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Article de revue

Peut-on parler de tragédie « galante » (1656-1667) ?

Pages 469 à 484

Notes

  • [1]
    La Querelle autour de l’Andromaque de Racine, sur laquelle nous reviendrons dans cet article, constitue un des épisodes de ce conflit entre les Anciens et les Modernes qui couve durant tout le siècle et qui éclôt dans le fameux Parallèle de Charles Perrault.
  • [2]
    Delphine Denis, Le Parnasse galant. Institution d’une catégorie littéraire au XVIIe siècle, Paris, Champion, 2001, p. 11. Rappelons les travaux d’Alain Viala qui ont stimulé la réflexion dans ce domaine. Pour les références, se rapporter à la bibliographie de l’ouvrage mentionné (p. 365 et p. 372-373).
  • [3]
    Problème que pose l’ouvrage de Delphine Denis (ibid.).
  • [4]
    Patrick Dandrey, « Les deux esthétiques du classicisme français », Littératures classiques, 19, 1993, p. 145-170.
  • [5]
    Interdiscours plutôt qu’intertextualité, étant donné qu’il s’agit d’appréhender une mixité générique et non seulement l’écho d’un texte dans un autre.
  • [6]
    Réflexion suscitée par le séminaire de Georges Forestier consacré aux minores (année académique 1999-2000).
  • [7]
    Delphine Denis, Le Parnasse galant, op. cit., p. 234.
  • [8]
    Encore que cette distinction soit discutable et la frontière entre les deux domaines poreuse ; voir à ce sujet le récent article de Christian Biet : « L’avenir des illusions, ou le théâtre et l’illusion perdue », Littératures classiques, 44, 2002, p. 175-214.
  • [9]
    Ce qui n’était pas du goût de tous les dramaturges. Voir à ce propos Les Précieuses ridicules : Molière, Œuvres complètes, I, éd. Georges Couton, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1971, p. 278.
  • [10]
    Ce que met en scène Molière dans La Critique de l’École des femmes en prenant soin de mêler à la discussion un dramaturge.
  • [11]
    Sur ce concept voir Dominique Maingueneau, Le Contexte de l’œuvre littéraire, Paris, Dunod, 1993, p. 121-123.
  • [12]
    Delphine Denis, Le Parnasse galant, op. cit., p. 263 pour les jeux poétiques par exemple.
  • [13]
    Texte publié dans l’édition de la Pléiade éditée par Georges Forestier (Jean Racine, Œuvres complètes, Théâtre-Poésie, Paris, Gallimard, 1999, p. 280).
  • [14]
    La Tragédie, Paris, Armand Colin, 1997, p. 44-45.
  • [15]
    La Tragédie de l’âge classique – 1553-1770, Paris, Éditions du Seuil, 1994, p. 136.
  • [16]
    La Poétique de la tragédie classique, Paris, SEDES, 1997, p. 50-51.
  • [17]
    Loc. cit.
  • [18]
    Le Parnasse galant, op. cit.
  • [19]
    Sur le rapport de la scénographie avec une deixis fondatrice, se rapporter à l’ouvrage de Dominique Maingueneau intitulé Nouvelles tendances en analyse du discours, Paris, Hachette, 1987, p. 29.
  • [20]
    Cf. le passage de La Folle Querelle de Subligny cité supra.
  • [21]
    Le Parnasse galant, op. cit., p. 306.
  • [22]
    Pierre Corneille, Œuvres complètes, II, éd. Georges Couton, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1984, p. 461.
  • [23]
    Par exemple : Christian Biet, Œdipe en monarchie ; tragédie et théorie juridique à l’âge classique, Paris, Klincksieck, 1994, p. 211-212 ; Georges Forestier, Essai de génétique théâtrale ; Corneille à l’œuvre, Paris, Klincksieck, 1996, p. 332-344 ; Marc Escola et Bénédicte Louvat, « Le Statut de l’épisode dans la tragédie classique : Œdipe de Corneille ou le complexe de Dircé », XVIIe siècle, 200, 1998, p. 453-470.
  • [24]
    Jean Racine, Œuvres complètes, Théâtre-Poésie, op. cit., p. 195.
  • [25]
    La Muse galante : poétique de la conversation dans l’œuvre de Madeleine de Scudéry, Paris, H. Champion, 1997.
  • [26]
    Ibid., p. 76-77.
  • [27]
    Ce qui n’exclut pas les trilogues par exemple. Voir le chapitre d’Anne Ubersfeld consacré aux « Formes de l’échange » : Lire le théâtre III, Le Dialogue de théâtre, Paris, Belin, 1996, p. 21-42.
  • [28]
    Nous ne revenons pas ici sur la question de savoir si les actes illocutoires accomplis sur scène sont feints. Nous avons traité de cette question dans un précédent article auquel nous renvoyons : « L’illusion dans l’énonciation comique (Corneille, Marivaux) », Littératures classiques, 44, 2002, p. 98-99. Dans le cadre de la fiction représentée, les actes sont bien accomplis. Sans cela, il n’y aurait pas d’intrigue.
  • [29]
    [Première édition : 1657] ; Genève, Slatkine Reprints, 1996, p. 228.
  • [30]
    Avec l’ambiguïté du terme de « passion » chez d’Aubignac, lequel s’applique aussi bien aux passions des personnages qu’aux émotions produites chez le spectateur.
  • [31]
    Sur cette question, se rapporter à l’ouvrage de Delphine Denis : Le Parnasse galant, p. 252.
  • [32]
    La Pratique du théâtre, op. cit., p. 328-329.
  • [33]
    Dans Comédie et tragédie, Nice, Publications de la Faculté des Lettres, Arts et Sciences humaines de Nice, 1998, p. 33. L’incompatibilité du « plaisir tragique » avec le « plaisir » mondain est thématisée durant la décennie qui nous occupe dans le discours poétique en creux entre Gélaste et Ariste dans Les Amours de Psyché de La Fontaine, éd. Michel Jeanneret, Paris, « Le Livre de Poche », 1991, p. 126.
  • [34]
    Procédé du « baptême galant » qui constitue un des traits caractéristiques du discours galant. Voir le chapitre consacré à ce problème par Delphine Denis : Le Parnasse galant. Institution d’une catégorie littéraire au XVIIe siècle, op. cit., p. 189-235.
  • [35]
    Ibid., p. 203.
  • [36]
    Voir le Don Sanche d’Aragon (1649-1650) dont le Dom Garcie de Navarre de Molière est un écho en 1661. Le déclin de la tragi-comédie est vraiment notoire à partir de 1660 (Roger Guichemerre, La Tragi-comédie, Paris, PUF, 1981, p. 41).
  • [37]
    C’est le dramaturge le plus fécond du genre durant cette période ; il donne huit tragi-comédies de 1654 à 1662 (ibid., p. 43).
  • [38]
    Nous utilisons comme édition de référence celle de la Bibliothèque de la Pléiade : Théâtre du XVIIe siècle, Paris, Gallimard, 1986, t. II, p. 967-1037.
  • [39]
    Voir Anne Ubersfeld, Lire le théâtre III, Le Dialogue de théâtre, op. cit., p. 40.
  • [40]
    Sur ce point, voir notre article : « L’illusion dans l’énonciation comique (Corneille, Marivaux) », art. cité, p. 104. Se rapporter également à l’ouvrage de Nathalie Fournier : L’Aparté dans le théâtre français du XVIIe siècle au XXe siècle : étude linguistique et dramaturgique, Louvain-Paris, Éditions Peeters, 1991.
  • [41]
    Cf. notre article : ibid., p. 107-113.
  • [42]
    Comme ce serait le cas dans une tragédie où l’on aurait affaire à des complots.
  • [43]
    Ou alors, pour donner une dimension politique à cette tragi-comédie (dont le sujet est historique, mais le traitement romanesque), il faudrait souligner l’extrême habileté de Quinault qui mettrait en scène en Theudion une figure allégorique de Mazarin à qui il dédicace la pièce. Le dénouement flatterait les vœux d’un cardinal pensant élever sa nièce jusqu’au rang de reine... (hypothèse évoquée par Étienne Gros dans son ouvrage Philippe Quinault. Sa vie et son œuvre, Genève, Slatkine Reprints, 1970 [1re éd. 1926], p. 45). Cependant, les rôles sont inversés dans la pièce de Quinault ; c’est un homme qui est élevé au rang de roi, ce qui est impensable politiquement, puisque cela romprait la loi de primogéniture masculine, mais parfaitement en accord avec la rhétorique galante.
  • [44]
    Discours « féminisé » comme nous l’avons dit supra en nous référant à l’étude de Delphine Denis.
  • [45]
    Sur la question de la « veuve » en particulier, nous renvoyons à notre article : « La “veuve captive” dans la tragédie classique », Revue d’histoire littéraire de la France, 2/2001, p. 213-226.
  • [46]
    Jean Racine, Œuvres complètes, Théâtre-Poésie, op. cit., p. 197.
  • [47]
    Andromaque est présente dans la première version ; voir l’édition de Georges Forestier : Jean Racine, Œuvres complètes, Théâtre-Poésie, op. cit.
  • [48]
    Sur cette question, se rapporter à la comparaison de Jean Émelina : « Racine et Quinault : de Bellérophon à Phèdre », dans Comédie et tragédie, op. cit., p. 284-285 en particulier. Comme il le dit dans cet article, il ne s’agit pas de savoir ce que Racine a repris de Quinault (on pourrait d’ailleurs remonter à Tristan l’Hermite dont Quinault a été le valet), mais de voir comment Racine a dépassé ses contemporains et, dans la perspective particulière de cet article, comment il a fait éclater le modèle galant en redonnant à la tragédie ses lettres de noblesse.
  • [49]
    Dans le cadre de cet article, nous ne parlons pas de Thomas Corneille. Nous renvoyons toutefois à notre article consacré à la veuve où nous avons évoqué le problème à propos de Timocrate en comparaison avec Rodogune et Andromaque : « La “veuve captive”... », art. cité.
  • [50]
    Christian Biet, La Tragédie, op. cit., p. 174.
  • [51]
    Philippe Quinault. Sa vie et son œuvre, op. cit., p. 388.
  • [52]
    Seules les tragédies de Racine entrent, au prix d’ailleurs d’une adaptation, dans cette vision-là peu compatible avec la « tragédie » du Grand Siècle : Dominique Bertrand, Lire le théâtre classique, Paris, Dunod, 1999, p. 105-106.
  • [53]
    Exclusion causée également par la réussite de Quinault dans le nouveau genre de l’opéra.
  • [54]
    Nous renvoyons à la notice sur Alexandre de Georges Forestier qui traite également de cette question : Jean Racine, Œuvres complètes, Théâtre-Poésie, op. cit., p. 1289-1293.
  • [55]
    Voir sur cette question la notice dans l’édition de la Pléiade : Théâtre du XVIIe siècle, op. cit., t. II, p. 1552.
  • [56]
    Sur ce point, bien qu’avec d’autres critères, nous rejoignons Étienne Gros (Philippe Quinault. Sa vie et son œuvre, op. cit., p. 389).
  • [57]
    Jean-Michel Pelous, Amour précieux, amour galant (1654-1675). Essai sur la représentation de l’amour dans la littérature et la société mondaines, Paris, Klincksieck, 1980, p. 118. En outre, il s’agit plus largement des « décennies héroïques » (1640-1650) dont Corneille s’est fait en partie l’écho (cf. La Mort de Pompée par exemple).
  • [58]
    L’ethos galant se définit en partie par l’usage du masque, ce qui convient à la tragi-comédie. Si le masque colle à la peau du personnage – si celui-ci est généreux – le nouvel ethos qui en résulte peut convenir à la hauteur de la tragédie.
  • [59]
    Voir sur ce point la notice de Georges Forestier : Jean Racine, Œuvres complètes, Théâtre-Poésie, op. cit., p. 1291.
  • [60]
    Ibid., p. 1192.
  • [61]
    Nous avons insisté à plusieurs reprises sur cette opposition entre conversation et dialogue, et sur la nécessaire adaptation du modèle conversationnel galant dans le cadre d’un discours d’action, comme l’est le dialogue de théâtre. Cette question revient en filigrane selon une perspective poétique dans la thèse de Jean-Yves Vialleton : Poésie dramatique et prose du monde. Étude des formes et règles de comportement dans la tragédie en France des premières tragédies de Corneille et de Rotrou aux dernières tragédies de Quinault et de Boyer (1634-1697), trois volumes, thèse de doctorat, sous la direction de Georges Forestier, Bibliothèque des thèses de Paris IV, BUT 4951.
  • [62]
    Il représente allégoriquement le roi auquel les plus grands héros et même les amantes sont soumis.
  • [63]
    Étienne Gros, Philippe Quinault. Sa vie et son œuvre, op. cit., p. 76.
  • [64]
    Jean Racine, Œuvres complètes, Théâtre-Poésie, op. cit., p. 1283.
  • [65]
    Étienne Gros, op. cit., p. 512.
  • [66]
    Le roi a lui-même fait ce choix intérieur lorsqu’il a épousé Marie-Thérèse d’Autriche alors qu’il avait de l’inclination pour la nièce du cardinal. Voir l’épisode sous forme romanesque dans le récit d’Alexandre Dumas : Le Vicomte de Bragelonne, I, Paris, Robert Laffont, 1991, p. 90.
  • [67]
    Pièce qui rappelle explicitement Cinna. Voir notamment le rôle d’Auguste.
  • [68]
    Pierre Corneille, Œuvres complètes, I, éd. Georges Couton, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1980, p. LXII.
  • [69]
    Étienne Gros, op. cit., p. 84, n. 2.
  • [70]
    Jean Racine, Œuvres complètes, Théâtre-Poésie, op. cit., p. LXXV.
  • [71]
    Rappelons les attaques de Boileau contre l’Astrate de Quinault et son soutien à l’Alexandre de Racine (ibid., p. 1283).
  • [72]
    Hélène Merlin-Kajman, L’Absolutisme dans les lettres et la théorie des deux corps. Passions et politique, Paris, Honoré Champion, 2000, p. 81-82.
  • [73]
    Nous devons cette idée aux conférences données au Collège de France par Michel Jeanneret en juin 2001, dont nous attendons l’ouvrage traitant de cette question.
English version

1La décennie qui s’étend du fameux Timocrate de Thomas Corneille (1656) au succès presque aussi éclatant de l’Andromaque (1667) de Racine constitue un moment de transition dans l’histoire de la tragédie. La pièce du plus jeune des Corneille relance un genre qui n’était plus à l’affiche depuis cinq ans, tandis que celle de Racine provoque une Querelle qui rappelle celle du Cid, tant par la résonance qu’elle eut que par son enjeu. On a l’impression d’assister pour la seconde fois à un conflit entre deux conceptions de la dramaturgie ; d’un côté, les partisans de la tragédie historique – ceux que l’on range sous l’étiquette rétrospective de « classiques » –, de l’autre, ceux qui revendiquent l’adaptation de la dramaturgie au goût du public et que l’on pourrait, pour simplifier, nommer les modernes [1]. Or, c’est durant ces années que la catégorie endogène – et non rétrospective –, de « littérature galante » acquiert sa pleine visibilité [2]. La galanterie est l’expression d’une esthétique moderne qui se réclame avant tout de l’adaptation au goût du public. Cette double constatation sur l’évolution de la tragédie au milieu du siècle et l’émergence d’une littérature galante nous invite à réfléchir dans plusieurs directions.

2Y a-t-il eu à ce moment-là un genre que l’on pourrait nommer la « tragédie galante » ? Cette interrogation qui pourrait sembler oiseuse et n’être qu’une question de terminologie recouvre un problème de fond. En effet, s’il s’agit d’étiquettes, il convient de distinguer entre celles qui appartiennent à l’histoire littéraire qu’on tente de reconstituer et celles que les historiens de la littérature ont projetées rétrospectivement – comme « classique » ou « baroque » – sur une période en fonction de critères exogènes [3]. Plus encore, à cette question méthodologique s’ajoute un enjeu qui concerne l’objet même de l’étude, à savoir le genre de la tragédie classique, lequel pourrait bien connaître le même éclatement que la notion de « classicisme », dont on a décrit en cette période suspicieuse sur les catégories instituées le relativisme [4]. Ce dualisme esthétique qui parcourt le Grand Siècle, on peut tenter de le cerner sur notre décennie et l’analyser dans une perspective générique : n’y aurait-il pas à ce moment-là deux formes de tragédie, la tragédie « classique » que réinvente Racine et la tragédie « galante » dont un des plus célèbres auteurs serait Quinault ? Il ne s’agit peut-être pas d’une alternative ; le phénomène réclame plutôt une approche qui serait de l’ordre de l’interdiscours [5]. Penser les choses en ces termes permettrait de comprendre comment les deux frères Corneille ont pu vivre si près l’un de l’autre – on voit mal comment ils n’auraient pas eu d’échanges sur leur conception dramaturgique – et produire des œuvres que l’on voudrait classer séparément [6]. Enfin, la réflexion suppose qu’on articule le genre à la société, ne serait-ce que parce que les « figurations galantes [...] mettent en scène les divers acteurs du discours galant, dans leur activité sociale comme dans leur pratique littéraire, celle-ci ne se laissant pas couper de celle-là » [7]. Toutefois, dans les diverses « figurations galantes », on ne trouve pas le théâtre. Il y a là une objection dont on ne peut faire l’économie : l’auteur tragique est absent de son œuvre et le théâtre n’est pas un lieu social réel [8], de sorte que l’articulation que l’on voudrait établir entre forme littéraire et pratique sociale est difficilement applicable. L’obstacle n’est pas si grand qu’il y paraît à première vue. Les dramaturges avaient l’habitude de lire leurs pièces dans les salons ; ces coulisses théâtrales étaient même un objet de la conversation dans les salons où l’on se piquait de composer des comédies [9] et de juger des pièces [10].

3La nomenclature offre un autre point de résistance. La catégorie de « tragédie galante » ne se trouve pas sous la plume de ceux qui instituent la catégorie littéraire de la galanterie. Ce serait, d’une certaine manière, une contradiction dans les termes. La scénographie [11] galante paraît impliquer des genres non sérieux, dans lesquels la littérature est présentée comme un jeu [12]. Pourtant, d’un autre côté, on n’hésite pas à juger les tragédies à l’aune de la galanterie. Dans la neuvième scène du deuxième acte de La Folle Querelle ou la critique d’Andromaque de Subligny, on se demande si Pyrrhus avait lu la Clélie [13].

4Le genre de « tragédie galante » n’est guère plus affermi dans la critique contemporaine. Lorsqu’il fait le panorama des diverses formes qu’a prises la tragédie au XVIIe siècle, Christian Biet évoque les tragédies de collèges, la pastorale dramatique, la tragi-comédie, et la tragédie à machines [14]. Christian Delmas, en parlant de Thomas Corneille, prend la précaution de mettre des guillemets au qualificatif : « il illustre la tragédie “galante” » [15].

5Bénédicte Louvat n’utilise pas les guillemets et parle franchement de tragédie galante pour décrire l’infléchissement du genre de plus en plus soumis aux exigences d’un public acquis aux sentiments tendres à partir du milieu du siècle [16]. Son analyse met toutefois l’accent sur la déviance générique que l’esthétique galante apporte à la tragédie ; elle rappelle que plusieurs commentateurs de l’époque voyaient là une dramaturgie proche de la tragi-comédie et qu’ils regrettaient ce « détournement » d’un genre sérieux qui devait plaire pour instruire et non seulement plaire pour plaire. Bénédicte Louvat cite un commentaire du P. Rapin tiré de ses Réflexions sur la poétique de ce temps (1674) que nous reprenons parce qu’il présente un double intérêt dans notre perspective :

La galanterie est davantage selon nos mœurs et nos poètes ont cru ne pouvoir plaire sur le théâtre que par des sentiments doux et tendres ; en quoi ils ont peut-être eu quelque sorte de raison. Car en effet les passions qu’on représente deviennent fades et de nul goût si elles ne sont fondées sur des sentiments conformes à ceux du spectateur. C’est ce qui oblige nos poètes à privilégier si fort la galanterie sur le théâtre, et à tourner tous leurs sujets sur des tendresses outrées, pour plaire davantage aux femmes, qui se sont érigées en arbitres de ces divertissements, et qui ont usurpé le droit d’en décider. [17]

6Si nous ne trouvons pas l’appellation « tragédie galante » chez les critiques du XVIIe siècle, la catégorie de galanterie intervient dans le cadre d’une réflexion poétique sur la tragédie ; certes, comme critère polémique, mais, il n’en demeure pas moins qu’on admet implicitement que quelque chose de nouveau existe. Cela corrobore évidemment la thèse de Delphine Denis [18], à savoir qu’à partir des années 1670 la légitimation de la catégorie est acquise, cela pose le problème de la survivance d’une scénographie littéraire battue en brèche, celle qui se légitimait dans la deixis fondatrice des Anciens [19]. On comprend dès lors les références continuelles de Racine aux Anciens, lui qui, en guise de préface à Andromaque et en réponse à ceux qui lui avaient reproché la brutalité de Pyrrhus [20] cite des vers de l’Énéide. Second point que nous retenons de la remarque du P. Rapin, la tragédie est devenue galante sous l’influence d’une nouvelle instance de légitimation, les femmes. Ce point est capital ; le contrat littéraire galant est féminin. Delphine Denis présente cette féminisation du contrat littéraire comme un refuge symbolique pour un milieu qui a perdu toute autre forme d’expression dans un règne qui s’est engagé vers l’absolutisme [21].

7Il y aurait donc d’un côté la tragédie galante exprimant les frustrations de héros dont l’héroïsme est érotisé, parce que la monarchie n’a plus besoin d’eux, et, de l’autre, la tragédie classique mettant en scène des héros « attachés à son char [celui du Roi] » comme le proclame Corneille dans le Prologue programmatique de son Andromède [22]. Opposition séduisante qui entraîne deux conséquences auxquelles nous souscrivons volontiers. La première d’entre elles est qu’il faut regrouper sous l’étiquette de « tragédie classique » les pièces de Corneille et Racine, ce qui laisse un vide chronologique entre 1651 (Pertharite) et 1659 (Œdipe). C’est dans ce silence tragique que naît le genre de la « tragédie galante ». Deuxième constat, cette décennie de silence ne coïncide pas exactement avec la décennie de la tragédie galante telle que nous l’avons posée. Il y a chevauchement, interdiscours, mixité générique. Nous ne nous arrêterons pas sur Œdipe, car le sujet a été souvent traité [23] ; mais, nous reviendrons sur Andromaque. On a vu comment Racine recourait à la scénographie fondatrice des Anciens ; on relèvera ici, par contraste, que la pièce est dédicacée à Madame, la belle-sœur du Roi. Pour la première fois, Racine s’autorise d’une femme ; peu importe le statut de la dédicace, le fait est que Racine joue le jeu de la scénographie galante :

On savait que Votre Altesse Royale avait daigné prendre soin de la conduite de ma Tragédie. On savait que vous m’aviez prêté quelques-unes de vos lumières, pour y ajouter de nouveaux ornements. On savait enfin que vous l’aviez honorée de quelques larmes, dès la première lecture que je vous en fis. [je souligne] [24]

8La composition aussi bien que la versification sont commandées par la réception, en particulier par l’effet perlocutoire de la dramaturgie sur la sensibilité féminine.

9Au-delà de la question du nom, le genre de la « tragédie galante » semble joindre deux notions antithétiques. Du point de vue de l’énonciation d’abord, la galanterie privilégie le modèle de la conversation ; or, comme l’a défini Delphine Denis dans son ouvrage consacré à Madeleine de Scudéry [25], la conversation galante est avant tout un jeu, dans lequel les interlocuteurs tiennent un rôle dont la définition même peut faire partie de la situation de communication qu’on met en place. La finalité de la conversation est le plaisir [26], la sincérité des locuteurs n’est pas engagée. Telle n’est pas la situation de communication dans laquelle se tiennent les personnages de théâtre. L’interaction topique a lieu sous forme de dialogue, les monologues étant évités dans la dramaturgie classique ; contrairement à la conversation mondaine qui requiert une pluralité de participants, le dialogue de théâtre met le plus souvent face à face deux locuteurs [27]. Plus que le nombre des intervenants, c’est la finalité de l’échange qui diffère. Nous considérons pour l’instant la communication interne ; le théâtre met en scène une action par la parole, ce qui présuppose une dimension fonctionnelle de la prise de parole [28]. Le caractère pragmatique de la parole théâtrale est mis en relief par d’Aubignac déjà ; on trouve dans sa Pratique du théâtre l’expression significative d’ « entretiens pathétiques » [29]. Par là, d’Aubignac met en relief la fonction des passions [30] dans le dialogue de théâtre. Or, la conversation mondaine suppose précisément que l’on oublie les passions et les affaires [31].

10Sans passions et sans intérêt d’État, on ne saurait écrire un dialogue de théâtre. L’opposition entre le théâtre – en particulier la tragédie – et la galanterie va donc bien au-delà de la forme des échanges ; elle est également d’ordre thématique, ou, selon d’Aubignac, moral :

Et pour les instructions morales le poëte ne doit pas aller jusqu’aux pratiques severes de la vie chrestienne, il se doit contenter d’une morale raisonnable et vertueuse, en se renfermant dans une belle et genereuse philosophie. Mais qu’il prenne garde de n’y pas mesler les galanteries du siecle, et de ne faire paroistre des passions humaines qui donnent de mauvaises Idees aux spectateurs, et qui les portent à des pensées vicieuses ; [...] [32]

11Certes, le théoricien traite dans ce passage des sujets sacrés, mais ce qu’il dit s’applique à toute tragédie dont l’effet moral sur le spectateur ne saurait être négligé. L’enjeu réside cette fois-ci sur les passions induites sur les spectateurs et concerne la communication externe. Or, sur ce plan de la communication également, tout semble opposer la tragédie et la mondanité. Dans un intéressant article, où il s’interroge sur le « plaisir tragique », Jean Émelina, qui s’efforce d’articuler la poétique à la morale, montre toute la difficulté qu’il y a à concilier cet effet avec les morales dominantes de l’époque, aussi bien la morale chrétienne que la morale mondaine :

Soulignons en outre que la tragédie, en dehors des sujets chrétiens, même si elle mentionne l’au-delà, fait comme s’il n’existait point pour ses héros. Tout s’arrête avec la mort. Message irrecevable pour un public croyant. Quant à la morale mondaine qu’on trouve dans la comédie (L’École des femmes) ou dans les salons, elle est à mille lieues de cette catharsis. [33]

12La remarque a l’avantage de relancer le débat sur un plan générique. Si la galanterie peut faire bon ménage avec la comédie, elle ne saurait intervenir dans la tragédie : ni dans l’échange – communication interne – ni dans la morale – communication externe.

13C’est du côté de la tragi-comédie qu’il faut aller chercher un genre théâtral qui répond au code discursif galant. Il est intéressant de remarquer que la mise en scène de la conversation galante peut à l’occasion mimer la tragi-comédie ; les personnages d’un récit de Sorel s’inventent comme personnages [34] en se référant à une tragi-comédie :

[...] il se trouva que deux ou trois jeunes-hommes et autant de filles sçavoient par cœur la pluspart des vers d’une Tragicomedie qu’un de la compagnie avoit faite, laquelle n’avoit jamais esté prophanée devant le peuple. Ils prirent donc chacun leur personnage [...], et sans autre preparation se mirent à représenter cette piece d’une façon la plus divertissante du monde. [35]

14La tragi-comédie sert ici de deixis fondatrice à la deixis discursive galante qui suppose un « désembrayage » du réel vers le fictionnel. Il convient toutefois de remarquer que la représentation en creux de la tragi-comédie a lieu pour la première fois « laquelle n’avoit jamais esté prophanée devant le peuple » et à huis clos. L’exclusion du peuple qui définit une pratique sociale s’articule ici avec une pratique discursive : l’exclusion du public, et donc, comme nous l’avons mis en évidence, le refus du pathétique au profit d’un plaisir qu’on pourrait qualifier d’ « autotélique » pour le distinguer du « plaisir tragique », lequel est un effet perlocutoire.

15La tragi-comédie est un genre qui a perdu de son lustre au milieu du siècle : Corneille recourt d’ailleurs à la nouvelle étiquette de « comédie héroïque » [36] pour nommer des pièces qu’on ne peut classer ni dans les comédies ni dans les tragédies. Pourtant, Philippe Quinault continue à créer des tragi-comédies [37]. Nous prenons comme exemple Amalasonte (1657) [38] ; la pièce contient-elle une mise en scène de la parole qui la rapprocherait de la scénographie galante ? La pièce étant peu connue, un bref résumé – encore que cela soit presque impossible de le faire pour un genre dont l’intérêt majeur réside dans les renversements de situations – n’est peut-être pas inutile. Amalasonte, reine des Goths et d’Italie, ne règne qu’indirectement après la mort du roi, lequel a confié la régence à Theudion, le père de Théodat, héros vertueux et amant de la reine. Clodésile qui devrait haïr la reine qui est responsable de la mort de son père en est toutefois amoureux ; Amalfrède, la sœur de Clodésile est amoureuse de Théodat, de sorte que le frère et la sœur tentent de briser l’union de la reine avec le fils du régent. Ils utilisent tous les moyens à leur disposition – en particulier des lettres, procédé sur lequel nous reviendrons –, pour arriver à leur fin. De quiproquos en méprises, Théodat se retrouve dans une situation indéfendable de traître et d’infidèle, jusqu’à ce qu’un heureux dénouement – convention du genre – permette l’union des deux amants.

16L’utilisation des lettres est significative d’un procédé constamment à l’œuvre dans la pièce : la communication est parasitée. La lettre qui suppose une communication indirecte (il y a un temps entre la production et la réception) est un moyen idéal pour mettre en scène le trope communicationnel [39] : le destinataire n’est pas celui à qui le message était adressé. C’est ainsi que la lettre d’amour de Théodat à Amalasonte est lue par Amalfrède à la reine dans une situation où la lectrice peut feindre que la lettre lui a été écrite en propre (acte II, scène 6). Le trope communicationnel n’échappe pas au spectateur qui peut en sourire et dont l’intérêt est soutenu par les revirements que provoquent ces jeux. Toutefois, l’intrigue jette deux des personnages innocents – la reine et Théodat – dans le désarroi. C’est à ce niveau qu’on pourrait glisser dans la tragédie. La construction en contrepoint des deux femmes n’est pas sans rappeler Rodogune de Corneille (Rodogune et Cléopâtre), avec cette nuance toutefois que l’enjeu politique de la pièce de Corneille n’apparaît pas dans celle de Quinault. Subsiste toutefois l’enjeu passionnel. En effet, contrairement à ce qui se passe dans la conversation galante, le jeu rhétorique tragi-comique n’est pas sans implication passionnelle des locuteurs : l’amour ou la haine chargent les mots, on cherche à gagner et non seulement à prendre du plaisir.

17Le côté ludique de l’échange a passé du côté de la communication externe. Le spectateur sait bien que le jeu n’est pas si dangereux. Le dramaturge le met en effet en situation de supériorité par rapport aux personnages, il est de connivence avec lui. Nous le remarquons notamment par l’usage des apartés dont on sait combien la dramaturgie classique les évite [40]. L’aparté fait partie de ce jeu rhétorique tragi-comique ; à la huitième scène du troisième acte par exemple, nous en rencontrons un qui fonctionne à plusieurs niveaux :

   THéODAT, à part à Amalfrède.
De toutes ses rigueurs ne vous rebutez pas.
   AMALASONTE
Quoi ! sans me regarder il lui parle encore bas ! (957-958)

18L’aparté n’est pas adressé au spectateur, mais à un personnage de la communication interne. L’effet n’est pas tant d’avertir le spectateur de ce que ressent Théodat que de provoquer la fureur de la reine à cause de l’usage du procédé ainsi mis en exergue. Le spectateur, quant à lui, est témoin de l’illusion provoquée par l’aparté. Conscient du trope communicationnel induit par l’aparté, il peut à la fois prendre plaisir à ce dédoublement de la communication interne et ressentir une certaine pitié pour Amalasonte, car ce jeu rhétorique sert aussi à exhiber la sincérité des deux amants. La pièce anticipe – si l’on excepte le rang social des personnages – l’esthétique de Marivaux [41].

19Venons-en au rôle de la reine. Comme nous l’avons dit, la fonction politique est gommée ; en effet, la reine ne règne pas, elle n’a pas d’héritier dont elle pourrait exercer les droits, de sorte qu’il y a une régence d’un favori, situation illégitime selon le droit de succession de la monarchie française. Mais, cette situation n’est pas discutée [42], elle semble plutôt avoir été imaginée pour ôter toute dimension politique à la pièce [43]. Amalasonte est reine au sens galant du terme : elle est celle pour qui soupire l’amant. Reine au sens propre également, elle peut enhardir l’amant à dire son amour et même le dire elle-même, l’amant lui devant le respect d’un sujet (II, 4, 409-437). Le contrat discursif est entièrement soumis au respect qu’on doit à Amalasonte : tel est bien le discours galant [44]. Il n’est qu’à mettre en parallèle le veuvage d’Andromaque pour saisir toute la différence d’une reine de tragédie [45]. Fidèle à son époux, garante des droits de son fils, elle refuse les avances de Pyrrhus ; elle ne cède à sa proposition de mariage que pour remettre Astyanax sur le trône. Le contrat discursif n’est plus entièrement soumis aux règles de la civilité. D’une part Pyrrhus est roi, ce qui le place en position de supériorité ; d’autre part, comme le dit Racine dans sa Préface, « [i]l était violent de son naturel » [46].

20La comparaison avec Andromaque est en effet riche d’enseignements. Les passions (amour et jalousie) qui motivent Amalfrède sont semblables à celles qui animent Hermione. Dans une situation comparable, elles réagissent toutefois différemment. Lorsque Clodésile vient annoncer à sa sœur que Théodat est mort, Amalfrède se protège malgré son amour et dissimule :

   CLODéSILE
Enfin grâce à mes coups rien ne m’est plus contraire,
C’en est fait, il est mort par un noble attentat.
   AMALFRèDE
Il est mort ! Qui, Seigneur ?
   CLODéSILE
         Théodat.
   AMALFRèDE
         Théodat !
   CLODéSILE
Oui, ce bras te répond que sa mort est certaine.
   AMALFRèDE
Et vous ne craignez pas la fureur de la Reine ?
Quoi ! ses beaux jours, aux miens par l’amour enchaînés,
Par ta rage barbare ont été terminés ? [...]
                      Bas
Que fais-je ?
   CLODéSILE
      Indigne sœur, quel démon vous inspire ?
Que pouvez-vous penser et que m’osez-vous dire ?
   AMALFRèDE
Qu’à peu près en ces mots la Reine contre vous
Fera tantôt sans doute éclater son courroux. (III, 4, 796-814)

21Lorsque Oreste vient rendre compte à Hermione de la mort de Pyrrhus, celle-ci répond à peu près dans les mêmes termes qu’Amalfrède, le masque en moins :

   HERMIONE
Quoi ? Pyrrhus est donc mort !
   ORESTE
      Oui, nos Grecs irrités
Ont lavé dans son sang ses infidélités. [...]
   HERMIONE
Qu’ont-ils fait !
   ORESTE
      Pardonnez à leur impatience.
Ils ont, je le vois bien, trahi votre vengeance.
Vous vouliez que ma main portât les premiers coups,
Qu’il sentît en mourant qu’il expirait pour vous. [...]
   HERMIONE
      Tais-toi, Perfide,
Et n’impute qu’à toi ton lâche Parricide.
Va faire chez tes Grecs admirer ta fureur,
Va, je la désavoue, et tu me fais horreur.
Barbare qu’as-tu fait ? avec quelle furie
As-tu tranché le cours d’une si belle vie ? [...]
   ORESTE
      Ô dieux ! Quoi ne m’avez-vous pas
Vous-même, ici, tantôt, ordonné son trépas ?
   HERMIONE
Ah ! Fallait-il en croire une Amante insensée ?
Ne devais-tu pas lire au fond de ma pensée ? [...] (V, 3, 1565-1586)

22Hermione laisse éclater sa colère sans la dissimuler ; qu’apporte ici Racine de neuf ? L’éclatement de la personnalité, le déchirement d’un ethos que la princesse n’arrive plus à tenir devant la fureur des passions. Rien à voir donc avec le masque galant, mais la crise intérieure d’un personnage. Le déferlement de la passion à cet endroit imprévu, en public, devant un roi et une reine [47], met a contrario en évidence l’ethos du personnage tragique [48], ethos incompatible avec le masque galant.

23La comparaison avec Andromaque nous a ramenés à la tragédie. Or, Quinault n’a pas seulement écrit des tragi-comédies ; il a également intitulé certaines de ses pièces « tragédies ». Certes, et nous l’avons souligné dans notre approche théorique, la galanterie, si elle semble pouvoir trouver place, avec certaines adaptations liées au fonctionnement d’un texte dramatique, dans le cadre de la tragi-comédie, paraît à l’opposé des contraintes du genre dramatique le plus sérieux. Toutefois, les tragédies de Quinault, ainsi d’ailleurs que celles de Thomas Corneille [49], posent le problème des genres comme catégorie « endogène ». Pour les contemporains de Quinault, Astrate ou Bellérophon étaient des tragédies. Après le XIXe siècle, durant lequel les philosophes et les historiens fixent les caractéristiques du tragique [50] selon des critères thématiques essentiellement, on a de la peine à accepter que les pièces de Quinault soient des tragédies. Étienne Gros, dans sa thèse volumineuse consacrée à Quinault, écrit que l’esthétique de son auteur est une esthétique de tragi-comédie et qu’il n’a touché que deux ou trois fois au pathétique de la tragédie. Il prend comme critère de définition, le « déchirement de l’âme », l’ « angoisse » et la « détresse des cœurs » [51]. Sa définition combine les critères métaphysiques du tragique définis au XIXe siècle, l’écrasement de l’homme et l’angoisse, avec la tragédie racinienne, dans laquelle l’écrasement de l’homme ne s’exerce pas par une puissance extérieure, mais provient d’un déchirement intérieur. Dire que Quinault n’a pas écrit de tragédie présuppose une vision moderne du tragique [52] et la réception exceptionnelle réservée à Racine, laquelle devait exclure Quinault du palmarès des grands auteurs tragiques [53].

24Il convient donc de reprendre de problème en dehors de ces préjugés et d’accepter que la tragédie était un genre polymorphe ou, mieux encore, formuler l’hypothèse du « genre mixte », en particulier pour la décennie qui nous occupe. Dans cette perspective qui privilégie l’interdiscours, on peut poser l’hypothèse d’une « tragédie galante ». Nous focalisons notre étude sur deux pièces, l’Astrate (1664) de Quinault et l’Alexandre (1665) de Racine. Elles ont l’avantage d’être presque contemporaines ; d’autre part, tout en faisant usage du « discours galant », elles se distinguent sur certains points, qui ont d’ailleurs valu des critiques à la pièce de Racine, de manière à nous permettre de définir plus clairement les rapports entre tragédie et galanterie [54].

25Dans l’Astrate de Quinault, ce qui frappe c’est l’artificialité de la mise en intrigue [55]. On ne sait pourquoi Sichée retarde à ce point la révélation de son identité à Astrate, si ce n’est pour créer artificiellement une situation de pathétique amoureux, comme le dit le héros lui-même au moment où il l’apprend :

Qu’à jamais ce secret n’est-il caché pour moi !
Ah, cruel ! fallait-il, si je suis fils du Roi,
Pour me montrer la main qui fit périr mon père,
Attendre que l’amour me la rendît si chère ? (IV, 2, 1193-1196)

26Nous voulons relever l’artificialité à un autre moment de la mise en intrigue ; il s’agit de la fameuse histoire de l’anneau. La rencontre durant laquelle la reine a vu Agénor et lui a remis l’anneau nous est rapportée en même temps qu’à Astrate par Corisbe :

Tout ce que, pour le prix d’un effort magnanime,
En faveur d’un amant on peut montrer d’estime,
La Reine, avec un soin qui n’eut jamais d’égal,
L’a fait voir en faveur de votre heureux rival.
Elle a si hautement flatté son espérance,
Témoigné pour ses soins tant de reconnaissance
Que le Prince, charmé d’un si doux changement,
En a paru d’abord muet d’étonnement.
Que vous dirai-je enfin ? La première des marques
Que l’usage en ces lieux veut qu’on donne aux monarques,
L’anneau royal déjà, jusqu’en ses mains remis,
Fait trop voir quel espoir lui peut être permis. (III, 2, 769-780)

27Le récit a ici pour fonction de tromper Astrate et les spectateurs sur les véritables intentions d’Élise. Il s’agit de créer du suspense (un premier renversement, « un changement ») et de mieux surprendre lors de la scène suivante (nouveau renversement), ce qui est effectivement une mise en intrigue de tragi-comédie. D’autre part, l’usage du récit (plutôt que la mise en scène de la rencontre d’Élise et d’Agénor) met la communication externe au premier rang : procédé de comédie et non pas de tragédie, du moins telle que l’exigeaient les règles de vraisemblance du théâtre classique. Enfin, ce jeu où les interlocuteurs prennent différents rôles au gré des situations de communication constamment modifiées n’est pas sans rappeler l’usage de la parole dans les cercles galants. Où est donc la tragédie galante ? Dans les deux derniers actes [56] : tant Astrate que la reine ont ici un ethos de héros galants. Il n’y a plus de jeu dans les dialogues, mais un engagement réel des deux interlocuteurs malgré les circonstances contraires à leur amour. Plus encore, Élise, par son sacrifice, révèle un vrai ethos de reine, capable de faire taire son amour-propre. Toutefois, c’est au nom de l’amour qu’elle y parvient, tandis que la reine de tragédie construit son ethos contre l’amour. Autour de Madeleine de Scudéry s’était développée l’idée que l’amour pourrait être le principe de la générosité [57]. Il y avait là un usage possible de la galanterie dans la tragédie, une fusion entre ethos de personnage tragique et ethos galant [58]. L’Astrate de Quinault illustre cette rencontre et l’on peut parler à ce propos de « tragédie galante ».

28L’Alexandre de Racine joue également sur cette ambiguïté. D’une certaine manière, la pièce est une tragédie galante, et on a pu reprocher à Racine le manque d’héroïsme d’Alexandre, lequel ne se manifeste que dans le dénouement [59]. C’est cette dernière scène précisément que nous voulons traiter, pour montrer comment, malgré certaines faiblesses pointées du doigt par Saint-Évremond [60] et en étant débiteur du modèle galant de l’Astrate, la tragédie de Racine fait éclater ce modèle.

29La dernière scène de la pièce reprend une situation de communication qui n’est pas sans rappeler le modèle conversationnel galant : pluralité des locuteurs, thématique amoureuse comme objet de discussion – lequel correspond assez bien à une question galante dont c’était la mode à l’époque et qui serait du type : vaut-il mieux épouser son ennemi et sauver la vie de son amant ou sacrifier sa vie (ou celle de son amant) à l’amour ? – et, surtout, un maître du jeu, Alexandre, assez peu impliqué par le débat, contrairement d’ailleurs aux autres protagonistes qui exhibent leurs passions [61]. À cela, il convient d’ajouter l’importance de l’élément rituel « la civilité » dans l’échange ; Porus répond à Alexandre qu’il attend qu’on le traite en Roi (v. 1568), Alexandre accepte le contrat (v. 1569) malgré la situation de communication dans laquelle il se trouve : il est l’amant de Cléophile qui exige vengeance pour la mort de son frère, Porus est un ennemi fier et redoutable.

30Comment justifier un tel comportement ? Alexandre recourt à la générosité :

Hé bien, c’est donc en Roi qu’il faut que je vous traite.
Je ne laisserai point ma Victoire imparfaite.
Vous l’avez souhaité, vous ne vous plaindrez pas.
Régnez toujours, Porus, je vous rends vos États.
Avec mon amitié recevez Axiane.
À des liens si doux tous deux je vous condamne.
Vivez, Régnez tous deux, et seuls de tant de Rois
Jusques aux bords du Gange allez donner vos lois.
Ce traitement, Madame, a droit de vous surprendre.
Mais enfin, c’est ainsi que se venge Alexandre.
Je vous aime, et mon cœur touché de vos soupirs
Voudrait par mille morts venger vos déplaisirs.
Mais vous-même pourriez prendre pour une offense
La mort d’un Ennemi qui n’est plus en défense.
Il en triompherait, et bravant ma rigueur
Porus dans le tombeau descendrait en Vainqueur. (V, 3, 1569-1584)

31Or, cette générosité dont fait preuve Alexandre n’appartient pas, n’en déplaise à sa tentative de se justifier ( « Mais vous-même pourriez prendre pour une offense / La mort d’un Ennemi qui n’est plus en défense » ), au code galant. Contrairement à l’amant galant dont la générosité est provoquée par l’amour – situation que l’on trouve dans l’Astrate comme nous venons de le voir, mais aussi dans La Mort de Pompée déjà où César voulait gracier Ptolémée au nom de son amour pour Cléopâtre – la générosité invoquée ici par Alexandre rappelle plutôt celle d’Auguste accordant sa clémence à ses ennemis et bénissant leur union : comportement qui relève du caractère royal et non de la morale galante.

32Dans la dernière scène de la tragédie de Racine, Alexandre est le maître absolu de la discussion, de sorte que le contrat discursif n’est plus d’obédience féminine, comme l’est le discours galant. Le roi commande [62] ; ces vers d’Alexandre, s’ils devaient plaire au roi, ne pouvaient pas être du goût des cercles galants : « Ce traitement, Madame, a droit de vous surprendre. / Mais enfin, c’est ainsi que se venge Alexandre. » Il y a là un renversement discursif qui renvoie à un nouveau genre – la tragédie classique, celle de Cinna – et qui s’articule sur des pratiques sociales qui ne sont pas celles de la galanterie. La pièce de Racine a été attaquée par les galants sur ce point précis : « les autres, les amateurs de tragédie galante, prétendaient qu’Alexandre n’était pas assez amoureux ; le rétablissement de Porus en présence de Cléophile leur semblait une faute de goût qui choquait la “bienséance” » [63]. Si elle plut au roi, la tragédie de Racine semble avoir été victime des attaques de certains cercles galants proches du roi. Cette interprétation suggérée par Georges Forestier [64], nous paraît probable ; de plus, elle a l’avantage de poser la question de l’articulation du genre à certaines pratiques sociales. Tandis que la « tragédie galante » était d’une certaine manière l’expression dramaturgique d’une pratique discursive renvoyant à la société galante, la tragédie classique serait une pratique discursive articulant la société monarchique à un discours politique qui, n’étant plus possible sur la place publique, est transféré dans l’allégorie de la représentation théâtrale.

33Nous terminerons sur ce problème de l’articulation du genre à des pratiques sociales. D’un côté, Quinault fut le dramaturge d’un milieu [65] ; la tragédie galante dont il fut, avec Thomas Corneille, l’inventeur est un genre « mixte », combinant les traits de la galanterie avec les nécessités de l’écriture dramatique. Ce type de dramaturgie était également goûté du roi. Astrate fut jouée à la cour sur sa demande. C’est une époque où le jeune roi s’entoure d’une cour galante qui est animée par Henriette d’Angeleterre à laquelle le roi semble très attaché. La mixité générique de la « tragédie galante » articule la soumission du politique à la mondanité. Toutefois, celui qui représentait cet idéal, Nicolas Fouquet, a été arrêté en 1661. Une nouvelle forme de pouvoir est en train de se mettre en marche, sur les traces de ce que Richelieu avait mis en place. Ce pouvoir-là est autoritaire, masculin et ne souffre pas la domination des passions ; la raison seule décide [66]. L’Alexandre est encore une œuvre en partie galante, nous l’avons montré. Toutefois, pour décrire le rôle de la galanterie dans la pièce de Racine, parlons d’ « intertextualité », c’est-à-dire de citation dans un genre d’un autre discours. Il n’y a pas à proprement parler d’ « interdiscours », ce qui supposerait un genre mixte.

34Nous posons que la tragédie historique classique, celle qui revient en force dans Britannicus [67], représente le pouvoir monarchique. La relation entre le théâtre et la monarchie a déjà été soulignée par les travaux de Louis Marin et Jean-Marie Apostolidès notamment. Il semble en effet probable de poser que, sous un régime autoritaire, le discours politique a lieu sous une forme allégorique ou fictionnelle. La difficulté que rencontre la théorie pragmatique dans l’étude des genres, à savoir celle de distinguer entre les discours premiers et le discours littéraire, s’en trouve résolue. Le discours littéraire relaie un genre premier impossible. Encore faut-il rappeler que la fiction, par la règle de la vraisemblance, se donne pour vraie. Les règles esthétiques servent une finalité d’un autre ordre : la fiction peut construire l’image du pouvoir, laquelle, par son pouvoir de représentation, fonctionne comme instance de légitimation. On comprend dès lors le travail du roi et de son ministre – Colbert dans la filiation de Richelieu – pour canaliser au service de sa gloire toutes les forces artistiques. Si le roi chapeaute toute la création – en particulier dramatique –, des tragédies à machines aux tragédies historiques en passant par les tragédies galantes, il est intéressant de voir à qui il donne sa préférence.

35Lors de la première liste de gratifications établie par Chapelain, Corneille reçoit 2 000 livres [68], Quinault, alors qu’il est soutenu par une partie influente de la cour reçoit 800 livres [69], et Racine qui n’a encore presque rien écrit (2 odes et aucune tragédie) 600 livres [70]. L’ascension de Racine sera ensuite très rapide. Il a des privilèges, comme celui de faire la lecture au roi, que personne ne partage. Sa nomination comme historiographe en 1677 avec son ami Boileau couronne sa carrière. Corrélativement, le choix du roi montre clairement sa clairvoyance et confirme notre hypothèse. Boileau, l’ « antigalant » [71], partage avec Racine la charge littéraire la plus haute. Même s’il ne néglige pas la glorification officielle, le théâtre à machines et l’opéra ensuite, Louis XIV eut cette intuition géniale que ses glorificateurs les plus puissants étaient les Racine et Molière.

36Reste le problème du public, lorsqu’on veut considérer le théâtre comme un discours d’éloge du roi. Hélène Merlin a récemment remis en question les analyses de Louis Marin en défendant l’idée que l’échange de pouvoir entre le roi et le dramaturge était parasité par un tiers, le public :

Louis Marin pointe ici une dimension rarement reconnue, celle du discours spéculaire qui diffracte la « clarté » du message et l’installe dans un double rapport de subordination, par lequel si Corneille dépend de Richelieu, Richelieu dépend aussi de Corneille. La dédicace relève donc à ses yeux du « dispositif de la représentation du pouvoir d’État », qui assure selon lui « l’opération d’échange – un chiasme – sans reste, ni défaut ni excès, entre représentation et pouvoir ». C’est sur ce point essentiel que mon analyse va se séparer de la sienne. Car le dispositif, plus théâtral encore que ne le dit Louis Marin, se redouble d’un arrière-plan qui fait boîter le chiasme en convoquant un troisième actant, ce tiers public au nom duquel et pour lequel l’éloge se dit. [72]

37Nous ne pensons pas que le public ait ce rôle de tiers externe, qui pourrait aller jusqu’au rôle de juge. La dramaturgie classique de l’illusion mimétique absolue en fait un tiers passif ; elle ne postule pas cette distanciation qui pourrait faire biaiser l’échange. Bien plus, le public est intégré à la représentation, dans la salle matériellement, laquelle ne se distingue pas nettement de la scène puisque celle-ci est envahie par certains spectateurs, dans l’action surtout, où il joue un rôle important, comme par exemple à la fin de Britannicus. La tragédie ne peut pas relever sous un pouvoir absolu, du point de vue de l’énonciation externe, du judiciaire ; le public n’est pas en position de juge. La tragédie classique ne met pas en scène la rupture du public et du privé ; elle représente dans la personne du monarque le sacrifice du privé pour symboliser l’union mystique du roi avec son peuple. La tragédie galante de son côté met en scène le privé dans son masque social ; dramaturgie de la civilité, qui est en définitive une dramaturgie de tragi-comédie sans enjeu politique. Si l’on veut trouver la scission entre le public et le privé que propose Hélène Merlin et qui a bien lieu au XVIIe siècle, c’est du côté de la littérature marginale qu’il faut aller chercher : dans les poèmes érotiques, du côté du libertinage, dans certaines œuvres de jeunesse de Corneille comme Médée [73], ou dans son testament désespéré qu’est Suréna.

Notes

  • [1]
    La Querelle autour de l’Andromaque de Racine, sur laquelle nous reviendrons dans cet article, constitue un des épisodes de ce conflit entre les Anciens et les Modernes qui couve durant tout le siècle et qui éclôt dans le fameux Parallèle de Charles Perrault.
  • [2]
    Delphine Denis, Le Parnasse galant. Institution d’une catégorie littéraire au XVIIe siècle, Paris, Champion, 2001, p. 11. Rappelons les travaux d’Alain Viala qui ont stimulé la réflexion dans ce domaine. Pour les références, se rapporter à la bibliographie de l’ouvrage mentionné (p. 365 et p. 372-373).
  • [3]
    Problème que pose l’ouvrage de Delphine Denis (ibid.).
  • [4]
    Patrick Dandrey, « Les deux esthétiques du classicisme français », Littératures classiques, 19, 1993, p. 145-170.
  • [5]
    Interdiscours plutôt qu’intertextualité, étant donné qu’il s’agit d’appréhender une mixité générique et non seulement l’écho d’un texte dans un autre.
  • [6]
    Réflexion suscitée par le séminaire de Georges Forestier consacré aux minores (année académique 1999-2000).
  • [7]
    Delphine Denis, Le Parnasse galant, op. cit., p. 234.
  • [8]
    Encore que cette distinction soit discutable et la frontière entre les deux domaines poreuse ; voir à ce sujet le récent article de Christian Biet : « L’avenir des illusions, ou le théâtre et l’illusion perdue », Littératures classiques, 44, 2002, p. 175-214.
  • [9]
    Ce qui n’était pas du goût de tous les dramaturges. Voir à ce propos Les Précieuses ridicules : Molière, Œuvres complètes, I, éd. Georges Couton, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1971, p. 278.
  • [10]
    Ce que met en scène Molière dans La Critique de l’École des femmes en prenant soin de mêler à la discussion un dramaturge.
  • [11]
    Sur ce concept voir Dominique Maingueneau, Le Contexte de l’œuvre littéraire, Paris, Dunod, 1993, p. 121-123.
  • [12]
    Delphine Denis, Le Parnasse galant, op. cit., p. 263 pour les jeux poétiques par exemple.
  • [13]
    Texte publié dans l’édition de la Pléiade éditée par Georges Forestier (Jean Racine, Œuvres complètes, Théâtre-Poésie, Paris, Gallimard, 1999, p. 280).
  • [14]
    La Tragédie, Paris, Armand Colin, 1997, p. 44-45.
  • [15]
    La Tragédie de l’âge classique – 1553-1770, Paris, Éditions du Seuil, 1994, p. 136.
  • [16]
    La Poétique de la tragédie classique, Paris, SEDES, 1997, p. 50-51.
  • [17]
    Loc. cit.
  • [18]
    Le Parnasse galant, op. cit.
  • [19]
    Sur le rapport de la scénographie avec une deixis fondatrice, se rapporter à l’ouvrage de Dominique Maingueneau intitulé Nouvelles tendances en analyse du discours, Paris, Hachette, 1987, p. 29.
  • [20]
    Cf. le passage de La Folle Querelle de Subligny cité supra.
  • [21]
    Le Parnasse galant, op. cit., p. 306.
  • [22]
    Pierre Corneille, Œuvres complètes, II, éd. Georges Couton, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1984, p. 461.
  • [23]
    Par exemple : Christian Biet, Œdipe en monarchie ; tragédie et théorie juridique à l’âge classique, Paris, Klincksieck, 1994, p. 211-212 ; Georges Forestier, Essai de génétique théâtrale ; Corneille à l’œuvre, Paris, Klincksieck, 1996, p. 332-344 ; Marc Escola et Bénédicte Louvat, « Le Statut de l’épisode dans la tragédie classique : Œdipe de Corneille ou le complexe de Dircé », XVIIe siècle, 200, 1998, p. 453-470.
  • [24]
    Jean Racine, Œuvres complètes, Théâtre-Poésie, op. cit., p. 195.
  • [25]
    La Muse galante : poétique de la conversation dans l’œuvre de Madeleine de Scudéry, Paris, H. Champion, 1997.
  • [26]
    Ibid., p. 76-77.
  • [27]
    Ce qui n’exclut pas les trilogues par exemple. Voir le chapitre d’Anne Ubersfeld consacré aux « Formes de l’échange » : Lire le théâtre III, Le Dialogue de théâtre, Paris, Belin, 1996, p. 21-42.
  • [28]
    Nous ne revenons pas ici sur la question de savoir si les actes illocutoires accomplis sur scène sont feints. Nous avons traité de cette question dans un précédent article auquel nous renvoyons : « L’illusion dans l’énonciation comique (Corneille, Marivaux) », Littératures classiques, 44, 2002, p. 98-99. Dans le cadre de la fiction représentée, les actes sont bien accomplis. Sans cela, il n’y aurait pas d’intrigue.
  • [29]
    [Première édition : 1657] ; Genève, Slatkine Reprints, 1996, p. 228.
  • [30]
    Avec l’ambiguïté du terme de « passion » chez d’Aubignac, lequel s’applique aussi bien aux passions des personnages qu’aux émotions produites chez le spectateur.
  • [31]
    Sur cette question, se rapporter à l’ouvrage de Delphine Denis : Le Parnasse galant, p. 252.
  • [32]
    La Pratique du théâtre, op. cit., p. 328-329.
  • [33]
    Dans Comédie et tragédie, Nice, Publications de la Faculté des Lettres, Arts et Sciences humaines de Nice, 1998, p. 33. L’incompatibilité du « plaisir tragique » avec le « plaisir » mondain est thématisée durant la décennie qui nous occupe dans le discours poétique en creux entre Gélaste et Ariste dans Les Amours de Psyché de La Fontaine, éd. Michel Jeanneret, Paris, « Le Livre de Poche », 1991, p. 126.
  • [34]
    Procédé du « baptême galant » qui constitue un des traits caractéristiques du discours galant. Voir le chapitre consacré à ce problème par Delphine Denis : Le Parnasse galant. Institution d’une catégorie littéraire au XVIIe siècle, op. cit., p. 189-235.
  • [35]
    Ibid., p. 203.
  • [36]
    Voir le Don Sanche d’Aragon (1649-1650) dont le Dom Garcie de Navarre de Molière est un écho en 1661. Le déclin de la tragi-comédie est vraiment notoire à partir de 1660 (Roger Guichemerre, La Tragi-comédie, Paris, PUF, 1981, p. 41).
  • [37]
    C’est le dramaturge le plus fécond du genre durant cette période ; il donne huit tragi-comédies de 1654 à 1662 (ibid., p. 43).
  • [38]
    Nous utilisons comme édition de référence celle de la Bibliothèque de la Pléiade : Théâtre du XVIIe siècle, Paris, Gallimard, 1986, t. II, p. 967-1037.
  • [39]
    Voir Anne Ubersfeld, Lire le théâtre III, Le Dialogue de théâtre, op. cit., p. 40.
  • [40]
    Sur ce point, voir notre article : « L’illusion dans l’énonciation comique (Corneille, Marivaux) », art. cité, p. 104. Se rapporter également à l’ouvrage de Nathalie Fournier : L’Aparté dans le théâtre français du XVIIe siècle au XXe siècle : étude linguistique et dramaturgique, Louvain-Paris, Éditions Peeters, 1991.
  • [41]
    Cf. notre article : ibid., p. 107-113.
  • [42]
    Comme ce serait le cas dans une tragédie où l’on aurait affaire à des complots.
  • [43]
    Ou alors, pour donner une dimension politique à cette tragi-comédie (dont le sujet est historique, mais le traitement romanesque), il faudrait souligner l’extrême habileté de Quinault qui mettrait en scène en Theudion une figure allégorique de Mazarin à qui il dédicace la pièce. Le dénouement flatterait les vœux d’un cardinal pensant élever sa nièce jusqu’au rang de reine... (hypothèse évoquée par Étienne Gros dans son ouvrage Philippe Quinault. Sa vie et son œuvre, Genève, Slatkine Reprints, 1970 [1re éd. 1926], p. 45). Cependant, les rôles sont inversés dans la pièce de Quinault ; c’est un homme qui est élevé au rang de roi, ce qui est impensable politiquement, puisque cela romprait la loi de primogéniture masculine, mais parfaitement en accord avec la rhétorique galante.
  • [44]
    Discours « féminisé » comme nous l’avons dit supra en nous référant à l’étude de Delphine Denis.
  • [45]
    Sur la question de la « veuve » en particulier, nous renvoyons à notre article : « La “veuve captive” dans la tragédie classique », Revue d’histoire littéraire de la France, 2/2001, p. 213-226.
  • [46]
    Jean Racine, Œuvres complètes, Théâtre-Poésie, op. cit., p. 197.
  • [47]
    Andromaque est présente dans la première version ; voir l’édition de Georges Forestier : Jean Racine, Œuvres complètes, Théâtre-Poésie, op. cit.
  • [48]
    Sur cette question, se rapporter à la comparaison de Jean Émelina : « Racine et Quinault : de Bellérophon à Phèdre », dans Comédie et tragédie, op. cit., p. 284-285 en particulier. Comme il le dit dans cet article, il ne s’agit pas de savoir ce que Racine a repris de Quinault (on pourrait d’ailleurs remonter à Tristan l’Hermite dont Quinault a été le valet), mais de voir comment Racine a dépassé ses contemporains et, dans la perspective particulière de cet article, comment il a fait éclater le modèle galant en redonnant à la tragédie ses lettres de noblesse.
  • [49]
    Dans le cadre de cet article, nous ne parlons pas de Thomas Corneille. Nous renvoyons toutefois à notre article consacré à la veuve où nous avons évoqué le problème à propos de Timocrate en comparaison avec Rodogune et Andromaque : « La “veuve captive”... », art. cité.
  • [50]
    Christian Biet, La Tragédie, op. cit., p. 174.
  • [51]
    Philippe Quinault. Sa vie et son œuvre, op. cit., p. 388.
  • [52]
    Seules les tragédies de Racine entrent, au prix d’ailleurs d’une adaptation, dans cette vision-là peu compatible avec la « tragédie » du Grand Siècle : Dominique Bertrand, Lire le théâtre classique, Paris, Dunod, 1999, p. 105-106.
  • [53]
    Exclusion causée également par la réussite de Quinault dans le nouveau genre de l’opéra.
  • [54]
    Nous renvoyons à la notice sur Alexandre de Georges Forestier qui traite également de cette question : Jean Racine, Œuvres complètes, Théâtre-Poésie, op. cit., p. 1289-1293.
  • [55]
    Voir sur cette question la notice dans l’édition de la Pléiade : Théâtre du XVIIe siècle, op. cit., t. II, p. 1552.
  • [56]
    Sur ce point, bien qu’avec d’autres critères, nous rejoignons Étienne Gros (Philippe Quinault. Sa vie et son œuvre, op. cit., p. 389).
  • [57]
    Jean-Michel Pelous, Amour précieux, amour galant (1654-1675). Essai sur la représentation de l’amour dans la littérature et la société mondaines, Paris, Klincksieck, 1980, p. 118. En outre, il s’agit plus largement des « décennies héroïques » (1640-1650) dont Corneille s’est fait en partie l’écho (cf. La Mort de Pompée par exemple).
  • [58]
    L’ethos galant se définit en partie par l’usage du masque, ce qui convient à la tragi-comédie. Si le masque colle à la peau du personnage – si celui-ci est généreux – le nouvel ethos qui en résulte peut convenir à la hauteur de la tragédie.
  • [59]
    Voir sur ce point la notice de Georges Forestier : Jean Racine, Œuvres complètes, Théâtre-Poésie, op. cit., p. 1291.
  • [60]
    Ibid., p. 1192.
  • [61]
    Nous avons insisté à plusieurs reprises sur cette opposition entre conversation et dialogue, et sur la nécessaire adaptation du modèle conversationnel galant dans le cadre d’un discours d’action, comme l’est le dialogue de théâtre. Cette question revient en filigrane selon une perspective poétique dans la thèse de Jean-Yves Vialleton : Poésie dramatique et prose du monde. Étude des formes et règles de comportement dans la tragédie en France des premières tragédies de Corneille et de Rotrou aux dernières tragédies de Quinault et de Boyer (1634-1697), trois volumes, thèse de doctorat, sous la direction de Georges Forestier, Bibliothèque des thèses de Paris IV, BUT 4951.
  • [62]
    Il représente allégoriquement le roi auquel les plus grands héros et même les amantes sont soumis.
  • [63]
    Étienne Gros, Philippe Quinault. Sa vie et son œuvre, op. cit., p. 76.
  • [64]
    Jean Racine, Œuvres complètes, Théâtre-Poésie, op. cit., p. 1283.
  • [65]
    Étienne Gros, op. cit., p. 512.
  • [66]
    Le roi a lui-même fait ce choix intérieur lorsqu’il a épousé Marie-Thérèse d’Autriche alors qu’il avait de l’inclination pour la nièce du cardinal. Voir l’épisode sous forme romanesque dans le récit d’Alexandre Dumas : Le Vicomte de Bragelonne, I, Paris, Robert Laffont, 1991, p. 90.
  • [67]
    Pièce qui rappelle explicitement Cinna. Voir notamment le rôle d’Auguste.
  • [68]
    Pierre Corneille, Œuvres complètes, I, éd. Georges Couton, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1980, p. LXII.
  • [69]
    Étienne Gros, op. cit., p. 84, n. 2.
  • [70]
    Jean Racine, Œuvres complètes, Théâtre-Poésie, op. cit., p. LXXV.
  • [71]
    Rappelons les attaques de Boileau contre l’Astrate de Quinault et son soutien à l’Alexandre de Racine (ibid., p. 1283).
  • [72]
    Hélène Merlin-Kajman, L’Absolutisme dans les lettres et la théorie des deux corps. Passions et politique, Paris, Honoré Champion, 2000, p. 81-82.
  • [73]
    Nous devons cette idée aux conférences données au Collège de France par Michel Jeanneret en juin 2001, dont nous attendons l’ouvrage traitant de cette question.
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