Notes
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[1]
Voir F. Roux-Alphéran, Les Rues d’Aix, 1846, t. I, p. 631-643 ; Jean Boyer, L’Architecture religieuse de l’époque classique à Aix-en-Provence, 1972, p. 169-181 ; Jean-Jacques Gloton, Renaissance et baroque à Aix-en-Provence, 1979, t. II, chap. IV, p. 340, et chap. V, p. 387-388.
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[2]
D’après son manuscrit – ms 279 (RA 28) – conservé à la Bibliothèque Méjanes, le P. Forrat, dominicain, a vu en 1710 le maître-autel, avec le retable qu’il ne décrit pas ; puis, en 1760, il a vu la plupart des pièces du maître-autel au chapitre...
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[3]
Voir le livre de Bernard Chédozeau, Chœur clos, chœur ouvert. De l’église médiévale à l’église tridentine (France, XVIIe-XVIIIe siècle), Paris, Cerf, 1998.
-
[4]
En 1995, un retable en trompe-l’œil a été mis au jour et restauré dans l’église de Puyricard (un des villages de la commune aixoise).
-
[5]
M. Constantin (abbé), Les Paroisses du diocèse d’Aix, Paroisses de l’ancien diocèse d’Aix, 1890, p. 135.
-
[6]
Voir, de Fauris de Saint-Vincent, son Mémoire sur les monuments, tableaux, statues, les plus remarquables de la ville d’Aix, fait au mois de janvier 1790 sur la demande de la municipalité et de l’administration du district, Bibl. Méjanes, ms 862 (1036). La peinture en trompe-l’œil des prêcheurs n’apparaît pas dans cet inventaire.
-
[7]
Voir la note 2.
-
[8]
Aix-en-Provence, 1950, p. 114.
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[9]
Aix-en-Provence et le pays d’Aix, 2e éd., 1967, p. 86.
-
[10]
Op. cit., 1672, p. 177.
-
[11]
Op. cit., t. V, p. 387. Dès 1979, J.-J. Gloton souligne que cette œuvre « mérite tous les soins de conservation ».
-
[12]
Une petite enquête nous a révélé que quelques paroissiens ou visiteurs de l’église de la Madeleine ont toujours été intrigués ou fascinés par le trompe-l’œil. Mais ils étaient fort peu nombreux.
-
[13]
L’examen a été facilité par les échafaudages. Il a permis de comprendre, par exemple, comment on pouvait voir autrefois le trompe-l’œil que l’on peine à voir aujourd’hui : pour éclairer la peinture, les prêcheurs comptaient sur leurs luminaires. L’équipe chargée de la restauration a pu, en 2001, relever la présence, sur les pilastres qui séparent les trois compartiments de l’œuvre, d’éclaboussures de cire assez haut placées, et mettre au jour des anneaux, grâce auxquels on pouvait faire monter et descendre les candélabres. L’éclairage du trompe-l’œil avait donc été prévu par les dominicains et il a été utilisé.
-
[14]
Seule la première étape de la restauration a été effectuée ; la peinture a été nettoyée et fixée ; puis tout a été interrompu : on ne peut achever le travail avant d’être venu à bout de l’humidité des murs.
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[15]
On distingue aussi des rosaces, dans les deux édifices, sur les arcs-doubleaux, avec ou sans caissons.
-
[16]
Le dessinateur de la figure 3, Alain-Gilles Magdinier (architecte), a relevé seulement les lignes et n’a donc pas distingué les dalles blanches et noires (voir fig. 5, p. 329).
-
[17]
Voir, pour les trois étages de chambres, I Rois 6, 4-6.
-
[18]
« Galeries » et « bas-côtés » traduisent latera (I Rois 6, 5).
-
[19]
Traduction de Louvain pour I Rois 6, 4.
-
[20]
Comme souvent dans les représentations de l’arche d’alliance, le panneau antérieur est orné d’un double losange (voir le dessin de l’arche dans la Bible de Louvain, édition de 1608, ou le tableau de Nicolas Mignard : « Jésus au milieu des docteurs »).
-
[21]
Cette représentation des chérubins est conforme à Ex 25, 20 et non pas à I Rois 6, 23-27. Selon le livre des Rois, chaque chérubin touche d’une aile l’aile du chérubin qui lui fait face, tandis que l’autre aile de chacun s’étend jusqu’au mur du temple.
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[22]
Ex 34, 29-30.
-
[23]
Voir Gn 14, 18-20. Les gravures anciennes montrent souvent Melchisédech offrant deux ou trois pains ronds superposés, le pain supérieur étant le plus petit (quant au vin, il est dans une ou plusieurs amphores). On voit trois pains dans les Figures de la Bible de Gabriel Chappuys (Lyon, 1582), dans l’Histoire du Vieux et du Nouveau Testament, par le sieur de Royaumont (Lemaître de Sacy), 1670, dans les Icones historicæ veteris testamenti (Genève, 1681), dont le titre français est Figures historiques du Vieux Testament ; on en voit deux dans la première partie de l’Histoire sacrée en tableaux, ouvrage où Oronce de Brianville commente des figures gravées par Le Clerc (Sercy, 1671). Or le personnage peint dans le trompe-l’œil des prêcheurs offre deux pains ronds dont le plus petit est posé sur le plus grand.
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[24]
Exode 25, 31-39.
-
[25]
Il est ordinairement dit de couleur hyacinthe (ou indigo), pourpre, et écarlate de cochenille. Cependant la Septante et la Vulgate le disent « de hyacinthe » seulement, dans un verset des Nombres, 4, 25. Edmond Fleg, dans son livre Moïse raconté par les sages (Albin Michel, 1997, p. 145), écrit que « le voile d’hyacinthe sépara le Saint du Saint des Saints ». Les prêcheurs d’Aix ont privilégié la couleur bleue, mais n’ont pas exclu la couleur rouge, comme on le verra plus loin, n. 45.
-
[26]
Voir Exode 4, 1-5.
-
[27]
Selon les textes, l’arche était vide ou renfermait les Tables de la Loi. Une tradition qu’a reprise l’Épître aux Hébreux 9, 4, ajoute aux Tables de la Loi l’urne contenant une mesure de manne, et la verge d’Aaron.
-
[28]
Voir Romains 11.
-
[29]
S’il y a par exemple ressemblance et continuité entre l’arche et le tabernacle, c’est que tous les deux disent la présence divine parmi les hommes, cependant ils disent différemment une présence différente.
-
[30]
Jeu de miroirs d’autant plus intéressant que le grand autel de 1845 n’est pas l’autel du début du XVIIIe siècle, mais il doit reprendre le motif des chérubins (fréquent sur les tabernacles). Quant aux dalles du chœur, ce ne sont pas les dalles d’origine : le dallage a été refait, puisque son niveau actuel est plus élevé de 15 à 20 cm que le niveau primitif, et il est intéressant de voir que la continuité a été respectée.
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[31]
Voir par exemple Lc 19, 20, et surtout Lc 24, 27 : « Et commençant par Moïse, et ensuite par tous les prophètes, il leur expliquait dans toutes les Écritures ce qui y avait été dit de lui ».
-
[32]
I Co 10, 11. Voir aussi Colossiens 2, 17.
-
[33]
Voir Romains 3, 25 et la note de la TOB sur ce verset ; voir aussi : 1 Jean 2, 2 ; Thomas d’Aquin, Somme théologique, II, I, q. 102, art. 4. Voir encore, comme particulièrement explicite, le premier sonnet des Théorèmes du poète aixois Jean de La Ceppède (1613), avec les annotations de l’auteur. La Ceppède célèbre le Propitiatoire, et dit que « la Croix du fils de Dieu a été le vrai Propitiatoire » ; que saint Paul et saint Jean « appellent notre Crucifié Propitiation ou Propitiateur et la Glose ordinaire de l’Exode explique Propitiatoire ; c’est-à-dire Jésus-Christ ». De même, la Bible de Royaumont (1670) affirme que le « Propitiatoire [...] représentait Jésus-Christ qui est notre propitiation, comme dit saint Paul » (éd. de 1713, p. 100). C’est dire à quel point cette interprétation est traditionnelle.
-
[34]
Pensées, éd. Ph. Sellier, « Class. Garnier », 1991, fr. 250. L’édition de Port-Royal des Pensées de M. Pascal sur la religion, et sur quelques autres sujets, 1670, remplace « un peu tirées par les cheveux » par « moins naturelles » (p. 92). Nous utilisons l’édition en fac-similé procurée par Georges Couton et Jean Jehasse, Éd. de l’Université de Saint-Étienne, 1971 (voir p. 206).
-
[35]
Dans Les Curiosités les plus remarquables de la ville d’Aix, 1674, p. 127-128, Pierre-Joseph de Haitze nous apprend que Thomas d’Aquin avait, dans le cloître du couvent, son portrait : « Le peintre l’a représenté ici écrivant l’Office du S. Sacrement, dont le Saint Esprit en forme de Colombe lui dicte les paroles à l’oreille ».
-
[36]
C’est un tercet de l’hymne Lauda, Sion, Salvatorem (Loue, Sion, ton Sauveur).
-
[37]
Les Théorèmes, I, III, 79 (1613).
-
[38]
La Vulgate emploie l’expression ecclesia Israël : la communauté, l’Église d’Israël (I Rois 8, 14). Le terme hébreu traduit par ecclesia est qahal, qui désigne la communauté devant Dieu.
Dans la Bible de Royaumont (1670), il est dit que le tabernacle du désert « était une figure visible de l’Église. Ce Temple portatif [...] marquait l’Église pendant qu’elle est encore ici sur la terre dans un état d’instabilité et dans un lieu de passage, comme, depuis, le Temple de Salomon figura l’Église dans son état de stabilité et dans la demeure des cieux » (éd. de 1713, p. 98).
Ce qui est rare, ce n’est pas de représenter le temple de Salomon comme une église ou une cathédrale, ni de discerner dans le temple de Salomon la figure de l’Église ; c’est de donner à voir simultanément, juxtaposées, la chose figurante et la chose figurée : le temple et ses cérémonies, et ce que le temple figure : l’église (et l’Église). -
[39]
Voir Blaise Pascal : « Pour voir clairement que l’Ancien Testament n’est que figuratif [...] ». Ce fragment apparaît seulement dans l’édition de 1678, p. 209 (voir l’édition citée, en fac-similé, p. 505). Cf. l’édition Ph. Sellier, fr. 737 : « Pour montrer que l’Ancien Testament est – n’est que – figuratif [...] ».
-
[40]
Jé 31, 31.
-
[41]
Hé 8, 13.
-
[42]
Lettre II ou IV selon les éditions. Voir Pascal, Œuvres complètes, éd. Jean Mesnard, Desclée de Brouwer, t. III, p. 1035-1036, ou l’édition citée de Port-Royal, p. 232 (fac-similé, p. 346).
Autres témoins : Lemaître de Sacy, qui écrit dans la préface de l’Exode : « Moïse a vu le Sauveur en esprit. Il a vécu de la foi », et le poète déjà cité, Jean de La Ceppède :
« Abraham et Moïse ont à vous cru tous deux [...]
Isaïe vous vit fort magnifiquement [...] » (sonnet I, III, 53).
Selon de telles interprétations, les patriarches, les prophètes, les saints de l’Ancien Testament, par la foi, voyaient le Christ. -
[43]
Pascal dit du Christ et des apôtres qu’ils « ont levé le sceau, ils ont rompu le voile, et découvert l’esprit » (éd. citée de Port-Royal, 1670, p. 97, fac-similé, p. 211). Cf. « Ils ont levé le sceau. Il a rompu le voile et a découvert l’esprit », éd. Ph. Sellier, fr. 291.
-
[44]
Voir Œuvres de saint François de Sales, éd. d’Annecy, t. X, p. 16.
-
[45]
On aperçoit, sur cette balustrade, des lambeaux d’étoffe, de couleur bleue, de couleur rouge : lambeaux du voile déchiré du Temple (voir la note 25).
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[46]
Déjà au XVIIe siècle, on pouvait y contempler un tableau qui est toujours visible à la Madeleine ; c’est la « Vierge du rosaire » (1643) de Jean Daret, où sont représentés la Vierge, donnant le rosaire à saint Dominique, l’enfant Jésus donnant son cœur à sainte Catherine, les âmes du Purgatoire, et le chien qui porte dans sa gueule une torche enflammée. Ce chien est un des premiers chiens apparus dans l’église des prêcheurs ; ceux du trompe-l’œil sont venus ensuite, et on peut voir enfin dans cette église un quatrième chien, situé dans un haut vitrail du chœur – œuvre de Louis André –, qui a été mis en place en 1897, longtemps après le départ des religieux.
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[47]
Deux chiens, dans un nouveau mobilier du chœur, pourraient, dans les années à venir, s’ajouter à ceux dont nous avons parlé.
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[48]
Ces dessins ont été décalqués sur de grands panneaux de plastique transparent, puis réduits. Le travail réalisé par Alain-Gilles Magdinier a permis de voir ce que l’œil nu ne voyait pas. II faudrait le compléter en distinguant les dalles noires et les dalles blanches, et en observant que certaines lignes au pied des colonnes de gauche dessinent des ombres portées, naturellement absentes au pied des colonnes de droite.
-
[49]
C’est ainsi qu’on le voit encore à la Madeleine dans le tableau de Mimault « Le baptême du Christ ».
-
[50]
Deux saints seulement de l’Ancien Testament sont clairement identifiables. On a voulu nous éviter de restreindre le nombre de ces saints, mais surtout on a voulu mettre en lumière Moïse et Aaron.
-
[51]
Deus revelatus, Dieu révélé ; Deus absconditus, Dieu caché.
-
[52]
Les Théorèmes, I, III, 91 (1613).
-
[53]
Le Saint des Saints est visible, et voici que le mystère de la Trinité apparaît. Mais c’est encore un mystère, et le plus insondable de tous...
-
[54]
Op. cit., p. 179.
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[55]
« Plan géométrique de la ville d’Aix » par J. Maretz (1622). « Plan géométrique de la ville d’Aix » par L. Cundier (1666).
-
[56]
J.-J. Gloton, op. cit., p. 310.
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[57]
D’après les Annales du Collège de Bourbon, ces colonnes étaient si ressemblantes qu’on les touchait pour voir si elles étaient peinture ou réalité. C’est tout ce que nous savons du trompe-l’œil de l’église des jésuites (que nous avons déjà signalé plus haut).
-
[58]
D’après l’Épître aux Hébreux, le Christ est prêtre selon l’ordre de Melchisédech, plutôt que selon l’ordre d’Aaron, l’ordre lévitique. Mais les commentaires anciens de l’épître et la paraphrase de Godeau, souvent rééditée, montrent que la plupart des commentateurs donnaient beaucoup d’importance au sacerdoce d’Aaron, comme le fait le trompe-l’œil des prêcheurs. D’ailleurs la mitre des évêques et la tiare pontificale doivent plus à la coiffure d’Aaron qu’à celle de Melchisédech.
-
[59]
Par exemple, il y est dit que la Loi « n’a que la figure des biens à venir, non la substance même des réalités » (10, 1).
Selon l’Épître aux Hébreux 8, 5, le lieu où les prêtres de l’ancienne Loi offrent les sacrifices est la copie et l’ombre du modèle montré par Dieu à Moïse sur la montagne (Exode 25, 40 et 26, 30). Si ce lieu est la copie du sanctuaire céleste (celui où le Christ est entré par sa résurrection, He 9, 24), il faut penser que le sanctuaire chrétien lui-même ne doit pas s’éloigner beaucoup de ce modèle. Cela suffit à justifier, dans le trompe-l’œi1 des prêcheurs, la ressemblance entre le temple des Hébreux et l’église, et invite, naturellement, à ne pas s’arrêter au sanctuaire terrestre, mais à voir plus haut. -
[60]
He 11, 26 : « Il considéra l’humiliation du Christ comme une richesse plus grande que les trésors de l’Égypte » (trad. TOB).
-
[61]
Mais, dans une architecture peinte, ils sont faits pour être vus de loin. Ce qui est plus gênant est une certaine absence de cohérence architecturale entre les compartiments latéraux et le compartiment central.
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[62]
On pourrait, pour la leçon qu’ils donnent l’un et l’autre, rapprocher du trompe-l’œil des prêcheurs une certaine « gloire », entourant de ses rayons un triangle – symbole de la Trinité – qui porte en son centre le tétragramme ou quadrilettre (les quatre lettres hébraïques du nom imprononçable). Cette « gloire » exprime d’une manière synthétique et dépouillée ce que le trompe-l’œil des prêcheurs manifeste de façon analytique.
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[63]
Voir plus haut la note 33.
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[64]
Voir l’édition de Port-Royal, 1670, titre XIV, « Jésus-Christ », p. 111 (fac-similé, p. 225). Le texte exact de Pascal donne : « Jésus-Christ que les deux Testaments regardent [etc.] », éd. Ph. Sellier, fr. 7. C’est nous qui soulignons.
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[65]
Une figure biblique peut être identifiée à la figure en taille douce qui la représente, à une image – ou une icône –, à un crayon (La Ceppède dit du Christ qu’ « Il remplit le crayon des antiques figures », Théorèmes, I, II, 25), à un dessin : Claudel voit dans l’Ancien Testament « un dessin qui est un dessein » (texte cité par H. de Lubac, Exégèse médiévale, seconde partie, chap. VII, p. 84). Sur les mots type, ombre, figure, on peut consulter le livre d’un réformé, Jacob Girard des Bergeries : Moyse dévoilé, ou l’explication des types et figures du Vieux Testament (Genève, 1670). Jacob Girard utilise fréquemment le mot crayon. D’après lui, l’auteur de tous les « crayons », de toutes les figures de la Bible, c’est Dieu, un Dieu par qui toutes les promesses, les cérémonies et les grands personnages de l’Ancien Testament « avaient été comme autant de lignes qui aboutissaient à [un] centre » (le Messie), un Dieu peintre, un Dieu « excellent architecte » qui « avant que d’édifier ou de composer son Église [...] en a voulu premièrement faire voir le dessein en la structure du tabernacle, et en toute la police légale de l’Église judaïque » (voir p. 10 et p. 24-26). L’emploi par Jacob Girard du mot « dessein » avec son double sens ancien annonce déjà la formule de Claudel. Catholiques et réformés ont une même vision de l’Ancien Testament.
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[66]
Édition de Port-Royal, p. 93-94 (fac-similé, p. 207-208) ; éd. Ph. Sellier, fr. 476. C’est nous qui soulignons.
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[67]
Ibid., p. 147.
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[68]
Ap 5, 6 : « Un agneau se dressait » ; 5, 7 : « Il s’avança pour recevoir le livre » ; 14, 1 : « L’agneau était debout sur la montagne de Sion ».
-
[69]
« Agnus qui occisus est ab origine mundi » (Ap 13, 8). Pascal note : « Agnus occisus est ab origine rnundi » (éd. Ph. Sellier, fin du fr. 290).
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[70]
Nous remercions particulièrement Lucienne Bozzetto, Bernard Chédozeau, Alain-Gilles Magdinier, le P. Bernard Montagnes, le P. Dominique Petit, Thérèse Roqueplo et Philippe Sellier.
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[71]
Les documents actuellement connus sur la reconstruction de l’église des prêcheurs sont rares : des actes notariés de 1691 reproduits par Jean Boyer (op. cit., p. 172-174), et un billet de loterie, de 1710, « en faveur de la bâtisse de l’église des RR. PP. Prêcheurs d’Aix ». Il existe trois exemplaires de ces billets de cinquante sols, un aux Archives de l’Ordre à Rome (Sainte-Sabine), deux aux Archives du couvent de Saint-Maximin (à Toulouse). Cette loterie de 200 000 livres avait été autorisée par le roi (voir, au musée Arbaud, 48 B2, une lettre de Desmaretz, contrôleur général, à Le Bret, de Versailles, 12 février 1710). C’est le P. Bernard Montagnes qui nous a signalé le billet de loterie, et la lettre de Desmaretz.
1Il est de vieux décors de théâtre oubliés, relégués dans un coin, à demi cachés derrière de nouveaux décors, eux-mêmes abandonnés. Si un trompe-l’œil peut ressembler à un décor de théâtre, il faut avouer que celui de l’église des prêcheurs d’Aix, en partie dissimulé derrière un maître-autel lui-même désaffecté, a connu pendant longtemps le sort de ces décors misérables (fig. 1 et 2, p. 324-325). Si maintenant cette œuvre paraît renaître, elle n’est visible qu’à certaines heures – par matin clair, ou pendant les offices. Le plus souvent, on ne l’entrevoit qu’avec peine, tout au fond du chœur. Et son histoire elle-même est pleine d’ombre.
APERÇU HISTORIQUE
2Nous savons que les prêcheurs d’Aix entreprirent en 1691 de moderniser entièrement leur vieille église [1]. La tâche fut confiée aux architectes Jean et Laurent Vallon qui remplacèrent les voûtes sur croisées d’ogives par des voûtes d’arêtes, construisirent une coupole sur la croisée du transept, et voûtèrent l’abside en cul-de-four. Cette église resta entre les mains des dominicains jusqu’à la Révolution qui mit fin à leur présence. Elle devint alors l’église paroissiale de la Madeleine, et fut même, durant un temps, temple de la raison, avant d’être rendue au culte catholique en 1802.
3Pour ce qui est du trompe-l’œil, on s’accorde à penser qu’il date du début du XVIIIe siècle. Il est forcément postérieur à la reconstruction de l’église, qui eut lieu entre 1691 et 1703. Il n’a pu être exécuté qu’après l’achèvement du gros œuvre, mais, comme il s’inscrit dans un projet global d’aménagement des lieux, on peut supposer qu’il a été imaginé dès la fin du XVIIe siècle. Cet aménagement est intéressant : les initiatives des prêcheurs sur le plan architectural s’accompagnent de la volonté d’appliquer les directives du Concile de Trente. S’ils font bâtir une coupole (ou un dôme), ce n’est pas seulement pour suivre la mode des églises classiques, c’est pour loger sous la coupole, ou du moins près d’elle, donc plus près des fidèles, le maître-autel et le tabernacle. Car, avant 1691, le maître-autel était contre le mur de l’abside, tout au bout de l’église. Au contraire, pendant tout le XVIIIe siècle, et même jusqu’en 1845, il resta dressé, soit à la croisée du transept, soit près de cette croisée. Du moment qu’il n’était plus contre le mur de l’abside, ce mur était disponible pour une peinture murale. Les religieux choisirent d’y faire peindre un trompe-l’œil [2], dont la vue n’était pas interdite aux fidèles – le chœur n’étant pas un chœur clos [3] –, mais qui devait parler surtout aux frères prêcheurs.
4Cette peinture s’inscrit dans une série de trompe-l’œil religieux – une dizaine – exécutés à Aix, ou aux environs, à la même époque (en 1698, les jésuites en ont fait peindre un dans leur église du Collège de Bourbon ; sur le mur d’abside de Saint-Jean de Malte, un autre représentait le baptême du Christ) ; elle relève aussi d’un mouvement artistique plus étendu, puisque certains hôtels particuliers d’Aix s’enorgueillissaient de trompe-l’œil – comme celui, toujours visible, que Jean Daret a peint, en 1654, à l’hôtel de Châteaurenard. Pour leur part, les trompe-l’œil religieux directement liés à un autel étaient souvent appelés à disparaître, à s’effacer devant un retable. Lié dès l’origine à l’espace du chœur, celui des prêcheurs a subsisté presque intact, ce qui fait de lui un témoin précieux [4].
5Il a survécu au départ des dominicains, en 1790 ; il a survécu à la Révolution ; il paraît n’avoir jamais été badigeonné, mais il semble aussi n’avoir guère retenu l’attention. En 1845, eut lieu, selon l’abbé Constantin, la translation du maître-autel « depuis le dôme jusqu’au fond de l’abside » [5]. En installant alors l’autel assez près du trompe-l’œil, on a masqué en partie la peinture, puis, à une date inconnue, on a monté une estrade en bois derrière cet autel ; pour soutenir le plancher, on a fiché dans le mur quatre grosses poutres, d’où, maintenant, une fois le plancher enlevé, quatre plaies béantes. Finalement, il faut s’estimer heureux que ce trompe-l’œil ait triomphé, sans en avoir excessivement souffert, de l’humidité des murs – qui a cependant provoqué d’énormes taches blanches – et de la négligence des hommes.
6Sur cette œuvre, nous ne possédons pas le moindre document ancien. Elle n’est signalée nulle part, sauf erreur, avant 1950 ; on n’a aucun « prix fait » ; elle n’est jamais évoquée dans les écrits des historiens d’Aix au XVIIIe et au XIXe siècle ; Fauris de Saint-Vincent [6] et Roux-Alphéran nous parlent d’œuvres d’art conservées dans l’église des prêcheurs, mais ils ne mentionnent pas le trompe-l’œil : ou bien ils ne l’ont pas vu, ou bien ils l’ont jugé négligeable. Le P. Forrat lui-même [7], dominicain qui vécut un temps au couvent d’Aix au XVIIIe siècle, décrit ou signale quelques maîtres-autels successifs de l’église ; il évoque certains tableaux, et ne dit mot du trompe-l’œil, alors que c’est la peinture la plus grande de toutes.
7Enfin vint Jean Pourrière. Dans son livre sur Aix, publié en 1950, il signale, dans l’église de la Madeleine, « une grande fresque représentant une colonnade et destinée à prolonger la perspective » ; il note l’existence « d’étroits panneaux à fresques, lesquelles continuent celle du fond » [8]. D’après Jean-Paul Coste, « une peinture en trompe-l’œil prolonge la perspective » [9]. Selon Jean Boyer, « une perspective peinte en trompe-l’œil donne l’illusion d’une continuation de l’édifice au-delà de l’arcade devant laquelle se dresse le maître-autel » [10]. La description de beaucoup la plus précise, pour ce qui est de l’architecture peinte – ou de la « perspective feinte » –, est celle de Jean-Jacques Gloton [11]. Toutefois cette description ne dit rien de la signification religieuse de l’œuvre, parce que, dans l’ombre matérielle qui la recouvre, et dans l’ombre (au sens figuré) où tant de silence l’ensevelit, la peinture ne livre pas ses secrets [12].
8Depuis une quinzaine d’années, le trompe-l’œil a fait parler davantage de lui : l’installation électrique de l’église ayant été mise aux normes vers 1985, quelques projecteurs ont enfin permis de le distinguer. Ceux qui l’ont vu ont vécu alors, chacun à part soi, une curieuse expérience. La peinture s’est révélée par pans successifs, comme si elle avait voulu laisser le temps d’assimiler ce qu’elle disait avant de continuer à se dévoiler : à l’un elle a montré d’abord l’arche d’alliance, à l’autre Moïse, à un troisième le rideau ; elle s’est découverte peu à peu, comme le fait une personne. Et la décision prise de la restaurer a permis de l’examiner de près, et de mieux la comprendre [13].
L’ARCHITECTURE PEINTE ET SON MOBILIER
9Cette œuvre comporte une partie centrale, et deux parties latérales, séparées de la première par des pilastres du chœur (fig. 3, p. 327). C’est une peinture murale de grandes dimensions (52 m2 environ), exécutée sur enduit sec, a tempera, avec de possibles rehauts à l’huile. L’équipe chargée de la restauration a détecté dans ce trompe-l’œil l’usage du compas, des dessins préparatoires à la sanguine, des repeints [14]...
10On discerne d’abord dans la peinture une superbe architecture. Cette architecture peinte – désignée parfois par le mot perspective – est, selon le terme technique que les spécialistes emploient de préférence, une « quadrature ». Quadrature réussie, car elle donne une belle impression de profondeur, et l’église des prêcheurs, déjà grande (environ 62 m de longueur), paraît y gagner un volume supplémentaire. La mise en œuvre des lois de la perspective fait apparaître comme une église au fond de l’église, avec sa nef, son chœur, son abside en cul-de-four, ses niches, ses fenêtres, ses colonnes, ses chapiteaux corinthiens, son entablement, ses bas-côtés qu’on devine derrière les colonnes : des formes, en somme, qui se correspondent entre l’édifice de pierre et l’édifice en peinture. L’église en trompe-l’œil a les mêmes voûtes d’arêtes que l’église de pierre. Le plus surprenant sans doute est que l’église en trompe-l’œil a, comme l’église de pierre, sa coupole, dont on voit bien la naissance (J.-J. Gloton fut le premier à noter sa présence). On voit les pendentifs de la coupole, ainsi que l’interruption de l’entablement au-dessus du transept. Et que recouvrent les deux coupoles ? le dôme de pierre est à peu près au-dessus du maître-autel (au XVIIIe siècle du moins) et le dôme en peinture est à peu près au-dessus de l’arche d’alliance. Malgré ces similitudes, il ne s’agit pas d’une architecture « en abyme », car l’édifice en trompe-l’œil n’enferme pas en lui un troisième édifice, qui en enfermerait un quatrième tout semblable, etc. En fait les deux édifices (de pierre et en peinture) sont à la fois semblables et complémentaires. La ressemblance entre les deux impose la certitude d’une continuité. Cependant il y a quelques différences notables : la nef en trompe-l’œil présente des colonnes cylindriques, tandis que l’édifice de pierre présente des piliers quadrangulaires. La voûte en cul-de-four et la coupole, dans le trompe-l’œil, ont des fenêtres, tandis que leurs homologues de pierre n’en ont pas. Les pendentifs de la coupole de pierre ne portent ni peintures ni sculptures, ceux de la coupole peinte sont décorés d’un dessin où l’on pourrait deviner des anges [15]...
11Si nous regardons l’ensemble de la quadrature, avec les panneaux latéraux de l’unique trompe-l’œil, nous voyons encore d’élégantes colonnes, et, derrière elles, des « bas-côtés » parfaitement visibles, avec leur pavement de dalles noires et blanches disposées en damier [16], et des bâtiments à trois niveaux d’arcatures aveugles (inspirés peut-être par les trois étages de chambres élevés en annexe auprès du temple de Salomon) [17]. Les traductions anciennes du premier livre des Rois (qui était alors le troisième) parlent effectivement de « galeries » (traduction de Louvain), ou de « bas-côtés » (Bible dite de Port-Royal ou de Sacy), auprès du temple [18]. De même les fenêtres avec leurs grillages (ou leurs plombs) en oblique évoquent peut-être ces fenêtres du temple que la Vulgate dit obliques et que certaines traductions disent « de travers » [19]. Tout cela est décoratif, mais il importe surtout de remarquer un voile de couleur bleue, peut-être relevé, mais plutôt déchiré, et qui ne cache plus ce qui fut invisible derrière lui. Ce voile n’est pas une simple draperie, mais le rideau qui, dans le temple de Salomon, séparait ce qu’on appelait le Saint, de ce que l’on appelait le Saint des Saints, rideau dont les évangiles synoptiques disent qu’il se fendit de haut en bas au moment de la mort du Christ. Ce que l’on voit, au milieu de la quadrature, est effectivement un Saint des Saints identifiable, quoique évidemment « revisité » par les prêcheurs. Au centre se trouve l’arche d’alliance [20], avec ses anneaux (mais sans les barres qui servaient à la porter), avec son couvercle (le propitiatoire), et, sur le propitiatoire, les deux chérubins qui le recouvrent de leurs grandes ailes [21]. Par-derrière, cinq niches abritent cinq personnages (fig. 6, p. 330). On voit au milieu Moïse, avec les rayons qui entourent son visage quand il descend de la montagne. Il a passé sur le Sinaï quarante jours et quarante nuits à s’entretenir avec le Seigneur, qui lui a donné pour la seconde fois les Tables de la Loi [22]. Moïse nous présente ces Tables. À sa gauche, il a son frère Aaron, mitre sur la tête, pectoral sur la poitrine, encensoir à la main. À sa droite, se tient quelqu’un qui paraît offrir deux pains ronds : ce ne peut être que Melchisédech [23]. Avec le roi de Salem offrant à Abraham le pain, c’est le thème eucharistique qui se manifeste dans le trompe-l’œil, comme il est présent, plus haut dans le chœur, sous la forme du ciboire et du calice, des épis de blé et des grappes de raisin. Les deux autres personnages – à peine esquissés – sont impossibles à identifier. À la voûte de la nef peinte est suspendu un lustre (fig. 3). Ce candélabre n’a pas sept branches, mais six branches et une suspension situées dans le même plan, et chaque branche a des efflorescences (à trois niveaux par branche) qui obligent à penser au chandelier à sept branches du temple, la ménorah [24]. La ménorah n’avait en réalité, elle aussi, que six branches, plus une tige. Ce chandelier illustre les libertés que prennent les prêcheurs : le chandelier à sept branches se trouvait dans le Saint, et non pas dans le Saint des Saints ; il était posé, et non pas suspendu. La recomposition à laquelle se livrent les religieux est hardie : le temple qui abritait l’arche n’avait pas de voûtes d’arêtes, ni ce dallage au sol, ni ces niches. Et le rideau n’était pas uniquement de couleur bleue [25]. Autre indice de cet arrangement très libre : sur le piédestal de l’arche, le peintre a dessiné un bâton et un serpent (l’œil du serpent est tout à fait à gauche) : c’est la représentation d’un signe réversible (transformation du bâton en serpent, puis, de nouveau, du serpent en bâton), signe donné à Moïse par le « Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac, Dieu de Jacob » [26]. Nulle part, dans l’Ancien Testament, il n’est dit que le piédestal de l’arche portait un tel dessin. Les dominicains n’ont pas suivi les textes à la lettre. Ils ont utilisé simultanément, sans aucun souci de reconstitution historique rigoureuse, deux livres de la Bible – l’Exode et le premier livre des Rois –, et, de plus, ils ont brodé sur ces livres.
12Pour la leçon qu’ils voulaient donner à travers cette architecture peinte et son mobilier, il est clair que leur but était de montrer ce qui relie Moïse et Jésus, l’arche – où était conservée la manne [27] – et le tabernacle de l’autel, etc. Pour l’énoncer autrement, en empruntant une image à saint Paul, la peinture en trompe-l’œil exprime bien sur quel arbre a été greffé le peuple des chrétiens [28]. Mais les prêcheurs ont aussi voulu suggérer le changement – ou l’accomplissement – qui interviennent avec le Nouveau Testament [29]. Chacun des « spectateurs », selon sa sensibilité, selon les jours et selon l’heure, ou même selon sa place dans l’église, pouvait privilégier l’impression de continuité ou l’impression de mutation. Mais chacun – à condition d’avoir des yeux excellents – devait être sensible à ce jeu de miroirs, ou plus exactement ce jeu de répliques, qui fait voir les mêmes dalles blanches et noires dans le chœur de pierre et dans le trompe-l’œil, et deux chérubins sur le tabernacle de l’autel comme sur le propitiatoire de l’arche [30].
13La peinture en trompe-l’œil ne se borne pas à ces jeux de miroirs ; elle présente toutes sortes d’images : des figures, des emblèmes et des icônes.
Les figures
14Selon une exégèse qui a longtemps été dominante, et qui était très courante au XVIIe siècle, l’Ancien Testament présente des rites, des objets, des événements, des personnages, qui seraient des images préfigurant les réalités à venir. La conviction que l’Ancien Testament préfigure le nouveau s’appuie sur mainte page de l’Évangile, en particulier certaines paroles de Jésus aux disciples d’Emmaüs [31], sur les épîtres de saint Paul ( « Toutes ces choses qui leur arrivaient étaient des figures » ) [32], et, bien entendu, sur les écrits des Pères et des théologiens. Comme objets, le chandelier à sept branches, l’arche d’alliance, le propitiatoire surtout sont des figures du Christ : « C’est lui que Dieu a placé propitiatoire », écrit littéralement saint Paul [33] ; on peut citer comme personnages Isaac, Joseph, Moïse, David, Jonas... et, comme événement, le passage de la mer Rouge qui figure la pâque chrétienne et le baptême. Selon les chrétiens, toutes les figures que présenterait l’Ancien Testament sont accomplies par le Nouveau. Les figures sont d’ailleurs plus ou moins parlantes : Pascal reconnaissait que, s’il y en a de « claires et démonstratives [...] il y en a d’autres qui semblent un peu tirées par les cheveux » [34]. Les dominicains d’Aix avaient, en matière de figures, beaucoup de garants, dont Thomas d’Aquin, qui fut lui-même frère prêcheur, et l’un des plus célèbres [35]. Dans l’office du Saint-Sacrement, saint Thomas célèbre le passage de la figure à la réalité qu’elle annonçait : « Vetustatem novitas, / Umbram fugat veritas, / Noctem lux eliminat » [36]. Ce qui est nouveau dissipe ce qui est ancien, la vérité dissipe l’ombre, la lumière élimine la nuit. Et voici, inspirés de ce tercet, quelques vers du poète aixois Jean de La Ceppède, qui vécut à deux pas de l’église des prêcheurs. Il commente la parole du Christ en croix (« tout est accompli »), en écrivant :
Son œuvre est achevé : son Père est satisfait, [...]
Il nous a déchiffré tous les Tableaux secrets,
La vérité succède à l’ombre des Figures :
La vieille Loi fait place à ses nouveaux Décrets. [37]
15Les « tableaux secrets », ce sont les figures. Et pour traduire « Umbram fugat veritas », il n’y a pas mieux que l’alexandrin : « La vérité succède à l’ombre des Figures ».
16Dans la peinture en trompe-l’œil des prêcheurs, Moïse, Aaron, et Melchisédech peuvent être reconnus comme des figures du Christ, les Tables de la Loi comme une figure des préceptes évangéliques, etc. Mais le plus remarquable, c’est que le temple de Salomon lui-même est donné comme la figure du sanctuaire de pierre des chrétiens, et que, par extension – si l’on passe d’église à Église –, l’Église d’Israël est donnée comme figure de l’Église du Christ [38]. Ce ne sont pas seulement des éléments du trompe-l’œil qui sont des figures, c’est tout l’ensemble, et par conséquent, semble-t-il, la totalité de l’Ancien Testament, comme si « l’Ancien Testament [n’était] que figuratif » [39]. On doit se demander s’il est possible de trouver ailleurs une représentation aussi radicale. Car on voit dans les sanctuaires des statues de Moïse, et autres prophètes, on y voit peints beaucoup d’événements rapportés par la Bible ; on voit à Germigny-les-Prés une arche d’alliance en mosaïque, et, dans une chapelle de l’église Saint-Roch à Paris, un tabernacle en forme d’arche d’alliance, accompagné de deux chandeliers à sept branches, mais où voit-on une représentation comme celle des prêcheurs d’Aix ? Il semble qu’ici la théologie des figures atteint son sommet, et sans doute ses limites.
17On peut discuter la pertinence des figures en général, mais il faut avouer que l’utilisation d’une peinture en trompe-l’œil pour représenter les « figures » de l’Ancien Testament devait avoir un sens particulier pour les prêcheurs. On voit les figures, on peut toucher les réalités ; on voit la peinture, on peut toucher la pierre. Tout se passe comme si les prêcheurs, en choisissant une peinture en trompe-l’œil pour l’Ancien Testament, voulaient signifier que, pour eux, la vérité de l’Ancien Testament est subordonnée à celle du Nouveau. Elle est antérieure, elle est nécessaire, mais celle du Nouveau Testament l’éclipserait, comme la réalité éclipse l’ombre. Autrement dit, d’un côté, le trompe-l’œil des prêcheurs valorise l’Ancien Testament et l’ancienne alliance, mais, d’un autre côté, il risque de déprécier ce qui est présenté en peinture (les figures) par rapport à ce que l’on peut toucher et dont on peut éprouver la solidité : la pierre. À sa manière, la peinture en trompe-l’œil traduirait l’enseignement de l’Épître aux Hébreux. Selon l’auteur de l’Épître, quand Dieu, dans Jérémie [40], parle d’établir une alliance nouvelle, « en disant : alliance nouvelle, il rend vieille la première. Or ce qui est vieilli et vétuste est près de disparaître » [41].
18Cependant, les « figures », dans le trompe-l’œil, ont aussi une existence propre. Moïse et Aaron n’y sont pas seulement « figures » du Christ, ils sont encore présents en tant qu’ils sont saint Moïse, saint Aaron... Dans l’Épître aux Hébreux, les grands personnages de l’Ancien Testament sont présentés comme des hommes qui ont tout accompli par la foi, et la traduction de la Bible de Port-Royal pour pantes outoi (tous ces gens-là) n’est pas, comme dans d’autres traductions, « tous ces patriarches » ; c’est : « tous ces saints ». Les prêcheurs d’Aix ont donc placé ces saints dans des niches, comme il est normal. Et les personnages de l’Ancien Testament représentent ainsi visiblement, dans l’église des prêcheurs, une partie invisible du peuple de Dieu. Ils participent aux célébrations, et même, passés de l’autre côté de la vie, ils occupent une place privilégiée, de l’autre côté de l’autel. On pourrait ajouter qu’il est bien normal qu’ils prennent part à l’Eucharistie, eux qui peut-être l’avaient entrevue. Cette conjecture audacieuse est suggérée par une lettre de Pascal à Charlotte de Roannez ; Pascal parle des espèces de l’Eucharistie, le pain et le vin consacrés, en quoi il voit « le plus étrange et le plus obscur » de tous les secrets où Dieu se cache, et il écrit : « Je crois qu’Isaïe le voyait en cet état, lorsqu’il dit en esprit de prophétie : “véritablement tu es un Dieu caché” » [42]. Ainsi, dans le trompe-l’œil des prêcheurs, la présence de Moïse se justifie doublement : il est une figure du Christ, il est aussi quelqu’un qui, par la foi, a vu le Christ.
19On peut parfois hésiter sur le statut de telle ou telle image du trompe-l’œil ; un détail interprété d’abord comme évoquant simplement un passage de la Bible, pourrait avoir plutôt valeur de figure, ou encore avoir double sens. Le rideau n’est pas seulement celui qui cachait le Saint des Saints, il peut signifier symboliquement le voile qui recouvrait les mystères, voile levé par le Christ [43]. Le bâton et le serpent, d’après un sermon de François de Sales [44], et probablement selon d’autres interprètes, préfigureraient l’Eucharistie. Figure quelque peu tirée par les cheveux, pour reprendre l’expression de Blaise Pascal.
20Le bestiaire du trompe-l’œil ne se limite pas à un serpent, et les animaux qui y sont peints ne sont pas forcément des figures, ils peuvent être des emblèmes ou même des icônes.
Les emblèmes
21Il y a dans le trompe-l’œil deux chiens (fig. 4, détail de droite) qui ne sont apparus qu’au début de la restauration, lorsque l’on a enlevé l’estrade qui se trouvait derrière le grand autel. Les deux chiens se font face, juchés symétriquement sur une balustrade ouverte [45]. Ils portent l’un et l’autre dans leur gueule une torche enflammée. Comme la tradition dit de saint Dominique que sa mère, enceinte de lui, vit en rêve un chien, portant une torche enflammée, on fit du chien à la torche l’emblème de Dominique, mais aussi des dominicains, devenus, par jeu de mots, Domini canes, les chiens du Seigneur.
22Les deux chiens en stuc, allongés sur la balustrade, sont donc l’emblème des frères prêcheurs ; leur présence rappelait chaque jour aux religieux, qui chantaient l’office dans le chœur, l’essentiel de leur mission : ils doivent annoncer la Parole, la Parole gravée sur les Tables de la Loi que porte Moïse, mais aussi et surtout la Parole du Christ, qui n’abolit pas la première, mais qui l’accomplit, une Parole dont le feu doit se répandre sur toute la terre. Placés à la limite entre les deux parties de l’édifice (en pierre et en peinture), à la charnière entre Ancien et Nouveau Testaments, les « Domini canes » (comprenons les Dominicains) doivent toujours souligner la dette du Nouveau Testament à l’égard de l’Ancien. Ils doivent garder ce passage toujours ouvert (à la différence d’autres chiens, comme on en voit tous les jours, hostiles, aboyant bruyamment, chargés d’interdire l’accès à une propriété). Ces deux chiens en peinture ne sont pas les seuls chiens peints de l’église des prêcheurs [46]. Au total, ils sont quatre actuellement, et à l’avenir ils seront peut-être six [47].
Les icônes
23Le trompe-l’œil comprend encore d’autres représentants du monde animal, mais vraiment très difficiles à repérer. Nous pouvons désormais – grâce aux dessins d’Alain-Gilles Magdinier [48] – situer dans le compartiment gauche de la peinture trois oiseaux, plus exactement trois colombes, très haut placées, et se confondant, par leur couleur, avec le fond sur lequel elles devraient se détacher (fig. 4, détail de gauche). Ces colombes, par leurs attitudes, peuvent faire songer aux pigeons qui hantent parfois l’église de la Madeleine, tantôt posés sur un chapiteau, tantôt battant des ailes dans la nef, tantôt, une brindille au bec, cherchant à bâtir un nid. Mais les trois colombes peintes n’essaient pas d’abuser nos sens et de se faire prendre pour de vraies colombes. Elles sont plutôt une sorte d’icône de la Trinité, ce qui ne serait pas un cas unique. Bien que Louis Réau n’ait vu que le Saint-Esprit qui soit représenté comme une colombe, et par conséquent doté d’ailes, la présence d’icônes de la Trinité sous la forme de trois colombes est attestée au XVIIIe siècle à Saint-Pétersbourg. Les trois colombes apparaissent à Aix dans un groupement vertical. Or les représentations de la Trinité adoptent un groupement soit en triangle, soit horizontal (par exemple dans la Trinité de Roublev ou dans « Le couronnement de la Vierge » d’Enguerrand Quarton), soit vertical, comme dans les représentations du Père tenant la Croix qui porte le Fils, avec la Colombe du Saint-Esprit entre eux. Ici, le Père, immobile, d’en haut, contemplerait – ce serait Dieu spectateur ; l’Esprit serait en plein vol comme au second verset de la Genèse, ou lors du baptême de Jésus [49] ; et le Fils, comme la colombe de Genèse 8, 11, porterait le rameau d’olivier. On peut voir aussi dans ces trois colombes une icône de l’Incarnation, à cause du mouvement descendant de la troisième ; on pourrait même y voir l’action de la Trinité tout entière pour sauver l’homme (ce que suggère le rameau d’olivier, souvenir de la fin du Déluge). Tous les grands mystères de la foi chrétienne (Trinité, Incarnation, Rédemption) seraient ainsi signifiés. Le groupement vertical est plein de sens : le croyant est invité à contempler les réalités d’en haut à travers l’étroite percée que délimitent, au sommet du trompe-l’œil, les glands du rideau et les cordons qui les portent. Une certaine lumière apparaît tout là-haut, mais elle s’affaiblit à mesure qu’on descend. Elle diminue à tel point que la colombe du bas est presque impossible à discerner. L’Incarnation paraît s’accompagner d’un enfouissement, d’un effacement, dans l’obscurité de ce bas monde.
24Le croyant paraît également invité à chercher l’invisible au-delà du visible. L’invisible : le Dieu caché.
Le Dieu caché
25Même si les années ont pu modifier un peu le trompe-l’œil, et le noircir, il paraît évident aux spécialistes que certains éléments ont été d’emblée mis en pleine lumière, tandis que d’autres ont volontairement été laissés dans une ombre relative. Bien entendu, le jour, qui vient du côté gauche, éclaire davantage Aaron que Melchisédech ; bien entendu, on pourrait supposer qu’une restauration ancienne, restée inachevée, a laissé certains détails à demi effacés. Mais la première étape de la restauration du XXIe siècle donne à penser que, dès l’origine, les éléments divers du trompe-l’œil ont reçu un traitement différent. Melchisédech a été délibérément laissé dans le flou [50]. Le serpent et le bâton sont à peu près invisibles sans jumelles. Les trois colombes, presque impossibles à localiser à l’œil nu, défient les photographes. Non seulement elles se perdent dans le fond de la peinture, mais elles sont loin des yeux, et la colombe intermédiaire est même hachurée, comme si on avait voulu la faire à demi disparaître. Il semblerait que ceux qui ont pensé le trompe-l’œil désiraient exprimer à la fois la richesse de la révélation et la présence mystérieuse du Dieu caché [51]. Certes, le rideau du temple étant déchiré, le Saint des Saints est accessible à la vue : lorsque ce voile se fend, « tout est dévoilé », « l’accès du Saint des Saints n’est or’ plus défendu », comme l’écrivait La Ceppède [52]. Il semble pourtant que le trompe-l’œil nous livre un message plus nuancé : certains mystères sont révélés, mais le Mystère demeure. L’Apocalypse comme dévoilement est encore à venir et les colombes sont peu visibles comme pour dire, d’une façon imagée, que Dieu est présent, mais qu’il faut toujours le chercher, au-delà de tout ce que l’on croit voir (ou savoir) de lui. Nous ne distinguons pas aisément les trois colombes dans le trompe-l’œil de la Madeleine, nous les cherchons, on nous aide à les situer – seuls, nous n’y parviendrions pas –, nous les apercevons enfin, et puis il suffit d’un moment d’inattention pour que nous les perdions à nouveau de vue, et la quête peut recommencer...
26Certes, dans l’église des prêcheurs, le rideau a été relevé – ou déchiré – une fois pour toutes, il ne s’abaissera plus jamais (non qu’il n’y ait plus de représentation, mais l’action théâtrale a quitté le fond de la scène pour se dérouler en avant, dans un espace toujours découvert, où la commémoration du sacrifice de la croix remplace les sacrifices que le grand prêtre offrait sous l’ancienne loi). Tout n’est pas pour autant parfaitement visible et intelligible. Et c’est sans doute pourquoi les prêcheurs choisissent de placer les trois mystérieuses colombes à un endroit bien précis : juste à côté du rideau qui ne cache plus rien. Ainsi le dévoilement du mystère et la persistance du mystère nous sont donnés en même temps [53].
AUTOUR DU TROMPE-L’œIL DES PRÊCHEURS : RÊVERIES ET RAPPROCHEMENTS
27On aimerait identifier ceux qui imaginèrent et ceux qui exécutèrent ce riche trompe-l’œil.
28L’hypothèse de Jean Boyer [54], qui proposait en 1972 d’en attribuer la réalisation au peintre Jean-Claude Cundier (1650-1718), reste vraisemblable. Après l’examen détaillé que permit la première étape de restauration de la peinture, nous préciserions aujourd’hui : à Jean-Claude Cundier et à son atelier.
29Il n’est pas indifférent que le père et le grand-père maternel de Jean-Claude Cundier – Louis Cundier et Jacques Maretz – aient été tous deux géomètres et graveurs. Ils se succédèrent comme professeurs de mathématiques de la ville d’Aix, et tous deux gravèrent des plans géométriques de cette même ville [55]. Louis eut encore une activité d’architecte, et fut même l’un des architectes aixois les plus en vue des années 1670 [56]. Jean-Claude, qui fut lui aussi graveur, avait reçu une formation d’orfèvre, puis de peintre dans les ateliers des Fauchier, père et fils. En 1675, on le trouve à Rome, élève à l’Académie de Saint-Luc en compagnie d’un des fils de Jean Daret.
30Outre de nombreux portraits, on sait qu’il a peint, en 1697, la perspective de la chapelle Notre-Dame-d’Espérance dans la cathédrale Saint-Sauveur, et, en 1698, dans l’église des jésuites d’Aix, sur le mur du chœur, une autre perspective d’architecture fort admirée pour ses colonnes [57], et malheureusement disparue. Jean-Claude Cundier a gravé deux des arcs de triomphe « dressés en la ville d’Aix à l’heureuse arrivée de Mgr le Duc de Bourgogne et de Mgr le Duc de Berry » en 1701, et certains détails de ces gravures présentent quelques affinités avec le décor des prêcheurs. Mais, si Jean-Claude Cundier fut, peut-être, le dessinateur de la quadrature, s’il l’a exécutée (avec son atelier), il ne fut certainement pas l’auteur du programme iconographique.
31Identifier ceux qui conçurent l’œuvre est encore plus difficile. Parmi les prêcheurs originaires de Provence qui vivaient à la fin du XVIIe siècle, le plus connu est probablement le P. Piny. Cet adepte du « pur amour » était également théologien, commentateur de Thomas d’Aquin. À la fin du XVIIe siècle, il n’était plus à Aix, ni à Marseille, où il avait enseigné autrefois. Certes on aurait pu le consulter, mais cette hypothèse est tout à fait gratuite. Et les théologiens, dominicains ou non, morts ou vivants, ne manquaient pas.
32Tout ce que l’on est en droit d’affirmer, c’est que le trompe-l’œil repose essentiellement sur l’Épître aux Hébreux. Entre tous les textes du Nouveau Testament, c’est cette épître qui réunit l’ensemble des thèmes illustrés par le trompe-l’œil : comparaison entre Moïse et Jésus, entre Aaron et Melchisédech [58], entre l’ancienne et la nouvelle alliance, entre la figure et la réalité [59] ; s’y ajoutent les thèmes du sacerdoce du Christ et de la Parole de Dieu ; la description précise du Saint et du Saint des Saints s’y rencontre aussi. On y lit même que Moïse a préféré l’humiliation du Christ aux trésors de l’Égypte. Moïse aurait donc bien vu le Christ [60]. Si notre peinture en trompe-l’œil est inspirée par l’Épître aux Hébreux, elle apporte un démenti à l’affirmation (déjà ancienne) de Louis Réau, disant que les épîtres du Nouveau Testament, faites de polémiques ou d’exhortations, n’avaient pu inspirer les peintres. Le trompe-l’œil des prêcheurs serait ainsi exceptionnel.
33Dire que cette œuvre est « exceptionnelle » ne signifie pas qu’elle soit parfaite. L’effet de perspective est obtenu, les colonnades et le lustre retiennent l’attention, mais l’arche d’alliance et Moïse vus de près sont plutôt décevants [61]. L’intérêt de cette peinture est ailleurs. Il résulte de la tentative audacieuse de rendre visible la relation entre l’Ancien et le Nouveau Testaments, ou, si l’on préfère cette formulation, d’exprimer non pas abstraitement mais figurativement les figures. On peut rencontrer en d’autres lieux des tentatives du même ordre. Ainsi, au musée Pierre de Luxembourg de Villeneuve-lès-Avignon, on voit un tableau de Nicolas Mignard, peint en 1649, « Jésus au milieu des docteurs ». La scène se passe dans le temple de Jérusalem. Jésus et sa mère sont en pleine lumière, les docteurs plus ou moins. Mais la partie gauche du tableau, en haut, est tout à fait sombre. Il faut beaucoup d’attention pour distinguer un voile relevé, avec son liseré doré, l’arche d’alliance avec son double losange, les deux chérubins. Ce que l’artiste qui a exécuté la peinture des prêcheurs a voulu exprimer par l’usage même du trompe-l’œil, Mignard l’exprime par le contraste entre l’ombre et la lumière (c’est le « Noctem lux eliminat » de Thomas d’Aquin, c’est « l’ombre des figures » de La Ceppède). Ce qui appartient à la nouvelle alliance est clair, ce qui appartient à l’ancienne alliance est obscur. Par trop simplifiée dans le tableau de Mignard, la relation entre les deux Testaments s’y réduit à une opposition.
34Le trompe-l’œil des prêcheurs est beaucoup plus complexe. Tout en privilégiant la nouvelle alliance par rapport à l’ancienne, il souligne, il affirme (sans paroles), que c’est le même Dieu qui parle dans l’ensemble de la Bible et que les deux Testaments sont absolument indissociables [62]. Cette peinture n’est pas faite pour distraire ou séduire les yeux, mais pour instruire. S’appuyant sur des textes précis de l’Écriture et sur une exégèse très traditionnelle, elle donne une sérieuse leçon de théologie : il n’y a qu’une révélation, qu’un seul Dieu, et le Christ est au centre de tout. L’arche d’alliance et son propitiatoire sont, dans la tradition chrétienne, une figure du Christ souffrant pour le salut des hommes, et leur obtenant ce salut, le Christ étant leur propitiatoire [63] (ou leur propitiation). Alors, il est sûr qu’au centre du trompe-l’œil, sous la coupole peinte, se trouve le Christ (en figure). De même, au centre de la nef de pierre (au XVIIIe siècle) se trouvent l’autel et le tabernacle, donc encore une fois le Christ. Ainsi l’église des prêcheurs dit – à sa manière – la même chose que Blaise Pascal dans son projet d’Apologie : « Les deux Testaments regardent Jésus-Christ, l’ancien comme son attente, le nouveau comme son modèle ; tous deux comme leur centre » [64]. Notre trompe-l’œil est bel et bien un trompe-l’œil théologique et apologétique.
35Pour goûter pleinement le sens et la saveur du trompe-l’œil, on pourrait le commenter encore avec d’autres textes de Pascal, en particulier les pensées qui identifient figure biblique et peinture (comme La Ceppède identifie figure biblique et tableau, ou encore crayon [65]) : « La Synagogue ne périssait point, parce qu’elle était la figure de l’Église ; mais parce qu’elle n’était que la figure, elle est tombée dans la servitude. La figure a subsisté jusqu’à la vérité ; afin que l’Église fût toujours visible, ou dans la peinture qui la promettait, ou dans l’effet » [66]. Dans l’église des prêcheurs d’Aix, nous voyons « la chose figurante » : la Synagogue, avec tout ce qui, selon les Pensées de Pascal, dont nous reprenons les termes sans les prendre à notre compte, devait être rejeté, oublié, réprouvé : l’arche, le temple, la sacrificature d’Aaron [67], et, en même temps, nous voyons l’Église, dans une double présence : présence en figure dans la peinture, présence en effet dans le sanctuaire de pierre. Ces réflexions ne tendent pas à démontrer que les prêcheurs d’Aix ont trouvé leur inspiration dans les Pensées de Pascal (encore qu’ils aient pu les lire), mais à souligner une parenté, bien explicable, car les prêcheurs et Pascal puisaient aux mêmes sources.
36Hors du trompe-l’œil, mais juste au-dessus, dans un médaillon en stuc, l’agneau de l’Apocalypse, étendu sur le livre aux sept sceaux, sur un fond de couleur rouge vif, rouge sang, est encore une figure. Il est l’agneau immolé de la Pâque juive et, symboliquement, l’agneau immolé des chrétiens. Il n’est pas ici debout comme dans l’Apocalypse [68] ; il n’est pas debout comme dans le triptyque de L’Agneau mystique de Van Eyck, il est couché. Représenté en victime expiatoire, il est en relation avec le propitiatoire de l’arche comme avec le crucifix du maître-autel. Il est l’agneau « immolé dès la création du monde » ; on est tenté d’ajouter : « en agonie jusqu’à la fin du monde » [69]. Encore plus haut, dans un autre médaillon, on distingue le monogramme JHS. Le trompe-l’œil et ce qui le prolonge – agneau immolé, monogramme – répètent une leçon grave et savante, destinée en premier lieu aux dominicains eux-mêmes.
37Notre essai de déchiffrage a bénéficié de nombreux concours et d’utiles suggestions [70]. Malgré les recherches effectuées, tout n’a pas encore été dit sur la peinture murale de l’église des prêcheurs. L’absence de documents d’archives [71] sur l’œuvre présentée pourrait nous enfermer dans une impasse. En réalité cette disette ouvre tout grand le champ des hypothèses, incite à la recherche du sens. Elle met au défi de découvrir l’idée directrice de ceux qui pensèrent le trompe-l’œil, et invite à imaginer, ou même à prolonger, la méditation des dominicains inconnus qui, avant nous, la contemplèrent.
Notes
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[1]
Voir F. Roux-Alphéran, Les Rues d’Aix, 1846, t. I, p. 631-643 ; Jean Boyer, L’Architecture religieuse de l’époque classique à Aix-en-Provence, 1972, p. 169-181 ; Jean-Jacques Gloton, Renaissance et baroque à Aix-en-Provence, 1979, t. II, chap. IV, p. 340, et chap. V, p. 387-388.
-
[2]
D’après son manuscrit – ms 279 (RA 28) – conservé à la Bibliothèque Méjanes, le P. Forrat, dominicain, a vu en 1710 le maître-autel, avec le retable qu’il ne décrit pas ; puis, en 1760, il a vu la plupart des pièces du maître-autel au chapitre...
-
[3]
Voir le livre de Bernard Chédozeau, Chœur clos, chœur ouvert. De l’église médiévale à l’église tridentine (France, XVIIe-XVIIIe siècle), Paris, Cerf, 1998.
-
[4]
En 1995, un retable en trompe-l’œil a été mis au jour et restauré dans l’église de Puyricard (un des villages de la commune aixoise).
-
[5]
M. Constantin (abbé), Les Paroisses du diocèse d’Aix, Paroisses de l’ancien diocèse d’Aix, 1890, p. 135.
-
[6]
Voir, de Fauris de Saint-Vincent, son Mémoire sur les monuments, tableaux, statues, les plus remarquables de la ville d’Aix, fait au mois de janvier 1790 sur la demande de la municipalité et de l’administration du district, Bibl. Méjanes, ms 862 (1036). La peinture en trompe-l’œil des prêcheurs n’apparaît pas dans cet inventaire.
-
[7]
Voir la note 2.
-
[8]
Aix-en-Provence, 1950, p. 114.
-
[9]
Aix-en-Provence et le pays d’Aix, 2e éd., 1967, p. 86.
-
[10]
Op. cit., 1672, p. 177.
-
[11]
Op. cit., t. V, p. 387. Dès 1979, J.-J. Gloton souligne que cette œuvre « mérite tous les soins de conservation ».
-
[12]
Une petite enquête nous a révélé que quelques paroissiens ou visiteurs de l’église de la Madeleine ont toujours été intrigués ou fascinés par le trompe-l’œil. Mais ils étaient fort peu nombreux.
-
[13]
L’examen a été facilité par les échafaudages. Il a permis de comprendre, par exemple, comment on pouvait voir autrefois le trompe-l’œil que l’on peine à voir aujourd’hui : pour éclairer la peinture, les prêcheurs comptaient sur leurs luminaires. L’équipe chargée de la restauration a pu, en 2001, relever la présence, sur les pilastres qui séparent les trois compartiments de l’œuvre, d’éclaboussures de cire assez haut placées, et mettre au jour des anneaux, grâce auxquels on pouvait faire monter et descendre les candélabres. L’éclairage du trompe-l’œil avait donc été prévu par les dominicains et il a été utilisé.
-
[14]
Seule la première étape de la restauration a été effectuée ; la peinture a été nettoyée et fixée ; puis tout a été interrompu : on ne peut achever le travail avant d’être venu à bout de l’humidité des murs.
-
[15]
On distingue aussi des rosaces, dans les deux édifices, sur les arcs-doubleaux, avec ou sans caissons.
-
[16]
Le dessinateur de la figure 3, Alain-Gilles Magdinier (architecte), a relevé seulement les lignes et n’a donc pas distingué les dalles blanches et noires (voir fig. 5, p. 329).
-
[17]
Voir, pour les trois étages de chambres, I Rois 6, 4-6.
-
[18]
« Galeries » et « bas-côtés » traduisent latera (I Rois 6, 5).
-
[19]
Traduction de Louvain pour I Rois 6, 4.
-
[20]
Comme souvent dans les représentations de l’arche d’alliance, le panneau antérieur est orné d’un double losange (voir le dessin de l’arche dans la Bible de Louvain, édition de 1608, ou le tableau de Nicolas Mignard : « Jésus au milieu des docteurs »).
-
[21]
Cette représentation des chérubins est conforme à Ex 25, 20 et non pas à I Rois 6, 23-27. Selon le livre des Rois, chaque chérubin touche d’une aile l’aile du chérubin qui lui fait face, tandis que l’autre aile de chacun s’étend jusqu’au mur du temple.
-
[22]
Ex 34, 29-30.
-
[23]
Voir Gn 14, 18-20. Les gravures anciennes montrent souvent Melchisédech offrant deux ou trois pains ronds superposés, le pain supérieur étant le plus petit (quant au vin, il est dans une ou plusieurs amphores). On voit trois pains dans les Figures de la Bible de Gabriel Chappuys (Lyon, 1582), dans l’Histoire du Vieux et du Nouveau Testament, par le sieur de Royaumont (Lemaître de Sacy), 1670, dans les Icones historicæ veteris testamenti (Genève, 1681), dont le titre français est Figures historiques du Vieux Testament ; on en voit deux dans la première partie de l’Histoire sacrée en tableaux, ouvrage où Oronce de Brianville commente des figures gravées par Le Clerc (Sercy, 1671). Or le personnage peint dans le trompe-l’œil des prêcheurs offre deux pains ronds dont le plus petit est posé sur le plus grand.
-
[24]
Exode 25, 31-39.
-
[25]
Il est ordinairement dit de couleur hyacinthe (ou indigo), pourpre, et écarlate de cochenille. Cependant la Septante et la Vulgate le disent « de hyacinthe » seulement, dans un verset des Nombres, 4, 25. Edmond Fleg, dans son livre Moïse raconté par les sages (Albin Michel, 1997, p. 145), écrit que « le voile d’hyacinthe sépara le Saint du Saint des Saints ». Les prêcheurs d’Aix ont privilégié la couleur bleue, mais n’ont pas exclu la couleur rouge, comme on le verra plus loin, n. 45.
-
[26]
Voir Exode 4, 1-5.
-
[27]
Selon les textes, l’arche était vide ou renfermait les Tables de la Loi. Une tradition qu’a reprise l’Épître aux Hébreux 9, 4, ajoute aux Tables de la Loi l’urne contenant une mesure de manne, et la verge d’Aaron.
-
[28]
Voir Romains 11.
-
[29]
S’il y a par exemple ressemblance et continuité entre l’arche et le tabernacle, c’est que tous les deux disent la présence divine parmi les hommes, cependant ils disent différemment une présence différente.
-
[30]
Jeu de miroirs d’autant plus intéressant que le grand autel de 1845 n’est pas l’autel du début du XVIIIe siècle, mais il doit reprendre le motif des chérubins (fréquent sur les tabernacles). Quant aux dalles du chœur, ce ne sont pas les dalles d’origine : le dallage a été refait, puisque son niveau actuel est plus élevé de 15 à 20 cm que le niveau primitif, et il est intéressant de voir que la continuité a été respectée.
-
[31]
Voir par exemple Lc 19, 20, et surtout Lc 24, 27 : « Et commençant par Moïse, et ensuite par tous les prophètes, il leur expliquait dans toutes les Écritures ce qui y avait été dit de lui ».
-
[32]
I Co 10, 11. Voir aussi Colossiens 2, 17.
-
[33]
Voir Romains 3, 25 et la note de la TOB sur ce verset ; voir aussi : 1 Jean 2, 2 ; Thomas d’Aquin, Somme théologique, II, I, q. 102, art. 4. Voir encore, comme particulièrement explicite, le premier sonnet des Théorèmes du poète aixois Jean de La Ceppède (1613), avec les annotations de l’auteur. La Ceppède célèbre le Propitiatoire, et dit que « la Croix du fils de Dieu a été le vrai Propitiatoire » ; que saint Paul et saint Jean « appellent notre Crucifié Propitiation ou Propitiateur et la Glose ordinaire de l’Exode explique Propitiatoire ; c’est-à-dire Jésus-Christ ». De même, la Bible de Royaumont (1670) affirme que le « Propitiatoire [...] représentait Jésus-Christ qui est notre propitiation, comme dit saint Paul » (éd. de 1713, p. 100). C’est dire à quel point cette interprétation est traditionnelle.
-
[34]
Pensées, éd. Ph. Sellier, « Class. Garnier », 1991, fr. 250. L’édition de Port-Royal des Pensées de M. Pascal sur la religion, et sur quelques autres sujets, 1670, remplace « un peu tirées par les cheveux » par « moins naturelles » (p. 92). Nous utilisons l’édition en fac-similé procurée par Georges Couton et Jean Jehasse, Éd. de l’Université de Saint-Étienne, 1971 (voir p. 206).
-
[35]
Dans Les Curiosités les plus remarquables de la ville d’Aix, 1674, p. 127-128, Pierre-Joseph de Haitze nous apprend que Thomas d’Aquin avait, dans le cloître du couvent, son portrait : « Le peintre l’a représenté ici écrivant l’Office du S. Sacrement, dont le Saint Esprit en forme de Colombe lui dicte les paroles à l’oreille ».
-
[36]
C’est un tercet de l’hymne Lauda, Sion, Salvatorem (Loue, Sion, ton Sauveur).
-
[37]
Les Théorèmes, I, III, 79 (1613).
-
[38]
La Vulgate emploie l’expression ecclesia Israël : la communauté, l’Église d’Israël (I Rois 8, 14). Le terme hébreu traduit par ecclesia est qahal, qui désigne la communauté devant Dieu.
Dans la Bible de Royaumont (1670), il est dit que le tabernacle du désert « était une figure visible de l’Église. Ce Temple portatif [...] marquait l’Église pendant qu’elle est encore ici sur la terre dans un état d’instabilité et dans un lieu de passage, comme, depuis, le Temple de Salomon figura l’Église dans son état de stabilité et dans la demeure des cieux » (éd. de 1713, p. 98).
Ce qui est rare, ce n’est pas de représenter le temple de Salomon comme une église ou une cathédrale, ni de discerner dans le temple de Salomon la figure de l’Église ; c’est de donner à voir simultanément, juxtaposées, la chose figurante et la chose figurée : le temple et ses cérémonies, et ce que le temple figure : l’église (et l’Église). -
[39]
Voir Blaise Pascal : « Pour voir clairement que l’Ancien Testament n’est que figuratif [...] ». Ce fragment apparaît seulement dans l’édition de 1678, p. 209 (voir l’édition citée, en fac-similé, p. 505). Cf. l’édition Ph. Sellier, fr. 737 : « Pour montrer que l’Ancien Testament est – n’est que – figuratif [...] ».
-
[40]
Jé 31, 31.
-
[41]
Hé 8, 13.
-
[42]
Lettre II ou IV selon les éditions. Voir Pascal, Œuvres complètes, éd. Jean Mesnard, Desclée de Brouwer, t. III, p. 1035-1036, ou l’édition citée de Port-Royal, p. 232 (fac-similé, p. 346).
Autres témoins : Lemaître de Sacy, qui écrit dans la préface de l’Exode : « Moïse a vu le Sauveur en esprit. Il a vécu de la foi », et le poète déjà cité, Jean de La Ceppède :
« Abraham et Moïse ont à vous cru tous deux [...]
Isaïe vous vit fort magnifiquement [...] » (sonnet I, III, 53).
Selon de telles interprétations, les patriarches, les prophètes, les saints de l’Ancien Testament, par la foi, voyaient le Christ. -
[43]
Pascal dit du Christ et des apôtres qu’ils « ont levé le sceau, ils ont rompu le voile, et découvert l’esprit » (éd. citée de Port-Royal, 1670, p. 97, fac-similé, p. 211). Cf. « Ils ont levé le sceau. Il a rompu le voile et a découvert l’esprit », éd. Ph. Sellier, fr. 291.
-
[44]
Voir Œuvres de saint François de Sales, éd. d’Annecy, t. X, p. 16.
-
[45]
On aperçoit, sur cette balustrade, des lambeaux d’étoffe, de couleur bleue, de couleur rouge : lambeaux du voile déchiré du Temple (voir la note 25).
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[46]
Déjà au XVIIe siècle, on pouvait y contempler un tableau qui est toujours visible à la Madeleine ; c’est la « Vierge du rosaire » (1643) de Jean Daret, où sont représentés la Vierge, donnant le rosaire à saint Dominique, l’enfant Jésus donnant son cœur à sainte Catherine, les âmes du Purgatoire, et le chien qui porte dans sa gueule une torche enflammée. Ce chien est un des premiers chiens apparus dans l’église des prêcheurs ; ceux du trompe-l’œil sont venus ensuite, et on peut voir enfin dans cette église un quatrième chien, situé dans un haut vitrail du chœur – œuvre de Louis André –, qui a été mis en place en 1897, longtemps après le départ des religieux.
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[47]
Deux chiens, dans un nouveau mobilier du chœur, pourraient, dans les années à venir, s’ajouter à ceux dont nous avons parlé.
-
[48]
Ces dessins ont été décalqués sur de grands panneaux de plastique transparent, puis réduits. Le travail réalisé par Alain-Gilles Magdinier a permis de voir ce que l’œil nu ne voyait pas. II faudrait le compléter en distinguant les dalles noires et les dalles blanches, et en observant que certaines lignes au pied des colonnes de gauche dessinent des ombres portées, naturellement absentes au pied des colonnes de droite.
-
[49]
C’est ainsi qu’on le voit encore à la Madeleine dans le tableau de Mimault « Le baptême du Christ ».
-
[50]
Deux saints seulement de l’Ancien Testament sont clairement identifiables. On a voulu nous éviter de restreindre le nombre de ces saints, mais surtout on a voulu mettre en lumière Moïse et Aaron.
-
[51]
Deus revelatus, Dieu révélé ; Deus absconditus, Dieu caché.
-
[52]
Les Théorèmes, I, III, 91 (1613).
-
[53]
Le Saint des Saints est visible, et voici que le mystère de la Trinité apparaît. Mais c’est encore un mystère, et le plus insondable de tous...
-
[54]
Op. cit., p. 179.
-
[55]
« Plan géométrique de la ville d’Aix » par J. Maretz (1622). « Plan géométrique de la ville d’Aix » par L. Cundier (1666).
-
[56]
J.-J. Gloton, op. cit., p. 310.
-
[57]
D’après les Annales du Collège de Bourbon, ces colonnes étaient si ressemblantes qu’on les touchait pour voir si elles étaient peinture ou réalité. C’est tout ce que nous savons du trompe-l’œil de l’église des jésuites (que nous avons déjà signalé plus haut).
-
[58]
D’après l’Épître aux Hébreux, le Christ est prêtre selon l’ordre de Melchisédech, plutôt que selon l’ordre d’Aaron, l’ordre lévitique. Mais les commentaires anciens de l’épître et la paraphrase de Godeau, souvent rééditée, montrent que la plupart des commentateurs donnaient beaucoup d’importance au sacerdoce d’Aaron, comme le fait le trompe-l’œil des prêcheurs. D’ailleurs la mitre des évêques et la tiare pontificale doivent plus à la coiffure d’Aaron qu’à celle de Melchisédech.
-
[59]
Par exemple, il y est dit que la Loi « n’a que la figure des biens à venir, non la substance même des réalités » (10, 1).
Selon l’Épître aux Hébreux 8, 5, le lieu où les prêtres de l’ancienne Loi offrent les sacrifices est la copie et l’ombre du modèle montré par Dieu à Moïse sur la montagne (Exode 25, 40 et 26, 30). Si ce lieu est la copie du sanctuaire céleste (celui où le Christ est entré par sa résurrection, He 9, 24), il faut penser que le sanctuaire chrétien lui-même ne doit pas s’éloigner beaucoup de ce modèle. Cela suffit à justifier, dans le trompe-l’œi1 des prêcheurs, la ressemblance entre le temple des Hébreux et l’église, et invite, naturellement, à ne pas s’arrêter au sanctuaire terrestre, mais à voir plus haut. -
[60]
He 11, 26 : « Il considéra l’humiliation du Christ comme une richesse plus grande que les trésors de l’Égypte » (trad. TOB).
-
[61]
Mais, dans une architecture peinte, ils sont faits pour être vus de loin. Ce qui est plus gênant est une certaine absence de cohérence architecturale entre les compartiments latéraux et le compartiment central.
-
[62]
On pourrait, pour la leçon qu’ils donnent l’un et l’autre, rapprocher du trompe-l’œil des prêcheurs une certaine « gloire », entourant de ses rayons un triangle – symbole de la Trinité – qui porte en son centre le tétragramme ou quadrilettre (les quatre lettres hébraïques du nom imprononçable). Cette « gloire » exprime d’une manière synthétique et dépouillée ce que le trompe-l’œil des prêcheurs manifeste de façon analytique.
-
[63]
Voir plus haut la note 33.
-
[64]
Voir l’édition de Port-Royal, 1670, titre XIV, « Jésus-Christ », p. 111 (fac-similé, p. 225). Le texte exact de Pascal donne : « Jésus-Christ que les deux Testaments regardent [etc.] », éd. Ph. Sellier, fr. 7. C’est nous qui soulignons.
-
[65]
Une figure biblique peut être identifiée à la figure en taille douce qui la représente, à une image – ou une icône –, à un crayon (La Ceppède dit du Christ qu’ « Il remplit le crayon des antiques figures », Théorèmes, I, II, 25), à un dessin : Claudel voit dans l’Ancien Testament « un dessin qui est un dessein » (texte cité par H. de Lubac, Exégèse médiévale, seconde partie, chap. VII, p. 84). Sur les mots type, ombre, figure, on peut consulter le livre d’un réformé, Jacob Girard des Bergeries : Moyse dévoilé, ou l’explication des types et figures du Vieux Testament (Genève, 1670). Jacob Girard utilise fréquemment le mot crayon. D’après lui, l’auteur de tous les « crayons », de toutes les figures de la Bible, c’est Dieu, un Dieu par qui toutes les promesses, les cérémonies et les grands personnages de l’Ancien Testament « avaient été comme autant de lignes qui aboutissaient à [un] centre » (le Messie), un Dieu peintre, un Dieu « excellent architecte » qui « avant que d’édifier ou de composer son Église [...] en a voulu premièrement faire voir le dessein en la structure du tabernacle, et en toute la police légale de l’Église judaïque » (voir p. 10 et p. 24-26). L’emploi par Jacob Girard du mot « dessein » avec son double sens ancien annonce déjà la formule de Claudel. Catholiques et réformés ont une même vision de l’Ancien Testament.
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[66]
Édition de Port-Royal, p. 93-94 (fac-similé, p. 207-208) ; éd. Ph. Sellier, fr. 476. C’est nous qui soulignons.
-
[67]
Ibid., p. 147.
-
[68]
Ap 5, 6 : « Un agneau se dressait » ; 5, 7 : « Il s’avança pour recevoir le livre » ; 14, 1 : « L’agneau était debout sur la montagne de Sion ».
-
[69]
« Agnus qui occisus est ab origine mundi » (Ap 13, 8). Pascal note : « Agnus occisus est ab origine rnundi » (éd. Ph. Sellier, fin du fr. 290).
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[70]
Nous remercions particulièrement Lucienne Bozzetto, Bernard Chédozeau, Alain-Gilles Magdinier, le P. Bernard Montagnes, le P. Dominique Petit, Thérèse Roqueplo et Philippe Sellier.
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[71]
Les documents actuellement connus sur la reconstruction de l’église des prêcheurs sont rares : des actes notariés de 1691 reproduits par Jean Boyer (op. cit., p. 172-174), et un billet de loterie, de 1710, « en faveur de la bâtisse de l’église des RR. PP. Prêcheurs d’Aix ». Il existe trois exemplaires de ces billets de cinquante sols, un aux Archives de l’Ordre à Rome (Sainte-Sabine), deux aux Archives du couvent de Saint-Maximin (à Toulouse). Cette loterie de 200 000 livres avait été autorisée par le roi (voir, au musée Arbaud, 48 B2, une lettre de Desmaretz, contrôleur général, à Le Bret, de Versailles, 12 février 1710). C’est le P. Bernard Montagnes qui nous a signalé le billet de loterie, et la lettre de Desmaretz.