Notes
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[1]
L’ensemble de ces cahiers d’acteurs, publiés entre le 15 octobre 2009 et le 11 février 2010, ainsi que le document d’initialisation du débat daté du mois de septembre 2009, son compte rendu et son bilan, du mois d’avril suivant, de même que toutes les contributions publiées dans ce cadre et d’autres documents utiles sont encore accessibles en ligne à l’adresse suivante : <http://cpdp.debatpublic.fr/cpdp-nano/>.
-
[2]
Voir en ce sens le cahier d’acteur de l’association Sciences et démocratie, qui questionne la pertinence des différentes formes d’étiquetage obligatoires envisageables, ou encore le cahier d’acteur de l’association Entreprises pour l’environnement, qui suggère que l’étiquetage devrait être décliné selon les secteurs d’activité concernés. Voir <http://cpdp.debatpublic.fr/cpdp-nano/documents/liste-cahier-acteurs.html>.
-
[3]
Communication de la Commission au Conseil, au Parlement européen et au Comité économique et social, COM (2005) 243 final, Bruxelles, 7 juin 2005, « Nanosciences et nanotechnologies : un plan d’action pour l’Europe 2005-2009 ».
-
[4]
Ibid., COM (2008) 366 final, Bruxelles, 17 juin 2008, « Aspects réglementaires des nanomatériaux ».
-
[5]
Position du Parlement européen arrêtée en première lecture le 25 mars 2009 en vue de l’adoption du règlement (CE) n°.../2009 du Parlement européen et du Conseil concernant les nouveaux aliments, modifiant le règlement (CE) n° 1331/2008 et abrogeant le règlement (CE) n° 258/97, P6_TA(2009)0171.
-
[6]
COM (2007) 872, Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil concernant les nouveaux aliments.
-
[7]
Règlement (CE) n° 1223/2009 du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2009 relatif aux produits cosmétiques, JOUE, L 342, 22 décembre 2009, p. 59-209.
-
[8]
Voir en ce sens la Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil et au Comité économique et social, COM (2012) 572, Bruxelles, 2 octobre 2012, Deuxième examen réglementaire relatif aux nanomatériaux.
-
[9]
Voir notamment, Stéphanie Lacour, « Les effets de la complexité et de l’incertitude sur l’élaboration des normes juridiques. Le cas des nanotechnologies », in Marie-Françoise Chevallier-le Guyader, Étienne Klein, Mireille Delmas-Marty et al., Sciences et Société. Les normes en question, Arles : Actes Sud, 2014, p. 215-229, ou encore, Stéphanie Lacour, « Nanotechnologies : réguler l’incertitude ? », Droit et Société, 78, 2011, p. 429-446.
-
[10]
Succès constaté également par d’autres auteurs, qui s’en servent comme point de départ d’une analyse des rapports que ces mesures d’étiquetage devraient entretenir avec une réforme, plus large, des règles relatives au partage des responsabilités en matière de développement technologique, sans toutefois analyser plus avant les raison de ce succès. Voir Harald Throne-Holst et Arie Rip, « Complexities of Labelling of Nano-Products on the Consumer Markets », European Journal of Law and Technology, 2 (3), 2011 et l’analyse que nous en avons proposée, « Des tenants et aboutissants de l’étiquetage des nano-produits », Bulletin de veille scientifique de l’ANSES, 17, 2012, p. 80 et suiv.
-
[11]
Marie-Angèle Hermitte, « Le droit est un autre monde », Enquête. Les objets du droit, 1999, mis en ligne le 13 février 2009 : <http://enquete.revues.org/document1553.html>.
-
[12]
En ce sens, voir Id., « Les trois économies : connaissance, risque et confiance, à propos de la traçabilité des OGM », Annales de la régulation, 2, 2009, IRJS Éditions (sous la direction de Thierry Revet et Laurent Vidal).
-
[13]
Voir Luc Boltanski, « Passer des épreuves », Projet, 289, 2005, p. 72-75.
-
[14]
Erving Goffman, Frame Analysis: An Essay on the Organization of Experience, New York : Harper and Row, coll. « Harper Colophon book », 1974 ; trad. Isaac Joseph, Les cadres de l’expérience, Paris : Minuit, coll. « Le Sens commun », 1991.
-
[15]
Voir David A. Snow et al., « Frame Alignment Processes, Micromobilization, and Movement Participation », American Sociological Review, 51 (4), 1986.
-
[16]
Voir néanmoins, Daniel Cefaï et Danny Trom (dir), Les formes de l’action collective. Mobilisations dans des arènes publiques, Paris : Éditions de l’EHESS, coll. « Raisons pratiques », 2001.
-
[17]
Liora Israël, « Usages militants du droit dans l’arène judiciaire : le cause lawyering », Droit et Société, 49, 2001, p. 793-824.
-
[18]
Claude Gilbert et Emmanuel Henry, « La définition des problèmes publics : entre publicité et discrétion », Revue française de sociologie, 53 (1), 2012, p. 35-39.
-
[19]
William A. Gamson, « The Social Psychology of Collective Action », in Aldon D. Morris et Carol McClurg Mueller (eds.), Frontiers in Social Movement Theory, New Haven, CT : Yale University Press, 1992, p. 53-76.
-
[20]
Claude Gilbert, « Quand l’acte de conduite se résume à bien se conduire. À propos du cadrage du problème “sécurité routière” », Réseaux, 147, 2008, p. 21-48, spéc. p. 25.
-
[21]
Même si le rôle de l’information dans la protection des consommateurs a fait l’objet de nombreux travaux par ailleurs, voir en ce sens Jean Calais-Auloy, « L’influence du droit de la consommation sur le droit civil des contrats », Revue trimestrielle de droit civil (RTD Civ.), 1994, p. 239 ou encore Linda Arcelin-Lecuyer, « La redondance informative ou le bon sens oublié », Contrats, concurrence, consommation, 2011, étude 9, n° 1.
-
[22]
Robert D. Benford et David A. Snow, « Processus de cadrage et mouvements sociaux : présentation et bilan », Politix, 99, 2012, p. 217-255, traduction de Nathalie Miriam Plouchard.
-
[23]
Ibid., p. 228.
-
[24]
Pour un exemple concret d’analyse de cadrages et contre-cadrages, voir Robert D. Benford, « Frame Disputes within the Nuclear Disarmament Movement », Social Forces, 71 (3), 1993, p. 677-701
-
[25]
Bernadette Bensaude-Vincent, « De la transparence dans l’innovation », Annales des Mines. Réalités industrielles, 1, 2010, p. 68-73
- [26]
-
[27]
Robert D. Benford et David A. Snow, « Processus de cadrage et mouvements sociaux : présentation et bilan », art. cité, p. 233 et suiv.
-
[28]
Voir en ce sens le positionnement très clair de la Commission européenne, Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil et au Comité économique et social européen, Deuxième examen réglementaire relatif aux nanomatériaux, COM (2012) 572 final : « La législation applicable doit garantir un niveau élevé de santé, de sécurité et de protection de l’environnement. Dans le même temps, elle devrait permettre l’accès aux produits innovants et promouvoir l’innovation et la compétitivité. L’environnement réglementaire a une incidence sur le délai de mise sur le marché, la structure des coûts marginaux et la répartition des ressources, en particulier pour les petites et moyennes entreprises (PME). Il crée également de nouveaux débouchés et renforce la confiance des consommateurs et des investisseurs dans la technologie. »
-
[29]
Communication de la Commission au Conseil, au Parlement européen et au Comité économique et social européen, COM (2008) 366 final, précité ; mais aussi Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil et au Comité économique et social, COM (2012) 572, précité.
-
[30]
Encore une fois, comme le souligne la Commission européenne : « L’information des consommateurs et l’étiquetage des nanomatériaux constituent un autre enjeu majeur dans le débat sur les nanomatériaux. L’étiquetage des nano-ingrédients a été introduit pour les produits présentant un intérêt pour les consommateurs, notamment les denrées alimentaires et les cosmétiques. Des dispositions similaires peuvent être envisagées pour d’autres systèmes de réglementation prévoyant déjà l’étiquetage des ingrédients, ce qui permettrait aux consommateurs de choisir en toute connaissance de cause », COM (2012) 572, précité.
-
[31]
Carl I. Hovland et Walter Weiss, « The Influence of Source Credibility on Communication Effectiveness », Public Opinion Quarterly, 15, 1951.
-
[32]
Walter R. Fisher, « Narration as a Human Communication Paradigm: The Case of Public Moral Argument », Communication Monographs, 51, 1984.
-
[33]
Sophie Dubuisson-Quellier, « De la souveraineté à la gouvernance des consommateurs : l’espace du choix dans la consommation », L’Économie politique, 39, 2008, p. 21-31.
-
[34]
Voir notamment, en matière environnementale, la Convention (CEE/ONU) sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement, dite convention d’Aarhus du 25 juin 1998. Signée par trente-neuf États et la Communauté européenne, elle a été ratifiée en France en 2002 et le décret n° 2002-1187 du 12 septembre 2002 portant publication de la convention sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement (ensemble deux annexes), faite à Aarhus le 25 juin 1998, JO, 221, 21 septembre 2002.
-
[35]
Sophie Dubuisson-Quellier, « De la souveraineté à la gouvernance des consommateurs : l’espace du choix dans la consommation », art. cité, p. 25.
-
[36]
Claude Gilbert, « Quand l’acte de conduite se résume à bien se conduire. À propos du cadrage du problème “sécurité routière” », art. cité, spéc. p. 40.
-
[37]
Luc Boltanski et Laurent Thévenot, De la justification. Les économies de la grandeur, Paris : Gallimard, 1991.
-
[38]
Voir Bernadette Bensaude-Vincent, « De la transparence dans l’innovation », art. cité.
-
[39]
Claude Gilbert et al., « Lire l’action publique au prisme des processus de définition des problèmes », in Claude Gilbert et Emmanuel Henry (dir.), Comment se construisent les problèmes de santé publique, Paris : La Découverte, coll. « Recherches/Territoires du politique », 2009, p. 7-33.
-
[40]
Jean-Paul Gaudillière et Pierre-Benoît Joly, « Appropriation et régulation des innovations biotechnologiques : pour une comparaison transatlantique », Sociologie du travail, 48 (3), 2006, p. 330-349.
-
[41]
Laurence Boy, « Les programmes d’étiquetage écologique en Europe », Revue internationale de droit économique, XXI (1), 2007, p. 5-25.
-
[42]
Voir notamment, au sujet de ces obligations spécifiques, le Règlement (CE) n° 1830/2003 du Parlement européen et du Conseil du 22 septembre 2003 concernant la traçabilité et l’étiquetage des organismes génétiquement modifiés et la traçabilité des produits destinés à l’alimentation humaine ou animale produits à partir d’organismes génétiquement modifiés, et modifiant la directive 2001/18/CE, (JO, L 268, 18 octobre 2003, p. 24). Pour une analyse éclairante de ces processus, Céline Granjou, « Traçabilité, étiquetage et émergence du “citoyen-consommateur” : l’exemple des OGM », in Alain Chatriot, Marie-Emmanuelle Chessel et Matthew Hilton (dir.), Au nom du consommateur. Consommation et politique en Europe et aux États-Unis au xxe siècle, Paris : La Découverte, 2004, p. 199-211.
-
[43]
Claude Gilbert et Emmanuel Henry, « La définition des problèmes publics : entre publicité et discrétion », art. cité, p. 35-59.
-
[44]
Loi n° 2009-967 du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement, JORF, 179, 5 août 2009, p. 13031 et Loi n° 2010-788 portant engagement national pour l’environnement du 12 juillet 2010, JORF, 160, 13 juillet 2010, p. 12905.
-
[45]
Loi n° 2010-788 portant engagement national pour l’environnement du 12 juillet 2010, article 185.
-
[46]
Didier Torny, « La traçabilité comme technique de gouvernement des hommes et des choses », Politix, 44, 1998, p. 51-75.
-
[47]
Stéphanie Lacour, « Le régime de déclaration des substances à l’état nanoparticulaire, JCP Entreprises, 19 avril 2012, Étude, p. 1249 et suiv.
-
[48]
En ce sens, Id., « Recherche des traces de nanos désespérément », Les Cahiers Droit, Sciences et Technologies, 4, 2014, p. 213-230.
-
[49]
Proposition de Règlement du Parlement européen et du Conseil relatif aux produits cosmétiques, COM (2008) 49 final, déposée le 5 février 2008, (SEC(2008)117).
-
[50]
Projet de Rapport sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif aux produits cosmétiques (COM COM(2008)0049 – C6 0053/208 – 2008/0035(COD)) (PE409.426v01-00).
-
[51]
La liste des membres du Comité scientifique des produits destinés aux consommateurs est disponible sur le site : <http://ec.europa.eu/health/scientific_committees/consumer_safety/members_ committee/index_en.htm>.
-
[52]
Le rapport précise en effet : « Les nanomatériaux sont utilisés dans les produits cosmétiques en raison de leurs caractéristiques nouvelles en comparaison avec les mêmes matériaux à une échelle normale. Leur petite taille risque d’entraîner des effets nocifs qui requièrent une évaluation correcte. Afin de les inclure dans l’évaluation de la sécurité, il est nécessaire d’établir une définition. » Projet de rapport sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif aux produits cosmétiques, précité, p. 10. Commission de l’environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire.
-
[53]
Rapport A6-0484/2009, de la Commission de l’environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire, du 8 décembre 2008, sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif aux produits cosmétiques, (COM(2008)0049 – C6-0053/2008 – 2008/0035(COD)), disponible en ligne à l’adresse suivante : <http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//TEXT+REPORT+A6-2008-0484+0+DOC+XML+V0//FR>.
-
[54]
Règlement (CE) n°1223/2009 du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2009 relatif aux produits cosmétiques, JO, L 342, 22 décembre 2009, p. 59-209.
-
[55]
<http://www.parlonscosmetiques.com/actualite/dossiers/nanotechnologies_nanoparticules_ nanomateriaux_produits_cosmetiques>.
-
[56]
Sur la question du risque de développement appliqué aux nanoproduits, voir Marion Bary et Guillaume Canselier, « Responsabilités et assurance en matière de nanotubes de carbone », in Stéphanie Lacour, Sonia Desmoulin-Canselier et Nathalie Hervé-Fournereau (dir.), De l’innovation à l’utilisation des nanomatériaux. Le cadre normatif des nanotubes de carbone, Bruxelles : Larcier, 2012, p. 295-318.
-
[57]
En ce sens, Harald Throne-Holst et Arie Rip, « Complexities of Labelling of Nano-Products on the Consumer Markets », art. cité.
-
[58]
En ce sens, Bernadette Bensaude-Vincent, « De la transparence dans l’innovation », art. cité, Stéphanie Lacour, « Nanotechnologies : réguler l’incertitude ? », art. cité.
-
[59]
Robert D. Benford et David A. Snow, « Processus de cadrage et mouvements sociaux : présentation et bilan », art. cité.
-
[60]
Claude Gilbert et al., « Lire l’action publique au prisme des processus de définition des problèmes », op. cit.
-
[61]
Voir l’édifiant article de Céline Granjou, « Traçabilité, étiquetage et émergence du “citoyen-consommateur” : l’exemple des OGM », art. cité.
-
[62]
Dans ce sens également, Marion Bary et Agnès Maffre-Baugé, « L’information du consommateur de nanoproduits en matière de sécurité corporelle et d’environnement : état des lieux et prospectives », ou, plus largement, Cédric Coulon, « L’appréhension des risques nanotechnologiques par le droit de la responsabilité civile, le poids de l’ignorance », in Stéphanie Lacour (dir.), Des nanotechnologies aux technologies émergentes. La régulation en perspectives, Bruxelles : Larcier, 2013.
-
[63]
Luc Boltanski et Laurent Thévenot, De la justification. Les économies de la grandeur, op. cit.
1 L’appel à un étiquetage des nanomatériaux dans les produits de consommation apparaît dans plus de la moitié des cahiers d’acteurs [1] rédigés lors du « Débat public sur des options générales en matière de développement et de régulation des nanotechnologies » qu’a organisé la Commission nationale du débat public (CNDP), à la demande de sept ministères français, du 15 octobre 2009 au 24 février 2010. Il est également mentionné dans le document d’initialisation du débat, rédigé par le Gouvernement, au titre des pistes de travail des autorités publiques, qui énoncent que « la traçabilité des produits susceptibles de disperser des nanoparticules doit être mise en place ainsi qu’un étiquetage spécifique (principe de transparence) ». Si les modalités de l’étiquetage sont parfois abordées de manière critique [2], il est le plus souvent simplement envisagé comme une réponse à un besoin d’information du public sans précision supplémentaire. La suggestion d’une telle piste de régulation du développement des nanotechnologies n’est, en outre, pas l’apanage d’acteurs du monde industriel, syndical ou associatif. Elle est, de fait, antérieure à l’organisation du débat public français.
2Dès 2005, en effet, dans son plan d’action [3], la Commission européenne énonçait qu’elle entendait « examiner et, le cas échéant, proposer des adaptations aux Règlements UE [Union européenne] dans des secteurs pertinents […], en accordant une attention spéciale mais non exclusive, […] aux exigences en matière d’étiquetage ». La question réapparaît dans la Communication [4] publiée au sujet des aspects réglementaires des nanomatériaux en 2008. Au mois de mars 2009 [5], le Parlement européen a, de son côté, suggéré l’étiquetage des denrées alimentaires contenant des nanomatériaux dans la position qu’il a arrêtée au sujet de la proposition de règlement « Novel food » [6]. La même année, une disposition similaire a été adoptée dans le règlement relatif aux produits cosmétiques [7], selon lequel : « Tout ingrédient présent sous la forme d’un nanomatériau doit être clairement indiqué dans la liste des ingrédients. Le nom de l’ingrédient est suivi du mot “nano” entre crochets. » Tout comme le Parlement européen, la Commission continue aujourd’hui d’orienter une partie des efforts consentis en matière de règlementation des nanotechnologies dans le sens d’un renforcement des obligations d’étiquetage déjà présentes dans des législations sectorielles [8].
3 Le Gouvernement français, quant à lui, dans le communiqué interministériel qu’il a envoyé le 13 février 2012 à la Commission nationale du débat public concernant les suites à apporter au débat public précité, confirmait que « la France se positionnera au niveau européen en faveur de l’étiquetage des produits mis à disposition du grand public et contenant ou destinés à émettre des substances à l’état de nanoparticules ». Cette affirmation est très modérée, toutefois, du fait de la référence au cadre européen, dans lequel il ne sera, par hypothèse, pas seul décisionnaire, et par la mention, dans les paragraphes suivants, d’études de faisabilité concernant les moyens spécifiques d’information du public, dont l’étiquetage, en coopération avec les institutions européennes, d’autres États et le Comité européen de normalisation.
4 L’étiquetage semble donc constituer, pour une majorité d’acteurs de la controverse sociotechnique qui s’est développée au sujet des nanotechnologies, un cadrage propice au développement responsable de ces dernières. Du fait des spécificités de ce champ de controverses tout comme de l’état des connaissances disponibles, notamment sur la métrologie et les risques engendrés par les nanomatériaux, cette solution et le fait qu’elle fasse apparemment consensus peuvent paraître étonnants.
5 Nous avons consacré par ailleurs de nombreux développements à l’analyse des modalités de régulation qui sont progressivement déployées autour des nanotechnologies [9]. Ces dernières se caractérisent par de multiples sources et formes normatives – les normes éthiques côtoyant les normes techniques, notamment au niveau international – et une pratique jusqu’à il y a peu de temps impressionniste d’adaptation progressive de textes purement juridiques, dans le respect de spécificités sectorielles industrielles et souvent en référence au principe de précaution. Il n’est donc pas question ici de reprendre l’ensemble de ces analyses mais bien de répondre à une interrogation plus spécifique, qui porte sur la mobilisation, par une grande variété d’acteurs, d’un élément commun de réponse aux questions soulevées par le développement des nanotechnologies. Celui-ci, l’étiquetage des produits contenant des nanomatériaux, peut en effet, à bien des égards, paraître surprenant au regard des enjeux en cause, qu’on l’envisage sous l’angle de la discussion démocratique des choix de développements scientifiques et technologies voire de la seule régulation de risques incertains.
6 Il est de même surprenant de constater que, hormis quelques mentions, souvent sibyllines, au besoin d’information du public et tout particulièrement des consommateurs, sur les produits circulant sur le marché, l’objectif de l’étiquetage demeure la plupart du temps non explicité, tout comme sa forme ou encore son contenu. Ce flou, entretenu par une grande variété d’acteurs, nous a mené à nous interroger. Le présent article formule l’hypothèse que cette solution répond opportunément à des positionnements forts différents dans la controverse liée aux nanotechnologies, ce qui explique, au moins en partie, son succès actuel [10]. Pour vérifier cette hypothèse, un détour par l’analyse des cadres (frame analysis) appliquée à la sociologie des mouvements sociaux nous a paru nécessaire. Un tel détour n’est pas totalement étranger à la science juridique, qui a pour objet, de manière habituelle, l’analyse des cadres sociaux tels qu’ils sont réglés, organisés dans le monde du droit [11]. Il implique néanmoins, au moins partiellement, un renouvellement méthodologique, dans le sens où les cadrages ici analysés débordent, en la précédant parfois, en la concurrençant dans d’autres hypothèses, l’activité juridique proprement dite.
7 Certains auteurs [12] avant nous ont brillamment montré que l’étiquetage peut constituer au moins à moyen terme, s’il est associé à des mesures permettant la traçabilité des produits, une piste intéressante de réponse aux contradictions qui apparaissent entre les discours de la société de la connaissance et de la société du risque, en tant qu’outil utile à la restauration d’une forme de confiance de la société dans les développements scientifiques et technologiques. Cette analyse ne permet toutefois pas de comprendre comment une telle proposition finit par réunir suffisamment d’acteurs autour d’elle pour sembler, comme c’est le cas ici, incontournable au point qu’on en oublie, par la même occasion, parfois, les problématiques qu’elle laisse de côté. Lorsqu’il devient une obligation juridique, l’étiquetage spécifique des nanomatériaux a, en apparence, déjà passé un certain nombre d’épreuves [13] codifiées, ne serait-ce que par le truchement de la discussion parlementaire qui a rendu possible sa mise en œuvre. Ce qui nous intéressera ici concerne tout à la fois les raisons qui ont mené à l’adoption d’un tel cadre juridique et les pratiques que ce cadre laisse – volontairement ou pas – dans l’ombre.
8Le concept de cadrage est principalement issu des travaux d’Erving Goffman [14]. Ce sont toutefois moins ces recherches fondatrices qui seront utilisées ici que les développements dont elles ont fait l’objet ultérieurement au sujet des mobilisations sociales. La théorie des cadrages des mouvements sociaux, ou « frame perspective », a été développée principalement aux États-Unis, sous l’impulsion de David Snow et Robert Benford dans les années 1980 [15]. Relativement peu étudiée en France, où les théories des nouveaux mouvements sociaux portées par Alain Touraine et Jürgen Habermas ont été, semble-t-il, préférées [16], cette théorie est toutefois utilisée, ponctuellement, par les auteurs français, au soutien d’analyses de mouvements et processus sociaux aussi divers que le cause lawyering [17], ou, plus récemment, la construction des problèmes de santé publique [18]. Elle permet en effet, opportunément nous semble-t-il, de mieux comprendre les actions collectives, tout à la fois dans leurs fondements et leur déroulement effectif.
9 Comme le souligne William A. Gamson, « les cadres de l’action collective sont moins des agrégations d’attitudes et de perceptions individuelles, que le résultat de la négociation de significations partagées » [19]. Cette tentative de définition des opérations de cadrage est par ailleurs complétée par d’autres auteurs, qui précisent que les cadres finalement adoptés le sont au terme « d’un ensemble d’échanges et de confrontations s’inscrivant dans des rapports de force, de pouvoir » [20]. L’intérêt, nous semble-t-il, d’une étude de l’étiquetage des produits contenant des nanomatériaux par le prisme de cette théorie, est qu’elle permet un renouvellement de l’analyse juridique d’obligations qui sont trop souvent perçues comme relevant de l’évidence [21]. L’analyse juridique, par ailleurs, complète utilement la perspective sociologique en autorisant un regard tout à la fois rétrospectif et plus prospectif sur les conséquences des cadrages opérés à un moment donné par les acteurs d’une controverse sociotechnique.
10 Ainsi analysée grâce à la théorie des cadrages des mouvements sociaux, l’étiquette nous paraît s’illustrer comme une réponse consensuelle à de multiples diagnostics (I). La parcimonie actuelle de contre-cadrages mis en avant ne doit pas mener l’observateur à ignorer ce qu’une telle proposition laisse sous silence (II) dans les arrangements qu’elle masque tout comme dans les dynamiques qu’elle pourrait susciter pour l’avenir.
I. L’étiquette comme cadrage affiché de la controverse « nano »
11 Quelles sont les significations partagées du cadrage proposé pour la controverse « nano » autour d’obligations d’étiquetage ? Répondent-elles à des diagnostics communs de la part de tous les acteurs qui soutiennent cette solution ? Ces significations sont-elles exclusives d’autres cadrages de la problématique ? Les approfondissements proposés par Robert D. Benford et David A. Snow [22] à l’analyse des processus de cadrage permettent de comprendre comment l’étiquetage est devenu une piste de solution consensuelle dans cette controverse (I.1), un cadrage « résonnant » pour des acteurs aux positionnements néanmoins très différents (I.2).
I.1. Une piste consensuelle
12 Comprendre pourquoi l’étiquetage constitue un cadrage consensuel de la problématique « nano » implique de le repositionner au sein des rapports de forces entre acteurs de la controverse. Il suffit, en effet, de jeter un coup d’œil sur la liste des acteurs ayant publié un cahier d’acteur dans le cadre du débat public consacré à cette problématique et qui soutiennent, plus ou moins ouvertement, ce positionnement, pour se rendre à l’évidence : tous ces acteurs n’ont pas les mêmes intérêts ni les mêmes objectifs. Entre des associations de promotion du dialogue Science-Société, le Mouvement des entreprises de France (MEDEF) et une confédération syndicale de salariés, par exemple, il est peu probable que les éléments d’analyse de la situation engendrée par le développement des nanotechnologies soient identiques. Si l’étiquetage apparaît comme un point commun de leurs communications publiques, c’est en tant que résultat d’une négociation qui ne porte pas sur le diagnostic opéré mais sur les moyens mobilisables pour l’avenir.
13 L’analyse proposée par R. D. Benford et D. A. Snow permet de distinguer les différentes opérations qui, en définitive, constituent le cadrage des actions collectives des acteurs et leur déroulement dans l’espace et dans le temps. Ils dénombrent ainsi trois opérations essentielles de cadrage de l’action collective, qu’ils analysent séparément des processus interactifs et discursifs qui les concernent. La première opération, le « cadrage de diagnostic », consiste en l’identification et en l’attribution des problèmes ; la deuxième, le « cadrage de pronostic », vise les solutions à mettre en œuvre, l’engagement qu’il s’agit de promouvoir ; la troisième et dernière opération, enfin, le « cadrage motivationnel », vise la mobilisation de soutiens à l’appui des stratégies ainsi construites grâce à l’élaboration de ce qu’ils dénomment des « vocabulaires de motifs » adéquats.
14 Au regard de cette description sommaire, il apparaît que l’appel à un étiquetage des nanomatériaux constitue, dans notre hypothèse, un cadrage de pronostic. Il relève des solutions à mettre en œuvre pour répondre aux problématiques que chaque acteur identifie au sujet du développement des nanotechnologies. Il est logique, si l’on suit le raisonnement des auteurs précités, qu’un accord soit plus facile à obtenir entre acteurs pourtant très différents sur cette opération essentielle de cadrage que sur l’opération de diagnostic, par exemple. En effet, comme ils le soulignent eux-mêmes, « l’identification de problèmes et de causes spécifiques (cadrage de diagnostic) tend à restreindre le champ des possibles en termes de solutions et de stratégies “raisonnables” » [23]. Une telle restriction n’empêche toutefois pas, dans la plupart des situations, l’apparition de contre-cadrages. Ceux-ci émanent, selon ces auteurs, alternativement d’opposants au mouvement qui défend un cadrage particulier, de ses auditoires ou bien des médias. Ils consistent en des contestations publiques des cadrages opérés. Ils impliquent, lorsqu’ils émanent d’opposants au mouvement, la mise en œuvre d’une stratégie de réfutation du cadrage de diagnostic ou de pronostic initialement proposé, sur lequel ils ont parfois des effets, entraînant des recadrages [24].
15 Ces phénomènes de contre-cadrage sont toutefois discrets dans le domaine qui nous préoccupe. Même si l’on peut le regretter, il faut en effet noter, comme le souligne Bernadette Bensaude-Vincent [25], qu’il est, en pratique, aujourd’hui difficile de mettre en cause le bien-fondé des mesures d’étiquetage dans l’espace public. Selon l’auteur, en effet :
L’étiquetage des produits s’inscrit […] dans une configuration bien précise des rapports entre les sciences, les techniques et la société, dans laquelle les usagers et les consommateurs sont considérés non plus comme une masse grégaire, mais comme des citoyens dotés d’une pensée propre et autonome. L’étiquette contribue […] à éclairer usagers et consommateurs et à leur permettre de faire un choix informé et responsable.
17 De fait, souligne-t-elle :
Il suffit de réfléchir un instant à ce que signifierait le refus d’une telle pratique pour se convaincre qu’il s’agit d’une obligation parfaitement fondée.
19 Ce point de vue est corroboré par les faits. Certains acteurs proposent, certes, des cadrages complémentaires à l’étiquetage des nanomatériaux, mais très peu d’entre eux remettent en cause de manière frontale cette solution. Ceux qui se risquent à l’exercice le font sur la base d’une opposition au développement même de ces technologies, comme c’est le cas du groupe « Pièces et Main d’œuvre ». Pour ces derniers, la négociation ne peut porter sur l’étiquetage comme cadrage de pronostic qu’à partir du moment où tous ses acteurs se sont préalablement mis d’accord sur le caractère inéluctable du développement des nanosciences et nanotechnologies [26], que, précisément, ils contestent.
20 L’absence, au moins momentanée, de contre-cadrage explique peut-être, en partie au moins, la relative imprécision de celui qui est généralement opéré en matière d’étiquetage. Faute d’opposition construite sur le pronostic, la simple mention de la nécessaire mise en place d’une obligation d’étiquetage pour les besoins de l’information du public suffit, pour un temps au moins, à emporter l’adhésion d’une majorité d’acteurs. Ce cadre, pour reprendre les termes de R. D. Benford et D. A. Snow, semble suffisamment « résonnant ».
I.2. Un cadrage « résonnant » parmi une diversité d’acteurs
21 Deux facteurs se complètent en effet, selon R. D. Benford et D. A. Snow [27], pour expliquer que certains cadrages sont, semble-t-il, plus efficaces que d’autres, plus aptes à mobiliser des acteurs au sein d’un mouvement social, voire à convaincre d’autres acteurs de rejoindre, sur ce point particulier, le cadre choisi, en articulant leurs propres revendications avec celles dont ils étaient originairement porteurs : la crédibilité de ce cadre et sa saillance relative.
22 Le premier de ces facteurs, selon les auteurs précités, est celui de la crédibilité du cadre choisi. Plus ce dernier est cohérent, plausible empiriquement et utilisé par des personnes elles-mêmes crédibles, plus il a de chance d’emporter la conviction de ceux auxquels il s’adresse et de mobiliser une audience importante. Toutes ces qualités semblent réunies au sein du cadrage « étiquetage » pour l’hypothèse étudiée.
23 Mettre en œuvre des obligations d’étiquetage – particulièrement si on le formule aussi largement – semble parfaitement cohérent avec les valeurs de protection de la sécurité et d’information des consommateurs, valeurs promues dans les pays industrialisés qui, par ailleurs, développent les nanosciences et nanotechnologies et ne cachent pas leur ambition de faire de leur production l’un des ferments de leur économie de l’innovation [28].
24 Comme l’a souligné à de multiples reprises la Commission européenne [29], ce cadrage est également plausible au regard du système juridique tel qu’il existe aujourd’hui, puisque n’impliquant pas de réflexion globale sur l’encadrement juridique des nanotechnologies mais simplement une adaptation des règlementations sectorielles concernées, qui peut, en outre, prendre la forme d’articles nouvellement adoptés lors de la révision des textes en cause, sans urgence apparente [30].
25 Enfin, au-delà même des qualités intrinsèques des acteurs individuels qui s’en font les promoteurs – lesquelles sont depuis fort longtemps reconnues comme participant indéniablement de la crédibilité de leurs assertions et des cadrages qu’ils mettent en avant [31] –, d’autres facteurs contribuent à renforcer la crédibilité de la solution proposée. Ainsi en est-il de la multiplicité des mouvements sociaux qui se rangent derrière l’option de l’étiquetage, qui contribue à donner l’image d’une solution consensuelle et crédible là où les positionnements critiques doivent, quant à eux, développer une argumentation plus complexe. Ainsi en est-il également du fait que cette option, l’étiquetage des produits contenant des nanomatériaux, s’appuie, dans la plupart des discours des acteurs, sur un outil fort : la norme juridique, elle-même parée d’une indéniable crédibilité intrinsèque.
26 Le second facteur explicatif de la résonnance d’un cadrage est sa saillance relative. Pour parvenir à convaincre, et donc, potentiellement, à intéresser des défenseurs, le cadrage choisi doit, selon R. D. Benford et D. A. Snow, mobiliser des valeurs importantes pour ses destinataires (il doit être central), sans que sa formulation ou les futurs qui en émergent ne déstabilisent trop ces derniers par rapport aux expériences personnelles ou collectives dont ils sont coutumiers. Ce cadrage doit en outre prendre au sérieux les contraintes que les réalités culturelles lui imposent, en étant fidèle, dans sa narration, aux postulats [32] culturels de ses cibles. Toutes ces qualités semblent effectivement réunies au sein de la demande de mise en œuvre d’obligations d’étiquetage des produits contenant des nanomatériaux. Comme le souligne Sophie Dubuisson-Quellier [33]:
L’individualisation du choix comme mode d’exercice de la citoyenneté mais aussi de la souveraineté du consommateur est le résultat d’un processus historique qui mêle aussi bien l’action des États, des entreprises, de la société civile que celle des consommateurs eux-mêmes.
28 L’option consumériste est donc fidèle aux postulats des sociétés capitalistes modernes dans lesquelles les nanotechnologies sont développées et elle est, de ce fait, susceptible de mobiliser un nombre important d’acteurs. Le partage de l’information est, par ailleurs, une valeur consensuelle dont l’importance est sans cesse réaffirmée [34]. Enfin, l’étiquetage est une modalité d’information d’ores et déjà largement diffusée en ce qui concerne les produits de consommation, ses mentions s’insèrent dans un ensemble de « dispositifs de médiation » [35] déjà familiers des consommateurs. À l’image du cadrage qui a été opéré en matière de sécurité routière et a fait l’objet d’analyses éclairantes par Claude Gilbert, l’étiquette, ici, est « une action publique aisée à concevoir, sinon à mettre en œuvre, apparaissant immédiatement justifiée, légitime et reposant sur un appareil politico-administratif somme toute assez limité » [36].
29 Un cadrage relativement flou – la nécessité de mettre en œuvre des obligations d’étiquetage des produits contenant des nanomatériaux – présente finalement l’avantage, sous des apparences consensuelles, de passer sous silence la plupart des questions qui pourraient cliver ses destinataires. En montant en généralité [37], les débats autour de la gouvernance des nanotechnologies ont momentanément été pacifiés, les intérêts mobilisés dans son cadrage sont suffisamment accueillants pour rassembler une large variété d’acteurs, et leurs ressorts communs reposent sur des valeurs suffisamment universelles – autonomie de choix, justice sociale – pour rendre toute contestation quasiment contreproductive.
30 Ces caractéristiques de la solution « étiquetage », qui en font aujourd’hui un passage obligé de la controverse autour des nanotechnologies, n’épuisent toutefois pas les questions qu’elle soulève, loin de là. La controverse demeure présente hors du cadrage opéré via l’étiquetage de certaines catégories de produits. Elle sera peut-être même, paradoxalement, réactivée par ce cadrage, au moment des discussions dont sa mise en œuvre concrète fera effectivement l’objet.
II. Aux frontières du cadrage affiché, un renouvellement à venir de la controverse ?
31 Le rassemblement d’un grand nombre d’acteurs autour du cadrage proposé via l’étiquetage obligatoire des produits de consommation contenant des nanomatériaux marque certainement une étape de la controverse liée au développement des nanotechnologies. Il n’éteint toutefois pas cette dernière. Bien au contraire, les problématiques laissées sous silence dans le cadrage partiel proposé, elles, demeurent : quels développements technologiques souhaitons-nous [38] ? À quelles fins ? Selon quelles modalités ? Décidés par qui ? En outre, loin de constituer une réponse monolithique à la question du partage de l’information, la mise en œuvre d’obligations d’étiquetage est en réalité d’une grande complexité. Pour étiqueter, il faut non seulement décider du contenu et du format de l’information délivrée, de son objet exact, mais aussi des conditions de mise en œuvre de l’obligation, de la détermination de ses débiteurs.
32 Bien des questions demeurent, par conséquent, à la fois à l’intérieur du cadre proposé et à l’extérieur, que les analyses de cadrage ne permettent qu’imparfaitement d’appréhender. La mise en œuvre, déjà amorcée, du cadrage proposé, par les pouvoirs publics, en France et au niveau européen, laisse toutefois entrevoir deux caractéristiques partiellement contradictoires mais, nous semble-t-il, également importantes, des effets du cadrage en question. La première est, qu’au-delà de l’esquisse, la construction du cadrage proposé demeure en grande partie confinée dans des cercles beaucoup plus discrets que ne l’ont été ceux qui ont abouti à son édiction (II.1). La seconde, peut-être plus prospective, est qu’un tel cadrage n’est sans doute pas une fin en soi, mais un outil pertinent pour permettre, à l’avenir, une redéfinition politique et juridique des problèmes dans des dispositifs institutionnels [39] jusqu’ici stables (II.2).
II.1. Une mise en œuvre confinée des solutions esquissées
33 Parvenir à un consensus socialement acceptable, ou contesté seulement par une minorité d’acteurs, sur la nécessité d’imposer, par la voie du droit, un étiquetage spécifique des produits contenant des nanomatériaux ne signifie pas pour autant que les conditions concrètes de mise en œuvre de ces obligations soient aisées à concevoir, ou, pour le dire autrement, que leur régulation [40] fasse, elle aussi, immédiatement consensus. Plusieurs étapes sont encore nécessaires pour que la solution en cause fasse réellement sens.
34 Parmi ces étapes, celle consistant en la fixation de l’objectif de l’étiquetage, demeuré sous silence dans l’étape de cadrage collectif, est incontournable. Du choix de l’objectif visé dépend en effet la forme qui sera donnée à l’étiquetage – on n’informe pas, fût-ce sur une étiquette, au sujet d’un produit interdit aux mineurs ou susceptible de provoquer de graves réactions allergiques comme sur une filière de production [41] ou de commercialisation spécifique, par exemple. De ce choix dépendent également les outils de régulation qui devront être associés à l’étiquette, qu’il s’agisse de seuils éventuels de présence du composant en cause dans le produit fini, ou encore de traçabilité de ces derniers tout au long de la chaîne de production, notamment. Dans l’hypothèse qui nous intéresse, le parcours décrit ci-dessus est d’ailleurs en quelque sorte inversé. Le moyen – l’étiquetage obligatoire – étant majoritairement reconnu comme souhaitable, il reste à en dessiner les modalités concrètes, qui, in fine, auront une influence sur l’interprétation qui pourra être donnée à l’ensemble. Ce type d’inversion n’est pas un cas unique, on peut retracer de manière similaire le déploiement d’obligations d’étiquetage en matière d’organismes génétiquement modifiés [42] par exemple.
35 Toutes ces décisions, qui sont autant d’opérations fines de cadrages complémentaires nécessaires, ne s’effectuent pas nécessairement dans des arènes publiques. Bien au contraire, comme l’ont très bien montré Claude Gilbert et Emmanuel Henry, des espaces de négociation plus discrets seront souvent privilégiés pour trouver les compromis structurant les orientations concrètes [43]. Ces auteurs montrent parfaitement, au moyen de plusieurs exemples situés, comment les phases de publicisation, auxquelles doit être assimilé le débat public organisé au sujet des nanotechnologies en 2009 et 2010 malgré ses déboires, s’articulent avec des phases de négociations entre acteurs souvent moins nombreux et plus établis – représentants du secteur industriel et pouvoirs publics, notamment – dans un processus global de construction des problèmes publics.
36 Dans le domaine qui nous intéresse, celui, au sens large, de la gouvernance des nanotechnologies, il est ainsi intéressant de noter qu’en France, parallèlement au débat public dont le Gouvernement a confié l’organisation à la CNDP en 2009, des discussions parlementaires ont eu lieu, aboutissant non seulement à l’annonce de ce débat (sic !) mais aussi à l’édiction des lois dites « Grenelle » [44], qui prévoient :
Les personnes qui fabriquent, importent ou distribuent des substances à l’état nanoparticulaire, en l’état ou contenues dans des mélanges sans y être liées, ou des matériaux destinés à rejeter de telles substances dans des conditions normales ou raisonnablement prévisibles d’utilisation déclarent périodiquement à l’autorité administrative, dans un objectif de traçabilité et d’information du public, l’identité, les quantités et les usages de ces substances, ainsi que l’identité des utilisateurs professionnels à qui elles les ont cédées à titre onéreux ou gratuit [45].
38 L’orientation donnée, au travers de ce dispositif législatif, à l’information du public confère, de facto, aux obligations d’étiquetage qui pourraient être déployées par la suite, en France, un sens bien particulier. L’information y est en effet étroitement associée à la traçabilité des nanomatériaux et c’est l’ensemble de la chaîne menant à la distribution et à la consommation de produits contenant des nanomatériaux qui est visée. Dès lors, lorsque, parmi d’autres acteurs du développement des nanotechnologies, le Gouvernement français tire le bilan du débat public en s’engageant à agir, au niveau européen, « en faveur de l’étiquetage des produits mis à disposition du grand public et contenant ou destinés à émettre des substances à l’état de nanoparticules », il faut interpréter ce positionnement sans le dissocier du régime qu’il met en place pour assurer la traçabilité de ces substances. L’étiquetage, en France, devient une mesure parmi d’autres pensées dans le sillage de la traçabilité des nanomatériaux. Plus précisément, il constituerait une extension de cette dernière au-delà des filières professionnelles [46] et son objectif est, plus discrètement, enchâssé non plus dans le cadre du débat concomitant – les options générales en matière de développement et de régulation des nanotechnologies – mais dans celui, plus étroit, de la gouvernance des risques liés aux nanomatériaux [47].
39 Ce recadrage, très nettement restrictif, du problème n’est évidemment pas sans conséquences. Au regard de la multiplicité des cadrages de diagnostic qui justifiaient la mobilisation des acteurs autour d’une stratégie visant l’étiquetage des nanoproduits, il opère un choix discriminant. Comme on l’a vu plus haut, le cadrage de pronostic axé sur l’étiquetage pouvait aussi bien répondre à une volonté d’afficher un fort respect des souhaits des consommateurs (pour les industriels, principalement), qu’à une nécessité de renforcer l’implication du public dans le débat autour des technosciences, en lui permettant de prendre conscience de son exposition aux produits issus des nanotechnologies (pour les associations Science-Société et les associations de protection de l’environnement). Il pouvait également être expliqué par un besoin de garantir une réelle possibilité de choix informé (pour les associations de protection des consommateurs) ou par la volonté de mettre en place une politique de transparence (pour les pouvoir publics).
40 Tel qu’il est perceptible, aujourd’hui, au travers des évolutions juridiques françaises et européennes, l’étiquetage des produits contenant des nanomatériaux vise, lui, les caractéristiques objectives des produits en cause. Il est très éloigné, dans cette configuration, d’un cadrage ayant pour objectif l’information des citoyens sur des pratiques de production et de développement technologique ou même d’un cadrage axé sur la possibilité de choisir pour les consommateurs, aucune filière « sans nano » n’étant, sur le plan des principes, préservée.
41 Cette interprétation parcellaire du cadrage « étiquetage » a par ailleurs des conséquences sur le régime juridique qui doit être associé à la mise en œuvre de l’étiquetage obligatoire. L’information portant sur la présence objective de nanomatériaux dans les produits et ayant pour objectif la gestion des risques potentiellement associés à ces matériaux, l’un des enjeux les plus pressants pour les acteurs immédiatement concernés, c’est-à-dire tous ceux qui devront se plier aux exigences de traçabilité et d’étiquetage, va porter sur la définition des nanomatériaux et sur la négociation des seuils à partir desquels leur mention devient obligatoire [48]. Toutes ces opérations vont permettre de finaliser le cadrage de l’étiquetage et lui donner son sens définitif dans l’ordonnancement juridique. La plupart d’entre elles, toutefois, se déroulent dans des arènes qui n’ouvrent leurs portes qu’à une petite partie des acteurs concernés par le développement et la commercialisation des nanotechnologies et qui, malgré des moyens conséquents mis en œuvre en ce sens, ne sont pas véritablement transparentes.
42 Si l’on observe, par exemple, le Règlement cosmétique, qui, le premier, a mis en place une obligation d’étiquetage spécifique pour les produits contenant des nanomatériaux au niveau européen, on peut, en consultant les travaux parlementaires, faire plusieurs constats. Tout d’abord, la définition des objets visés par cette obligation a varié au cours de la procédure d’examen du texte. S’il n’était nullement question des nanomatériaux dans la proposition de règlement initialement déposée par la Commission européenne [49], ceux-ci ont fait leur apparition dans les débats parlementaires, sous formes d’amendements.
43 Dans le projet de rapport déposé le 22 septembre 2008 par la Commission de l’environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire du Parlement européen, la définition suivante est proposée :
« Nanomatériau » : matériau fabriqué intentionnellement présentant une ou plusieurs dimensions externes ou une structure interne à l’échelle de 100 nm ou moins, qui pourrait présenter des caractéristiques nouvelles en comparaison avec le même matériau ne présentant pas de caractéristiques à l’échelle nanométrique [50].
45 La rapporteure précise alors :
Cette définition tient compte de la définition complète que donne le CSPC (Comité scientifique des produits destinés aux consommateurs) dans son avis sur la sécurité des nanomatériaux dans les produits cosmétiques publié en décembre 2007, tout en limitant le champ d’utilisation des nanomatériaux dans les matériaux fabriqués intentionnellement, dans le contexte du présent règlement.
47 Cette phrase de justification nous permet de comprendre que les parties prenantes de la négociation de cette définition sont en réalité, dans cette hypothèse, les membres d’un Comité scientifique, des experts du domaine de l’évaluation des risques pour la plupart [51], et les quelques parlementaires qui ont œuvré à ce travail préparatoire. Rien d’étonnant dans l’absolu. Le cadrage de cet étiquetage étant celui de l’évaluation des risques, comme le rappelle ce rapport de commission parlementaire lui-même [52], la définition choisie repose sur cette dernière et sur les caractéristiques des nanomatériaux qui semblent, à l’instant t, justifier une appréhension particulière des questions de sécurité sanitaire et environnementale.
48 Cette définition est pourtant modifiée dans le rapport final de cette même Commission parlementaire, qui choisit le texte suivant : « “nanomatériau” : un matériau non soluble ou bio-persistant, fabriqué intentionnellement et se caractérisant par une ou plusieurs dimensions externe(s) ou par une structure interne, sur une échelle de 1 à 100 nm », dans le rapport qu’elle soumet au débat du Parlement le 3 décembre 2008 [53], un peu plus de deux mois plus tard. Le rapport précise à nouveau à cette occasion :
Afin d’éviter toute incertitude juridique, il est important de donner une définition claire de « nanomatériau ». C’est pourquoi votre rapporteure introduit une définition dans ce règlement, laquelle se fonde sur la définition élaborée par le Comité scientifique des produits de consommation (CSPC) en décembre 2007.
50 À la lecture de l’avis rendu par ce comité scientifique, il apparaît que l’ajout des mentions « non soluble et bio-persistant » relève d’une interprétation restrictive de la définition donnée, puisque ce Comité précisait simplement :
For the soluble and/or biodegradable group, conventional risk assessment methodologies based on mass metrics may be adequate, whereas for the in soluble particles other metrics, such as the number of particles, and their surface area as well as their distribution are also required.
52 Sur la base d’une supposition – « may be adequate » – une grande partie des nanomatériaux utilisés dans le secteur des cosmétiques – liposomes, nano-émulsions – se trouve écartée du champ d’application du Règlement, et, de fait, des étiquettes.
53 C’est cette définition assez restrictive qui sera finalement adoptée dans le règlement [54] voté au mois de novembre 2009, et qui permettra aux industriels du secteur de la cosmétique d’affirmer qu’ils sont pionniers dans l’encadrement des nanomatériaux [55]. L’affirmation, choisie comme titre d’un des paragraphes de leur cahier d’acteur, apparaît toujours sur le site « Parlons cosmétiques », site développé par la Fédération des entreprises de la beauté (FEBEA), à l’heure actuelle, dans une page éloquemment titrée « Nanotechnologies et produits cosmétiques ». En soutenant une solution toute parcellaire à la problématique du risque potentiellement lié à certains nanomatériaux, la communication institutionnelle de ces entreprises pourrait laisser penser qu’elles ont contribué au règlement de la problématique liée au déploiement des nanotechnologies dans ce secteur.
54 Le raccourci, rendu possible par les opérations de cadrage successives auxquelles a donné lieu la controverse liée au développement des nanotechnologies est ici saisissant. Il n’est pas certain pour autant qu’il satisfasse la totalité des mouvements sociaux qui se sont mobilisés autour d’un cadrage de pronostic fondé sur l’étiquetage des produits contenant des nanomatériaux. Si ce cadre a réussi à mobiliser autant d’acteurs, alors même que sa mise en œuvre, concomitante, comme on l’a vu, à la fois dans le domaine des cosmétiques et, de manière moins définitive toutefois, plus largement même, sur le territoire français, c’est sans doute que pour une partie d’entre eux, ils y ont vu le moyen d’enclencher, pour l’avenir, une autre dynamique de développement des nanosciences et nanotechnologies.
II.2. Des dynamiques potentiellement enclenchées par le cadrage
55 Plusieurs éléments d’analyse, on l’a vu, suggèrent que le cadrage « étiquetage » de la problématique liée au développement des nanotechnologies n’est pas du même ordre pour tous les mouvements sociaux qui l’ont soutenu. Il correspond en réalité à des diagnostics épars de la situation liée au développement de ces technologies, fondés sur des intérêts parfois opposés. Les secteurs dans lesquels il est effectivement mis en œuvre permettent en outre de douter de la satisfaction totale des cadrages de diagnostic qui ont justifié ce soutien, même pris individuellement.
56 Pour les industriels, qui voient dans l’étiquetage obligatoire un outil de promotion de leur comportement responsable vis-à-vis des consommateurs, le choix d’un régime juridique fondé sur la gestion des risques n’est pas idéal. Comme on l’a vu, au terme de nombreux recadrages apparemment techniques, l’étiquetage obligatoire a finalement été limité, dans les secteurs qui l’ont mis en œuvre, aux nanomatériaux estimés les plus dangereux potentiellement selon l’expertise scientifique. Si une telle limitation peut satisfaire, dans l’immédiat, l’objectif de communication des industriels, qui n’auront pas, en pratique, à étiqueter trop de produits, elle risque toutefois, à terme, de provoquer une difficulté juridique. En effet, dans l’hypothèse où l’un des produits finis étiquetés provoquerait, à l’avenir, un dommage du fait de la présence dans son contenu de nanomatériaux, il sera peut-être plus difficile pour eux d’arguer du risque de développement dans le cadre de leur responsabilité du fait des produits défectueux [56].
57 Pour les associations de consommateurs, qui soutiennent la solution de l’étiquetage comme contribuant à garantir une réelle possibilité de choix informé pour les consommateurs, la mise en œuvre concrète d’obligations d’étiquetage pourrait également s’avérer décevante. D’une part, en effet, l’application de ce type d’obligation dans le domaine des cosmétiques permet de constater que ce choix ne portera en réalité que sur une petite partie des produits contenant effectivement des nanomatériaux, la définition choisie pour ces derniers étant restrictive. D’autre part, il est indéniable que la mise à disposition des consommateurs d’une information aussi limitée que la mention « nano » entre crochets n’est pas totalement satisfaisante au regard de l’ensemble de la problématique associée au développement des nanotechnologies.
58 Enfin, et c’est sans doute là le problème le plus important, il apparaît probable que l’étiquetage opère, dans les faits, un effet de translation de responsabilité, des épaules des acteurs qui décident de la mise sur le marché (industriels mais aussi, indirectement, pouvoirs publics) vers celles des consommateurs. Ceux-ci sont alors virtuellement placés en position de faire un choix informé alors même que les connaissances sur les risques associés aux nanoproduits demeurent parcellaires et qu’ils sont, parmi les acteurs du développement des nanotechnologies, les moins informés [57].
59 Pour les associations de protection de l’environnement et celles de promotion de la démocratie sociotechnique, l’étiquetage répond à la nécessité de renforcer l’implication du public dans le débat autour des technosciences en lui permettant de prendre conscience des expositions qu’il subit, directement ou via son environnement, aux produits issus des nanotechnologies. Là encore, les limitations infligées au domaine réel de l’obligation d’étiquetage du fait de définitions restrictives, de même que l’imposition de seuils en-deçà desquels la présence de nanomatériaux n’a pas à être signalée ne satisferont pas les objectifs poursuivis. La limitation la plus évidente qu’impose le cadrage suggéré à l’heure actuelle provient certainement du fait, néanmoins, qu’il ne concerne, en toute hypothèse, qu’une partie infime des produits issus des développements nanotechnologiques : les nanomatériaux rendant compliqué, en l’état, l’éveil d’une conscience citoyenne sur les enjeux globaux liés à ces technosciences [58].
60 Si l’étiquetage des produits contenant des nanomatériaux apparaît néanmoins, dans la communication de ces différents mouvements sociaux, comme une étape souhaitable dans la prise en compte du problème, c’est sans doute que, pour une partie au moins d’entre eux, ils y décèlent des virtualités intéressantes pour l’avenir de la controverse. Peut-être considèrent-ils, pour partie d’entre eux, qu’au-delà d’un cadrage de pronostic nécessairement insuffisant, l’étiquetage peut aussi servir de ferment à un cadrage motivationnel [59], un cadrage permettant de recruter, pour l’avenir, de nouveaux acteurs gagnés à leurs objectifs initiaux. En effet, la mention de la présence de nanomatériaux sur les étiquettes de produits de consommation pourrait avoir pour effet, en rapprochant l’information du consommateur et, partant, de chaque citoyen, de pousser activement, pour l’avenir, à une nouvelle mise à l’agenda politique de la problématique liée aux nanotechnologies, qui pénètre ainsi différemment l’espace public [60].
Conclusion
61 Selon Céline Granjou, l’ensemble du processus qui a progressivement construit le cadre juridique de traçabilité et d’étiquetage des OGM, tel qu’il existe aujourd’hui, a permis l’émergence « d’une norme de qualification inédite des produits, intégrant la dimension politique de choix de consommation manifestant une adhésion à certains modèles généraux » [61]. Peut-on espérer que l’étiquetage des nanomatériaux produise à terme des effets aussi positifs sur les dimensions politiques et démocratiques intriquées dans le développement sociotechnique ?
62 L’apparition d’un citoyen-consommateur plus éclairé et conscient de la dimension politique de ses actes les plus quotidiens peut-elle découler des cadrages partagés aujourd’hui autour de l’étiquetage des nanoproduits ? On ne peut sans doute que le souhaiter. Le chemin à parcourir est encore long, néanmoins, dans le domaine qui nous préoccupe, qui va du caractère très décevant des cadres juridiques déployés jusqu’ici [62] jusqu’à la « cité civique » décrite par Luc Boltanski et Laurence Thévenot [63], dans laquelle la paix sociale et le bien commun reposent sur l’autorité d’un « souverain désincarné », expression d’une volonté générale qui « ne regarde qu’à l’intérêt commun ».
Mots-clés éditeurs : Analyse des cadres, Nanotechnologies, Régulation, Nanomatériaux, Droit
Date de mise en ligne : 13/12/2016
https://doi.org/10.3917/drs.094.0625Notes
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[1]
L’ensemble de ces cahiers d’acteurs, publiés entre le 15 octobre 2009 et le 11 février 2010, ainsi que le document d’initialisation du débat daté du mois de septembre 2009, son compte rendu et son bilan, du mois d’avril suivant, de même que toutes les contributions publiées dans ce cadre et d’autres documents utiles sont encore accessibles en ligne à l’adresse suivante : <http://cpdp.debatpublic.fr/cpdp-nano/>.
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[2]
Voir en ce sens le cahier d’acteur de l’association Sciences et démocratie, qui questionne la pertinence des différentes formes d’étiquetage obligatoires envisageables, ou encore le cahier d’acteur de l’association Entreprises pour l’environnement, qui suggère que l’étiquetage devrait être décliné selon les secteurs d’activité concernés. Voir <http://cpdp.debatpublic.fr/cpdp-nano/documents/liste-cahier-acteurs.html>.
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[3]
Communication de la Commission au Conseil, au Parlement européen et au Comité économique et social, COM (2005) 243 final, Bruxelles, 7 juin 2005, « Nanosciences et nanotechnologies : un plan d’action pour l’Europe 2005-2009 ».
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[4]
Ibid., COM (2008) 366 final, Bruxelles, 17 juin 2008, « Aspects réglementaires des nanomatériaux ».
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[5]
Position du Parlement européen arrêtée en première lecture le 25 mars 2009 en vue de l’adoption du règlement (CE) n°.../2009 du Parlement européen et du Conseil concernant les nouveaux aliments, modifiant le règlement (CE) n° 1331/2008 et abrogeant le règlement (CE) n° 258/97, P6_TA(2009)0171.
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[6]
COM (2007) 872, Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil concernant les nouveaux aliments.
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[7]
Règlement (CE) n° 1223/2009 du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2009 relatif aux produits cosmétiques, JOUE, L 342, 22 décembre 2009, p. 59-209.
-
[8]
Voir en ce sens la Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil et au Comité économique et social, COM (2012) 572, Bruxelles, 2 octobre 2012, Deuxième examen réglementaire relatif aux nanomatériaux.
-
[9]
Voir notamment, Stéphanie Lacour, « Les effets de la complexité et de l’incertitude sur l’élaboration des normes juridiques. Le cas des nanotechnologies », in Marie-Françoise Chevallier-le Guyader, Étienne Klein, Mireille Delmas-Marty et al., Sciences et Société. Les normes en question, Arles : Actes Sud, 2014, p. 215-229, ou encore, Stéphanie Lacour, « Nanotechnologies : réguler l’incertitude ? », Droit et Société, 78, 2011, p. 429-446.
-
[10]
Succès constaté également par d’autres auteurs, qui s’en servent comme point de départ d’une analyse des rapports que ces mesures d’étiquetage devraient entretenir avec une réforme, plus large, des règles relatives au partage des responsabilités en matière de développement technologique, sans toutefois analyser plus avant les raison de ce succès. Voir Harald Throne-Holst et Arie Rip, « Complexities of Labelling of Nano-Products on the Consumer Markets », European Journal of Law and Technology, 2 (3), 2011 et l’analyse que nous en avons proposée, « Des tenants et aboutissants de l’étiquetage des nano-produits », Bulletin de veille scientifique de l’ANSES, 17, 2012, p. 80 et suiv.
-
[11]
Marie-Angèle Hermitte, « Le droit est un autre monde », Enquête. Les objets du droit, 1999, mis en ligne le 13 février 2009 : <http://enquete.revues.org/document1553.html>.
-
[12]
En ce sens, voir Id., « Les trois économies : connaissance, risque et confiance, à propos de la traçabilité des OGM », Annales de la régulation, 2, 2009, IRJS Éditions (sous la direction de Thierry Revet et Laurent Vidal).
-
[13]
Voir Luc Boltanski, « Passer des épreuves », Projet, 289, 2005, p. 72-75.
-
[14]
Erving Goffman, Frame Analysis: An Essay on the Organization of Experience, New York : Harper and Row, coll. « Harper Colophon book », 1974 ; trad. Isaac Joseph, Les cadres de l’expérience, Paris : Minuit, coll. « Le Sens commun », 1991.
-
[15]
Voir David A. Snow et al., « Frame Alignment Processes, Micromobilization, and Movement Participation », American Sociological Review, 51 (4), 1986.
-
[16]
Voir néanmoins, Daniel Cefaï et Danny Trom (dir), Les formes de l’action collective. Mobilisations dans des arènes publiques, Paris : Éditions de l’EHESS, coll. « Raisons pratiques », 2001.
-
[17]
Liora Israël, « Usages militants du droit dans l’arène judiciaire : le cause lawyering », Droit et Société, 49, 2001, p. 793-824.
-
[18]
Claude Gilbert et Emmanuel Henry, « La définition des problèmes publics : entre publicité et discrétion », Revue française de sociologie, 53 (1), 2012, p. 35-39.
-
[19]
William A. Gamson, « The Social Psychology of Collective Action », in Aldon D. Morris et Carol McClurg Mueller (eds.), Frontiers in Social Movement Theory, New Haven, CT : Yale University Press, 1992, p. 53-76.
-
[20]
Claude Gilbert, « Quand l’acte de conduite se résume à bien se conduire. À propos du cadrage du problème “sécurité routière” », Réseaux, 147, 2008, p. 21-48, spéc. p. 25.
-
[21]
Même si le rôle de l’information dans la protection des consommateurs a fait l’objet de nombreux travaux par ailleurs, voir en ce sens Jean Calais-Auloy, « L’influence du droit de la consommation sur le droit civil des contrats », Revue trimestrielle de droit civil (RTD Civ.), 1994, p. 239 ou encore Linda Arcelin-Lecuyer, « La redondance informative ou le bon sens oublié », Contrats, concurrence, consommation, 2011, étude 9, n° 1.
-
[22]
Robert D. Benford et David A. Snow, « Processus de cadrage et mouvements sociaux : présentation et bilan », Politix, 99, 2012, p. 217-255, traduction de Nathalie Miriam Plouchard.
-
[23]
Ibid., p. 228.
-
[24]
Pour un exemple concret d’analyse de cadrages et contre-cadrages, voir Robert D. Benford, « Frame Disputes within the Nuclear Disarmament Movement », Social Forces, 71 (3), 1993, p. 677-701
-
[25]
Bernadette Bensaude-Vincent, « De la transparence dans l’innovation », Annales des Mines. Réalités industrielles, 1, 2010, p. 68-73
- [26]
-
[27]
Robert D. Benford et David A. Snow, « Processus de cadrage et mouvements sociaux : présentation et bilan », art. cité, p. 233 et suiv.
-
[28]
Voir en ce sens le positionnement très clair de la Commission européenne, Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil et au Comité économique et social européen, Deuxième examen réglementaire relatif aux nanomatériaux, COM (2012) 572 final : « La législation applicable doit garantir un niveau élevé de santé, de sécurité et de protection de l’environnement. Dans le même temps, elle devrait permettre l’accès aux produits innovants et promouvoir l’innovation et la compétitivité. L’environnement réglementaire a une incidence sur le délai de mise sur le marché, la structure des coûts marginaux et la répartition des ressources, en particulier pour les petites et moyennes entreprises (PME). Il crée également de nouveaux débouchés et renforce la confiance des consommateurs et des investisseurs dans la technologie. »
-
[29]
Communication de la Commission au Conseil, au Parlement européen et au Comité économique et social européen, COM (2008) 366 final, précité ; mais aussi Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil et au Comité économique et social, COM (2012) 572, précité.
-
[30]
Encore une fois, comme le souligne la Commission européenne : « L’information des consommateurs et l’étiquetage des nanomatériaux constituent un autre enjeu majeur dans le débat sur les nanomatériaux. L’étiquetage des nano-ingrédients a été introduit pour les produits présentant un intérêt pour les consommateurs, notamment les denrées alimentaires et les cosmétiques. Des dispositions similaires peuvent être envisagées pour d’autres systèmes de réglementation prévoyant déjà l’étiquetage des ingrédients, ce qui permettrait aux consommateurs de choisir en toute connaissance de cause », COM (2012) 572, précité.
-
[31]
Carl I. Hovland et Walter Weiss, « The Influence of Source Credibility on Communication Effectiveness », Public Opinion Quarterly, 15, 1951.
-
[32]
Walter R. Fisher, « Narration as a Human Communication Paradigm: The Case of Public Moral Argument », Communication Monographs, 51, 1984.
-
[33]
Sophie Dubuisson-Quellier, « De la souveraineté à la gouvernance des consommateurs : l’espace du choix dans la consommation », L’Économie politique, 39, 2008, p. 21-31.
-
[34]
Voir notamment, en matière environnementale, la Convention (CEE/ONU) sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement, dite convention d’Aarhus du 25 juin 1998. Signée par trente-neuf États et la Communauté européenne, elle a été ratifiée en France en 2002 et le décret n° 2002-1187 du 12 septembre 2002 portant publication de la convention sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement (ensemble deux annexes), faite à Aarhus le 25 juin 1998, JO, 221, 21 septembre 2002.
-
[35]
Sophie Dubuisson-Quellier, « De la souveraineté à la gouvernance des consommateurs : l’espace du choix dans la consommation », art. cité, p. 25.
-
[36]
Claude Gilbert, « Quand l’acte de conduite se résume à bien se conduire. À propos du cadrage du problème “sécurité routière” », art. cité, spéc. p. 40.
-
[37]
Luc Boltanski et Laurent Thévenot, De la justification. Les économies de la grandeur, Paris : Gallimard, 1991.
-
[38]
Voir Bernadette Bensaude-Vincent, « De la transparence dans l’innovation », art. cité.
-
[39]
Claude Gilbert et al., « Lire l’action publique au prisme des processus de définition des problèmes », in Claude Gilbert et Emmanuel Henry (dir.), Comment se construisent les problèmes de santé publique, Paris : La Découverte, coll. « Recherches/Territoires du politique », 2009, p. 7-33.
-
[40]
Jean-Paul Gaudillière et Pierre-Benoît Joly, « Appropriation et régulation des innovations biotechnologiques : pour une comparaison transatlantique », Sociologie du travail, 48 (3), 2006, p. 330-349.
-
[41]
Laurence Boy, « Les programmes d’étiquetage écologique en Europe », Revue internationale de droit économique, XXI (1), 2007, p. 5-25.
-
[42]
Voir notamment, au sujet de ces obligations spécifiques, le Règlement (CE) n° 1830/2003 du Parlement européen et du Conseil du 22 septembre 2003 concernant la traçabilité et l’étiquetage des organismes génétiquement modifiés et la traçabilité des produits destinés à l’alimentation humaine ou animale produits à partir d’organismes génétiquement modifiés, et modifiant la directive 2001/18/CE, (JO, L 268, 18 octobre 2003, p. 24). Pour une analyse éclairante de ces processus, Céline Granjou, « Traçabilité, étiquetage et émergence du “citoyen-consommateur” : l’exemple des OGM », in Alain Chatriot, Marie-Emmanuelle Chessel et Matthew Hilton (dir.), Au nom du consommateur. Consommation et politique en Europe et aux États-Unis au xxe siècle, Paris : La Découverte, 2004, p. 199-211.
-
[43]
Claude Gilbert et Emmanuel Henry, « La définition des problèmes publics : entre publicité et discrétion », art. cité, p. 35-59.
-
[44]
Loi n° 2009-967 du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement, JORF, 179, 5 août 2009, p. 13031 et Loi n° 2010-788 portant engagement national pour l’environnement du 12 juillet 2010, JORF, 160, 13 juillet 2010, p. 12905.
-
[45]
Loi n° 2010-788 portant engagement national pour l’environnement du 12 juillet 2010, article 185.
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[46]
Didier Torny, « La traçabilité comme technique de gouvernement des hommes et des choses », Politix, 44, 1998, p. 51-75.
-
[47]
Stéphanie Lacour, « Le régime de déclaration des substances à l’état nanoparticulaire, JCP Entreprises, 19 avril 2012, Étude, p. 1249 et suiv.
-
[48]
En ce sens, Id., « Recherche des traces de nanos désespérément », Les Cahiers Droit, Sciences et Technologies, 4, 2014, p. 213-230.
-
[49]
Proposition de Règlement du Parlement européen et du Conseil relatif aux produits cosmétiques, COM (2008) 49 final, déposée le 5 février 2008, (SEC(2008)117).
-
[50]
Projet de Rapport sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif aux produits cosmétiques (COM COM(2008)0049 – C6 0053/208 – 2008/0035(COD)) (PE409.426v01-00).
-
[51]
La liste des membres du Comité scientifique des produits destinés aux consommateurs est disponible sur le site : <http://ec.europa.eu/health/scientific_committees/consumer_safety/members_ committee/index_en.htm>.
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[52]
Le rapport précise en effet : « Les nanomatériaux sont utilisés dans les produits cosmétiques en raison de leurs caractéristiques nouvelles en comparaison avec les mêmes matériaux à une échelle normale. Leur petite taille risque d’entraîner des effets nocifs qui requièrent une évaluation correcte. Afin de les inclure dans l’évaluation de la sécurité, il est nécessaire d’établir une définition. » Projet de rapport sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif aux produits cosmétiques, précité, p. 10. Commission de l’environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire.
-
[53]
Rapport A6-0484/2009, de la Commission de l’environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire, du 8 décembre 2008, sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif aux produits cosmétiques, (COM(2008)0049 – C6-0053/2008 – 2008/0035(COD)), disponible en ligne à l’adresse suivante : <http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//TEXT+REPORT+A6-2008-0484+0+DOC+XML+V0//FR>.
-
[54]
Règlement (CE) n°1223/2009 du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2009 relatif aux produits cosmétiques, JO, L 342, 22 décembre 2009, p. 59-209.
-
[55]
<http://www.parlonscosmetiques.com/actualite/dossiers/nanotechnologies_nanoparticules_ nanomateriaux_produits_cosmetiques>.
-
[56]
Sur la question du risque de développement appliqué aux nanoproduits, voir Marion Bary et Guillaume Canselier, « Responsabilités et assurance en matière de nanotubes de carbone », in Stéphanie Lacour, Sonia Desmoulin-Canselier et Nathalie Hervé-Fournereau (dir.), De l’innovation à l’utilisation des nanomatériaux. Le cadre normatif des nanotubes de carbone, Bruxelles : Larcier, 2012, p. 295-318.
-
[57]
En ce sens, Harald Throne-Holst et Arie Rip, « Complexities of Labelling of Nano-Products on the Consumer Markets », art. cité.
-
[58]
En ce sens, Bernadette Bensaude-Vincent, « De la transparence dans l’innovation », art. cité, Stéphanie Lacour, « Nanotechnologies : réguler l’incertitude ? », art. cité.
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[59]
Robert D. Benford et David A. Snow, « Processus de cadrage et mouvements sociaux : présentation et bilan », art. cité.
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[60]
Claude Gilbert et al., « Lire l’action publique au prisme des processus de définition des problèmes », op. cit.
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[61]
Voir l’édifiant article de Céline Granjou, « Traçabilité, étiquetage et émergence du “citoyen-consommateur” : l’exemple des OGM », art. cité.
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[62]
Dans ce sens également, Marion Bary et Agnès Maffre-Baugé, « L’information du consommateur de nanoproduits en matière de sécurité corporelle et d’environnement : état des lieux et prospectives », ou, plus largement, Cédric Coulon, « L’appréhension des risques nanotechnologiques par le droit de la responsabilité civile, le poids de l’ignorance », in Stéphanie Lacour (dir.), Des nanotechnologies aux technologies émergentes. La régulation en perspectives, Bruxelles : Larcier, 2013.
-
[63]
Luc Boltanski et Laurent Thévenot, De la justification. Les économies de la grandeur, op. cit.