Notes
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[1]
Ce texte a pu bénéficier des débats et des échanges d’idées qui ont eu lieu au sein du séminaire consacré aux travaux de Susan Silbey de l’Institut des Sciences sociales du Politique de l’ENS de Cachan, en 2016-2017. L’auteure en remercie toutes et tous les participants et les animateurs en particulier, Stéphanie Lacour et Jacques Commaille.
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[2]
Voir Jean Carbonnier, Flexible droit : pour une sociologie du droit sans rigueur, Paris : LGDJ, 1969 ; Jiri Priban, Liquid Society and its Law, Aldershot : Ashgate, 2013 ; Jacques Commaille, À quoi nous sert le droit ?, Paris : Gallimard, 2015 ; Paolo Grossi, L’Europe du droit, Paris : Seuil, 2011.
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[3]
Tom Tyler, Why People Obey the Law, Princeton : Princeton University Press, 2006 ; Charles Tilly, Trust and Rules, Cambridge : Cambridge University Press, 2005 ; Patricia Ewick et Susan Silbey, The Common Place of the Law, Chicago : Chicago University Press, 2014.
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[4]
Elinor Ostrom, Governing the Commons, Cambridge : Cambridge University Press, 1990.
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[5]
Charles Epp, Rights Revolution, Chicago : Chicago University Press, 1990 ; Mariana Valverde, Chronotypes of Law, Londres : Routledge, 2015 ; Boaventura de Sousa Santos, Toward a New Legal Common Sense, Cambridge : Cambridge University Press, 2012 ; Mauricio García Villegas, Derecho y Sociedad, Bogota : Universidad Nacional de Colombia, 2003.
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[6]
Santi Romano, L’ordre juridique, Paris : Dalloz, 2002, p. xiii.
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[7]
Ibid., p. 84.
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[8]
Gustav Radbruch, juriste allemand, exprima dans la phrase suivante une position qui touche au cœur de la relation entre le droit positif et les principes de justice : le droit positif doit être appliqué même si son contenu est inadéquat, sauf dans les cas où le contraste entre le droit et la justice arrive à un niveau tellement intolérable que la loi, conçue comme droit positif, doit se limiter ou être limitée face aux principes de justice. La formule, prononcée dans un livre publié en allemand en 1946 (Gesetzliches Unrecht und übergesetzliches Recht), à la sortie de la Seconde Guerre mondiale et en plein débat sur les enjeux entre loi et justice, est au cœur de l’élaboration successive portant sur l’obéissance aux lois injustes.
-
[9]
Pietro Calamandrei, Discorso ai giovani sulla costituzione, edité dans Lo stato siamo noi, Ancona : Chiarelettere, 2011.
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[10]
Le concept de légalité duale est ici utilisé dans le sens que l’on trouve défini par Jacques Commaille, À quoi nous sert le droit ?, op. cit., p. 84 : « faire le constat de la légalité duale… ce n’est qu’admettre que le droit ne fait que reproduire cette “polarité idéal-typique” classique quand il s’agit de considérer les systèmes... comme hiérarchies de commandement ou comme des systèmes d’interaction et d’interdépendance » [cité dans le texte de John Crowley, « Usages de la gouvernance et de la gouvernementalité », Critique internationale, 21, 2003, p. 52-61]. La stratégie conceptuelle adoptée par l’auteur est basée sur une ontologie du droit de type pluraliste (plusieurs sources du droit) et multi dimensionnelles (plusieurs dimensions du phénomène). La dualité de la légalité fait partie de la nature de la légalité. On n’a pas de « légalité » sans en avoir les deux composantes liées dans une interdépendance dialectique. Par conséquent, la légalité n’est pas le genus dont on dérive la légalité duale. La légalité duale est une façon de spécifier, de mettre en lumière une caractéristique constitutive de la légalité, son être dual (on fait aussi référence à Daniela Piana, Rule of Law, entry « International Encyclopedia Political Science », Londres : Sage, 2010).
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[11]
Le niveau « méso » est celui qui indique les espaces de la réalité sociale où on peut observer les effets et les mécanismes des interactions entre les acteurs. Le niveau méso peut – mais pas nécessairement – prendre la forme d’une arène, mais il peut aussi se configurer comme une situation d’action non structurée, dérivant du fait que les comportements des acteurs sociaux en interagissant d’une façon directe ou indirecte engendrent des conséquences qui par ailleurs ne seraient pas en mesure d’être produites sans les interactions. Voir, par exemple, Raymond Boudon, La place du désordre, Paris : PUF, 1990.
-
[12]
Paul Ricoeur, Le Juste, Paris : Éditions Esprit, 1990, p. 190.
-
[13]
Claude Rivière, Socio-anthropologie des religions, Paris : Armand Colin, 1991, p. 81.
-
[14]
Anthony Good, Daniela Berti et Gilles Tarabout, « Introduction », in Id. (eds.), Of Doubt and Proof, op. cit., p. 1.
-
[15]
John Searle, The Construction of Social Reality, New York : Free Press, 1997.
-
[16]
Jan Budniok, « When Judges Feel Misjudged: Encountering Doubt in Ghanaian Courts », in Daniela Berti, Anthony Good et Gilles Tarabout (eds.), Of Doubt and Proof, op. cit., p. 148.
-
[17]
Daniela Berti et Devika Bordia, « Introduction », in Id. (eds.), Regimes of Legality, op. cit., p. 1.
-
[18]
Pratiksha Baxi, « “Pyar Kiya to Darna Kya”: On Criminalizing Love », ibid., p. 85.
-
[19]
Ibid., p. 92.
-
[20]
Daniela Berti, « Binding Fictions: Contradicting Facts and Judicial Constraints in a Narcotics Case in Himachal Pradesh », ibid., p. 122.
-
[21]
Devika Bordia, « Cultures of Policing: Panchayat-Police Practices and the Making of a Criminal Case », ibid., p. 156.
-
[22]
Véronique Bouillier, « From a Comparative Perspective: Criminal Cases involving South Asian People at French Assize Courts », in Regimes of Legality, op. cit., p. 302.
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[23]
Le programme de recherche a été financé par l’agence nationale de la recherche française pour la période 2009-2012. Le programme était intitulé « Justice and Governance in India and South Asia ».
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[24]
Jacques Commaille, À quoi nous sert le droit ?, op. cit., p. 388.
-
[25]
Emilia Schiijman, « Écrire aux HLM, se plaindre à l’État. Quelques figures de la protestation dans un quartier populaire », Espaces et sociétés, 154, 2013, p. 119-135.
À propos de…
Balme Stéphanie, Chine, les visages de la justice ordinaire, Paris : Presses de Sciences Po, 2016, 334 p.
Berti Daniela, Good Anthony et Tarabout Gilles (eds.), Of Doubt and Proof. Ritual and Legal Practices of Judgement, Londres : Ashgate, 2015, 203 p.
Berti Daniela et Bordia Devika (eds.), Regimes of Legality, Oxford : Oxford University Press, 2015, 333 p.
Introduction
1 D’une manière ou d’une autre, une partie influente de la pensée philosophique et sociologique portant sur la nature, la source et le statut des normes juridiques adhère au présupposé selon lequel le droit établi par l’État – malgré sa spécificité, sa force et son autorité – ne peut ni ne doit épuiser tous les domaines qui sont ceux du droit [1]. Ceux-ci relèvent en effet d’une catégorie embrassant l’ensemble du vécu humain, individuel et social [2]. Reconstruire ces infinies modalités dont parlent les auteurs, en faisant référence à l’existence d’un phénomène normatif mis en relation avec le droit sans être réductible aux normes formelles et codifiées, dépasserait l’ambition de cet article. La distinction n’est pas d’ailleurs nécessairement de nature dichotomique, visant une séparation nette entre le droit vivant et le droit positif établi par les autorités détentrice du « monopole de la force ». Pour les intellectuels engagés dans l’exploration des « pourquoi », le droit établi fait l’objet de l’adhésion, sinon de l’acceptation des individus [3]. Ainsi, ces auteurs ont mis au jour la trame des relations liant : d’un côté, les catégories normatives appropriées et mobilisées par les individus ayant à l’esprit la revendication d’une violation d’un « droit » ou demandant la restauration d’un ordre ou d’un équilibre (par exemple dans les conditions d’accès aux biens communs [4]) ; de l’autre, les catégories du droit telles quelles sont utilisées dans les textes de loi et mobilisées par les acteurs ayant une autorité de rule enforcement (comme le juge). La valeur heuristique de ces références est indiscutable, surtout à une époque contemporaine marquée par une crise de légitimation du droit et, en apparence paradoxalement, par une concomitante croissance de la demande de protection des droits (au pluriel) [5].
2 Prenons quelques exemples. En 1721, dans un ouvrage qui représentera ensuite un jalon de la pensée libérale moderne, L’esprit des lois, Montesquieu écrivait : « les mœurs font toujours de meilleurs citoyens que les lois ». Ainsi l’auteur pensait, d’une façon lapidaire, la question du rapport entre les normes non écrites de moralité voire de régulation sociale et les normes formelles établies par la loi. Deux siècles plus tard, Santi Romano, avec la culture juridique d’un homme très attaché aux institutions et aux significations sacrées qu’elles incorporent dans leurs rituels, écrivit : « l’existence d’un ordre juridique ne dépend pas de sa licéité au regard de l’ordre étatique » [6]. Il ajoutait par ailleurs, comme si cela ne suffisait pas à mettre en cause toute une tradition philosophique, culturelle, institutionnelle, voire politique, « la constellation majeure de l’univers juridique n’est donc pas l’État, mais cette communauté dans laquelle l’État s’imbrique » [7]. Plus récemment, à l’abri de la violence de la Seconde Guerre mondiale, les intellectuels qui avaient quitté l’Europe et qui avaient opté pour une carrière dans les universités américaines se penchèrent sur la grande question de la suffisance du droit comme protection des individus : toute la querelle sur la formule de Radbruch [8] n’est pas autre chose au fond qu’une interrogation culturelle portant sur la capacité de la forme juridique à se faire porteuse d’une garantie substantielle ; et ce au-delà des rapports de pouvoir qu’elle cristallise, représente, préconise, justifie. Il ne serait pas trop injuste de citer dans ce contexte les mots de Piero Calamandrei, qui, encore à la fin de la guerre, tout en s’adressant à des étudiants, leur rappelle que « la constitution – nouvelle règle démocratique qui venait d’être adoptée – n’est pas qu’une règle écrite sur papier. Cette dernière est un programme, un objectif à réaliser avec la mobilisation de tout le monde » [9].
3 En résumé, le volet « légaliste » du droit n’est, justement, qu’un volet. Un autre volet existe, mais pas selon une logique de juxtaposition hermétique. Bien plutôt il s’agit de reconnaître la nature imbriquée de ces deux volets : l’un légaliste et l’autre culturel, cognitif, substantiel ; les deux étant en permanente interaction.
4 Intuitivement acceptable dans la psychologie du sens commun, cette approche est beaucoup plus difficile à envisager comme présupposé épistémologique dans les études du droit. Les travaux dont on va discuter dans ce compte rendu s’engagent dans un dialogue intense et prometteur sur cette grande question. Parfois, c’est l’analogie avec d’autres mécanismes ou formes du social, qui semble avoir une fonction proche de celle jouée par le droit et apparaît posséder une valeur heuristique par rapport à la question de départ. Dans d’autres cas, il s’agit plutôt de se confronter à des méthodologies modulaires qui pensent ensemble sondages, observations, et analyses de textes pour montrer comment la nature contraignante du droit peut prendre la forme d’un ordre normatif, aussi bien positif et licite qu’illicite comme c’est le cas de celui de la mafia.
5 À la suite de l’analyse de la démarche poursuivie par ces recherches, ainsi que des concepts qu’elles mobilisent pour gérer la dualité de la légalité [10], on reviendra sur la question de départ pour en tirer quelques conséquences en matière de promotion ou de protection de l’État de droit ; deux objectifs qui, dans des conditions de déstructuration institutionnelle, semblent parfois se confondre plus qu’il n’est possible de le prévoir.
I. L’analogie comme démarche épistémologique interdisciplinaire
6 Of Doubt and Proof est un ouvrage qui interpelle la sociologie du droit autant que les sciences juridiques suivant une piste heuristique prometteuse et innovante : celle de l’analogie. L’ouvrage met à la disposition du public un travail collectif lancé dans le cadre d’un panel du même titre, organisé au sein de l’Association européenne de l’anthropologie sociale en 2012. On trouve déjà là des éléments qui méritent attention : tout d’abord, le regard de l’anthropologue, jeté sur le phénomène juridique choisi pour des raisons épistémologiques : ensuite, un niveau d’analyse méso [11], celui des pratiques sociales et collectives, plus ou moins institutionnalisées ; enfin, une « lunette » conceptuelle suffisamment abstraite, celle du rituel, pour « regarder » à travers cette même lunette deux phénomènes qui sont d’habitude étudiés et vécus d’une façon distincte : les rituels religieux et les rituels juridiques ou judiciaires. Le volume parle en effet de rituels du doute, voire des rituels qui gouvernent la mise à l’épreuve des jugements factuels et qui « nourrissent » autant le raisonnement pratique du juge que celui de l’autorité religieuse. On doute, car le doute en soi fait partie des techniques qui légitiment une décision finale, une décision qui impacte la vie des individus. L’analogie entre le champ de la religion et le champ du droit n’est pas inédite dans les sciences humaines. Révélateur est, à cet égard, le texte de Paul Ricœur, qui, dans l’Acte de juger, écrit : « Je pense que l’acte de juger a atteint son but lorsque celui qui a, comme on dit, gagné son procès se sent encore capable de dire : mon adversaire, celui qui a perdu, demeure comme moi un sujet de droit ; sa cause méritait d’être entendue ; il avait des arguments plausibles et ceux-ci ont été entendus. Mais la reconnaissance ne serait complète que si la chose pouvait être dite par celui qui a perdu, celui à qui l’on a donné tort, le condamné ; il devrait pouvoir déclarer que la sentence qui lui donne tort n’était pas un acte de violence, mais de reconnaissance [12]. » Dans ce refus de la violence et dans la contextuelle acceptation de la reconnaissance du fait que, en principe, la personne qui a perdu aurait pu, au début du processus qui amène à la décision, avoir aussi raison, s’inscrit la racine du doute et la possibilité même de légitimer le jugement fondé sur le droit. C’est le côté sacré, ritualisé, du doute qui sauve, assure et garantie aux parties, justiciables ou pas, de n’être pas destinataires d’un acte de violence quand le juge « juge ». Le point de départ, la considération principielle de la possibilité du doute, est le point qui légitime la délibération. Le jugement qui tranche entre deux valeurs, qui assigne des droits, des coûts et des bénéfices, mais surtout qui reconnaît des torts et des dommages, est un processus de délibération qui se justifie pour la raison même de ne pas être apodictique. Au contraire, il doit être ouvert au doute. La même valeur sacrée du rituel caractérise le religieux. Comme le souligne Claude Rivière, « les relations entre les hommes et les dieux se font dans un cadre rituel, ensemble de conduites et d’actes répétitifs et codifiés, souvent solennels, d’ordre verbal, gestuel et postural, à forte charge symbolique » [13]. La répétition, la codification, les gestes et les symboles sont tous des éléments que l’on trouve dans les rituels. C’est au fond à partir de ce constat que les auteurs qui contribuent à l’ouvrage mobilisent leurs différentes catégories pour aborder le sujet du doute : « L’approche distinctive de ce livre est le focus sur le doute conçu comme un objet technique. Elle essaie de montrer comment les jugements dans le contexte des rituels et des procédures juridiques, pour gagner en légitimité et acceptabilité, sont appuyés sur une autorité qui relève en partie de la capacité, de ceux qui jugent, à maîtriser les techniques du doute ou à mettre en scène le doute, et en partie de leurs positions sociales et politiques [14]. » Le doute est par conséquent conçu comme un artefact social [15], une technique dont la fonction répond à un besoin des systèmes d’interaction, à savoir la gestion, la gouvernance pour le dire avec un concept plus nuancé, de la relation entre cognition sociale et incertitude du réel. Dans les cas analysés par les auteurs, la gouvernance de l’action de douter est strictement liée au fait que c’est exactement à travers le doute que les individus ayant une fonction publique institutionnelle renforcent leur autorité. Dans le cas portant sur le rituel de divination en Thaïlande on voit comment le rituel est formé de manière à rendre explicites les éléments de doute de la part de la personne qui demande la divination et de la personne qui offre la réponse divinatoire. Les deux sont engagés dans une « forme » de comportement réglée par la technique du doute et d’expression des doutes sur la base d’un répertoire symbolique. Ainsi en va-t-il dans le cas du doute exprimé par les communautés au Ghana vis-à-vis de l’intégrité des juges. La technique de gouvernance du doute a dans ce contexte la fonction de rétablir la perception d’impartialité du juge, condition nécessaire à la légitimité de ses décisions. Encore, selon une ligne fonctionnelle très similaire, la gestion des comportements qui sont orientés par le doute fait partie des cas d’études portant sur les affaires où les réfugiés demandeurs d’asile sont justiciables. Les sujets qui font l’objet du doute sont différents, ils comprennent la réalité des faits portant sur les conditions de vie dans les pays d’origine, les récits et témoignages, tous visant à encadrer le doute dans une forme de « doute doué de crédibilité ». La formule utilisée par les auteurs est très révélatrice : elle combine en effet une dimension importante du rituel du jugement, soit l’association d’une valeur de vérité à une proposition de vérité judiciaire, autrement dit à une interprétation des faits établie par le procès ; cela tout en sachant que la manière dont on aborde le doute est, elle aussi, une variable cruciale dans la détermination de la légitimité du résultat, du produit de l’acte de juger [16].
II. Ethnographie en cour : le puzzle recomposé ?
7 Il n’est pas rare de lire des essais portant sur le champ de la justice et adoptant un regard micro, focalisé sur quelques affaires (case based). D’ailleurs, dans le domaine de l’analyse des sciences du droit, l’approche orientée vers la case Law ainsi que vers la jurisprudence et ses tendances est devenue de plus en plus dominante ; ce d’autant plus que la systématicité et la cohérence interne des systèmes légaux ont été mises en causes par les transformations qui ont traversé le droit et les institutions chargées de sa production. Cependant Regimes of Legality retient une spécificité toute particulière et une potentialité innovante considérable. Tout d’abord, les contributeurs s’intéressent aux affaires judiciaires d’une aire géographique qui est très rarement objet des recherches ethnographiques en matière d’administration de la justice (l’Asie du Sud, notamment). Ensuite, il s’agit d’un ouvrage qui entend combiner sur le plan épistémologique une approche micro sans pour autant abdiquer la possibilité de généraliser, au moins pour ce qui concerne la justice pénale qui est son objet. En troisième lieu, les recherches dont le livre est le reflet et le résultat ont été menées en partant d’un présupposé nouveau, ou très peu fréquent dans la littérature : à savoir le fait que la justice, dans la forme qu’elle reçoit tout au long du processus d’élaboration d’une réponse judiciaire, intègre des éléments à la fois des institutions étatiques et des institutions non étatiques : « l’approche “études des cas” est adoptée pour nous conduire à analyser l’ensemble des institutions étatiques et non étatiques et des pratiques des acteurs qui sont associés à celles-ci » [17]. L’importance du contexte, de l’histoire locale, des attentes et des idées reçues dans la mise en œuvre des procédures est mise au jour tout au long du texte. Les auteurs présentent huit affaires pénales. Dans le contexte de la loi pénale indienne sanctionnant les formes de comportements cruels, notamment au sein de la famille, la possibilité des femmes de voir reconnaître la violence subie est liée au contexte narratif dans lequel l’affaire s’inscrit. La gestion des dimensions économiques du mariage, par exemple, importe concernant la reconnaissance de la violation d’un droit. La narrative se construit à l’interface entre la police, le judiciaire, mais aussi le contexte familial et social dans lequel la femme se trouve. D’ailleurs, ce cas montre aussi la façon dont les pratiques de médiation participent à la construction de la narrative. Au fond, avec deux logiques d’action différentes, l’une visant à rétablir un équilibre au sein de la famille, l’autre à sanctionner d’une manière institutionnelle une violation d’un droit fondamental, la médiation et la procédure judiciaire apparaissent comme deux volets d’un système qui n’est pas gouverné par une rationalité synoptique.
8 L’angle de la justice de la famille est toujours très prometteur en termes de capacité heuristique. Il permet de jeter une lumière profonde et nuancée sur les relations entre autorité et sphère privée concernant les individus. Dans le cas analysé ici portant sur la narrative de l’amour dans le contexte d’une affaire de violence conjugale, on voit très bien comment la réécriture – voire le recadrage de l’histoire narrée par la femme qui dit avoir été victime – arrive à produire un renversement des parties, au point que l’auteur conclut « la loi a peur de l’amour » [18].
9 Les cas qui suivent abordent un aspect de la justice pénale qui apparaît d’autant plus important qu’on le constate de façon similaire dans les pays occidentaux, et ce dans bien d’autres contextes et cas de figure. Il s’agit de l’interaction entre le juge et le policier, ou, autrement dit, entre l’autorité judiciaire et l’autorité de la sécurité et de l’ordre public. L’analyse du contexte d’interaction au niveau méso permet d’apercevoir en filigrane cet enjeu par l’intermédiaire des attitudes développées par le juge vis-à-vis du récit policier. On commence avec le constat du doute du juge par rapport, non pas à la vérité substantielle de ce récit, mais plutôt à la fidélité à la procédure que la police est censée suivre quand les preuves concernant une affaire sont établies. Dans l’arène du procès, les doutes éprouvés et manifestés par rapport à la méthode suivie par le policier sont envisagés d’une manière telle, qu’apparaissant substantiels, ils tendent à soutenir la position de la défense [19]. Le cas d’étude est particulièrement signifiant pour les sciences sociales appliquées au droit par rapport à la manière « dont les notions de vérité et de mensonge sont utilisées et gérées dans un tribunal » [20], celle qui relève de la construction de la vérité judiciaire. Une structure à laquelle concourent des facteurs différents, dont la combinaison rend toujours un résultat qui est sous-déterminé par les normes écrites et par les procédures formelles (même si celles-ci font bien partie de la structure).
10 La valeur épistémologique du titre, Regimes of Legality, est mise en évidence encore plus clairement dans le cas qui traite du sécularisme et qui aborde la question de la justice rendue par des institutions « quasi judiciaires ». C’est l’idée de la légalité qui s’enracine et se met en œuvre dans un vaste répertoire de solutions institutionnelles possibles, incluses les institutions de la justice informelle. L’auteur met au jour que l’enjeu le plus intéressant de cette coexistence n’est pas tellement celui de l’opposition entre justice formelle et informelle. C’est plutôt le fait d’observer l’existence d’un volet normatif dans la justice informelle qui conduit à identifier des pratiques qualifiées de « normales » et des pratiques qualifiées de « pas normales » ou de « hors-norme » [21]. D’ailleurs, les dimensions du religieux et du social, qui n’entrent pas directement dans le domaine d’action de ces institutions, influent sur les croyances et les récits. C’est en faisant référence à un cadre culturel plus étendu, et sous-entendu, que la religion ainsi que les attentes sociales interagissent avec l’administration de la Justice.
11 Les différentes parties de ce que l’on pourrait voir comme un puzzle – se composant d’observations ethnographiques réalisées au niveau méso ainsi que des acteurs mis en contextes interactionnels et communicationnels, voire cognitifs et sociaux – trouvent aussi un cadre comparé dans le dernier chapitre du livre. Dans ce dernier, la justice pénale française, issue d’un système de procédure inquisitoire, est comparée avec la justice des systèmes accusatoires. Cette comparaison n’est pas faite selon les techniques analytiques classiques du droit comparé. Elle est menée en plaçant au centre le justiciable et les acteurs, porteurs, dans ce cas, de cultures juridiques différentes. Il s’agit d’une affaire concernant une accusée provenant du Sri Lanka, poursuivie en cour d’assises en France. Le niveau d’analyse est celui des comportements des acteurs et des comportements qui sont qualifiés comme « respectant la procédure ». Cependant, si, du côté du juge, la procédure inquisitoire fait partie de la boîte à outils professionnelle, pour l’accusée le contexte et les attentes du « système », voire de la procédure, sont loin de faire partie de sa boîte à outils sociale, ou institutionnelle. « Comment l’accusée va savoir ce que l’on exige d’elle ? », se demande l’auteur [22]. La question est des plus pertinentes, si l’on considère la croissance des affaires qui voient comme justiciables des individus qui sont parties dans un pays dont la culture juridique n’est pas la leur.
III. L’ailleurs de la rule of Law : regard sur la Chine
12 Les recherches en droit comparé se développent concernant la Chine avec un nouvel élan portant sur le legal transfert et la contamination, voire la diffusion du principe et des pratiques de l’État de droit dans les contextes historiques et culturels différents de ceux d’où vient proprement l’idée de rule of Law. L’extension du regard comparatiste vers des systèmes non-occidentaux a comme conséquence la mise en cause de la portée heuristique et explicative du concept de rule of Law par rapport à des pratiques et des traditions institutionnelles qui sortent de la trajectoire suivie par l’Occident. Les approches juridiques et sociojuridiques se retrouvent dans la difficulté de prendre au sérieux le défi posé par un système sociopolitique chinois sortant d’une longue expérience de régime non-démocratique et se tournant vers l’Occident en lui empruntant certains modèles. Parmi ces derniers, il faut noter celui du capitalisme, qui est traditionnellement lié – surtout dans l’expérience européenne – aux institutions juridiques et à la garantie des libertés fondamentales, qu’elles soient économiques, civiles ou politiques. Dans quelle mesure, et de quelle façon, les deux volets de la représentation du droit en Chine se rassemblent ; celle ci ayant ses racines culturelles et rituelles dans des formes historiquement différentes de celles de l’Occident et les yeux tournés vers le marché et la présence (ou plutôt l’absence, qui est en elle-même une forme de prise en compte) de régulation. Ce sont là les deux grandes questions abordées avec un rare équilibre et une profondeur également précieuse par Stéphanie Balme. Son ouvrage est d’autant plus bienvenu qu’il touche un sujet crucial dans la réalité politique actuelle, à savoir la façon dont la justice ordinaire, chargée de répondre aux demandes de solutions contentieuses qui accompagnent la montée en puissance du capitalisme chinois, peut se faire l’interlocutrice des acteurs institutionnels privés et publics qui se placent plutôt dans un contexte de garantie de l’État de droit et du procès équitable. L’analyse menée par l’auteure aborde cette question avec les instruments méthodologiques de l’histoire et de la sociologie politique du droit. Il s’agit là d’un travail qui combine, d’où une de ses caractéristiques les plus précieuses : d’abord, une approche macro diachronique, qui montre l’évolution de l’État, des structures du pouvoir et des traditions, illustrant le cheminement historique de l’usage du pouvoir ; ensuite, une approche méso, qui permet de dévoiler les dynamiques d’interaction (et de pouvoir) dans les tribunaux.
IV. Quel réservoir méthodologique pour étudier la légalité duale : leçons à tirer
13 L’analyse combinée de deux ouvrages, Regimes of Legality et Of Doubt and Proof est facilitée par le fait que l’on est confronté aux résultats d’un grand chantier de recherche, dont les fils rouges communs se font échos tout au long de la lecture [23]. Les recherches menées par une équipe à la fois internationale et interdisciplinaire donnent lieu à une grande diversité de regards et à une démonstration empirique épaisse et profonde, qui inclut les récits, les comportements, les procédures et les aperçus historiques. Dans la plupart des cas, les possibles biais de l’interaction entre l’objet investigué et le chercheur/chercheuse ont été évités, en laissant aux entretiens une place parmi d’autres techniques de collecte des données.
14 Pour en tirer toutes les leçons et situer cette recherche dans l’horizon des études de sciences sociales appliquées au droit et la justice, il faut rendre explicites les présupposés épistémologiques de la recherche ; présupposés qui sont annoncés en partie dans les conclusions des chapitres. La réalité analysée par ces ouvrages est une réalité composée, avec des volets qui se combinent, souvent avec des tensions, sans pour autant entrer dans un ordre systématique et structurant. La justice formelle et celle informelle, le séculier et le religieux, les récits et les procédures, tous sont des parties d’un puzzle qui mérite un regard interdisciplinaire parce que la nature de la réalité à comprendre est multiple et composée. Les auteurs ne montent pas en généralité jusqu’à élaborer une théorie. C’est le pas qui reste, non pas tant à franchir, mais à discuter. La nécessité d’une généralité propre aux grandes théories n’est pas à assumer a priori. On y reviendra. Néanmoins, il est très important de considérer quelles sont les voies à travers lesquelles les auteurs montrent la possibilité d’accéder à une réalité ainsi conçue. La première voie est celle de la reconstruction du récit. Par cette piste, les notions de vérité juridique et judiciaire, de preuve, de doute, sont transformées en notions décrivant des phénomènes en aval des interactions entre les normes et les acteurs, non pas des principes fondamentaux inscrits une fois pour toutes dans les normes. La façon dont la vérité, le mensonge, la preuve et le doute sont produits dans ces interactions est partie de la réalité à étudier et relève à la fois d’un aspect technique et d’un aspect narratif du champ de la Justice. D’ailleurs, la narration de la vérité n’est jamais dépourvue des aspects et des dimensions relevant de la communication : on dit la vérité à quelqu’un, abstrait ou concret, en personne, ou à distance, pour l’histoire ou pour le moment. La deuxième voie d’accès à cette réalité complexe et multiple est celle de l’observation des mondes différents entrant en contact : on le voit dans le contexte de la justice formelle contre celle informelle, dans le contexte de la médiation et de la procédure judiciaire, dans le contexte de la procédure inquisitoire française et de l’accusée venant d’un monde où règne le système accusatoire. Cette mise en contacte fait apparaître, comme un test, les tensions entre attentes et prescriptions produites par les procédures, entre le récit au temps t0 et le récit au temps t1 (portant les deux récits sur les mêmes faits), entre l’individuel (et privé, soit douter comme attitude) et l’institutionnel (et publique, soit douter comme technique).
15 La leçon la plus importante à tirer de ces travaux est celle qui vise à ouvrir une brèche dans le monisme normatif qui est à la base de l’analyse internationale la plus répandue des politiques de qualité de la justice. Le normatif qui est en jeu dans le contexte de la justice, telle qu’elle est réclamée par les justiciables, ne trouve pas sa racine unique et univoque dans la loi ; soit le côté formel et étatique de la légalité. D’autres importants volets du normatif entrent en jeu dans ce domaine crucial de la vie sociale, surtout quand un type d’acte individuel doit trouver une forme qui lui confère une valeur performative, comme l’acte de juger. C’est alors que la production d’une dimension normative se présente comme composante fondamentale des systèmes à travers lesquels les individus, dans différents contextes, cherchent à gérer l’incertitude et à créer un ordre. Cependant, pour créer un ordre il faut en connaître les règles. L’acte de connaissance, qui est la base de toute forme de jugement – connaître les faits, connaître les témoignages, etc. –, est assujetti à un rituel du doute et de la construction de la preuve, de manière que le résultat final soit assuré dans son acceptabilité gnoséologique. La généralité des fonctions auxquelles répondent les rituels dont ces études font une présentation et une analyse si riche nous encourage à emprunter une route interdisciplinaire pour la compréhension de la « Loi et de la Justice » comme phénomènes. Elle commence par l’élaboration d’un cadre multidimensionnel, qui puise son inspiration dans les nombreuses théories différentes sur la primauté de la demande d’une réponse de justice fiable, acceptable et fondée sur un acte de connaître qui soit légitime.
16 Si l’on prend au sérieux ce que ces recherches nous laissent entrevoir, les leçons à en tirer sont de deux types. Elles nous obligent à réviser en profondeur notre concept de légalité : le normatif qui est à la base du droit n’est pas seulement le résultat d’un acte performatif accompli par le législateur, le juge, l’autorité judiciaire ou juridictionnelle. Le normatif est dans la société et dans le politique à partir de la façon dont les individus – dans des contextes différents, et à travers des acteurs intermédiaires – construisent ou participent à construire un ordre [24]. Cet ordre relève du normatif à la fois comme symbole et comme ressource, d’où l’importance d’étudier et de dévoiler les méthodes par l’intermédiaire desquelles les communautés et les individus abordent la question de la construction de la norme, de ce qui a une valeur, et ce au-delà des cas concrets.
17 De quelle façon pouvons-nous nous appuyer sur l’ethnographie ? Les recherches discutées et analysées dans les deux ouvrages qui font l’objet de ces pages nous offrent des pistes heuristiques pénétrantes, parce qu’elles mettent au jour des régularités fonctionnelles et des « patterns » comportementaux, communs aux différents contextes culturels : du Ghana à la Thaïlande, de la cour d’assises à la justice informelle des autorités quasi judiciaires. Cela « nous conduit à réfléchir sur l’usage ordinaire du droit... dans cet ordre d’idées, il s’agira de dégager les zones de légitimité à partir desquelles les [individus] manipulent des notions juridiques et des raisons indigènes de protester… Au croisement des événements ordinaires et des catégories administratives, le droit se révèle être une expérience constante, une pratique qui engage un sens qui se heurte (ou non) aux définitions officielles » [25]. Pour cette raison, on se fait fort de croire que la combinaison des instruments et des techniques issus de la boîte à outils des sciences sociales appliquées à la justice et au droit, de la science du droit à l’ethnographie, puisse renforcer le regard de l’intellectuel, mais aussi de ceux qui sont engagés dans la promotion du normatif fondé sur l’État de droit.
18 Sur le plan du raisonnement scientifique, c’est l’analogie qui peut s’ajouter aux orientations de la pensée méthodologique les plus fréquentes. Analogie entre différents domaines de la vie sociale où l’on observe des « patterns » justement. Ces patterns sont révélés à travers les récits et les comportements ; tout du moins si l’on adopte un niveau d’observation méso centré sur les types de situations d’action où les acteurs se trouvent. Par ailleurs, mais ce serait le sujet d’un autre travail, la pensée analogique semble caractériser de plus en plus le domaine de la production jurisprudentielle dans les pays de civil Law. Ainsi ces derniers touchent quotidiennement les limites du monisme et font l’expérience de la perte de signification des représentations synoptiques et systématiques du droit.
Notes
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[1]
Ce texte a pu bénéficier des débats et des échanges d’idées qui ont eu lieu au sein du séminaire consacré aux travaux de Susan Silbey de l’Institut des Sciences sociales du Politique de l’ENS de Cachan, en 2016-2017. L’auteure en remercie toutes et tous les participants et les animateurs en particulier, Stéphanie Lacour et Jacques Commaille.
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[2]
Voir Jean Carbonnier, Flexible droit : pour une sociologie du droit sans rigueur, Paris : LGDJ, 1969 ; Jiri Priban, Liquid Society and its Law, Aldershot : Ashgate, 2013 ; Jacques Commaille, À quoi nous sert le droit ?, Paris : Gallimard, 2015 ; Paolo Grossi, L’Europe du droit, Paris : Seuil, 2011.
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[3]
Tom Tyler, Why People Obey the Law, Princeton : Princeton University Press, 2006 ; Charles Tilly, Trust and Rules, Cambridge : Cambridge University Press, 2005 ; Patricia Ewick et Susan Silbey, The Common Place of the Law, Chicago : Chicago University Press, 2014.
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[4]
Elinor Ostrom, Governing the Commons, Cambridge : Cambridge University Press, 1990.
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[5]
Charles Epp, Rights Revolution, Chicago : Chicago University Press, 1990 ; Mariana Valverde, Chronotypes of Law, Londres : Routledge, 2015 ; Boaventura de Sousa Santos, Toward a New Legal Common Sense, Cambridge : Cambridge University Press, 2012 ; Mauricio García Villegas, Derecho y Sociedad, Bogota : Universidad Nacional de Colombia, 2003.
-
[6]
Santi Romano, L’ordre juridique, Paris : Dalloz, 2002, p. xiii.
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[7]
Ibid., p. 84.
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[8]
Gustav Radbruch, juriste allemand, exprima dans la phrase suivante une position qui touche au cœur de la relation entre le droit positif et les principes de justice : le droit positif doit être appliqué même si son contenu est inadéquat, sauf dans les cas où le contraste entre le droit et la justice arrive à un niveau tellement intolérable que la loi, conçue comme droit positif, doit se limiter ou être limitée face aux principes de justice. La formule, prononcée dans un livre publié en allemand en 1946 (Gesetzliches Unrecht und übergesetzliches Recht), à la sortie de la Seconde Guerre mondiale et en plein débat sur les enjeux entre loi et justice, est au cœur de l’élaboration successive portant sur l’obéissance aux lois injustes.
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[9]
Pietro Calamandrei, Discorso ai giovani sulla costituzione, edité dans Lo stato siamo noi, Ancona : Chiarelettere, 2011.
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[10]
Le concept de légalité duale est ici utilisé dans le sens que l’on trouve défini par Jacques Commaille, À quoi nous sert le droit ?, op. cit., p. 84 : « faire le constat de la légalité duale… ce n’est qu’admettre que le droit ne fait que reproduire cette “polarité idéal-typique” classique quand il s’agit de considérer les systèmes... comme hiérarchies de commandement ou comme des systèmes d’interaction et d’interdépendance » [cité dans le texte de John Crowley, « Usages de la gouvernance et de la gouvernementalité », Critique internationale, 21, 2003, p. 52-61]. La stratégie conceptuelle adoptée par l’auteur est basée sur une ontologie du droit de type pluraliste (plusieurs sources du droit) et multi dimensionnelles (plusieurs dimensions du phénomène). La dualité de la légalité fait partie de la nature de la légalité. On n’a pas de « légalité » sans en avoir les deux composantes liées dans une interdépendance dialectique. Par conséquent, la légalité n’est pas le genus dont on dérive la légalité duale. La légalité duale est une façon de spécifier, de mettre en lumière une caractéristique constitutive de la légalité, son être dual (on fait aussi référence à Daniela Piana, Rule of Law, entry « International Encyclopedia Political Science », Londres : Sage, 2010).
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[11]
Le niveau « méso » est celui qui indique les espaces de la réalité sociale où on peut observer les effets et les mécanismes des interactions entre les acteurs. Le niveau méso peut – mais pas nécessairement – prendre la forme d’une arène, mais il peut aussi se configurer comme une situation d’action non structurée, dérivant du fait que les comportements des acteurs sociaux en interagissant d’une façon directe ou indirecte engendrent des conséquences qui par ailleurs ne seraient pas en mesure d’être produites sans les interactions. Voir, par exemple, Raymond Boudon, La place du désordre, Paris : PUF, 1990.
-
[12]
Paul Ricoeur, Le Juste, Paris : Éditions Esprit, 1990, p. 190.
-
[13]
Claude Rivière, Socio-anthropologie des religions, Paris : Armand Colin, 1991, p. 81.
-
[14]
Anthony Good, Daniela Berti et Gilles Tarabout, « Introduction », in Id. (eds.), Of Doubt and Proof, op. cit., p. 1.
-
[15]
John Searle, The Construction of Social Reality, New York : Free Press, 1997.
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[16]
Jan Budniok, « When Judges Feel Misjudged: Encountering Doubt in Ghanaian Courts », in Daniela Berti, Anthony Good et Gilles Tarabout (eds.), Of Doubt and Proof, op. cit., p. 148.
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[17]
Daniela Berti et Devika Bordia, « Introduction », in Id. (eds.), Regimes of Legality, op. cit., p. 1.
-
[18]
Pratiksha Baxi, « “Pyar Kiya to Darna Kya”: On Criminalizing Love », ibid., p. 85.
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[19]
Ibid., p. 92.
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[20]
Daniela Berti, « Binding Fictions: Contradicting Facts and Judicial Constraints in a Narcotics Case in Himachal Pradesh », ibid., p. 122.
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[21]
Devika Bordia, « Cultures of Policing: Panchayat-Police Practices and the Making of a Criminal Case », ibid., p. 156.
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[22]
Véronique Bouillier, « From a Comparative Perspective: Criminal Cases involving South Asian People at French Assize Courts », in Regimes of Legality, op. cit., p. 302.
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[23]
Le programme de recherche a été financé par l’agence nationale de la recherche française pour la période 2009-2012. Le programme était intitulé « Justice and Governance in India and South Asia ».
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[24]
Jacques Commaille, À quoi nous sert le droit ?, op. cit., p. 388.
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[25]
Emilia Schiijman, « Écrire aux HLM, se plaindre à l’État. Quelques figures de la protestation dans un quartier populaire », Espaces et sociétés, 154, 2013, p. 119-135.