Notes
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[1]
Voir Ch. Adam, « Descartes et sa correspondance féminine », Revue internationale de l’enseignement, 15-1-1937, p. 5-16.
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[2]
Lettre de Descartes à Brasset, 23 avril 1649, éd. F. Alquié, Paris, Classiques Garnier, 1998, t. III, p. 917.
-
[3]
Sur la diffusion du cartésianisme dans les milieux mondains, voir L. Timmermans, L’Accès des femmes à la culture (1598-1715), Paris, Champion, 1993, p. 123 sq. ; sur le rôle du cartésianisme dans le développement de la littérature, voir également A. Adam, Histoire de la littérature française du XVIIe siècle, Paris, A. Michel, 1997, t. II, p. 424-430 : « Aux environs de 1660 apparaissent en effet les premiers signes d’une large diffusion du cartésianisme. Il existe désormais un véritable parti cartésien ». Cf. aussi J. Orcibal, « Descartes et sa philosophie jugés à l’Hôtel de Liancourt, 1669-1674 », dans Descartes et le cartésianisme hollandais, Paris, Amsterdam, 1950, p. 87-107.
-
[4]
Voir la lettre du 10 avril 1671 et celle du 12 octobre 1678 : « Les jésuites sont plus puissants et plus enragés que jamais. Ils ont fait défendre aux pères de l’Oratoire d’enseigner la philosophie de Descartes, et par conséquent au sang de circuler. Ils ont encore remis sur pied les cinq propositions. Il a fallu promettre et désavouer ce qu’ils ont voulu ; les lettres de cachet dont on est menacé sont de puissants arguments pour persuader leur doctrine. Dieu jugera de toutes ces questions à la vallée de Josaphat ; en attendant, vivons avec les vivants », respectivement t. I, p. 217 et t. II, p. 633, Correspondance, éd. R. Duchêne, Paris, Gallimard, « Bibl. de la Pléiade », 1972. Toutes nos références aux écrits de Mme de Sévigné et de ses familiers renverront à cette édition.
-
[5]
On trouve ainsi des travaux sur le corpus cornélien et l’utilisation des dramaturges dans les lettres : J. Morel, « Vive donc notre vieil ami Corneille », Madame de Sévigné (1626-1696). Provence, spectacles, lanternes, Colloque international du Tricentenaire de la mort de Mme de Sévigné, Grignan, AACCdd, 1998, p. 161-163 ; D. Olivares, « Mme de Sévigné : critique dramatique ? », ibid., p. 165-176 ; M. Gérard, « Molière dans la correspondance de Mme de Sévigné », RHLF, 1973, p. 608. On montre en général un intérêt assez circonstanciel pour les origines de la formation cartésienne de Mme de Grignan sous l’influence de Corbinelli et de l’Abbé de la Mousse ; voir sur ce point E. Avigdor, Mme de Sévigné. Un portrait intellectuel et moral, Paris, Nizet, 1974, p. 125 et p. 128-129 : Mme de Sévigné n’oserait pas approcher directement l’œuvre de Descartes mais se contenterait d’exposés sur la doctrine cartésienne et de la lecture des Conversations chrétiennes de Malebranche ; D. Plaisance, « Un ami des Grignan en Provence : Jean Corbinelli », Mme de Sévigné (1626-1696). Provence, spectacles, lanternes, op. cit., p. 143 et M. Gérard, « Mme de Sévigné et le souvenir de Pascal », Le Rayonnement de Port-Royal, Mélanges en l’honneur de Ph. Sellier, Paris, Champion, 2001, p. 449-462, p. 459. Voir également F. Bouiller, Histoire de la philosophie cartésienne, Delagrave, 1868, t. I, p. 438 : Mme de Sévigné « n’est pas cartésienne pour son propre compte, mais plutôt pour celui de sa fille qu’elle veut pouvoir entretenir de tout ». J. Deprun a consacré un article à la présence du cartésianisme chez la marquise : « Mme de Sévigné et les controverses postcartésiennes : des “Animaux-Machines” aux “Âmes vertes” », dans Mme de Sévigné. Molière et la médecine de son temps, actes du 3e colloque de Marseille, Marseille, no 95 (1973), p. 43-52.
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[6]
Qui compte parmi les ouvrages que la marquise dit bien avoir lu, voir la lettre du 21 août 1676, t. II, p. 375.
-
[7]
18 octobre 1687, t. III, p. 328.
-
[8]
12 juin 1680, t. II, p. 971.
-
[9]
6 septembre 1671, t. I, p. 337.
-
[10]
Descartes crée le divertissement pour les cartésiens eux-mêmes : « Voilà de quoi combattre les ennuis de la province », ajoute Corbinelli.
-
[11]
15 septembre 1580, t. III, p. 13.
-
[12]
30 mars 1672, t. I, p. 464.
-
[13]
G. Genette définit le pastiche comme l’imitation d’un style dépourvue de fonction satirique, plutôt ludique ou ironique ; voir Palimpsestes, La littérature au second degré, Paris, Seuil, 1982, notamment p. 40 sq. et p. 128 sq.
-
[14]
20 mars 1680, t. II, p. 879.
-
[15]
R. Duchêne écrit à ce propos : « Le langage même n’est pas celui de la plus large communication possible ; il inclut presque toujours une sorte de jargon qui renvoie à l’expérience commune aux seuls correspondants ou à ceux de leur milieu », Écrire au temps de Mme de Sévigné : Lettres et texte littéraire, Paris, Vrin, 1981, « Du destinataire au public, ou les métamorphoses d’une correspondance privée » (p. 29-46), p. 34.
-
[16]
18 mai 1677, t. II, p. 457.
-
[17]
30 juin 1677, t. II, p. 479.
-
[18]
23 octobre 1676, t. II, 432. Les lettres poursuivent sur le même registre de façon périodique et régulière, comme si un thème cartésien, ici celui des couleurs, bénéficiait d’une faveur mondaine particulière durant le temps d’une mode : « J’ai fort causé avec Corbinelli. Il est charmé du Cardinal ; il n’a jamais vu une âme de cette couleur » (7 juillet 1677, t. II, p. 483) ; « Si ce discours ne vient d’une âme verte, c’est du moins d’une tête verte ; c’est tout de même, et la couleur de la quadrille est sans contestation » (19 juillet 1677, t. II, p. 493).
-
[19]
26 août 1676, t. II, p. 380.
-
[20]
8 juillet 1676, t. II, p. 339.
-
[21]
24 janvier 1689, t. III, p. 483 : « Mais hélas ! mon enfant, vous n’avez pas le temps de faire aucun usage de la beauté et de l’étendue de votre esprit ; vous ne vous servez que du bon et du solide. Cela est fort bien, mais c’est dommage que tout ne soit pas employé. Je trouve que M. Descartes y perd beaucoup ».
-
[22]
26 août 1676, t. II, p. 378.
-
[23]
9 mai 1680, t. II, p. 922.
-
[24]
Lettre de Corbinelli à Bussy-Rabutin, 15 juillet 1673, t. I, p. 586-587.
-
[25]
Nous reprenons cette expression et sa définition à l’ouvrage d’A. Compagnon, La Seconde Main ou le travail de la citation, Paris, Seuil, 1979, p. 9 : « Le travail de la citation, l’appropriation ou la reprise, c’est-à-dire le produit de la force qui saisit la citation par le déplacement qu’elle lui fait subir » ; l’auteur définit également la citation comme « dynamis » et « pouvoir mobilisateur » (p. 44-45).
-
[26]
14 octobre 1678, t. II, p. 635.
-
[27]
Ibid., p. 636, la réponse de Mme de Grignan dit : « Je vois bien qu’elle me croit fort engagée dans la secte de M. Descartes, à qui vous donnez l’honneur de ma perte. Je ne veux pourtant point encore l’abjurer ; il arrive des révolutions dans toutes les opinions et j’espère que les siennes triompheront un jour et couronneront ma persévérance » ; Mme de Grignan, dans une lettre à Coulanges, le 17 décembre 1690, use encore du même vocabulaire : « Ne vous chargez point de celle [affaire] d’apporter un chien à Pauline ; nous ne voulons aimer ici que des créatures raisonnables, et de la secte dont nous sommes, nous ne voulons pas nous embarrasser de ces sortes de machines » (t. III, p. 955).
-
[28]
R. Duchêne souligne les difficultés rencontrées par la correspondance pour s’établir sereinement entre la mère et la fille aux sensibilités différentes et sur la « délicate conciliation » qui la soutient, voir Mme de Sévigné et la lettre d’amour, Paris, Klincksieck, 1992, p. 205 sq. Sur la référence culturelle comme instrument de cette conciliation, voir I. Landy-Houillon, « Mme de Sévigné : “Dire en chantant” », dans Correspondances. Mélanges offerts à Roger Duchêne, textes réunis par W. Leiner et P. Ronzeaud, Gunter Narr Verlag, Tübingen / Publications de l’Université de Provence, Aix-en-Provence, 1992 : « La culture de Mme de Sévigné, vaste comme l’on sait, se voit évoquée pour concourir à l’ “égaiement” de la lettre. Si traditionnellement les citations sont reconnues comme source d’embellissement du discours, il va de soi que la lettre familière écarte résolument tout ce qui risquerait de sentir l’érudition ou l’humanisme de collège : chez Mme de Sévigné les emprunts constituent des “rappels” mondains, contemporains, familiers, voire familiaux [...] » (p. 405).
-
[29]
Op. cit., p. 23.
-
[30]
30 juin 1680, t. II, p. 993-994.
-
[31]
2 août 1689, t. III, p. 659. Voir également, 9 juin 1680, t. II, p. 966 : « Si j’avais quelqu’un pour m’aider à philosopher, je pense que je deviendrais une de vos écolières [...] ».
-
[32]
1er juin 1676, t. II, p. 307.
-
[33]
14 juillet 1680, t. II, p. 1011.
-
[34]
18 mai 1689, t. III, p. 600-601.
-
[35]
4 septembre 1680, t. II, p. 1067.
-
[36]
16 février 1689, t. III, p. 504-505.
-
[37]
13 juin 1679, t. II, p. 652.
-
[38]
3 juillet 1680, t. II, p. 998.
-
[39]
4 novembre 1676, t. II, p. 437-438.
-
[40]
J. Mesnard, Les Pensées de Pascal, Paris, Sedes, 1993, p. 98.
-
[41]
25 août 1680, t. II, p. 1057.
-
[42]
R. Duchêne insiste sur la « retenue » épistolaire dans l’expression d’un amour excessif et écrit notamment que « la profondeur et la beauté des lettres à Mme de Grignan viennent de ce qu’elles refusent l’amplification rhétorique et que l’art y exprime la passion contenue », Mme de Sévigné et la lettre d’amour, op. cit., p. 243.
-
[43]
13 septembre 1684, t. III, p. 135.
-
[44]
14 août 1680, t. II, p. 1047.
-
[45]
25 octobre 1688, t. III, p. 377.
-
[46]
Études de style, « L’effet de sourdine dans le style classique : Racine », Paris, Gallimard, 1970, pour la traduction française, p. 208-335.
-
[47]
15 avril 1671, t. I, p. 221.
-
[48]
Voir R. Bray pour qui « Les instruments du travail épistolaire deviennent [...] proprement les instruments d’une passion » et selon lequel les lettres manifestent une « intention profondément artistique » (« Quelques aspects du style épistolaire de Mme de Sévigné », RHLF, 1969, nos 3-4, p. 491-505, respectivement p. 498-499 et 505).
-
[49]
11 mai 1680, t. II, p. 924.
-
[50]
4 août 1680, t. II, p. 1036-1037.
-
[51]
15 novembre 1688, t. III, p. 396-397.
-
[52]
Op. cit., p. 29.
1L’échange épistolaire que Descartes, vers la fin de sa vie, entretint avec des correspondantes illustres, Élisabeth de Bohême et Christine de Suède [1] est célèbre pour sa densité philosophique et pour sa fécondité intellectuelle. Les Principes de la Philosophie sont ainsi dédiés à la princesse palatine qui a également suscité en partie Les Passions de l’âme tandis que le philosophe accepta d’aller vivre « au pays des ours, entre des rochers et des glaces » pour les qualités de la reine de Suède possédant « toute seule plus de savoir, plus d’intelligence et plus de raison, que tous les doctes des cloîtres et des collèges que la fertilité des pays où [il a] vécu a produits » [2]. Autant ces échanges suscitent et enrichissent la réflexion philosophique, autant la réflexion philosophique habite et soutient un autre commerce épistolaire plus tard dans le siècle. Car l’auteur des Méditations métaphysiques est également le maître posthume d’une autre élève tout aussi attentive, Mme de Grignan, et les références à sa personne et à son système émaillent une autre correspondance féminine consacrée pour sa profondeur affective et ses qualités esthétiques : celle qu’échangent Mme de Sévigné et sa fille. La littérature épistolaire offre alors à Descartes une autre postérité, qui recouvre sans doute moins une exacte fidélité théorique qu’une appropriation personnelle. Il est assez simple d’assigner deux causes essentielles, l’une externe et l’autre interne, à la présence appuyée de la référence cartésienne dans la correspondance entre Mme de Sévigné et sa fille : un engouement général dans le monde pour le philosophe de la modernité et l’attachement de Mme de Grignan elle-même à la philosophie cartésienne. Durant la deuxième moitié du XVIIe siècle, se répand en effet dans les milieux littéraires une mode considérable, celle de la doctrine cartésienne. On lit, réécrit et commente Descartes, disputant autour des principales notions de son système (le mécanisme, les substances, l’étendue, le mouvement, les esprits animaux, etc.), vulgarisées par les nombreux épigones du philosophe et travaillées comme des sujets de choix par la conversation mondaine [3] : c’est lui qui fournit désormais topoï et motifs à la littérature. Mme de Sévigné prend ainsi parti pour Descartes, contre Aristote, pour la nouveauté, contre la vieille philosophie tout comme elle se range, plus ou moins discrètement, aux côtés de ses « amis » jansénistes contre les jésuites [4]. Les nombreux échos à Descartes dans la correspondance que Mme de Sévigné échange avec sa fille s’inscrivent donc très naturellement dans cette vogue tout en l’infléchissant vers les finalités pragmatiques propres à l’écriture épistolaire : citer Descartes dans une lettre à Mme de Grignan n’est peut-être pas tant faire allégeance à une philosophie que choisir une langue d’usage propre à rendre la communication efficace entre les correspondantes. C’est ce croisement entre contenu philosophique et traitement épistolaire que nous voudrions interroger ici. Comment la marquise cite-t-elle le philosophe et comment les modalités de ces citations éclairent-elles leur motivation ? Qu’implique le transport du vocabulaire philosophique dans l’univers de la conversation familière ? Physique, métaphysique, morale et anthropologie cartésiennes laissent leurs traces dans les lettres mais ces traces sont-elles littérales ? Y aurait-il plusieurs niveaux de référence pour les comprendre ? Nous aimerions caractériser cet effet d’intertextualité représentatif, sans doute, du destin de la science à une époque où elle ne se détache pas encore des Lettres. Notre lecture viserait à mettre en évidence trois grands types de reprise cartésienne : la citation philosophique fonctionne d’abord comme un motif pittoresque et plaisant qui contribue à la vivacité des lettres ; elle est aussi façonnée comme un élément paradoxal d’intimité entre les correspondantes ; comme élément d’un code épistolaire enfin, elle est au cœur d’une lyrique qui cherche les détours les plus subtils pour dire le chagrin et le regret.
2Descartes apparaît chez Mme de Sévigné aux côtés d’un grand nombre d’autres auteurs que la marquise aime citer, reprendre, commenter : quantitativement, sa présence est sans doute plus significative que celle de Corneille ou Nicole mais elle nous semble surtout relever d’une poétique originale qui n’a que peu, jusqu’alors, attiré l’attention de la critique [5]. Inscrire le nom de Descartes dans une lettre familière engage nécessairement un décalage stylistique assez marqué. Certes, le mélange des tons, effet presque nécessaire de la citation, est de rigueur dans l’écriture épistolaire mais l’écart entre le vocabulaire de la science cartésienne et le lexique de la familiarité est ici assez grand pour qu’on caractérise la citation cartésienne par Mme de Sévigné comme le trait d’une écriture paradoxale. L’espace épistolaire cherche à conjurer une temporalité décalée par la constitution d’un terrain commun de discussion : en citant Descartes, Mme de Sévigné sait qu’elle et sa fille se rencontreront. Mais en contexte épistolaire familier, la citation philosophique entre directement en contradiction avec la volonté de communiquer non seulement en « honnête femme », puisque le risque de l’affectation impliqué par la citation n’est pas toujours évité, mais aussi en mère, puisque le raisonnement philosophique diffère l’échange intime. La citation cartésienne acquiert un statut particulier, celui d’une situation d’écriture exemplaire, car Mme de Sévigné parvient à renverser ce paradoxe.
3Parmi les moyens poétiques de ce renversement, il faut tout d’abord reconnaître la fragmentation de la matière cartésienne en motifs indépendants agencés par la suite selon une logique propre aux catégories du plaisant et de l’intime. Les lettres manifestent ainsi un travail de diffusion du vocabulaire cartésien dénué de sa rigueur théorique ; la marquise reprend les termes du discours philosophique comme des marqueurs idéologiques qui témoignent de la maîtrise d’une sorte de jargon mondain. C’est une manière de se réclamer d’un certain univers plus que d’une pensée. Mme de Sévigné emploie ainsi la terminologie de la physique cartésienne pour donner une couleur galante aux anecdotes qu’elle raconte et plie l’exposé des théories cartésiennes à la légèreté de la lettre familière caractérisée par l’ellipse et le raccourci pittoresque. Les écrits cartésiens (principalement les Principes, le Discours de la méthode, les Passions de l’âme [6], et les Méditations métaphysiques) fournissent à la marquise des traits de plume, des formules efficaces et plaisantes qui visent à séduire la destinataire : « Je me porte si bien, et les esprits sont si bien réconciliés avec la nature, que je ne vois pas pourquoi vous ne m’aimeriez point » [7]. Les « tourbillons » de la physique cartésienne, ses « petites parties » relèvent le portrait de tel ou tel familier et entrent dans la peinture du personnage épistolaire construit par les lettres : « cette histoire me fait une grande trace dans le cerveau » [8]. La miniaturisation est donc la première caractéristique de la technique de citation cartésienne et la fausse naïveté est l’esprit général de ces reprises. Car, si elle tronque, raccourcit et simplifie les énoncés philosophiques, la marquise manifeste une conscience aiguë du fait même de la citation. Elle ménage avec cette méthodique reprise suffisamment de distance pour produire l’humour à partir d’un contenu sérieux.
4C’est ainsi que l’allusion cartésienne se fait le support d’un pittoresque épistolaire émanant d’épisodes que nous pourrions qualifier de véritables scènes de genre. Dans un geste plus ample que celui qui consiste à mettre la philosophie en formules, la marquise convoque aussi Descartes pour communiquer gaieté et piquant à ses narrations. Au terme d’un travail de simplification et de stylisation, les thèses du philosophe se trouvent naturellement inscrites dans le contexte familier des disputes que la marquise se plaît à rendre à grands traits. C’est le cas de ce passage centré sur l’abbé de Montigny :
Il parle des petites parties avec cet évêque, qui est cartésien à brûler, mais, dans le même feu, il soutient aussi que les bêtes pensent ; voilà mon homme. Il est très savant là-dessus ; il a été aussi loin qu’on peut aller dans cette philosophie, et Monsieur le Prince en est demeuré à son avis. Leurs disputes me divertissent fort. [9]
5Le contraste est grand entre l’efficacité colorée de la formule « cartésien à brûler » et la réelle compétence philosophique de l’abbé : il trouve sa motivation dans la mention finale du « divertissement ». Mme de Sévigné s’intéresse davantage à la réception du cartésianisme qu’au cartésianisme lui-même ; elle joue du phénomène mondain auquel elle résume ici l’intérêt de la philosophie qui ne fournit plus l’occasion d’une méditation mais celle d’une distraction au second degré. Dans ce cadre, c’est moins le cartésianisme que les cartésiens et les manifestations d’adhésion à la nouvelle philosophie qui retiennent l’attention de Mme de Sévigné et suscitent son sourire dans le divertissement [10]. Et c’est la circulation des idées elles-mêmes qui fait l’objet d’une description amusée et qui communique aux lettres le mouvement narratif :
Nous avons présentement une compagnie avec laquelle nous faisons un grand usage de notre raison et de notre raisonnement ; vous savez comme je sais bien écouter, grâce à Dieu et la vôtre, comme on dit en ce pays. Car vous m’avez ôté la grossière ignorance sur bien des chapitres à force de vous écouter, et j’en sens le plaisir dans les occasions. Nous avons eu ici une petite bouffée d’hombre et de reversis ; le lendemain altra scena. M. de Montmoron arriva, qui, comme vous savez, a bien de l’esprit, le P. Damaie, qui n’est qu’à vingt lieues d’ici, mon fils, qui, comme vous savez encore, dispute en perfection, les lettres de Corbinelli ; les voilà quatre, et moi, je suis le but de tous leurs discours. Ils me divertissent au dernier point. M. de Montmoron sait votre philosophie, et la conteste sur tout. Mon fils soutenait votre père ; le Damaie était avec lui, et la lettre s’y joignit, mais ce n’était que trop de trois contre Montmoron. Il disait que nous ne pouvions avoir d’idées que de ce qui passait par nos sens. Mon fils disait que nous pensions indépendamment de nos sens : par exemple, nous pensons que nous pensons. Voilà grossièrement le sujet de l’histoire. Cela se poussa fort loin et fort agréablement ; ils me divertissaient fort. [11]
6On perçoit nettement l’ironie de la première phrase qui prête allégeance, avec ostentation dans l’allusion, au rationalisme cartésien et que conforte la deuxième phrase où la mère reconnaît humblement sa dette envers une fille si savante. Le passage fait pourtant succéder la conversation cartésienne à une scène de jeu, ce qui produit une assimilation discrète mais efficace de la joute philosophique sur les idées innées à un échange de cartes à jouer. La succession est en effet dite sur le mode théâtral par l’italianisme altra scena qui produit un effet d’encadrement propre à faire descendre Descartes du ciel des idées sur la scène épistolaire. Les relatives qui caractérisent les joueurs cartésiens sont toutes d’ordre circonstanciel ou formel, ce qui relativise la portée de leurs échanges et se substitue, manifestement, à une relation nette du contenu intellectuel de ces échanges. Mais le but de la marquise n’est pas seulement là : elle cherche à rendre la dynamique de la dispute. Les quatre joueurs s’opposent donc, par la mise en scène, à la narratrice elle-même, qui peut ainsi faire converger vers elle la querelle et remplacer subtilement le philosophe Descartes en son centre. Le thème de la dispute, les idées innées, n’apparaît qu’après la description de son organisation stratégique soutenue par quelques hyperboles. Le fond de la doctrine n’est que le sujet « grossier » de l’histoire dont l’intérêt essentiel réside, comme l’abondance des adverbes intensifs le souligne, dans la représentation d’une scène. Descartes et sa philosophie fournissent l’aliment de la lettre que la vivacité de ton brûle afin de produire l’énergie et le sourire à communiquer à la destinataire. Dans l’actualité familière et polémique, Mme de Sévigné choisit de rendre sensibles la bizarrerie et la singularité quitte à convertir un énoncé philosophique au pittoresque.
7On comprend pourquoi les lettres malmènent quelque peu la rigueur terminologique et usent avec légèreté des concepts cartésiens. Les mots du vocabulaire philosophique sont nettement coupés de leur contexte textuel et extraits de leur contexte logique. Ce traitement simplificateur permet de les manier avec une grande souplesse ; la marquise tire des effets de style et soutient l’énergie de son phrasé par une irrévérence badine :
Parlez un peu au Cardinal de vos machines, des machines qui aiment, des machines qui ont une élection pour quelqu’un, des machines qui sont jalouses, des machines qui craignent. Allez, allez, vous vous moquez de nous ; jamais Descartes n’a prétendu nous le faire croire [12].
8La théorie de l’animal-machine ne convainc pas Mme de Sévigné et l’assaut stylistique des anaphores qui soutiennent l’énumération impose un ton de voix où domine, encore une fois, l’ironie. On devine ici le pastiche [13] ; mais l’auteur pastiché est sans doute bien davantage Mme de Grignan, récitant son bréviaire cartésien, que le philosophe lui-même. Mme de Sévigné imite, en forçant le trait moqueur et peut-être jaloux, l’adhésion de sa fille au cartésianisme. Elle renvoie souvent Descartes à l’échec et au soupçon : « Votre frère l’est [triste] fort aussi à sa garnison ; je pense que la rencontre de vos esprits animaux ne déterminera point les siens, quoique de même sang, à penser comme vous » [14]. Hors du contexte filial, la reprise du vocabulaire cartésien témoigne d’une inscription plus neutre dans la mode un peu précieuse du jargon [15]. Après la brouille avec Bussy-Rabutin, le commerce reprend entre les deux épistoliers sur une note cartésienne galante : « Aussi bien y a-t-il quelques petits esprits dans notre sang qui feraient une liaison malgré nous, si nous n’y consentions de bonne grâce » [16]. L’usage du vocabulaire cartésien participe à l’entreprise de divertissement tout comme le raisonnement scientifique y est intégré. C’est ainsi que, extraite de son contexte philosophique de naissance, appliquée à des situations quotidiennes, la théorie cartésienne des couleurs qui, n’appartenant pas à l’étendue, sont des modes de l’âme, produit, par décalage et déplacement, un effet comique. « Notre âme est verte » [17] écrit laconiquement la marquise qui se fait l’écho de discussions et plaisanteries sur cette théorie des couleurs. Les développements de la physique cartésienne sur les qualités sensibles des substances, élaguées, raccourcies et réduites à des formules, confèrent relief et piquant à la narration. Alors que Charles se plaint de rhumatisme, Descartes fournit le jeu de mots qui pourra affranchir la lettre d’une évocation pesante de la maladie : « je lui ai accordé qu’il a une cuisse bleue, pourvu qu’il demeure d’accord qu’il a une tête verte » [18]. Le vocabulaire cartésien devient un indice métatextuel, un outil de commentaire et d’énonciation qui signale à la destinataire l’entrée dans l’écriture ludique. Assaillie de conseils divers des médecins sur sa santé, la marquise a ainsi recours à l’allusion à la morale cartésienne pour mettre à distance la situation et ses désagréments : « Ils m’ôtent mon libre arbitre à force de me laisser dans l’indifférence » [19]. Elle se dit souvent à l’école de Descartes, mais moins pour Descartes lui-même que pour le divertissement, c’est-à-dire, dans un sens pascalien, le détournement, qu’elle construit à partir de sa réception : « je veux apprendre cette science comme l’hombre, non pas pour jouer, mais pour voir jouer » [20].
9Or, le jeu avec le texte cartésien n’implique pas toujours la naïveté et n’exclut pas nécessairement sa compréhension. Les ellipses qui altèrent souvent l’intégrité des raisonnements philosophiques supposent que Mme de Sévigné ait fourni un effort suffisamment intelligent pour comprendre leur fonctionnement. Certes la marquise souligne souvent son incompétence et sa candeur philosophique. Mais qu’en est-il de ces protestations de modestie ? Un simple ethos truqué ? Une flatterie pour sa fille [21] ? Le choix de l’hypothèse la plus économique possible nous demande d’examiner les effets de la lettre :
Corbinelli vous répondra sur la grandeur de la lune et sur le goût amer ou doux. Il m’a contentée sur la lune, mais je n’entends pas bien le goût. Il dit que ce qui ne nous paraît pas doux est amer. Je sais bien qu’il n’y a ni doux, ni amer, mais je me sers de ce qu’on nomme abusivement doux et amer pour le faire entendre aux grossiers. Il m’a promis de m’ouvrir l’esprit là-dessus quand il sera ici. [22]
10La fabrication de formules subtiles, énigmatiques parce que destinées à un usage privé et à une circulation interne à la correspondance, ainsi que leur assemblage ( « la grandeur de la lune » et « le goût amer ou doux » ) révèlent une des ressources inattendues de l’ellipse en donnant à entendre des alliances poétiques. Cette poésie s’inscrit dans les procédures d’allégement que subit l’exposé cartésien dans les lettres et parmi lesquelles nous avons déjà compté l’effet comique. En citant Descartes, l’épistolaire acclimate en effet un style qui n’a rien de la séduction esthétique au départ mais qui, par l’insertion dans le contexte de la lettre et par la méthode sévignéenne, acquiert une résonance pour l’imaginaire. L’efficacité du style de Mme de Sévigné consiste à donner une consistance concrète et singulière à l’abstraction. Il n’est donc guère pertinent de s’interroger sur les connaissances philosophiques de la marquise : chez elle la plume de Descartes a, d’emblée et de plein droit, un statut esthétique. Par les procédés stylistiques qu’elle mobilise, la citation sévignéenne vise en quelque sorte à incarner le cartésianisme dans les rapports humains et dans les échanges oraux ou écrits. La cohérence philosophique n’inhibe pas l’humour ni la familiarité conquis sur la rigueur car elle n’a guère, d’elle-même, d’autre subsistance épistolaire. Descartes existe dans la lettre par l’humour qui l’approprie et qui ménage la distance nécessaire à la satisfaction d’autres enjeux que ceux de la théorie cartésienne. La référence au cartésianisme peut en effet ouvrir à une autre dimension que la profondeur philosophique et faire allusion à l’état affectif de la marquise plutôt qu’à ses choix intellectuels ; la juxtaposition dont témoigne ce passage en est très révélatrice : « Je reviens ensuite à la Providence, " ses ordres ", à ses conduites, à ce que je vous ai entendu dire, que nos volontés sont les exécutrices de ses décrets éternels. Je voudrais bien causer avec quelqu’un ; je viens d’un lieu où l’on est assez accoutumé à discourir » [23]. C’est le souvenir de Mme de Grignan que la lettre, substitut indigent de la conversation, porte à l’écriture. Il semble que Mme de Sévigné confère à la science cartésienne une légèreté épistémologique proportionnelle au poids de l’affection qu’elle porte à sa fille qui, elle-même, « sait à miracle » la métaphysique cartésienne, et « en parle divinement » [24]. Descartes fournit paradoxalement le vocabulaire le plus approprié pour créer une intimité entre la mère et la fille et le climat le plus favorable à l’échange complice.
11Et c’est bien la finalité de ces reprises cartésiennes : dépouiller la philosophie de sa consistance propre permet d’en faire un vecteur d’émotions entre mère et fille. L’enjeu littéraire des échos à Descartes est de conférer une densité humaine aux concepts théoriques. Chaque référence à Descartes s’étage en fait sur un triple niveau : au niveau littéral, le « travail de la citation » [25] renvoie à un élément philosophique ; à un second niveau, la présence du cartésianisme dans la lettre fait allusion et rend hommage à la prédilection de Mme de Grignan pour ce système ; enfin, à un troisième niveau, convoquer Descartes permet à la marquise d’évoquer le chagrin de la séparation, c’est-à-dire de faire référence à soi-même, à son mode d’écriture. Pourquoi un tel détour ? La convocation de Descartes crée des appels de sens qui approfondissent les échos sensibles de chaque lettre. Mme de Sévigné efface à dessein les frontières entre ces niveaux de référence et confond l’énonciation cartésienne à la sienne afin de rendre l’amalgame plus naturel et plus efficace. En pastichant les énoncés philosophiques, la marquise imite le maître de sa fille ou plutôt ce qu’elle a identifié comme sa « manière » : c’est aussi pour elle une façon de s’affirmer face au philosophe en utilisant ses procédés sans en être dupe, un moyen de hisser la lettre au même niveau de séduction que la doctrine cartésienne elle-même. Le mélange des tons se fait donc harmonieusement et il n’y a pas de hiatus entre le cours de la lettre familière et l’inscription cartésienne : les voix des correspondantes et celle du philosophe sont fondues par la même énergie pragmatique qui cherche la communication et l’entente.
12La terminologie cartésienne subit en effet, au fil des lettres, un traitement bien autrement expressif puisqu’elle sert de support à l’affection filiale que la correspondance cherche à rendre sensible malgré l’absence : les lettres de Mme de Sévigné reprennent le vocabulaire d’élection de Mme de Grignan, fervente disciple de Descartes au point que Bussy-Rabutin, dans le contexte de l’interdiction d’enseigner le cartésianisme, soupçonne que « la belle Madelonne sent un peu le fagot » [26] et que Mme de Grignan, elle-même, se dise « engagée dans la secte de M. Descartes » dont elle souhaite le « triomphe » [27]. Mme de Sévigné utilise ce vocabulaire afin de tisser son discours amoureux des fragments du discours philosophique ; elle en tire toute une série d’idiotismes qui donnent à son style une couleur cartésienne plus qu’une profondeur cartésienne. En cédant à Descartes, la mère crée une complicité avec la fille, une connivence autour de références communes [28] : la citation, écrit A. Compagnon, « est un élément privilégié de l’accommodation car elle est un lieu de reconnaissance, un repère de lecture » [29]. Ainsi, l’anecdote du « garçon de Vitré » insensible au contact de la cire brûlante, donne lieu à une relation étonnée et à la conclusion suivante : « Cela prouve votre philosophie, ma bonne, et qu’assurément le feu n’est point chaud et ne nous cause le sentiment de chaleur que selon la disposition des parties » [30]. La lettre retrace une expérience concrète et pittoresque de la philosophie, manifeste une implication de la théorie physique dans le quotidien. En se faisant adepte du cartésianisme, Mme de Sévigné manifeste sa patience et sa tendresse compréhensive pour sa fille : Descartes n’est allégué qu’avec le poids d’une auctoritas passionnelle et non théorique.
13La mise en formule du vocabulaire philosophique est tout à fait propre à favoriser une sorte de fétichisme cartésien tandis que le personnage du philosophe lui-même acquiert une consistance affective étonnante, exprimée par la filiation intellectuelle que la marquise se plaît à souligner elle-même, devançant avec complaisance les vœux de sa fille : « des effervescences d’humeur. Voilà un mot dont je n’avais jamais entendu parler, mais il est de votre père Descartes ; je l’honore à cause de vous » [31]. Paternité contre maternité : Mme de Sévigné s’affirme dans son rôle de mère attentive en reconnaissant un « père » spirituel à celle qu’elle aime passionnément, et c’est encore une manière de s’attacher la belle créature que de reconnaître un partenaire, tiers symbolique, dans leur échange épistolaire. C’est ainsi qu’elle dit de même de son médecin : « Je lui mets dans la tête d’apprendre la philosophie de votre père Descartes ; je ramasse des mots que je vous ai ouï dire » [32]. En citant explicitement le père pour son rôle paternel lui-même, la mère cherche à rendre évident le lien qui l’unit à sa fille : elle rattache Descartes à l’univers affectif de Mme de Grignan, univers sur lequel elle entend régner elle-même. Elle accepte d’insérer dans le texte épistolaire ce qui lui demeure extérieur et convertit la citation philosophique au naturel badin. La soumission revendiquée au philosophe recouvre en fait la connaissance profonde de la fille par la mère, et donc leur intimité, dont le cartésianisme est un élément : « Et je me tiens à cette première et grande vérité, qui est toute divine, qui me représente Dieu comme Dieu, comme un maître, comme un souverain créateur et auteur de l’univers, et comme un être très parfait comme dit votre père » [33]. « Monsieur Descartes » et sa science personnifient un lien, lui donnent la consistance que la distance a aboli douloureusement. En établissant une relation suivie avec la nièce même du philosophe, c’est dans une famille spirituelle, dont le noyau est le lien entre le philosophe et Mme de Grignan, que la mère s’inscrit à toute force : « Il me semble qu’elle vous est de quelque chose, du côté paternel de M. Descartes et, dès là, je tiens un morceau de ma chère fille » [34]. À ce titre, Descartes intervient dans la correspondance avec la fermeté d’un personnage et la lettre s’apparente à la chronique familiale :
14Il me semble, ma très chère, que vous m’enviez d’avoir vu toute la famille de votre père Descartes à Rennes ; il est vrai que vous en étiez plus digne que moi. S’ils m’eussent prise pour une personne capable d’entendre leur philosophie, je leur eusse chanté :
15Point de saveur, de son ni de lumière.
16Mais ne pouvant pas bien répondre à leur prose, je n’osai attaquer par vos jolis vers ; " je les dis à Nantes à l’abbé de Bruc, qui en fut ravi et les voulut par écrit. " Il y avait parmi eux une nièce, à qui l’on serait fort aise de persuader qu’elle est la moitié d’un tout dont on ne croit être que la moindre partie. [35]
17La hiérarchie de l’intime se trouve réorganisée autour d’un centre occupé par la figure du philosophe. Le divertissement, dont nous avons souligné plus haut qu’il était une fonction de la référence cartésienne, s’approfondit en souvenir et touche à la nostalgie :
Je dînai hier chez Mlle de Goëllo, qui vous adore ; c’était un dîner de beaux esprits : M. l’abbé de Polignac, M. l’abbé de Rohan, son docteur, un abbé David, Corbinelli. Ils discoururent après le dîner fort agréablement sur la philosophie de votre père Descartes. Ils avaient bien de la peine à comprendre ce mouvement que Dieu donne à la boule poussée par l’autre ; ils voulaient que la première communiquât son mouvement, et vous savez comme l’abbé de Polignac et Corbinelli criaient là-dessus. Cela me divertissait, et me faisait souvenir grossièrement de ma petite cartésienne, que j’étais si aise d’entendre, quoique indigne. [36]
18Mot de passe entre la mère et la fille, la référence cartésienne devient un qualificatif de la destinataire de la lettre elle-même et acquiert la valeur d’un message par lequel Mme de Sévigné souscrit avec bienveillance au goût de sa fille, goût qu’elle reconnaît comme fondement de sa personnalité et trait définitoire de sa nature. Le cartésianisme de Mme de Grignan entre ainsi dans la caractérisation de son personnage : « Elle se gouverne un peu à sa fantaisie, et sous ombre de la philosophie de M. Descartes, qui lui apprend l’anatomie, elle se moque un peu des régimes et des remèdes communs ; enfin on ne mène pas une cartésienne comme une autre personne » [37]. Il y a de l’admiration dans les mots de Mme de Sévigné qui fournit un effort d’accommodation pour atteindre sa fille. La langue cartésienne est bien justement la langue épistolaire puisqu’elle est la langue que revendique la destinataire et qui se pratique donc dans l’intimité privée : « Vous vous vantez d’être Agnès et de ne rien faire dans votre cabinet. Il me semble pourtant que vous êtes une substance qui pensez beaucoup ; que ce soit au moins, ma bonne, d’une couleur à ne vous point noircir l’imagination » [38]. En reconnaissant l’emprise de Descartes sur Mme de Grignan, la marquise empêche une emprise totale du philosophe sur sa fille et donne, de sa hauteur de mère, une bénédiction épistolaire à cette familiarité envahissante.
19C’est pourquoi nous avons moins affaire ici à une transcription mondaine et littéraire des énoncés philosophiques qu’à une traduction de l’expressivité affective en paraphrase cartésienne. Autant l’humour allégeait la philosophie de sa gravité théorique, autant le regret l’emplit de tout le poids d’une affection frustrée. La lettre réfère à Descartes selon un procédé subtil par lequel la formule philosophique se fait le support humain d’une émotion. Le raisonnement logique est repris dans sa rigueur formelle, mais son but est déplacé pour démontrer une vérité émotionnelle plus que morale :
C’est une grande vérité, ma bonne, que l’incertitude ôte la liberté. Si vous êtiez contrainte, vous seriez toute déterminée. Vous ne seriez point suspendue comme le tombeau de Mahomet ; l’une des pierres d’aimant aurait emporté l’autre. Vous ne seriez plus dragonnée, qui est un état violent. La voix qui vous crie en passant la Durance : « Ah ! ma mère, ah ! ma mère », se ferait entendre dès Grignan, ou celle qui conseille de la quitter ne vous troublerait point à Briare. Ainsi je conclus qu’il n’y a rien qui soit si opposé à la liberté que l’indifférence et l’indétermination. [39]
20Mme de Sévigné transcrit ici les vicissitudes de la relation avec sa fille en langage cartésien et transmet à la déduction logique l’intensité émotionnelle : la transposition est sans doute plus éloquente pour Mme de Grignan ; elle permet d’atteindre son âme et de la mettre en mouvement par l’entremise de son choix rationnel. C’est là l’autre mode de transformation de la citation cartésienne, non plus mise au service d’une narration mais vouée à une analyse psychologique qu’elle remplace, à une expression sensible qu’elle assourdit. L’ambition de l’épistolière est bien de persuader en agréant au choix de Mme de Grignan, en prenant le verbe « agréer » au sens pascalien, c’est-à-dire « montrer qu’un lien existe entre ce que l’on veut persuader et ce que l’interlocuteur considère comme source de son plaisir » [40]. En citant Descartes à l’appui de ses démonstrations d’affection, la marquise allie principe de vérité et principe de plaisir. C’est là l’efficacité paradoxale de la citation cartésienne : en utilisant le code de sa destinataire, même si ce code, théorique, demeure hétérogène au message passionnel, Mme de Sévigné élabore une stratégie rhétorique où le cartésianisme participe à la constitution d’un ethos raisonnable et subtil. C’est pourquoi le vocabulaire cartésien se superpose et se substitue souvent à celui de l’affection pour dire l’état de l’âme sévignéenne ; à propos de Corbinelli, la marquise écrit :
Il n’a pas le don de donner des sentiments, non plus que d’en ôter ; il n’a jamais essayé de détourner le cours des esprits qui courent à vous aimer, non mi toccar ! Il est trop habile pour n’avoir pas connu que c’est une chose impossible. Il est bien loin aussi d’improuver les traces que vous avez faites dans mon cerveau. [41]
21Tout comme le cartésianisme de Mme de Grignan s’est imposé à la marquise, la passion de cette dernière doit s’imposer à sa fille par l’échange subtil produit dans la lettre entre les deux registres. Mme de Sévigné cite Descartes pour dire son chagrin sans le dire, en évitant l’ennui qu’il pourrait causer à sa destinataire. C’est le travail que la citation opère elle-même sur le texte de la lettre : elle allège sa densité passionnelle en retour de l’allégement initial de sa densité philosophique. L’épistolière crée ainsi l’espace intime du demi-mot, de l’allusion polysémique : en disant Descartes, elle dit l’amour mais sans surcharge ni hyperbole ; elle suggère Descartes d’ailleurs plus qu’elle ne le cite et cette atténuation a le pouvoir paradoxal d’insister sur un fond commun qui l’unit à sa fille sans souligner le tragique de la séparation [42]. L’écriture épistolaire fournit donc un travail de neutralisation réciproque des domaines affectif et philosophique pour créer un fond de compréhension immédiate et énoncer une signification sans l’expliciter. La référence à Descartes permet de rendre le non-dit éloquent :
C’est une grande consolation pour moi que de songer à ces bonnes petites joues que je vous ai laissées ; conservez-les moi. En vérité, je n’ose appuyer sur rien, tout me fait mal ; c’est une plaisante chose à une substance qui pense que de n’oser penser. [43]
22Ce discours lyrique que Mme de Sévigné construit à partir des catégories du cartésianisme trouve dans le dualisme de l’âme et du corps un support particulièrement adéquat à dire le chagrin de la séparation. La grande thèse des Méditations métaphysiques fournit ici un motif presque idéal. La rupture qui caractérise l’homme cartésien est reprise dans les lettres pour exprimer la distance de soi à soi qu’implique l’éloignement de sa fille pour la marquise :
Je vous prie de bien remercier Monsieur l’Archevêque de l’honnête et de l’aimable lettre qu’il m’a écrite. Il se souvient de moi ; il en parle. Ah ! que ne peut-on courir à Grignan pour lui témoigner sa reconnaissance, et par occasion vous embrasser, et vous posséder un peu, comme on dit en ce pays ! L’ennuyeuse chose que d’être si peu spirituelle que de ne pouvoir pas faire un pas sans son corps ! Vous m’allez dire que l’esprit fait assez de chemin, et qu’on pense, et que c’est toute la même chose. Oh ! non, ma fille, cela est bien différent, et je ne serai point contente que mon corps et mon âme ensemble n’aient le plaisir de vous voir [44].
23Souligner l’étrangeté de la doctrine cartésienne est encore pour la marquise, au moment même où elle la reprend, une manière de la mettre en relief et de laisser entendre que le cartésianisme n’épuise pas l’expression de l’intensité du chagrin. Le mouvement élégiaque s’épure dans le recours aux références philosophiques qui saturent le passage et maîtrisent l’envolée des exclamations. Nié, le cartésianisme demeure éloquent et joue encore son rôle de médiateur :
Vous avez été très bien reçue à La Garde, et enfin, ma fille, à force de marcher et de vous éloigner de nous, vous êtes à Grignan. Vous nous direz comme vous vous y trouvez et comme cette pauvre substance qui pense, et qui pense si vivement, aura pu conserver sa machine si belle et si délicate dans un bon état pendant qu’elle était si agitée ; vous en faites une différence que votre père n’a point faite. [45]
24À partir de l’énoncé cartésien « substance pensante », Mme de Sévigné forge, par l’ajout de l’adjectif « pauvre » et de l’adverbe « vivement », une formule affective. Mais le démonstratif permet néanmoins d’atténuer ce trait et cela de la même manière que le « démonstratif de distance », dont L. Spitzer analyse chez Racine l’effet de neutralité, supprime la chaleur humaine du possessif qui évoquerait une participation de l’énonciateur tout en conservant une résonance pathétique [46]. Il s’agit aussi, dans les lettres à Mme de Grignan, d’effets de « sourdine » classiques : l’affectivité est mise à distance par la périphrase qui contourne l’appellation directe de la fille aimée ; la désignation explicite du chagrin est déléguée à la référence cartésienne qui lui fournit un travestissement plus mesuré et rigoureux. Certes, l’expression n’est pas toujours aussi modérée et la lettre ne recule pas toujours devant la traduction d’effusions cartésiennes plus manifestes :
Je pleurais amèrement en vous écrivant à Livry, et je pleure encore en voyant de quelle manière tendre vous avez reçu ma lettre, et l’effet qu’elle a fait dans votre cœur. Les petits esprits se sont bien communiqués, et sont passés fidèlement de Livry en Provence. Si vous avez les mêmes sentiments, ma pauvre bonne, toutes les fois que je suis sensiblement touchée de vous, je vous plains, et vous conseille de renoncer à la sympathie. [47]
25Mais, si les esprits animaux font le trajet que les correspondantes ne peuvent accomplir, c’est bien parce que l’outil poétique tiré du cartésianisme se plie à l’expression personnelle des passions de l’âme de la marquise. C’est bien à Descartes que Mme de Sévigné laisse la parole, délègue sa plume, effaçant l’émotion de sa voix derrière l’énonciation philosophique. Charles Le Brun se fonde déjà sur le Traité des Passions de l’âme pour exposer, dans sa conférence à l’Académie royale de peinture et de sculpture de 1668, ses techniques d’expression esthétique des passions : l’épistolière s’appuie de même sur la référence cartésienne pour décrire et transmettre l’effet des émotions sur elle [48]. Le cogito, autre clé de l’anthropologie cartésienne, prélevé avec finesse et souligné à dessein, se trouve lui-même converti à l’expression lyrique la plus sensible par un jeu de mots subtil : « Ainsi, ma bonne, je pense donc je suis ; je pense avec tendresse, donc je vous aime ; je pense uniquement à vous de cette manière, donc je vous aime uniquement » [49]. C’est la logique du raisonnement elle-même qui se trouve détournée à des fins sensibles et qui conduit, par une rigoureuse progression ternaire, à conclure non sur l’unité et l’identité du sujet mais sur l’exclusivité passionnelle de ce sujet. Substance du lien épistolaire entre Mme de Sévigné et sa fille, le cartésianisme fournit enfin très naturellement le métalangage de cette écriture familière ; le vocabulaire cartésien dit autant l’affection qu’il décrit le déroulement de l’écriture destinée à son expression :
Je fais toujours la résolution de me taire, et je ne cesse de parler ; c’est le cours des esprits que je ne puis arrêter. Corbinelli, avec sa philosophie, n’a jamais osé approcher de ceux qui sont en mouvement pour vous aimer ; ce sont des traces qu’il respecte, et qu’il trouve incurables [50].
26Dans ses références à Descartes, l’épistolière dit autant sur ce dont elle parle, le cartésianisme, que sur l’outil qu’elle utilise pour en parler, la citation elle-même, et sur le sujet qui fait ce choix d’écriture. C’est le progrès irrésistible de cette lyrique cartésienne que retracent les lettres de Mme de Sévigné à Mme de Grignan. Cette dernière ne saurait faire table rase de cet échange qui réveille habilement les réminiscences d’autres lectures aimées et accepte de faire le détour par le hors-correspondance avant de pouvoir rejoindre sa destinataire.
27En faisant référence à la physique, à la morale, à la métaphysique cartésiennes, la marquise de Sévigné philosophe-t-elle ? Qu’entend-elle donc par le mot philosophie ? Nous pourrions dire que la philosophie consiste pour elle en cet effort qu’elle consent en suivant Descartes malgré elle, contre l’étrangeté, et pour surmonter l’effort plus grand que réclame l’éloignement :
Je me trouve toujours avec vous, en quelque lieu que je sois, mais comme je ne suis pas philosophe comme M. Descartes, je ne laisse pas de sentir que tout se passe dans mon imagination, et que vous êtes absente. Ne seriez-vous point de cet avis, quoique disciple de ce grand homme ? [51]
28Plié à la lettre, Descartes, à son tour, cède à l’écriture sévignéenne et à sa sensibilité. L’épistolière approfondit une philosophie qu’on entendrait selon le second sens donné par Furetière à ce mot : « cette force d’âme qui l’élève au-dessus du vulgaire, et qui s’acquiert par le raisonnement. Il faut bien de la philosophie pour se consoler de la perte de son honneur, de ses biens, d’une personne qu’on aime ». Mme de Grignan absente, la présence de Descartes dans les lettres de Mme de Sévigné répond à un besoin d’expression particulièrement intense tempéré seulement par l’effort de détachement que fournit l’épistolière, philosophe. Cette présence participe d’une stratégie d’attachement à l’œuvre dans la poétique épistolaire qui cherche à faire du plus étranger le plus familier et du plus théorique le plus pratique. Les références cartésiennes y travaillent donc comme indices du fonctionnement de la plume de Mme de Sévigné et indices de son originalité qui réside dans les procédés de réécriture fine et détournée qu’elle met en place : en citant Descartes, la marquise s’éclaire comme sujet d’écriture. L’intériorisation de la philosophie cartésienne et sa conversion au domaine de l’affectif représentent le plus long trajet que les lettres aient jamais parcouru. De fait, la référence philosophique fonctionne ici selon la « dialectique toute-puissante » qu’A. Compagnon décrit comme le travail de la citation réconciliant disjonction et conjonction [52] : ce travail se superpose alors au dynamisme propre à l’écriture épistolaire qui cherche à unir les absents, les disjoints, et l’accompagne pour renforcer son efficacité. Descartes est une sourdine dynamique posée sur l’élégie épistolaire : l’instrument de la discrétion d’un pathétique trop puissant pour ne pas alourdir la marche de la lettre ; l’outil par lequel la lyrique se déguise en murmure souriant et s’arrête sur un point d’orgue dont la valeur expressive, profitant de la tension émotive de l’épistolière, suspend la littéralité de la lettre pour faire entendre les mouvements de l’âme maternelle.
Notes
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[1]
Voir Ch. Adam, « Descartes et sa correspondance féminine », Revue internationale de l’enseignement, 15-1-1937, p. 5-16.
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[2]
Lettre de Descartes à Brasset, 23 avril 1649, éd. F. Alquié, Paris, Classiques Garnier, 1998, t. III, p. 917.
-
[3]
Sur la diffusion du cartésianisme dans les milieux mondains, voir L. Timmermans, L’Accès des femmes à la culture (1598-1715), Paris, Champion, 1993, p. 123 sq. ; sur le rôle du cartésianisme dans le développement de la littérature, voir également A. Adam, Histoire de la littérature française du XVIIe siècle, Paris, A. Michel, 1997, t. II, p. 424-430 : « Aux environs de 1660 apparaissent en effet les premiers signes d’une large diffusion du cartésianisme. Il existe désormais un véritable parti cartésien ». Cf. aussi J. Orcibal, « Descartes et sa philosophie jugés à l’Hôtel de Liancourt, 1669-1674 », dans Descartes et le cartésianisme hollandais, Paris, Amsterdam, 1950, p. 87-107.
-
[4]
Voir la lettre du 10 avril 1671 et celle du 12 octobre 1678 : « Les jésuites sont plus puissants et plus enragés que jamais. Ils ont fait défendre aux pères de l’Oratoire d’enseigner la philosophie de Descartes, et par conséquent au sang de circuler. Ils ont encore remis sur pied les cinq propositions. Il a fallu promettre et désavouer ce qu’ils ont voulu ; les lettres de cachet dont on est menacé sont de puissants arguments pour persuader leur doctrine. Dieu jugera de toutes ces questions à la vallée de Josaphat ; en attendant, vivons avec les vivants », respectivement t. I, p. 217 et t. II, p. 633, Correspondance, éd. R. Duchêne, Paris, Gallimard, « Bibl. de la Pléiade », 1972. Toutes nos références aux écrits de Mme de Sévigné et de ses familiers renverront à cette édition.
-
[5]
On trouve ainsi des travaux sur le corpus cornélien et l’utilisation des dramaturges dans les lettres : J. Morel, « Vive donc notre vieil ami Corneille », Madame de Sévigné (1626-1696). Provence, spectacles, lanternes, Colloque international du Tricentenaire de la mort de Mme de Sévigné, Grignan, AACCdd, 1998, p. 161-163 ; D. Olivares, « Mme de Sévigné : critique dramatique ? », ibid., p. 165-176 ; M. Gérard, « Molière dans la correspondance de Mme de Sévigné », RHLF, 1973, p. 608. On montre en général un intérêt assez circonstanciel pour les origines de la formation cartésienne de Mme de Grignan sous l’influence de Corbinelli et de l’Abbé de la Mousse ; voir sur ce point E. Avigdor, Mme de Sévigné. Un portrait intellectuel et moral, Paris, Nizet, 1974, p. 125 et p. 128-129 : Mme de Sévigné n’oserait pas approcher directement l’œuvre de Descartes mais se contenterait d’exposés sur la doctrine cartésienne et de la lecture des Conversations chrétiennes de Malebranche ; D. Plaisance, « Un ami des Grignan en Provence : Jean Corbinelli », Mme de Sévigné (1626-1696). Provence, spectacles, lanternes, op. cit., p. 143 et M. Gérard, « Mme de Sévigné et le souvenir de Pascal », Le Rayonnement de Port-Royal, Mélanges en l’honneur de Ph. Sellier, Paris, Champion, 2001, p. 449-462, p. 459. Voir également F. Bouiller, Histoire de la philosophie cartésienne, Delagrave, 1868, t. I, p. 438 : Mme de Sévigné « n’est pas cartésienne pour son propre compte, mais plutôt pour celui de sa fille qu’elle veut pouvoir entretenir de tout ». J. Deprun a consacré un article à la présence du cartésianisme chez la marquise : « Mme de Sévigné et les controverses postcartésiennes : des “Animaux-Machines” aux “Âmes vertes” », dans Mme de Sévigné. Molière et la médecine de son temps, actes du 3e colloque de Marseille, Marseille, no 95 (1973), p. 43-52.
-
[6]
Qui compte parmi les ouvrages que la marquise dit bien avoir lu, voir la lettre du 21 août 1676, t. II, p. 375.
-
[7]
18 octobre 1687, t. III, p. 328.
-
[8]
12 juin 1680, t. II, p. 971.
-
[9]
6 septembre 1671, t. I, p. 337.
-
[10]
Descartes crée le divertissement pour les cartésiens eux-mêmes : « Voilà de quoi combattre les ennuis de la province », ajoute Corbinelli.
-
[11]
15 septembre 1580, t. III, p. 13.
-
[12]
30 mars 1672, t. I, p. 464.
-
[13]
G. Genette définit le pastiche comme l’imitation d’un style dépourvue de fonction satirique, plutôt ludique ou ironique ; voir Palimpsestes, La littérature au second degré, Paris, Seuil, 1982, notamment p. 40 sq. et p. 128 sq.
-
[14]
20 mars 1680, t. II, p. 879.
-
[15]
R. Duchêne écrit à ce propos : « Le langage même n’est pas celui de la plus large communication possible ; il inclut presque toujours une sorte de jargon qui renvoie à l’expérience commune aux seuls correspondants ou à ceux de leur milieu », Écrire au temps de Mme de Sévigné : Lettres et texte littéraire, Paris, Vrin, 1981, « Du destinataire au public, ou les métamorphoses d’une correspondance privée » (p. 29-46), p. 34.
-
[16]
18 mai 1677, t. II, p. 457.
-
[17]
30 juin 1677, t. II, p. 479.
-
[18]
23 octobre 1676, t. II, 432. Les lettres poursuivent sur le même registre de façon périodique et régulière, comme si un thème cartésien, ici celui des couleurs, bénéficiait d’une faveur mondaine particulière durant le temps d’une mode : « J’ai fort causé avec Corbinelli. Il est charmé du Cardinal ; il n’a jamais vu une âme de cette couleur » (7 juillet 1677, t. II, p. 483) ; « Si ce discours ne vient d’une âme verte, c’est du moins d’une tête verte ; c’est tout de même, et la couleur de la quadrille est sans contestation » (19 juillet 1677, t. II, p. 493).
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[19]
26 août 1676, t. II, p. 380.
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[20]
8 juillet 1676, t. II, p. 339.
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[21]
24 janvier 1689, t. III, p. 483 : « Mais hélas ! mon enfant, vous n’avez pas le temps de faire aucun usage de la beauté et de l’étendue de votre esprit ; vous ne vous servez que du bon et du solide. Cela est fort bien, mais c’est dommage que tout ne soit pas employé. Je trouve que M. Descartes y perd beaucoup ».
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[22]
26 août 1676, t. II, p. 378.
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[23]
9 mai 1680, t. II, p. 922.
-
[24]
Lettre de Corbinelli à Bussy-Rabutin, 15 juillet 1673, t. I, p. 586-587.
-
[25]
Nous reprenons cette expression et sa définition à l’ouvrage d’A. Compagnon, La Seconde Main ou le travail de la citation, Paris, Seuil, 1979, p. 9 : « Le travail de la citation, l’appropriation ou la reprise, c’est-à-dire le produit de la force qui saisit la citation par le déplacement qu’elle lui fait subir » ; l’auteur définit également la citation comme « dynamis » et « pouvoir mobilisateur » (p. 44-45).
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[26]
14 octobre 1678, t. II, p. 635.
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[27]
Ibid., p. 636, la réponse de Mme de Grignan dit : « Je vois bien qu’elle me croit fort engagée dans la secte de M. Descartes, à qui vous donnez l’honneur de ma perte. Je ne veux pourtant point encore l’abjurer ; il arrive des révolutions dans toutes les opinions et j’espère que les siennes triompheront un jour et couronneront ma persévérance » ; Mme de Grignan, dans une lettre à Coulanges, le 17 décembre 1690, use encore du même vocabulaire : « Ne vous chargez point de celle [affaire] d’apporter un chien à Pauline ; nous ne voulons aimer ici que des créatures raisonnables, et de la secte dont nous sommes, nous ne voulons pas nous embarrasser de ces sortes de machines » (t. III, p. 955).
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[28]
R. Duchêne souligne les difficultés rencontrées par la correspondance pour s’établir sereinement entre la mère et la fille aux sensibilités différentes et sur la « délicate conciliation » qui la soutient, voir Mme de Sévigné et la lettre d’amour, Paris, Klincksieck, 1992, p. 205 sq. Sur la référence culturelle comme instrument de cette conciliation, voir I. Landy-Houillon, « Mme de Sévigné : “Dire en chantant” », dans Correspondances. Mélanges offerts à Roger Duchêne, textes réunis par W. Leiner et P. Ronzeaud, Gunter Narr Verlag, Tübingen / Publications de l’Université de Provence, Aix-en-Provence, 1992 : « La culture de Mme de Sévigné, vaste comme l’on sait, se voit évoquée pour concourir à l’ “égaiement” de la lettre. Si traditionnellement les citations sont reconnues comme source d’embellissement du discours, il va de soi que la lettre familière écarte résolument tout ce qui risquerait de sentir l’érudition ou l’humanisme de collège : chez Mme de Sévigné les emprunts constituent des “rappels” mondains, contemporains, familiers, voire familiaux [...] » (p. 405).
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[29]
Op. cit., p. 23.
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[30]
30 juin 1680, t. II, p. 993-994.
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[31]
2 août 1689, t. III, p. 659. Voir également, 9 juin 1680, t. II, p. 966 : « Si j’avais quelqu’un pour m’aider à philosopher, je pense que je deviendrais une de vos écolières [...] ».
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[32]
1er juin 1676, t. II, p. 307.
-
[33]
14 juillet 1680, t. II, p. 1011.
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[34]
18 mai 1689, t. III, p. 600-601.
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[35]
4 septembre 1680, t. II, p. 1067.
-
[36]
16 février 1689, t. III, p. 504-505.
-
[37]
13 juin 1679, t. II, p. 652.
-
[38]
3 juillet 1680, t. II, p. 998.
-
[39]
4 novembre 1676, t. II, p. 437-438.
-
[40]
J. Mesnard, Les Pensées de Pascal, Paris, Sedes, 1993, p. 98.
-
[41]
25 août 1680, t. II, p. 1057.
-
[42]
R. Duchêne insiste sur la « retenue » épistolaire dans l’expression d’un amour excessif et écrit notamment que « la profondeur et la beauté des lettres à Mme de Grignan viennent de ce qu’elles refusent l’amplification rhétorique et que l’art y exprime la passion contenue », Mme de Sévigné et la lettre d’amour, op. cit., p. 243.
-
[43]
13 septembre 1684, t. III, p. 135.
-
[44]
14 août 1680, t. II, p. 1047.
-
[45]
25 octobre 1688, t. III, p. 377.
-
[46]
Études de style, « L’effet de sourdine dans le style classique : Racine », Paris, Gallimard, 1970, pour la traduction française, p. 208-335.
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[47]
15 avril 1671, t. I, p. 221.
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[48]
Voir R. Bray pour qui « Les instruments du travail épistolaire deviennent [...] proprement les instruments d’une passion » et selon lequel les lettres manifestent une « intention profondément artistique » (« Quelques aspects du style épistolaire de Mme de Sévigné », RHLF, 1969, nos 3-4, p. 491-505, respectivement p. 498-499 et 505).
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[49]
11 mai 1680, t. II, p. 924.
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[50]
4 août 1680, t. II, p. 1036-1037.
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[51]
15 novembre 1688, t. III, p. 396-397.
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[52]
Op. cit., p. 29.