et plaça son projet sous le double thème de la rhétorique et de la morale. À cette époque, à l’exception de Bossuet, les orateurs sacrés de l’époque classique restaient mal connus. Jean Delumeau venait de publier une étude importante sur la culpabilisation autour du péché et de la peur. Les analyses avancées par Jean-Pierre Landry et soutenues devant son jury en 1984 rejoignirent les perspectives du grand historien dont il reçut le soutien. Elles montraient en effet de quelle façon Bourdaloue participe d’un mouvement d’inflexion de la spiritualité catholique vers un christianisme sévère, rigoriste, empreint d’augustinisme, contribuant à plonger la sensibilité religieuse de l’époque dans une forme de tristesse et de pessimisme.
7Développant encore ce travail fondateur qui réussissait à mêler histoire de la spiritualité et histoire des mentalités, Jean-Pierre Landry rédigea de nombreux articles pour préciser l’importance et le caractère exemplaire de Bourdaloue, dont il entendait marquer la présence déterminante. Plus largement, il s’attacha au cours de ses recherches à éclairer le rôle de la prédication au xviie siècle, à prouver qu’elle n’est pas un ensemble homogène, à dégager ses codes et ses formes. Il montra comment la mission pastorale et l’art des prédicateurs connurent un essor considérable après le concile de Trente. Il releva l’influence que l’éloquence sacrée exerça sur la définition de la spiritualité et sur les régimes de sa diffusion ; il la considérait en définitive comme une voie d’accès irremplaçable au « génie du christianisme ». Il rappela constamment que la prédication du xviie siècle fut une institution à la fois sociale et religieuse et un genre vivant, traversé d’évolutions et de polémiques, et qu’elle est pour notre modernité un témoignage précieux des représentations que les hommes se donnèrent en leur temps de la vie et de la mort.
8Il mit encore en lumière la figure de Marie-Madeleine dans la littérature religieuse, pour lui représentative des différentes positions spirituelles face à la conversion. Plusieurs de ses textes importants revinrent, en hommage à son maître Jacques Truchet, sur l’éloquence de Bossuet, afin d’expliquer sa théorie et sa pratique de la prédication, de souligner la place chez lui de la pastorale de la peur ou d’appréhender les implications politiques de ses oraisons funèbres. Après plusieurs ouvrages dont un classique des études littéraires (La Littérature française du xviie siècle en collaboration avec Isabelle Morlin, paru chez Armand Colin), un dernier livre fut dédié, en 2002, à une lecture des sermons de Bossuet (Bossuet. Sermons. Le Carême du Louvre).
9Qui cherche à saisir dans son ensemble le trajet intellectuel de Jean-Pierre Landry s’aperçoit qu’il a certainement eu pour dessein essentiel l’approche de la condition humaine dans son rapport à la difficulté d’exister. À ce questionnement, l’étude n’a cessé de revenir, associée à la foi intime. Des sermons du xviie siècle, Jean-Pierre Landry a pu écrire que passent en eux toutes les angoisses des hommes comme toutes leurs espérances. Mais sans doute fut-il attentif aux angoisses du Grand Siècle, à l’effroi du « Dieu terrible » que la prédication désirait parfois inspirer, à l’imprégnation de l’aspect le plus sombre de l’augustinisme, pour mettre au jour aussi les victoires contre les tentations de la tristesse. Jean-Pierre Landry s’est souvent penché chez les laïcs chrétiens du xviie siècle sur ce mélange d’inquiétude et de distance élégante qui caractérise leurs conduites et leurs liens, au sein de l’écriture, avec les exigences de l’idéal évangélique. Il a sondé, dans le théâtre qu’il appréciait tant, en relisant par des angles originaux Corneille ou Racine, des voies d’accès à l’expression de l’Amour, souvent arraché à la tyrannie de la Loi, des visions d’une humanité sauvée, réconciliée dans des cités heureuses et soudée par le partage des cœurs.
10Cet humanisme optimiste, présent encore à ses yeux chez Molière dont la gamme comique le réjouissait, il le constitua comme sa propre leçon de vie. Jusqu’à ses derniers jours, il fut fidèle à la spiritualité salésienne, en refusant tout accès de mélancolie et en se tournant délibérément vers la joie : il préféra l’eutrapélie à l’acédie. Il n’oubliait pas que François de Sales demande aux chrétiens d’être « prêts à rendre compte de l’Espérance qui est en eux et d’avoir vraiment des visages de ressuscités ». Il rédigea ces lignes à la fin d’un article sur l’importance de la joie dans la spiritualité salésienne. Leur exigence résonna en lui toute sa vie, et jusque dans son enseignement même, comme le gage de cette véritable sérénité qui parvient à affronter l’inconstance des choses et le tragique des existences. Conforté dans sa certitude d’une dévotion douce et heureuse, il en résuma l’esprit dans une devise qui ne le quittait plus et qu’il avait choisi d’emprunter, en souvenir aussi de son pays natal, à un missionnaire poitevin, saint Théophraste Vénard : Vive la joie quand même !, Jean-Pierre Landry aimait rappeler que la joie est le premier et le dernier mot de l’Évangile.