Notes
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[1]
Cf. R. Pintard, Le libertinage érudit dans la première moitié du XVIIe siècle, 2 vol., Paris, 1943 et du même auteur : « Les problèmes de l’histoire du libertinage, notes et réflexions », dans XVIIe siècle, XXXII (avril-juin 1980), p. 131-161.
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[2]
Saluons le travail bibliographique et critique considérable de Jean-Pierre Cavaillé, Libertinage, irréligion, incroyance, athéisme dans l’Europe de la première modernité (XVIe et XVIIe siècles). Une approche critique des tendances actuelles de la recherche (1998-2002), publié sur Internet, en février 2003, hhttp :// wwwww. ehess. fr. / centres/ grih/ DebatCritique/ LibrePensee/ Libertinage04. htm ;Voir le compte rendu critique de Marc Fumaroli, « La République des Lettres, l’université et la grammaire », dans Revue d’histoire littéraire de la France, avril-juin 2004, p. 463-474.
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[3]
Antoine Arnauld, Perpétuité de la foi de l’Église catholique sur l’Eucharistie..., procurée par M. l’abbé M****, t. I, éd. Paris, 1841, p. 46-47.
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[4]
Nous empruntons cette expression à Alfred Loisy, dans L’Évangile et l’Église, Paris, 1903.
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[5]
Le caractère global de cette « société cléricale » et sa quasi totale dissolution – non de la philosophie sociale du christianisme bien vivante, mais des structures religieuses devenues obsolètes –, au cours des dernières décennies, nous amène à la question de savoir si la seule méthode pour l’étudier à l’avenir ne sera pas celle de l’ethnologue. Cela disqualifie selon nous l’attitude qui consiste à trouver dans cette société perdue dans les sables, des arguments pour les combats d’aujourd’hui.
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[6]
Pour les différents sens qu’a eus le terme « libertin », voir Françoise Charles-Daubert, Les libertins érudits en France au XVIIe siècle, Paris, 1998, notamment l’introduction.
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[7]
Voir Leif Grane, Peter Abelard. Philosophie und Christentum im Mittelalter, Göttingen, 1964, p. 103. Voir aussi Edward Grant, God and Reason in the Middle Ages, Cambridge, 2001, p. 57-58 et 63-64.
-
[8]
Voir André Goddu, « Ockham’s Philosophy of Nature », dans Paul Vincent Spade, The Cambridge Companion to Ockham, Cambridge, 1999, p. 160-161.
-
[9]
De nombreuses équipes de recherche travaillent précisément sur la nature de cette onde de choc, notamment sur les livres imprimés et manuscrits clandestins portant souvent des idées des plus avancées du courant libertin.
-
[10]
Montaigne, Essais, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1962, liv. I, chap. 56, p. 302-303.
-
[11]
G. Gusdorf, La Révolution galiléenne, Paris, 1969, introduction, où l’on parle « de la dislocation de la chrétienté au XVIe siècle ».
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[12]
Voir Richard H. Popkin, The History of Scepticism from Erasmus to Spinoza, Berkeley et Los Angeles, 1979, passim.
-
[13]
Furetière, Le Dictionnaire universel, La Haye et Rotterdam, 1690, articles « doute et douter ». L’article « scrupule » du même Dictionnaire est tout aussi instructif pour notre propos : « Scrupule se dit aussi des inquiétudes d’esprit, du doute que l’homme a sur le jugement qu’il doit faire de quelque chose... Le dévot fait scrupule de tout..., les libertins ne font scrupule de rien, ne font point scrupule de manger de la chair en carême, etc. ». Notons que cette question purement alimentaire tiendra longtemps une place considérable dans l’expression de l’engagement libertin.
-
[14]
Pour les problèmes de la terminologie des termes libertins et libertinage, voir Françoise Charles-Daubert, « Le libertinage érudit. Problèmes des définition », dans Libertinage et philosophie au XVIIe siècle, Saint-Étienne, 1996, no 1, p. 11-25.
-
[15]
Voir A. Adam, Les libertins au XVIIe siècle, Paris, 1964, p. 7, qui signale cette indépendance des lettrés au XVIIe siècle.
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[16]
Voir J.-P. Heering, Hugo de Groot als apologeet van de christelijke godsdienst, La Haye, 1992, p. 70-77. Cet ouvrage vient d’être traduit sous le titre suivant : Hugo Grotius as Apologist for the Christian Religion ; A Study of his Work « De veritate religionis christianae (1640) », Leyde, 2004.
-
[17]
Correspondance Sarrau-Rivet, lettre de Sarrau à Rivet du 17 janvier 1642, dans Correspondance intégrale d’André Rivet et de Claude Sarrau, 1641-1650, publiée par H. Bots et P. Leroy, 3 vol., Amsterdam/Maarssen, 1978-1980, t. 1, p. 45.
-
[18]
Voir ibid., I, p. 458 et II, p. 2.
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[19]
Correspondance intégrale d’André Rivet et de Claude Sarrau, t. III, p. 225, lettre du 25 septembre 1645.
-
[20]
Voir le jugement très mesuré sur cette question de la foi chrétienne de Grotius, dans P. Bayle, Le Dictionnaire historique et critique, Rotterdam, 1702, art. « Grotius », rem. H et I.
-
[21]
Voir H. Bots et P. Leroy, « Grotius et la réunion des Églises », dans XVIIe siècle, 141 (1983), p. 451-469.
-
[22]
Après la condamnation de Galilée en 1633, Mersenne prend les précautions qu’appelle la situation nouvelle en ajoutant dans une seconde édition des Questions théologiques où il expose la cosmologie galiléenne, la Sentence in extenso contre Galilée et contre ses Dialogues du mouvement de la terre.
-
[23]
Correspondance Mersenne, VII, p. 181, lettre de Rivet à Mersenne, 29 avril 1638.
-
[24]
Correspondance Mersenne, VI, p. 228, lettre de Mersenne à Rivet, 25 mars 1637 : « Nous sommes en un estrange siecle pour les differentes sortes de libertinages, qui arrivent à tel point en plusieurs cerveaux que les raisons, ni l’Escriture ne les peuvent faire flechir à la verité : les uns veulent des demonstrations dans la religion, comme dans les Mathematiques, et les autres s’imaginent que tout est faux ou du moins que nous ne pouvons nous asseurer d’aucune chose, toutes choses ayant deux anses ; et les autres maintiennent que tout est Dieu, que tout est bon à l’égard de Dieu, n’y ayant ni mal de peché, ni de coulpe, ni de peine suivant ce vers : Jupiter est quodcumque vides. Nous viverons tousiours parmi cette confusion jusques à ce que nous ne voyions plus en enigme et que le voile soit relevé... ».
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[25]
Voir l’avant-propos de B. Rochot dans Les nouvelles pensées de Galilée, éd. crit. par P. Costabel et M.-P. Lerner, Paris, 1973, p. 11.
-
[26]
A. Beaulieu, Mersenne le grand minime, Bruxelles, 1995, chap. XI, p. 173-185 : l’Académie Mersenne, o.c., p. 113-114.
-
[27]
Voir la lettre de Paul Pineau de la Tronière à André Rivet du 1er septembre 1646, recueillie dans Correspondance Mersenne, XVI, p. 506.
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[28]
Cf. Emmanuel Bury, « L’amitié savante, ferment de la République des Lettres », dans XVIIe siècle, 51 (1999), p. 729-747.
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[29]
Voir Emmanuel Bury, « Espaces publics, espaces privés : les lieux du débat d’idées au XVIIe siècle », dans Libertinage et philosophie au XVIIe siècle. Le public et le privé, Saint-Étienne, 1999, p. 103-104.
-
[30]
P. Leroy, Le dernier voyage à Paris et en Bourgogne, 1640-1643, du réformé Claude Saumaise, Amsterdam, 1983, p. 112.
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[31]
Voir René Pintard, Le Libertinage érudit dans la première moitié du XVIIe siècle, Paris, 1943, 2 vol., p. 618 et passim.
-
[32]
Henk Nellen, Ismael Boulliau (1605-1694), astronome, épistolier, nouvelliste et intermédiaire scientifique, Amsterdam, 1994, p. 511-533.
-
[33]
Ibid., p. 531.
-
[34]
Pierre Leroy, « Le paganisme antique dans quelques correspondances du milieu du XVIIe siècle (Peiresc et Saumaise) », dans Les religions du paganisme antique dans l’Europe chrétienne, XVIe-XVIIIe siècle, Paris, 1987, p. 70.
-
[35]
Correspondance de Guy Patin, publiée par Armand Brette, Paris, 1901, p. 101-102, lettre à Falconet du 2 décembre 1650.
-
[36]
Voir Lucien Febvre, Le problème de l’incroyance au XVIe siècle. La religion de Rabelais, Paris, 1962, p. 491, titre de la conclusion : « Un siècle qui veut croire ».
-
[37]
L’expression est citée par Bayle dans son Dictionnaire, article Catius, remarque E.
-
[38]
Cf. O. Bloch, article Gassendi, dans La Science classique, XVIe-XVIIIe siècle. Dictionnaire critique, procuré par Michel Blay et Robert Halleux, Paris, 1998, p. 268-269.
-
[39]
Voir Paul Dibon, « Scepticime et orthodoxie réformée dans la Hollande du Siècle d’Or », dans Wolfenbütteler Forschungen. Scepticism from the Renaissance to the Enlightenment, t. 15, Wiesbaden, 1987, p. 55-80 et Th. Verbeek, Descartes and the Dutchap. Early Reactions to Cartesian Philosophy, 1637-1650, Carbondale & Edwardsville, 1992.
-
[40]
Pierre-Daniel Huet, Mémoires de Daniel Huet, évêque d’Avranches, traduits pour la première fois du latin en français par C. Nisard, Paris, 1853, « Préface », p. XVII.
-
[41]
Rivet, Mersenne et Sarrau ont dialogué à propos de La Vertu des Payens de La Mothe le Vayer dans lequel Rivet retient que l’auteur veut « prouver le salut de Zenon et plusieurs philosophes par une foy implicite et interpretative, sur lequel il [Mersenne] me dit que les janseniens se remuent fort » (cf. Rivet-Sarrau, Correspondance, I, p. 49). Ajoutons qu’il fut gouverneur du duc d’Orléans et en 1652 du jeune Louis XIV.
-
[42]
Roger Zuber, « Libertinage et humanisme : une rencontre difficile », dans XVIIe SIeCLe, 32 (1980), p. 177.
-
[43]
Sur Bayle, voir G. Mori, Bayle philosophe, Paris, 1999 et de ce même auteur la bibliographie sur Internet : http :// wwwww. lett. unipmn. it/ mori/ bayle/ .
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[44]
Pierre Rétat, « Libertinage et hétérodoxie : Pierre Bayle », dans XVIIe SIeCLe, 32 (1980), p. 197-211.
-
[45]
Voir article Vayer, in corpore. Cette même réaction de Bayle contre les « jugements téméraires » se rencontre dans plusieurs articles de son Dictionnaire, par exemple dans l’article Hénault : après avoir cité les vers de Mme des Houlières « Nous irons reporter la vie infortunée / dans le sein du Néant d’où nous sommes sortis », il ajoute : « Il est sûr qu’une personne qui parlerait de la sorte dogmatiquement, nierait l’immortalité de l’âme. Mais... disons qu’elle n’a suivi que des idées poétiques qui ne tirent point à conséquence... Ne jugeons point d’elle [sa croyance] par des phrases poétiques... ».
-
[46]
Pierre Bayle, Correspondance, Oxford, 2001, t. II, p. 250-251. Dans la suite de cette lettre il s’en prend de la même façon à Naudé : « Dans un autre livre qu’íl a fait sur les coups d’état, il fait une longue liste de tous les fins politiques qui ont acquis par la persuasion qu’on avoit qu’ils conferoient avec Dieu. Peu s’en faut qu’ils ne mettent notre Moïse à leur tete, et cela avec un adoucissement si mince en faveur de la foy, que les consciences timorées en crieroient volontiers au meurtre et au blaspheme ».
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[47]
P. Rétat, loc. cit., p. 203.
-
[48]
« Des Barreau, remarque F ».
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[49]
Cf. l’ouvrage important de F. Laplanche à ce sujet, L’Écriture, le sacré et l’histoire. Érudits et politiques protestants devant la Bible, en France, au XVIIe siècle, Amsterdam/Maarssen, 1986.
1Pour tous ceux qui, depuis le milieu du siècle dernier, ont abordé l’étude du XVIIe siècle, la confrontation avec le grand ouvrage de René Pintard [1] n’a pas été aisée. En effet, si la méthode et l’ampleur de l’enquête séduisent, une savante élaboration, faite de jeux de miroir et d’amalgames, jette dans l’esprit du chercheur un trouble qui va grandissant au fil des chapitres. Une question émerge vite et naturellement : Pintard n’aurait-il pas interprété ses sources selon un système cohérent inspiré par une morale bourgeoise fortement teintée de jansénisme ?
2Au moment où la recherche reprend à partir des mêmes sources, mais aussi de nouveaux documents, on peut espérer que l’étude de ces libertins érudits ou plus généralement et exactement dans le vocabulaire d’aujourd’hui de ces « hommes du doute » ne va pas déboucher sur une vision à nouveau quelque peu réductrice. En effet, la reprise d’une telle étude devrait mieux tenir compte des nuances exprimées dans les textes où l’on peut discerner des traces de leur état d’âme et de leur cheminement intellectuel [2]. Comment étudier l’aventure intellectuelle et spirituelle de chacun d’entre eux séparément et sans tenir compte du contexte dans lequel ils ont vécu ? Pour marquer le point de départ de notre analyse, citons l’un des théologiens les plus féconds du XVIIe siècle qui pose explicitement la place du doute dans la théologie chrétienne :
Si cette religion disait aux hommes qu’elle leur propose une foi exempte de toutes sortes de difficultés (...) on aurait raison de prétendre détruire ses dogmes, en amassant des difficultés vraisemblables contre ce qu’elle nous voudrait faire croire. Mais elle est bien éloignée de leur tenir ce langage (...), il est impossible qu’on fasse réflexion sur toutes ces choses, qu’on n’y reconnaisse clairement que (...) les vérités de la foi fussent proposées aux hommes avec tant d’évidence qu’il n’y restât un grand nombre de nuages propres à aveugler les esprits superbes... et à humilier sous ces ténèbres salutaires ceux mêmes qui le cherchent sincèrement. [3]
3Sous ce raisonnement bien complexe en apparence, Antoine Arnauld donne au doute sa vraie place dans la philosophie chrétienne. Au lieu d’intégrer de façon systématique cette analyse du doute au XVIIe siècle à l’éclosion de la « libre pensée », l’une des composantes de la pensée occidentale depuis les Lumières jusqu’à nos jours, il vaudrait mieux entrer, autant que faire se peut, dans les mouvements perceptibles de l’esprit et du cœur tels que les hommes de cette époque les ont exprimés. En tout cas, les soupçonner systématiquement de dissimulation, nous paraît réducteur et injuste, même si l’on ne peut exclure des manifestations d’ambiguïté dans les faits et gestes de ces hommes du XVIIe et XVIIIe siècle.
4Familiers des correspondances du milieu du XVIIe siècle, nous proposons en effet, après une brève évocation de la tension qui a toujours existé depuis le début même du christianisme entre foi et raison, un modeste florilège de témoignages croisés, sortis de la plume de quelques-uns de ces hommes de pensée. Nous espérons montrer ainsi comment ils ont géré ce combat perpétuel entre des certitudes dogmatiques, les élans du cœur et les assauts de la raison.
5L’histoire de l’Occident a vécu plus d’un millénaire sous un « régime intellectuel » [4], celui de l’Église catholique romaine qui s’est mis en place sur la longue période du Moyen Âge et s’est étendu à tous les domaines de la société : le politique, le social, la morale, bref toute la vie quotidienne des individus du berceau à la tombe. Ce régime qui repose sur un encadrement clérical [5] générait de fait une somme considérable de contraintes qui verrouillaient d’une manière de plus en plus formelle tant les comportements affectifs que la réflexion intellectuelle. Cependant, il va subir, de la Réforme jusqu’à la crise moderniste, au début du XXe siècle, des coups de boutoir qui vont l’ébranler sans modifier sa nature profonde. Il n’est peut-être pas indifférent à la recherche non plus, de signaler que la génération apparue à partir des années 1940 est la dernière à pouvoir témoigner de ce que ce système a pu contenir de confort et de terreur dans la vie de tous les jours. Cette génération est encore assez bien placée pour faire comprendre et partager ce qu’il a pu engendrer d’angoisse, d’inquiétude, de révolte et de doute. Si de nombreuses générations ont suivi cet itinéraire spirituel, notons cependant que le processus à l’aboutissement duquel cette génération a assisté a pris véritablement corps au XVIIIe siècle, lorsque s’est élaboré un véritable corps de pensée plus largement accessible et envisageant la possibilité d’un rejet intégral et de la société « cléricale » et du message chrétien.
6Dans cette contribution, qui repose sur une longue fréquentation des correspondances, source généralement peu élaborée et marquée par le confidentiel, nous essaierons, à partir de quelques exemples qui nous sont plus familiers de mettre en valeur la subtilité de ces itinéraires vécus dans la chrétienté, mais sans renoncer à la quête d’une vérité indépendante. En effet, le sentiment que le mot libertin évoque sous l’influence de courants postérieurs et qui ont été d’une importance capitale pour la communauté littéraire du XVIIe et du XVIIIe siècle tels que le jansénisme et les Lumières, peut aisément donner lieu à des malentendus. La plupart du temps le terme libertin ne désigne que l’attitude et le comportement de quelqu’un exprimant un jugement empreint de liberté et d’autonomie sur l’un ou l’autre des points de la morale ou de la foi [6].
7Cependant, le système intellectuel désigné ci-dessus, avait déjà connu dans les milieux universitaires en particulier des courants de contestation, dès les XIIe-XIIIe siècles. Rappelons le débat entre Bernard de Clairvaux et Abélard et les tentatives de ce dernier d’analyser et de comprendre les axiomes de la foi à l’aide de la philosophie [7] ; on a pu voir dans cette démarche celle d’un précurseur du rationalisme moderne. De même dans les idées de Guillaume d’Occam qui en opposition à Thomas d’Aquin prônait déjà l’indépendance de la foi et de la raison [8]. Ces débats, même s’ils ont eu un retentissement dans l’opinion, ne dépassaient guère les limites du monde des clercs, celui des couvents et des universités. Tout cela change fondamentalement avec l’invention du livre imprimé. C’est une des raisons qui fait du XVIe siècle un temps d’ébranlement du système intellectuel de la chrétienté. Se produit alors une modification dans la manière de transmettre le savoir en général, en particulier la connaissance théologique et la pratique de la foi chrétienne. À une transmission orale et immédiate se substitue alors le livre, véhicule qui permet à un plus grand nombre d’individus de prendre connaissance de toute sortes d’idées nouvelles et de dialoguer personnellement. Dans cette révolution de la communication intellectuelle va s’ouvrir le lent processus de la libéralisation de l’expression, au sein de laquelle figurera aussi le libertinage. L’onde du choc de cette invention se prolongera au cours des siècles suivants et le libertinage lui doit sans doute d’avoir pu prendre son essor [9]. Montaigne dans ses Essais exprime bien la faible marge de manœuvre qu’un chrétien pouvait s’autoriser, par exemple sur les prières. Ne voulant pas critiquer la multiplication, par l’imprimé, de prières insuffisamment fidèles aux sources, il propose de ne conserver que le Notre Père. Conscient de la hardiesse de ce qu’il avance, il se protège toutefois aussitôt en ces termes :
Je propose des fantaisies informes et irresolues comme font ceux qui publient des questions doubteuses à debattre aux escoles ; non pour establir la verité, mais pour la chercher. Et les soubmets au jugement de ceux à qui il touche de regler non seulement mes actions et mes escris, mais encore mes pensées. [....] tenant pour execrable s’il se trouve chose ditte par moy ignorament ou inadvertament contre les sainctes presciptions de l’Église catholique, apostolique et Romaine, en laquelle je meurs et en laquelle je suis nay. [10]
8La partie de la citation que nous avons mise en italiques, éclaire bien, de notre point de vue, l’attitude d’un esprit qui se veut libre, mais qui mesure l’étroitesse de cet espace de liberté, en particulier face à l’écrit. Dès lors, l’auteur qui a été véritablement le confident de tous les esprits ouverts, ne manque pas de s’incliner devant « l’authorité de leur [les gens d’Église] censure qui peut tout sur moy ».
9On s’explique bien que l’imprimerie et le mouvement humaniste avec la renaissance de la critique ont à la fois favorisé l’analyse de plus en plus pointue et la diffusion des textes sacrés, même en langue vernaculaire, et qu’ils ont en même temps donné lieu à une remise en question de la vision du ciel et de la terre depuis la découverte de nouveaux continents et d’une nouvelle cosmologie à partir de Christophe Colomb et Copernic. Ces nouvelles acquisitions provoquaient des lézardes dans le bel édifice doctrinal de la chrétienté [11]. Les garants de la cohérence de ce système – plus pour sauvegarder la paix des consciences de blocages a posteriori –, n’envisagèrent pas d’autre réponse que la condamnation des idées, prolongée parfois sur la personne physique de leur auteur. La défense d’une vision dogmatique de la vérité avait engendré une attitude dont l’Église a eu bien du mal à se départir jusqu’à nos jours. Cependant, les clercs et les lettrés, stimulés par l’esprit critique de l’humanisme et confrontés aux découvertes et idées nouvelles, ne pouvaient pas ne pas se poser des questions sur tel ou tel point, peser des arguments dans des sens contradictoires, autrement dit rencontrer le doute [12]. Ce doute va progressivement s’appliquer à tous les points du système : la place de l’homme sur cette terre, la valeur de ses actes, la crédibilité littérale des textes sacrés ou le salut et l’immortalité de l’âme... et enfin l’existence d’un Dieu personnel.
10C’est une évidence que peu d’observateurs suffisamment autonomes pour exprimer un jugement propre ont échappé au doute. Furetière dans son Dictionnaire, même s’il affirme que « c’est un crime de douter de la foi, des vérités que Dieu a révélées à son Église », ne manque pas d’avancer que « les scepticiens étaient dans un doute perpétuel », mais il ajoute aussi que « les dévots sont toujours pleins de doute et de scrupule » [13]. Il est vrai, la foi est pour lui hors de cause, mais ceux qui mettent en apparence le plus de zèle dans la pratique de leur foi, sont souvent dévorés non seulement par le ver du doute, mais pire encore par le venin du scrupule. Ces remarques montrent à l’évidence que la notion de libertinage est plus liée à une réflexion critique qu’à une attitude hors des convenances soit dans le domaine des mœurs soit dans celui de la religion [14].
11Tentons maintenant de montrer l’incessant mouvement de va-et-vient entre doute et scrupule qui nous est apparu avec tant de force dans les sources que nous avons parcourues. Il s’agit des documents émanant d’hommes dont l’activité a été diverse à première vue, dans les domaines du droit, de la théologie, de la médecine, des lettres ou des sciences. Tous étaient cependant formés au moule de l’humanisme qui leur avait appris une approche à la fois réaliste et critique des textes et des cas. Ce sont des lettrés ayant en commun « le goût et les habitudes de l’indépendance » [15]. Ainsi manifestaient-ils de telles pratiques d’autonomie intellectuelle que certains n’ont pas hésité à les traiter de déniaisés, d’irréligieux et même d’athées.
12Hugo Grotius est la première figure susceptible d’illustrer notre point de vue pour la première moitié du XVIIe siècle. Ce personnage est en apparence prestigieux, enfant prodige, gloire de son pays natal, représentant illustre de la République des Lettres, ambassadeur de Suède auprès du roi de France et caressé par le cardinal Richelieu... Et cependant y a-t-il vie plus marquée par l’inquiétude et le doute et œuvre théologique jugée aussi sévèrement que la sienne ? Victime de la crise politico-théologique des années 1618-1619 et entraîné dans le parti remontrant qui prônait une théologie plus modérée sur la question de la grâce et de la prédestination, il fut contraint de fuir son pays et de retrouver ses sûretés dans un pays étranger, la France, qui ne lui était pas forcément favorable à cause de l’application limitée de l’édit de Nantes. Son cheminement est exemplaire ; dès sa jeunesse l’expérience d’un débat théologique sans fin et dangereux pour la paix civile l’a mené à inviter ses contemporains à ne retenir que l’essentiel de la Sainte Écriture [16], ce qui attira sur lui des suspicions de tout bord. Devenu ambassadeur d’un pays luthérien, la Suède, et résidant dans un pays catholique, il combine une carrière diplomatique avec de multiples activités intellectuelles ; dans ces deux domaines de la diplomatie et de la recherche sa position n’est pas facile. Le parlementaire Claude Sarrau s’en fait du reste l’écho dans sa correspondance :
Le dit sieur Grotius travaille tout de bon aux epistres de St Paul. C’est là où il faudra qu’il parle nettement et ouvertement ou qu’il se taise. Enquérant il y a quelque temps un Suédois comment ses derniers ouvrages avoient été reçus en Suède, il me répondit qu’on y considéroit diversement ses services qu’il rendoit à la couronne de Suède en qualité d’ambassadeur dont on étoit fort satisfait et ce qu’il pouvoit écrire comme philosophe dont on ne se mettoit pas en peine. Il est à présent tout assuré de ne pas s’en retourner si tost d’ici. [17]
13Ces remarques au fil de la plume montrent bien que même son ami et coreligionnaire Sarrau avec lequel il fréquentait le cabinet Dupuy, n’aborde pas sans circonspection les activités intellectuelles de Grotius. Notons particulièrement l’allusion aux épîtres de saint Paul, textes essentiels et tant de fois lus et mentionnés pour nourrir de citations la querelle sur la prédestination. En revanche, son travail diplomatique semble satisfaisant et sa crainte d’être rappelé en Suède ne semble pas encore imminente.
14Mais aux yeux de certains de ses contemporains, qui ne cessent de répandre des rumeurs contradictoires sur son compte, son libertinage ne va-t-il pas jusqu’à encourager le projet de réunion des Églises, instruit par Richelieu et jusqu’à se laisser attribuer le chapeau cardinalice après avoir mis sa femme dans un couvent [18] ! Il est vrai que Grotius en tant que théologien humaniste, mais réformé dissident a pris des positions moins dogmatiques et empreintes de liberté sur ce qui était l’essentiel de la religion chrétienne, le problème de la grâce, l’eucharistie, la prééminence de l’évêque de Rome et l’ecclésiologie. Les jugements de Rivet, pur représentant de l’orthodoxie calviniste, à l’égard de Grotius ne sont pas seulement d’une grande dureté, ils attestent aussi de mauvaises intentions, particulièrement dans son récit des dernières heures de la vie de Grotius. D’après le témoignage de Willem Cromon qui était à Rostock en compagnie de l’ambassadeur au moment où celui-ci commençait à perdre l’ouïe et le sens de ce qu’on lui disait, Grotius, qui avait de la peine à saisir les paroles du pasteur qui l’assistait, aurait dit : difficulter intelligo. Rivet n’hésite pas à déformer volontairement cette parole émouvante en écrivant à Sarrau : « Un ministre luthérien nommé Quistorpius, vint pour luy parler de Dieu, sur cela il jeta son bonnet et se disposant à prier, il dit non intelligo. Ce furent ces derniers mots » [19]. Si nous comprenons bien, Rivet rejette d’un revers de la main non seulement toute l’œuvre scientifique de Grotius, mais particulièrement ses actions et ses réflexions d’intellectuel chrétien en semblant les considérer comme des expressions d’une tendance qui aurait abouti à l’heure de la mort à quelque chose qui ressemble à un cri de libertinisme, qui confinerait à l’athéisme [20]. Le grand théologien calviniste est si attaché à une vision rigoureuse de la foi qu’il éprouve de l’effroi devant toute manifestation de doute et qu’il n’hésite pas à pousser à l’extrême les paroles d’un agonisant.
15André Rivet, qui pendant toute sa vie a lutté sincèrement contre les néo-réformés – tant remontrants qu’amyraldistes –, oppose ici visiblement sa conception orthodoxe de la Réforme à celle de Grotius, moins dogmatique et plus réaliste. Les derniers mois de Grotius assombris par tant d’angoisses et d’inquiétudes, marquent de notre point de vue la prise de conscience d’un échec, celui de l’humanisme biblique et engagé, tant vis-à-vis du prince que de la communauté religieuse de la grande chrétienté. Comme Le Fèvre d’Étaples, comme Érasme, Grotius a bien compris que tout son savoir n’avait pas favorisé au bout du compte la réparation de la tunique déchirée du Christ [21]. Ces grands hommes de lettres ont mesuré non sans amertume que des obstacles s’élevaient toujours à l’encontre d’une foi authentique, mais vécue librement : le dogmatisme des théologiens et l’ignorance et l’étroitesse du commun peuple.
16Du côté des scientifiques les positions du religieux minime Marin Mersenne ne semblent pas avoir été bien éloignées de celle de Grotius. Comme lui, il est attaché à la vérité de la Sainte Écriture, même lorsqu’elle semble être contestée ou menacée par les observations des scientifiques [22]. À l’égard des opinions sociniennes dont précisément Hugo Grotius fut soupçonné, son point de vue est clair :
... quand l’homme donne trop de lieu à sa raison, tout son travail s’employe à tirer à son sens la révélation. Ces gens [les sociniens] ont pour maxime de contenter la raison humaine en la Religion et ostent la nature de la foy, la convertissans en opinion probable. [23]
17Mais comme les sociniens se référaient tout de même à la Sainte Écriture, Mersenne, contrairement à Rivet, n’a jamais voulu les exclure entièrement de son idéal d’une grande Cité chrétienne réunie. Cette prise de position libérale ne le préservait naturellement pas du doute [24] ; aussi oscilla-t-il souvent entre foi et science. En effet, les activités de ce religieux ont été consacrées à la nouvelle science et à l’avancement du savoir, où il n’a pas été sans constater la relativité et même l’échec de bien des points doctrinaux ; ainsi on ne s’étonnera pas qu’au cours de sa vie de savant son approche empirique ait débouché plus d’une fois sur des positions qui ont pu être considérées comme sceptiques [25], même s’il a tout fait pour sauvegarder l’autorité de l’Écriture. Certes, un savant qui voulait fonder la vérité sur des explications physiques évidentes, devait parfois affronter de grands obstacles, s’il tenait à combiner sa recherche de la vérité avec un désir de soumission religieuse [26]. Probablement est-ce cette attitude d’ouverture qui lui vaut, de la part de Paul Pineau, un neveu de Rivet, une « oraison funèbre » presque aussi dure que celle que ce dernier avait prononcée pour Grotius :
Le premier de ce mois, et son commencement, fut la fin de la vie du Moine huguenot qui étoit votre admirateur et ami, à savoir le Père Mersenne [...] Vous sçavés qu’il ne croyoit pas toute sa Religion jusques au baptesme des cloches. Aussi était-il de ceux de sa robe qui aiment bien besongne d’Église faite et il n’osoit dire souvent son bréviaire de peur de gâter son bon latin. Requiescat in pace... [27]
18Dans ce cruel et malveillant propos Pineau ne s’amuse pas seulement à faire de Mersenne un coreligionnaire, mais il jette aussi le doute sur l’intégrité de la foi du religieux, qui dans la pratique des rites et exercices spirituels se contenterait du minimum. En somme, il s’appuie sur le fait que Mersenne, homme de sciences, se serait permis de douter de certains points des dogmes chrétiens et d’alléger la pratique de la règle de son ordre, pour laisser entendre que ce serait un moine libertin.
19Plusieurs contemporains de Grotius et de Mersenne, membres comme eux de la République des Lettres et du cabinet Dupuy, ont été nourris aux mêmes sources de l’humanisme chrétien et biblique. Mais moins courageux ou plus lucides que ces deux hommes de lettres, la plupart d’entre eux privilégiaient en général la distance par rapport à l’expression de leurs sentiments religieux. De même, ils savaient garder leur réserve à l’égard des aléas politiques. Tout juste prenaient-ils des libertés dans des conversations particulières et dans des espaces privés. Le cabinet Dupuy à Paris illustre parfaitement cette pratique. Ceux qui le fréquentaient, se cantonnaient en effet dans une intimité intellectuelle symbolisée par la devise una unanimitas quaerentibus. Ils tenaient à l’amitié, à la libre conversation et à un commerce épistolaire [28] marqué du sceau de la discrétion, même sur des sujets controversés, à condition que leurs échanges libres et même paradoxaux ne passent pas la porte du cabinet ou le circuit privé de l’échange épistolaire. Ils privilégiaient en somme l’espace privé, fidèles en cela à une autre devise venue de Padoue, intus ut libet, foris ut moris est [29] : dans le for intérieur et dans l’intimité on peut cultiver la liberté, mais en public on suit les convenances.
20Une telle attitude pleine d’une apparente duplicité n’est certainement pas dénuée d’opportunisme. Nombreux sont ceux qui sont à la chasse d’un bénéfice ecclésiastique, d’une pension royale ou même d’une gratification d’un grand. Donnons l’exemple de Claude Saumaise qui en tant que réformé ne peut que détester Richelieu. Il est cependant tout fier d’avoir été « caressé » par le cardinal et il ne manque pas de se servir de Gilles Ménage pour obtenir des lettres de France qui n’ont d’autre objectif que de faire augmenter sa pension en Hollande [30].
21Un autre membre du cabinet Dupuy, Ismaël Boulliau, dont la longue vie durera jusqu’à la fin du siècle, apporte un autre angle de vue sur cette même attitude. Cet érudit, prêtre, astronome et ami des libertins érudits Lhuillier et Gassendi, a lui aussi été longtemps considéré comme un « libertin » [31], ne fût-ce que par une contagion avec ce que Pintard a analysé comme des indifférents et des immoraux. Cependant, l’évidence est d’un autre ordre. Boulliau est d’abord un Français admiratif de la politique de Richelieu puis de Mazarin. Comme Saumaise et les frères Dupuy, il accepte une autorité forte comme « le système de gouvernement offrant les meilleures garanties contre les troubles » [32], forcément intolérables pour un homme cultivant les Muses. En matière de religion c’est plutôt un « libéral » qu’un « libertin » ; il ne s’en prend pas aux jansénistes à cause de leur théologie, mais parce qu’ils veulent, d’après lui, fomenter un schisme. Même à l’égard des sociniens, sa condamnation ne s’inspire pas de raisons théologiques, mais sociales. Mais Boulliau est surtout un homme de science. Confronté au système copernicien il affirme la nécessaire séparation de la foi et de la science. La condamnation de Galilée en 1633 l’embarrasse, mais il s’en sort par une pirouette, en faisant valoir, selon la tradition gallicane, que les décisions du sacré tribunal de l’inquisition ne sont pas reçues en France ! Pour lui il n’est pas admissible que l’exégète de la Bible gêne l’astronome dans ses hypothèses. Le jeu d’esprit est évident. Cependant, on ne trouve pas, ni dans sa correspondance, ni dans ses œuvres, d’arguments sur lesquels on pourrait mettre l’étiquette de « libertinage érudit », si, comme le dit bien Henk Nellen : « cette qualification revient à une attitude qui recouvre quelqu’une des nuances entre l’indifférentisme et le sentiment antireligieux » [33]. Comme pour Montaigne, un siècle plus tôt, et tant d’autres après lui, souvent membres de la République des Lettres, ce qui compte avant tout, c’est la fidélité à la chrétienté, garant de l’ordre social. Un tel régime accepté par tous peut amener l’astronome ou le philologue à des prises de position contradictoires qui peuvent surprendre aujourd’hui. Mais en tant qu’humanistes chrétiens ces hommes du savoir ne voulaient en aucune façon apporter leur caution à tout ce qui pourrait amoindrir la base même de la société, le message évangélique.
22Ce qui paraît de nos jours jeu d’esprit, était à l’époque classique un mode d’approche et un système interprétatif naturel. En effet, pour faire coïncider le message chrétien avec les textes des auteurs antiques, ces hommes étaient habitués à une transposition et une comparaison permanente de ces deux héritages. Il n’est donc pas étonnant qu’ils aient étendu aux découvertes de leurs contemporains cette attitude, voisine de l’éclectisme. Leurs connaissances polyhistoriques, polyphilosophiques et même polyreligieuses, ne font que nourrir leurs engagements de sujets et d’hommes du savoir. Qui aime la connaissance, ne se laisse pas trop facilement troubler ; de nouveaux points de vue, en apparence divergents, n’ébranlent pas forcément les engagements profonds [34]. Ce désir de faire son miel de toutes les fleurs de la pensée humaine pousse Guy Patin à énumérer dans une de ses lettres les témoins muets d’une fête qui réunissait plus de trente collègues dans son propre cabinet de travail :
... Par dessus la tapisserie, se voyaient curieusement les tableaux d’Érasme, les deux Scaligers, père et fils, de Casaubon, Muret, Montaigne, Charron, Grotius, Heinsius, Saumaise, Fernel, De Thou, et notre bon ami M. G. Naudé, bibliothécaire de Mazarin [...], feu M. de Sales, évêque de Genève, M. l’évêque de Bellay [Camus], mon bon ami, Justus Lipsius et enfin de François Rabelais... Que dites-vous de cet assemblage ? [35]
23On dirait que le correspondant s’amuse de cette galerie si contrastée et qu’il y trouve une occasion d’étouffer ses scrupules et de niveler ses propres doutes. Pour un observateur moderne on est enclin à voir dans cette juxtaposition inattendue de saint François de Sales et de Rabelais une forme de liberté d’esprit confinant au laxisme. Dans cette démarche un peu narquoise, Patin sollicite la complicité intellectuelle de son correspondant. C’est un jeu d’esprit, mais on s’égarerait en interprétant injustement cette fuite comme une mise en question des fondements d’un homme et d’une société qui veut croire [36].
24Contrairement à Patin et aux membres du cabinet Dupuy qui se cantonnent volontairement dans le champ clos des hommes de lettres du même bord, l’aventure de Descartes et son œuvre ouvre un tout autre chemin. Certes, Descartes est de la même génération et il a correspondu avec plusieurs des savants dont les noms viennent d’être cités, sans jouer leur jeu. Son système construit autour du doute a violemment remué et même détruit la logique de l’éclectisme érudit, dont Gassendi, « le plus excellent philosophe qui fut parmi les humanistes et le plus savant humaniste qui fut parmi les philosophes » [37] serait la dernière incarnation. La volonté de ce dernier a été d’établir à partir des connaissances érudites très étendues « un système conforme aux exigences de la religion » qui correspondait avec le régime intellectuel du temps [38]. Descartes, prenant conscience qu’il ne pourrait pas penser librement dans la France catholique, quitta son pays et c’est à partir des Provinces-Unies que son œuvre imprimée voit le jour et se répand. Dans les universités hollandaises sa philosophie est presque immédiatement objet de débat. Aussitôt après la mort du philosophe un questionnaire fut adressé aux principales universités et écoles illustres du pays pour savoir ce qu’il convenait de faire de la philosophie cartésienne. Les réponses sont très contradictoires et liées aux particularismes de chaque institution [39], de l’accusation d’hérésie à une acceptation tantôt pour la nouveauté, tantôt pour la convergence avec la philosophie aristotélicienne. Ce débat montre que même dans un pays relativement libre et où la pression romaine ne se faisait plus sentir, la nouveauté de la philosophie cartésienne ne pouvait être reçue sans contestations. L’Église réformée et les professeurs garants de cette théologie et de son ordre social, ont dans un premier temps et pour le plus grand nombre d’entre eux réagi d’une façon assez proche de celle de leurs collègues en France. Dans ce dernier pays le conservatisme devait cependant résister beaucoup plus longtemps que dans les pays du Nord, où l’élan donné par Descartes allait amener la séparation définitive entre la théologie et la philosophie naturelle. Sauvegarder la foi personnelle, tout en élaborant les critères du raisonnement scientifique, voilà la sortie proposée par Descartes à ceux qui, à l’instar de Guy Patin, restent enfermés dans l’éclectisme érudit. Cette nouvelle orientation de l’esprit humain permet une structuration transparente du savoir et de la vie intellectuelle. Polyhistorisme et éclectisme vont peu à peu être écartés et le champ du libertinage va pouvoir s’exercer tant dans le domaine de la morale que dans celui de la critique religieuse ou théologique. C’est ainsi que pourra disparaître le reproche formulé par Pierre-Daniel Huet, un des derniers polyhistoriens, à l’encontre de Bossuet « d’être cartésien chez lui et chrétien à Versailles » [40]...
25Nous avons illustré par ces quelques exemples ce que l’on a la coutume d’appeler le libertinage érudit. Dans cette tentative il nous paraît évident que des positions trop marquées sont difficilement soutenables. Ainsi, présenter La Mothe le Vayer [41] comme un athée pur et simple ne nous paraît guère compatible dans la première moitié du XVIIe siècle avec le régime intellectuel de la chrétienté. On ne peut nier que des arguments athées clairement exprimés se rencontrent dans certains ouvrages de cette époque. Mais peut-on parler d’athéisme, alors que le corps de cette doctrine n’a pas encore de formulation réellement cohérente et de fondement philosophique partagé par le plus grand nombre. S’il existe de solides éléments d’une telle doctrine à la fin du XVIIe siècle, c’est sous une forme clandestine. La Mothe n’est sans doute pas le seul auteur qui donne prise à de tels soupçons, mais dans l’ensemble tous restent soumis à ce régime qui fait cohabiter les superstitions populaires, la théologie la plus scolastique, l’amour de l’Antiquité et l’attachement aux Écritures. C’est pourquoi on ne peut que rejoindre Roger Zuber selon lequel la veine humaniste reste prédominante et avec elle l’inaptitude à l’irréligion [42].
26Sans aucun doute Pierre Bayle marque à cet égard le passage du XVIIe au XVIIIe siècle. Sans entrer dans le débat brillamment renouvelé par G.-L. Mori à propos du libertinisme et de l’hétérodoxie de Bayle, nous voudrions seulement replacer Bayle dans la perspective de notre analyse : la tension qui existe entre le poids de la vérité chrétienne et l’application innocente de la raison humaine tant dans le domaine de la morale que sur le plan dogmatique. Rappelons d’emblée quels tourments infligea au fils du pasteur du Carla le régime sociopolitique de la France de Louis XIV : né calviniste, les jésuites réussirent à obtenir la conversion de Pierre Bayle, bien vite suivie de son abjuration. Devenu ainsi relaps il dut quitter son pays et sa famille. Une fois en exil, il apprit la mort de son frère Jacob survenue, quelques années plus tard, dans les geôles du roi très chrétien. Tel est bien la vie dramatique de ce méridional, qui a souffert dès l’enfance du « régime intellectuel », c’est-à-dire de la répression religieuse de son temps. Arraché de sa famille et de son pays, il sera dans les Provinces-Unies un forçat dans la République des Lettres qu’il a servi pendant la dernière partie de sa vie [43].
27Le trait le plus visible de cet homme et de son œuvre est précisément la soif de connaissances. Toute sa vie, dès les montagnes du pays de Foix jusqu’au cabinet de travail à Rotterdam tout près de l’officine du libraire Reinier Leers, en passant par Genève et Sedan, il a accumulé une somme invraisemblable de connaissances, grâce à une lecture continue et une mémoire hors du commun. Cette démarche ne le différencie guère des humanistes et polyhistoriens dont il s’est nourri. Mais chez Bayle cette érudition s’accompagne toujours d’une grande humanité : c’est un homme pudique et sensible, plein d’émotion qui manie l’ironie et même le cocasse avec délicatesse.
28Tous ces aspects se retrouvent particulièrement dans son opus magnum, le Dictionnaire historique et critique. Dans ce monument convergent le destin de cet homme, son vaste savoir et les doutes et les inquiétudes de son cœur. À la lumière de ces quelques remarques éclairées par les analyses de Pierre Rétat, peut-on à nouveau nuancer les positions sur les rapports entre Bayle et le libertinage [44] ? Sans aucun doute le Dictionnaire diffuse auprès d’un large public dans l’Europe entière et cela durant tout le XVIIIe siècle, de nombreuses positions y compris les plus hétérodoxes et dangereuses qui étaient demeurées jusqu’alors à l’intérieur des cabinets et des conversations intimes. Cette somme si variée du savoir, recueillie pour la première fois dans les limites étroites et accessibles de volumes imprimés, a sans doute contribué à donner corps à une pensée athée, irréligieuse et immorale... Plusieurs de ses contemporains n’ont pas manqué de le souligner et de le rendre responsable de la diffusion d’idées aussi choquantes. Mais si Bayle est partout présent dans son Dictionnaire, peut-on lui reprocher de partager toutes les opinions de la galerie de portraits qu’il dresse devant ses lecteurs ? Tout cela n’est que le fruit de ses lectures. Même s’il a sympathisé avec certaines formes de pensées hétérodoxes, on ne peut lui imputer la totalité des opinions qu’il rapporte. Son jugement sur La Mothe le Vayer peut bien illustrer la méthode et le passage de la simple lecture au jugement personnel. Dans l’article Vayer du Dictionnaire, après avoir signalé qu’il « y a beaucoup de libertinage dans les dialogues d’Orasius Tubero », il va au fond des choses, en concluant que celui qui dirait « que l’auteur n’avoit point de Religion, se rendroit coupable d’un jugement téméraire, car il y a une grande différence entre écrire librement ce qui se peut dire contre la foi, et le croire très-véritable » [45]. Certains pourront objecter que Bayle dissimule ici. Cependant, son regard sur l’œuvre de La Mothe Le Vayer est depuis longtemps critique, si l’on en croit une lettre à son frère Jacob du 21 juillet 1675, vingt ans avant la rédaction de l’article cité : « Je tiens M. de La Mothe Le Vayer et M. Naudé pour les deux savans de ce siecle qui avoient le plus de lecture et l’esprit le plus epuré de sentimens populaires, mais parce qu’ils font trop les esprits forts, ils nous debitent bien souvent des doctrines qui ont de perilleuses consequences » [46]... Pierre Rétat a rassemblé plusieurs autres textes tirés du Dictionnaire qui vont dans le même sens, celui de la distinction entre « l’attitude croyante et la recherche philosophique » [47]. Allant au-delà de l’érudition et selon la méthode dualiste de Descartes, Bayle mesure les limites de la raison en matière de foi, sur les points essentiels des dogmes. Pour lui cela signifie que qui conteste l’immortalité de l’âme, ne nuit point à la croyance du dogme. Ainsi le philosophe se procure la liberté d’offrir au public les éléments du débat sans qu’on puisse pour autant l’accuser de porter atteinte aux dogmes. En outre, sa vaste connaissance des réalités politiques et humaines le fait douter de la solidité de bien des raisonnements humains, particulièrement lorsqu’il s’agit de nier l’existence de Dieu. La plupart des hommes, écrit-il, « prennent le parti le plus sûr, lorsque la mort s’approche, même s’ils n’ont jamais cru en Dieu avant » [48]. Finalement, Dieu est le seul juge pour Bayle, pour mesurer l’authenticité de la foi des hommes.
29Face à cette vision éclectique et généreuse du savoir, il nous semble difficile de mettre en doute sinon sa foi, au moins sa fidélité à l’héritage chrétien reçu dans des conditions si particulières, conforté et contesté par les vicissitudes de sa vie et la masse énorme de ses lectures. Contrairement aux esprits les plus éclairés parmi ses contemporains qui ont tenté d’ouvrir des voies nouvelles, tels que Descartes, Malebranche, Spinoza ou Locke, Bayle de son côté a souffert, mais aussi profité d’une attitude moins systématique : en rédigeant son Dictionnaire il a jeté sur la table du savoir toutes les cartes, et il nous revient de reconstituer les règles du jeu. Son ouvrage est un dédale et c’est au lecteur à tisser lui-même ce qui lui permettra d’en sortir. Il n’est donc pas surprenant que ce livre ait été perçu comme une machine de guerre contre les dogmes, parce qu’il recueille une somme d’opinions dont bon nombre peuvent être considérées comme hétérodoxes et libertines. Mais ce n’est sans doute pas le mobile de l’œuvre d’érudition du philosophe de Rotterdam.
30Tout cela nous amène à conclure qu’une définition trop catégorique des positions théologiques et philosophiques de Bayle risque vite de tomber dans une simplification abusive. Il a refusé le dogme tout en acceptant une foi, il a pratiqué le doute tout en justifiant ceux qu’on a désignés comme libertins et il a pratiqué l’érudition, comme tous les grands humanistes depuis Érasme, pour offrir au public une bibliothèque universelle de toutes les pensées les plus contradictoires. En cela il est en quelque sorte l’un des principaux acteurs du délitement du régime intellectuel de la chrétienté dans les deux siècles qui suivirent.
31Les historiens de la pensée ont souligné depuis plusieurs générations le lien qui existe entre humanisme, Réforme, libertinage, premières découvertes scientifiques et esprit des Lumières [49]. Nous avons cherché pour notre part à mettre en valeur un processus plus simple sous-jacent à celui-ci, un cheminement durant lequel un ancien régime intellectuel, celui de la chrétienté largement partagée, perd peu à peu son autorité jusque-là indiscutée, sous l’influence de la redécouverte des auteurs de l’Antiquité, de la critique des textes, des aspirations de l’élite intellectuelle et de la philosophie novatrice et parfois teintée de libertinisme. Le doute se glisse peu à peu dans toutes les branches de la connaissance et de l’activité humaine. Tout cela donne naissance à un mouvement dans lequel on voit apparaître ça et là des nouveautés que la période suivante a reprises et développées. Ainsi surgissent dans tous les domaines du savoir et de la morale de nouvelles orientations que le XVIIIe siècle retiendra et que l’on peut caractériser à partir du Dictionnaire de Pierre Bayle comme étant le « libertinage ». Ce qui était secret et clandestin jusqu’à la fin du règne de Louis XIV, trouve alors un public de plus en plus nombreux ; dans la foulée la presse périodique à laquelle Pierre Bayle lui-même a donné une grande impulsion par la publication de ses Nouvelles de la République des Lettres, contribue beaucoup à une diffusion des idées vers des publics plus vastes.
32Le dualisme cartésien avait donné à ce mouvement des instruments qui ont rendu possible ce processus. En revanche trois obstacles l’ont ralenti ou suscité des rebondissements dans des orientations nouvelles : la persistance de l’ignorance et des superstitions populaires, le raidissement de la théologie officielle et le mouvement spirituel qui va s’intensifier avec le Romantisme. Ces forces contraires vont provoquer les grands changements de toute nature qui se continueront jusqu’au milieu du XXe siècle au moins.
Notes
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[1]
Cf. R. Pintard, Le libertinage érudit dans la première moitié du XVIIe siècle, 2 vol., Paris, 1943 et du même auteur : « Les problèmes de l’histoire du libertinage, notes et réflexions », dans XVIIe siècle, XXXII (avril-juin 1980), p. 131-161.
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[2]
Saluons le travail bibliographique et critique considérable de Jean-Pierre Cavaillé, Libertinage, irréligion, incroyance, athéisme dans l’Europe de la première modernité (XVIe et XVIIe siècles). Une approche critique des tendances actuelles de la recherche (1998-2002), publié sur Internet, en février 2003, hhttp :// wwwww. ehess. fr. / centres/ grih/ DebatCritique/ LibrePensee/ Libertinage04. htm ;Voir le compte rendu critique de Marc Fumaroli, « La République des Lettres, l’université et la grammaire », dans Revue d’histoire littéraire de la France, avril-juin 2004, p. 463-474.
-
[3]
Antoine Arnauld, Perpétuité de la foi de l’Église catholique sur l’Eucharistie..., procurée par M. l’abbé M****, t. I, éd. Paris, 1841, p. 46-47.
-
[4]
Nous empruntons cette expression à Alfred Loisy, dans L’Évangile et l’Église, Paris, 1903.
-
[5]
Le caractère global de cette « société cléricale » et sa quasi totale dissolution – non de la philosophie sociale du christianisme bien vivante, mais des structures religieuses devenues obsolètes –, au cours des dernières décennies, nous amène à la question de savoir si la seule méthode pour l’étudier à l’avenir ne sera pas celle de l’ethnologue. Cela disqualifie selon nous l’attitude qui consiste à trouver dans cette société perdue dans les sables, des arguments pour les combats d’aujourd’hui.
-
[6]
Pour les différents sens qu’a eus le terme « libertin », voir Françoise Charles-Daubert, Les libertins érudits en France au XVIIe siècle, Paris, 1998, notamment l’introduction.
-
[7]
Voir Leif Grane, Peter Abelard. Philosophie und Christentum im Mittelalter, Göttingen, 1964, p. 103. Voir aussi Edward Grant, God and Reason in the Middle Ages, Cambridge, 2001, p. 57-58 et 63-64.
-
[8]
Voir André Goddu, « Ockham’s Philosophy of Nature », dans Paul Vincent Spade, The Cambridge Companion to Ockham, Cambridge, 1999, p. 160-161.
-
[9]
De nombreuses équipes de recherche travaillent précisément sur la nature de cette onde de choc, notamment sur les livres imprimés et manuscrits clandestins portant souvent des idées des plus avancées du courant libertin.
-
[10]
Montaigne, Essais, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1962, liv. I, chap. 56, p. 302-303.
-
[11]
G. Gusdorf, La Révolution galiléenne, Paris, 1969, introduction, où l’on parle « de la dislocation de la chrétienté au XVIe siècle ».
-
[12]
Voir Richard H. Popkin, The History of Scepticism from Erasmus to Spinoza, Berkeley et Los Angeles, 1979, passim.
-
[13]
Furetière, Le Dictionnaire universel, La Haye et Rotterdam, 1690, articles « doute et douter ». L’article « scrupule » du même Dictionnaire est tout aussi instructif pour notre propos : « Scrupule se dit aussi des inquiétudes d’esprit, du doute que l’homme a sur le jugement qu’il doit faire de quelque chose... Le dévot fait scrupule de tout..., les libertins ne font scrupule de rien, ne font point scrupule de manger de la chair en carême, etc. ». Notons que cette question purement alimentaire tiendra longtemps une place considérable dans l’expression de l’engagement libertin.
-
[14]
Pour les problèmes de la terminologie des termes libertins et libertinage, voir Françoise Charles-Daubert, « Le libertinage érudit. Problèmes des définition », dans Libertinage et philosophie au XVIIe siècle, Saint-Étienne, 1996, no 1, p. 11-25.
-
[15]
Voir A. Adam, Les libertins au XVIIe siècle, Paris, 1964, p. 7, qui signale cette indépendance des lettrés au XVIIe siècle.
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[16]
Voir J.-P. Heering, Hugo de Groot als apologeet van de christelijke godsdienst, La Haye, 1992, p. 70-77. Cet ouvrage vient d’être traduit sous le titre suivant : Hugo Grotius as Apologist for the Christian Religion ; A Study of his Work « De veritate religionis christianae (1640) », Leyde, 2004.
-
[17]
Correspondance Sarrau-Rivet, lettre de Sarrau à Rivet du 17 janvier 1642, dans Correspondance intégrale d’André Rivet et de Claude Sarrau, 1641-1650, publiée par H. Bots et P. Leroy, 3 vol., Amsterdam/Maarssen, 1978-1980, t. 1, p. 45.
-
[18]
Voir ibid., I, p. 458 et II, p. 2.
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[19]
Correspondance intégrale d’André Rivet et de Claude Sarrau, t. III, p. 225, lettre du 25 septembre 1645.
-
[20]
Voir le jugement très mesuré sur cette question de la foi chrétienne de Grotius, dans P. Bayle, Le Dictionnaire historique et critique, Rotterdam, 1702, art. « Grotius », rem. H et I.
-
[21]
Voir H. Bots et P. Leroy, « Grotius et la réunion des Églises », dans XVIIe siècle, 141 (1983), p. 451-469.
-
[22]
Après la condamnation de Galilée en 1633, Mersenne prend les précautions qu’appelle la situation nouvelle en ajoutant dans une seconde édition des Questions théologiques où il expose la cosmologie galiléenne, la Sentence in extenso contre Galilée et contre ses Dialogues du mouvement de la terre.
-
[23]
Correspondance Mersenne, VII, p. 181, lettre de Rivet à Mersenne, 29 avril 1638.
-
[24]
Correspondance Mersenne, VI, p. 228, lettre de Mersenne à Rivet, 25 mars 1637 : « Nous sommes en un estrange siecle pour les differentes sortes de libertinages, qui arrivent à tel point en plusieurs cerveaux que les raisons, ni l’Escriture ne les peuvent faire flechir à la verité : les uns veulent des demonstrations dans la religion, comme dans les Mathematiques, et les autres s’imaginent que tout est faux ou du moins que nous ne pouvons nous asseurer d’aucune chose, toutes choses ayant deux anses ; et les autres maintiennent que tout est Dieu, que tout est bon à l’égard de Dieu, n’y ayant ni mal de peché, ni de coulpe, ni de peine suivant ce vers : Jupiter est quodcumque vides. Nous viverons tousiours parmi cette confusion jusques à ce que nous ne voyions plus en enigme et que le voile soit relevé... ».
-
[25]
Voir l’avant-propos de B. Rochot dans Les nouvelles pensées de Galilée, éd. crit. par P. Costabel et M.-P. Lerner, Paris, 1973, p. 11.
-
[26]
A. Beaulieu, Mersenne le grand minime, Bruxelles, 1995, chap. XI, p. 173-185 : l’Académie Mersenne, o.c., p. 113-114.
-
[27]
Voir la lettre de Paul Pineau de la Tronière à André Rivet du 1er septembre 1646, recueillie dans Correspondance Mersenne, XVI, p. 506.
-
[28]
Cf. Emmanuel Bury, « L’amitié savante, ferment de la République des Lettres », dans XVIIe siècle, 51 (1999), p. 729-747.
-
[29]
Voir Emmanuel Bury, « Espaces publics, espaces privés : les lieux du débat d’idées au XVIIe siècle », dans Libertinage et philosophie au XVIIe siècle. Le public et le privé, Saint-Étienne, 1999, p. 103-104.
-
[30]
P. Leroy, Le dernier voyage à Paris et en Bourgogne, 1640-1643, du réformé Claude Saumaise, Amsterdam, 1983, p. 112.
-
[31]
Voir René Pintard, Le Libertinage érudit dans la première moitié du XVIIe siècle, Paris, 1943, 2 vol., p. 618 et passim.
-
[32]
Henk Nellen, Ismael Boulliau (1605-1694), astronome, épistolier, nouvelliste et intermédiaire scientifique, Amsterdam, 1994, p. 511-533.
-
[33]
Ibid., p. 531.
-
[34]
Pierre Leroy, « Le paganisme antique dans quelques correspondances du milieu du XVIIe siècle (Peiresc et Saumaise) », dans Les religions du paganisme antique dans l’Europe chrétienne, XVIe-XVIIIe siècle, Paris, 1987, p. 70.
-
[35]
Correspondance de Guy Patin, publiée par Armand Brette, Paris, 1901, p. 101-102, lettre à Falconet du 2 décembre 1650.
-
[36]
Voir Lucien Febvre, Le problème de l’incroyance au XVIe siècle. La religion de Rabelais, Paris, 1962, p. 491, titre de la conclusion : « Un siècle qui veut croire ».
-
[37]
L’expression est citée par Bayle dans son Dictionnaire, article Catius, remarque E.
-
[38]
Cf. O. Bloch, article Gassendi, dans La Science classique, XVIe-XVIIIe siècle. Dictionnaire critique, procuré par Michel Blay et Robert Halleux, Paris, 1998, p. 268-269.
-
[39]
Voir Paul Dibon, « Scepticime et orthodoxie réformée dans la Hollande du Siècle d’Or », dans Wolfenbütteler Forschungen. Scepticism from the Renaissance to the Enlightenment, t. 15, Wiesbaden, 1987, p. 55-80 et Th. Verbeek, Descartes and the Dutchap. Early Reactions to Cartesian Philosophy, 1637-1650, Carbondale & Edwardsville, 1992.
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[40]
Pierre-Daniel Huet, Mémoires de Daniel Huet, évêque d’Avranches, traduits pour la première fois du latin en français par C. Nisard, Paris, 1853, « Préface », p. XVII.
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[41]
Rivet, Mersenne et Sarrau ont dialogué à propos de La Vertu des Payens de La Mothe le Vayer dans lequel Rivet retient que l’auteur veut « prouver le salut de Zenon et plusieurs philosophes par une foy implicite et interpretative, sur lequel il [Mersenne] me dit que les janseniens se remuent fort » (cf. Rivet-Sarrau, Correspondance, I, p. 49). Ajoutons qu’il fut gouverneur du duc d’Orléans et en 1652 du jeune Louis XIV.
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[42]
Roger Zuber, « Libertinage et humanisme : une rencontre difficile », dans XVIIe SIeCLe, 32 (1980), p. 177.
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[43]
Sur Bayle, voir G. Mori, Bayle philosophe, Paris, 1999 et de ce même auteur la bibliographie sur Internet : http :// wwwww. lett. unipmn. it/ mori/ bayle/ .
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[44]
Pierre Rétat, « Libertinage et hétérodoxie : Pierre Bayle », dans XVIIe SIeCLe, 32 (1980), p. 197-211.
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[45]
Voir article Vayer, in corpore. Cette même réaction de Bayle contre les « jugements téméraires » se rencontre dans plusieurs articles de son Dictionnaire, par exemple dans l’article Hénault : après avoir cité les vers de Mme des Houlières « Nous irons reporter la vie infortunée / dans le sein du Néant d’où nous sommes sortis », il ajoute : « Il est sûr qu’une personne qui parlerait de la sorte dogmatiquement, nierait l’immortalité de l’âme. Mais... disons qu’elle n’a suivi que des idées poétiques qui ne tirent point à conséquence... Ne jugeons point d’elle [sa croyance] par des phrases poétiques... ».
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[46]
Pierre Bayle, Correspondance, Oxford, 2001, t. II, p. 250-251. Dans la suite de cette lettre il s’en prend de la même façon à Naudé : « Dans un autre livre qu’íl a fait sur les coups d’état, il fait une longue liste de tous les fins politiques qui ont acquis par la persuasion qu’on avoit qu’ils conferoient avec Dieu. Peu s’en faut qu’ils ne mettent notre Moïse à leur tete, et cela avec un adoucissement si mince en faveur de la foy, que les consciences timorées en crieroient volontiers au meurtre et au blaspheme ».
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[47]
P. Rétat, loc. cit., p. 203.
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[48]
« Des Barreau, remarque F ».
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[49]
Cf. l’ouvrage important de F. Laplanche à ce sujet, L’Écriture, le sacré et l’histoire. Érudits et politiques protestants devant la Bible, en France, au XVIIe siècle, Amsterdam/Maarssen, 1986.