Notes
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[1]
Margaret McGowan, L’Art du ballet de cour en France, 1581-1643, Paris, CNRS, 1963, chap. 12, « La contribution des pères jésuites au ballet », p. 205-227.
-
[2]
La partition du recueil Philidor utilise le terme « acte » pour désigner les « parties ». On emploie indifféremment les deux termes dans les livrets de ballet, la distinction sera ici opérante afin de ne pas confondre le ballet et la tragédie.
-
[3]
Sur la disposition du ballet au sein du spectacle, voir l’article d’Helen Purkis, « Quelques observations sur les intermèdes dans le théâtre des Jésuites en France », Revue de la société d’histoire du théâtre, avril-juin 1966, p. 182-198.
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[4]
« Il se fit devant » porté à la main entre « BALLET GENERAL » et « qui sera dansé après la distribution des Prix » (BHVP, 611791/6, p. 7).
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[5]
P. Claude-François Ménestrier, Des Ballets anciens et modernes selon les règles du théâtre, Paris, René Guignard, 1682, p. 279 : « Les Ballets d’attache qui se font entre les Entrées des représentations en musique doivent être liez au corps de la piece, aussi bien que ceux que l’on jette entre les Actes des Tragedies & des Comedies, quand on ne forme pas un dessein entier de Ballet pour y servir d’Intermedes. Au College de Clermont où se fait tous les ans une grande Tragedie pour la distribution des Prix donnez par sa Majesté, on lie le plus souvent le sujet des Ballets à celui de la Tragedie ». On soulignera que l’auteur se contente d’enregistrer un usage qui n’est pas même systématique.
-
[6]
P. Joseph de Jouvancy, Ratio discendi et docendi (1685), trad. J.-F. Lefortier, Paris, Le Normant, 1803, chap. II, « Des sciences qu’il faut apprendre », art. II, « De la Poétique », § VI, « Des ballets, danses et autres choses semblables qu’on insère dans les pièces dramatiques », p. 130-131.
-
[7]
Ménestrier, Des Ballets, op. cit., p. 67.
-
[8]
Saint-Hubert, La Manière de composer et faire réussir les ballets, Paris, F. Targa, 1641, un « beau ballet » compte au moins 20 entrées, en deçà c’est un « petit ballet » (10 à 12 entrées), au-delà un « grand ballet royal » (30 entrées).
-
[9]
Voir Marie-Françoise Christout, Le Ballet de cour de Louis XIV, 1643-1672 : mises en scènes, Paris, Picard, CNd, nouvelle édition : 2005 ; et Nathalie Lecomte, « Ballet de cour », Dictionnaire de la musique en France aux XVIIe et XVIIIe siècles, dir. Marcelle Benoit, Paris, Fayard, 1992, p. 45 et 50.
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[10]
Des Ballets, op. cit., p. 137.
-
[11]
Ibid., p. 135.
-
[12]
L’Art du ballet de cour en France, op. cit., p. 214.
-
[13]
Le Ballet de cour de Louis XIV, 1643-1672, op. cit. Voir aussi les sources iconographiques rassemblées par le même auteur, Le Ballet de cour au XVIIe siècle. Iconographie thématique, Genève, Minkoff, 1987.
-
[14]
Impact didactique que leur reconnaît la relation des Nouvelles ecclésiastiques pourtant si critiques à l’égard du spectacle : « La quatrième [partie] merite d’estre decrite toute entiere, tant elle est conforme à la profession religieuse et à l’education de la jeunesse ». Suit une copie du livret consacré à cette partie.
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[15]
4e partie, 1re entrée. Ballet de Psyché (1656), 2e partie : « Les Bacchantes déçues mettent en pièce Orphée » ; Ballet des Festes de Bacchus (1651), 2e partie : « L’entrée d’Orphée déchiré par les Silènes et les Bacchantes ». Épisode également signalé par Lucien dans un extrait de son traité sur la danse longuement cité par Ménestrier, Des Ballets, op. cit., p. 46-52.
-
[16]
4e partie, 4e entrée.
-
[17]
Ibid., p. 93.
-
[18]
2e partie, 5e entrée : « Une recruë de Bohemiens qui se vantent de dire les aventures les plus secrettes ». Parmi les nombreux Égyptiens qui apparaissent dans les ballets, signalons les diseurs de bonne aventure : Ballet Royal de la Nuit (1653), 2e partie : « Quatre Égyptiens et deux Égyptiennes cherchent à dire la bonne aventure et dérobent de çà de là des bourses, sous le prétexte d’escamoter des œufs et de jouer du tambour de basque » ; Ballet des Bienvenus (1655), 2e partie : « Quatre Égyptiens et quatre Égyptiennes prédisent alors l’heureux succès des noces » ; Ballet de l’Impatience (1661), 3e partie : « Quatre marchands consultent deux Bohémiennes sur le sort de leurs vaisseaux » ; les Égyptiennes consultées par Sganarelle dans la 3e entrée du Mariage forcé (1664).
-
[19]
1re partie, respectivement 4e et 5e entrées. Cf. Noémie Courtès, « Liste des ballets de cour à magicien(ne)s ou métamorphoses », dans L’Écriture de l’enchantement, magie et magiciens dans la littérature française du XVIIe siècle, Paris, Champion, 2004, p. 674-677. Elle recense aussi bien les magiciens que les sorciers, les lutins, les fées, les alchimistes. On y ajoutera le Ballet de l’Impatience (1661), 2e entrée, où deux alchimistes dansent avec six enfants qui figurent des gouttes de mercure.
-
[20]
2e partie, 2e entrée. Ballet des Festes de Bacchus (1651), 1re partie : « Deux colporteurs viennent afficher les Fêtes de Bacchus » ; Ballet du Temps (1654), la 1re partie comporte quatre colporteurs suivis de Moments, Minutes, Heures, etc. ; Ballet des Plaisirs troublés (1657), 2e partie : « Un marchand de rubans et de frivolités est surpris par deux colporteurs criant l’édit de réformation des habits ».
-
[21]
1re partie, 3e entrée. Le jeune roi dansait un « curieux » dans la 3e partie du Ballet Royal de la Nuit (1653).
-
[22]
1re partie, les sibylles dans les 2e et 3e entrées, les lutins dans la 5e.
-
[23]
3e partie, 3e entrée. Ballet des Goutteux (1630) ; Ballet de la Nuit (1653), 2e veille : « XIVe Entrée : La Cour des Miracles, où se rendent le soir toute sorte de Gueux & d’Estropiez », M.-F. Christout, Le Ballet de cour de Louis XIV, op. cit., p. 70 : « Soudains guéris “par miracle”, gueux, soldats estropiés ou culs-de-jatte [...] jettent aussitôt leurs béquilles, leurs brouettes. Tous les seize dansent une entrée gaillarde [...] ».
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[24]
2e partie, 3e entrée. On trouve des Ivrognes et des Sobres dans le Ballet de la Raillerie, dansé par le roi en 1659. Dans le Ballet du Château de Bicêtre (1632) se trouve une « Entrée des Paysans yvres », dans le Ballet des Festes de Bacchus (1651), 1re partie : « Quatre nourrices les suivent puis devins et poètes dansent avec des violonistes ivres, deux gueux et une gueuse ruinés par le vin ». De fait, la relation du spectacle par les Nouvelles ecclésiastiques permet de préciser que les « yvrognes suiv[ai]ent en habit de paysans ».
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[25]
2e partie, 4e entrée. Ballet du Château de Bicêtre (1632) : « Entrée des escolliers ».
-
[26]
Des Ballets, op. cit., p. 159.
-
[27]
3e partie, 1re et 2e entrées. Ballet des Empiriques venus d’étranges pays (1604) ; M.-F. Christout, commente ainsi la 4e veille du Ballet Royal de la Nuit, qui met en scène des rêves : « Épouvanté, le flegmatique rêve d’un peureux que terrorisent les ombres de ses parents morts. Incarnant tous deux l’humeur mélancolique, un philosophe au grand chapeau pointu et un poète bouffon contemplent, l’un la métempsycose sous les traits d’une femme changeant de forme, l’autre sa maîtresse telle que l’a dépeinte en 1627 Le Berger extravagant de Georges Sorel » (Le Ballet de cour de Louis XIV, op. cit., p. 72) ; les philosophes du Mariage forcé de Molière sont commentés par Ménestrier, Des Ballets, op. cit., p. 265-266.
-
[28]
3e partie, 5e entrée. Ballet de l’Impatience (1661), 1re partie, dernière entrée : « Deux plaideurs lassés battent leurs procureurs ». En 1666, dans Le Ballet des Muses, Saint-Germain-en-Laye, la 9e entrée est effectivement parlée : « La IXe entrée met en scène trois orateurs latins et trois philosophes grecs représentés par des comédiens français et italiens qui improvisent leurs rôles », mais en 1669, dans Monsieur de Pourceaugnac créé à Chambord, la fin de l’acte II met en scène des danseurs qui interprètent deux avocats, deux procureurs, deux sergents.
-
[29]
Les Nouvelles ecclésiastiques indiquent : « Tous les habits de la comedie italienne parurent, meme ceux de feu Harlequin » (Arlequin, c’est-à-dire le titulaire du rôle, Domenico Biancolelli, dit Dominique, était mort l’année précédente), tandis que la partition convoque Arlequin et Scaramouche aux côtés de Momus (2e partie, 5e entrée). C’est le premier indice que nous relèverons du souci d’inscrire l’actualité dans de tels spectacles, encore que l’on sait que les personnages italiens étaient présents dans les ballets royaux, tel Scaramouche dans L’Amour malade (1658) : Charles Mazouer relève ainsi une dizaine d’occurrences, dans « Les comédiens italiens dans les ballets au temps de Mazarin », La France et l’Italie au temps de Mazarin, PU de Grenoble, 1986, p. 91-98.
-
[30]
Des Ballets, op. cit., p. 176.
-
[31]
En particulier au quatrième acte, qui entraîne successivement l’héroïne dans les glaces de la Scythie (scènes 1 et 2), les forges des Chalybes (scènes 3 et 4) et chez les Parques, parmi la guerre, les maladies et la famine (scènes 5 à 7).
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[32]
Voir le ballet comique d’Africains et de Géants au premier acte de Cadmus et Hermione (1673), des statues d’or animées (acte II), des « soldats nés de la terre » (acte IV). On trouve des vieillards athéniens dans le deuxième acte de Thésée (1675), des forgerons dans le deuxième acte de Psyché (1678), des magiciens particulièrement expressifs dans le deuxième acte de Bellérophon (1679), des monstres au troisième acte de Persée (1682), au deuxième d’Amadis (1684), au quatrième d’Armide (1686). On regardera aussi la scène des noces de Sangaride au quatrième acte d’Atys (1676) comme un timide retour à une fête bachique où le chœur entonne un joyeux « Rions tous lorsqu’il le faut », assez mal reçu des contemporains : « Dans les premiers endroits qu’on a critiqués de cette pièce je n’ai point remarqué qu’on ait parlé de la scène du fleuve Sangar qui [frise le bas ridicule] est d’un ton trop différent du reste de la pièce [...] » (Claude et François Parfaict, Histoire de l’Académie Royale de Musique depuis son établissement jusqu’à présent (1741), copie de L.-F. Beffara (1835), F-Po, Rés. 536, I, p. 118).
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[33]
C’est ce que relève Ménestrier, et justement en parlant d’Isis, lorsqu’il déplore que les danseurs ne sachent plus caractériser les danses, et se contentent de personnages abstraits (Des Ballets, op. cit., p. 301) : « Il est [...] à craindre que tant d’entrées de Ballets qui ne sont plus que de simples danses ne se ressemblent fort, & qu’on ne revienne si souvent aux Jeux, aux Zephirs, aux Amours, aux peuples de Scythie, de Lybie, & autres lieux, aux Cyclopes, aux Silvains, & aux Bergers, qu’à la fin si les Pantomimes ne se retablissent, on ne dégoûte de ces danses figurées qui n’expriment que de beaux pas sans rien représenter ».
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[34]
Voir en particulier Jean-Baptiste Dubos dans le troisième volume qu’il ajoute en 1733 à ses Réflexions critiques sur la poésie et sur la peinture (première parution en 1719), Paris, École nationale supérieure des beaux-arts, 1993. Dubos fait précisément l’éloge des pantomimes expressives et pittoresques placées par Lully dans ses premiers opéras.
-
[35]
Saint Hubert explique ainsi : « Quelquefois il y a des entrées où il n’est pas nécessaire de sçavoir parfaitement bien dancer. Il me souvient qu’au premier Ballet où j’ay eu l’honneur de dancer devant sa Majesté je representois un escolier, ou je dancay tout a contretemps et hors de cadence, chacun crut que je le faisois à dessein, et mon entrée fut trouvée fort bonne » (La Manière de composer, op. cit., p. 12-13, cité par Mark Franko, La Danse comme texte. Idéologies du corps baroque [1993], Paris, Kargo, L’Éclat, 2005, p. 131).
-
[36]
Le Ballet est donné au Collège du Mont à Caen en 1734 comme second intermède à Sefi Myrsa de Charles Porée. 4e entrée de la 3e partie intitulée « Règles du ballet ».
-
[37]
Jouvancy, Manière d’apprendre et d’enseigner (1685), trad. J.-F. Lefortier, Paris, Le Normant, 1803, p. 107-108. C’est d’ailleurs ce même cas de figure, et sans doute à dessein, que reprend Charles Porée dans son ballet-manifeste L’Homme instruit par le spectacle, 1726, 2e entrée, 3e partie : « Les Lacédémoniens voulant inspirer à leurs enfans l’horreur de l’intemperance, font danser devant eux des Esclaves pris de vin ; & les leur abandonne [sic], pour leur servir de jouët ».
-
[38]
Ballet Royal de la Nuit (1653), 1re partie : « Le Soleil se couche, et la Nuit survient sur un char de nuages traîné par des hiboux [...] ».
-
[39]
Voir par exemple la première scène des Amours de Diane et d’Endymion de Gilbert (1657), le prologue d’Amphitryon de Molière (1668)... La Nuit de Sigalion ne disposait sans doute pas d’une telle machine, la relation des Nouvelles ecclésiastiques mentionne ironiquement son costume : « une espece d’habit de benedictins ».
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[40]
2e partie, 1re entrée.
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[41]
Nouvelles ecclésiastiques, art. cité, voir p. 122.
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[42]
Elle publie le sort glorieux de Sémélé (Les Amours de Jupiter et de Sémélé de Claude Boyer, 1666, acte V, scène dernière), elle célèbre le roi dans le prologue de la tragédie en musique Isis (1677) ; en 1655, dans le Ballet des Bienvenus, elle était même incarnée par le jeune souverain : 2e partie : « Sous les traits de la Renommée, le Roi fait une entrée seule ». Les tambours et trompettes, attributs de la musique guerrière, accompagnent également l’allégorie positive de la Victoire dans le prologue de Thétis et Pélée...
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[43]
Au milieu des nombreuses apparitions du dieu et de sa suite, citons la 5e entrée et finale de Xerxès de Cavalli (1660) : « dansée par Bacchus, entouré de Sylvains, de Bacchantes, de Satyres » ; le dernier intermède de Psyché de Molière, Corneille, Quinault et Lully (1671) voit entrer glorieusement Bacchus « accompagné de Silène, des Égipans, et des Ménades », qui participent encore à la grande fête finale de Thétis et Pélée (1689).
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[44]
Par exemple, chez le P. Rapin : « Il faut presque moins de génie dans l’éloquence pour inventer les choses que pour les arranger : ce tour qu’il faut leur donner pour les mettre dans la place où elles doivent être, coûte bien plus, que la peine qu’on se donne de les penser » (Réflexions sur l’éloquence de ce temps, 1671, § XXIII, cité par Marc Escola, « Ceci n’est pas un livre. Prolégomènes à une rhétorique du discontinu », XVIIe siècle, no 182, 1994, p. 74).
-
[45]
Encore que les Nouvelles ecclésiastiques reconnaissent dans la promotion d’un tel sujet une position idéologique typique de l’ordre : « On y en railla sur le theatre des benedictins secrets ou non, car il s’agissoit du secret, qui est un idole aussy reveré dans la compagnie que jamais ».
-
[46]
Le programme n’indique pas, contrairement à l’habitude, quel est le « chiffre » de ce ballet. En cela, il n’est en rien isolé : les références à l’actualité sont souvent laissées dans l’implicite, voir François de Dainville, « Allégorie et actualité sur les tréteaux des Jésuites », dans Dramaturgie et société. Rapports entre l’œuvre théâtrale, son interprétation et son public aux XVIe et XVIIe siècles, Nancy, 1967, éd. Jean Jacquot, CNRS, 1968, p. 433-443 et dans le même recueil, Jacques Hennequin, « Théâtre et société dans les pièces de collège au XVIIe siècle (1641-1671) d’après vingt-sept programmes de la Province de Champagne des Pères jésuites », p. 457-467.
-
[47]
Il s’agissait aussi de la première campagne de Louis-Provence de Grignan, petit-fils de Mme de Sévigné. Elle rapporte avec soin à sa fille les nouvelles du siège, et se réjouit que le succès de son petit-fils s’associe à la gloire naissante du Dauphin : « Jouissez du plaisir que votre fils ait vu celui de Philisbourg. C’est une date admirable. C’est la première campagne de Monsieur le Dauphin. Ne seriez-vous pas au désespoir qu’il fût seul de son âge qui n’eût point été à cette occasion et que tous les autres fissent les entendus ? [...] songez au plaisir qu’aura votre fils de bien faire sa cour, et d’avoir été à la première occasion où Monseigneur a commencé son personnage de conquérant » (Lettres 1017 et 1018 des 1er et 3 novembre 1688, Correspondance, III, établie par R. Duchêne, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1978, p. 383-384).
-
[48]
Voltaire, Le Siècle de Louis XIV, Francfort, Veuve Knoch et J. G. Eslinger, 1753, vol. III, chap. XVI, p. 24-25.
-
[49]
La Nuit est précipitamment chassée par la Victoire et le retour du jour célébré par le Soleil : « L’ordre de l’univers et d’éternelles lois / N’ont point de pouvoir qui m’arrête. / Je vais partir plus tôt que je ne dois / Pour éclairer la première conquête / Du fils du plus puissant des Rois ».
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[50]
À Monseigneur le Dauphin après la prise de Philisbourg, traduction de l’Ode du P. Jouvency ; voir p. 122-123 la traduction qu’en établit le P. Claude Buffier.
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[51]
Cf. François Charmot, La Pédagogie des jésuites, ses principes, son actualité, Paris, SPES, 1943, en particulier les chapitres XVII : « L’enthousiasme », p. 345-349 et XXII : « L’émulation », p. 389-394, mais émulation et héroïsme reviennent constamment sous sa plume pour décrire les sentiments entretenus chez les élèves.
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[52]
Jouvancy prône une organisation presque chorégraphique de la classe afin de créer une contagion salutaire entre les turbulents et les élèves sages (Manière d’apprendre..., op. cit., p. 273-274). Voir aussi François de Dainville, « L’exercice physique dans les collèges de l’Ancien Régime », L’Éducation des jésuites (XVIe-XVIIIe siècle), Paris, Minuit, 1978, p. 518-525.
-
[53]
Il s’agit en fait d’une donnée pédagogique essentielle, fondée sur l’exercice de l’imagination comme le rappelle F. Charmot, op. cit., p. 222-229.
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[54]
Notamment celles de M. Franko dans La danse comme texte, op. cit., en particulier le chapitre IV : « Érotisme politique du ballet burlesque, 1624-1627 », p. 91-141. Voir aussi « Double bodies : Androgyny and power in the performances of Louis XIV », The Drama Review, vol. 38, no 4, hiver 1994, p. 71-82.
-
[55]
Dans la Bibliotheca rhetorum..., Paris, Grégoire Dupuis, 1725, t. 2, p. 543. On rapprochera ces vers des lignes liminaires des lettres patentes pour l’établissement de l’Académie royale de danse en 1662, publiées dans M. Franko, La Danse comme texte, op. cit., appendice III, p. 221 : « Bien que l’Art de la Danse ait toûjours esté reconnu l’un des plus honnêtes & plus nécessaires à former le corps, & luy donner les premieres & plus naturelles dispositions à toutes sortes d’exercices, & entre autres à ceux des armes ; & par consequent l’un des plus avantageux & plus utiles à nostre Noblessse, & autres qui ont l’honneur de nous approcher, non seulement en temps de guerre dans nos armées, mais mesme en temps de paix dans le divertissement de nos Ballets [...] ».
1Comme le remarque Margaret McGowan dans son ouvrage consacré au ballet de cour, les jésuites ont perçu dans la danse un art susceptible de distraire le public, de composer des tableaux frappants et, en tant que tel, porteur d’une dimension didactique et pédagogique qu’il était bon de ne pas laisser perdre [1]. Actualisant la dimension visuelle de la représentation théâtrale de manière spécifique, la danse tenait donc une place importante dans les spectacles donnés au sein des collèges, à peu près semblable à celle qui lui était octroyée à cette époque sur la scène publique : elle occupait ainsi les « entractes » ménagés dans les tragédies. Pourtant, il ne s’agissait pas non plus de revenir à la stricte pratique des intermèdes, qui n’avaient pas forcément un sujet unique, mais de composer une succession cohérente de petits spectacles reliés les uns aux autres. Ainsi, les séquences chorégraphiques placées entre les actes de la tragédie latine Polymestor ont-elles reçu l’intitulé unique Sigalion ou le secret, et se sont vues désignées comme composant un « ballet ».
2Nous verrons que ce ballet n’est pourtant pas relié à la tragédie par un lien dramatique mais thématique, et constitue bien une œuvre autonome, répondant à des critères de genre et d’esthétique spécifiques. En cela, les jésuites perpétuèrent jusqu’au XVIIIe siècle la tradition du ballet de cour, en en reprenant à la fois les figures et la structure. Nous retrouverons illustré ici l’essentiel des remarques des pères jésuites qui ont écrit sur le ballet, et en particulier Ménestrier, mais nous vérifierons aussi par cette œuvre que les termes de sa réflexion sont polémiques vis-à-vis des pratiques contemporaines de l’année de la création. Cependant, s’il sera aisé de voir combien Sigalion réutilise les lieux et les images d’une forme sentie comme un peu désuète, nous essaierons de voir comment l’ordonnateur du ballet a toutefois tâché d’insuffler une dynamique dans une œuvre de circonstance. Ce dessein correspond à la volonté de disposer le ballet en forme d’hommage encomiastique, adapté à la personnalité d’un Dauphin auréolé de gloire. Alors qu’il met en scène la brutalité d’un triomphe sous le masque gracieux et amusant des figures chorégraphiques, ce ballet nous permet donc légitimement de revenir sur la place qu’occupent la danse et l’éducation du corps dans la pédagogie du collège.
LA DANSE DANS LE SPECTACLE
3Sigalion ou le secret comprend six sections différentes, la première formant l’ « Ouverture du ballet », la dernière le « Ballet général » – qui est en fait la dernière entrée de la 4e partie [2]. Les quatre parties principales sont données entre les cinq actes de la tragédie, suivie de la remise des prix. En revanche, on peut seulement supposer que l’ouverture servait de « prologue » à l’ensemble du spectacle, suivie du premier acte puis de la première partie du ballet. Si l’on admet cette idée, cela donnerait la disposition suivante : Ouverture / acte I / 1re partie / acte II / 2e partie / acte III / 3e partie / acte IV / 4e partie / acte V / Remise des prix / Ballet général [3]. En ce qui concerne le début, le ballet se conformerait donc à la procédure générale des spectacles contemporains contenant des intermèdes dansés (comédies-ballets, opéras), qui commencent tous par donner la parole, après une ouverture instrumentale, aux acteurs « parlants » ou « chantants ». On peut toutefois constater que d’autres spectacles de collège comportent un prologue encomiastique qu’il serait sans doute étrange de ne placer qu’après que la tragédie a commencé. Ainsi, le livret du Ballet de la jeunesse dansé « à la tragédie de Posthumus » en 1692, s’ouvre sur une scène confiée à Apollon et à ses élèves, le dieu se réjouissant d’être convié pour éduquer les jeunes gens :
Quel spectacle charmant se presente à mes yeux ?
Tandis qu’une illustre Jeunesse,
D’obeïr à mes Loix s’empresse ;
Apollon, qu’il t’est glorieux,
De paroistre aujourd’huy dans ces augustes lieux !
4Ce récit précède la première partie du ballet, et l’ouvre dignement, mais il semblerait plus logique que le dieu célèbre d’emblée la possibilité offerte au théâtre de devenir un outil pédagogique. On peut donc imaginer que la musique de l’ouverture, suivie de la première entrée, introduisent l’union des arts dans l’enceinte du collège.
5Le ballet final est prévu après la remise des prix, ce qui s’expliquerait par la nécessité pour les danseurs de changer de costume, puisque tous les interprètes étaient alors rassemblés. Une annotation marginale repérée par Marie Demeillez sur un exemplaire conservé à la Bibliothèque historique de la Ville de Paris [4] indiquerait pourtant que l’ordre a été modifié au profit d’un ballet final joué avant la distribution. Il se peut que ce changement ait été dicté par des contraintes matérielles, néanmoins le ballet était prévu pour conférer une grande pompe au spectacle, en clôturant l’ensemble de la représentation, constituant aussi à coup sûr une ressource divertissante pour un public en grande partie familial et souvent ignorant du latin.
LE SUJET DU BALLET
6Nous sommes en présence de ce que Ménestrier définit comme un « ballet d’attache », qui peut être conçu tout à fait indépendamment de la pièce à laquelle il sert d’intermède, et relié à elle par le « sujet » [5]. De fait, le sujet participe à la cohérence de l’ensemble du divertissement offert au public, en ce qu’il fournit une illustration de l’un des éléments clés de la tragédie. En changeant de langage, en passant du texte parlé à la danse, le spectacle ne quitte pas son enjeu, mais varie les modalités de représentation afin de convaincre le spectateur :
[...] en outre, ces ballets sont une sorte de poésie muette qui exprime, par les mouvemens savans du corps, ce que les auteurs disent dans les vers : car le premier mérite de ce ballet, est d’être lié à la tragédie même, et il faut absolument obéir au précepte d’Horace, qui défend de rien chanter au milieu des actes, qui ne serve à l’action, et qui n’ait une liaison naturelle avec le sujet. Si la tragédie représente la paix conclue entre deux rois, on décrira, dans une espèce de danse déclamée, les causes, les effets, et les avantages de la paix ; si elle représente la guerre, on mettra sous les yeux l’origine des guerres, leurs différens préparatifs et tout ce qui les accompagne. Si vous faites paroître un héros chrétien, triomphant d’ennemis idolâtres, vous ferez voir en même temps la religion qui triomphe après avoir dompté l’idolâtrie [6].
7Comme l’indique d’emblée le titre, et le confirme le livret, Sigalion a pour prétexte le secret, thème effectivement central dans la mise en œuvre du sujet de la tragédie, qui se recentre sur l’identité mystérieuse du fils du roi.
8Du sujet doit découler de manière cohérente l’ensemble des parties du ballet. Notre ballet ressortit à la catégorie des « allégories poétiques » [7], où l’objet n’est pas examiné dans toutes ses composantes, mais constitue une sorte d’enjeu central. En l’occurrence, le dieu du secret est un personnage dont nous sont contées les aventures, tandis qu’une allégorie « philosophique » aurait exposé, par exemple, les quatre principaux types de secrets. De fait, la tragédie Polymestor explorant toutes les formes d’énigmes et de mystères, le ballet est conçu en regard comme une récréation véritablement ludique. En revanche, ce sont les entrées qui, à l’intérieur des quatre parties du ballet, constituent des sortes de typologies successives : les curieux et les indiscrets en font principalement les frais, tandis que les alliés du secret ne tiennent la première place que dans la première et la troisième partie.
9Le sujet permet en effet d’organiser les différentes « entrées », séquences chorégraphiques cohérentes et closes sur elles-mêmes, plus petite unité à l’intérieur de l’ensemble plus vaste des parties. Ici, comme dans nombre de ballets de collège, chaque partie contient cinq entrées, sauf la dernière qui en compte une de moins, complétée par le « ballet général », soit en tout, ouverture comprise, 21 entrées qui font d’un tel ballet, selon la classification de Saint-Hubert, un « beau ballet » [8]. Ce grand nombre de micro-séquences fait constamment courir le risque de la dispersion à ces œuvres. Sigalion est situé, à ce titre, au croisement de deux tendances présentes dans l’histoire du ballet de cour : le ballet à entrées disjointes mais unies par un thème général, hérité de la mascarade italienne et de l’entremets français, et le ballet unifié dramatiquement [9]. Le premier domine largement, et ne présente pas une tendance archaïque, comme l’explique encore Ménestrier qui, s’appuyant sur les autorités antiques, va jusqu’à substituer l’ « unité de sujet » [10] à l’ « unité d’action », assumant tranquillement le morcellement de l’œuvre :
Toute l’œconomie des Ballets n’est autre chose que la juste distribution d’un tout en ses parties essentielles, ou de bien-seance ; un juste arrangement des causes, des effets, des proprietez, des circonstances, des evenemens, d’une chose, une liaison de fables, d’exemples, & d’imaginations à un méme sujet. Enfin un tout, de quelque nature qu’il soit, agreablement & ingenieusement developpé [11].
10Pourtant, il est remarquable que ce ballet ne se présente pas uniquement comme un catalogue de « fables », « exemples », et « imaginations ». En effet, les quatre parties reçoivent chacune un titre : « La naissance de Sigalion », « On fait la guerre à Sigalion », « Sigalion se prépare à la guerre », « Sigalion se venge, & triomphe de ses ennemis ». Il s’agit, on le voit, d’un ordre narratif cohérent, nanti d’une chronologie, souligné par la disposition que l’on peut trouver à l’intérieur de certaines parties elles-mêmes, qui ne sont donc pas conçues comme des regroupements thématiques d’entrées. C’est en particulier le cas de la troisième, qui reprend l’ordre logique qui préside à la constitution d’une armée : réunion du conseil de guerre, prestation de serment des généraux puis des soldats, établissement de l’hôpital, désignation de l’intendance et des troupes de réserve. Les premières entrées de la première partie sont également logiquement amenées : naissance du dieu confié à des nourrices, premières tentatives des curieux de percer le secret de ce dieu. Pour les autres en revanche, le lien thématique domine.
CHOIX DES ENTRÉES
11À l’intérieur de cette structure narrative relativement lâche, l’auteur choisit donc de montrer les alliés et les ennemis du secret. Il effectue ce choix en fonction de son sujet, mais aussi en fonction d’un héritage chorégraphique et d’un savoir-faire établi de longue date. À ce titre, il agit également en compositeur de ballet, à supposer que ce ne soient pas deux personnes différentes qui aient ordonné le spectacle. Nous reconnaissons en fait les deux axes principaux des ballets contemporains : le pittoresque qui invite à la danse et à la pantomime, la Fable mythologique qui permet la lecture allégorique. Comme le remarque Margaret MacGowan à propos des ballets jésuites des premières décennies du siècle, l’inspiration est exactement la même que celle des ballets de la ville, les sujets bibliques ou tirés des pères de l’Église étant réservés aux tragédies [12]. De fait, en puisant dans le bilan réalisé par Marie-Françoise Christout des ballets dansés depuis les années 1640 en France, on constate que l’inspiration est absolument identique [13].
12Le caractère le plus frappant de notre ballet est précisément que la dimension allégorique, la mise en scène d’épisodes dont il convient de tirer un enseignement, est nettement moins présente que l’exposition littérale de situations mettant en jeu le secret et la révélation du secret, reposant sur des scènes et des personnages pittoresques. Ces scènes, tirées de la mythologie, sont rassemblées dans la dernière partie, ce qui peut renforcer leur impact [14], et elles ont la fonction narrative cruciale de présenter les terribles victoires remportées par le dieu du secret sur ses ennemis, répondant ainsi directement au dénouement de la tragédie de Polymestor. Autre fait remarquable, ces entrées sont très originales. Si l’une d’entre elles est indirectement présente sur la scène du ballet de cour, puisque c’est Orphée et non Penthée que, d’ordinaire, l’on présente déchiré par les Bacchantes [15], c’est la seule que l’on retrouve dans le répertoire. On le verra, les personnages de furies ou de tortionnaires menaçants sont en revanche récurrents sur la scène chorégraphique, en particulier dans la tragédie en musique contemporaine.
13En fait, si la séquence a pour objet d’éduquer le spectateur à la discrétion, tel le berger Battus [16], il convient de souligner que la dimension chorégraphique reste primordiale dans la composition d’un tel spectacle : ce dernier personnage est ainsi métamorphosé en statue, motif topique qui a son corollaire, la statue mouvante. C’est bien parce que les entrées pittoresques sont expressives et évocatrices qu’elles alimentent le ballet, comme le souligne Ménestrier :
On choisit parmi ces parties celles que l’on veut, comme au Ballet des Arts on s’attache à ceux qui font les plus belles danses, ou à ceux qui ont quelque chose de plus plaisant, comme les forgerons, les massons, les émouleurs, les colporteurs, &c. [17]
14Défilent ainsi plusieurs types de personnages récurrents dans le ballet du XVIIe siècle : les personnages caractérisés par la couleur de leurs danses comme les Bohémiens (ou Égyptiens [18]), les professions ou les caractères dont les gestes sont typiques et amusants (alchimistes et sorciers [19], colporteurs [20], curieux [21] et fous), les créatures surnaturelles (sibylles, lutins [22]), ou encore les humains souffrant d’un désordre qui les empêche de se comporter élégamment (estropiés [23], ivrognes [24]), voire les deux âges opposés et imparfaits (enfants [25] et vieillards). Ce qui importe est de donner lieu à des situations fortement caractérisées, susceptibles d’être imitées par les danseurs :
Plus les expressions sont naturelles, plus elles sont agréables, parce qu’elles sont ainsi des imitations plus fideles des choses que l’on veut representer. [...] Celle des fols & des yvrognes doit être irreguliere, aussi bien que celle des aveugles, qui doivent chercher, chanceller, & tâtonner. [...] Il y a des actions qui sont plus propres pour le Ballet les unes que les autres. Les actions de combat, des endormis, des gueux, des estropiez, & des forgerons, sont de ces actions qui plaisent, parce que l’imitation en est plus naturelle. [26]
15Ajoutons des types que nous estimerions davantage marqués par les particularités de leur parole, tels que les philosophes [27] et les plaideurs [28], mais qui précisément rapprochent les danses de Sigalion de divertissements plus récents, en particulier les premières comédies-ballets de Molière, Le Mariage forcé et Monsieur de Pourceaugnac, où les gestes comiques et chorégraphiques singent plaisamment les excès de l’action oratoire ici en contrepoint de la déclamation tragique. Notons enfin la présence des personnages de la comédie italienne, absents du livret mais mentionnés dans une relation contemporaine et surtout la partition de Collasse [29].
16Pourtant, ce qui domine est bien l’unité d’inspiration de ce ballet de collège avec les grands ballets du milieu du siècle, fondée sur le mélange incongru entre le trivial et le noble, le registre familier et vulgaire et la grande tragédie, le rire et le sérieux. On pourrait rapprocher ainsi des actes entiers de ballets datant d’une quarantaine d’années en arrière, et présentant le même caractère hétérogène et varié qui enchante littéralement Ménestrier, qui pour cette raison loue le Ballet Royal de la Nuit, dansé par le roi en 1653 :
Les Ballets qui sont composez avec art, ont une admirable varieté de tous ces mouvemens, & de toutes ces passions. C’est en quoy celuy de la Nuit me paroît inimitable, on y voit les caracteres de toutes sortes de personnes. Des Divinitez, des Heros, des Chasseurs, des Bergers, & des Bergeres, des Bandis, des Marchands, des Galands, des Coquettes, des Egyptiens & des Egyptiennes, des Gagnepetits, des allumeurs de lanternes, des Bourgeoises, des Gueux & des Estropiez, des personnages Poëtiques, les Parques, la Tristesse, la Vieillesse, des Pages, des Païsans, des Astrologues, des Monstres, des Demons, des Forgerons, &c. On y voit Bal, Ballet, Comedie, Festin, Sabat, toute sorte de Passions, des Curieux, des Melancoliques, des Furieux, des Amants passionnez, des Amoureux transis, des Plaisans, une Maison en feu, des personnes allarmées. Enfin je ne sçay si jamais nôtre Theatre représentera rien d’aussi accompli en matiere de Ballet. [30]
17Or il convient d’évoquer la tension qui parcourt le théâtre lyrique professionnel à la même époque. En 1677, Lully et Quinault proposent avec Isis une tragédie en musique qui s’apparente de manière frappante à un ballet : même composition relâchée, reliant les actes par un thème, en l’occurrence la persécution de la nymphe Io par Junon, permettant de faire apparaître dans les divertissements les mêmes personnages pittoresques et disparates, ressortissant à l’imaginaire hétéroclite des ballets de cour, tels que forgerons et furies [31]. Cette tentative constante des premiers opéras français de relier directement le genre nouveau à ses modèles français se heurte dès la mort de Lully à l’évolution du goût, qui réclame une unification du ton et des situations, adaptées à la noblesse du sujet de la tragédie [32]. Au contraire, les jésuites persistent à favoriser sur leur scène le mélange des tons et des registres dans l’ensemble de la représentation mais aussi à l’intérieur des ballets, et surtout continuent d’accorder une place importante aux entrées grotesques propices à la pantomime, tandis que dans ces mêmes années, l’Académie royale de musique commence à s’en dépouiller progressivement, et d’abord au plan de la technique chorégraphique [33]. De fait, alors qu’il faut attendre le début du XVIIIe siècle pour que ce type de scènes soit de nouveau vanté par les théoriciens laïcs comme une des ressources de la danse [34], les ballets de collège supposent de caractériser des personnages pittoresques par les gestes et les mouvements, pour plusieurs raisons sans doute mêlées les unes aux autres.
18D’abord, peut-être parce que ce type de chorégraphie est plus amusant, voire plus facile [35] à danser pour les jeunes élèves, ou encore parce qu’il crée un contraste plus frappant et par là plus divertissant avec les scènes tragiques. Peut-être est-il également conservé plus longtemps dans le répertoire des maîtres à danser, encore que cette hypothèse ne soit guère satisfaisante étant donné le contexte parisien de notre spectacle. On peut enfin remarquer que ce type de danse contribue à donner une efficacité immédiate aux épisodes mis en scène, et fait de chaque entrée une véritable saynète, facile à comprendre par les spectateurs, ce qui pourrait valider la défense du ballet comme instrument divertissant mais éducatif. Cette idée est explicitée dans un ballet à caractère métapoétique précisément intitulé Le Ballet : « Dans une representation de ballet tout doit parler, tout doit agir. Chaque Danseur jouë son personnage & par une attitude pathetique il n’instruit pas moins que l’Acteur par sa déclamation. Les simboles mêmes ne sont pas des ornemens muets » [36]. Si l’entrée est une image lisible et intelligible, elle entre pleinement dans le projet didactique qui légitime le spectacle. Ainsi, on peut mettre en regard la relation du spectacle par les Nouvelles ecclésiastiques, qui souhaitent justement polémiquer avec la pratique théâtrale jésuite, ne décrit que le ballet, insistant à dessein sur la réussite implicitement malséante des pantomimes :
Tous les personnages y furent représentés au naturel. [...] On ne pouvoit pas mieux contrefaire l’yvrogne qu’ils faisoient, tantot beuvant en effet, tantot bronchant en apparence.
19avec le projet pédagogique de l’instruction par l’exemple, prôné par Jouvancy lui-même :
Les Lacédémoniens avoient coutume d’instruire leurs enfants par des exemples, c’est pourquoi ils les menoient dans la place publique, et les différentes choses qui s’offroient à eux leur fournissaient l’occasion de les former : l’aspect d’un homme ivre, par exemple, servoient à leur inspirer l’horreur de l’ivresse [...]. [37]
20Pour autant, les danses abstraites ne sont pas absentes de Sigalion, ce qui nous permet d’en conclure que le cadre du ballet solennel est respecté : l’appareil symbolique et les figures allégoriques traditionnelles se disposent dans la macrostructure que nous avons décrite, et participent à la création d’une atmosphère sérieuse et majestueuse. Il est d’ailleurs intéressant de noter que ces lieux communs sont également exploités par la tragédie en musique, et en particulier dans Thétis et Pélée, l’œuvre de Pascal Collasse et Fontenelle qui triomphe en février 1689 : l’ouverture en forme de « ballet des nations » renvoie au titre du ballet final du Bourgeois gentilhomme (1670), mais aussi au grand divertissement des peuples du deuxième acte de Thétis et Pélée. Parallèlement, la première entrée, qui met en scène la naissance du dieu enfanté par la Nuit s’inscrit dans la lignée d’autres prologues, comme celui du grand Ballet Royal de la Nuit si apprécié de Ménestrier [38] ou celui de Thétis et Pélée. En effet, la Nuit, souvent convoquée, sur son char, en ouverture des pièces à machines, permet de faire coïncider le début du jour avec le début du spectacle [39]. Vient ensuite la figure classique de la Renommée, accompagnée de ses instruments martiaux, tambours et trompettes, qui salue l’entrée en scène des ennemis de Sigalion [40]. Enfin, les démons et forces inquiétantes qui participent à la vengeance du dieu, Furies, Guerriers, Bacchantes, demeurent parmi le personnel le plus traditionnel de tous les ballets de l’époque, ils se bousculent en particulier sur la scène de l’Académie royale de musique, où ils contribuent à créer l’atmosphère propre aux sujets fabuleux et tragiques qui s’y développent, rapprochement confirmé par les Nouvelles ecclésiastiques qui indiquent que « tous les personnages de l’opera [...] parurent » [41].
L’EXERCICE ENCOMIASTIQUE ET LE SENS DE LA DANSE
21C’est précisément à propos de l’équilibre général du ballet et des figures que nous voudrions finalement essayer de mesurer la part de l’invention véritable du compositeur du ballet. Certes, il manie un personnel et des épisodes familiers, voire usés. Il parvient cependant, par le choix même de son sujet, à renouveler non pas le détail mais le rapport qu’entretiennent entre eux les éléments disparates qu’il emprunte aux autres spectacles, et ce, en allant jusqu’à inverser leur valeur traditionnelle. En effet, le dieu Sigalion, ami du silence et ennemi de l’éclat, range à ses côtés des créatures et des scènes d’ordinaire présentées comme négatives, tandis qu’il triomphe des personnages et des allégories sentis d’habitude comme positifs. L’exemple le plus frappant est le sort réservé à la Renommée. Celle-ci apparaît bien souvent dans les prologues encomiastiques, ou encore, alliée naturelle des dieux et des héros, se voit confier la proclamation des dénouements glorieux [42]. Ici, enchaînée dans le ballet final, elle voit remisées ses trompettes éclatantes. Le même sort est réservé au personnage sympathique de Bacchus, qui pourtant s’ébattait librement et joyeusement dans les finales des divertissements du roi [43]. Le renversement introduit ainsi une surprise, et contribue à conférer un enjeu dramatique à des formules autrement senties comme stéréotypées. À ce titre, il est aisé de rapprocher l’art de composition d’un ballet de la catégorie de la dispositio qui, à l’époque classique, est parfois valorisée par rapport à celle de l’inventio [44] et qui peut en outre correspondre à des exercices pédagogiques pratiqués dans le collège, autant qu’il peut s’appuyer sur une connivence entre le public connaisseur des ballets, apte à reconnaître et apprécier ce maniement des figures connues.
22Parallèlement, du côté du dieu célébré par le ballet, on note une profonde ambivalence dans sa description : ses troupes sont certes constituées de personnages grotesques (estropiés, vieillards et plaideurs, encore qu’on puisse dire, avec un peu d’imagination, qu’ils symbolisent la sagesse et la compétence philosophique et rhétorique des maîtres jésuites – sans pour autant constituer des caricatures de recteurs [45]), mais il est protégé par un personnel essentiellement mystérieux, les sibylles et les lutins, tandis que sa vengeance est confiée à des êtres traditionnellement présentés comme cruels, impitoyables, voire effrayants, telles les bacchantes, les furies, les allégories de la Fureur et du Désespoir. Il est à noter d’ailleurs que la quatrième partie consacrée à ses victoires s’achève sur une entrée plus paisible, présidée par Mercure, divinité un tant soit peu plus rassurante.
23Sigalion est ainsi une figure tout à la fois pittoresque et inquiétante, noire, dont il convient de mesurer la force punitive et destructrice, même si elle était vraisemblablement atténuée par le charme de la partition et la caractérisation chorégraphique, dominée par la pantomime, essentiellement comique. Une telle ambiguïté, qui cherche donc à rendre le personnage du dieu autant sympathique, puisqu’il met les rieurs de son côté, que sévère, puisque sa vengeance est implacable, sert peut-être à préserver la figure princière à laquelle le public était spontanément amené à identifier ce Sigalion [46]. Un tel effort de caractérisation est à rattacher à un projet encomiastique : derrière ce dieu si rare se tient en effet le Dauphin, qui venait alors de s’illustrer sur la scène de la guerre de la Ligue d’Augsbourg, en participant à la prise de Philisbourg le 29 octobre 1688, le jour de son anniversaire.
24Louis de Bourbon fêtait ses 27 ans, mais il s’agissait de son premier commandement [47], et surtout c’était la première fois que son père l’envoyait guerroyer en son nom, en l’appelant explicitement à se préparer à lui succéder :
Le Roi avait envoïé en Allemagne, à la tête d’une armée de cent mille hommes, son fils le dauphin, qu’on nommoit Monseigneur ; Prince doux dans ses mœurs, modeste dans sa conduite, qui paraissoit tenir en tout de sa mère. Il étoit âgé de vingt-sept ans. C’étoit pour la première fois qu’on lui confioit un commandement, après s’être bien assûré, par son caractère, qu’il n’en abuseroit pas. Le roi lui dit publiquement à son départ ([Journal de Dangeau] 22 septembre 1688) : mon fils, en vous envoïant commander mes armées, je vous donne les occasions de faire connoître votre mérite : allez le montrer à toute l’Europe, afin que, quand je viendrai à mourir, on ne s’apperçoive pas que le Roi soit mort. [48]
25Dans ce contexte, on comprend mieux pourquoi le prologue de Thétis et Pélée insistait sur la jeunesse autant que sur la bravoure du fils de Louis XIV [49], et Jouvancy souligna lui aussi dans une ode l’importance symbolique de ce passage de relais du père au fils [50] – qui s’incarne peut-être ici sous la figure de Mercure, fils de Jupiter.
26Le caractère essentiellement juvénile de l’exploit et surtout l’accent mis sur ce point au cours de sa diffusion dans le corps social explique qu’il soit célébré par les collégiens. Coïncidence amusante, on retrouve une autre prise de Philisbourg, cette fois-ci en 1734 dans la 4e entrée de la 4e partie du ballet justement intitulé Le Ballet, et qui illustre le rôle encomiastique du genre sous le titre « La célébrité des festes de cour et de Parnasse » :
Le Ballet ne se borne pas à des spectacles stériles. Il prend souvent pour motif de ses Jeux les évenemens les plus intéressans. Peut-il manquer, par exemple, de donner un spectacle agréable, lorsqu’à l’occasion de la cérémonie des premiéres armes qui ont été présentées cette année à MONSEIGNEUR LE DAUPHIN, il fait célébrer une Fête aux jeunes Seigneurs de la Cour. Pour la rendre complete & intéresser davantage le jeune Prince, il imagine un éxercice militaire, dans lequel entr’autres choses est representée la prise de Philisbourg.
27On observe cependant que le choix esthétique est d’un tout autre ordre : à l’allégorie, le compositeur préfère ici la pantomime d’un combat. Pourtant, il nous semble que les deux ballets procèdent d’une conception identique de la danse, tout en enregistrant sans doute l’évolution qui, dans les années 1730, confère à nouveau au mouvement dansé une valeur imitatrice. En effet, on l’a vu, le ballet jésuite a toujours conservé l’idée d’une danse évocatrice, parlante, mais où le geste soit dominé à l’égal de la voix qui déclame le texte latin. La belle danse n’est donc pas absente de cette conception du ballet, et justement, Sigalion offre un lieu intéressant de réflexion sur la puissance dramatique du mouvement chorégraphique.
28En disposant la topique du ballet de cour, en articulant les séquences closes sur elles-mêmes au sein d’une organisation narrative globale qui montre la mise en place progressive d’un pouvoir et son triomphe final, le compositeur nous invite in fine à interroger la nature même des corps dansants qui lui servent de matériau. Les pédagogues soulignent souvent qu’il faut exploiter le plaisir qu’ont les élèves à concourir, à s’affronter [51], mais ils restent discrets sur l’énergie dont disposent des enfants et des adolescents : la danse est implicitement, au-delà de la maîtrise du corps juvénile, un moyen de dompter cette vigueur et de la canaliser à bon escient [52]. Le sujet même de notre ballet thématise la fougue de la jeunesse dans son rapport à la contrainte : incarnant à la fois les mensonges sur le mode de la dépense, retrouvant peut-être la folle tournure des danses burlesques, et le silence sur le mode de la contention, les jeunes danseurs sont amenés à expérimenter dans leur corps les différentes postures qu’autorise leur éducation [53]. En ce sens, les ballets jésuites représentent peut-être un entre-deux qui permettrait de compléter les analyses actuelles du ballet de cour [54]. La danse burlesque n’y a pas une fonction de renversement carnavalesque et satirique en opposition à une danse réglée qui indiquerait au contraire l’entrave politique faite à l’aristocratie. Les deux formes coexistent comme figures possibles du processus d’éducation qui façonne l’individu en lui laissant explorer les limites de sa force ou en le maintenant fermement en vue des combats et des joutes, tel le duc de Bourgogne, à qui est dédié le Ballet de la Jeunesse de Le Jay en 1697 :
Dans tout ce que tu fais regne la politesse ;
A la noble fierté tu sçais joindre l’adresse :
Dans la Danse, à la Chasse, à pied comme à Cheval,
Tout est grand dans ton air, & tout est martial [55].
29L’inflexion dramatique et symbolique du ballet, et en particulier l’assurance presque brutale de la victoire de Sigalion, se donne alors à comprendre comme la tonalité fondamentale de la danse de jeunes hommes appelés à interpréter le mouvement chorégraphique comme une variante du geste guerrier.
30Comme Sigalion, à peine sorti des mains des nourrices et immédiatement appelé à la guerre, le Dauphin triomphe de ses ennemis belliqueux avec une ardeur juvénile, traduite ici par la violence du contraste entre les épisodes comiques et les sombres scènes mythologiques. L’ensemble du ballet, par la manière dont il redispose des figures typiques, permet surtout de rendre hommage à un prince qui garantit et transcende les valeurs traditionnelles de ses pères. Il illustre enfin la place qu’occupe la danse dans un processus éducatif qui s’appuie sur l’énergie tout à la fois ludique et divertissante, au sens propre, de la fête, pour affermir la maîtrise progressive des corps juvéniles.
Notes
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[1]
Margaret McGowan, L’Art du ballet de cour en France, 1581-1643, Paris, CNRS, 1963, chap. 12, « La contribution des pères jésuites au ballet », p. 205-227.
-
[2]
La partition du recueil Philidor utilise le terme « acte » pour désigner les « parties ». On emploie indifféremment les deux termes dans les livrets de ballet, la distinction sera ici opérante afin de ne pas confondre le ballet et la tragédie.
-
[3]
Sur la disposition du ballet au sein du spectacle, voir l’article d’Helen Purkis, « Quelques observations sur les intermèdes dans le théâtre des Jésuites en France », Revue de la société d’histoire du théâtre, avril-juin 1966, p. 182-198.
-
[4]
« Il se fit devant » porté à la main entre « BALLET GENERAL » et « qui sera dansé après la distribution des Prix » (BHVP, 611791/6, p. 7).
-
[5]
P. Claude-François Ménestrier, Des Ballets anciens et modernes selon les règles du théâtre, Paris, René Guignard, 1682, p. 279 : « Les Ballets d’attache qui se font entre les Entrées des représentations en musique doivent être liez au corps de la piece, aussi bien que ceux que l’on jette entre les Actes des Tragedies & des Comedies, quand on ne forme pas un dessein entier de Ballet pour y servir d’Intermedes. Au College de Clermont où se fait tous les ans une grande Tragedie pour la distribution des Prix donnez par sa Majesté, on lie le plus souvent le sujet des Ballets à celui de la Tragedie ». On soulignera que l’auteur se contente d’enregistrer un usage qui n’est pas même systématique.
-
[6]
P. Joseph de Jouvancy, Ratio discendi et docendi (1685), trad. J.-F. Lefortier, Paris, Le Normant, 1803, chap. II, « Des sciences qu’il faut apprendre », art. II, « De la Poétique », § VI, « Des ballets, danses et autres choses semblables qu’on insère dans les pièces dramatiques », p. 130-131.
-
[7]
Ménestrier, Des Ballets, op. cit., p. 67.
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[8]
Saint-Hubert, La Manière de composer et faire réussir les ballets, Paris, F. Targa, 1641, un « beau ballet » compte au moins 20 entrées, en deçà c’est un « petit ballet » (10 à 12 entrées), au-delà un « grand ballet royal » (30 entrées).
-
[9]
Voir Marie-Françoise Christout, Le Ballet de cour de Louis XIV, 1643-1672 : mises en scènes, Paris, Picard, CNd, nouvelle édition : 2005 ; et Nathalie Lecomte, « Ballet de cour », Dictionnaire de la musique en France aux XVIIe et XVIIIe siècles, dir. Marcelle Benoit, Paris, Fayard, 1992, p. 45 et 50.
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[10]
Des Ballets, op. cit., p. 137.
-
[11]
Ibid., p. 135.
-
[12]
L’Art du ballet de cour en France, op. cit., p. 214.
-
[13]
Le Ballet de cour de Louis XIV, 1643-1672, op. cit. Voir aussi les sources iconographiques rassemblées par le même auteur, Le Ballet de cour au XVIIe siècle. Iconographie thématique, Genève, Minkoff, 1987.
-
[14]
Impact didactique que leur reconnaît la relation des Nouvelles ecclésiastiques pourtant si critiques à l’égard du spectacle : « La quatrième [partie] merite d’estre decrite toute entiere, tant elle est conforme à la profession religieuse et à l’education de la jeunesse ». Suit une copie du livret consacré à cette partie.
-
[15]
4e partie, 1re entrée. Ballet de Psyché (1656), 2e partie : « Les Bacchantes déçues mettent en pièce Orphée » ; Ballet des Festes de Bacchus (1651), 2e partie : « L’entrée d’Orphée déchiré par les Silènes et les Bacchantes ». Épisode également signalé par Lucien dans un extrait de son traité sur la danse longuement cité par Ménestrier, Des Ballets, op. cit., p. 46-52.
-
[16]
4e partie, 4e entrée.
-
[17]
Ibid., p. 93.
-
[18]
2e partie, 5e entrée : « Une recruë de Bohemiens qui se vantent de dire les aventures les plus secrettes ». Parmi les nombreux Égyptiens qui apparaissent dans les ballets, signalons les diseurs de bonne aventure : Ballet Royal de la Nuit (1653), 2e partie : « Quatre Égyptiens et deux Égyptiennes cherchent à dire la bonne aventure et dérobent de çà de là des bourses, sous le prétexte d’escamoter des œufs et de jouer du tambour de basque » ; Ballet des Bienvenus (1655), 2e partie : « Quatre Égyptiens et quatre Égyptiennes prédisent alors l’heureux succès des noces » ; Ballet de l’Impatience (1661), 3e partie : « Quatre marchands consultent deux Bohémiennes sur le sort de leurs vaisseaux » ; les Égyptiennes consultées par Sganarelle dans la 3e entrée du Mariage forcé (1664).
-
[19]
1re partie, respectivement 4e et 5e entrées. Cf. Noémie Courtès, « Liste des ballets de cour à magicien(ne)s ou métamorphoses », dans L’Écriture de l’enchantement, magie et magiciens dans la littérature française du XVIIe siècle, Paris, Champion, 2004, p. 674-677. Elle recense aussi bien les magiciens que les sorciers, les lutins, les fées, les alchimistes. On y ajoutera le Ballet de l’Impatience (1661), 2e entrée, où deux alchimistes dansent avec six enfants qui figurent des gouttes de mercure.
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[20]
2e partie, 2e entrée. Ballet des Festes de Bacchus (1651), 1re partie : « Deux colporteurs viennent afficher les Fêtes de Bacchus » ; Ballet du Temps (1654), la 1re partie comporte quatre colporteurs suivis de Moments, Minutes, Heures, etc. ; Ballet des Plaisirs troublés (1657), 2e partie : « Un marchand de rubans et de frivolités est surpris par deux colporteurs criant l’édit de réformation des habits ».
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[21]
1re partie, 3e entrée. Le jeune roi dansait un « curieux » dans la 3e partie du Ballet Royal de la Nuit (1653).
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[22]
1re partie, les sibylles dans les 2e et 3e entrées, les lutins dans la 5e.
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[23]
3e partie, 3e entrée. Ballet des Goutteux (1630) ; Ballet de la Nuit (1653), 2e veille : « XIVe Entrée : La Cour des Miracles, où se rendent le soir toute sorte de Gueux & d’Estropiez », M.-F. Christout, Le Ballet de cour de Louis XIV, op. cit., p. 70 : « Soudains guéris “par miracle”, gueux, soldats estropiés ou culs-de-jatte [...] jettent aussitôt leurs béquilles, leurs brouettes. Tous les seize dansent une entrée gaillarde [...] ».
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[24]
2e partie, 3e entrée. On trouve des Ivrognes et des Sobres dans le Ballet de la Raillerie, dansé par le roi en 1659. Dans le Ballet du Château de Bicêtre (1632) se trouve une « Entrée des Paysans yvres », dans le Ballet des Festes de Bacchus (1651), 1re partie : « Quatre nourrices les suivent puis devins et poètes dansent avec des violonistes ivres, deux gueux et une gueuse ruinés par le vin ». De fait, la relation du spectacle par les Nouvelles ecclésiastiques permet de préciser que les « yvrognes suiv[ai]ent en habit de paysans ».
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[25]
2e partie, 4e entrée. Ballet du Château de Bicêtre (1632) : « Entrée des escolliers ».
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[26]
Des Ballets, op. cit., p. 159.
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[27]
3e partie, 1re et 2e entrées. Ballet des Empiriques venus d’étranges pays (1604) ; M.-F. Christout, commente ainsi la 4e veille du Ballet Royal de la Nuit, qui met en scène des rêves : « Épouvanté, le flegmatique rêve d’un peureux que terrorisent les ombres de ses parents morts. Incarnant tous deux l’humeur mélancolique, un philosophe au grand chapeau pointu et un poète bouffon contemplent, l’un la métempsycose sous les traits d’une femme changeant de forme, l’autre sa maîtresse telle que l’a dépeinte en 1627 Le Berger extravagant de Georges Sorel » (Le Ballet de cour de Louis XIV, op. cit., p. 72) ; les philosophes du Mariage forcé de Molière sont commentés par Ménestrier, Des Ballets, op. cit., p. 265-266.
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[28]
3e partie, 5e entrée. Ballet de l’Impatience (1661), 1re partie, dernière entrée : « Deux plaideurs lassés battent leurs procureurs ». En 1666, dans Le Ballet des Muses, Saint-Germain-en-Laye, la 9e entrée est effectivement parlée : « La IXe entrée met en scène trois orateurs latins et trois philosophes grecs représentés par des comédiens français et italiens qui improvisent leurs rôles », mais en 1669, dans Monsieur de Pourceaugnac créé à Chambord, la fin de l’acte II met en scène des danseurs qui interprètent deux avocats, deux procureurs, deux sergents.
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[29]
Les Nouvelles ecclésiastiques indiquent : « Tous les habits de la comedie italienne parurent, meme ceux de feu Harlequin » (Arlequin, c’est-à-dire le titulaire du rôle, Domenico Biancolelli, dit Dominique, était mort l’année précédente), tandis que la partition convoque Arlequin et Scaramouche aux côtés de Momus (2e partie, 5e entrée). C’est le premier indice que nous relèverons du souci d’inscrire l’actualité dans de tels spectacles, encore que l’on sait que les personnages italiens étaient présents dans les ballets royaux, tel Scaramouche dans L’Amour malade (1658) : Charles Mazouer relève ainsi une dizaine d’occurrences, dans « Les comédiens italiens dans les ballets au temps de Mazarin », La France et l’Italie au temps de Mazarin, PU de Grenoble, 1986, p. 91-98.
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[30]
Des Ballets, op. cit., p. 176.
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[31]
En particulier au quatrième acte, qui entraîne successivement l’héroïne dans les glaces de la Scythie (scènes 1 et 2), les forges des Chalybes (scènes 3 et 4) et chez les Parques, parmi la guerre, les maladies et la famine (scènes 5 à 7).
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[32]
Voir le ballet comique d’Africains et de Géants au premier acte de Cadmus et Hermione (1673), des statues d’or animées (acte II), des « soldats nés de la terre » (acte IV). On trouve des vieillards athéniens dans le deuxième acte de Thésée (1675), des forgerons dans le deuxième acte de Psyché (1678), des magiciens particulièrement expressifs dans le deuxième acte de Bellérophon (1679), des monstres au troisième acte de Persée (1682), au deuxième d’Amadis (1684), au quatrième d’Armide (1686). On regardera aussi la scène des noces de Sangaride au quatrième acte d’Atys (1676) comme un timide retour à une fête bachique où le chœur entonne un joyeux « Rions tous lorsqu’il le faut », assez mal reçu des contemporains : « Dans les premiers endroits qu’on a critiqués de cette pièce je n’ai point remarqué qu’on ait parlé de la scène du fleuve Sangar qui [frise le bas ridicule] est d’un ton trop différent du reste de la pièce [...] » (Claude et François Parfaict, Histoire de l’Académie Royale de Musique depuis son établissement jusqu’à présent (1741), copie de L.-F. Beffara (1835), F-Po, Rés. 536, I, p. 118).
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[33]
C’est ce que relève Ménestrier, et justement en parlant d’Isis, lorsqu’il déplore que les danseurs ne sachent plus caractériser les danses, et se contentent de personnages abstraits (Des Ballets, op. cit., p. 301) : « Il est [...] à craindre que tant d’entrées de Ballets qui ne sont plus que de simples danses ne se ressemblent fort, & qu’on ne revienne si souvent aux Jeux, aux Zephirs, aux Amours, aux peuples de Scythie, de Lybie, & autres lieux, aux Cyclopes, aux Silvains, & aux Bergers, qu’à la fin si les Pantomimes ne se retablissent, on ne dégoûte de ces danses figurées qui n’expriment que de beaux pas sans rien représenter ».
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[34]
Voir en particulier Jean-Baptiste Dubos dans le troisième volume qu’il ajoute en 1733 à ses Réflexions critiques sur la poésie et sur la peinture (première parution en 1719), Paris, École nationale supérieure des beaux-arts, 1993. Dubos fait précisément l’éloge des pantomimes expressives et pittoresques placées par Lully dans ses premiers opéras.
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[35]
Saint Hubert explique ainsi : « Quelquefois il y a des entrées où il n’est pas nécessaire de sçavoir parfaitement bien dancer. Il me souvient qu’au premier Ballet où j’ay eu l’honneur de dancer devant sa Majesté je representois un escolier, ou je dancay tout a contretemps et hors de cadence, chacun crut que je le faisois à dessein, et mon entrée fut trouvée fort bonne » (La Manière de composer, op. cit., p. 12-13, cité par Mark Franko, La Danse comme texte. Idéologies du corps baroque [1993], Paris, Kargo, L’Éclat, 2005, p. 131).
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[36]
Le Ballet est donné au Collège du Mont à Caen en 1734 comme second intermède à Sefi Myrsa de Charles Porée. 4e entrée de la 3e partie intitulée « Règles du ballet ».
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[37]
Jouvancy, Manière d’apprendre et d’enseigner (1685), trad. J.-F. Lefortier, Paris, Le Normant, 1803, p. 107-108. C’est d’ailleurs ce même cas de figure, et sans doute à dessein, que reprend Charles Porée dans son ballet-manifeste L’Homme instruit par le spectacle, 1726, 2e entrée, 3e partie : « Les Lacédémoniens voulant inspirer à leurs enfans l’horreur de l’intemperance, font danser devant eux des Esclaves pris de vin ; & les leur abandonne [sic], pour leur servir de jouët ».
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[38]
Ballet Royal de la Nuit (1653), 1re partie : « Le Soleil se couche, et la Nuit survient sur un char de nuages traîné par des hiboux [...] ».
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[39]
Voir par exemple la première scène des Amours de Diane et d’Endymion de Gilbert (1657), le prologue d’Amphitryon de Molière (1668)... La Nuit de Sigalion ne disposait sans doute pas d’une telle machine, la relation des Nouvelles ecclésiastiques mentionne ironiquement son costume : « une espece d’habit de benedictins ».
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[40]
2e partie, 1re entrée.
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[41]
Nouvelles ecclésiastiques, art. cité, voir p. 122.
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[42]
Elle publie le sort glorieux de Sémélé (Les Amours de Jupiter et de Sémélé de Claude Boyer, 1666, acte V, scène dernière), elle célèbre le roi dans le prologue de la tragédie en musique Isis (1677) ; en 1655, dans le Ballet des Bienvenus, elle était même incarnée par le jeune souverain : 2e partie : « Sous les traits de la Renommée, le Roi fait une entrée seule ». Les tambours et trompettes, attributs de la musique guerrière, accompagnent également l’allégorie positive de la Victoire dans le prologue de Thétis et Pélée...
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[43]
Au milieu des nombreuses apparitions du dieu et de sa suite, citons la 5e entrée et finale de Xerxès de Cavalli (1660) : « dansée par Bacchus, entouré de Sylvains, de Bacchantes, de Satyres » ; le dernier intermède de Psyché de Molière, Corneille, Quinault et Lully (1671) voit entrer glorieusement Bacchus « accompagné de Silène, des Égipans, et des Ménades », qui participent encore à la grande fête finale de Thétis et Pélée (1689).
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[44]
Par exemple, chez le P. Rapin : « Il faut presque moins de génie dans l’éloquence pour inventer les choses que pour les arranger : ce tour qu’il faut leur donner pour les mettre dans la place où elles doivent être, coûte bien plus, que la peine qu’on se donne de les penser » (Réflexions sur l’éloquence de ce temps, 1671, § XXIII, cité par Marc Escola, « Ceci n’est pas un livre. Prolégomènes à une rhétorique du discontinu », XVIIe siècle, no 182, 1994, p. 74).
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[45]
Encore que les Nouvelles ecclésiastiques reconnaissent dans la promotion d’un tel sujet une position idéologique typique de l’ordre : « On y en railla sur le theatre des benedictins secrets ou non, car il s’agissoit du secret, qui est un idole aussy reveré dans la compagnie que jamais ».
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[46]
Le programme n’indique pas, contrairement à l’habitude, quel est le « chiffre » de ce ballet. En cela, il n’est en rien isolé : les références à l’actualité sont souvent laissées dans l’implicite, voir François de Dainville, « Allégorie et actualité sur les tréteaux des Jésuites », dans Dramaturgie et société. Rapports entre l’œuvre théâtrale, son interprétation et son public aux XVIe et XVIIe siècles, Nancy, 1967, éd. Jean Jacquot, CNRS, 1968, p. 433-443 et dans le même recueil, Jacques Hennequin, « Théâtre et société dans les pièces de collège au XVIIe siècle (1641-1671) d’après vingt-sept programmes de la Province de Champagne des Pères jésuites », p. 457-467.
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[47]
Il s’agissait aussi de la première campagne de Louis-Provence de Grignan, petit-fils de Mme de Sévigné. Elle rapporte avec soin à sa fille les nouvelles du siège, et se réjouit que le succès de son petit-fils s’associe à la gloire naissante du Dauphin : « Jouissez du plaisir que votre fils ait vu celui de Philisbourg. C’est une date admirable. C’est la première campagne de Monsieur le Dauphin. Ne seriez-vous pas au désespoir qu’il fût seul de son âge qui n’eût point été à cette occasion et que tous les autres fissent les entendus ? [...] songez au plaisir qu’aura votre fils de bien faire sa cour, et d’avoir été à la première occasion où Monseigneur a commencé son personnage de conquérant » (Lettres 1017 et 1018 des 1er et 3 novembre 1688, Correspondance, III, établie par R. Duchêne, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1978, p. 383-384).
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[48]
Voltaire, Le Siècle de Louis XIV, Francfort, Veuve Knoch et J. G. Eslinger, 1753, vol. III, chap. XVI, p. 24-25.
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[49]
La Nuit est précipitamment chassée par la Victoire et le retour du jour célébré par le Soleil : « L’ordre de l’univers et d’éternelles lois / N’ont point de pouvoir qui m’arrête. / Je vais partir plus tôt que je ne dois / Pour éclairer la première conquête / Du fils du plus puissant des Rois ».
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[50]
À Monseigneur le Dauphin après la prise de Philisbourg, traduction de l’Ode du P. Jouvency ; voir p. 122-123 la traduction qu’en établit le P. Claude Buffier.
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[51]
Cf. François Charmot, La Pédagogie des jésuites, ses principes, son actualité, Paris, SPES, 1943, en particulier les chapitres XVII : « L’enthousiasme », p. 345-349 et XXII : « L’émulation », p. 389-394, mais émulation et héroïsme reviennent constamment sous sa plume pour décrire les sentiments entretenus chez les élèves.
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[52]
Jouvancy prône une organisation presque chorégraphique de la classe afin de créer une contagion salutaire entre les turbulents et les élèves sages (Manière d’apprendre..., op. cit., p. 273-274). Voir aussi François de Dainville, « L’exercice physique dans les collèges de l’Ancien Régime », L’Éducation des jésuites (XVIe-XVIIIe siècle), Paris, Minuit, 1978, p. 518-525.
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[53]
Il s’agit en fait d’une donnée pédagogique essentielle, fondée sur l’exercice de l’imagination comme le rappelle F. Charmot, op. cit., p. 222-229.
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[54]
Notamment celles de M. Franko dans La danse comme texte, op. cit., en particulier le chapitre IV : « Érotisme politique du ballet burlesque, 1624-1627 », p. 91-141. Voir aussi « Double bodies : Androgyny and power in the performances of Louis XIV », The Drama Review, vol. 38, no 4, hiver 1994, p. 71-82.
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[55]
Dans la Bibliotheca rhetorum..., Paris, Grégoire Dupuis, 1725, t. 2, p. 543. On rapprochera ces vers des lignes liminaires des lettres patentes pour l’établissement de l’Académie royale de danse en 1662, publiées dans M. Franko, La Danse comme texte, op. cit., appendice III, p. 221 : « Bien que l’Art de la Danse ait toûjours esté reconnu l’un des plus honnêtes & plus nécessaires à former le corps, & luy donner les premieres & plus naturelles dispositions à toutes sortes d’exercices, & entre autres à ceux des armes ; & par consequent l’un des plus avantageux & plus utiles à nostre Noblessse, & autres qui ont l’honneur de nous approcher, non seulement en temps de guerre dans nos armées, mais mesme en temps de paix dans le divertissement de nos Ballets [...] ».