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Article de revue

Bernard Lamy, une poétique de l'origine du langage

Pages 137 à 153

Notes

  • [1]
    De 1675 à 1780, La Rhétorique ou l’Art de parler du P. Bernard Lamy connut plus de 25 éditions, dont certaines fort remaniées par l’auteur, sans compter les traductions en anglais (1676, 1696, 1708), en italien (1750) et en allemand (1753). Nous renvoyons à la précieuse réédition annotée de B. Timmermans (Paris, PUF, 1998) qui tient compte de toutes les éditions parues en français. Le corps du texte renvoie à la dernière édition augmentée de 1741 (posthume).
  • [2]
    Voir l’incontournable étude de F. Girbal, Bernard Lamy. Étude biographique et bibliographique, Paris, PUF, 1964.
  • [3]
    B. Lamy, op. cit., p. 139.
  • [4]
    Au sens moderne courant, « l’ensemble des principes esthétiques qui guident un écrivain dans son œuvre ». Cf. M. Angenot, Glossaire pratique de la critique contemporaine, Ville-la-Salle, Hurtubise, 1979, p. 155.
  • [5]
    M. Charles, Rhétorique de la lecture, Paris, Le Seuil, 1977.
  • [6]
    Voir l’analyse détaillée de C. Noille-Clauzade, dans son Introduction à une autre réédition récente de La Rhétorique de Bernard Lamy, Paris, Champion, 1998.
  • [7]
    B. Lamy, op. cit., p. 15.
  • [8]
    Ibid., p. 461 : « ... La logique dont l’étude est absolument nécessaire à un orateur ». B. Lamy a résumé la Logique d’Arnauld et Nicole (1662) dans ses Entretiens sur les sciences (1684) sous le titre d’Idée de la Logique.
  • [9]
    Comme l’affirme Descartes, dans la cinquième partie du Discours de la méthode. Dans son Discours physique de la parole (1668), le cartésien G. de Cordemoy offre à ce propos une curieuse expérience de pensée, poussant (presque) jusqu’à l’absurde l’hypothèse selon laquelle les hommes qui l’entourent ne seraient que des imitations mécaniques de lui-même, de simples corps sans âme.
  • [10]
    B. Lamy, La Rhétorique ou l’Art de parler, op. cit., p. 24.
  • [11]
    Le chapitre XI du premier livre de La Rhétorique ou l’Art de parler s’intitule : « Les figures sont comme les armes de l’âme. Parallèle d’un soldat qui combat, avec un orateur qui parle ».
  • [12]
    La première forme du livre (éditions de 1675 et 1676) témoigne de la volonté de distinguer nettement « l’art de parler » de « l’art de persuader » (op. cit., p. 437, n. 3). P. France a souligné cette ambiguïté fondamentale propre à la rhétorique de l’époque classique (Rhetoric and Truth in France. Descartes to Diderot, Oxford, Clarendon Press, 1972, p. 25-28). Pour une interprétation de cette prise de position (temporaire) chez Lamy, voir R. Behrens, Perspektiven für eine Lektüre des « Art de parler » von B. Lamy, München, Wilhem Fink Verlag, 1980, ainsi que C. Noille-Clauzade, op. cit.
  • [13]
    L’âme ou l’esprit, que Arnauld, préférant le terme générique « mens », définit très précisément dans ses Réflexions sur l’éloquence des prédicateurs (1695), p. 83. L’esprit, nous dit-il, considéré en lui-même, comprend d’une part l’entendement, « qui a le vrai pour objet » et d’autre part la volonté « qui a le bon pour objet ». Si on le définit par rapport au corps, il est alors réparti en « sens extérieurs », comprenant les appétits naturels (la faim ou la soif, par exemple) et les « sens intérieurs » c’est-à-dire les passions de l’âme.
  • [14]
    A. Arnauld, C. Lancelot, Grammaire générale et raisonnée de Port-Royal (1676), Stuttgart-Bad Cannstatt, F. Frommann Verlag, 1966, p. 29.
  • [15]
    Les mots sont par nature arbitraires. Dans La Rhétorique ou l’Art de parler, Lamy suit la définition augustinienne du signe, qui est aussi celle de la Logique d’Arnaud et Nicole. Le mot appartient à la catégorie des signes artificiels, « qui ne signifient que ce que les hommes sont convenus qu’ils signifieraient », par opposition aux signes naturels, signifiant « par eux-mêmes », comme la fumée est un signe qu’il y a du feu. Le signe naturel est donc immédiat, spontané, et ne nécessite aucune institution préalable. Les mots, au contraire, sont des signes médiats, produits d’une opération préalable de l’esprit qui les institue a posteriori (op. cit., p. 32-33).
  • [16]
    Ibid., p. 118.
  • [17]
    Pour une étude détaillée sur cette problématique à la Renaissance, voir M..L. Demonet, Les voix du signe. Nature et origine du langage à la Renaissance (1480-1580), Paris, Champion, 1992.
  • [18]
    Ce procédé particulier connut à l’époque un certain retentissement. P. Bayle en témoigne dans les Nouvelles de la République des lettres : « On fait cas [dans la République des Lettres] d’une Rhétorique du P. Lamy, qu’il apelle l’Art de parler, où il a inseré plusieurs Remarques curieuses sur la manière dont il croit que les hommes inventeroient une Langue, supposé que Dieu les mît dans un nouveau monde, dans l’âge de raison, &c. » (Lettre à Minutoli du 6 février 1676, Lettres de Mr Bayle, Amsterdam, 1729, t. I, p. 103). Cité par F. Girbal, op. cit., p. 44.
  • [19]
    Si La Rhétorique ou l’art de parler porte l’empreinte des Remarques sur la langue française de Vaugelas (1647), nous y trouvons également deux digressions sur un projet de langue universelle (op. cit., livre I, chap. VI et X). Lamy donne-t-il sa préférence à l’usage ou à la raison ? En fait, pour lui, c’est « la raison et la nécessité » qui nous obligent à suivre l’usage au risque d’ « envelopper dans les ténèbres ce que l’on veut expliquer » (ibid., p. 128). Les mots étant, par nature, des signes de nos idées liés par l’usage à certaines choses, il est nécessaire, pour se faire entendre, de les employer dans le sens établi, qu’il l’ait été avec ou sans raison ! Il existe cependant trois moyens de discerner le bon usage du mauvais : l’expérience, l’analogie (la régularité propre à chaque langue), mais aussi la raison, d’où l’indispensable recours à l’origine génétique de la langue (ibid., livre I, chap. XVII).
  • [20]
    Ibid., p. 134.
  • [21]
    G. Rodis-Lewis suggère que Lamy ait mis en scène la « fable » initiale pour répondre à Descartes sur les résistances de l’usage à la création d’une langue universelle (« Un théoricien du langage : Bernard Lamy », L’anthropologie cartésienne, Paris, PUF, 1990, p. 272, n. 120).
  • [22]
    À l’instar de la Logique de Port-Royal, Lamy critique ceux qui, parlant comme des « perroquets », se servent de mots dont ils ne connaissent pas la signification (op. cit., p. 34). Pour une mise au point sur cette problématique, voir U. Ricken, « Abus des mots », Dictionnaire européen des Lumières, sous dir. M. Delon, Paris, PUF, 1997, p. 1-4.
  • [23]
    N. Beauzée, Grammaire générale ou exposition raisonnée des éléments nécessaires du langage pour servir de fondement à l’étude de toutes les langues (1767), Préface, IX.
  • [24]
    B. Lamy, op. cit., p. 126.
  • [25]
    Ibid., p. 226.
  • [26]
    Ibid., p. 48.
  • [27]
    Ibid., p. 203.
  • [28]
    B. Lamy, Elemens de Geometrie, ou de la mesure de l’étendue, Paris, 1734 (1re éd. 1685), Préface.
  • [29]
    Descartes, Les passions de l’âme, éd. Adam-Tannery, Paris, Vrin, 1996, XI, p. 350.
  • [30]
    Dans La Rhétorique ou l’Art de parler, Lamy n’occulte pas les effets contraires des passions sur l’âme. Pour les décrire, il se sert de la métaphore du vent (op. cit., p. 182), image présente dans le Traité du sublime de Longin, traduit par Boileau en 1674. Cependant, pour contrôler ces « dérèglements » qui envahissent les hommes, Lamy nous invite à détourner ces mêmes inclinations « pour les attirer dans les sentiments qu’on leur veut faire prendre, comme les matelots se servent du vent contraire pour arriver dans le port d’où il les éloignait » (ibid., p. 479-480). Sur Bernard Lamy et le sublime, voir L. Kerslake, Essays on the sublime. Analyses of French Writings on the Sublime from Boileau to La Harpe, Bern, Peter Lang, 2000, p. 119-126.
  • [31]
    B. Lamy, Elemens de géométrie, op. cit., Préface. Le parallèle entre corps et figure n’est évidemment pas fortuit. Au début du XIXe siècle, P. Fontanier indique à ce propos que le discours, qui ne s’adresse qu’à l’intelligence de l’âme, n’est pas un corps, « à proprement parler », et n’a donc pas de figure. Cependant, dans ses différentes manières de signifier et d’exprimer, il a « quelque chose d’analogue aux différences de formes et de traits qui se trouvent dans les vrais corps » (Les figures du discours, Paris, Flammarion, rééd. 1968, p. 62).
  • [32]
    B. Lamy, Traité de perspective, Paris, 1734 (1re éd. 1701), p. XI. Sur les rapports entre rhétorique et vision, voir l’étude de P. Zoberman, « Voir, savoir, parler : la rhétorique et la vision au XVIIe et au début du XVIIIe siècle », XVIIe siècle, 133 (1981).
  • [33]
    Pour une analyse du concept de couleur comme lieu de réflexion sur les rapports entre littérature et arts chez B. Lamy, voir l’étude de A. Becq, « Rhétoriques et littérature d’art en France à la fin du XVIIe siècle : le concept de couleur », La littérature et les arts au XVIIe siècle. Cahiers de l’Association internationale des études françaises, 24 (1972), p. 215-232.
  • [34]
    À la fin du XVIIIe siècle, A. Court de Gébelin définit encore la grammaire universelle comme servant à faire connaître « tout ce qui doit entrer dans la peinture que nous faisons de nos idées, afin qu’elle soit conforme à son original » (Le Monde primitif analysé et comparé avec le monde moderne, 1774, t. II, p. 6).
  • [35]
    Dans son Traité de perspective, Lamy consacre de larges développements mathématiques et physiques (optiques) pour fonder les règles nécessaires à l’élaboration d’un tableau. Comme l’orateur, le peintre, pour exceller dans son art, doit en connaître parfaitement les fondements.
  • [36]
    B. Lamy, Traité de perspective, op. cit., Préface.
  • [37]
    Voir U. Ricken, Grammaire et philosophie au siècle des Lumières. Controverses sur l’ordre naturel et la clarté du français, Paris, PUL, 1978.
  • [38]
    B. Lamy, La Rhétorique ou l’Art de parler, op. cit., p. 202 (nos italiques).
  • [39]
    Ibid., p. 105.
  • [40]
    On retrouve le même concept chez A. Court de Gébelin, Le Monde primitif, op. cit., p. 17 : « L’idée d’un objet se peint dans notre esprit, tout à la fois, d’un clin d’œil ; il serait donc à désirer qu’elle pût être rendue avec la même rapidité ». Dans ses intimistes Rêveries, J.-J. Rousseau nous livre cependant une interprétation contraire, où la parole, plus vive, se manifeste avant la pensée : « Sa marche [celle de la conversation], plus rapide que celle de mes idées, me forçant presque toujours de parler avant de penser » (Les Rêveries du promeneur solitaire, dans Œuvres complètes, Paris, Gallimard, 1959, I, p. 1033).
  • [41]
    A. Furetière, Dictionnaire universel (1690). Pour Arnauld, imaginer est « une maniere de concevoir par des images tracées dans le cerveau ». Il la distingue « d’une autre maniere de concevoir qu’on appelle intelligence, par laquelle nôtre ame n’a pas besoin de ces images » (Réflexions sur l’éloquence des prédicateurs, op. cit., p. 88-89).
  • [42]
    B. Lamy, La Rhétorique ou l’Art de parler, op. cit., p. 362. L’attention particulière portée à l’imagination peut aussi s’entendre dans le contexte de la querelle de l’éloquence sacrée. Née dans la deuxième moitié du XVIIe siècle, cette dernière a mis aux prises Arnauld, partisan de l’usage de l’imagination dans les sermons contre Goibeau-Dubois et François Lamy (à ne pas confondre avec Bernard !), défenseurs de l’ordre géométrique et de la raison. B. Lamy insère un chapitre consacré aux discours ecclésiastiques dans sa Rhétorique dès 1688.
  • [43]
    B. Lamy, op. cit., p. 225.
  • [44]
    B. Lamy, Traité de perspective, op. cit., p. 4.
  • [45]
    B. Lamy, La Rhétorique ou l’Art de parler, op. cit., p. 181. Comme l’a souligné B. Timmermans, Lamy fait preuve d’une certaine originalité en caractérisant la figure avant tout comme l’expression d’une passion – lien néanmoins déjà souligné par Cicéron et Quintilien –, et non comme un écart de sens, définition qu’il réserve aux tropes (op. cit., p. 545, n. 123).
  • [46]
    Ibid., p. 229. Dans De la recherche de la vérité (1674), son ami Malebranche consacre lui aussi un chapitre à « l’usage que l’on peut faire des passions et des sens pour conserver l’attention de l’esprit » (Paris, Vrin, 1945, VI, III, p. 163-168).
  • [47]
    Dictionnaire de l’Académie françoise, 1694.
  • [48]
    B. Lamy, op. cit., p. 45-46. Lamy, qui se fait plus prudent au cours des rééditions (conséquence de son exil forcé après qu’il eut enseigné la philosophie de Descartes à Angers ?), insère, dans l’édition de 1741, une note où il indique que « l’auteur reconnaît ailleurs l’impossibilité démontrée de cette supposition » (ibid., p. 46, n. 1).
  • [49]
    M.-L. Demonet aperçoit un changement progressif dans les différents modes de narration de l’origine des langues à la Renaissance (« Du mythe à l’hypothèse : les changements méthodiques dans les recherches sur l’origine des langues au XVIe siècle », La linguistique entre mythe et histoire, D. Droixhe et C. Grell (éds), Münster, Nodus, 1993, p. 11-29).
  • [50]
    Nous suivons les critères définis par H. Mortier dans le Dictionnaire de poétique et de rhétorique, Paris, PUF, 1975, p. 497-509.
  • [51]
    B. Lamy, op. cit., p. 409.
  • [52]
    Remarquons que dans ses Nouvelles réflexions sur l’Art poétique (1678), Lamy adopte un ton singulièrement plus sévère à l’égard des effets de la poésie qui, en faisant trop souvent appel à l’imagination, nous détournent des vérités divines.
  • [53]
    Lamy cite Strabon, Géographie, I, 2, 6. On retrouve un thème cher à Rousseau qui, dans son Essai sur l’origine des langues (posth.), fait de la première langue, une langue de poètes.
  • [54]
    B. Lamy, op. cit., 149 (nos italiques).
  • [55]
    Horace, Art poétique, trad. F. Villeneuve, Paris, « Les Belles Lettres », 1934, v. 9-10.
  • [56]
    B. Lamy, op. cit., p. 409-410.
  • [57]
    G. Rodis-Lewis, op. cit., p. 253.
  • [58]
    B. Lamy, Entretiens sur les sciences, éd. crit. et annotée par F. Girbal et P. Clair, Paris, PUF, 1966, p. 106-107. Lamy cite les tables de Sanson, du P. Pétau, du P. de Sainte-Catherine et de Marcel, l’auteur de tablettes de poche sous forme de jeux de cartes. Remarquons que dans le Dictionnaire historique-portatif de Ladvocat (1760), l’histoire universelle, présentée sous forme abrégée, est comparée à un tableau en miniature, ce dernier pouvant « conserver la ressemblance de son objet, & en représenter en petit aussi exactement tous les traits, que le tableau de la plus grande étendue » (Préface, VI).
  • [59]
    Dans la Dioptrique, Descartes se sert d’une formulation comparable avant de démontrer, par une série de comparaisons, la nature de la lumière : « [...] imitant en cecy les Astronomes, qui bien que leurs suppositions soient toutes fausses ou incertaines, toutefois, à cause qu’elles se rapportent à diverses observations qu’ils ont faites, ne laissent pas d’en tirer plusieurs consequences très vrayes & très assurées » (A.-T., VI, p. 83).
  • [60]
    B. Lamy, La Rhétorique ou l’Art de parler, op. cit., p. 409-410.
  • [61]
    J. Chouillet, « Descartes et l’origine du langage », Dix-huitième siècle, 1972, p. 49, n. 2.
  • [62]
    Laissant « tout ce Monde icy a leurs disputes », Descartes propose un monde nouveau qui lui permet d’envisager les faits au-dessus de toute contingence. Ce monde, il faut se l’imaginer comme si Dieu « en composast un Chaos aussy confus que les Poetes en puissent feindre » (A.-T., VI, p. 42).
  • [63]
    Pour la mise en place de ce parallélisme révélateur, voir l’article de F. Hallyn, « Descartes et la méthode de la fiction », dans L’orgueil de la littérature. Autour de Roger Dragonetti, Genève, Droz, 1999, p. 98-99.
  • [64]
    Ch. Perelman, L. Olbrechts-Tyteca, Traité de l’argumentation. La nouvelle rhétorique, Bruxelles, Éd. de l’Institut de sociologie, 1970 (2e éd.), p. 267.
  • [65]
    B. Lamy, op. cit., p. 410.
  • [66]
    Ibid., p. 17.
  • [67]
    Descartes, A.-T., XI, p. 380-381 (nos italiques).
  • [68]
    B. Lamy, Entretiens sur les sciences, op. cit., p. 55.
  • [69]
    Toujours dans les Entretiens sur les sciences, Lamy personnalise ensuite son propos, sous le couvert des paroles d’Aminte. Rebuté par les règles latines qu’on lui faisait apprendre par cœur, il commença à apprécier ses études grâce à l’histoire romaine et à la géographie, parce que enfin il « concevait » (visualisait !) ce que son professeur enseignait. À ce propos, il relate la « conversion » de Malebranche aux sciences après la lecture du Traité de l’Homme de Descartes.
  • [70]
    Pour Pascal, l’art de persuader se définit tant par la capacité de convaincre que par celle d’ « agréer », c’est-à-dire « plaire, estre au gré » (Dictionnaire de l’Académie françoise, 1694), « tant les hommes se gouvernent plus par caprice que par raison ». Il s’abstient cependant de définir cette dernière manière de persuader, « plus difficile, plus subtile, plus utile et plus admirable », car il ne sait « s’il y a moyen de donner des règles fermes pour accorder les discours à l’inconstance de nos caprices ». Cette vision plus pessimiste de la nature humaine est liée à l’impossibilité pour Pascal de « connaître tout ce qui se passe dans le plus intérieur de l’homme » (De l’art de persuader, éd. établie par L. Lafuma, Paris, Éd. du Seuil, 1963, p. 356).
  • [71]
    B. Lamy, La Rhétorique ou l’Art de parler, op. cit., p. 22.
  • [72]
    Ibid., p. 39 : « La beauté plaît, et ce qui est bien ordonné plaît ; ce qui me persuade que l’ordre et la beauté sont presque une même chose » ; par conséquent, « la fin et la perfection de l’art de parler consistent à représenter avec jugement ce tableau qu’on a formé dans l’esprit ».
  • [73]
    B. Lamy, Traité de perspective, op. cit., p. 4-5.
  • [74]
    B. Lamy, La Rhétorique ou l’Art de parler, op. cit., p35. R. de Piles défend le coloris par rapport au dessin en s’appuyant sur le fait qu’un tableau n’est parfait que si toutes les parties qui le composent sont également présentes (Dialogue sur le coloris, 1699, p. 9).
  • [75]
    B. Lamy, op. cit., p. 414-415.
  • [76]
    Lamy reprend l’exemple, tiré de L’Art poétique de Boileau, de la représentation d’un serpent, animal pour lequel on a naturellement de l’aversion. Ce qui plaît n’est pas la vue d’un serpent qui est peint mais l’esprit du peintre qui a atteint la finalité de son art (op. cit., p. 40). Il en va de même pour l’architecture, où la recherche de l’équilibre des proportions prime. Ce principe esthétique aristotélicien est lié au plaisir particulier de reconnaissance face aux imitations ou aux images, non pas pures répliques mais abstractions de l’objet. Voir Aristote, La Poétique, Paris, Le Seuil, 1980, IV, 48 b, v. 9-12.
  • [77]
    P. Richelet, Dictionnaire de la langue françoise (1670). Horace souligne l’importance du principe de la vraisemblance dans son Art poétique (v. 339-340) : « Que les fictions créées pour plaire demeurent tout près de la vérité » puisque le rôle du poète est ou/et d’être utile ou/et de charmer.
  • [78]
    B. Lamy, op. cit., p. 114.
  • [79]
    A. Frain du Tremblay, Traité des langues, 1703, p. 14-15 : « Pour être assuré de ce que je dis, représentons-nous que cette multitude d’hommes sans parole, sortis tout d’un coup de la terre comme des champignons, ou tombez des nuës comme des grenoüilles, & tous déjà dans un âge parfait, car c’est une nécessitez de les suposer à cet âge, se retrouvent tous ensemble, afin qu’ils puissent se composer une langue. Ces hommes sans doute seroient bien étonnez de se voir ; & il est bien difficile de concevoir ce qu’ils penseroient [...] Mais de quoi voudroient-ils parler, ils ne savent rien ? ».
  • [80]
    Il serait sûrement utile d’effectuer des recherches sur le type de liens qui unissaient Bernard Lamy à Richard Simon. F. Girbal considère possible une influence ou du moins des échanges d’idées entre les deux hommes, qui se sont rencontrés pendant leurs études à l’Institution de Paris – où J. Bertad les a initiés à l’hébreu –, et plus tard au collège de Juilly (op. cit., p. 11-12 et 24). Voir aussi J. Steinmann, Richard Simon et les origines de l’exégèse biblique, Paris, Desclée de Brouwer, 1959.
  • [81]
    Frain du Tremblay ne manque pas d’y faire allusion (op. cit., p. 19) : « Ceux qui ne sont pas de ce sentiment, pour le tourner en ridicule, prétendent que nous faisons de Dieu un maître d’École ou un Grammairien qui enseigne aux hommes à parler : mais par ce petit trait, ils ne font que montrer qu’ils ont des idées bien grossieres de la puissance de Dieu, & de sa sagesse. Dieu n’a pas besoin de s’abaisser aux voyes dont se servent les hommes, pour leur apprendre ce qu’il veut qu’ils sachent. Il le fait par des moyens qui sont dignes de lui... ».
  • [82]
    B. Lamy, op. cit., p. 119 et p. 179.
  • [83]
    B. Lamy, Entretiens sur les sciences, op. cit., p. 109. Lamy cite Grotius, Vossius, Bochart, Seldenus, Marsham, Huet et le P. Thomassin, pour qui « tous les Peuples sont venus des Enfants de Noé ».
  • [84]
    B. Lamy, Harmonia sive concordia quatuor evangelistarum (1689). Dans un Commentaire sur cet ouvrage (1699), Lamy insère des citations de l’Histoire critique du Nouveau Testament de R. Simon (F. Girbal, op. cit., p. 95).
  • [85]
    B. Lamy, Traité historique de l’ancienne Pâque des juifs où l’on examine à fond la question célèbre si J. C. N. S. fit cette Pâque la veille de sa mort ; et ce que l’on en a cru (1693). Pour une description des différentes étapes de la « guerre de Pâques », cf. F. Girbal, op. cit., chap. XV.
  • [86]
    B. Lamy, La Rhétorique ou l’art de parler, op. cit., p. 126. P. Rossi a souligné le rapport étroit qu’entretient toute discussion sur le langage à l’époque classique avec les théories sur l’origine et la formation du monde. Origine du monde et origine du langage sont successivement décrites dans les textes de Lucrèce, Horace et Diodore de Sicile, textes qui seront à l’origine de l’éclatement des croyances touchant la genèse biblique. Il serait donc complètement anachronique de dissocier ces deux thèmes de réflexion qui participaient à l’époque d’un même champ d’investigation philosophique (I segni del tempo : Storia della terra e storia delle nazioni da Hooke a Vico, Milano, Feltrinelli, 1979).
  • [87]
    Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, trad. Y. Vernière, Paris, « Les Belles Lettres », 1993, I, 8, 3 : « Alors que leur voix était au départ inintelligible et confuse, ils s’habituèrent insensiblement à articuler des paroles et, convenant de symboles représentatifs de chaque objet, ils en vinrent à reconnaître la signification attribuée à chaque mot ». W. Spoerri différencie la Thesistheorie de Diodore et la Physistheorie des Épicuriens (« Untersuchungen zu Diodor von Sizilien », Schweizerische Beiträge zur Altertumswissenschaft, 9, Reinhardt, Basel, 1959).
  • [88]
    B. Lamy, La Rhétorique ou l’Art de parler, op. cit., p. 48 (nos italiques).
  • [89]
    Ibid., p. 48 (nos italiques). Si Lamy admet qu’il existe des « voix naturelles » comme les soupirs et les exclamations produits par les passions, il n’admet cependant pas que les termes utilisés pour exprimer les idées aient été à l’origine des mots naturels (sauf dans le cas des onomatopées). Pour lui, la diversité des langues existantes prouve que le langage humain est le résultat de la liberté des hommes. Contrairement à Rousseau ou Vico, chez Lamy, les passions seules ne peuvent avoir été à l’origine du langage.
  • [90]
    Ibid., 115.
  • [91]
    Ibid., p. 15. Cette métaphore augustinienne, que l’on retrouve dans l’article « Rhétorique » de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, souligne toute l’importance accordée par Lamy au mode d’expression du savoir, indispensable à la transmission de la vérité. La rhétorique acquiert le statut de science du langage et n’est plus cantonnée au simple rôle d’ornementation.
  • [92]
    B. Lamy, Traité de perspective, op. cit., p. 9-10 : « Un Peintre pourroit-il être excellent, s’il ne connoissoit pas l’homme ? j’entends l’exterieur du corps humain, & ce qui peut paroître sous cet exterieur, les veines, les muscles, les tendons. Il doit donc savoir parfaitement l’Anatomie ou l’exterieur du corps. »
  • [93]
    B. Lamy, Entretiens sur les sciences, op. cit., p. 140. Les métaphores anatomiques du langage sont récurrentes chez Quintilien, Institutions oratoires, I, Pro., 24 ; V, 8, 2 ainsi que V, 12, 6.
English version

1La Rhétorique ou l’Art de parler (1675) de l’oratorien Bernard Lamy, au succès attesté par de nombreuses rééditions [1], offre un tableau saisissant des préoccupations scientifiques, philosophiques et esthétiques de la fin du XVIIe et au début du XVIIIe siècle. À travers l’analyse des choix thématiques et stylistiques de ce pédagogue redécouvert dans les années 1960 [2], nous nous proposons de tâter le pouls de cette œuvre, pour reprendre une formule chère à Jean-Jacques Rousseau, un de ses fervents lecteurs. Ce texte, ce tissu que les classiques rêvaient régulier et transparent − sur mesure, nous suggère Lamy, et non pas « semblable à ces habits qu’on achète chez les fripiers » [3] −, témoigne d’une de leur préoccupation la plus constante : la compréhension du rapport extraordinaire entre la pensée et la parole qui la traduit. Il constitue à ce titre le point de départ d’une étude centrée sur une poétique [4] de l’origine du langage.

2Cette rhétorique marque un tournant à plusieurs titres. D’une part, celle que l’on a nommée la « rhétorique de Port-Royal » [5] rompt explicitement avec certains préceptes aristotéliciens et fait d’Augustin une référence obligée. On y trouve par conséquent une nouvelle définition de l’art, non plus « régulation technique » mais « spéculation sur la régularité naturelle d’une faculté » [6] et, son corollaire, la condamnation et le rejet de la méthode des lieux. D’autre part, prônant l’analyse cartésienne et la critique des préceptes établis, Lamy fonde une véritable théorie du discours, centrée sur le littéraire, l’art de parler comprenant « tout ce que l’on appelle en français belles-lettres » [7]. Sa méthode d’investigation fait appel à l’ensemble des sciences du langage. En effet, l’art oratoire stricto sensu y côtoie des considérations touchant la phonétique, la grammaire, qui fonde l’art de parler, le style des poètes et des historiens ou encore les qualités physiologiques nécessaires à une bonne imagination. Dans ce contexte, et parallèlement à l’immersion de la logique dans la rhétorique [8], il n’est pas singulier qu’une analyse de l’origine du langage fasse son apparition dans une rhétorique. Pensée et parole étant posées comme critères définitoires de l’homme [9], la recherche de leurs fondements joue un triple rôle didactique (apprendre les langues), esthétique (pouvoir juger de leur beauté) et philosophique, voire psychologique (mieux nous connaître nous-mêmes). Enfin, s’adressant non plus au cercle restreint du barreau ou des chaires des églises mais « à tous ceux qui parlent ou qui écrivent » [10], cette rhétorique élargit son propos aux poètes, aux philosophes, aux historiens et aux théologiens. Partant du principe que l’homme est irrémédiablement déchu et que seuls quelques guides fidèles peuvent l’éclairer, elle met en place une véritable stratégie discursive, fondée sur l’usage (qu’elle prône) des figures et des passions qu’elles véhiculent. Bernard Lamy, écrivain « soldat », utilisera les « armes » [11] que la nature, c’est-à-dire Dieu qui est l’auteur de toute chose et qui ne peut nous tromper, a mises à sa disposition pour vaincre les ténèbres où sont plongées les âmes du commun des mortels.

PLACE ET FONCTION DE L’ORIGINE DU LANGAGE DANS LA RHÉTORIQUE OU L’ART DE PARLER

3Au départ scindé en un Art de parler, consacré au domaine de l’élocution au sens large, et un Discours sur l’Art de persuader résumant succinctement les autres parties de la rhétorique [12], l’ouvrage, lors de sa réédition en 1688, réunit les deux traités en un seul. L’analyse de l’origine du langage, auparavant intégrée dans la partie grammaticale de l’Art de parler, apparaît dès lors au sein d’une seule et même Rhétorique.

4Lamy propose deux versions antithétiques de l’origine du langage. Dans un premier temps, il décrit une origine génétique sous la forme d’une expérience de pensée qui nous permet de visualiser comment les hommes ont établi des signes pour communiquer leurs pensées par le seul recours à l’esprit [13]. À partir de la mise en scène d’une troupe d’hommes découvrant le langage, il fonde les principales catégories grammaticales telles qu’elles ont été définies par la Grammaire générale et raisonnée de Port-Royal. Il les déduit des trois opérations fondamentales de l’esprit qui sont, par ordre logique, d’abord concevoir (d’où les noms, les adjectifs et les articles) puis juger (le système verbal) et raisonner (les particules), auxquelles on ajoute « tous les autres mouvemens de notre ame, comme les desirs, le commandement, l’interrogation, etc. » [14]. Lamy désigne ces derniers sous le terme générique de passions et les intègre à la théorie des idées accessoires, déjà présente dans la Logique d’Arnaud et Nicole. La finalité de ce procédé, qui présuppose l’arbitraire du signe [15], est d’énoncer un ensemble de principes auxquels obéissent toutes les langues, et d’expliquer à partir d’eux les usages des langues particulières. C’est le programme de toute grammaire générale.

5Cette première version des faits est par la suite réfutée et reléguée au rang de fable. Elle est suivie par la narration de l’origine historico-biblique des langues, basée sur le récit de la Genèse, et affirmant la primauté de l’hébreu : « Ainsi ce n’est point le hasard qui a appris aux hommes à parler, c’est Dieu qui leur a donné leur premier langage » [16]. Cette double narration fait partie du schéma traditionnel de discussion sur l’origine des langues qui remonte à la Renaissance [17]. Mais l’originalité de l’analyse de Lamy réside dans l’autonomie accordée au récit génétique, auquel il confère une fonctionnalité grammaticale propre et ce, peut-être pour la première fois [18]. L’ingénieuse fiction sert en effet avant tout à se rendre maître de l’usage, caractérisé comme un tyran [19], en établissant rationnellement les différentes catégories grammaticales considérées comme immuables : toutes les langues ont les mêmes fondements, « que les hommes établiraient si, par une aventure semblable à celle que nous avons feinte, ils étaient obligés de se faire une nouvelle langue » [20]. Éclairé par cette connaissance, le lecteur peut se rendre maître et juge d’une langue et condamner les lois de l’usage, opposées à celle de la nature et de la raison [21]. Signe de l’importance accordée à la clarté dans le discours, l’analyse génétique doit se comprendre comme un procédé didactique permettant de remonter aux lois dites rationnelles du langage et garantissant leur bon usage [22]. La volonté des hommes exerçant un empire absolu sur les mots, notre auteur définira également les lois, plus arbitraires, de l’usage, et ce à la suite du chapitre consacré à l’origine divine des langues, la seule « véritable ».

6La double narration de l’origine a donc pour fonction la mise en place d’une double méthode d’investigation du langage : d’une part pour établir ce que la nature ou la raison a dicté originellement, d’autre part pour tenir compte des variations tant temporelles, géographiques ou climatiques que de celles liées aux simples particularités de la nature humaine, ce que l’on nomme à l’époque le génie des langues. Au XVIIIe siècle, Beauzée suivra encore exactement la même distinction [23].

7Une remarque s’impose du point de vue argumentatif. La coexistence de deux versions antithétiques de l’origine du langage offre un paradoxe que Lamy ne résout pas : « Originellement les hommes sont maîtres du langage » puisqu’il « dépendait d’eux de choisir comme il leur plaisait des sons pour signes de leurs pensées », déclare-t-il, mais « c’est de la première langue que Dieu forma lui-même que toutes les langues sont venues » [24]. Pour dissiper l’ambiguïté, il est nécessaire de la comprendre au sein d’une conception générale des modes d’exposition du savoir. En effet, l’antithèse n’est pas un vain ornement, il s’agit au contraire d’un procédé discursif qui établit une voie vers la connaissance : « Les oppositions des choses contraires contribuent à l’éclaircissement d’une vérité, comme les ombres relèvent l’éclat des couleurs » [25].

8Il semblerait, à première vue, que le langage ait vécu deux naissances, la première naturelle, la seconde divine. Nous participons en effet à ses premiers ébats sous la forme d’une plaisante pantomime où n’interviennent que les signes naturels, à savoir les gestes et les mimiques. Dans la lignée de la thèse d’Hermogène dans le Cratyle, l’usage de la voix étant le plus commode et le plus agréable des modes de communication, « le plus sage et le plus autorisé » des hommes finirait par établir des noms qui cesseraient d’être de « purs sons » [26]. Cet acte décisif établit un contrat et signe le passage du langage à une langue particulière, ce que l’on nomme la parole articulée, signe artificiel et arbitraire. Ces nouveaux hommes, devenus tout à coup « philosophes », nous enseignent au fur et à mesure les règles immuables, naturelles et générales de toute langue. La « deuxième naissance » a pour point départ le détour obligé par la version canonique, où figurent Adam le Nomothète et l’épisode de la Tour de Babel. Mais il s’agit surtout d’une description des langues arrivées à maturité, de leurs variations liées au climat et au tempérament des hommes, de leurs identités et de leurs différences. On y décèle un certain comparatisme précurseur, teinté d’une conception cyclique de l’histoire, le destin des langues suivant celui des empires.

9La contradiction n’est donc qu’apparente, il ne s’agit en fait que d’une et une seule thèse, savamment articulée. De même que « la blancheur éclate auprès de la noirceur » [27], l’ensemble des principes − rationnels ou liés à l’usage −, qui définissent une langue, apparaît plus clairement par la mise en lumière de leur fonctionnement contrasté.

UNE FIGURE À L’ORIGINE DU LANGAGE

Toucher l’auditoire

10En évoquant l’origine génétique du langage, Lamy s’aventure dans des contrées illicites, manifestement contraires au dogme. Pour convaincre ses lecteurs du bien-fondé de son analyse, il doit auparavant parvenir à obtenir leur accord tacite. Sa narration de l’origine dépendra donc du type de public auquel il s’adresse.

11Enfant ou voyageur égaré, malvoyant ou incapable de se relever, c’est une conception tout augustinienne de l’auditoire qui anime les propos de notre oratorien, sous-tendue néanmoins par une foi profonde en l’homme. Si « en quittant Dieu nous sommes tombez dans les corps », il suffit de nous y appuyer pour nous relever, « comme nous le faisons quand nous tombons par terre » [28]. L’âme humaine est donc potentiellement capable d’être attentive aux « choses spirituelles » mais l’entremise des passions, ces « émotions de l’âme » [29], qui ébranlent et mettent en mouvement les hommes, est nécessaire pour capter leur attention. De nature ambiguë, comme les vents qui soufflent sur l’océan, les passions ont le pouvoir de mener les hommes à leur perte, mais aussi, si elles sont raisonnablement utilisées et bien maîtrisées, de les faire rentrer à bon port [30].

12Dans le discours, l’utilisation de « signes sensibles », c’est-à-dire d’images ou de figures, est requise. La vérité, que tout orateur intègre se doit de vouloir propager, demeure en effet obscure pour les hommes habitués à vivre selon leurs impressions premières. Il faut donc la revêtir, « l’attacher par les corps mêmes » qui distraient les âmes [31]. Suivant le principe de l’ut pictura poesis, les emplois figurés dans le discours joueront le même rôle que celui des représentations picturales, comme ces tableaux que Lamy aimerait voir réalisés pour « éclaircir l’Écriture sainte » obscurcie par le temps, ou ces « figures » présentes dans les traités de mathématiques, « qui représentent aux yeux ce que l’esprit cherche dans le discours » [32]. Signes des objets du monde, parole et tableau forment un des principaux leitmotive de la Rhétorique : notre discours est un tableau de nos pensées, les mots, les couleurs de ce tableau [33]. L’art de parler consiste donc à rendre la copie, c’est-à-dire la parole, la plus conforme possible à l’original [34]. Pour Lamy, le lien établi entre le champ sémantique pictural et discursif n’est pas une simple concession à un poncif de l’époque. Maîtrisant parfaitement les théories rhétoriques et picturales, il établit des liens fondés entre les deux arts et intègre dans son Traité de perspective la méthode d’exposition du savoir présente dans sa Rhétorique [35].

Une esthétique de la vivacité

13Du point de vue esthétique, si le discours doit faire tableau, il n’en reste pas moins linéaire, fondé sur la successivité des éléments de la phrase. Le caractère arbitraire du signe verbal fait de tout support écrit une représentation sans vie, les mots n’ayant aucun rapport naturel avec ce qu’ils signifient. La peinture est par contre plus vive, plus énergique parce que plus directe, « traçant [...] les propres traits des choses, elle fait sur les sens l’impression qu’elles feroient elles-mêmes » [36]. Pour séduire leur public, l’écrivain et l’orateur doivent par conséquent avoir recours à l’emploi figuré, seul capable de rendre visibles et palpables les signes désincarnés de la langue.

14Dans le cadre du débat sur l’ordre naturel des langues [37], après avoir affirmé que l’ordre rationnel du français était le plus naturel, Lamy considère, au cours des rééditions, que le latin, plus immédiat, traduit finalement mieux l’ordre spontané des pensées. En effet,

lorsqu’on parle, on ne veut pas seulement marquer chaque idée qu’on a dans l’esprit par un terme qui lui convienne ; on a une conception qui est comme une image faite de plusieurs traits qui se lient pour l’exprimer. Il semble donc qu’il est à propos de présenter cette image tout entière, afin qu’on considère d’une seule vue tous ses traits liés les uns avec les autres comme ils sont ; ce qui se fait dans le latin : tout y est lié comme les choses sont liées dans l’esprit. [38]

15Le latin, plus libre dans ses constructions que le français, traduit mieux la vivacité de l’esprit, « qui d’une seule vue, voit plusieurs choses » [39]. Cette qualité syntaxique se manifeste par les figures de construction, les « renversements » que l’on peut y pratiquer sans nuire au sens de la phrase. De manière générale, quelle que soit la langue qui les véhicule, les figures ont ce pouvoir de synthétiser en une image la pensée du locuteur. Véritable principe d’économie de la langue, elles correspondent parfaitement à notre vivacité naturelle et tempèrent notre impatience de traduire en mots les images perçues par notre esprit [40]. La puissance qu’a l’âme de former ces images est du ressort de l’imagination. Directement liée à la première des trois opérations de l’âme, concevoir, c’est-à-dire « penser & imaginer » [41], l’imagination est indispensable à l’art de parler : on ne peut effectivement exprimer que ce que l’on conçoit. Un cerveau suffisamment humide, mu par des esprits animaux « abondants, chauds et égaux dans leur mouvement », garantira une communication efficace, c’est-à-dire immédiate et complète [42].

16La figure, qui fait voir à l’imagination, surmonte deux obstacles majeurs à la communication : l’obscurité et le défaut d’attention. En effet, non seulement elle sert à développer une proposition, à la mettre « dans son jour », mais elle maintient également l’auditeur éveillé en exposant aux yeux la lumière de la vérité, « en l’approchant de si près que sa forte impression réveille et oblige d’être attentif » [43]. À travers un nouveau rapprochement avec l’art pictural, nous découvrons que si notre oratorien définit le tableau « une fenêtre ou verre transparent » [44], la figure joue le rôle d’un verre magnifiant dont l’effet, produit par les passions qu’elle véhicule, est comparable à celui d’une loupe. En effet, les passions « grossissent les objets, elles y attachent l’esprit ; et font presque autant d’impression sur lui que les choses elles-mêmes » [45]. L’imagination produira grâce à leur concours des images plus prégnantes, marquera des traces plus profondes dans l’âme. Si l’éloquence est la « maîtresse du cœur », c’est précisément parce que ses armes font appel à l’émotion et non à la raison pure [46].

17La figure qui rivalise le mieux avec le tableau est sans conteste l’hypotypose, une peinture de l’esprit, qui « représente les objets aux yeux ou à l’imagination » [47]. Chez Lamy, l’hypotypose revêt un caractère privilégié en raison de sa grande force persuasive. La vivacité de ce type de description transporte l’auditeur, l’envahit d’enthousiasme devant le spectacle qu’il s’imagine voir. Matérialisant ce qui n’est que signifié, ce qui est en réalité absent, l’hypotypose est l’illusion par excellence, la théâtralisation d’une apparence. Et Lamy d’introduire des comédiens dei ex machina, lorsqu’il pose, très adroitement, l’hypothèse des nouveaux hommes inventant le langage :

Usons de la liberté des poètes, et faisons sortir de la terre ou descendre du ciel une troupe de nouveaux hommes qui ignorent l’usage de la parole. Ce spectacle est agréable : il y a plaisir de se les imaginer parlant entre eux avec les mains, avec les yeux, par des gestes et des contorsions de tout le corps. [48]

18De cette hypotypose, retenons qu’elle conjugue, comme il se doit, l’art de traiter les ensembles, la troupe des nouveaux hommes, sans omettre les détails, ceux de la pantomime. En ayant recours au présent − le reste de l’expérience se déroulant sur le mode potentiel, celui du vraisemblable scientifique [49] − et à une formulation hautement descriptive, elle offre un temps d’arrêt, un moment d’observation limité en contraste avec le style du traité de rhétorique proprement dit [50].

Liberté des poètes et expérience des géomètres

19Tout d’abord, pourquoi cette invocation de la liberté des poètes ? Le poète est justement celui qui ne se soumet pas à l’usage : « On donne toute liberté aux poètes, ils ne s’assujettissent point aux lois de l’usage commun, et ils se font un nouveau langage » [51]. Changeant soudain de masque, notre auteur utilise quelques instants leur langage extraordinaire et, par un processus de mise en abîme, il décrit des hommes inventant eux-mêmes un nouveau langage non encore dominé par l’usage [52]. La langue grecque, par exemple, modèle de perfection pour Lamy, ne devint vive, énergique et harmonieuse qu’en bénéficiant de la liberté raisonnable que s’octroyait un peuple de philosophes, à la fois poètes et musiciens [53], capables de « faire comme une nouvelle langue toute différente de ce qu’elle était dans sa première origine » [54].

20Lamy cautionne ce procédé narratif par la mesure, l’usage réglé de cette licence poétique et cite Horace qui, unissant l’action des poètes à celle des peintres, leur confère « le juste pouvoir de tout oser » [55]. En effet,

21c’est la qualité des choses qui sont grandes et rares, qui excuse et autorise la manière de parler des poètes ; car si ces choses sont communes, il ne leur est pas plus permis qu’à un historien de s’éloigner de l’usage commun. [56]

22De même que les figures sont fonctionnelles, et non pas de simples tours que les rhéteurs ont inventés pour orner le discours, cette hypotypose et la mise en scène qui en découle s’avèrent être en réalité bien plus qu’un simple « artifice de présentation littéraire » [57]. Elles font partie intégrante de la méthode d’exposition du savoir de notre pédagogue, qui consiste à faire visualiser l’objet à analyser. Pour apprendre la géographie, c’est l’image ou le tableau qui sert de catalyseur à l’apprentissage : « Il faut, recommande-t-il, imaginer une toile peinte dans la tête pour visualiser la géographie ». Pour l’histoire aussi, il faut se former une image de l’étendue du temps, de la création du monde jusqu’à nos jours, afin de placer dans cette image chaque chose selon son rang. Lamy recommande pour ce faire l’usage de tables chronologiques [58].

23C’est aussi en invoquant les expériences de pensée que font les géomètres que Lamy donne des assises scientifiques à sa recherche [59] :

24on sait que les géomètres supposent des choses qui ne sont point, et que cependant ils en tirent des conséquences fort utiles. Dans la supposition que je faisais donc que ces hommes eussent su articuler, [...], j’ai pu considérer quelle forme ils auraient donnée à leurs paroles pour marquer les différentes pensées. [60]

25L’hypotypose ne nous semble donc guère témoigner d’un procédé typiquement anticartésien, propre à la « tradition humaniste » [61], mais elle nous suggère, au contraire, un rapprochement avec l’hypothèse cartésienne présente dans le Discours de la Méthode [62]. En établissant un parallèle entre cette dernière et la poétique aristotélicienne, selon laquelle « le rôle du poète est de dire non pas ce qui a lieu réellement, mais pourrait avoir lieu dans l’ordre du vraisemblable ou du nécessaire », Descartes, et Lamy dans notre cas, suivent la démarche du poète, qui s’élève au-dessus du contingent pour atteindre une autre vérité et s’oppose à l’historien soumis à la « confusion du monde des sens » [63].

26Enfin, notons aussi que l’indispensable recours à la fiction dans la description de l’origine génétique du langage peut aussi s’entendre comme une technique d’argumentation qui évite de résoudre son incompatibilité théorique avec la thèse de l’origine divine [64]. La feinte établie permet de raisonner sur le plan de l’action comme si ces faits s’étaient réellement déroulés. Au risque d’être considérée comme un récit mensonger, il est fondamental que cette fable soit admise par le lecteur, d’où son caractère particulièrement persuasif.

Admiration et plaisir

27Notre pédagogue est convaincu de notre incapacité à comprendre un raisonnement s’il n’est établi sur quelque expérience sensible. C’est pourquoi les expressions abstraites sont des énigmes à la plupart des gens, et que seules plaisent celles qui forment dans l’imagination une peinture sensible de ce qu’on veut leur faire concevoir [65]. Pour faire comprendre les principes d’une grammaire générale, une certaine séduction s’impose. Dès la préface, Lamy déclare n’avoir aucune crainte que ses lecteurs, qui aiment qu’on traite des choses « solidement », soient rebutés par les termes grammaticaux employés dans le premier livre de sa Rhétorique [66]. Mais cette présomption flatteuse ne suffit pas à entraîner l’adhésion d’un public qu’il désire le plus large possible. Si notre auteur a recours à une hypotypose lorsqu’il pose l’hypothèse de l’origine génétique du langage, c’est parce que cette figure a le pouvoir de susciter leur admiration. Cette passion, définie par Descartes comme « une subite surprise de l’ame, qui fait qu’elle se porte à considérer avec attention les objets qui lui semblent rares et extraordinaires » [67], a pour particularité de ne provoquer aucun changement dans le cœur et dans le sang, n’ayant pour objet que la connaissance, et non le bien ou le mal, des choses que l’on admire. En étroite relation avec le cerveau, elle permet justement de focaliser l’intérêt sur des problématiques où la réflexion doit s’exercer. C’est précisément le cas dans cette description imagée où l’apparition prodigieuse de ces hommes produit, dans un premier temps, l’étonnement et l’éveil de la curiosité. Une fois l’attention captée et l’assentiment obtenu, il est plus aisé d’amener le lecteur à la compréhension de la genèse progressive du langage.

28Toute pédagogie est aussi une rhétorique. La notion de plaisir, omniprésente dans l’hypotypose ( « ce spectacle est agréable ; il y a plaisir de se les imaginer... » ), participe aussi à la réception favorable de la thèse de notre auteur. Le plaisir fait tout d’abord partie d’une certaine conception de l’étude que prône Lamy, où apparaît le rôle essentiel du « sel de l’étude ». Il faut du sel pour réveiller l’appétit et le secret de ceux qui veulent animer les études, c’est d’y mettre quelque assaisonnement [68]. On aurait tort, selon lui, de condamner ce qu’il nomme les « études curieuses », si utiles lorsqu’il s’agit d’éveiller la curiosité de l’élève. Le plaisir est donc un ingrédient indispensable à la réussite d’un apprentissage [69].

29Par ailleurs, notre auteur, lançant un défi au refus pascalien de définir l’éloquence du cœur [70], tâche de déterminer la nature du plaisir esthétique que Bouhours avait gracieusement étiqueté le je ne sais quoi :

Lorsque je parle de ce qui plaît dans le discours, je ne dis pas que c’est un je ne sais quoi, qui n’a point de nom ; je le nomme et, conduisant jusqu’à la source de ce plaisir, je fais apercevoir le principe des règles que suivent ceux qui sont agréables. [71]

30La recherche de l’origine génétique du langage a précisément pour but de déterminer l’origine du plaisir qu’offre le discours en cernant l’ordre naturel, directement lié à celui de beauté naturelle [72]. Pour rendre la parole conforme au tableau de nos pensées, une mise en ordre rationnelle s’impose. De même, dans les arts picturaux, les mathématiques permettent de calculer la perspective, en trouvant « le passage des rayons qui feroient voir ces objets », et d’aboutir à une représentation harmonieuse du réel [73]. La raison intervient donc au côté de l’imagination comme un élément régulateur permettant la mise en place d’un équilibre dans l’art de parler (ou de peindre), c’est-à-dire lorsque les idées exprimées ont « un rapport avec leur tout, et qu’elles conspirent pour atteindre cette fin » [74]. L’équilibre et l’unité dans le processus de représentation des idées sont aussi la principale qualité discursive du latin. Le plaisir esthétique que suscite l’art de parler peut alors se définir comme issu de cette ressemblance qui s’établit entre l’image que les paroles forment dans l’esprit et les objets dont elles sont la peinture [75]. Cette volonté de définir avec précision l’émotion que suscitent les œuvres d’art [76] témoigne de la nécessité déjà latente d’une science de l’art, dont les premières fondations seront jetées en 1750 par l’Aesthetica de Baumgarten.

B. LAMY, PARTISAN DES THÈSES MATÉRIALISTES SUR L’ORIGINE DU LANGAGE ?

Illusion et vraisemblance

31Fondant sa grammaire sur un récit profane, Lamy joue sur le mode fabuleux − ces hommes seraient « tombés du ciel » ou « nés de la terre » − dans le but explicite de discréditer ce qui n’est au demeurant qu’une fable, comparable à celles qu’inventent les poètes ou qu’établissent les géomètres. Mais notre auteur manipule aussi l’idée du plaisir essentiel que l’on éprouve à se sentir trompé. Bien que ce que l’on représente en poésie et en peinture ne soit pas à proprement parler « véritable », le mensonge, ne procurant aucun plaisir, doit à tout prix être évité. Selon les codes esthétiques classiques, l’illusion doit donc toujours apparaître, on ne peut jamais tromper un public à son insu. Si l’on ne reconnaît pas l’ingéniosité du procédé, l’artifice perd tout intérêt et le plaisir disparaît. Lamy ne manque pas d’émailler son propos de nombreuses allusions au caractère théâtral (et donc fictif) de son hypothèse : « Après que ces nouveaux hommes ont joué leur personnage », « Ce spectacle est agréable », « Parlons de ces hommes que nous introduisons sur la scène », « Avant que les acteurs de cette espèce de comédie que nous faisons jouer se retire de dessus le théâtre », « Voyons nous-mêmes ce que nous ferions si nous avions un personnage dans cette comédie », etc. Il nous indique clairement qu’il ne s’agit que d’une représentation et que le voile ne sera que provisoirement levé sur une scène ludique, apparemment anodine, mais cependant suffisamment détaillée pour que nous puissions en saisir toute la portée heuristique... En effet, pour qu’il y ait plaisir, il est également impératif que toute fiction soit vraisemblable, qu’elle soit « dans la possibilité des choses arrivées, ou à arriver » [77]. Jusqu’où Lamy pousse-t-il l’illusion ? Le vraisemblable étant le domaine même du rhétorique, la position de notre auteur par rapport au statut de vérité du récit choisi pour décrire l’origine génétique du langage mérite d’être quelque peu éclaircie.

La fable de Diodore de Sicile

32Annoncée dès la préface et occupant près de la moitié du premier livre de la Rhétorique, la petite comédie se clôt par une phrase pleine de sous-entendus :

Si ce que Diodore de Sicile a écrit de l’origine des Langues était véritable ; ce que nous avons dit de ces nouveaux hommes qui se sont formé une langue, ne serait pas une fable mais une véritable histoire.  [78]

33Malgré les démentis explicites et les précautions narratives prises par notre auteur, Frain du Tremblay, ardent défenseur de l’origine divine du langage, citera cette hypothèse sur le mode ironique afin de la battre en brèche [79]. Il serait tentant de considérer comme lui que Lamy se rallie en réalité aux thèses dites « matérialistes » sur l’origine du langage. Sans pouvoir offrir de réponse péremptoire, certains rapprochements nous permettent d’affirmer qu’il y a tout lieu de le supposer.

34Lamy fut tout d’abord fort proche de l’oratorien Richard Simon [80]. L’auteur de la célèbre Histoire critique de l’Ancien Testament (1685) est l’un des premiers, à la même époque, à ne pas soutenir explicitement la thèse de l’origine divine du langage, allant jusqu’à se moquer de ceux qui font de Dieu un « grammairien » [81]. Lamy partage avec lui l’opinion selon laquelle certaines descriptions extraordinaires présentes dans la Bible ne sont en réalité que des figures de style destinées à émouvoir et à éduquer le peuple ignorant. Il considère également que le châtiment babélique ne fut pas la seule cause à l’origine de la multiplicité et de la diversité des langues [82].

35De manière plus générale, notre auteur aimerait voir un jour s’élaborer une histoire des temps très reculés qui sache démêler le faux du vrai : « Je desirois [...] que des personnes judicieuses fissent une Histoire de ces premiers tems des Païens, soit de l’obscur, soit du fabuleux ». Les fables des Anciens sont les histoires véritables de l’Ancien Testament, qu’ils savaient par tradition et qu’ils ont altérées [83]. Mettre de l’ordre dans la confusion des païens, trouver la vérité ou le vraisemblable dans leurs fables, de telles préoccupations animaient sans conteste notre oratorien qui fut aussi critique biblique, comme l’illustrent ses recherches sur la vie de Jésus [84] et la querelle sur la date de Pâques, dont il fut à l’origine [85].

36Parmi ces païens, notre auteur condamne sans appel « l’impertinent Épicure », tant pour ses théories linguistiques que pour sa physique. Lamy suit en effet la critique de Malebranche sur la génération spontanée, critiquant l’idée selon laquelle des hommes pourraient naître de la terre « comme des champignons », ou des « potirons » [86]. On notera que cette prise de position lui permet en même temps d’atténuer le caractère vraisemblable de son hypothèse sur l’origine génétique du langage, où les protagonistes apparaissaient comme par enchantement, tombés du ciel ou générés par la terre. Par contre, il nous semble très proche de Diodore de Sicile dont il cite de forts longs passages dans sa Rhétorique. Diodore, contrairement à Épicure, décrit l’origine du langage comme une création consciente de l’homme [87] et non un phénomène originel entièrement soumis à une détermination naturelle comme chez les animaux. Lamy suit la même interprétation :

Il est évident que ces hommes sortis nouvellement de la terre ou descendus du ciel se seraient pu faire un langage [...] sans qu’on pût dire que quelque impression corporelle les y eût obligés, ou que la seule disposition de leur organe le leur eût fait prononcer ; ainsi que la voix ou le cri qui sort du gosier d’un cheval est un hennissement. [88]

37Ni pur instinct, ni simple vibration de l’appareil phonatoire, la parole n’est pas une mécanique aveugle, indépendante de la pensée. Par ailleurs, pour Lamy, si les mots étaient purement naturels, on parlerait partout la même langue, « puisque la nature agit de la même manière en tous les hommes » [89]. Le récit de Diodore offre en réalité le seul modèle vraisemblable à partir duquel une réflexion analytique sur l’origine du langage peut se construire :

[Diodore] dit donc que les hommes nés de la terre comme les herbes dans un jardin, les grenouilles dans un étang, que ces hommes dis-je, qui étaient dispersés de côté et d’autres, apprirent par expérience qu’il leur était avantageux de vivre ensemble pour se défendre les uns les autres contre les bêtes : que d’abord ils s’étaient servis de paroles confuses et grossières, lesquelles ils polirent ensuite, et établirent des termes nécessaires pour s’expliquer sur toutes les matières qui se présentaient. [90]

38Lamy accorde à l’art oratoire un rôle fondamental parmi les sciences. À l’image du « soleil dans le monde » [91], elle éclaire les ténèbres où sont plongées les âmes ignorantes, incapables d’écrire ou de parler. Ouvrant un espace de lumière là où le miracle opacifiant des Écritures masquait la vérité aux hommes, l’histoire profane de Diodore de Sicile servira non seulement à comprendre la genèse de la parole, objet de l’art de parler, mais aussi à reconstruire l’histoire des temps fabuleux et incertains.

À LA RECHERCHE D’UN IMPROBABLE ÉQUILIBRE

39La poétique de l’origine du langage de Bernard Lamy repose sur une conscience aiguë de l’ambiguïté de la parole, liée à sa double nature, « matérielle » et « spirituelle ». À l’image de l’homme, dont elle traduit les pensées et les émotions, elle est de chair et d’esprit.

40La parole est un corps. De même qu’un peintre doit connaître l’anatomie des êtres vivants pour les peindre parfaitement, l’orateur, pour atteindre un équilibre parfait dans son art, ne peut comprendre les mécanismes de fonctionnement de la grammaire qu’en visualisant « l’anatomie », c’est-à-dire l’origine ou les principes fondateurs des mots [92]. Lorsque les poètes parent leur discours de figures, « on remarque en les lisant comme ils embellissent les choses, & comme aprés avoir arrangé, pour ainsi dire, les os, les avoir liez de nerfs, de muscles, & revétus de chair, enfin ils les couvrent d’une belle peau » [93]. Comme une horloge démontée puis assemblée pièce par pièce, le mécanisme de la langue une fois recréé disparaît sous un boîtier, son usage recouvrant ses fondations grammaticales. La fable de Diodore est l’instrument qui permet cette reconstruction heuristique.

41La parole est une âme. La recherche de l’origine génétique du langage répond au problème de l’opacité ou de la polysémie excessive de son emploi usuel qui l’éloigne de toute prétention à la transparence. Une langue entendue de tous ne peut exister que si tous les hommes concevaient les choses de la même façon et s’exprimaient par des termes propres. Seules les sciences bénéficient d’un tel mode de communication : « tous les géomètres tiennent le même langage, quand ils démontrent ce théorème : les trois angles d’un triangle sont égaux à deux angles droits ». Le caractère univoque de cette expression tient au fait qu’ils se servent de termes renvoyant à des objets qui nous déterminent à parler comme nous pensons. Leur réflexion s’exerçant identiquement, suivant les mêmes paramètres, les géomètres tiennent le même langage. Mais les facultés humaines ne se limitent pas à la pure ratiocination et la même chose ne paraît jamais la même à tous les hommes.

42La Rhétorique ou l’Art de parler rend parfaitement compte de la dichotomie ressentie entre l’être des choses, que seuls les hommes de science seraient capables de traduire en faisant appel à l’entendement, et leur paraître, fondé sur l’imagination, que les hommes « égarés » tiennent pour la vérité. À l’époque classique, cette poétique de l’origine du langage a pour fonction principale la connaissance de la nature humaine saisie dans toute sa complexité et ses paradoxes. Elle reflète aussi l’éternelle recherche d’un improbable équilibre entre l’ordre de la raison et la vivacité des passions.

Notes

  • [1]
    De 1675 à 1780, La Rhétorique ou l’Art de parler du P. Bernard Lamy connut plus de 25 éditions, dont certaines fort remaniées par l’auteur, sans compter les traductions en anglais (1676, 1696, 1708), en italien (1750) et en allemand (1753). Nous renvoyons à la précieuse réédition annotée de B. Timmermans (Paris, PUF, 1998) qui tient compte de toutes les éditions parues en français. Le corps du texte renvoie à la dernière édition augmentée de 1741 (posthume).
  • [2]
    Voir l’incontournable étude de F. Girbal, Bernard Lamy. Étude biographique et bibliographique, Paris, PUF, 1964.
  • [3]
    B. Lamy, op. cit., p. 139.
  • [4]
    Au sens moderne courant, « l’ensemble des principes esthétiques qui guident un écrivain dans son œuvre ». Cf. M. Angenot, Glossaire pratique de la critique contemporaine, Ville-la-Salle, Hurtubise, 1979, p. 155.
  • [5]
    M. Charles, Rhétorique de la lecture, Paris, Le Seuil, 1977.
  • [6]
    Voir l’analyse détaillée de C. Noille-Clauzade, dans son Introduction à une autre réédition récente de La Rhétorique de Bernard Lamy, Paris, Champion, 1998.
  • [7]
    B. Lamy, op. cit., p. 15.
  • [8]
    Ibid., p. 461 : « ... La logique dont l’étude est absolument nécessaire à un orateur ». B. Lamy a résumé la Logique d’Arnauld et Nicole (1662) dans ses Entretiens sur les sciences (1684) sous le titre d’Idée de la Logique.
  • [9]
    Comme l’affirme Descartes, dans la cinquième partie du Discours de la méthode. Dans son Discours physique de la parole (1668), le cartésien G. de Cordemoy offre à ce propos une curieuse expérience de pensée, poussant (presque) jusqu’à l’absurde l’hypothèse selon laquelle les hommes qui l’entourent ne seraient que des imitations mécaniques de lui-même, de simples corps sans âme.
  • [10]
    B. Lamy, La Rhétorique ou l’Art de parler, op. cit., p. 24.
  • [11]
    Le chapitre XI du premier livre de La Rhétorique ou l’Art de parler s’intitule : « Les figures sont comme les armes de l’âme. Parallèle d’un soldat qui combat, avec un orateur qui parle ».
  • [12]
    La première forme du livre (éditions de 1675 et 1676) témoigne de la volonté de distinguer nettement « l’art de parler » de « l’art de persuader » (op. cit., p. 437, n. 3). P. France a souligné cette ambiguïté fondamentale propre à la rhétorique de l’époque classique (Rhetoric and Truth in France. Descartes to Diderot, Oxford, Clarendon Press, 1972, p. 25-28). Pour une interprétation de cette prise de position (temporaire) chez Lamy, voir R. Behrens, Perspektiven für eine Lektüre des « Art de parler » von B. Lamy, München, Wilhem Fink Verlag, 1980, ainsi que C. Noille-Clauzade, op. cit.
  • [13]
    L’âme ou l’esprit, que Arnauld, préférant le terme générique « mens », définit très précisément dans ses Réflexions sur l’éloquence des prédicateurs (1695), p. 83. L’esprit, nous dit-il, considéré en lui-même, comprend d’une part l’entendement, « qui a le vrai pour objet » et d’autre part la volonté « qui a le bon pour objet ». Si on le définit par rapport au corps, il est alors réparti en « sens extérieurs », comprenant les appétits naturels (la faim ou la soif, par exemple) et les « sens intérieurs » c’est-à-dire les passions de l’âme.
  • [14]
    A. Arnauld, C. Lancelot, Grammaire générale et raisonnée de Port-Royal (1676), Stuttgart-Bad Cannstatt, F. Frommann Verlag, 1966, p. 29.
  • [15]
    Les mots sont par nature arbitraires. Dans La Rhétorique ou l’Art de parler, Lamy suit la définition augustinienne du signe, qui est aussi celle de la Logique d’Arnaud et Nicole. Le mot appartient à la catégorie des signes artificiels, « qui ne signifient que ce que les hommes sont convenus qu’ils signifieraient », par opposition aux signes naturels, signifiant « par eux-mêmes », comme la fumée est un signe qu’il y a du feu. Le signe naturel est donc immédiat, spontané, et ne nécessite aucune institution préalable. Les mots, au contraire, sont des signes médiats, produits d’une opération préalable de l’esprit qui les institue a posteriori (op. cit., p. 32-33).
  • [16]
    Ibid., p. 118.
  • [17]
    Pour une étude détaillée sur cette problématique à la Renaissance, voir M..L. Demonet, Les voix du signe. Nature et origine du langage à la Renaissance (1480-1580), Paris, Champion, 1992.
  • [18]
    Ce procédé particulier connut à l’époque un certain retentissement. P. Bayle en témoigne dans les Nouvelles de la République des lettres : « On fait cas [dans la République des Lettres] d’une Rhétorique du P. Lamy, qu’il apelle l’Art de parler, où il a inseré plusieurs Remarques curieuses sur la manière dont il croit que les hommes inventeroient une Langue, supposé que Dieu les mît dans un nouveau monde, dans l’âge de raison, &c. » (Lettre à Minutoli du 6 février 1676, Lettres de Mr Bayle, Amsterdam, 1729, t. I, p. 103). Cité par F. Girbal, op. cit., p. 44.
  • [19]
    Si La Rhétorique ou l’art de parler porte l’empreinte des Remarques sur la langue française de Vaugelas (1647), nous y trouvons également deux digressions sur un projet de langue universelle (op. cit., livre I, chap. VI et X). Lamy donne-t-il sa préférence à l’usage ou à la raison ? En fait, pour lui, c’est « la raison et la nécessité » qui nous obligent à suivre l’usage au risque d’ « envelopper dans les ténèbres ce que l’on veut expliquer » (ibid., p. 128). Les mots étant, par nature, des signes de nos idées liés par l’usage à certaines choses, il est nécessaire, pour se faire entendre, de les employer dans le sens établi, qu’il l’ait été avec ou sans raison ! Il existe cependant trois moyens de discerner le bon usage du mauvais : l’expérience, l’analogie (la régularité propre à chaque langue), mais aussi la raison, d’où l’indispensable recours à l’origine génétique de la langue (ibid., livre I, chap. XVII).
  • [20]
    Ibid., p. 134.
  • [21]
    G. Rodis-Lewis suggère que Lamy ait mis en scène la « fable » initiale pour répondre à Descartes sur les résistances de l’usage à la création d’une langue universelle (« Un théoricien du langage : Bernard Lamy », L’anthropologie cartésienne, Paris, PUF, 1990, p. 272, n. 120).
  • [22]
    À l’instar de la Logique de Port-Royal, Lamy critique ceux qui, parlant comme des « perroquets », se servent de mots dont ils ne connaissent pas la signification (op. cit., p. 34). Pour une mise au point sur cette problématique, voir U. Ricken, « Abus des mots », Dictionnaire européen des Lumières, sous dir. M. Delon, Paris, PUF, 1997, p. 1-4.
  • [23]
    N. Beauzée, Grammaire générale ou exposition raisonnée des éléments nécessaires du langage pour servir de fondement à l’étude de toutes les langues (1767), Préface, IX.
  • [24]
    B. Lamy, op. cit., p. 126.
  • [25]
    Ibid., p. 226.
  • [26]
    Ibid., p. 48.
  • [27]
    Ibid., p. 203.
  • [28]
    B. Lamy, Elemens de Geometrie, ou de la mesure de l’étendue, Paris, 1734 (1re éd. 1685), Préface.
  • [29]
    Descartes, Les passions de l’âme, éd. Adam-Tannery, Paris, Vrin, 1996, XI, p. 350.
  • [30]
    Dans La Rhétorique ou l’Art de parler, Lamy n’occulte pas les effets contraires des passions sur l’âme. Pour les décrire, il se sert de la métaphore du vent (op. cit., p. 182), image présente dans le Traité du sublime de Longin, traduit par Boileau en 1674. Cependant, pour contrôler ces « dérèglements » qui envahissent les hommes, Lamy nous invite à détourner ces mêmes inclinations « pour les attirer dans les sentiments qu’on leur veut faire prendre, comme les matelots se servent du vent contraire pour arriver dans le port d’où il les éloignait » (ibid., p. 479-480). Sur Bernard Lamy et le sublime, voir L. Kerslake, Essays on the sublime. Analyses of French Writings on the Sublime from Boileau to La Harpe, Bern, Peter Lang, 2000, p. 119-126.
  • [31]
    B. Lamy, Elemens de géométrie, op. cit., Préface. Le parallèle entre corps et figure n’est évidemment pas fortuit. Au début du XIXe siècle, P. Fontanier indique à ce propos que le discours, qui ne s’adresse qu’à l’intelligence de l’âme, n’est pas un corps, « à proprement parler », et n’a donc pas de figure. Cependant, dans ses différentes manières de signifier et d’exprimer, il a « quelque chose d’analogue aux différences de formes et de traits qui se trouvent dans les vrais corps » (Les figures du discours, Paris, Flammarion, rééd. 1968, p. 62).
  • [32]
    B. Lamy, Traité de perspective, Paris, 1734 (1re éd. 1701), p. XI. Sur les rapports entre rhétorique et vision, voir l’étude de P. Zoberman, « Voir, savoir, parler : la rhétorique et la vision au XVIIe et au début du XVIIIe siècle », XVIIe siècle, 133 (1981).
  • [33]
    Pour une analyse du concept de couleur comme lieu de réflexion sur les rapports entre littérature et arts chez B. Lamy, voir l’étude de A. Becq, « Rhétoriques et littérature d’art en France à la fin du XVIIe siècle : le concept de couleur », La littérature et les arts au XVIIe siècle. Cahiers de l’Association internationale des études françaises, 24 (1972), p. 215-232.
  • [34]
    À la fin du XVIIIe siècle, A. Court de Gébelin définit encore la grammaire universelle comme servant à faire connaître « tout ce qui doit entrer dans la peinture que nous faisons de nos idées, afin qu’elle soit conforme à son original » (Le Monde primitif analysé et comparé avec le monde moderne, 1774, t. II, p. 6).
  • [35]
    Dans son Traité de perspective, Lamy consacre de larges développements mathématiques et physiques (optiques) pour fonder les règles nécessaires à l’élaboration d’un tableau. Comme l’orateur, le peintre, pour exceller dans son art, doit en connaître parfaitement les fondements.
  • [36]
    B. Lamy, Traité de perspective, op. cit., Préface.
  • [37]
    Voir U. Ricken, Grammaire et philosophie au siècle des Lumières. Controverses sur l’ordre naturel et la clarté du français, Paris, PUL, 1978.
  • [38]
    B. Lamy, La Rhétorique ou l’Art de parler, op. cit., p. 202 (nos italiques).
  • [39]
    Ibid., p. 105.
  • [40]
    On retrouve le même concept chez A. Court de Gébelin, Le Monde primitif, op. cit., p. 17 : « L’idée d’un objet se peint dans notre esprit, tout à la fois, d’un clin d’œil ; il serait donc à désirer qu’elle pût être rendue avec la même rapidité ». Dans ses intimistes Rêveries, J.-J. Rousseau nous livre cependant une interprétation contraire, où la parole, plus vive, se manifeste avant la pensée : « Sa marche [celle de la conversation], plus rapide que celle de mes idées, me forçant presque toujours de parler avant de penser » (Les Rêveries du promeneur solitaire, dans Œuvres complètes, Paris, Gallimard, 1959, I, p. 1033).
  • [41]
    A. Furetière, Dictionnaire universel (1690). Pour Arnauld, imaginer est « une maniere de concevoir par des images tracées dans le cerveau ». Il la distingue « d’une autre maniere de concevoir qu’on appelle intelligence, par laquelle nôtre ame n’a pas besoin de ces images » (Réflexions sur l’éloquence des prédicateurs, op. cit., p. 88-89).
  • [42]
    B. Lamy, La Rhétorique ou l’Art de parler, op. cit., p. 362. L’attention particulière portée à l’imagination peut aussi s’entendre dans le contexte de la querelle de l’éloquence sacrée. Née dans la deuxième moitié du XVIIe siècle, cette dernière a mis aux prises Arnauld, partisan de l’usage de l’imagination dans les sermons contre Goibeau-Dubois et François Lamy (à ne pas confondre avec Bernard !), défenseurs de l’ordre géométrique et de la raison. B. Lamy insère un chapitre consacré aux discours ecclésiastiques dans sa Rhétorique dès 1688.
  • [43]
    B. Lamy, op. cit., p. 225.
  • [44]
    B. Lamy, Traité de perspective, op. cit., p. 4.
  • [45]
    B. Lamy, La Rhétorique ou l’Art de parler, op. cit., p. 181. Comme l’a souligné B. Timmermans, Lamy fait preuve d’une certaine originalité en caractérisant la figure avant tout comme l’expression d’une passion – lien néanmoins déjà souligné par Cicéron et Quintilien –, et non comme un écart de sens, définition qu’il réserve aux tropes (op. cit., p. 545, n. 123).
  • [46]
    Ibid., p. 229. Dans De la recherche de la vérité (1674), son ami Malebranche consacre lui aussi un chapitre à « l’usage que l’on peut faire des passions et des sens pour conserver l’attention de l’esprit » (Paris, Vrin, 1945, VI, III, p. 163-168).
  • [47]
    Dictionnaire de l’Académie françoise, 1694.
  • [48]
    B. Lamy, op. cit., p. 45-46. Lamy, qui se fait plus prudent au cours des rééditions (conséquence de son exil forcé après qu’il eut enseigné la philosophie de Descartes à Angers ?), insère, dans l’édition de 1741, une note où il indique que « l’auteur reconnaît ailleurs l’impossibilité démontrée de cette supposition » (ibid., p. 46, n. 1).
  • [49]
    M.-L. Demonet aperçoit un changement progressif dans les différents modes de narration de l’origine des langues à la Renaissance (« Du mythe à l’hypothèse : les changements méthodiques dans les recherches sur l’origine des langues au XVIe siècle », La linguistique entre mythe et histoire, D. Droixhe et C. Grell (éds), Münster, Nodus, 1993, p. 11-29).
  • [50]
    Nous suivons les critères définis par H. Mortier dans le Dictionnaire de poétique et de rhétorique, Paris, PUF, 1975, p. 497-509.
  • [51]
    B. Lamy, op. cit., p. 409.
  • [52]
    Remarquons que dans ses Nouvelles réflexions sur l’Art poétique (1678), Lamy adopte un ton singulièrement plus sévère à l’égard des effets de la poésie qui, en faisant trop souvent appel à l’imagination, nous détournent des vérités divines.
  • [53]
    Lamy cite Strabon, Géographie, I, 2, 6. On retrouve un thème cher à Rousseau qui, dans son Essai sur l’origine des langues (posth.), fait de la première langue, une langue de poètes.
  • [54]
    B. Lamy, op. cit., 149 (nos italiques).
  • [55]
    Horace, Art poétique, trad. F. Villeneuve, Paris, « Les Belles Lettres », 1934, v. 9-10.
  • [56]
    B. Lamy, op. cit., p. 409-410.
  • [57]
    G. Rodis-Lewis, op. cit., p. 253.
  • [58]
    B. Lamy, Entretiens sur les sciences, éd. crit. et annotée par F. Girbal et P. Clair, Paris, PUF, 1966, p. 106-107. Lamy cite les tables de Sanson, du P. Pétau, du P. de Sainte-Catherine et de Marcel, l’auteur de tablettes de poche sous forme de jeux de cartes. Remarquons que dans le Dictionnaire historique-portatif de Ladvocat (1760), l’histoire universelle, présentée sous forme abrégée, est comparée à un tableau en miniature, ce dernier pouvant « conserver la ressemblance de son objet, & en représenter en petit aussi exactement tous les traits, que le tableau de la plus grande étendue » (Préface, VI).
  • [59]
    Dans la Dioptrique, Descartes se sert d’une formulation comparable avant de démontrer, par une série de comparaisons, la nature de la lumière : « [...] imitant en cecy les Astronomes, qui bien que leurs suppositions soient toutes fausses ou incertaines, toutefois, à cause qu’elles se rapportent à diverses observations qu’ils ont faites, ne laissent pas d’en tirer plusieurs consequences très vrayes & très assurées » (A.-T., VI, p. 83).
  • [60]
    B. Lamy, La Rhétorique ou l’Art de parler, op. cit., p. 409-410.
  • [61]
    J. Chouillet, « Descartes et l’origine du langage », Dix-huitième siècle, 1972, p. 49, n. 2.
  • [62]
    Laissant « tout ce Monde icy a leurs disputes », Descartes propose un monde nouveau qui lui permet d’envisager les faits au-dessus de toute contingence. Ce monde, il faut se l’imaginer comme si Dieu « en composast un Chaos aussy confus que les Poetes en puissent feindre » (A.-T., VI, p. 42).
  • [63]
    Pour la mise en place de ce parallélisme révélateur, voir l’article de F. Hallyn, « Descartes et la méthode de la fiction », dans L’orgueil de la littérature. Autour de Roger Dragonetti, Genève, Droz, 1999, p. 98-99.
  • [64]
    Ch. Perelman, L. Olbrechts-Tyteca, Traité de l’argumentation. La nouvelle rhétorique, Bruxelles, Éd. de l’Institut de sociologie, 1970 (2e éd.), p. 267.
  • [65]
    B. Lamy, op. cit., p. 410.
  • [66]
    Ibid., p. 17.
  • [67]
    Descartes, A.-T., XI, p. 380-381 (nos italiques).
  • [68]
    B. Lamy, Entretiens sur les sciences, op. cit., p. 55.
  • [69]
    Toujours dans les Entretiens sur les sciences, Lamy personnalise ensuite son propos, sous le couvert des paroles d’Aminte. Rebuté par les règles latines qu’on lui faisait apprendre par cœur, il commença à apprécier ses études grâce à l’histoire romaine et à la géographie, parce que enfin il « concevait » (visualisait !) ce que son professeur enseignait. À ce propos, il relate la « conversion » de Malebranche aux sciences après la lecture du Traité de l’Homme de Descartes.
  • [70]
    Pour Pascal, l’art de persuader se définit tant par la capacité de convaincre que par celle d’ « agréer », c’est-à-dire « plaire, estre au gré » (Dictionnaire de l’Académie françoise, 1694), « tant les hommes se gouvernent plus par caprice que par raison ». Il s’abstient cependant de définir cette dernière manière de persuader, « plus difficile, plus subtile, plus utile et plus admirable », car il ne sait « s’il y a moyen de donner des règles fermes pour accorder les discours à l’inconstance de nos caprices ». Cette vision plus pessimiste de la nature humaine est liée à l’impossibilité pour Pascal de « connaître tout ce qui se passe dans le plus intérieur de l’homme » (De l’art de persuader, éd. établie par L. Lafuma, Paris, Éd. du Seuil, 1963, p. 356).
  • [71]
    B. Lamy, La Rhétorique ou l’Art de parler, op. cit., p. 22.
  • [72]
    Ibid., p. 39 : « La beauté plaît, et ce qui est bien ordonné plaît ; ce qui me persuade que l’ordre et la beauté sont presque une même chose » ; par conséquent, « la fin et la perfection de l’art de parler consistent à représenter avec jugement ce tableau qu’on a formé dans l’esprit ».
  • [73]
    B. Lamy, Traité de perspective, op. cit., p. 4-5.
  • [74]
    B. Lamy, La Rhétorique ou l’Art de parler, op. cit., p35. R. de Piles défend le coloris par rapport au dessin en s’appuyant sur le fait qu’un tableau n’est parfait que si toutes les parties qui le composent sont également présentes (Dialogue sur le coloris, 1699, p. 9).
  • [75]
    B. Lamy, op. cit., p. 414-415.
  • [76]
    Lamy reprend l’exemple, tiré de L’Art poétique de Boileau, de la représentation d’un serpent, animal pour lequel on a naturellement de l’aversion. Ce qui plaît n’est pas la vue d’un serpent qui est peint mais l’esprit du peintre qui a atteint la finalité de son art (op. cit., p. 40). Il en va de même pour l’architecture, où la recherche de l’équilibre des proportions prime. Ce principe esthétique aristotélicien est lié au plaisir particulier de reconnaissance face aux imitations ou aux images, non pas pures répliques mais abstractions de l’objet. Voir Aristote, La Poétique, Paris, Le Seuil, 1980, IV, 48 b, v. 9-12.
  • [77]
    P. Richelet, Dictionnaire de la langue françoise (1670). Horace souligne l’importance du principe de la vraisemblance dans son Art poétique (v. 339-340) : « Que les fictions créées pour plaire demeurent tout près de la vérité » puisque le rôle du poète est ou/et d’être utile ou/et de charmer.
  • [78]
    B. Lamy, op. cit., p. 114.
  • [79]
    A. Frain du Tremblay, Traité des langues, 1703, p. 14-15 : « Pour être assuré de ce que je dis, représentons-nous que cette multitude d’hommes sans parole, sortis tout d’un coup de la terre comme des champignons, ou tombez des nuës comme des grenoüilles, & tous déjà dans un âge parfait, car c’est une nécessitez de les suposer à cet âge, se retrouvent tous ensemble, afin qu’ils puissent se composer une langue. Ces hommes sans doute seroient bien étonnez de se voir ; & il est bien difficile de concevoir ce qu’ils penseroient [...] Mais de quoi voudroient-ils parler, ils ne savent rien ? ».
  • [80]
    Il serait sûrement utile d’effectuer des recherches sur le type de liens qui unissaient Bernard Lamy à Richard Simon. F. Girbal considère possible une influence ou du moins des échanges d’idées entre les deux hommes, qui se sont rencontrés pendant leurs études à l’Institution de Paris – où J. Bertad les a initiés à l’hébreu –, et plus tard au collège de Juilly (op. cit., p. 11-12 et 24). Voir aussi J. Steinmann, Richard Simon et les origines de l’exégèse biblique, Paris, Desclée de Brouwer, 1959.
  • [81]
    Frain du Tremblay ne manque pas d’y faire allusion (op. cit., p. 19) : « Ceux qui ne sont pas de ce sentiment, pour le tourner en ridicule, prétendent que nous faisons de Dieu un maître d’École ou un Grammairien qui enseigne aux hommes à parler : mais par ce petit trait, ils ne font que montrer qu’ils ont des idées bien grossieres de la puissance de Dieu, & de sa sagesse. Dieu n’a pas besoin de s’abaisser aux voyes dont se servent les hommes, pour leur apprendre ce qu’il veut qu’ils sachent. Il le fait par des moyens qui sont dignes de lui... ».
  • [82]
    B. Lamy, op. cit., p. 119 et p. 179.
  • [83]
    B. Lamy, Entretiens sur les sciences, op. cit., p. 109. Lamy cite Grotius, Vossius, Bochart, Seldenus, Marsham, Huet et le P. Thomassin, pour qui « tous les Peuples sont venus des Enfants de Noé ».
  • [84]
    B. Lamy, Harmonia sive concordia quatuor evangelistarum (1689). Dans un Commentaire sur cet ouvrage (1699), Lamy insère des citations de l’Histoire critique du Nouveau Testament de R. Simon (F. Girbal, op. cit., p. 95).
  • [85]
    B. Lamy, Traité historique de l’ancienne Pâque des juifs où l’on examine à fond la question célèbre si J. C. N. S. fit cette Pâque la veille de sa mort ; et ce que l’on en a cru (1693). Pour une description des différentes étapes de la « guerre de Pâques », cf. F. Girbal, op. cit., chap. XV.
  • [86]
    B. Lamy, La Rhétorique ou l’art de parler, op. cit., p. 126. P. Rossi a souligné le rapport étroit qu’entretient toute discussion sur le langage à l’époque classique avec les théories sur l’origine et la formation du monde. Origine du monde et origine du langage sont successivement décrites dans les textes de Lucrèce, Horace et Diodore de Sicile, textes qui seront à l’origine de l’éclatement des croyances touchant la genèse biblique. Il serait donc complètement anachronique de dissocier ces deux thèmes de réflexion qui participaient à l’époque d’un même champ d’investigation philosophique (I segni del tempo : Storia della terra e storia delle nazioni da Hooke a Vico, Milano, Feltrinelli, 1979).
  • [87]
    Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, trad. Y. Vernière, Paris, « Les Belles Lettres », 1993, I, 8, 3 : « Alors que leur voix était au départ inintelligible et confuse, ils s’habituèrent insensiblement à articuler des paroles et, convenant de symboles représentatifs de chaque objet, ils en vinrent à reconnaître la signification attribuée à chaque mot ». W. Spoerri différencie la Thesistheorie de Diodore et la Physistheorie des Épicuriens (« Untersuchungen zu Diodor von Sizilien », Schweizerische Beiträge zur Altertumswissenschaft, 9, Reinhardt, Basel, 1959).
  • [88]
    B. Lamy, La Rhétorique ou l’Art de parler, op. cit., p. 48 (nos italiques).
  • [89]
    Ibid., p. 48 (nos italiques). Si Lamy admet qu’il existe des « voix naturelles » comme les soupirs et les exclamations produits par les passions, il n’admet cependant pas que les termes utilisés pour exprimer les idées aient été à l’origine des mots naturels (sauf dans le cas des onomatopées). Pour lui, la diversité des langues existantes prouve que le langage humain est le résultat de la liberté des hommes. Contrairement à Rousseau ou Vico, chez Lamy, les passions seules ne peuvent avoir été à l’origine du langage.
  • [90]
    Ibid., 115.
  • [91]
    Ibid., p. 15. Cette métaphore augustinienne, que l’on retrouve dans l’article « Rhétorique » de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, souligne toute l’importance accordée par Lamy au mode d’expression du savoir, indispensable à la transmission de la vérité. La rhétorique acquiert le statut de science du langage et n’est plus cantonnée au simple rôle d’ornementation.
  • [92]
    B. Lamy, Traité de perspective, op. cit., p. 9-10 : « Un Peintre pourroit-il être excellent, s’il ne connoissoit pas l’homme ? j’entends l’exterieur du corps humain, & ce qui peut paroître sous cet exterieur, les veines, les muscles, les tendons. Il doit donc savoir parfaitement l’Anatomie ou l’exterieur du corps. »
  • [93]
    B. Lamy, Entretiens sur les sciences, op. cit., p. 140. Les métaphores anatomiques du langage sont récurrentes chez Quintilien, Institutions oratoires, I, Pro., 24 ; V, 8, 2 ainsi que V, 12, 6.
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