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Article de revue

« Mi attendu, mi dissertation. » Le style des décisions de la Cour de justice de l’Union européenne

Pages 505 à 519

Notes

  • [1]
    J. Gillis Wetter, The Styles of Appellate Judicial Opinions. A Case Study in Comparative Law, Leyden : A. W. Sythoff, 1960 ; Gino Gorla, « Lo stile delle sentenze. Ricerca storico-comparativa », Quaderni de «Il Foro italiano», 90, 1967, p. 314 ; Hein Kötz, Über den Stil höchstrichterlicher Entscheidungen, Tübingen : Mohr Siebeck, 1973 ; Jutta Lashöfer, Zum Stilwandel in richterlichen Entscheidungen, Münster : Wachsmann 1992 ; Università degli studi di Ferrara (ed.), La sentenza in Europa. Metodo, Tecnica e Stile, Padova : CEDAM, 1988. Le grand livre de John Dawson, The Oracles of the Law, New York : Gryphon, 1968, accorde aussi beaucoup d’attention à l’évolution du style juridictionnel en Angleterre, en France et en Allemagne.
  • [2]
    Matthias Jestaedt, « Autorität und Zitat », in Steffen Detterbeck et Jochen Rozek (Hrsg.), Recht als Medium der Staatlichkeit. Festschrift für Herbert Bethge, Berlin : Duncker & Humblot, 2009, p. 513, 518.
  • [3]
    Voir, par exemple, Jean Louis Goutal, « Characteristics of Judicial Style in France, Britain and the USA », The American Journal of Comparative Law, 24, 1976, p. 43 ; Michael Wells, « French and American Judicial Opinions », Yale Journal of International Law, 19, 1994, p. 81.
  • [4]
    François-Michel Schroeder, Le nouveau style judiciaire, Paris : Dalloz 1978.
  • [5]
    Pour reprendre l’image de Ernest Emmanuel Frank, « L’élaboration des décisions de la Cour de cassation ou la partie immergée de l’iceberg », Recueil Dalloz Sirey, 1983, p. 119. C’est le mérite de Mitchel Lasser d’avoir étudié systématiquement, pour le cas de la Cour de cassation, le rapport entre le jugement et les textes et débats qui l’entourent : Mitchel Lasser, Judicial Deliberations. A Comparative Study of Transparency and Legitimacy, Oxford : Oxford University Press, 2004.
  • [6]
    Wolfgang Heyde, « Dissenting Opinions in der deutschen Verfassungsgerichtsbarkeit », Jahrbuch des öffentlichen Rechts, 19, 1970, p. 201.
  • [7]
    Voir la comparaison esquissée dans Heinrich Triepel, Vom Stil des Rechts, Heidelberg : Schneider, 1947, p. 105, qui oppose dans la rédaction des jugements un style français « raide » avec une « logique claire et transparente » à un style allemand « plus profond », mais « plus lourd ».
  • [8]
    Filippo Ranieri, « Styles judiciaires dans l’histoire européenne : modèles divergents ou traditions communes ? », in Robert Jacob (dir.), Le juge et le jugement dans les traditions juridiques européennes, Paris : LGDJ, coll. « Droit et Société », 1996, p. 181, 182 et suiv.
  • [9]
    Stefan Vogenauer, « An Empire of Light? Learning and Lawmaking in Germany Today », Oxford Journal of Legal Studies, 26, 2006, p. 627, 641 et suiv.
  • [10]
    Sir Basil Markesinis, « Judicial Style and Judicial Reasoning in England and Germany », Cambridge Law Journal, 59, 2000, p. 294.
  • [11]
    Filippo Ranieri, « Styles judiciaires dans l’histoire européenne : modèles divergents ou traditions communes ? », op. cit., p. 186 et suiv. La rupture fondamentale s’est produite en 1790, quand l’obligation de motiver fut introduite parallèlement au principe d’interdiction d’interprétation du droit par le juge : Tony Sauvel, « Histoire du jugement motivé », Revue du droit public et de la science politique en France et à l’étranger, 1955, p. 5, 45 et suiv.
  • [12]
    Paul Sattelmacher et al., Bericht, Gutachten und Urteil, Munich : Beck, 34e éd. (!), 2008. Il s’agit de l’équivalent allemand de l’ouvrage du président Mimin en France.
  • [13]
    Une comparaison succincte avec le style français se trouve dans : Maurice Lagrange, La Cour de justice des Communautés européennes, Conseil d’État, coll. « Études et documents », 17, 1963, p. 55, 62.
  • [14]
    Voir l’analyse de John Dawson, The Oracles of the Law, op. cit., p. 448, à l’égard de l’auto-citation pratiquée par le Tribunal impérial (Reichsgericht) – l’équivalent allemand de la Cour de cassation – après sa fondation à Leipzig en 1879.
  • [15]
    Ulrich Everling, « Zur Begründung der Urteile des Gerichtshofs der Europäischen Gemeinschaften », Europarecht, 29, 1994, p. 127, 135. Il faut aussi insister sur le fait que la procédure allemande de la « révision » permet aux cours suprêmes de juger relativement peu de cas par an et de se concentrer sur des arrêts de principe. Malgré les difficultés de toute statistique, les chiffres (approximatifs) sont éloquents. La Cour de cassation juge 30 000 cas par an avec 100 magistrats, tandis que son homologue allemand, la Cour de justice fédérale (Bundesgerichtshof), traite 3 300 dossiers par an avec 125 magistrats ; voir les références dans Christoph Schönberger, « Höchstrichterliche Rechtsfindung und Auslegung gerichtlicher Entscheidungen », Veröffentlichungen der Vereinigung der Deutschen Staatsrechtslehrer, 71, 2012, p. 296, 310 note 38. C’est pourquoi les auteurs français qui plaident pour une motivation plus développée des jugements plaident en même temps pour un accès moins ouvert aux juridictions suprêmes ; voir la critique classique de Adolphe Touffait et André Tunc, « Pour une motivation plus explicite des décisions de justice, notamment celles de la Cour de cassation », Revue trimestrielle de droit civil, 72, 1974, p. 487, 501 et suiv.
  • [16]
    Jean Rivero, « Le problème de l’influence des droits internes sur la Cour de Justice de la CECA », Annuaire français de droit international, 4, 1958, p. 295, 297.
  • [17]
    Ibid., p. 298 et suiv.
  • [18]
    Ibid., p. 296 et suiv.
  • [19]
    Ibid., p. 296, 308.
  • [20]
    Ulrich Everling, « Zur Funktion des Gerichtshofs der Europäischen Gemeinschaften als Verwaltungsgericht », Festschrift für Konrad Redeker, Munich : Beck, 1993, p. 293 (296 et suiv.).
  • [21]
    Trevor C. Hartley, The Foundations of European Union Law, Oxford : Oxford University Press, 8e éd., 2014, p. 65 ; Ulrich Everling, « Zur Begründung der Urteile des Gerichtshofs der Europäischen Gemeinschaften », art. cité, p. 132.
  • [22]
    Anne Boerger-de Smedt, « La Cour de Justice dans les négociations du traité de Paris instituant la CECA », Journal of European Integration History, 14, 2008, p. 7, 21. Selon le témoignage de Maurice Lagrange – conseiller d’État, membre de la délégation française et futur premier avocat général de la Cour de justice –, l’institution de l’avocat général fut présentée par la délégation française comme une sorte de contrepartie à l’interdiction du droit pour les juges de publier éventuellement leur opinion dissidente.
  • [23]
    Voir l’étude fondatrice de Mitchel Lasser, Judicial Deliberations. A Comparative Study of Transparency and Legitimacy, op. cit.
  • [24]
    Jean Rivero, « Le problème de l’influence des droits internes sur la Cour de Justice de la CECA », art. cité, p. 298, qui met en relief « le manque d’unité, au moins extérieure » des premiers jugements et souligne que « ces variations sont en liaison directe avec les habitudes nationales du juge rapporteur, qui joue dans la rédaction de l’arrêt un rôle prépondérant ; on est en présence, ici, de ce qu’on a appelé l’influence subie, et non voulue » ; voir aussi la confirmation par le juge allemand de l’époque Otto Riese, « Erfahrungen aus der Praxis des Gerichtshofs der Europäischen Gemeinschaft für Kohle und Stahl », Deutsche Richterzeitung, 16, 1958, p. 270, 273.
  • [25]
    Sur le style de motivation traditionnel du Conseil d’État et les efforts contemporains pour le réformer, voir la contribution, dans ce dossier, de Pierre Brunet, « Le style déductif du Conseil d’État et la ligne de partage des mots ».
  • [26]
    Francesco Capotori, « Le sentenze della Corte di giustizia delle Communità Europee », in Università degli studi di Ferrara (ed.), La sentenza in Europa. Metodo,Tecnica e Stile, op. cit., p. 230, 241 et suiv.
  • [27]
    Nicola Catalano, « Lo stile delle sentenze della Corte di giustizia delle Communità europee », Il foro italiano, 1969, parte quarta, p. 142, 143 ; Gino Gorla, « Lo stile delle sentenze. Ricerca storico-comparativa », art. cité, p. 345 ; Ulrich Everling, « Zur Begründung der Urteile des Gerichtshofs der Europäischen Gemeinschaften », op. cit., p. 137. Le même phénomène se reproduisit pour la version anglaise après l’adhésion de la Grande-Bretagne en 1973 (voir Trevor C. Hartley, The Foundations of European Union Law, op. cit., p. 70), avant l’abandon final de la phrase unique par la Cour en 1979.
  • [28]
    Ulrich Everling, « Zur Funktion des Gerichtshofs der Europäischen Gemeinschaften als Verwaltungsgericht », op. cit., p. 298 et suiv.
  • [29]
    Sur l’évolution récente de la Cour, voir en général le bilan de Michael Bobek, The Court of Justice of the European Union, Bruges : Collège d’Europe, « Research Paper in Law », 2, 2014.
  • [30]
    Une comparaison très fouillée et stimulante se trouve chez Michael Bobek, « A Fourth in the Court: Why Are There Advocates General in the Court of Justice? », Cambridge Yearbook of European Law, 14, 2012, p. 529.
  • [31]
    Ulrich Everling, « Zur Funktion des Gerichtshofs der Europäischen Gemeinschaften als Verwaltungsgericht », op. cit., p. 299.
  • [32]
    Voir Otto Riese, « Erfahrungen aus der Praxis des Gerichtshofs der Europäischen Gemeinschaft für Kohle und Stahl », art. cité, p. 270, 271.
  • [33]
    Voir, dans ce sens, le commentaire de l’arrêt Töpfer (1965) de la Cour de justice par Hans Peter Ipsen, Europarecht, 1, 1966, p. 55-60, qui souligne que la publication commune des arrêts et des conclusions se justifie par le fait que ces dernières sont « indispensables pour la compréhension et l’interprétation de la décision » étant donné « le style péremptoire et ramassé » (« der apodiktische und knappe Urteilsstil ») de la Cour ; sur cette différence majeure par rapport à la pratique du Conseil d’État, voir l’analyse de Mitchel Lasser, Judicial Deliberations. A Comparative Study of Transparency and Legitimacy, op. cit., p. 160 et suiv., 203 et suiv.
  • [34]
    Frédéric Zenati, La jurisprudence, Paris : Dalloz, 1991, p. 197 ; Robert Jacob, « La décision judiciaire en Europe dans la perspective de l’histoire comparée. Éléments de synthèse », in Id. (dir.), Le juge et le jugement dans les traditions juridiques européennes, op. cit., p. 397, 415 et suiv.
  • [35]
    Comme le souligne à juste titre Mitchel Lasser, Judicial Deliberations. A Comparative Study of Transparency and Legitimacy, op. cit., p. 300, 349.
  • [36]
    Ole Due, « Pourquoi cette solution ? De certains problèmes concernant la motivation des arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes », in Festschrift für Ulrich Everling, Baden-Baden : Nomos, 1995, t. I, p. 273.
  • [37]
    Michael Bobek, « Of Feasibility and Silent Elephants: The Legitimacy of the Court of Justice through the Eyes of National Courts », in Maurice Adams et al. (ed.), Judging Europe’s Judges: The Legitimacy of the Case Law of the European Court of Justice, Oxford : Hart Publishing, 2013, p. 197, 204.
  • [38]
    Jean Rivero, « Le problème de l’influence des droits internes sur la Cour de Justice de la CECA », art. cité, p. 299 et suiv.
  • [39]
    Clarence J. Mann, The Function of Judicial Decision in the European Economic Community, La Hague : Martinus Nijhoff, 1972, p. 359.
  • [40]
    Sur la pratique de la Cour en la matière, qui a beaucoup varié, voir Ulrich Everling, « Zur Begründung der Urteile des Gerichtshofs der Europäischen Gemeinschaften », art. cité, p. 137, 139. Depuis 1994, la Cour ne publie plus le rapport d’audience dans le recueil de ses arrêts. Cette évolution s’explique surtout par les délais imposés par la traduction. Ainsi, aujourd’hui, la décision publiée rend beaucoup moins compte des faits et des arguments des parties que par le passé ; voir là-dessus Jan Komárek, « Questioning Judicial Deliberations », Oxford Journal of Legal Studies, 29, 2009, p. 805, 820.
  • [41]
    Christoph Schönberger, « Höchstrichterliche Rechtsfindung und Auslegung gerichtlicher Entscheidungen », art. cité, p. 320 et suiv.
  • [42]
    Anthony Arnull, « Owning Up to Fallibility: Precedent and the Court of Justice », Common Market Law Review, 1993, p. 247.
  • [43]
    Laurent Coutron, « Style des arrêts de la Cour de justice et normativité de la jurisprudence communautaire », Revue trimestrielle de droit européen, 2009, p. 643.
  • [44]
    Trevor C. Hartley, The Foundations of European Union Law, op. cit., p. 70.
  • [45]
    Jan Komárek, « Questioning Judicial Deliberations », art. cité, p. 819.
  • [46]
    C’est la thèse de Mitchel Lasser, Judicial Deliberations. A Comparative Study of Transparency and Legitimacy, op. cit., p. 300, 349 ; voir à ce sujet la critique pertinente de Jan Komárek, « Questioning Judicial Deliberations », art. cité, p. 817 et suiv.
  • [47]
    Ulrich Everling, « Zur Begründung der Urteile des Gerichtshofs der Europäischen Gemeinschaften », art. cité, p. 140.
  • [48]
    Francesco Capotori, « Le sentenze della Corte di giustizia delle Communità Europee », op. cit., p. 243 et suiv. ; Jean-Claude Bonichot, « Le style des arrêts de la Cour de justice de l’Union européenne », Justice et Cassation, 2013, p. 253, 256 et suiv., 258. Voir aussi la description intéressante par le juge allemand de l’époque dans Otto Riese, « Über den Rechtsschutz innerhalb der Europäischen Gemeinschaften, Europarecht, 1, 1966, p. 24, 52, qui explique par ce fait « la rédaction souvent insatisfaisante des décisions de la Cour ».
  • [49]
    Jan Komárek, « Questioning Judicial Deliberations », art. cité, p. 819.
  • [50]
    Paul Demaret, « Le juge et le jugement dans l’Europe d’aujourd’hui : la Cour de Justice des Communautés européennes », in Robert Jacob (dir.), Le juge et le jugement dans les traditions juridiques européennes, op. cit., p. 303, 333. Mais il convient de noter aussi la nature souvent technique et économique des problèmes en question qui ne se prêtent guère à des prétentions littéraires de la part des juges : Francesco Capotori, « Le sentenze della Corte di giustizia delle Communità Europee », op. cit., p. 243.
  • [51]
    Ole Due, « Pourquoi cette solution ? De certains problèmes concernant la motivation des arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes », op. cit., p. 274 et suiv.
  • [52]
    Trevor C. Hartley, The Foundations of European Union Law, op. cit., p. 70 ; Ulrich Everling, « Zur Begründung der Urteile des Gerichtshofs der Europäischen Gemeinschaften », art. cité, p. 141.
  • [53]
    Francesco Capotori, « Le sentenze della Corte di giustizia delle Communità Europee », op. cit., p. 239.
  • [54]
    Mitchel Lasser, Judicial Deliberations. A Comparative Study of Transparency and Legitimacy, op. cit., p. 359.
  • [55]
    Jan Komárek, « Questioning Judicial Deliberations », art. cité, p. 819.
  • [56]
    Ole Due, « Pourquoi cette solution ? De certains problèmes concernant la motivation des arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes », op. cit., p. 275 ; Ulrich Everling, « Zur Begründung der Urteile des Gerichtshofs der Europäischen Gemeinschaften », art. cité, p. 141 ; Trevor C. Hartley, The Foundations of European Union Law, op. cit., p. 70.
  • [57]
    Voir, pour l’argument général, Cass Sunstein, « Trimming », Harvard Law Review, 122, 2009, p. 1049, 1081.
  • [58]
    CJUE, arrêt du 8 mars 2011, C-34/09, Ruiz Zambrano, Rec. P. I-1177.
  • [59]
    Trevor C. Hartley, The Foundations of European Union Law, op. cit., p. 70 et suiv.
  • [60]
    Joseph H. H. Weiler, « Epilogue: The Judicial Après Nice », in Gráinne de Búrca et Joseph H. H. Weiler (eds.), The European Court of Justice, Oxford : Oxford University Press, 2001, p. 225 ; voir aussi Mitchel Lasser, Judicial Deliberations. A Comparative Study of Transparency and Legitimacy, op. cit., p. 351 et suiv.
  • [61]
    Voir, dans ce sens, la comparaison entre le style de la Cour de justice et celui de la Cour suprême dans Michel Rosenfeld, « Comparing Constitutional Review by the European Court of Justice and the Supreme Court », I-CON, 4, 2006, p. 618, 634 et suiv., qui analyse la bifurcation du système européen comme équivalent fonctionnel des opinions plurielles américaines.
  • [62]
    Sophie Turenne, « Advocate General’s Opinions or Separate Opinions? Judicial Engagement in the CJEU », Cambridge Yearbook of European Legal Studies, 14, 2011-2012, p. 723, 728, 739.
  • [63]
    Voir Michael Bobek, « Of Feasibility and Silent Elephants: The Legitimacy of the Court of Justice through the Eyes of National Courts », op. cit., p. 203 et suiv.

I. Remarques préliminaires

I.1. Ce que l’analyse du « style » des jugements veut dire

1 Les décisions de justice sont mises en forme. Le juriste national a l’habitude des formes de présentation telles qu’elles se sont développées dans les juridictions de son pays. Cela vaut surtout pour les décisions des cours suprêmes dont la motivation a vocation non seulement à justifier la solution choisie en l’espèce, mais, dans une certaine mesure, à orienter le système du droit au-delà du cas concret. Du fait de leurs habitudes, les juristes nationaux ne réfléchissent guère aux particularités de la mise en forme des jugements dans leur propre culture juridique. Traditionnellement, ce n’est que par le détour du comparatisme qu’une telle réflexion est amorcée. C’est en s’exposant à l’expérience, souvent déroutante, de la lecture d’un jugement étranger que le juriste peut être amené à s’étonner sur ce qui lui semblait naturel, ou au moins familier, dans la rédaction des jugements de sa propre culture juridique. Du fait de l’européanisation croissante du droit de nos pays, cette expérience déconcertante n’est plus un loisir innocent. La jurisprudence des cours européennes confronte quotidiennement le juriste national à des jugements qui ont une valeur normative dans son propre pays sans se présenter pour autant dans la forme familière des juridictions nationales. Les jugements de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) représentent l’exemple le plus important de ce type de jugement. Cette exposition incite à une réflexion plus poussée sur leur forme et leur « style ».

2Or, ce « style » des jugements est un concept difficile à cerner  [1]. Celui-ci réunit des observations et réflexions sur la forme extérieure de la motivation des jugements, sur les traditions juridiques et juridictionnelles qui l’ont façonnée, sur les conditions institutionnelles de production de ces textes et sur les publics variés auxquels ils sont destinés. L’étude du style d’une juridiction nécessite donc un va-et-vient continu entre une analyse attentive de la forme extérieure du jugement et les conditions culturelles et institutionnelles qui peuvent expliquer l’adoption de cette forme dans la juridiction en question. En ce qui concerne la morphologie du jugement, le chercheur s’intéressera à la présentation des faits et du droit, à la prise en compte des arguments des parties ou de l’instance ayant déjà jugé l’affaire, à la structure grammaticale, à la technicité du langage employé, aux références jurisprudentielles ou doctrinales, à l’existence d’opinions individuelles ou même dissidentes, de paratextes officiels ou officieux. L’étude de la culture juridique environnante tient compte de la genèse et de l’évolution historique d’une certaine manière de présentation du jugement. Peu de domaines du droit sont aussi marqués par l’histoire que le droit de la procédure, le style et la pratique des jugements. La position institutionnelle de la cour en question doit également être prise en compte, en particulier par rapport aux tribunaux « inférieurs » (par exemple, procédures d’appel, de cassation, révision ou de renvoi ; nombre de dossiers à traiter chaque année). De surcroît, on devra examiner la formation et l’origine professionnelle des juges, les procédures concernant leur nomination ainsi que les structures internes de préparation et de délibération du jugement (par exemple, préparation orale ou écrite, rôle d’une note du juge rapporteur, d’un projet de jugement ou d’autres textes préparatoires). Enfin, il faudra réfléchir aux multiples publics de ses décisions : les parties au procès, les juridictions inférieures, d’autres cours nationales et internationales, les juristes professionnels, le public général, le législateur. Cela dit, il faut éviter de tomber dans le piège d’un essentialisme national qui identifierait trop facilement un style national général des juridictions. Pour ne prendre que l’exemple allemand, il existe des différences majeures entre le style des jugements des cours suprêmes telles que la Cour de justice fédérale (Bundesgerichtshof, l’équivalent allemand de la Cour de cassation) et celui des sentences de la Cour constitutionnelle fédérale. Cela est évident déjà dans la longueur des jugements qui comportent, en moyenne, dix pages imprimées pour le Bundesgerichtshof et trente pages pour les décisions d’un sénat du Bundesverfassungsgericht  [2]. Au-delà d’une certaine culture juridique nationale, on ne saurait donc faire l’économie d’une analyse spécifique du style de la juridiction particulière en question qui est souvent l’expression de sa fonction.

I.2. Les travers du comparatisme : l’opposition entre le style francais et le style anglais

3 Le point de départ classique du comparatisme entre les styles juridictionnels est l’opposition entre le style français et le style anglais  [3]. Il s’agit d’une comparaison par contraste. Le jugement français est un jugement collectif et anonyme qui tient en une phrase grammaticale. Il s’agit d’un texte court et sec, dépourvu de références jurisprudentielles ou doctrinales. Face à cette brièveté impériale du juge français, le jugement anglais s’ouvre pleinement à l’individualité des juges et à une argumentation libre et variée qui ne saurait cacher son rapport à la conversation orale.

4 Aussi instructive qu’elle soit, cette comparaison par contraste a tendance à perdre de vue plusieurs éléments importants. Pour le cas français, elle ne prend pas en compte le style plus libre déjà adopté dans beaucoup de juridictions inférieures  [4]. Pour les juridictions suprêmes, elle tend à sous-estimer la partie immergée de l’iceberg  [5], le débat non public à l’intérieur de la formation de jugement. Elle ne tient pas suffisamment compte non plus de l’existence de multiples paratextes, comme les conclusions du rapporteur public, l’ancien commissaire du gouvernement, qui font partie du procès au Conseil d’État, ou la note officieuse rédigée par le secrétaire général qui accompagne les décisions du Conseil constitutionnel sur son site Internet. La comparaison a donc tendance à exagérer le caractère formaliste et figé du jugement français.

5 Elle pose problème aussi d’un autre point de vue, puisqu’elle érige le cas français en modèle du jugement de l’Europe continentale. Or, la France est ici plutôt l’incarnation extrême de certaines tendances continentales, incarnation prestigieuse, certes, mais solitaire. Elle fait plutôt figure d’archétype, non de prototype. Cela se voit très bien en incluant le cas allemand. Le jugement allemand partage avec la culture juridique française le concept d’un jugement collectif et anonyme, acte de l’autorité publique. Comme en France, les opinions dissidentes ne sont pas reconnues, à l’exception de la justice constitutionnelle  [6]. Mais le style de motivation du jugement allemand est beaucoup plus long et développé  [7], héritier de l’ancienne technique de la « relation »  [8] et fortement influencé par la doctrine universitaire  [9]. Il s’agit d’un style qui reste loin de l’oralité du juge anglais  [10], mais qui, à sa manière « scientifique » et « dogmatique », présente un raisonnement développé pour justifier le dispositif. Cette tradition, d’ailleurs partagée largement par les juristes français avant la Révolution  [11], n’a pas été réceptive à l’idée d’une motivation qui tiendrait en une phrase unique. Au lieu d’une seule phrase grammaticale qui aboutirait dans le dispositif, dans cette forme allemande, canonisée par des ouvrages de vulgarisation à l’usage des jeunes juristes  [12], le jugement commence par le dispositif (« Tenor ») pour ensuite présenter les faits établis (« Tatbestand »), les positions des parties et enfin les raisons juridiques qui justifient la décision (« Gründe »)  [13]. Ces raisons consistent en une argumentation développée qui inclut souvent, surtout chez les tribunaux supérieurs, des citations de la jurisprudence antérieure et d’ouvrages de doctrine. Pour les cours suprêmes allemandes, il convient d’ajouter qu’elles sont toutes des « tard-venues », établies progressivement après la fondation de l’Empire allemand en 1870, soumises au multiples secousses de l’histoire allemande du xxe siècle, et dépourvues de ce fait d’une autorité institutionnelle multiséculaire comme c’est le cas des hautes juridictions françaises. Cette autorité mal assurée des cours suprêmes allemandes les a incitées, dès leurs débuts, à renforcer leur motivation par une pratique très poussée de l’auto-citation  [14] et un débat ouvert avec la doctrine universitaire, visible par les références dans les jugements  [15].

6 Si le style bref et apodictique des hautes juridictions françaises semble marqué par la conviction que l’autorité est d’autant plus forte qu’elle se justifie le moins possible, le style allemand reflète l’idée qu’il faut au moins convaincre le public des juristes érudits par les raisons (« Gründe ») développées dans la motivation. L’auto­rité des raisons s’oppose ici à la raison de l’autorité. Dans une comparaison générale, le jugement français et le jugement anglais incarnent des modèles extrêmes entre un acte d’autorité laconique et les voix plurielles de juges individuels. Les arrêts allemands (comme, d’une autre manière, les jugements américains) sont situés entre les deux, avec plus d’argumentation systématique qu’en Angleterre, mais dans une présentation moins formelle et plus extensive qu’en France.

II. Les jugements de la Cour de justice

7 Les arrêts de la Cour de justice de l’Union européenne s’insèrent-ils dans la typologie comparée esquissée ou suivent-ils leur propre trajectoire qui ne saurait être réduite à une copie de styles nationaux établis ?

II.1. Les malentendus et mécompréhensions typiques

8 Depuis toujours, les arrêts de la Cour de justice rencontrent un écho sceptique chez beaucoup de juristes dans les États membres. Pour un juriste anglais, il est difficile de cerner le jugement collectif, anonyme et abstrait de la Cour. Pour un juriste français, le style de la Cour semble trop étendu, trop peu ramassé, pas assez concis. Son collègue allemand, de son côté, se plaint du manque d’une argumentation « dogmatique » développée. Apparemment, cette Cour ne satisfait pleinement aucune des attentes formulées dans l’horizon des différentes traditions juridiques nationales. Cette déception ne saurait surprendre. La typologie comparée esquissée repose sur des traditions juridiques nationales établies ou consolidées depuis le xixe siècle. La Cour de Luxembourg en est évidemment dépourvue. Au contraire, son style particulier reflète souvent sa tâche ardue de puiser dans différentes traditions nationales pour les transcender par quelque chose de commun ou imaginé comme tel.

9 La Cour de justice des débuts devait ainsi trouver son style propre, choisir parmi ceux existants ou les combiner d’une manière originale. Or, ces questions-là ne sont jamais purement techniques et innocentes. Au contraire, il s’agit d’une surface qui révèle, à sa manière, les profondeurs de l’institution et l’image qu’elle a ou veut projeter de soi. Jean Rivero l’a bien dit dès 1958 dans un article fondateur sur les influences des droits internes sur la Cour de justice de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA).

10

Un premier champ ouvert aux influences est celui de la technique juridictionnelle. Entre l’imperatoria brevitas du Conseil d’État français et les longs développements par lesquels le juge administratif allemand justifie sa décision, il y a un abîme. Or, la technique, en pareil domaine, touche au fond des choses ; la méthode de rédaction commande dans une mesure certaine le rayonnement d’une jurisprudence, en même temps qu’elle révèle l’attitude profonde du juge  [16].

11 Jean Rivero soulignait déjà que le choix du style du Conseil d’État pour la Cour de justice serait celui d’un modèle mettant l’accent sur l’autorité qui s’explique au lieu de celui d’un juge qui se justifie et cherche à emporter la conviction.

12

Peut-être jugera-t-on que l’influence nationale, réduite à ces questions de présentation, mérite à peine d’être signalée. C’est une erreur. La substance même du raisonnement, son déroulement, se trouvent dans une large mesure commandés par la forme dans laquelle il se coule. L’« attendu » à la française impose une certaine concision dans le développement, et surtout, l’articulation de la démarche intellectuelle dont les pas successifs deviennent plus visibles ; l’unité de chaque attendu appelle l’unité de la pensée qui s’y coule ; on revient aux « idées claires et distinctes ». De plus, l’attendu, par ce qu’il réintroduit de formalisme dans une opération intellectuelle, tend à la situer sur un autre plan que le raisonnement du juriste « privé » ; celui qui, pour convaincre, ne dispose que des ressources de son esprit, se doit de ne laisser dans l’ombre aucun objection, si mince qu’elle soit ; il lui faut suivre pas à pas son contradicteur, le débusquer de toutes ses retraites ; ainsi procède la dissertation doctrinale ; l’attendu invite le juge à garder ses distances, à condenser sa pensée, à mettre l’accent sur les articulations maîtresses du raisonnement plutôt que sur ses nuances, voire ses hésitations. À travers la forme, deux attitudes intellectuelles se dessinent : avec la forme « attendu », le juge se borne à s’expliquer, avec la forme « dissertation », il se justifie ; l’une met l’accent sur son autorité pour dire le droit, l’autre sur son souci de convaincre et d’emporter, s’il se peut, l’adhésion des deux parties  [17].

II.2. L’héritage français ambigu

L’empreinte française

13 Les débuts de la Cour de justice eurent lieu sous une forte empreinte française qui façonna aussi le style de ses jugements. La Cour ne pouvait guère recourir aux traditions du droit international public puisque les problèmes qu’elle affrontait ressemblaient beaucoup plus à ceux du droit interne  [18]. Elle ne pouvait pas non plus puiser dans une tradition juridique commune des États membres. L’héritage lointain du droit romain n’y suffisait pas. Ce fut d’autant plus évident que la CECA des débuts était avant tout une communauté administrative, qui avait besoin, en premier lieu, d’un droit administratif et d’une justice administrative. Or, dans tous les États membres fondateurs, le droit administratif français était l’archétype du droit administratif qui les avait tous fortement influencés. Le traité CECA avait, de surcroît, institué un recours en annulation contre les décisions de la haute autorité qui présentait des analogies évidentes avec le recours pour excès de pouvoir du droit administratif français  [19]. Dans ces conditions, il n’est pas surprenant que la Cour de justice naissante ait cherché son inspiration majeure du côté du Conseil d’État  [20]. Il faut y ajouter le fait que la tradition juridique allemande souffrait à l’époque du discrédit produit par le nazisme et la guerre et se trouvait dans une lente reconstruction sous la nouvelle Loi fondamentale. L’influence de la tradition juridique anglaise, elle, ne pouvait se faire sentir qu’après l’adhésion de la Grande-Bretagne en 1973, quand la pratique de la Cour de justice s’était déjà largement consolidée  [21].

14 Cette influence française des débuts s’est d’abord manifestée sur le plan de l’organisation de la Cour. Celle-ci a repris la tradition française d’une bifurcation entre les conclusions du commissaire du gouvernement, qui présente en toute liberté ses propositions pour la résolution de l’affaire en question, et le jugement proprement dit  [22]. Cette bifurcation se retrouve à Luxembourg dans le rôle de l’avocat général dont les conclusions – qui ne lient aucunement la Cour – précèdent le délibéré et le jugement. La Cour de justice a ainsi hérité, à sa manière, d’une des caractéristiques les plus particulières des hautes juridictions françaises : un jugement assez court et ramassé, entouré d’un paratexte officieux qui le complète sans en partager la valeur obligatoire  [23].

15 Aux débuts de la Cour, cette empreinte française a aussi fortement marqué la morphologie extérieure des arrêts. Ceux-ci se présentent depuis la première décision de la Cour en 1954 comme des produits d’une collégialité opaque justifiés par des motifs assez brefs. Après quelques hésitations initiales  [24], le style de la Cour avait d’abord repris au Conseil d’État  [25], et par ce biais à la tradition juridique des cours suprêmes françaises, la technique de la phrase unique, l’utilisation des « attendu que » et l’aspiration à un syllogisme pur. Ce n’est qu’en 1979 qu’elle a officiellement abandonné cette technique  [26]. Un détail intéressant montre pourtant que ce recours à la phrase unique avait immédiatement connu des difficultés à passer hors du monde francophone : la version allemande et italienne des jugements n’a jamais utilisé la phrase unique, mais l’a cassée, dès le début, pour en faire plusieurs  [27].

Les limites de cette empreinte

16 Toutefois, cette empreinte française n’a jamais été totale. Au contraire, le transfert d’institutions, de règles et de formes du droit administratif français aux Communautés européennes naissantes entraîna, dès les débuts, des modifications importantes qui allaient s’accentuer dans l’évolution ultérieure.

17 Comme le Conseil d’État, la Cour de justice connaissait une assemblée plénière et des formations de jugement plus rétrécies. Encore aujourd’hui, sa formation de base est une chambre avec cinq juges. Mais contrairement au Conseil d’État, la Cour de justice des premières décennies jugeait presque la moitié des cas en assemblée plénière. On estimait que le rôle de plus en plus marqué du juge communautaire dans l’évolution du droit européen rendait nécessaire une contribution représentative de tous les ordres juridiques des États membres dans les décisions de principe  [28]. Ce rôle important de l’assemblée plénière ne s’est progressivement estompé que depuis l’élargissement de l’Union en 2004 et 2007. Étant donné que, de fait, chaque État membre propose un juge de la Cour de justice, l’assemblée plénière comporte aujourd’hui 28 juges. Elle a ainsi cessé d’être une formation de travail quotidienne et revêt de plus en plus, comme dans les cours suprêmes des États membres, un caractère exceptionnel ; son rôle a été largement repris par la grande chambre composée de quinze juges  [29]. Mais l’ancienne assemblée plénière a laissé à la Cour une forme de délibération extrêmement consensuelle qui continue à façonner sa manière de travailler.

18 Le statut de l’avocat général, lui aussi, n’est pas identique à celui de l’ancien commissaire du gouvernement au Conseil d’État  [30]. Comme celui-ci, l’avocat général est appelé à présenter ses conclusions en toute indépendance à la fin de l’audience. Mais contrairement au commissaire du gouvernement, l’avocat général ne réagit pas à un projet d’arrêt déjà rédigé et ne participe pas non plus au délibéré. Il ne peut influencer le jugement que par ses conclusions écrites. Il faut donc une prudence accrue quand on les utilise pour interpréter un arrêt de la Cour  [31]. En revanche, depuis les conclusions fondatrices des avocats généraux Maurice Lagrange (1952-1964) et Karl Roemer (1953-1973), la Cour a adopté la ligne de publier systématiquement les conclusions dans le recueil officiel de ses arrêts  [32]. Dans cette organisation différente du rapport de la Cour à ses avocats généraux transparaît la fonction que revêt cette forme dans le contexte de l’intégration européenne. Au Conseil d’État, il s’agit seulement d’une différenciation de rôles entre les membres d’un corps d’élite constitué et homogène. À Luxembourg, au contraire, il n’y a pas de corps homogène qui se prêterait à des jeux de rôle. Les juges de la Cour de justice, malgré leur indépendance, restent toujours un peu les représentants de l’ordre juridique de « leur » État membre. Dans leurs arrêts, ils cherchent le consensus précisément parce qu’ils ne sont pas interchangeables entre eux. Une participation des avocats généraux au délibéré aurait changé cette donne fondamentale. En revanche, la Cour a rapidement senti le besoin de procéder à une publication systématique et annexe des conclusions dans son recueil officiel. On peut interpréter ce choix comme la reconnaissance par les juges eux-mêmes que leurs arrêts ont besoin d’un effort d’explication et de pédagogie qu’ils ne sauraient fournir par leur seule motivation laconique  [33].

19 De plus, la procédure phare du renvoi préjudiciel, introduite avec le Traité instituant la Communauté européenne (traité CEE), repose sur une coopération volontaire entre la Cour et les juridictions des États membres. Elle ne se présente pas comme un rapport de subordination sur le modèle de la cassation qui a fait naître, en France, le ton impérieux des juridictions suprêmes. Le succès du renvoi préjudiciel est plus dû à une libre adhésion qu’à une soumission des juges nationaux au droit de l’Union  [34].

20 Dans l’ensemble, la Cour de justice se trouve donc, depuis ses débuts, dans une situation fondamentalement différente par rapport au Conseil d’État français  [35]. Celui-ci fonde son autorité sur les structures d’un État centralisé et d’une culture juridique nationale solidement établie. La Cour de justice est dépourvue de l’assise institutionnelle et traditionnelle dont jouissent les cours suprêmes nationales. Elle ne peut pas non plus faire respecter ses arrêts de la même manière mais dépend essentiellement de l’assistance des juridictions nationales. Elle a donc particulièrement besoin de motiver ses arrêts de manière convaincante  [36].

II.3. Un style mixte « mi attendu, mi dissertation » spécifique à la Cour

Un style mixte particulier

21 Pour toutes ces raisons, la Cour de justice n’a jamais complètement adopté le style de jugement du Conseil d’État. Certes, elle a d’abord repris la technique de la phrase unique, mais pour l’abandonner à jamais en 1979. Depuis ses débuts, elle motive aussi d’une manière plus développée que le Conseil. En ce qui concerne l’ampleur donnée à la motivation, la Cour s’est départie, dès les années 1950, de l’extrême brièveté chère au Conseil d’État et s’est rapprochée plutôt de la tradition germano-italienne qui va dans le sens de la longueur. Les motivations se sont d’ailleurs constamment rallongées au fil des décennies. C’est ainsi que la longueur des jugements rendus sur des renvois préjudiciels a encore presque doublé entre les années 1990 et aujourd’hui  [37]. Dès 1958, Jean Rivero a décrit ce changement important par rapport au style du Conseil d’État.

22

Même lorsqu’ils sont rédigés par « attendus », les arrêts de la Cour sont longs ; sur ce point, la technique du Conseil d’État a été rejetée ; les juristes français ne s’en plaindront pas, qui, quelque plaisir qu’ils trouvent à déchiffrer la pensée de leur juge administratif à travers l’éclat de ses formules concises, quelque satisfaction esthétique qu’ils prennent à ces obscures clartés, n’en déplorent pas moins leur caractère parfois sibyllin et l’incertitude dans laquelle elles maintiennent les non-initiés. En motivant longuement, la Cour a choisi – même lorsqu’elle rédige par « attendus » – l’esprit de… la forme « dissertation » ; elle veut emporter l’adhésion, et convaincre…  [38]

23 S’est établi ainsi progressivement un style mixte « mi attendu, mi dissertation » que Jean Rivero avait déjà entrevu. Dans une certaine mesure, on peut y voir, à l’intérieur de la Cour, un compromis entre deux traditions juridiques du droit continental  [39], un compromis franco-allemand tel qu’il a prévalu aussi dans d’autres domaines de la construction européenne. Mais on sous-estimerait ainsi la logique propre de la situation de la Cour de justice qui, en tant qu’institution neuve et mal assurée, n’avait pas vraiment le choix d’adopter un style de pure autorité mais devait chercher la persuasion et l’adhésion.

24 C’est ainsi que les décisions de la Cour ont donné, pendant des décennies, un rapport complet des faits en question et des arguments des parties  [40]. La Cour cite aussi sa propre jurisprudence. Elle reprend de cette manière une pratique de l’auto-citation chère aux cours suprêmes allemandes. Par des citations en chaîne de leurs propres arrêts antérieurs, les cours allemandes tentent de s’auto-stabiliser et de montrer la cohérence et constance de leur jurisprudence  [41]. Dans le cas européen comme dans le cas allemand, il s’agit ainsi de compenser un manque d’autorité institutionnelle et traditionnelle par l’affirmation d’une tradition autoproduite. Cet usage de l’auto-citation s’est encore plus développé après l’adhésion de la Grande-Bretagne dans les années 1970. Ainsi est née une certaine pratique des précédents  [42], mais qui confronte rarement, comme la tradition de la common law, le cas actuel avec les circonstances particulières d’une décision antérieure  [43].

25 Pourtant, la partie de la motivation qui entre dans la justification juridique proprement dite est restée assez limitée et procède toujours par affirmations et assertions plutôt que par arguments développés. La Cour a abandonné la technique de la phrase unique, mais l’héritage des « attendus » à la française se fait toujours sentir dans un style séquentiel qui se présente souvent comme « une série d’énoncés ex cathedra »  [44] et ne se prête pas facilement à une argumentation juridique plus complexe. Ce style séquentiel s’est même renforcé par une technique de l’auto-citation qui consiste à insérer des morceaux coupés de décisions antérieures dans les arrêts et à fournir ainsi des raisonnements produits par du « copier-coller »  [45]. Certes, ce style de citations se retrouve aussi dans d’autres cours suprêmes de l’Europe continentale. Mais dans le contexte européen, cette standardisation s’est particulièrement renforcée aussi pour des raisons linguistiques. Celle-ci facilite l’entreprise ardue d’une traduction rapide du jugement dans toutes les langues officielles de l’Union.

26 Cette argumentation peu discursive ne peut que très partiellement être compensée par les conclusions de l’avocat général. Même si le rapport du juge rapporteur est souvent élaboré en concertation avec l’avocat général, la Cour ne suit pas systématiquement les conclusions de celui-ci. Dans les cas où elle ne le suit pas, elle ne s’en explique pas toujours. Et même si elle partage son résultat, il n’est pas certain que cela vaille aussi pour ses raisonnements. Le style de la Cour s’est ainsi départi de la concision du style français sans pour autant s’ouvrir véritablement au discours dogmatique à l’allemande ou à l’argument libre du juge anglo-américain.

Un style dépendant du fonctionnement interne de la Cour

27 La persistance de cette manière de motiver n’est pas seulement le produit d’un choix délibéré de la Cour. Elle n’est pas non plus le résultat d’une tentative de défense du modèle français dans un contexte différent  [46]. Elle s’explique avant tout par le problème de la langue et la structure de délibération interne de la Cour.

28 Le problème fondamental pour le travail de la Cour, c’est la pluralité des langues  [47]. Il se superpose à la diversité de nations, de cultures juridiques et de parcours professionnels qui se retrouve à l’intérieur de cette Cour. Théoriquement, la langue du procès est la langue du pays d’origine du plaideur ou du tribunal en question et les jugements sont traduits dans toutes les langues des États membres qui ont la même valeur juridique entre elles. Mais, en pratique, il faut une langue commune pour les délibérations de la Cour. Par tradition, la Cour se sert du français. Comme la présence d’interprètes au délibéré n’est pas permise, la participation effective d’un juge au délibéré présuppose une maîtrise suffisante du français. Le premier projet de l’arrêt est déjà rédigé en français et façonne ainsi le débat suivant  [48]. De plus, la version finale est toujours relue pour des corrections linguistiques par un « lecteur d’arrêt ». C ette persistance du français comme langue de travail de la Cour ne donne pas seulement un avantage naturel aux juges venant des pays francophones dans la rédaction des arrêts. Elle fait aussi persister des éléments du style français des jugements, des raisonnements et même des concepts juridiques. En même temps, cette langue de travail commune qui n’est pas la langue maternelle de la grande majorité des juges contribue à la relative pauvreté de l’argumentation juridique. Il est toujours difficile pour le juriste national de rendre compte d’un concept ou raisonnement juridique dans une langue autre que la sienne. Cela l’est d’autant plus de le traduire dans le contexte du droit de l’Union et le faire entrer dans une motivation commune d’une cour multinationale. Le recours extensif de la Cour à des formules générales toutes faites et à des morceaux insérés par du « copier-coller » s’explique aussi par cette situation linguistique  [49]. C’est pour cette raison également qu’un lecteur sensible à la qualité littéraire du texte trouvera la prose de la Cour plutôt morne  [50].

29 S’y ajoute la structure de la délibération interne de la Cour. Dans une cour suprême qui doit produire un jugement collectif et ne connaît pas les opinions dissidentes, on s’efforce régulièrement, lors des délibérés, d’obtenir un consensus ou, au moins, la plus large majorité possible  [51]. Or ce consensus se révèle particulièrement difficile dans une Cour dont les juges viennent d’origines nationales et professionnelles très variées. Les cours suprêmes nationales en Europe continentale sont composées de magistrats en fin de carrière marqués par la culture juridique nationale et une longue expérience de sa pratique juridictionnelle. Rien de cela ne se retrouve à Luxembourg. Les personnalités nommées juges de la Cour d’un commun accord par les gouvernements des États membres ont des cursus professionnels très variés en tant que magistrats, fonctionnaires ou professeurs de droit dans leurs pays respectifs. Il leur manque la formation et la culture juridique commune qui unit les magistrats des cours suprêmes des États membres. Dans une telle institution hétérogène, la recherche d’un consensus implique nécessairement un travail commun sur le texte du jugement. La formation de jugement ne peut pas facilement déléguer l’essentiel du travail de la rédaction au juge rapporteur. Or, si l’argumentation juridique devenait plus étoffée, cela impliquerait nécessairement une plus large délégation de la rédaction du jugement au juge rapporteur. Mais cela n’est guère concevable à l’intérieur d’une Cour dont les juges ne partagent pas un horizon préétabli. Malgré le rôle du juge rapporteur, la Cour continue donc à impliquer tous les juges dans la rédaction du texte du jugement et certaines phrases peuvent être délibérées longuement  [52]. Mais, évidemment, cette technique d’une rédaction commune n’est possible que pour un texte assez bref.

30Cette structure très consensuelle de la délibération a aussi des conséquences sur le contenu de la motivation. Des juges venant d’horizons si divers sont souvent capables de s’accorder sur un résultat, mais ont beaucoup plus de difficultés à en articuler ensemble les raisons. Si l’éventail des solutions possibles est normalement étroit, les options ouvertes pour motiver la solution choisie peuvent être multiples. Et même si un argument peut être acceptable pour les autres juges, un accord sur sa rédaction précise peut se révéler difficile. Dans ces conditions, le débat lors du délibéré ne peut guère peaufiner le raisonnement juridique  [53]. Le recours, souvent critiqué, de la Cour à des arguments téléologiques généraux, des « shorthand slogans »  [54], du type de l’effectivité ou l’uniformité du droit de l’Union s’explique aussi un peu par l’impossibilité de la Cour à se mettre d’accord sur une argumentation juridique plus développée  [55].

31 Souvent, la recherche du consensus va même entraîner un appauvrissement de l’argumentation puisque le délibéré peut se clore avec la suppression pure et simple d’une justification controversée sans y substituer une autre. Lorsqu’une bonne solution a été trouvée, mais qu’il est difficile de s’entendre sur la motivation, il est tentant de laisser tomber l’argument contesté, même si c’est celui qui a emporté la conviction de certains juges. Une motivation lacunaire et incomplète peut accompagner le consensus  [56]. Une justification très étroite est souvent le prix d’une recherche de consensus parmi des positions très divergentes  [57]. Cela peut expliquer pourquoi, dans certains cas, la Cour n’offre presque aucun argument ou que même des décisions fondamentales – comme l’arrêt Ruiz Zambrano en matière de citoyenneté de l’Union, décidé par la grande chambre de la Cour – sont presque dépourvues de toute argumentation  [58]. Dans d’autres cas, le même problème peut se résoudre par l’utilisation de deux arguments différents et alternatifs, ce qui laisse ouvert la question de savoir lequel des deux détermine le dispositif de l’arrêt  [59]. Les difficultés linguistiques et les problèmes de la délibération contribuent ainsi à la persistance du style de la Cour.

III. Le style de la Cour de justice devrait-il changer ?

32 Le style de la Cour de justice n’est souvent pas apprécié. Les critiques les plus virulentes viennent du monde anglo-américain. Des universitaires d’outre-Atlantique comme Joseph Weiler plaident pour un style de motivation plus ouvert et plus discursif qui se rapprocherait du style américain et gagnerait ainsi en transparence et légitimité. Une telle évolution devrait être complétée, selon eux, par l’introduction des opinions dissidentes qui augmenteraient la qualité des jugements majoritaires  [60]. Cette perspective a l’air de plaire à beaucoup d’universitaires qui aiment, par nature, l’argument développé et développé longuement. Mais elle semble postuler une « normalité » universelle du style américain sans prendre en compte les problèmes institutionnels spécifiques que doit résoudre la Cour de justice et la culture juridique de l’Europe continentale en général.

33 Il convient de souligner d’abord que l’introduction des opinions dissidentes ne saurait se faire sans une révision des traités qui abolirait la possibilité du renouvellement du mandat d’un juge en exercice. Sinon, le juge s’exposerait à une possibilité de sanction de la part du gouvernement de son pays pour ses opinions juridiques qui sont jusqu’ici couvertes par l’anonymat du jugement collectif.

34 Mais là n’est pas l’essentiel. En revanche, il est important de noter que les conclusions de l’avocat général remplissent, au moins en partie, la fonction discursive de la motivation ainsi que de possibles opinions dissidentes et engagent aussi un dialogue vivant avec la doctrine universitaire  [61]. On peut pourtant douter du fait que l’ensemble formé par une motivation serrée et d’amples conclusions discursives puisse aussi rendre compte des problèmes de droits fondamentaux qui occupent de plus en plus le juge de l’Union. Ici, la grande diversité des vues parmi les juges, dépourvus de la possibilité de rédiger des opinions dissidentes, peut mener à une situation de pur « bargaining » qui produira un arrêt bref et obscur sans s’expliquer sur les choix difficiles  [62]. Mais le problème fondamental irrésolu demeure la question linguistique et le souci de préserver les voix des différentes cultures juridiques nationales à l’intérieur de la Cour. Il faut y ajouter le fait que le public principal de la Cour de Luxembourg sont les juridictions nationales qui, dans l’Europe continentale, sont plutôt habituées à un style de jugement anonyme et concis et auraient beaucoup plus de difficultés à démêler des opinions plurielles anglo-américaines que de digérer les jugements actuels de la Cour  [63]. Ainsi, le style de la Cour de justice restera selon toute probabilité dans un état qui ne saurait ni être changé en profondeur ni satisfaire ses détracteurs.


Mots-clés éditeurs : Motivation, Délibération, Style, Cour de justice de l’Union européenne, Conseil d’État

Date de mise en ligne : 20/11/2015.

https://doi.org/10.3917/drs.091.0505

Notes

  • [1]
    J. Gillis Wetter, The Styles of Appellate Judicial Opinions. A Case Study in Comparative Law, Leyden : A. W. Sythoff, 1960 ; Gino Gorla, « Lo stile delle sentenze. Ricerca storico-comparativa », Quaderni de «Il Foro italiano», 90, 1967, p. 314 ; Hein Kötz, Über den Stil höchstrichterlicher Entscheidungen, Tübingen : Mohr Siebeck, 1973 ; Jutta Lashöfer, Zum Stilwandel in richterlichen Entscheidungen, Münster : Wachsmann 1992 ; Università degli studi di Ferrara (ed.), La sentenza in Europa. Metodo, Tecnica e Stile, Padova : CEDAM, 1988. Le grand livre de John Dawson, The Oracles of the Law, New York : Gryphon, 1968, accorde aussi beaucoup d’attention à l’évolution du style juridictionnel en Angleterre, en France et en Allemagne.
  • [2]
    Matthias Jestaedt, « Autorität und Zitat », in Steffen Detterbeck et Jochen Rozek (Hrsg.), Recht als Medium der Staatlichkeit. Festschrift für Herbert Bethge, Berlin : Duncker & Humblot, 2009, p. 513, 518.
  • [3]
    Voir, par exemple, Jean Louis Goutal, « Characteristics of Judicial Style in France, Britain and the USA », The American Journal of Comparative Law, 24, 1976, p. 43 ; Michael Wells, « French and American Judicial Opinions », Yale Journal of International Law, 19, 1994, p. 81.
  • [4]
    François-Michel Schroeder, Le nouveau style judiciaire, Paris : Dalloz 1978.
  • [5]
    Pour reprendre l’image de Ernest Emmanuel Frank, « L’élaboration des décisions de la Cour de cassation ou la partie immergée de l’iceberg », Recueil Dalloz Sirey, 1983, p. 119. C’est le mérite de Mitchel Lasser d’avoir étudié systématiquement, pour le cas de la Cour de cassation, le rapport entre le jugement et les textes et débats qui l’entourent : Mitchel Lasser, Judicial Deliberations. A Comparative Study of Transparency and Legitimacy, Oxford : Oxford University Press, 2004.
  • [6]
    Wolfgang Heyde, « Dissenting Opinions in der deutschen Verfassungsgerichtsbarkeit », Jahrbuch des öffentlichen Rechts, 19, 1970, p. 201.
  • [7]
    Voir la comparaison esquissée dans Heinrich Triepel, Vom Stil des Rechts, Heidelberg : Schneider, 1947, p. 105, qui oppose dans la rédaction des jugements un style français « raide » avec une « logique claire et transparente » à un style allemand « plus profond », mais « plus lourd ».
  • [8]
    Filippo Ranieri, « Styles judiciaires dans l’histoire européenne : modèles divergents ou traditions communes ? », in Robert Jacob (dir.), Le juge et le jugement dans les traditions juridiques européennes, Paris : LGDJ, coll. « Droit et Société », 1996, p. 181, 182 et suiv.
  • [9]
    Stefan Vogenauer, « An Empire of Light? Learning and Lawmaking in Germany Today », Oxford Journal of Legal Studies, 26, 2006, p. 627, 641 et suiv.
  • [10]
    Sir Basil Markesinis, « Judicial Style and Judicial Reasoning in England and Germany », Cambridge Law Journal, 59, 2000, p. 294.
  • [11]
    Filippo Ranieri, « Styles judiciaires dans l’histoire européenne : modèles divergents ou traditions communes ? », op. cit., p. 186 et suiv. La rupture fondamentale s’est produite en 1790, quand l’obligation de motiver fut introduite parallèlement au principe d’interdiction d’interprétation du droit par le juge : Tony Sauvel, « Histoire du jugement motivé », Revue du droit public et de la science politique en France et à l’étranger, 1955, p. 5, 45 et suiv.
  • [12]
    Paul Sattelmacher et al., Bericht, Gutachten und Urteil, Munich : Beck, 34e éd. (!), 2008. Il s’agit de l’équivalent allemand de l’ouvrage du président Mimin en France.
  • [13]
    Une comparaison succincte avec le style français se trouve dans : Maurice Lagrange, La Cour de justice des Communautés européennes, Conseil d’État, coll. « Études et documents », 17, 1963, p. 55, 62.
  • [14]
    Voir l’analyse de John Dawson, The Oracles of the Law, op. cit., p. 448, à l’égard de l’auto-citation pratiquée par le Tribunal impérial (Reichsgericht) – l’équivalent allemand de la Cour de cassation – après sa fondation à Leipzig en 1879.
  • [15]
    Ulrich Everling, « Zur Begründung der Urteile des Gerichtshofs der Europäischen Gemeinschaften », Europarecht, 29, 1994, p. 127, 135. Il faut aussi insister sur le fait que la procédure allemande de la « révision » permet aux cours suprêmes de juger relativement peu de cas par an et de se concentrer sur des arrêts de principe. Malgré les difficultés de toute statistique, les chiffres (approximatifs) sont éloquents. La Cour de cassation juge 30 000 cas par an avec 100 magistrats, tandis que son homologue allemand, la Cour de justice fédérale (Bundesgerichtshof), traite 3 300 dossiers par an avec 125 magistrats ; voir les références dans Christoph Schönberger, « Höchstrichterliche Rechtsfindung und Auslegung gerichtlicher Entscheidungen », Veröffentlichungen der Vereinigung der Deutschen Staatsrechtslehrer, 71, 2012, p. 296, 310 note 38. C’est pourquoi les auteurs français qui plaident pour une motivation plus développée des jugements plaident en même temps pour un accès moins ouvert aux juridictions suprêmes ; voir la critique classique de Adolphe Touffait et André Tunc, « Pour une motivation plus explicite des décisions de justice, notamment celles de la Cour de cassation », Revue trimestrielle de droit civil, 72, 1974, p. 487, 501 et suiv.
  • [16]
    Jean Rivero, « Le problème de l’influence des droits internes sur la Cour de Justice de la CECA », Annuaire français de droit international, 4, 1958, p. 295, 297.
  • [17]
    Ibid., p. 298 et suiv.
  • [18]
    Ibid., p. 296 et suiv.
  • [19]
    Ibid., p. 296, 308.
  • [20]
    Ulrich Everling, « Zur Funktion des Gerichtshofs der Europäischen Gemeinschaften als Verwaltungsgericht », Festschrift für Konrad Redeker, Munich : Beck, 1993, p. 293 (296 et suiv.).
  • [21]
    Trevor C. Hartley, The Foundations of European Union Law, Oxford : Oxford University Press, 8e éd., 2014, p. 65 ; Ulrich Everling, « Zur Begründung der Urteile des Gerichtshofs der Europäischen Gemeinschaften », art. cité, p. 132.
  • [22]
    Anne Boerger-de Smedt, « La Cour de Justice dans les négociations du traité de Paris instituant la CECA », Journal of European Integration History, 14, 2008, p. 7, 21. Selon le témoignage de Maurice Lagrange – conseiller d’État, membre de la délégation française et futur premier avocat général de la Cour de justice –, l’institution de l’avocat général fut présentée par la délégation française comme une sorte de contrepartie à l’interdiction du droit pour les juges de publier éventuellement leur opinion dissidente.
  • [23]
    Voir l’étude fondatrice de Mitchel Lasser, Judicial Deliberations. A Comparative Study of Transparency and Legitimacy, op. cit.
  • [24]
    Jean Rivero, « Le problème de l’influence des droits internes sur la Cour de Justice de la CECA », art. cité, p. 298, qui met en relief « le manque d’unité, au moins extérieure » des premiers jugements et souligne que « ces variations sont en liaison directe avec les habitudes nationales du juge rapporteur, qui joue dans la rédaction de l’arrêt un rôle prépondérant ; on est en présence, ici, de ce qu’on a appelé l’influence subie, et non voulue » ; voir aussi la confirmation par le juge allemand de l’époque Otto Riese, « Erfahrungen aus der Praxis des Gerichtshofs der Europäischen Gemeinschaft für Kohle und Stahl », Deutsche Richterzeitung, 16, 1958, p. 270, 273.
  • [25]
    Sur le style de motivation traditionnel du Conseil d’État et les efforts contemporains pour le réformer, voir la contribution, dans ce dossier, de Pierre Brunet, « Le style déductif du Conseil d’État et la ligne de partage des mots ».
  • [26]
    Francesco Capotori, « Le sentenze della Corte di giustizia delle Communità Europee », in Università degli studi di Ferrara (ed.), La sentenza in Europa. Metodo,Tecnica e Stile, op. cit., p. 230, 241 et suiv.
  • [27]
    Nicola Catalano, « Lo stile delle sentenze della Corte di giustizia delle Communità europee », Il foro italiano, 1969, parte quarta, p. 142, 143 ; Gino Gorla, « Lo stile delle sentenze. Ricerca storico-comparativa », art. cité, p. 345 ; Ulrich Everling, « Zur Begründung der Urteile des Gerichtshofs der Europäischen Gemeinschaften », op. cit., p. 137. Le même phénomène se reproduisit pour la version anglaise après l’adhésion de la Grande-Bretagne en 1973 (voir Trevor C. Hartley, The Foundations of European Union Law, op. cit., p. 70), avant l’abandon final de la phrase unique par la Cour en 1979.
  • [28]
    Ulrich Everling, « Zur Funktion des Gerichtshofs der Europäischen Gemeinschaften als Verwaltungsgericht », op. cit., p. 298 et suiv.
  • [29]
    Sur l’évolution récente de la Cour, voir en général le bilan de Michael Bobek, The Court of Justice of the European Union, Bruges : Collège d’Europe, « Research Paper in Law », 2, 2014.
  • [30]
    Une comparaison très fouillée et stimulante se trouve chez Michael Bobek, « A Fourth in the Court: Why Are There Advocates General in the Court of Justice? », Cambridge Yearbook of European Law, 14, 2012, p. 529.
  • [31]
    Ulrich Everling, « Zur Funktion des Gerichtshofs der Europäischen Gemeinschaften als Verwaltungsgericht », op. cit., p. 299.
  • [32]
    Voir Otto Riese, « Erfahrungen aus der Praxis des Gerichtshofs der Europäischen Gemeinschaft für Kohle und Stahl », art. cité, p. 270, 271.
  • [33]
    Voir, dans ce sens, le commentaire de l’arrêt Töpfer (1965) de la Cour de justice par Hans Peter Ipsen, Europarecht, 1, 1966, p. 55-60, qui souligne que la publication commune des arrêts et des conclusions se justifie par le fait que ces dernières sont « indispensables pour la compréhension et l’interprétation de la décision » étant donné « le style péremptoire et ramassé » (« der apodiktische und knappe Urteilsstil ») de la Cour ; sur cette différence majeure par rapport à la pratique du Conseil d’État, voir l’analyse de Mitchel Lasser, Judicial Deliberations. A Comparative Study of Transparency and Legitimacy, op. cit., p. 160 et suiv., 203 et suiv.
  • [34]
    Frédéric Zenati, La jurisprudence, Paris : Dalloz, 1991, p. 197 ; Robert Jacob, « La décision judiciaire en Europe dans la perspective de l’histoire comparée. Éléments de synthèse », in Id. (dir.), Le juge et le jugement dans les traditions juridiques européennes, op. cit., p. 397, 415 et suiv.
  • [35]
    Comme le souligne à juste titre Mitchel Lasser, Judicial Deliberations. A Comparative Study of Transparency and Legitimacy, op. cit., p. 300, 349.
  • [36]
    Ole Due, « Pourquoi cette solution ? De certains problèmes concernant la motivation des arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes », in Festschrift für Ulrich Everling, Baden-Baden : Nomos, 1995, t. I, p. 273.
  • [37]
    Michael Bobek, « Of Feasibility and Silent Elephants: The Legitimacy of the Court of Justice through the Eyes of National Courts », in Maurice Adams et al. (ed.), Judging Europe’s Judges: The Legitimacy of the Case Law of the European Court of Justice, Oxford : Hart Publishing, 2013, p. 197, 204.
  • [38]
    Jean Rivero, « Le problème de l’influence des droits internes sur la Cour de Justice de la CECA », art. cité, p. 299 et suiv.
  • [39]
    Clarence J. Mann, The Function of Judicial Decision in the European Economic Community, La Hague : Martinus Nijhoff, 1972, p. 359.
  • [40]
    Sur la pratique de la Cour en la matière, qui a beaucoup varié, voir Ulrich Everling, « Zur Begründung der Urteile des Gerichtshofs der Europäischen Gemeinschaften », art. cité, p. 137, 139. Depuis 1994, la Cour ne publie plus le rapport d’audience dans le recueil de ses arrêts. Cette évolution s’explique surtout par les délais imposés par la traduction. Ainsi, aujourd’hui, la décision publiée rend beaucoup moins compte des faits et des arguments des parties que par le passé ; voir là-dessus Jan Komárek, « Questioning Judicial Deliberations », Oxford Journal of Legal Studies, 29, 2009, p. 805, 820.
  • [41]
    Christoph Schönberger, « Höchstrichterliche Rechtsfindung und Auslegung gerichtlicher Entscheidungen », art. cité, p. 320 et suiv.
  • [42]
    Anthony Arnull, « Owning Up to Fallibility: Precedent and the Court of Justice », Common Market Law Review, 1993, p. 247.
  • [43]
    Laurent Coutron, « Style des arrêts de la Cour de justice et normativité de la jurisprudence communautaire », Revue trimestrielle de droit européen, 2009, p. 643.
  • [44]
    Trevor C. Hartley, The Foundations of European Union Law, op. cit., p. 70.
  • [45]
    Jan Komárek, « Questioning Judicial Deliberations », art. cité, p. 819.
  • [46]
    C’est la thèse de Mitchel Lasser, Judicial Deliberations. A Comparative Study of Transparency and Legitimacy, op. cit., p. 300, 349 ; voir à ce sujet la critique pertinente de Jan Komárek, « Questioning Judicial Deliberations », art. cité, p. 817 et suiv.
  • [47]
    Ulrich Everling, « Zur Begründung der Urteile des Gerichtshofs der Europäischen Gemeinschaften », art. cité, p. 140.
  • [48]
    Francesco Capotori, « Le sentenze della Corte di giustizia delle Communità Europee », op. cit., p. 243 et suiv. ; Jean-Claude Bonichot, « Le style des arrêts de la Cour de justice de l’Union européenne », Justice et Cassation, 2013, p. 253, 256 et suiv., 258. Voir aussi la description intéressante par le juge allemand de l’époque dans Otto Riese, « Über den Rechtsschutz innerhalb der Europäischen Gemeinschaften, Europarecht, 1, 1966, p. 24, 52, qui explique par ce fait « la rédaction souvent insatisfaisante des décisions de la Cour ».
  • [49]
    Jan Komárek, « Questioning Judicial Deliberations », art. cité, p. 819.
  • [50]
    Paul Demaret, « Le juge et le jugement dans l’Europe d’aujourd’hui : la Cour de Justice des Communautés européennes », in Robert Jacob (dir.), Le juge et le jugement dans les traditions juridiques européennes, op. cit., p. 303, 333. Mais il convient de noter aussi la nature souvent technique et économique des problèmes en question qui ne se prêtent guère à des prétentions littéraires de la part des juges : Francesco Capotori, « Le sentenze della Corte di giustizia delle Communità Europee », op. cit., p. 243.
  • [51]
    Ole Due, « Pourquoi cette solution ? De certains problèmes concernant la motivation des arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes », op. cit., p. 274 et suiv.
  • [52]
    Trevor C. Hartley, The Foundations of European Union Law, op. cit., p. 70 ; Ulrich Everling, « Zur Begründung der Urteile des Gerichtshofs der Europäischen Gemeinschaften », art. cité, p. 141.
  • [53]
    Francesco Capotori, « Le sentenze della Corte di giustizia delle Communità Europee », op. cit., p. 239.
  • [54]
    Mitchel Lasser, Judicial Deliberations. A Comparative Study of Transparency and Legitimacy, op. cit., p. 359.
  • [55]
    Jan Komárek, « Questioning Judicial Deliberations », art. cité, p. 819.
  • [56]
    Ole Due, « Pourquoi cette solution ? De certains problèmes concernant la motivation des arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes », op. cit., p. 275 ; Ulrich Everling, « Zur Begründung der Urteile des Gerichtshofs der Europäischen Gemeinschaften », art. cité, p. 141 ; Trevor C. Hartley, The Foundations of European Union Law, op. cit., p. 70.
  • [57]
    Voir, pour l’argument général, Cass Sunstein, « Trimming », Harvard Law Review, 122, 2009, p. 1049, 1081.
  • [58]
    CJUE, arrêt du 8 mars 2011, C-34/09, Ruiz Zambrano, Rec. P. I-1177.
  • [59]
    Trevor C. Hartley, The Foundations of European Union Law, op. cit., p. 70 et suiv.
  • [60]
    Joseph H. H. Weiler, « Epilogue: The Judicial Après Nice », in Gráinne de Búrca et Joseph H. H. Weiler (eds.), The European Court of Justice, Oxford : Oxford University Press, 2001, p. 225 ; voir aussi Mitchel Lasser, Judicial Deliberations. A Comparative Study of Transparency and Legitimacy, op. cit., p. 351 et suiv.
  • [61]
    Voir, dans ce sens, la comparaison entre le style de la Cour de justice et celui de la Cour suprême dans Michel Rosenfeld, « Comparing Constitutional Review by the European Court of Justice and the Supreme Court », I-CON, 4, 2006, p. 618, 634 et suiv., qui analyse la bifurcation du système européen comme équivalent fonctionnel des opinions plurielles américaines.
  • [62]
    Sophie Turenne, « Advocate General’s Opinions or Separate Opinions? Judicial Engagement in the CJEU », Cambridge Yearbook of European Legal Studies, 14, 2011-2012, p. 723, 728, 739.
  • [63]
    Voir Michael Bobek, « Of Feasibility and Silent Elephants: The Legitimacy of the Court of Justice through the Eyes of National Courts », op. cit., p. 203 et suiv.
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