Notes
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[1]
« Ce n’est pas dans ces milieux d’artistes épris de l’antique qu’il faut chercher des traces de l’influence cartésienne ; c’est chez les savants : physiciens, botanistes, médecins », Henri Busson, La Religion des classiques (1660-1685), Paris, puf, 1948, p. 78-79.
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[2]
Ce terme a une dimension polémique. Voir à ce sujet notre thèse Géraldine Caps, Les « Médecins cartésiens », héritage et diffusion de la représentation mécaniste du corps humain, Hildesheim/Zürich/New York, Georg Olms Verlang, 2010.
-
[3]
« Sélection, simplification et systématisation scolastique, compilations et traductions : les opérations répétées sur ce corpus l’ont réduit et déformé », Armelle Debru-Poncet, « Galénisme », dans La Science classique, xvie-xviiie siècle, dictionnaire critique, sous la direction de Michel Blay et Robert Halleux, Paris, Flammarion, 1998, p. 535.
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[4]
Par exemple, cette expression est employée dès le titre, mais sans s’interroger sur sa pertinence, dans, sous la direction de Roger French et Andrew Wear, The Medical Revolution of the Seventeenth Century, Cambridge, Cambridge University Press, 1989.
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[5]
Nous admettons la thèse de Steven Shapin selon laquelle « la révolution scientifique n’a jamais existé », Steven Shapin, La Révolution scientifique, édition utilisée, traduction par Claire Larsonneur, Paris, Flammarion, 1998, p. 11. Mais il reste à s’interroger davantage qu’il ne le fait sur les implications philosophiques et épistémologiques d’une telle affirmation et essayer, bien que cela présente des difficultés à cause de l’acception étendue du terme de révolution scientifique, de trouver un ou des termes pour qualifier ce qui advient au xviie siècle.
-
[6]
Voir Bernard Tocanne, L’Idée de nature en France dans la seconde moitié du xviie siècle, contribution à l’histoire de la pensée classique, Paris, Klincksieck, 1978.
-
[7]
À notre connaissance, aucune monographie n’a été consacrée à Daniel Duncan. On trouve seulement quelques mentions ponctuelles de son œuvre dans des études plus générales, en particulier dans Hélène Metzger, Les Doctrines chimiques en France du début du xviie à la fin du xviiie siècle, Paris, puf, 1923, édition utilisée, Paris, Albert Blanchard, 1969 ; Henri Busson, La Religion…, op. cit. ; Heikki Kirkinen, Les Origines de la conception moderne de l’homme-machine, le problème de l’âme en France à la fin du règne de Louis XIV (1670-1715), Helsinki, 1960 ; Jacques Roger, Les Sciences de la vie dans la pensée française au xviiie siècle, la génération des animaux de Descartes à l’Encyclopédie, Paris, Armand Colin, 1963 ; Bernard Tocanne, L’Idée de nature…, op. cit. ; Alain Mothu, « La pensée en cornue : considérations sur le matérialisme et la “chymie” en France à la fin de l’âge classique », dans Chrysopœia, t. IV, 1990-1991, p. 307-445 ; Michel Bougard, La Chimie de Nicolas Lemery, Belgique, Brepols, 1999.
-
[8]
De 1679 à 1981, le chirurgien puis médecin Nicolas de Blegny publie le premier périodique strictement médical intitulé Les Nouvelles Descouvertes sur toutes les parties de la Medecine, Paris, Laurent D’Hourry, 1679. Il est relayé par Le Temple d’Esculape, ou le dépositaire des Nouvelles Découvertes, Qui se font journellement dans toutes les parties de la Medecine, Paris, Chez l’Autheur/Claude Blageart/Laurent D’Houry, 1680 ; puis les Nouveautez Journalieres Concernant les Sciences et les Arts, Qui font partie de la Medecine, Paris, L’autheur/Claude Blageart/Laurent d’Hourry, 1680 ; et le Journal des Nouvelles Découvertes, Concernant les Sciences & les Arts, qui font parties de la Medecine, Paris, L’Autheur/Claude Blageart/Laurent d’Hourry, 1681. Il s’agit de publication d’observations que des chirurgiens et des médecins de l’ensemble du Royaume de France font parvenir à Blegny. La raison d’être de ce périodique est l’échange qu’il permet entre tous ceux qui s’intéressent à la médecine, la chirurgie et la pharmacie. Il fait figure d’avant-garde et a du mal de perdurer du fait de ses nombreux détracteurs. Une autre tentative est faite en 1684 sous le titre de Mercure sçavant, Amsterdam, Henry Desbordes, 1684, mais ce périodique ne durera que deux mois. Entre-temps, l’abbé de La Roque s’est proposé de publier sur le même principe un Journal de medecine, entreprise qui sera continuée par Claude Brunet en 1686. Nous n’avons pas ici l’intention d’analyser cet événement majeur dans l’histoire de la médecine, mais il faut garder constamment à l’esprit que ces premières tentatives de périodique spécialisé ont lieu au moment où Duncan écrit.
-
[9]
Fournier-Pescay, « Duncan Daniel », dans Biographie universelle ancienne et moderne, édition utilisée, deuxième édition, Paris, Mme C. Desplaces/M. Michaud, t. XI, 1855, p. 362, colonne 2.
-
[10]
Y. Destianges, « Duncan (Daniel) », dans Dictionnaire de biographie française, sous la direction de Roman d’Amat, t. XII, Paris, Letouzey et Ané, 1970, colonne 275.
-
[11]
Eugène et Émile Haag, La France protestante ou vie des protestants français qui se sont fait un nom dans l’histoire depuis les premiers temps de la réformation jusqu’à la reconnaissance du principe de la liberté des cultes par l’Assemblée nationale, Paris, J. Cherbuliez, 1846-1859, édition utilisée, Genève, Slatkine Reprints, 1966, t. IV, p. 436.
-
[12]
« Je vous trouve heureux d’etre tombé entre les mains de Mr Duncan mon bon ami, dont la capacité est si connue », Pierre Bayle, Lettre à Jacob Bayle, 29 mai 1681, dans id., Correspondance, Oxford, Voltaire Foundation, 2004, t. III, p. 244.
-
[13]
Y. Destianges, « Duncan (Daniel) », dans Dictionnaire…, op. cit., colonne 275.
-
[14]
« Il alla ensuite étudier la médecine à Montpellier, et, par son application et ses progrès, il mérita l’estime de ses maîtres, ainsi que de l’habile praticien Barbeyrac », Eugène et Émile Haag, La France…, op. cit., p. 436.
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[15]
« Le strict commentaire des écrits des Anciens avait progressivement fait place, à partir de 1579, à des leçons portant sur un sujet donné sans qu’il soit fait mention d’un auteur. C’est que les professeurs se fiaient de plus en plus à leur propre expérience, ne craignant plus de s’élever contre des affirmations qui leur paraissaient désormais pour le moins suspectes. Le texte commenté devenait alors un support, une trame, à partir de laquelle le maître épiloguait en donnant son point de vue personnel », Louis Dulieu, La Médecine à Montpellier, tome III, l’époque classique, volume 1, première partie, l’histoire, Avignon, Les Presses Universelles, 1983, p. 229.
-
[16]
« Si l’on excepte les thèses et les travaux de concours, contributions obligatoires et non pas librement choisies, 36 professeurs et survivanciers seulement, sur un total de 59, rédigèrent un ou plusieurs traités [à caractère novateur], soit 61 % », ibid., p. 235. Si on écarte les communications et quelques discours peu importants, « le chiffre des auteurs véritables est ramené à 54 % », ibid., p. 235, ce qui est tout de même représentatif.
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[17]
« Il ne s’agit pas de considérer des obstacles externes, comme la complexité et la fugacité des phénomènes, ni d’incriminer la faiblesse des sens et de l’esprit humain : c’est dans l’acte même de connaître, intimement, qu’apparaissent, par une sorte de nécessité fonctionnelle, des lenteurs et des troubles. C’est là que nous montrerons des causes de stagnation et même de régression, c’est là que nous décèlerons des causes d’inertie que nous appellerons des obstacles épistémologiques », Gaston Bachelard, La Formation de l’esprit scientifique, contribution à une psychanalyse de la connaissance objective, édition utilisée, dixième édition, Paris, Vrin, 1977, p. 13.
-
[18]
« Il […] avait succédé à son père depuis huit ans, lorsque la révocation de l’édit de Nantes le força de quitter la France », Fournier-Pescay, « Duncan Daniel », dans Biographie universelle ancienne…, op. cit., p. 362, colonne 2.
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[19]
« Quoique fort attaché à sa religion, il ne put se résoudre à abandonner sa patrie, en 1685 ; cependant, l’intolérance le contraignit, cinq ans plus tard, à émigrer comme tant de milliers de ses coreligionnaires. Il se retira à Genève, d’où la jalousie de ses confrères le chassa dès l’année suivante », Eugène et Émile Haag, La France…, op. cit., p. 436-437.
-
[20]
« Il alla s’établir à Berne, où il exerça son art, et enseigna l’anatomie avec beaucoup de distinction. Cependant, il lui fallut renoncer encore à cette nouvelle retraite. Les magistrats de Berne ayant rendu une ordonnance qui expulsait du territoire de ce canton tous les Français réfugiés, Duncan se rendit à Berlin, où il fut reçu comme un frère ; on l’honora de la charge de professeur en médecine. Mais il préféra le séjour de La Haye ; il l’habita pendant plusieurs années, puis il se retira à Londres, où il vécut encore vingt-huit ans, pendant lesquels il exerça la médecine d’une manière fort distinguée », Fournier-Pescay, « Duncan Daniel », dans Biographie universelle ancienne…, op. cit., p. 362, colonne 2.
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[21]
« Il quitta Berlin en 1703 pour La Haye, où il vécut dix ans avant de se rendre à Londres », Y. Destianges, « Duncan (Daniel) », dans Dictionnaire de biographie…, op. cit., colonne 275.
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[22]
Il aurait été l’« auteur de poèmes, de traités de médecine, de mythologie et de physique, on lui doit une étude sur la peste et une autre sur l’inoculation de la petite vérole », ibid., colonne 275. Pour notre part, nous n’avons pas trouvé trace de tous.
-
[23]
Daniel Duncan, Explication nouvelle et mechanique des actions animales. où il est traité des Fonctions de l’Ame. Avec une Methode facile pour démontrer exactement toutes les parties du Cerveau, sans couper sa propre substance. Et un Discours sur sa formation, Paris, Jean d’Houry, 1678 ; id., La chymie naturelle, ou l’explication chymique et mechanique de la Nourriture de l’Animal, imprimé à Montauban et se vend à Paris, Jean D’Houry, 1681, rééditions en 1682 et 1683 puis une traduction latine en 1707 ; id., Seconde et troisieme partie de la chymie naturelle ou l’explication chimique et mechanique de l’Évacuation particuliere aux Femmes, & de la Generation, imprimées à Montauban, et se vend à Paris, Laurent d’Houry & Daniel Horthemels, 1687 ; id., Histoire de l’Animal, ou la connoissance du corps animé par la Mechanique et par la Chymie, Montauban, Samuel Dubois, 1686, réédition en 1687 ; id., Essais de mythologie physique, ov explication naturelle Du changement que chaque Saison apporte au monde, & des attributs des Divinitez payennes qui president aux douze mois de l’année, Paris, veuve de Denis Nion, 1690 ; id., Avis salutaire à tout le monde, contre l’abus des choses chaudes, et particulierement Du Café, du Chocolat, & du Thé, Rotterdam, 1705.
-
[24]
« Extrait d’une lettre ecrite de Montauban le 20 Janvier dernier à l’Auteur du Journal par M. Duncan, Doct. en Med. », dans Journal des Sçavans, 8 février 1683, p. 35-36.
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[25]
Ibid., 5 septembre 1678, p. 364-365 ; 1er décembre 1681, p. 403-407 ; 15 décembre 1687, p. 73-76.
-
[26]
Daniel Duncan, Explication nouvelle et mechanique…, op. cit., p. 102-103.
-
[27]
« Les œuvres de Willis furent […] publiées à Lyon en 1676 : cela explique leur grande diffusion dans les milieux médicaux à la fin du xviie siècle », Michel Bougard, La Chimie…, op. cit., note 33, p. 289.
-
[28]
Henri Busson, La Religion…, op. cit., p. 169.
-
[29]
Georges Canguilhem, La Formation du concept de réflexe aux xvii??e et xviii??e siècles, Paris, puf, 1955, p. 59.
-
[30]
« Ce qui distingue essentiellement Willis de Descartes, c’est la conception du mouvement du cœur et de la circulation du sang qu’il emprunte fidèlement à Harvey ; la conception de la nature des esprits animaux et de leurs mouvements dans les nerfs ; la conception de la structure des nerfs ; la conception du mécanisme de la contraction musculaire », ibid., p. 60.
-
[31]
Voir Hansruedi Isler, Thomas Willis 1621-1675, doctor and scientist, New York/London, Hafner Publishing Company, 1968 ; Éric Hamraoui, Les Références explicative et descriptive de la connaissance des maladies du cœur et des vaisseaux (1628-1749), thèse sous la direction de François Dagognet, université Paris-I, mai 1997, t. I, p. 96-100.
-
[32]
Plempius fera immédiatement le rapprochement avec le chapitre XX du De respiratione d’Aristote. Voir Lettre de Plempius à Descartes, janvier 1638, ati, p. 497.
-
[33]
Étienne Gilson, Études sur le rôle de la pensée médiévale dans la formation du système cartésien, Paris, Vrin, 1930, édition utilisée, cinquième édition, Paris, Vrin, 1984, p. 59.
-
[34]
Annie Bitbol-Hesperies, Le Principe de vie chez Descartes, Paris, Vrin, 1990, p. 87-89.
-
[35]
Lors d’une fête de la Saint-Jean, Paracelse n’hésite pas à brûler le Canon d’Avicenne et des ouvrages de Galien, textes de référence et qui jouissent alors d’une autorité quasi incontestée. Dans Le Livre Paragranum, destiné aux futurs médecins, il revendique cet acte : « j’ai jeté au feu de la Saint-Jean la somme livresque, pour dissiper en fumée toute malfortune, et voilà le royaume purifié, aucun feu ne le dévorera plus », Paracelse, Le Livre Paragranum, dans id., Œuvres médicales, choisies et traduites par Bernard Gorceix, Paris, puf, 1968, p. 34.
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[36]
« Dans tout objet naturel, le soufre représente également le combustible, le mercure le fumeux et le volatil, le sel le constituant immuable. Ces constituants se révèlent lorsque l’objet est débarrassé de son enveloppe matérielle brute : ainsi, en brûlant, le bois se montre formé de flammes (soufre), de fumée (mercure) et de cendre (sel). Nous sommes donc en présence : 1o d’un certain nombre de qualités archétypiques ; 2o de forces spirituelles contraignant les corps à assumer ces qualités ; 3o des objets naturels empiriques. Des trois, ce sont les forces spirituelles qui représentent les éléments et les principes véritables », Walter Pagel, Paracelse, Introduction à la médecine philosophique de la Renaissance, traduction de l’anglais par Michel Deutsch, Paris, Arthaud, 1963, p. 92.
-
[37]
« L’homme est fait à partir du grand monde et il contient ce que contient le grand monde. L’homme n’est donc que mercure, soufre et sel », Paracelse, De l’épilepsie, dans id., Œuvres…, op. cit., p. 117.
-
[38]
« J’ay icy expliqué trois sortes de corps qui me semblent auoir beaucoup de rapport auec ceux que les Chymistes ont coustume de prendre pour leurs trois principes, & qu’ils nomment le sel, le soulfre & le mercure. Car on peut prendre ces sucs corrosifs pour leur sel, ces petites branches qui composent vne matiere huileuse pour leur soulfre, & le vif argent pour leur mercure », René Descartes, Principes de la philosophie, A.T. IX-2, p. 235.
-
[39]
« Ce n’est […] pas la tripartition de la matière en ces trois catégories que critique Descartes, mais le fait de leur donner un statut principiel », Bernard Joly, « Descartes et la chimie », dans L’Esprit cartésien, quatrième centenaire de la naissance de Descartes, actes du XXVIe Congrès de l’Association des sociétés de philosophie de langue française (asplf), 30 août-3 septembre 1996, sous la direction de Bernard Bourgeois et Jacques Havet, Paris, Vrin, 2000, t. I, p. 218.
-
[40]
« Examinez, tant qu’il vous plaira, toutes les formes que les divers mouvemens, les diverses figures & grosseurs, & le different arrangement des parties de la matiere peuvent donner aux corps mélez ; & je m’assure que vous n’en trouverez aucune, qui n’ait en soy des qualitez qui tendent à faire qu’elle se change, & en se changeant, qu’elle se reduise à quelqu’vne de celles des Elemens », René Descartes, Le Monde, A.T. XI, p. 27.
-
[41]
De nombreux commentaires ont été écrits à ce sujet. Consulter notamment Annie Bitbol-Hesperies, Le Principe…, op. cit., p. 62-65 et p. 85-87 ; Étienne Gilson, Études…, op. cit., p. 91-100 ; Gerrit Arie Lindeboom, Descartes and medicine, Amsterdam, Éditions Rodopi, 1979, p. 69-72 ; François Duchesneau, Les Modèles du vivant de Descartes à Leibniz, Paris, Vrin, 1998, p. 55-65 ; Vincent Aucante, La Philosophie médicale de Descartes, Paris, puf, 2006, p. 187-207.
-
[42]
Daniel Duncan, La Chymie naturelle…, op. cit., édition utilisée, imprimé à Montauban et se vend à Paris, Jean d’Houry, 1682, préface, np.
-
[43]
« La science de la nature dans ses procédures analytiques (hypothétiques) ou synthétiques (inductives) se devait d’obéir à un impératif de visualisation : connaître c’était mieux voir, et la progression du savoir ne pouvait être que solidaire d’un progrès dans la résolution optique du monde », Philippe Hamou, La Mutation du visible, essai sur la portée épistémologique des instruments d’optique au xvii??e siècle, volume 2, microscopes et télescopes en Angleterre de Bacon à Hooke, Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2001, p. 271.
-
[44]
Id., Voir et connaître à l’âge classique, Paris, puf, 2002, p. 117.
-
[45]
Daniel Duncan, Seconde et troisieme partie…, op. cit., préface de la seconde partie, np.
-
[46]
« Ne plus voir dans les phénomènes que les pièces d’une machine, dans cette machine elle-même une chose dépourvue d’intention et de finalité, c’était renoncer au type d’explication qui avait été jusque-là celui de la science et par conséquent s’astreindre à en trouver un autre », Robert Lenoble, Histoire de l’idée de nature, Paris, Albin Michel, 1969, édition utilisée, Paris, Albin Michel, 1990, p. 227-228.
-
[47]
Charles Ramond, « Les philosophes et la nature au xviie siècle », dans La Nature, sous la direction de Jean-Christophe Goddard, Paris, Vrin, 1990 ; édition utilisée, dans La Nature, approches philosophiques, sous la direction de Jean-Christophe Goddard, Paris, Vrin, 2002, p. 65.
-
[48]
« Pour les conuulsions de la sœur d’vn de vos Religieux, écrit Descartes à Mersenne, ce n’est rien sans doute de surnaturel, & les Medecins la doiuent guerir. Pour moy, encore que ie ne sois pas Docteur, ie ne desespererois pas pour cela d’y trouuer remede ; mais il faudroit estre sur les lieux & voir le suiet », René Descartes, Lettre à Mersenne, 11 mars 1640, A.T. III, p. 42.
-
[49]
« Au lieu d’expliquer vn Phaenomene seulemant, ie me suis resolu d’expliquer tous les Phaenomenes de la nature, c’est-à-dire toute la Physique », id., Lettre à Mersenne, 13 novembre 1629, A.T. I, p. 70.
-
[50]
« La comparaison entre le macrocosme et le microcosme, qui inclut celle entre le soleil et le cœur, est d’ailleurs poussée à son paroxysme par le médecin alchimiste et rosicrucien Robert Fludd dès les premiers gros ouvrages magnifiquement illustrés qu’il fait publier en Allemagne dans le premier tiers du xviie siècle », Annie Bitbol-Hesperies, « Descartes, Harvey et la médecine de la Renaissance », dans Descartes et la Renaissance, Actes du Colloque international de Tours des 22-24 mars 1996, réunis par Emmanuel Faye, Paris, Honoré Champion, 1999, p. 324.
-
[51]
Cet aspect a été passé sous silence dans la dernière traduction française donnée, mais qui fait maintenant date, des Exercicationes de Harvey : « Harvey écrit : « On peut donc appeler ce mouvement du sang, mouvement circulaire, comme Aristote avait appelé circulaire le mouvement de l’atmosphère et des pluies en référence au mouvement circulaire des cieux », […] citation exacte, qu’il faut rappeler puisque la traduction française de Richet fait disparaître la fin de la citation », ibid., p. 339.
-
[52]
« Descartes passe sous silence la comparaison macrocosme/microcosme et ne dit mot de cette connexion entre le soleil et le cœur, parce qu’il rejette l’explication sous-tendant la relation ainsi établie entre le soleil et le cœur, qui repose sur l’affirmation que le principe vital est issu des astres, ou qui manifeste une adhésion à la cosmologie dérivée d’Aristote. Descartes rejette ces idées auxquelles Harvey n’est pas opposé », ibid., p. 339.
-
[53]
Daniel Duncan, La Chymie naturelle…, op. cit., p. 244 ; id., Seconde et troisieme partie…, op. cit., seconde partie, p. 92.
-
[54]
Id., La Chymie naturelle…, op. cit., p. 256.
-
[55]
Ibid., p. 260.
-
[56]
Ibid., p. 299.
-
[57]
On passe ainsi de l’esprit compilateur de la Renaissance sans approche distanciée de la nature aux critères de rationalité et de scientificité moderne, hiérarchisant les phénomènes.
-
[58]
Daniel Duncan, Seconde et troisieme partie…, op. cit., seconde partie, p. 79.
-
[59]
Jacques Abbadie, Traité de la vérité de la religion chrétienne, Rotterdam, Reinier Leers, 1684, vol. 1, p. 47-48.
-
[60]
Voir Théo Verbeek, « Préface », dans René Descartes et Martin Schoock, La Querelle d’Utrecht, Paris, Les impressions nouvelles, 1988, p. 7-66.
-
[61]
Sur toutes ces interdictions, voir Géraldine Caps, Les « Médecins cartésiens »…, op. cit., p. 102-324.
-
[62]
Dans l’épître adressée aux archevêques et évêques de France, La Ville écrit : « je cite devant vous Monsieur des Cartes & ses plus fameux sectateurs : je les accuse d’estre d’accord avec Calvin & les Calvinistes, sur des principes de Philosophie contraires à la doctrine de l’Église », Louis de La Ville [pseudonyme de Le Valois], Sentimens de M Des Cartes Touchant l’essence & les proprietez du corps, opposez A la doctrine de l’Église, et conformes aux erreurs de Calvin, Sur le sujet de l’Eucharistie. Avec une Dissertation sur la pretenduë possibilité des choses impossibles, Paris, Estienne Michallet, 1680, épître, np.
-
[63]
Voir La Philosophie de Monsieur Descartes, Contraire à la Foy Catholique, Avec une refutation d’un imprimé fait depuis peu pour sa defense, Paris, Guy Caillou, 1682.
-
[64]
Voir Pierre-Daniel Huet, Censura philosophiæ cartesianæ, Paris, Daniel Horthemels, 1689 ; Gabriel Daniel, Voyage du monde de Descartes, Paris, Veuve de Simon Bénard, 1690.
-
[65]
Daniel Duncan, Explication nouvelle et mechanique…, op. cit., p. 202-203.
-
[66]
Philippe Hamou, La Mutation…, op. cit., vol. 2, p. 265.
-
[67]
« On a veû pourtant autrefois un homme qui avoit une dent au palais de la bouche, par un caprice de la Nature, qui se plait à éveiller quelquefois l’esprit de l’homme par la curiosité que l’admiration luy donne, ou, pour mieux dire, par un effet de la sagesse de Dieu, qui enfraint quelquefois les loix de la Nature pour faire voir qu’il en est le Maître, car il n’est personne qui soit au dessus de la loy que celuy qui l’a faite, & pour montrer enfin par ces deréglemens, que ce qu’il a fait ne se peut pas mieux faire, puisque tout ce qui s’eloigne tant soit peu de la regle ordinaire qu’il a établie choque les se˜s & la raison. Il paroit encore par-là que quoy qu’il s’attache à suivre l’ordre qu’il a déja mis dans le monde, il ne laisse pas d’etre libre pour agir autrement quand il luy plait, puisque tous les monstres qui naissent au monde sont autant de témoins de cette liberté. J’espere que le Lecteur pieux pardonnera cette disgression au dessein qu’on a de justifier la sage conduite de Dieu des reproches que luy font certains Libertins, qui tirent de ces irregularitez un pretexte d’atheisme », Daniel Duncan, La Chymie naturelle…, op. cit., p. 104-105.
-
[68]
Hélène Metzger, Les Doctrines chimiques…, op. cit., p. 240.
1La diffusion de la représentation mécaniste du corps que Descartes a introduite dans L’Homme, dont le manuscrit achevé en 1633 n’est publié que de façon posthume en France en 1664, se fait en premier lieu et principalement auprès des physiciens et des médecins [1] ; que l’on peut alors qualifier, eu égard à la réception et l’usage de la représentation mécaniste des corps dans la seconde moitié du xviie siècle, de « médecins cartésiens » [2] . Mais cette réception nous confronte à plusieurs problèmes : d’une part, il faut se demander pourquoi et comment le degré d’authenticité et de fidélité par rapport au système de Descartes varie selon les différents médecins et chez un même médecin, dont le médecin montpelliérain Daniel Duncan constitue ici un exemple particulièrement éloquent. D’autre part, la publication de L’Homme, qui advient au moment où la tradition médicale dominée par le « galénisme » – terme que nous employons pour désigner globalement l’héritage de l’œuvre de Galien, mais il se pose aussi, comme pour l’héritage de la pensée de Descartes, la question de la réception et des déformations [3] – est de plus en plus suspectée, contribue, suite à ce qu’avaient amorcé de deux manières différentes d’une part Vésale et les anatomistes de Padoue et d’autre part Paracelse, à invalider cette tradition et vise même à s’y substituer.
2Toutefois, ce renouvellement de la médecine, amorcé depuis plus d’un siècle, n’est pas aussi prompt que le laissent entendre les expressions de « révolution médicale » [4] et de « révolution scientifique » [5] , d’où la nécessité de les récuser. L’œuvre du médecin Daniel Duncan, principalement écrite entre 1678 et 1687, constitue un témoin exemplaire des recompositions qui s’opèrent : une vingtaine d’années après la parution française de L’Homme, nous allons constater combien la pensée de Descartes est déformée, mais elle gagne peut-être dans sa diffusion. Les influences avec lesquelles elle est combinée, dont une des plus importantes est la représentation chimique de la nature introduite par Paracelse, laissent à penser que la nature – dont nous ne retenons présentement qu’une seule acception de ce terme polysémique et équivoque [6] , à savoir l’ensemble des objets physiques qui nous entourent y compris le corps de l’homme – reste encore difficile à appréhender, d’où les multitudes de recompositions théoriques, les tâtonnements et parfois les contradictions qui jalonnent l’œuvre de Daniel Duncan. Ce sont ces hésitations que nous souhaiterions contribuer à mettre en évidence ; ce qui nous conduira non pas à cerner un concept de nature dans l’œuvre de Duncan, mais à repérer un cadre vaste et souple dans lequel s’enracine le questionnement sur l’essence de la nature et dans lequel s’ébauchent et se mêlent des conceptions de la nature qui entretiennent un rapport complexe au passé et parfois contradictoire. C’est finalement un instant de réaménagement et de recomposition du champ de la médecine qui nous est donné à voir, ce qui – en vertu des enseignements qu’en reçoit l’historien des sciences et l’épistémologue – légitime la lecture de ces ouvrages du Grand Siècle quasi oubliés des commentateurs [7] .
3Nous allons voir dans un premier moment quelle est la représentation mécanico- chimique de la nature que propose Duncan, où il juxtapose notamment des éléments en provenance de la représentation mécaniste de Descartes et la représentation chimique de Paracelse. Ensuite, nous comprendrons que malgré l’antifinalisme annoncé – ce qui le plaçait dans une continuité avec L’Homme –, il réintroduit, dans un mouvement contradictoire, des considérations finalistes. Ce faisant, il revient à une thèse qui s’apparente à celle de la traditionnelle médecine galénique mais prend, ainsi que nous le verrons dans un troisième moment, une défense de la représentation mécaniste de la nature en lui donnant une dimension théologique pour montrer – dans un climat où les oppositions à la physique de Descartes sont encore nombreuses, la représentation mécaniste des corps étant alors le plus souvent abusivement assimilée à l’atomisme antique – qu’elle ne conduit ni à l’athéisme ni au libertinage. Toutefois, eu égard à une tendance de spécialisation de la médecine qui se développe au même moment, en particulier avec les tentatives de lancement des premiers périodiques strictement médicaux dès 1679 par Nicolas de Blegny [8] , l’attitude de Duncan diverge et il fait à certains égards figure de retardataire. Il se préoccupe encore, comme nombre des médecins qui lui sont contemporains, de questions philosophiques au lieu de s’en tenir à une explication mécaniste des phénomènes comme d’autres médecins et chirurgiens, en particulier ceux qui collaborent aux journaux de Blegny commencent à le faire. De ce point de vue, Duncan semble plutôt clore les premiers débats philosophico-théologiques au centre desquels se trouve la représentation mécaniste de la nature proposée par Descartes.
1. Une représentation mécanico-chimique et antifinaliste de la nature
4Avant de préciser quelle est cette représentation propre à Duncan, il est nécessaire de rappeler quelques éléments de sa biographie. Nous constaterons alors combien sa formation a été déterminante et a marqué durablement sa pensée et son œuvre.
1.1 Éléments de biographie
5Suivant les biographes, Daniel Duncan serait né à Montauban soit en 1649 [9] , soit « le 15 décembre 1650, de Pierre, docteur en médecine habitant cette ville, et de Anne Sepais » [10] et est décédé à Londres le 30 avril 1735. De religion protestante, il « fit ses humanités et sa philosophie à l’académie de Puylaurens, où il eut pour collègue le célèbre Bayle » [11] , lequel reconnaît la qualité de son exercice [12] , ou pour d’autres « à Toulouse » [13] . Il entreprend ensuite des études de médecine à Montpellier, où il se distingue par son application [14] .
6Contrairement à la faculté de médecine de Paris, celle de Montpellier ménage, très tôt, une place aux étudiants étrangers et aux protestants. D’autre part, l’esprit qui gouverne l’enseignement contraste singulièrement avec l’immobilisme parisien. Alors que l’enseignement médical universitaire parisien demeure dogmatique, celui dispensé à Montpellier développe un rapport beaucoup plus libre aux textes [15] . Cette attitude fondamentale et significative de la capacité du corps enseignant montpelliérain à s’adapter aux réalités effectives et aux exigences du temps présent est attestée par les cours et d’autres communications à caractère novateur rédigés par plus de la moitié des professeurs [16] . Certes, les œuvres de Galien et d’Hippocrate sont encore souvent citées, avec la liberté que l’on sait, mais plus le xviie siècle se déroule, plus ces références antiques s’estompent pour disparaître quasiment dans la seconde moitié du siècle et laisser la place à l’usage d’autres auteurs plus modernes, voire contemporains et qui prônent une médecine chimique, tels que Paracelse, Van Helmont, Sylvius Le Boë, etc. ; ce qui fit toute la renommée de cette faculté sous l’Ancien Régime. Cet enseignement qui se détache progressivement du passé galénique pour se tourner vers une médecine moderne va influencer profondément Duncan.
7Nombre de membres de la faculté de médecine de Montpellier sont également marqués par le néohippocratisme, mais ce renouveau des textes d’Hippocrate, qui est beaucoup plus fidèle à l’esprit des textes qu’à leur lettre, ne constitue pas un « obstacle épistémologique » [17] à la réception des théories nouvelles et facilite même le développement de l’observation pratique ; ce qui a pour conséquence de stimuler l’étude des pathologies et des moyens thérapeutiques, y compris chimiques. C’est ce rapport libre à la tradition que retient Duncan et qu’il va mettre, à sa manière, en application dans ses œuvres.
8Duncan accède au grade de docteur en médecine à Montpellier en 1673 et se rend ensuite à Paris pour se perfectionner. Après son séjour dans la capitale, il retourne vers 1680 exercer à Montauban, ville où son père avait donné des consultations. Suite à la révocation de l’édit de Nantes en 1685, les protestants se trouvent devant un dilemme difficile : se convertir ou fuir. Duncan choisit la seconde solution et soit en 1688 [18] , soit en 1690 [19] , part pour Genève, place forte du calvinisme. Son talent et la jalousie de ses confrères font qu’il doit rapidement quitter la ville. Une longue errance commence alors : il va à Berne où il enseigne l’anatomie, puis à Berlin, puis en 1703 à La Haye et enfin à Londres en 1707 [20] ou en 1713 [21] où il meurt le 30 avril 1735. Au cours de ces péripéties, il se fait remarquer pour la qualité de son enseignement médical et/ou de son exercice.
9L’ensemble des ouvrages de Duncan n’est peut-être pas parvenu à la postérité [22] , mais les six dont nous disposons [23] ainsi qu’un extrait de lettre publié dans le Journal des Sçavans [24] semblent être les plus importants : la plupart ont été réédités, certains sont traduits en plusieurs langues, et presque tous ceux édités en France sont salués par le Journal des Sçavans [25] . Ces publications présentent donc, eu égard au retentissement assez important qu’elles ont lors de leur parution et malgré les jugements méprisants et bien trop superficiels des biographes, un intérêt pour l’historien des sciences et l’épistémologue. Duncan y propose des explications mécanico-chimiques pour comprendre le fonctionnement du corps vivant.
1.2 Une représentation mécanico-chimique de la nature
10L’explication du fonctionnement du cœur que propose Duncan permet de comprendre comment il articule les représentations mécanistes et chimiques et comment il use également d’autres influences, pour la plupart contemporaines :
« la substance du cœur, étant plus compacte que celle des autres muscles, ne laisse pas si facilement dissiper l’esprit animal. Outre que la liqueur, qui est versée dans ses fibres par l’artere Coronaire, étant plus chaude & plus vive que dans les autres parties, puis qu’elle est puisée immediatement dans le cœur, est plus propre à faire des explosions vigoureuses & continuelles. D’ailleurs le sang qui coule continuellement dans les cavitez du cœur par la veine-cave & par la veine du Poûmon, en écarte les parois par sa prompte rarefaction, & fait le Diastole ; mais la grande dilatation des fibres leur cause une irritation, qui determine les esprits à y venir en abondance, & à remplir les fibres, qui se raccourcissant serrent le Cœur, pour en chasser le sang ; Et c’est en cela, que consiste le Systole. Enfin les trois causes de cette prompte raréfaction ; sçavoir le Soufre, le Nitre & le Feu, se trouvent beaucoup plus fortes dans le Cœur que dans aucune autre partie. La chaleur ardente qu’on y sent, l’ebullition, & la rarefaction que le sang y souffre, prouvent assez que le cœur est la source de nôtre chaleur » [26] .
12L’esprit animal constitue une référence à la tradition galénique. Le terme d’explosion nous renvoie à l’œuvre du médecin anglais Thomas Willis, laquelle vient alors d’être publiée en France [27] , et dont les interprétations sont très contrastées suivant les commentateurs : Busson le considère comme gassendiste [28] ; Canguilhem souligne qu’« il a su allier à l’enseignement des chimistes la lecture de Descartes » [29] , le mouvement du cœur étant toutefois un point de divergence majeur [30] ; Isler et Hamraoui décèlent une pléthore d’influences [31] ; ce qui signifie que Duncan prend appui sur une œuvre éclectique de l’un de ses contemporains, mais résolument marquée par le souci de renouveler la médecine traditionnelle. L’évocation du soufre et du nitre constitue une référence à Paracelse et à la médecine spagirique, la chaleur du cœur et le feu, une allusion à Descartes – lequel s’appuie d’une part, sur tout un héritage médical provenant d’Aristote [32] , de Fernel et des Conimbres [33] et d’autre part, sur des expérimentations et des dissections [34] – et enfin la définition de la systole et de la diastole provient de Harvey.
13Il y a donc tout un emboîtement de références tant anciennes que modernes, sans que Duncan se soucie des particularités et des compatibilités des unes avec les autres. Cependant, il sélectionne des éléments théoriques chez chacun des auteurs que nous venons d’évoquer, mais n’hésite pas à amputer une partie de leur pensée. Par exemple, Paracelse a produit une œuvre novatrice en introduisant une médecine chimique, dirigée explicitement contre Galien et Avicenne [35] , où interviennent – pour désigner non pas des éléments singuliers, mais de façon allégorique des états et consistances chimiques [36] – les trois principes que sont le soufre, le sel et le mercure [37] et qui vont devenir les emblèmes des explications chimiques. Duncan use partiellement de ces principes chimiques de Paracelse : le sel est évoqué sous une forme particulière qu’est le nitre, ce qui indique qu’il matérialise les principes introduits par Paracelse ; comme l’a par ailleurs fait Descartes [38] , lequel nie leur statut principiel [39] au profit d’explications mécanistes développées uniquement à partir de ses trois éléments matériels [40] . Enfin, Duncan considère, de même que Descartes, le cœur comme une source de chaleur, tout en rejetant les définitions de la systole et de la diastole de Descartes, lesquelles sont inverses à celles de Harvey [41] . Ainsi Duncan n’hésite-t-il pas à recourir à des thèses majeures qui jalonnent la pensée de Paracelse ou de Descartes, sans toutefois adhérer à la totalité de leurs systèmes.
14En proposant un puzzle aussi original et un jeu d’influences aussi complexe, il semble que Duncan cherche d’une part à remplir le vide que laisse la destruction – amorcée par Vésale et d’une tout autre façon par Paracelse à la Renaissance et parachevée au siècle suivant par Harvey sur le plan pratique et par Descartes sur le plan théorique – de la tradition galénique et d’autre part à dénoncer une relative insuffisance de la représentation mécaniste de la nature introduite dans L’homme. Il s’agit cependant plus de la compléter que de l’invalider. C’est donc toujours la même entreprise de reconstruction de la médecine qui se poursuit, ce qui prouve d’une part que le renversement d’une théorie, et sa substitution par une ou des autres, est un processus long et complexe, qui ne peut se faire instantanément et d’autre part que la conception et la connaissance de la nature sont tributaires du cadre théorique dans lequel on se place ou contre lequel on s’inscrit.
15Dans la préface de la Chymie naturelle, Duncan s’attache à préciser pourquoi et comment il entend développer la représentation mécanico-chimique qu’il a forgée :
« Il semble qu’il n’est rien de plus connu dans la Physiologie que la maniere dont l’animal se nourrit ; l’Echole croit l’avoir suffisamment expliquée par sa faculté nutritive. Mais cette explication obscure n’est pas au goût de ce siecle éclairé, qui ne se paye pas de mots. On veut voir la verité toute nuë, & pour cét effet on a levé le voile dont l’Antiquité mysterieuse a voulu la cacher. La lumiere de la Philosophie nouvelle à chassé les ombres des enigmes, des fables & des termes barbares. Quelques-uns de ses rayons ont penetré jusques aux recoins les plus tenebreux de la Nature. De sorte qu’il n’est point d’endroit dans le grand ni dans le petit Monde qui n’en soit éclairé. On peut dire que la Mechanique & la Chymie sont comme les deux Astres qui mettent la verité naturelle dans ce grand jour. La premiere enseigne la maniere en laquelle les parties solides de l’animal agissent : & la seconde fait toucher au doigt la raison de tous les changemens qui se passent dans ses humeurs. L’une & l’autre font considerer le corps de l’animal comme une machine hydraulique dont la connoissance parfaite suppose l’examen des parties qui la composent & celuy de la liqueur qui coule dans ses canaux. La description du petit Monde se peut diviser en Geographie & Hydrographie aussi bien que celle du grand. La premiere partie de cét Ouvrage est comme un essay de ce que la Mechanique peut pour l’explication des actions animales, & cette seconde partie fera voir combien la Chymie est necessaire pour expliquer nettement les fonctions naturelles de l’animal » [42] .
17La physiologie, qui appréhende le corps vivant, ne peut se développer à partir des explications scolastiques. Duncan les relègue au rang de la sophistique, mais ne prend pas la peine de proposer une argumentation serrée pour les réfuter, cela étant devenu un topos en cette fin de xviie siècle, du fait des nombreuses réfutations de la scolastique publiées dès le début du siècle que ce soit, et pour ne citer que quelques exemples majeurs, celle de Bacon, Gassendi ou encore Descartes. La plupart des ouvrages de philosophie et de médecine du second xvie siècle épinglent également la stérilité à laquelle a conduit la scolastique. À l’obscurantisme de la tradition, Duncan oppose la clarté d’une philosophie nouvelle, où la physique mécaniste et la chimie, elle-même mécanisée, permettent de comprendre les phénomènes.
18Le souci de l’éclairage, de la compréhension, de la visibilité du monde tel qu’on le trouve formulé chez Duncan est caractéristique de la nouvelle épistémologie du xviie siècle, où l’on veut voir avec les yeux et voir avec l’esprit, exigence qui prendra tout son sens avec le mécanisme. Avec un modèle comme la machine, l’automate ou la montre, il faut ouvrir et démonter l’objet pour voir les rouages que l’on ne soupçonne pas de l’extérieur et pour comprendre leur fonctionnement. Voir c’est connaître et connaître c’est voir. Il y a tout un jeu de dévoilement et de destruction du mystère et du merveilleux qui s’opère, si bien que connaître ce n’est pas seulement voir, mais surtout mieux voir à l’aide de son esprit et à l’aide des nouveaux instruments d’observation disponibles, les deux genres de vision étant inexorablement liés et s’influençant réciproquement [43] . Issue de la prise de conscience d’une distanciation réelle et intellectuelle entre l’homme et l’objet, cette obsession de la visibilité transforme l’approche épistémologique du monde :
« les philosophes en vinrent à rechercher pour la connaissance – la « vision intellectuelle » – des conditions analogues à celles requises pour la vision sensible : constatant qu’il arrive le plus souvent que nous pensons à des choses qui sont physiquement absentes, ils inventèrent quelque être ou image de ces choses dont la présence préalable à l’esprit leur semblait requise pour que nous puissions nous les représenter intellectuellement. Et c’est de cette imagination, tirée d’une fausse comparaison avec les corps, qu’est né le préjugé des Idées entendues comme des êtres représentatifs » [44] .
20Cette métaphore de la vision est si importante que Duncan la file encore dans une autre préface et il la complète alors à l’aide de la métaphore du voyage, où l’investigation scientifique devient exploration :
« le Physicien Medecin est le voyageur du Petit-monde. Il y voyage des yeux, & de l’esprit. La veuë des parties, & la meditation qu’il y fait dessus, en sont les voyages. Leur description, & les figures que l’Anatomiste en trace, sont ses cartes geografiques. Et l’Anatomie est l’art d’y voyager. Dans ses voyages il regarde les parties solides comme une terre ferme, les humeurs qui les arrosent comme la mer du Petit-monde, les gros vaisseaux comme les fleuves & les rivieres, & les petits comme des ruisseaux. Il y rencontre même certains courens, qui meritent le nom de torrens, puisqu’ils ne coulent que pendant un petit espace de temps. Telle est l’évacuation de sang que les femmes ont tous les mois. Le voyageur du Petit-monde n’a pas plûtôt découvert ce torrent, qu’il souhaite sçavoir d’où il coule. […] S’il cherchoit la cause finale, il la trouveroit dans la foiblesse & la mort certaine qu’une perte continuelle de sang causeroit à la femme. Mais il en demande la cause physique. Il en laisse la forme au Metaphysicien, & s’attache à l’examen de sa matiere, & de sa cause efficiente » [45] .
22Duncan se lance dans l’aventure de la connaissance, aidé des meilleurs matériaux qu’il a sélectionnés parmi toutes les théories dont il dispose. Il retient le cadre épistémologique moderne, marqué par l’enthousiasme qu’offre le voyage des yeux et de l’esprit et des potentialités qui se dessinent. Il souligne aussi la nécessité de s’en tenir aux causes efficientes et d’écarter les causes finales, comme Descartes l’a fait dans L’Homme.
23En récusant tout finalisme, Descartes a proposé un nouveau type – le contraste est particulièrement saisissant en médecine – d’explication scientifique [46] . La finalité, telle qu’elle est en usage chez Aristote ou Galien sert à expliquer la nature d’une chose par sa fin. Le mécanisme détruit ce rapport fonctionnel : « la nature d’une chose n’est pas sa fin, mais sa structure » [47] . Le but pour lequel on emploie une chose ne constitue pas un principe explicatif. À partir de ses propriétés physiques, il est possible de la caractériser et d’établir des liens constants et réguliers entre les causes et les effets, ce qui permet d’éliminer tout fatalisme et tout recours au surnaturel [48] . Un phénomène que l’on ne saurait expliquer dans l’immédiat n’est pas à attribuer à une cause surnaturelle ou extraordinaire, mais l’homme de science ignore encore des lois sous-jacentes ou certains de leurs effets ; ce qui réduit l’angoisse que peut générer l’inconnu et véhicule une approche optimiste de la recherche. La nature entière [49] est démystifiée : elle perd toute signification mystique et anthropomorphique pour devenir un objet d’investigation et d’étude.
24Partageant cette thèse cardinale avec Descartes, Duncan adopte un cadre physique et médical serré, où seuls les phénomènes physiques peuvent s’inscrire, libérant la médecine et la physique de tout questionnement autre que physique. Mais il reprend également à son compte, comme nous venons de le lire dans les deux citations précédentes, l’analogie du microcosme et du macrocosme, laquelle est, comme nous allons le constater, un reliquat de l’antiquité.
2. Une représentation de la nature marquée par la tradition
25Les deux citations précédentes n’ont été que partiellement commentées. Duncan s’inscrit non seulement dans le cadre épistémologique moderne, mais il réintroduit aussi d’autres thèses beaucoup plus anciennes comme l’analogie du microcosme et du macrocosme. Elle se trouve par exemple longuement développée dans le Timée de Platon ; mais elle a été largement réutilisée par Paracelse pour devenir un lieu commun dans le premier tiers du xviie siècle, que ce soit auprès de médecins alchimistes comme Fludd [50] , ou des médecins qui renouvellent la médecine, comme Harvey, lequel reste encore dépendant du passé de la médecine et recourt à cette analogie en référence à la cosmologie d’Aristote [51] . Cette analogie du microcosme et du macrocosme ne peut donc pas être rattachée à une influence précise et place Duncan entre les anciens et les modernes. Cela donne à voir non pas une théorie de la connaissance achevée, mais en train de se constituer. Toutefois, même si Duncan reprend l’analogie microcosme/macrocosme à son compte, il ne semble pas adhérer à une thèse qui la sous-tend, à savoir que le principe vital provient des astres et que le soleil exerce une influence sur le cœur. Son explication mécanico-chimique du cœur, comme celle de Descartes, la passe sous silence à la différence de Harvey [52] .
26Duncan modifie donc à certains égards le sens de cette analogie entre macrocosme et microcosme et semble plutôt lui attribuer une fonction purement rhétorique : il s’agit de mettre en évidence l’unité et l’unicité des lois qui régissent la nature ; ce qui est un moyen de faire fi de la distinction scolastique entre le monde sublunaire et supralunaire et d’asseoir l’unité et la régularité inhérents à l’ordre de la nature, condition essentielle pour penser une représentation mécaniste et pour pouvoir énoncer des lois physiques. Somme toute, l’analogie microcosme/macrocosme est bien plus un artifice au service de la représentation mécaniste du corps et une stratégie de diffusion de l’idée de l’unicité de la nature qu’un retour à la tradition.
27Mais l’empreinte du passé se fait encore ressentir lorsque Duncan réintroduit dans le détail de ses explications et contrairement à ce que nous venons de lire, la téléologie aristotélicienne : « la Nature ne fait rien en vain » [53] écrit-il dans plusieurs de ses ouvrages, y compris dans celui où il a marqué son rejet du finalisme, d’où l’impossibilité d’interpréter cette contradiction comme une évolution ou une involution de sa pensée. Il reste donc que si Duncan admet ainsi une finalité, un principe directeur dans la nature, il tolère un mélange des genres dans son œuvre et à l’intérieur d’un même ouvrage, sans que cela ne lui fasse problème et dans un but précis qu’il nous faut essayer de cerner.
28Il a tendance à exprimer cette finalité de façon anthropomorphique, en usant souvent d’expressions comme « l’issuë que la Nature leur a donnée » [54] , « c’est dans cette vûë que la Nature… » [55] , « La nature, qui ne souffrant rien de superflu… » [56] , etc. Cette personnification, d’une part, intervient pour mettre, semble-t-il, l’accent sur une relative autonomie qui règne à l’intérieur de la nature, sans pour autant qu’il y ait de désordre ou d’actions inutiles et d’autre part, n’empêche pas, voire semble même faciliter l’étude de la nature, par les postulats de constance et de cohérence qu’elle comporte.
29L’attitude de Duncan présuppose donc et implique que parvenir à la connaissance exige de combiner plusieurs représentations. Appréhender la nature ne peut se faire unilatéralement, mais demande des éclairages complémentaires, puisant aux différentes sources disponibles mais de façon discriminative. Le paradoxe est que les antagonismes surtout épistémologiques entre la représentation chimique paracelsienne de la nature et la représentation mécaniste de Descartes – les critères de validité et de rationalité de la Renaissance et du premier xviie siècle sont différents, voire en opposition [57] – ne forment pas un obstacle pour Duncan. Il a tendance à atténuer partiellement la spécificité de chacune et les modifie pour les imbriquer dans une représentation mécanico-chimique à large spectre. On parvient ainsi à un moment indépassable de complémentarité.
30Du point de vue de la diffusion du cartésianisme, cela montre que dans les années 1670-1680, cette philosophie est devenue courante auprès des médecins y compris ceux de province, et combien ils ont joué paradoxalement un rôle dans la diffusion et la réception de l’œuvre philosophique qu’est L’Homme de Descartes. Mais du fait que cette diffusion passe par des recompositions, des mélanges de genre et des corrections plus ou moins considérables, il n’est plus possible de considérer que le terme cartésien désigne l’ensemble de la philosophie de Descartes eu égard à la singularité et aux particularités des œuvres « cartésiennes », même s’il demeure un fond commun auquel participe la représentation mécaniste des corps. L’acception de l’adjectif cartésien doit être tenue aux déformations et aux modifications de la pensée de Descartes, lesquelles sont paradoxalement autorisées au nom même de l’usage du libre arbitre qu’il prône, mais ne reflètent pas stricto sensu le système de Descartes, voire vont même jusqu’à s’y opposer.
31Alors que Duncan a posé l’antifinalisme de Descartes comme essentiel en physique et médecine, il semble se contredire et réintroduire subrepticement des considérations finalistes, montrant à quel point la thèse radicale de Descartes et le changement de perspective qu’elle opère sont difficiles à recevoir et combien la spécialisation de la médecine – par ailleurs bien plus effective chez les médecins et chirurgiens qui participent au premier journal strictement médical entre 1679 et 1681 – est lente. Le finalisme galénique, qui a marqué les générations de médecins pendant plus de quinze siècles, ne peut être éliminé d’un seul coup et de ce point de vue, l’œuvre de Duncan semble cristalliser une étape intermédiaire avant que son éradication soit effective. Toutefois, eu égard à la formation qu’a reçu Duncan et son rejet de la scolastique, il paraît peu plausible qu’il use du finalisme dans le seul but de revenir au passé. Il semble au contraire, que ce soit une stratégie pour renvoyer à la question de l’origine de la nature, et en lui donnant une réponse théologique, de prendre finalement la défense de la représentation mécaniste des corps.
3. Une nature théologique
32Duncan attribue, en dernière analyse, l’origine de la nature à Dieu :
« il est vray que le meilleur Architecte ne sçauroit bâtir sans materiaux, ni la nature former le corps de l’enfant sans les matieres qui doivent entrer dans sa composition. Mais quand on auroit tous les materiaux necessaires, l’edifice ne s’elevera point si les instrumens requis à leur preparation, ou à leur arrengement, manquent à celuy qui les doit mettre en œuvre » [58] .
34Ce rôle attribué à Dieu donne à voir une médecine où la métaphysique occupe encore une place.
35Mais il semble qu’il faille aller plus loin : le rôle accordé à Dieu doit être corrélé au calvinisme de Duncan. Trois ans avant la publication de l’ouvrage de Duncan duquel est extraite la dernière citation, le célèbre ministre Abbadie écrivait :
« l’éxistence de la matiére, son mouvement, les différences de ce mouvement, la pensée, les différences de la pensée, l’idée de Dieu, et cette espéce d’infinité qui se trouve dans nos desirs, prouveront l’ éxistence de Dieu. La matiére n’éxiste point essentiellement et par elle-même » [59] .
37La réflexion sur l’essence de la matière et sur l’ordre de la nature participe de l’apologétique calviniste. La médecine est donc à certains égards un tremplin vers la religion révélée, ce qui revient à faire fi de la séparation entre la foi et la raison prônée par Descartes, mais qui est en même temps un moyen, mis à part la question du prosélytisme, de parer aux accusations d’athéisme souvent formulées à l’encontre des médecins d’une part et des cartésiens d’autre part. De ce fait, le cartésianisme de Duncan passe donc par un réaménagement de la nouvelle épistémologie introduite par Descartes, ce qui constitue toutefois une involution dans l’entreprise de spécialisation de la médecine. Au lieu d’avoir une médecine qui ne se préoccupe que de questions propres au fonctionnement normal et pathologique du corps humain – comme Descartes l’a donné à voir dans L’Homme malgré une rapide mention des fondements métaphysiques, et comme cela se trouve dans les premiers périodiques médicaux qui paraissent à l’époque où Duncan écrit, mais qui font encore figure d’avant-garde – Duncan s’appesantit sur des considérations métaphysiques et à certains égards théologiques et leur donne une place assez importante dans ses explications. Il passe ainsi outre une innovation majeure de Descartes et semble faire faire à la médecine un pas en arrière, qui paradoxalement, advient aussi dans le but de défendre le mécanisme contre ses détracteurs. En effet, la physique de Descartes se trouve au centre de débats depuis l’affaire d’Utrecht en 1646 [60] , en passant par les interdictions d’enseigner la philosophie de Descartes dans les facultés de médecine et de philosophie hollandaises, belges et françaises le plus souvent sous motif qu’elle conduit à l’hérésie [61] . Au moment où Duncan écrit, les deux interdictions royales de 1675 sont encore dans de nombreuses mémoires et la charge anticartésienne est entretenue dans les milieux théologiques, en particulier par le jésuite La Ville en 1680 [62] et par un texte anonyme paru en 1682 [63] . Dès lors, l’œuvre de Duncan apparaît comme venant clôturer un débat entamé depuis l’affaire d’Utrecht et qui plus tard, malgré un temps d’arrêt après 1682, reprend notamment dans les années 1690 avec Huet et Daniel [64] – l’un évêque d’Avranches et humaniste, l’autre jésuite – et non plus avec des médecins. Dans les années 1690, les polémiques les plus virulentes sont essentiellement menées sur le plan philosophique et théologique, alors que les premières questions de fond se sont posées aux médecins entre 1646 et 1664.
38La dimension théologique que Duncan donne à l’origine de la nature se prolonge par une réflexion sur l’essence de la nature et le pouvoir de l’homme qui en découle :
« comme je croy qu’il est impossible que l’Art imite la Nature dans la structure de cette partie merveilleuse [qu’est la langue], & qu’il fasse une langue artificielle qui imite tous les mouvemens de la naturelle, sans parler des autres causes de ses mouvemens, qui sans doute ne seroient pas faciles à contrefaire, je n’ay pas assez de foy pour croire qu’Albert le Grand ait fait une Teste qui parloit d’elle-même. Quoy que je sois persuadé que toutes ses fonctions se font mechaniquement, neanmoins j’estime que la mechanique en est si divine, qu’elle ne sçauroit être imitée par les hommes » [65] .
40Le fonctionnement mécanique des corps trouve son origine, ses règles et sa perfection en Dieu. À la différence de la thèse défendue par Platon et Aristote, l’art ne peut imiter la nature. Bien au contraire, la technique est un moyen pour penser la nature. L’art et la technique sont des fruits du savoir et du savoir-faire humain, alors que la nature est une entité extérieure et entièrement étrangère à l’homme. Pour pouvoir apprendre à la connaître, il faut la penser et l’appréhender sur le mode technique.
41D’autre part, souligner l’incapacité relative de l’homme et la disproportion entre l’homme et le monde sont le revers et participent de l’épistémologie de la visibilité :
« il y a, explique Hamou, dans la signification que le xviie siècle prêta à la révélation galiléenne une polarité presque indécidable : la découverte d’un nouveau monde visible pouvait être l’occasion d’une exaltation enthousiaste des pouvoirs de l’homme et de leurs déploiements futurs, mais au même moment elle révélait la faiblesse de leur entreprise naturelle sur les choses » [66] .
43Cette analyse des enjeux de l’usage du télescope peut également s’appliquer à ce qui est vu par les yeux de l’esprit : là aussi il est besoin d’un instrument – la méthode – pour observer et comprendre les phénomènes. La méthode, qui conduit et participe à la représentation mécaniste, apporte alors beaucoup d’espoir quant aux possibilités de renouveler les connaissances scientifiques et d’améliorer les savoirs techniques, mais la nécessité d’y recourir et les difficultés que cela pose – comme le montrent les recompositions opérées par Duncan – indiquent en même temps, la complexité et l’immensité de l’entreprise, voire une disproportion entre les objectifs que s’est fixé l’homme et ce dont il est effectivement capable. La méthode et en conséquence la représentation mécaniste, télescopes et microscopes de l’esprit, témoignent à la fois, de la grandeur et de la petitesse, voire des incapacités théoriques et pratiques de l’homme.
44Connaître, c’est être dans la capacité de refaire par l’esprit ou effectivement. C’est comprendre et formuler les lois qui gouvernent la nature, mais ce n’est pas les instaurer. L’homme, du fait de sa finitude, n’a pas de pouvoir absolu sur la nature. Seul Dieu – affirme Duncan contre les libertins, et continue ainsi dans un ouvrage médical, à participer à une polémique philosophique et théologique – peut se placer au-dessus des lois de la nature et exprimer son absolue liberté et sa toute-puissance par la création de monstruosités [67] .
Conclusion :
45En conclusion, malgré le peu d’études qui s’y réfère, l’œuvre de Daniel Duncan, située à un « confluent d’influences » [68] est riche en enseignements pour l’historien des sciences et l’épistémologue. Cette œuvre dense, dont nous avons sélectionné quelques aspects, nous place à un moment particulièrement important de l’histoire de la médecine en nous montrant une médecine résolument tournée vers l’avenir, mais encore attachée par certains aspects au passé. Les vieilles représentations traditionnelles aristotélo-galéniques de la nature ne répondent plus aux interrogations et aux besoins du moment ; d’où la nécessité théorique et pratique d’en proposer d’autres malgré toute la difficulté qu’il y a à innover et à diffuser de nouvelles thèses, du fait du changement, plus ou moins radical, qu’elles introduisent. Dans un vaste foisonnement créatif où il s’agit de réfléchir à l’essence de la nature en général et de la nature de l’homme en particulier, plusieurs approches, parfois même contradictoires, sont reprises, modifiées, nuancées et combinées pour pallier le vide laissé par l’invalidation de la tradition aristotélo-galénique. La représentation mécanico- chimique de la nature, que développe Duncan et qui est un exemple remarquable de ces recompositions, nous offre un point de vue unique et original sur le monde, entre tradition et modernité, cristallisant ainsi un moment de transition particulier dans la façon d’appréhender la nature.
Notes
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[1]
« Ce n’est pas dans ces milieux d’artistes épris de l’antique qu’il faut chercher des traces de l’influence cartésienne ; c’est chez les savants : physiciens, botanistes, médecins », Henri Busson, La Religion des classiques (1660-1685), Paris, puf, 1948, p. 78-79.
-
[2]
Ce terme a une dimension polémique. Voir à ce sujet notre thèse Géraldine Caps, Les « Médecins cartésiens », héritage et diffusion de la représentation mécaniste du corps humain, Hildesheim/Zürich/New York, Georg Olms Verlang, 2010.
-
[3]
« Sélection, simplification et systématisation scolastique, compilations et traductions : les opérations répétées sur ce corpus l’ont réduit et déformé », Armelle Debru-Poncet, « Galénisme », dans La Science classique, xvie-xviiie siècle, dictionnaire critique, sous la direction de Michel Blay et Robert Halleux, Paris, Flammarion, 1998, p. 535.
-
[4]
Par exemple, cette expression est employée dès le titre, mais sans s’interroger sur sa pertinence, dans, sous la direction de Roger French et Andrew Wear, The Medical Revolution of the Seventeenth Century, Cambridge, Cambridge University Press, 1989.
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[5]
Nous admettons la thèse de Steven Shapin selon laquelle « la révolution scientifique n’a jamais existé », Steven Shapin, La Révolution scientifique, édition utilisée, traduction par Claire Larsonneur, Paris, Flammarion, 1998, p. 11. Mais il reste à s’interroger davantage qu’il ne le fait sur les implications philosophiques et épistémologiques d’une telle affirmation et essayer, bien que cela présente des difficultés à cause de l’acception étendue du terme de révolution scientifique, de trouver un ou des termes pour qualifier ce qui advient au xviie siècle.
-
[6]
Voir Bernard Tocanne, L’Idée de nature en France dans la seconde moitié du xviie siècle, contribution à l’histoire de la pensée classique, Paris, Klincksieck, 1978.
-
[7]
À notre connaissance, aucune monographie n’a été consacrée à Daniel Duncan. On trouve seulement quelques mentions ponctuelles de son œuvre dans des études plus générales, en particulier dans Hélène Metzger, Les Doctrines chimiques en France du début du xviie à la fin du xviiie siècle, Paris, puf, 1923, édition utilisée, Paris, Albert Blanchard, 1969 ; Henri Busson, La Religion…, op. cit. ; Heikki Kirkinen, Les Origines de la conception moderne de l’homme-machine, le problème de l’âme en France à la fin du règne de Louis XIV (1670-1715), Helsinki, 1960 ; Jacques Roger, Les Sciences de la vie dans la pensée française au xviiie siècle, la génération des animaux de Descartes à l’Encyclopédie, Paris, Armand Colin, 1963 ; Bernard Tocanne, L’Idée de nature…, op. cit. ; Alain Mothu, « La pensée en cornue : considérations sur le matérialisme et la “chymie” en France à la fin de l’âge classique », dans Chrysopœia, t. IV, 1990-1991, p. 307-445 ; Michel Bougard, La Chimie de Nicolas Lemery, Belgique, Brepols, 1999.
-
[8]
De 1679 à 1981, le chirurgien puis médecin Nicolas de Blegny publie le premier périodique strictement médical intitulé Les Nouvelles Descouvertes sur toutes les parties de la Medecine, Paris, Laurent D’Hourry, 1679. Il est relayé par Le Temple d’Esculape, ou le dépositaire des Nouvelles Découvertes, Qui se font journellement dans toutes les parties de la Medecine, Paris, Chez l’Autheur/Claude Blageart/Laurent D’Houry, 1680 ; puis les Nouveautez Journalieres Concernant les Sciences et les Arts, Qui font partie de la Medecine, Paris, L’autheur/Claude Blageart/Laurent d’Hourry, 1680 ; et le Journal des Nouvelles Découvertes, Concernant les Sciences & les Arts, qui font parties de la Medecine, Paris, L’Autheur/Claude Blageart/Laurent d’Hourry, 1681. Il s’agit de publication d’observations que des chirurgiens et des médecins de l’ensemble du Royaume de France font parvenir à Blegny. La raison d’être de ce périodique est l’échange qu’il permet entre tous ceux qui s’intéressent à la médecine, la chirurgie et la pharmacie. Il fait figure d’avant-garde et a du mal de perdurer du fait de ses nombreux détracteurs. Une autre tentative est faite en 1684 sous le titre de Mercure sçavant, Amsterdam, Henry Desbordes, 1684, mais ce périodique ne durera que deux mois. Entre-temps, l’abbé de La Roque s’est proposé de publier sur le même principe un Journal de medecine, entreprise qui sera continuée par Claude Brunet en 1686. Nous n’avons pas ici l’intention d’analyser cet événement majeur dans l’histoire de la médecine, mais il faut garder constamment à l’esprit que ces premières tentatives de périodique spécialisé ont lieu au moment où Duncan écrit.
-
[9]
Fournier-Pescay, « Duncan Daniel », dans Biographie universelle ancienne et moderne, édition utilisée, deuxième édition, Paris, Mme C. Desplaces/M. Michaud, t. XI, 1855, p. 362, colonne 2.
-
[10]
Y. Destianges, « Duncan (Daniel) », dans Dictionnaire de biographie française, sous la direction de Roman d’Amat, t. XII, Paris, Letouzey et Ané, 1970, colonne 275.
-
[11]
Eugène et Émile Haag, La France protestante ou vie des protestants français qui se sont fait un nom dans l’histoire depuis les premiers temps de la réformation jusqu’à la reconnaissance du principe de la liberté des cultes par l’Assemblée nationale, Paris, J. Cherbuliez, 1846-1859, édition utilisée, Genève, Slatkine Reprints, 1966, t. IV, p. 436.
-
[12]
« Je vous trouve heureux d’etre tombé entre les mains de Mr Duncan mon bon ami, dont la capacité est si connue », Pierre Bayle, Lettre à Jacob Bayle, 29 mai 1681, dans id., Correspondance, Oxford, Voltaire Foundation, 2004, t. III, p. 244.
-
[13]
Y. Destianges, « Duncan (Daniel) », dans Dictionnaire…, op. cit., colonne 275.
-
[14]
« Il alla ensuite étudier la médecine à Montpellier, et, par son application et ses progrès, il mérita l’estime de ses maîtres, ainsi que de l’habile praticien Barbeyrac », Eugène et Émile Haag, La France…, op. cit., p. 436.
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[15]
« Le strict commentaire des écrits des Anciens avait progressivement fait place, à partir de 1579, à des leçons portant sur un sujet donné sans qu’il soit fait mention d’un auteur. C’est que les professeurs se fiaient de plus en plus à leur propre expérience, ne craignant plus de s’élever contre des affirmations qui leur paraissaient désormais pour le moins suspectes. Le texte commenté devenait alors un support, une trame, à partir de laquelle le maître épiloguait en donnant son point de vue personnel », Louis Dulieu, La Médecine à Montpellier, tome III, l’époque classique, volume 1, première partie, l’histoire, Avignon, Les Presses Universelles, 1983, p. 229.
-
[16]
« Si l’on excepte les thèses et les travaux de concours, contributions obligatoires et non pas librement choisies, 36 professeurs et survivanciers seulement, sur un total de 59, rédigèrent un ou plusieurs traités [à caractère novateur], soit 61 % », ibid., p. 235. Si on écarte les communications et quelques discours peu importants, « le chiffre des auteurs véritables est ramené à 54 % », ibid., p. 235, ce qui est tout de même représentatif.
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[17]
« Il ne s’agit pas de considérer des obstacles externes, comme la complexité et la fugacité des phénomènes, ni d’incriminer la faiblesse des sens et de l’esprit humain : c’est dans l’acte même de connaître, intimement, qu’apparaissent, par une sorte de nécessité fonctionnelle, des lenteurs et des troubles. C’est là que nous montrerons des causes de stagnation et même de régression, c’est là que nous décèlerons des causes d’inertie que nous appellerons des obstacles épistémologiques », Gaston Bachelard, La Formation de l’esprit scientifique, contribution à une psychanalyse de la connaissance objective, édition utilisée, dixième édition, Paris, Vrin, 1977, p. 13.
-
[18]
« Il […] avait succédé à son père depuis huit ans, lorsque la révocation de l’édit de Nantes le força de quitter la France », Fournier-Pescay, « Duncan Daniel », dans Biographie universelle ancienne…, op. cit., p. 362, colonne 2.
-
[19]
« Quoique fort attaché à sa religion, il ne put se résoudre à abandonner sa patrie, en 1685 ; cependant, l’intolérance le contraignit, cinq ans plus tard, à émigrer comme tant de milliers de ses coreligionnaires. Il se retira à Genève, d’où la jalousie de ses confrères le chassa dès l’année suivante », Eugène et Émile Haag, La France…, op. cit., p. 436-437.
-
[20]
« Il alla s’établir à Berne, où il exerça son art, et enseigna l’anatomie avec beaucoup de distinction. Cependant, il lui fallut renoncer encore à cette nouvelle retraite. Les magistrats de Berne ayant rendu une ordonnance qui expulsait du territoire de ce canton tous les Français réfugiés, Duncan se rendit à Berlin, où il fut reçu comme un frère ; on l’honora de la charge de professeur en médecine. Mais il préféra le séjour de La Haye ; il l’habita pendant plusieurs années, puis il se retira à Londres, où il vécut encore vingt-huit ans, pendant lesquels il exerça la médecine d’une manière fort distinguée », Fournier-Pescay, « Duncan Daniel », dans Biographie universelle ancienne…, op. cit., p. 362, colonne 2.
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[21]
« Il quitta Berlin en 1703 pour La Haye, où il vécut dix ans avant de se rendre à Londres », Y. Destianges, « Duncan (Daniel) », dans Dictionnaire de biographie…, op. cit., colonne 275.
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[22]
Il aurait été l’« auteur de poèmes, de traités de médecine, de mythologie et de physique, on lui doit une étude sur la peste et une autre sur l’inoculation de la petite vérole », ibid., colonne 275. Pour notre part, nous n’avons pas trouvé trace de tous.
-
[23]
Daniel Duncan, Explication nouvelle et mechanique des actions animales. où il est traité des Fonctions de l’Ame. Avec une Methode facile pour démontrer exactement toutes les parties du Cerveau, sans couper sa propre substance. Et un Discours sur sa formation, Paris, Jean d’Houry, 1678 ; id., La chymie naturelle, ou l’explication chymique et mechanique de la Nourriture de l’Animal, imprimé à Montauban et se vend à Paris, Jean D’Houry, 1681, rééditions en 1682 et 1683 puis une traduction latine en 1707 ; id., Seconde et troisieme partie de la chymie naturelle ou l’explication chimique et mechanique de l’Évacuation particuliere aux Femmes, & de la Generation, imprimées à Montauban, et se vend à Paris, Laurent d’Houry & Daniel Horthemels, 1687 ; id., Histoire de l’Animal, ou la connoissance du corps animé par la Mechanique et par la Chymie, Montauban, Samuel Dubois, 1686, réédition en 1687 ; id., Essais de mythologie physique, ov explication naturelle Du changement que chaque Saison apporte au monde, & des attributs des Divinitez payennes qui president aux douze mois de l’année, Paris, veuve de Denis Nion, 1690 ; id., Avis salutaire à tout le monde, contre l’abus des choses chaudes, et particulierement Du Café, du Chocolat, & du Thé, Rotterdam, 1705.
-
[24]
« Extrait d’une lettre ecrite de Montauban le 20 Janvier dernier à l’Auteur du Journal par M. Duncan, Doct. en Med. », dans Journal des Sçavans, 8 février 1683, p. 35-36.
-
[25]
Ibid., 5 septembre 1678, p. 364-365 ; 1er décembre 1681, p. 403-407 ; 15 décembre 1687, p. 73-76.
-
[26]
Daniel Duncan, Explication nouvelle et mechanique…, op. cit., p. 102-103.
-
[27]
« Les œuvres de Willis furent […] publiées à Lyon en 1676 : cela explique leur grande diffusion dans les milieux médicaux à la fin du xviie siècle », Michel Bougard, La Chimie…, op. cit., note 33, p. 289.
-
[28]
Henri Busson, La Religion…, op. cit., p. 169.
-
[29]
Georges Canguilhem, La Formation du concept de réflexe aux xvii??e et xviii??e siècles, Paris, puf, 1955, p. 59.
-
[30]
« Ce qui distingue essentiellement Willis de Descartes, c’est la conception du mouvement du cœur et de la circulation du sang qu’il emprunte fidèlement à Harvey ; la conception de la nature des esprits animaux et de leurs mouvements dans les nerfs ; la conception de la structure des nerfs ; la conception du mécanisme de la contraction musculaire », ibid., p. 60.
-
[31]
Voir Hansruedi Isler, Thomas Willis 1621-1675, doctor and scientist, New York/London, Hafner Publishing Company, 1968 ; Éric Hamraoui, Les Références explicative et descriptive de la connaissance des maladies du cœur et des vaisseaux (1628-1749), thèse sous la direction de François Dagognet, université Paris-I, mai 1997, t. I, p. 96-100.
-
[32]
Plempius fera immédiatement le rapprochement avec le chapitre XX du De respiratione d’Aristote. Voir Lettre de Plempius à Descartes, janvier 1638, ati, p. 497.
-
[33]
Étienne Gilson, Études sur le rôle de la pensée médiévale dans la formation du système cartésien, Paris, Vrin, 1930, édition utilisée, cinquième édition, Paris, Vrin, 1984, p. 59.
-
[34]
Annie Bitbol-Hesperies, Le Principe de vie chez Descartes, Paris, Vrin, 1990, p. 87-89.
-
[35]
Lors d’une fête de la Saint-Jean, Paracelse n’hésite pas à brûler le Canon d’Avicenne et des ouvrages de Galien, textes de référence et qui jouissent alors d’une autorité quasi incontestée. Dans Le Livre Paragranum, destiné aux futurs médecins, il revendique cet acte : « j’ai jeté au feu de la Saint-Jean la somme livresque, pour dissiper en fumée toute malfortune, et voilà le royaume purifié, aucun feu ne le dévorera plus », Paracelse, Le Livre Paragranum, dans id., Œuvres médicales, choisies et traduites par Bernard Gorceix, Paris, puf, 1968, p. 34.
-
[36]
« Dans tout objet naturel, le soufre représente également le combustible, le mercure le fumeux et le volatil, le sel le constituant immuable. Ces constituants se révèlent lorsque l’objet est débarrassé de son enveloppe matérielle brute : ainsi, en brûlant, le bois se montre formé de flammes (soufre), de fumée (mercure) et de cendre (sel). Nous sommes donc en présence : 1o d’un certain nombre de qualités archétypiques ; 2o de forces spirituelles contraignant les corps à assumer ces qualités ; 3o des objets naturels empiriques. Des trois, ce sont les forces spirituelles qui représentent les éléments et les principes véritables », Walter Pagel, Paracelse, Introduction à la médecine philosophique de la Renaissance, traduction de l’anglais par Michel Deutsch, Paris, Arthaud, 1963, p. 92.
-
[37]
« L’homme est fait à partir du grand monde et il contient ce que contient le grand monde. L’homme n’est donc que mercure, soufre et sel », Paracelse, De l’épilepsie, dans id., Œuvres…, op. cit., p. 117.
-
[38]
« J’ay icy expliqué trois sortes de corps qui me semblent auoir beaucoup de rapport auec ceux que les Chymistes ont coustume de prendre pour leurs trois principes, & qu’ils nomment le sel, le soulfre & le mercure. Car on peut prendre ces sucs corrosifs pour leur sel, ces petites branches qui composent vne matiere huileuse pour leur soulfre, & le vif argent pour leur mercure », René Descartes, Principes de la philosophie, A.T. IX-2, p. 235.
-
[39]
« Ce n’est […] pas la tripartition de la matière en ces trois catégories que critique Descartes, mais le fait de leur donner un statut principiel », Bernard Joly, « Descartes et la chimie », dans L’Esprit cartésien, quatrième centenaire de la naissance de Descartes, actes du XXVIe Congrès de l’Association des sociétés de philosophie de langue française (asplf), 30 août-3 septembre 1996, sous la direction de Bernard Bourgeois et Jacques Havet, Paris, Vrin, 2000, t. I, p. 218.
-
[40]
« Examinez, tant qu’il vous plaira, toutes les formes que les divers mouvemens, les diverses figures & grosseurs, & le different arrangement des parties de la matiere peuvent donner aux corps mélez ; & je m’assure que vous n’en trouverez aucune, qui n’ait en soy des qualitez qui tendent à faire qu’elle se change, & en se changeant, qu’elle se reduise à quelqu’vne de celles des Elemens », René Descartes, Le Monde, A.T. XI, p. 27.
-
[41]
De nombreux commentaires ont été écrits à ce sujet. Consulter notamment Annie Bitbol-Hesperies, Le Principe…, op. cit., p. 62-65 et p. 85-87 ; Étienne Gilson, Études…, op. cit., p. 91-100 ; Gerrit Arie Lindeboom, Descartes and medicine, Amsterdam, Éditions Rodopi, 1979, p. 69-72 ; François Duchesneau, Les Modèles du vivant de Descartes à Leibniz, Paris, Vrin, 1998, p. 55-65 ; Vincent Aucante, La Philosophie médicale de Descartes, Paris, puf, 2006, p. 187-207.
-
[42]
Daniel Duncan, La Chymie naturelle…, op. cit., édition utilisée, imprimé à Montauban et se vend à Paris, Jean d’Houry, 1682, préface, np.
-
[43]
« La science de la nature dans ses procédures analytiques (hypothétiques) ou synthétiques (inductives) se devait d’obéir à un impératif de visualisation : connaître c’était mieux voir, et la progression du savoir ne pouvait être que solidaire d’un progrès dans la résolution optique du monde », Philippe Hamou, La Mutation du visible, essai sur la portée épistémologique des instruments d’optique au xvii??e siècle, volume 2, microscopes et télescopes en Angleterre de Bacon à Hooke, Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2001, p. 271.
-
[44]
Id., Voir et connaître à l’âge classique, Paris, puf, 2002, p. 117.
-
[45]
Daniel Duncan, Seconde et troisieme partie…, op. cit., préface de la seconde partie, np.
-
[46]
« Ne plus voir dans les phénomènes que les pièces d’une machine, dans cette machine elle-même une chose dépourvue d’intention et de finalité, c’était renoncer au type d’explication qui avait été jusque-là celui de la science et par conséquent s’astreindre à en trouver un autre », Robert Lenoble, Histoire de l’idée de nature, Paris, Albin Michel, 1969, édition utilisée, Paris, Albin Michel, 1990, p. 227-228.
-
[47]
Charles Ramond, « Les philosophes et la nature au xviie siècle », dans La Nature, sous la direction de Jean-Christophe Goddard, Paris, Vrin, 1990 ; édition utilisée, dans La Nature, approches philosophiques, sous la direction de Jean-Christophe Goddard, Paris, Vrin, 2002, p. 65.
-
[48]
« Pour les conuulsions de la sœur d’vn de vos Religieux, écrit Descartes à Mersenne, ce n’est rien sans doute de surnaturel, & les Medecins la doiuent guerir. Pour moy, encore que ie ne sois pas Docteur, ie ne desespererois pas pour cela d’y trouuer remede ; mais il faudroit estre sur les lieux & voir le suiet », René Descartes, Lettre à Mersenne, 11 mars 1640, A.T. III, p. 42.
-
[49]
« Au lieu d’expliquer vn Phaenomene seulemant, ie me suis resolu d’expliquer tous les Phaenomenes de la nature, c’est-à-dire toute la Physique », id., Lettre à Mersenne, 13 novembre 1629, A.T. I, p. 70.
-
[50]
« La comparaison entre le macrocosme et le microcosme, qui inclut celle entre le soleil et le cœur, est d’ailleurs poussée à son paroxysme par le médecin alchimiste et rosicrucien Robert Fludd dès les premiers gros ouvrages magnifiquement illustrés qu’il fait publier en Allemagne dans le premier tiers du xviie siècle », Annie Bitbol-Hesperies, « Descartes, Harvey et la médecine de la Renaissance », dans Descartes et la Renaissance, Actes du Colloque international de Tours des 22-24 mars 1996, réunis par Emmanuel Faye, Paris, Honoré Champion, 1999, p. 324.
-
[51]
Cet aspect a été passé sous silence dans la dernière traduction française donnée, mais qui fait maintenant date, des Exercicationes de Harvey : « Harvey écrit : « On peut donc appeler ce mouvement du sang, mouvement circulaire, comme Aristote avait appelé circulaire le mouvement de l’atmosphère et des pluies en référence au mouvement circulaire des cieux », […] citation exacte, qu’il faut rappeler puisque la traduction française de Richet fait disparaître la fin de la citation », ibid., p. 339.
-
[52]
« Descartes passe sous silence la comparaison macrocosme/microcosme et ne dit mot de cette connexion entre le soleil et le cœur, parce qu’il rejette l’explication sous-tendant la relation ainsi établie entre le soleil et le cœur, qui repose sur l’affirmation que le principe vital est issu des astres, ou qui manifeste une adhésion à la cosmologie dérivée d’Aristote. Descartes rejette ces idées auxquelles Harvey n’est pas opposé », ibid., p. 339.
-
[53]
Daniel Duncan, La Chymie naturelle…, op. cit., p. 244 ; id., Seconde et troisieme partie…, op. cit., seconde partie, p. 92.
-
[54]
Id., La Chymie naturelle…, op. cit., p. 256.
-
[55]
Ibid., p. 260.
-
[56]
Ibid., p. 299.
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[57]
On passe ainsi de l’esprit compilateur de la Renaissance sans approche distanciée de la nature aux critères de rationalité et de scientificité moderne, hiérarchisant les phénomènes.
-
[58]
Daniel Duncan, Seconde et troisieme partie…, op. cit., seconde partie, p. 79.
-
[59]
Jacques Abbadie, Traité de la vérité de la religion chrétienne, Rotterdam, Reinier Leers, 1684, vol. 1, p. 47-48.
-
[60]
Voir Théo Verbeek, « Préface », dans René Descartes et Martin Schoock, La Querelle d’Utrecht, Paris, Les impressions nouvelles, 1988, p. 7-66.
-
[61]
Sur toutes ces interdictions, voir Géraldine Caps, Les « Médecins cartésiens »…, op. cit., p. 102-324.
-
[62]
Dans l’épître adressée aux archevêques et évêques de France, La Ville écrit : « je cite devant vous Monsieur des Cartes & ses plus fameux sectateurs : je les accuse d’estre d’accord avec Calvin & les Calvinistes, sur des principes de Philosophie contraires à la doctrine de l’Église », Louis de La Ville [pseudonyme de Le Valois], Sentimens de M Des Cartes Touchant l’essence & les proprietez du corps, opposez A la doctrine de l’Église, et conformes aux erreurs de Calvin, Sur le sujet de l’Eucharistie. Avec une Dissertation sur la pretenduë possibilité des choses impossibles, Paris, Estienne Michallet, 1680, épître, np.
-
[63]
Voir La Philosophie de Monsieur Descartes, Contraire à la Foy Catholique, Avec une refutation d’un imprimé fait depuis peu pour sa defense, Paris, Guy Caillou, 1682.
-
[64]
Voir Pierre-Daniel Huet, Censura philosophiæ cartesianæ, Paris, Daniel Horthemels, 1689 ; Gabriel Daniel, Voyage du monde de Descartes, Paris, Veuve de Simon Bénard, 1690.
-
[65]
Daniel Duncan, Explication nouvelle et mechanique…, op. cit., p. 202-203.
-
[66]
Philippe Hamou, La Mutation…, op. cit., vol. 2, p. 265.
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[67]
« On a veû pourtant autrefois un homme qui avoit une dent au palais de la bouche, par un caprice de la Nature, qui se plait à éveiller quelquefois l’esprit de l’homme par la curiosité que l’admiration luy donne, ou, pour mieux dire, par un effet de la sagesse de Dieu, qui enfraint quelquefois les loix de la Nature pour faire voir qu’il en est le Maître, car il n’est personne qui soit au dessus de la loy que celuy qui l’a faite, & pour montrer enfin par ces deréglemens, que ce qu’il a fait ne se peut pas mieux faire, puisque tout ce qui s’eloigne tant soit peu de la regle ordinaire qu’il a établie choque les se˜s & la raison. Il paroit encore par-là que quoy qu’il s’attache à suivre l’ordre qu’il a déja mis dans le monde, il ne laisse pas d’etre libre pour agir autrement quand il luy plait, puisque tous les monstres qui naissent au monde sont autant de témoins de cette liberté. J’espere que le Lecteur pieux pardonnera cette disgression au dessein qu’on a de justifier la sage conduite de Dieu des reproches que luy font certains Libertins, qui tirent de ces irregularitez un pretexte d’atheisme », Daniel Duncan, La Chymie naturelle…, op. cit., p. 104-105.
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[68]
Hélène Metzger, Les Doctrines chimiques…, op. cit., p. 240.