Notes
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[1]
En 2008, à partir de sa création en juillet, le Contrôleur général a reçu 192 saisines. Il en a reçu 1 272 en 2009 et 3 276 en 2010. Pour plus de détails, se référer aux rapports annuels de l’institution, disponibles en ligne.
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[2]
Loi n° 2007-1545 du 30 octobre 2007 instituant un Contrôleur général des lieux de privation de liberté, article 1. Sur le CGLPL, voir notamment Jacques CHEVALLIER, « Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté », in Jean-Charles FROMENT et Martine KALUSZYNSKI (dir.), L’Administration pénitentiaire face aux principes de la nouvelle gestion publique, Grenoble : PUG, 2011, p. 187-202.
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[3]
L’article 6 de la loi précise que « toute personne physique, ainsi que toute personne morale s’étant donné pour objet le respect des droits fondamentaux, peuvent porter à la connaissance du contrôleur général des lieux de privation de liberté des faits ou situations susceptibles de relever de sa compétence ».
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[4]
À partir de la définition proposée par J-P. Payet et D. Laforgue, on peut considérer que ce concept permet de désigner des individus que leur catégorisation administrative ou leur marginalité par rapport à des normes sociales fragilisent quant à la possibilité de mobiliser légitimement certaines ressources sociales dans une variété d’interactions ; Jean-Paul PAYET, Frédérique GUILIANI et Denis LAFORGUE (dir.), La voix des acteurs faibles. De l’indignité à la reconnaissance, Rennes : PUR, 2008, p. 10.
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[5]
Tous les courriers reçoivent une réponse, dans un délai moyen d’un mois (ce délai a aujourd’hui considérablement augmenté avec la montée en charge du nombre de saisines et le développement d’enquêtes approfondies). À leur arrivée, l’intégralité des courriers sont lus et annotés par le contrôleur général puis par la directrice des services administratifs. Les projets de réponse élaborés par le « pôle saisine » (à l’époque de l’observation, deux chargées d’enquête et deux stagiaires) sont également relus et validés par la directrices des services et le contrôleur général. En 2009 et 2010, environ 40 % des saisines ont donné lieu à des enquêtes auprès d’autorités. Elles servent également de support pour la préparation des visites d’établissement.
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[6]
Erving GOFFMAN, Stigmate [1963], Paris : Éditions de Minuit, 1975, p. 12.
-
[7]
Didier FASSIN, « La supplique. Stratégies rhétoriques et constructions identitaires dans les demandes d’aide d’urgence », Annales. Histoire Sciences Sociales, 55 (5), 2000, p. 955-981.
-
[8]
8. Ibid., p. 959.
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[9]
Luc BOLTANSKI (avec Yann DARRÉ et Marie-Ange SCHILTZ), « La dénonciation », Actes de la recherche en sciences sociales, 51, 1984, p. 14.
-
[10]
Isabelle THIREAU et Linshan HUA, « Le sens du juste en Chine. En quête d’un nouveau droit du travail », Annales. Histoire Sciences Sociales, 56 (6), 2001, p. 1283-1312.
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[11]
Ibid., p. 1285.
-
[12]
Liora ISRAËL, L’arme du droit, Paris : Presses de Sciences Po, 2009 et ID., « Qu’est-ce qu’avoir le droit ? Des mobilisations du droit en perspective sociologique », Revue internationale de recherche biographique, 3, 2013, p. 34-47.
-
[13]
Seuls les premiers courriers concernant les établissements pénitentiaires ont été retenus, quand la compétence du Contrôleur général s’étend à l’ensemble des lieux de privation de liberté (hospitalisation sans consentement, rétention administrative, garde-à-vue, etc.). 80 % des saisines reçues par le Contrôleur général émanent directement de personnes privées de liberté. Parmi ces courriers, 92 % des lettres concernent des établissements pénitentiaires.
-
[14]
En plus des travaux déjà cités, notamment Francis CHATEAURAYNAUD, « Causes de détresse et formes d’appel au secours dans le courrier adressé à l’Abbé Pierre ou à la Fondation pour le logement des défavorisés (Étude de sociologie assistée par ordinateur) », Convention Fondation Abbé Pierre-DOXA, 1996, p. 1-97 ; Jean-Claude FARCY, « “Je désire quitté la France pour quitté les prisons”. Les requêtes de prisonniers pour obtenir leur exil (années 1870) », Champ pénal, II, 2005 ; Gérard NOIRIEL, La tyrannie du national, Paris : Calmann-Lévy, 1991.
-
[15]
Barney GLASER et Anselm STRAUSS, La découverte de la théorie ancrée [1967], Paris : Armand Colin, 2012, p. 203.
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[16]
Florence WEBER, « Publier des cas ethnographiques : analyse sociologique, réputation et image de soi des enquêtés », Genèses, 70, 2008, p. 142.
-
[17]
Yasmine BOUAGGA, « Humaniser la peine ? Ethnographie du traitement pénal en maison d’arrêt », thèse de doctorat de sociologie, Paris : EHESS, 2013.
-
[18]
Anne REVILLARD et al., La fabrique d’une légalité administrative. Sociologie du Médiateur de la République, rapport final de recherche, Université Paris 13-CERAL, 2011.
-
[19]
Les problématiques propres à la personnalisation de l’institution se retrouvent dans plusieurs autorités administratives indépendantes chargées de la défense des droits fondamentaux. Voir par exemple Anne REVILLARD et al., La fabrique d’une légalité administrative, Sociologie du Médiateur de la République, op. cit.
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[20]
Les thématiques ont été codées de manière très ouverte (191 modalités), puis regroupées par recodage. Si plusieurs thématiques étaient abordées dans un courrier, on a retenu les deux problèmes sur lesquels la doléance insistait le plus. Les proportions exposées ici sont exprimés par référence à l’ensemble des thématiques codées selon cette procédure (N = 202).
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[21]
L’orthographe, la syntaxe, la ponctuation, et – lorsque le courrier était dactylographié – la mise en page des textes originaux, ont été respectées. Ces éléments linguistiques et scripturaux participent en effet à la définition de la situation de communication.
-
[22]
Notamment dans Grégory SALLE et Gilles CHANTRAINE, « Le droit emprisonné ? Sociologie des usages sociaux du droit en prison », Politix, 87, 2009, p. 93-117 ; Corinne ROSTAING, « Processus de judiciarisation carcérale : le droit en prison, une ressource pour les acteurs ? », Droit et Société, 67, 2007, p. 577-595.
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[23]
Corinne ROSTAING, « Processus de judiciarisation carcérale : le droit en prison, une ressource pour les acteurs ? », art. cité, p. 590.
-
[24]
Georges BENGUIGUI, Antoinette CHAUVENET et Françoise ORLIC, « Les surveillants de prison et la règle », Déviance et société, 18 (3), 1994, p. 275-295.
-
[25]
Austin SARAT, « “… The Law is All Over”: Power, Resistance and the Legal Consciousness of the Welfare Poor », Yale Journal of Law and the Humanities, 2 (2), 1990, p. 342-379.
-
[26]
Sur ce point encore peu exploré, voir les travaux de Yasmine BOUAGGA, « Rentrer dans le droit commun ? », Champ pénal, VII, 2010 et ID, « Humaniser la peine ? Ethnographie du traitement pénal en maison d’arrêt »», op. cit.
-
[27]
Notamment, Grégory SALLE et Gilles CHANTRAINE, « Le droit emprisonné ? Sociologie des usages sociaux du droit en prison », art. cité ; Antoinette CHAUVENET, Corinne ROSTAING et Françoise ORLIC, La violence carcérale en question, Paris : PUF, 2008 ; Corinne ROSTAING, « Processus de judiciarisation carcérale : le droit en prison, une ressource pour les acteurs ? », art. cité ; voir également l’article, dans ce dossier, de Corinne ROSTAING, « L’ordre négocié en prison : ouvrir la boîte noire du processus disciplinaire ».
-
[28]
Antoinette CHAUVENET, Corinne ROSTAING et Françoise ORLIC, La violence carcérale en question, op. cit., p. 317.
-
[29]
Antoinette CHAUVENET, « Guerre et paix en prison », Les cahiers de la sécurité intérieure, 31 (3), 1998, p. 91-109.
-
[30]
On s’inspire ici de la notion de « lieu sociologique de l’État » forgée par Dominique LINHARDT, « L’État et ses épreuves. Éléments d’une sociologie des agencements étatiques », Clio@Themis, 1, 2009.
-
[31]
Patricia EWICK et Susan SILBEY, The Common Place of Law. Stories from Everyday Life, Chicago : The University of Chicago Press, 1998, p. 88.
-
[32]
On a codé jusqu’à deux occurrences de référence au droit par courrier. Les proportions sont exprimées par rapport à l’ensemble des références codées (N = 101), réparties dans 74 doléances présentant une ou plusieurs références au droit.
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[33]
Patricia EWICK et Susan SILBEY, The Common Place of Law. Stories from Everyday Life, op. cit., p. 230-333.
-
[34]
En note, le courrier explicite ce néologisme : « Dictocratie = NF. Démocratie ayant des penchants de dictature ».
-
[35]
Pierre BOURDIEU, « La force du droit. Éléments pour une sociologie du champ juridique », Actes de la recherche en sciences sociales, 64, 1986, p. 15.
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[36]
Ibid., p. 43.
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[37]
Corinne ROSTAING, La relation carcérale, Paris : PUF, 1997, p. 246.
-
[38]
Pierre BOURDIEU, « La force du droit. Éléments pour une sociologie du champ juridique », art. cité, p. 3.
-
[39]
Léonore LE CAISNE, Prison. Une ethnologue en centrale, Paris : Odile Jacob, 2000, p. 13.
-
[40]
Voir Caroline TOURAUT, La famille à l'épreuve de la prison, Paris : PUF, 2012, ainsi que son article dans ce dossier, ID., « Les proches de détenus et leurs rapports ordinaires au droit pénitentiaire ».
-
[41]
Sally Engle MERRY, Getting Justice and Getting Even, Chicago : The University of Chicago Press, 1990, p. 2.
-
[42]
Ibid., p. 37 et 179.
-
[43]
Articles D.249-1 à D.249-3 du Code de procédure pénale. Corinne Rostaing présente la « voice collective » en prison comme une forme d’adaptation secondaire désintégrante, c'est-à-dire inassimilable par le fonctionnement de l’organisation ; Corinne ROSTAING, « L’expression des détenus », in Jean-Paul PAYET, Frédérique GUILIANI et Denis LAFORGUE (dir.), La voix des acteurs faibles. De l’indignité à la reconnaissance, op. cit., p. 121-138.
-
[44]
Corinne ROSTAING, La relation carcérale, op. cit., p. 275-276.
-
[45]
Ruth AMOSSY, La présentation de soi, Paris : PUF, 2010, p. 73.
-
[46]
Didier FASSIN et Estelle D’HALLUIN, « Truth from the Body. Medical Certificates as Ultimate Evidence for Asylum Seekers », American Anthropologist, 107 (4), 2005, p. 597.
-
[47]
Luc BOLTANSKI et Laurent THÉVENOT, De la justification, Paris : Gallimard, 1991, p. 96.
-
[48]
Voir par exemple l’opposition entre dénonciations et suppliques dans Didier FASSIN, « La supplique. Stratégies rhétoriques et constructions identitaires dans les demandes d’aide d’urgence », art. cité, p. 960.
-
[49]
Michael POLLAK, L’expérience concentrationnaire, Paris : Métailié, 2000, p. 247-248. Sur la complexité de la relation entre souffrance et droit, voir Nicolas DODIER et Jeanine BARBOT, « De la douleur au droit », in Mathieu BERGER, Daniel CEFAÏ et Carole GAYET-VIAUD (dir.), Du civil au politique, Bruxelles : PIE Peter Lang, 2011.
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[50]
Par exemple, un prisonnier introduit sa doléance par une mise à distance résolue : « J’ai été condamné à 3 ans de prison ferme. Même si je trouve la peine très lourde, j’accepte la décision de la justice. Donc, je ne veux pas que l’on me plaigne. »
-
[51]
Corinne ROSTAING, « Processus de judiciarisation carcérale : le droit en prison, une ressource pour les acteurs ? », art. cité, p. 586.
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[52]
Patricia EWICK et Susan SILBEY, The Common Place of Law. Stories from Everyday Life, op. cit., p. 85.
-
[53]
Merci aux coordinatrices du dossier, Claire de Galembert et Corinne Rostaing, ainsi qu’à Nicolas Dodier et Liora Israël pour leurs précieuses remarques. Cet article est issu d’une recherche menée de 2010 à 2012 sous la direction de Liora Israël (Corentin DURAND, Plaintes d’outre-murs, mémoire de master 2, Paris : EHESS, 2012).
1 Depuis sa mise en place à l’automne 2008, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) s’est vu adresser un nombre grandissant de saisines de la part de personnes incarcérées [1]. Créée par la loi du 30 octobre 2007, cette autorité administrative indépendante ne reçoit aucune instruction dans le cadre de ses attributions, à savoir « contrôler les conditions de prise en charge et de transfèrement des personnes privées de liberté, afin de s’assurer du respect de leurs droits fondamentaux » [2]. Pour ce faire, outre son pouvoir de visiter à tout moment tout lieu de privation de liberté, la loi garantit au CGLPL la possibilité de faire l’objet de saisines, notamment de la part des personnes privées de liberté elles-mêmes [3]. Ces saisines – qui prennent presque exclusivement la forme de courriers – représentent un matériau privilégié pour se saisir, en sociologue, d’opérations d’énonciation du droit, depuis une situation d’incarcération, vers une autorité administrative.
2 Le droit occupe en effet une place singulière dans ces plaintes, fréquemment mobilisé mais sous des formes qui en atténuent le plus souvent la portée normative. Sur la base d’un corpus de 183 plaintes adressées par des prisonniers au CGLPL entre septembre 2008 et août 2010, il apparaît que près de la moitié des courriers mobilisent des références juridiques, que celles-ci soient ou non articulées avec d’autres ressources argumentatives. L’objet de cet article est de saisir le statut pragmatique de ces énonciations du droit dans le cadre de ce nouvel espace de communication. En effet, en mobilisant des ressources juridiques pour étayer leurs plaintes, les auteurs de doléances proposent de définir le droit comme un élément légitime de l’interaction épistolaire qui s’amorce. Une telle action peut donc s’envisager comme une épreuve morale où des acteurs socialement affaiblis [4] affirment, avec plus ou moins d’assurance, leur légitimité à inscrire leur relation avec une autorité administrative sur le terrain du droit. Au-delà des contraintes organisationnelles et culturelles qui pèsent sur la possibilité de se saisir du droit, notre recherche met en évidence le poids de ce que l’on peut caractériser comme une indignité sociale à énoncer le droit dans le cadre d’une communication avec une autorité étatique. Comment des individus, identifiés par leur statut de détenu, peuvent-ils construire une légitimité à énoncer le droit lorsqu’ils s’adressent au Contrôleur général des lieux de privation de liberté ?
3 Le caractère différé des interactions épistolaires permet de se situer dans un temps suspendu, où l’action est amorcée, mais n’a pas encore affecté son destinataire. Notre démarche fait ainsi l’hypothèse du caractère heuristique d’une attention exclusive au premier courrier de plainte envoyé par les prisonniers, c’est-à-dire les doléances qui amorcent la relation, en amont de tout contact avec l’institution. Il a fallu pour cela faire le choix radical – et nécessairement frustrant – d’isoler le premier terme de l’interaction des séquences qui le suivent [5]. Une telle opération permet en effet de suivre l’action au plus près, sans en rapporter la signification aux termes qui lui sont postérieurs, notamment la réponse de l’autorité. C’est notamment pourquoi notre attention se portera plus sur les multiples « identités sociales virtuelles » [6] attribuées au Contrôleur général par les doléances, que sur l’institution elle-même, telle que nous avons pu l’étudier pendant une observation participante de quatre mois. Il s’agit de décrire la dimension proprement créatrice de ces actes d’écritures, c’est-à-dire leur capacité à proposer une définition du cadre de l’interaction qui s’amorce, sans que celui-ci ne puisse être exclusivement rapporté à des normes de communication préexistantes ou extérieures.
4 En cela, notre perspective se distingue de celle adoptée par Didier Fassin dans son étude de demandes d’aide d’urgence adressées en 1998 à la Direction des affaires sanitaires et sociales [7]. La communication y est analysée comme un exercice de conformité, sous contrainte d’incertitude, « aux normes supposées de l’administration » [8]. Tout décalage à ces attentes institutionnelles ne peut alors s’interpréter que comme une erreur stratégique. Dans une perspective théorique bien différente, Luc Boltanski s’est appuyé sur l’étude d’un corpus de lettres adressées au journal Le Monde pour mettre en évidence un « sens de la normalité » [9] largement partagé, quoique historiquement et géographiquement situé. Ainsi, les acteurs manieraient avec plus ou moins de compétence une norme sur laquelle l’action n’a pas prise. Notre article se propose de déplacer l’attention portée aux doléances de leurs conditions de recevabilité – nécessairement ancrée dans l’observation de leur réception – vers une analyse de ce que font – ou prétendent faire – ces courriers. On s’inscrit en cela dans le prolongement des analyses présentées par Isabelle Thireau et Linshan Hua à propos de lettres de plaintes de travailleurs chinois dans les années 1990 [10]. Bien qu’écrites dans un contexte socio-temporel bien différent, ces doléances constituent également une forme d’adresse à une autorité – le Bureau du travail –, et participent en cela à l’ouverture et à la délimitation d’espaces de légitimité par des acteurs socialement affaiblis. Comme l’écrivent les auteurs, il est nécessaire d’appréhender « la véritable portée sociale des actes de dénonciation accomplis, soit la mobilisation de repères de justice que ces salariés espèrent partager, jugent susceptibles d’entraîner l’adhésion des responsables concernés, et auxquels une certaine forme de visibilité est ainsi donnée. Cette action doit donc être perçue, au-delà de son caractère pragmatique, comme participant à la fois de l’ouverture d’un espace de discussion comme de l’identification de repères communs » [11].
5 Dans un contexte carcéral longtemps caractérisé par la quasi-impossibilité d’exprimer légitimement des plaintes, il s’agit alors de comprendre comment certains prisonniers placent le droit au cœur de cet espace de communication nouvellement créé, et comment ils construisent leur légitimité à le faire. Le recours au droit suppose en effet non seulement sa disponibilité et son acceptabilité dans le contexte social de rédaction, mais également de construire sa légitimité à énoncer le droit dans l’interaction. La perte ou l’affaiblissement des statuts sociaux précédant l’incarcération, et la rareté en détention de ressources sociales positives de présentation de soi, font de cette construction une épreuve morale à laquelle peu d’interlocuteurs du Contrôleur général se confrontent directement. Situer l’analyse à un niveau rhétorique permet en effet de rendre compte des opérations d’affirmation et d’atténuation du droit et, ce faisant, de la diversité des contraintes – pratiques et morales – qui pèsent sur la possibilité, en prison, de faire sienne « l’arme du droit » [12].
6 Dans un premier temps, les références juridiques seront replacées dans la complexité de l’espace de communication dans lequel elles s’inscrivent (I). L’analyse suivra ensuite la diversité des modes de caractérisation du droit et des opérations par lesquelles les interlocuteurs du CGLPL revendiquent leur légitimité à s’en saisir. En effet, selon que les références juridiques renvoient à la justice – c’est-à-dire à la pratique de professionnels du droit –, au droit – volontiers objectivé dans la matérialité de ses textes – (II) ou à mes droits – c’est-à-dire à la subjectivité et au corps de l’auteur – la portée des opérations de mobilisation du droit se transforme et, avec elle, les stratégies déployées pour s’en montrer digne.
I. Les références au droit dans l’économie générale des doléances
I.1. Constitution et traitement du corpus
7 Cet article s’appuie sur l’analyse quantitative et qualitative d’un corpus de courriers adressés par des personnes incarcérées au CGLPL [13]. En limitant l’étude aux deux premières années de fonctionnement du CGLPL, de septembre 2008 à août 2010, il s’agissait de se placer à un moment d’incertitude maximum quant à la nature et aux frontières de ce nouvel espace de communication. La base de données ainsi constituée a été stratifiée par type d’établissement (maison d’arrêt, centre de détention, maison centrale, centre pénitentiaire) et ordonnée par date de réception du courrier ; un corpus de 183 courriers a été alors constitué par tirage de cinq en cinq.
8 Les courriers, d’une longueur variant entre quelques lignes et onze pages, ont fait l’objet d’un codage extensif (jusqu’à 255 variables, dont seulement 15 concernent directement les usages du droit). Les variables ont été construites à partir d’une analyse préliminaire du corpus et par comparaison avec des corpus analysés dans d’autres travaux [14], et ce afin de rendre compte – dans la mesure du possible – de l’ensemble des caractéristiques formelles des courriers, ainsi que des opérations rhétoriques qui y étaient présentes et – parfois – absentes. Les catégories définitives n’ont été élaborées que par retraitement des données recueillies, en fonction de la grille analytique qu’elles avaient permis de construire. Ainsi, on a voulu réduire le risque de voir la rigueur de l’opération de codage entrer en contradiction avec l’élaboration progressive de catégories conceptuelles pour rendre compte des données [15].
9 L’analyse d’un tel corpus exige une certaine prudence. Malgré la protection légale de leur confidentialité, des courriers adressés ou émanant du Contrôleur général sont régulièrement ouverts par les services pénitentiaires, par erreur ou par volonté d’interférence. Des prisonniers se plaignent fréquemment de représailles engagées contre eux après avoir fait appel au Contrôleur général. Ces pratiques – qui contribuent à n’en pas douter à structurer la communication – imposent au chercheur d’assurer l’anonymat radical des interlocuteurs du Contrôleur général. Il s’agissait de garantir l’impossibilité – même pour des personnes familières avec les situations décrites – d’attribuer un texte à son auteur, en « brouillant les pistes » [16], c’est-à-dire en modifiant légèrement tout détail potentiellement identifiable.
I.2. Un espace de communication complexe
10 Afin d’analyser les opérations d’énonciation du droit auprès du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, il importe de caractériser l’espace de communication dans lesquelles elles s’inscrivent. En effet, plaintes et revendications sont susceptibles de s’inscrire dans une diversité d’espaces d’expression, avec leurs propres possibilités et contraintes : différents services de l’administration pénitentiaire, points d’accès au droit [17], permanences de délégués du Médiateur de la République (aujourd’hui Défenseur des droits) [18], plaintes auprès de la justice judiciaire ou administrative, contacts avec des avocats, courriers à des associations militantes… Pour saisir certains éléments de la spécificité de l’espace de communication étudié ici, on se propose de présenter succinctement le public qui s’en saisit, l’autorité à laquelle s’adressent les doléances, et les problématiques évoquées.
11 Tout d’abord, si toutes les personnes détenues peuvent écrire au CGLPL, seule une infime minorité le fait effectivement. Nous ne disposons que des informations fournies par les auteurs de doléances eux-mêmes, ou contenues dans les réponses de l’administration, mais celles-ci permettent déjà de formuler plusieurs constats. Il apparaît tout d’abord que les femmes sont nettement surreprésentées dans l’échantillon : elles représentent 7,7 % des auteurs du corpus, quand leur part dans la population carcérale française oscille entre 3 et 3,5 %. Les personnes de plus de 50 ans sont également surreprésentées. Par ailleurs, les auteurs du corpus (ou du moins les 88 pour lesquels l’information est disponible) déclarent être incarcérés depuis plus longtemps que la moyenne des séjours en prison. Enfin, les personnes condamnées à de longues et très longues peines, notamment pour infraction à caractère sexuel, semblent également surreprésentées.
12 Au-delà des informations déjà présentées quant aux attributions du CGLPL, il importe de saisir comment les prisonniers identifient le destinataire de leur doléance. En particulier, le fait que le CGLPL soit une institution personnalisée ouvre la possibilité de situer la relation entre un registre strictement institutionnel (nom de l’institution mentionné sans référence à son titulaire) et un registre strictement personnel (patronyme du destinataire mentionné sans référence à son rôle institutionnel) [19]. Ainsi, les doléances s’inscrivant dans un registre strictement personnel mobilisent de manière moins fréquente des ressources juridiques, lesquelles semblent mal cadrer avec la tentative d’instaurer une relation personnalisée. De plus, les interlocuteurs du CGLPL le situent également entre un pôle pénitentiaire (un courrier s’adresse au « service d’hygiène pénitentiaire ») et un pôle militant (l’auteur d’une doléance assimile le CGLPL à l’Observatoire international des prisons, association de défense des droits des personnes détenues).
13 Enfin, les problématiques abordées dans les doléances ne font que marginalement référence à la notion de « droits fondamentaux » qui définit la compétence du CGLPL. Si elles recouvrent une grande partie des domaines de la vie en détention – et parfois au-delà –, il apparaît que certains d’entre elles interviennent plus fréquemment : résultat ou modalités de procédures judiciaires (15 % des thématiques codées [20]), transferts entre établissements ou affectation entre cellules d’un même établissement (14 %), accessibilité ou qualité des soins (13 %), situations de violence physique ou verbale (12 %), hygiène, promiscuité ou alimentation (8 %).
14 Pour achever de situer les références au droit dans l’économie générale des doléances adressées au Contrôleur général, on se propose de rendre compte de la diversité des stratégies argumentatives dans lesquelles ces références trouvent – parfois – leur place.
I.3. Le droit, ressource argumentative peu disponible et risquée
15 Le droit ne constitue que l’une des ressources argumentatives mobilisées par les interlocuteurs du CGLPL, parfois de manière exclusive, parfois en articulation avec d’autres appuis. Trois extraits de doléances, qui se saisissent tous du problème de la promiscuité en cellule, permettent de baliser ce spectre argumentatif :
Je pense pouvoir prétendre à une cellule individuelle en division compte tenu de mon ancienneté et mon comportement irréprochable avec les surveillants, j’ai supporté les cellules à 3 ou 4 pendant 11 mois sans me plaindre.
Prenant un traitement médical très lourd, l’UCSA [unité de consultations et de soins ambulatoires] m’a préconisé un placement en cellule individuel le 27 avril dernier. […] Actuellement, je partage toujours ma cellule avec un codétenu et je souffre beaucoup de cette situation.
Je sollicite, conformément à l’article 719 du code de procédure pénale, le droit de rester seul en cellule, du moins la possibilité de ne partager ma cellule qu’avec un seul détenu, situation devant déjà rester exceptionnel conformément à l’esprit de ce même article, et cela afin d’aider à passer ce cap de surpopulation [21].
17 Si la thématique abordée est similaire, ces doléances se distinguent nettement par la manière dont leurs auteurs étayent leur plainte. Le premier invoque une norme sociale implicite, fondée sur son ancienneté et son bon comportement. Le deuxième insiste sur les souffrances que cause le partage d’une cellule à un individu vulnérable, ce dont atteste un service médical. L’exposition de sa souffrance intervient ainsi en soutien de 55 % des doléances. Enfin, le troisième « sollicite » l’intervention du Contrôleur général en vertu, non seulement d’un article de loi, mais de « l’esprit » du droit. Les conséquences concrètes de la promiscuité ne sont pas évoquées : la situation est problématique parce qu’elle est contraire à une norme juridique, et cela suffit. Sans que cette première approche prétende à l’exhaustivité, elle suffit à montrer que la mobilisation du droit n’apparaît que comme une possibilité pour tenter de faire reconnaître le bien-fondé de sa plainte. Les ressources juridiques n’interviennent en effet que dans 40 % des doléances de notre corpus, et ce sous des formes diverses : références générales au droit ou à la loi, utilisation d’un lexique juridique (« c’est un abus de confiance »), citation précise de références juridiques (« art. 41 CPP [Code de procédure pénale] »), citation de dispositions spécifiques (« les promenades sont obligatoires »).
18 Les usages sociaux du droit en détention ont fait l’objet de deux types d’analyse, que notre corpus permet d’illustrer et de compléter. Tout d’abord, l’attention a porté sur les contraintes matérielles et culturelles pesant sur l’accès et la maîtrise de ressources juridiques de la part d’acteurs socialement affaiblis [22]. Cette thématique de la disponibilité de ressources juridiques en prison – c’est-à-dire des conditions par lesquelles celles-ci sont accessibles et mobilisables par les acteurs – trouve des échos dans les plaintes de notre corpus : impossibilité de se faire communiquer le règlement intérieur de l’établissement, d’accéder aux ressources juridiques des bibliothèques en prison, d’acheter un Code de procédure pénale à un prix raisonnable, etc. À cette indisponibilité objective du droit s’ajoute, comme le note Corinne Rostaing, le fait que « la complexité du système des règles et la population carcérale, souvent issue de milieux défavorisés et faiblement diplômés, ne favorisent pas la connaissance précise des règles, ni leur appropriation par la majorité des personnes incarcérées » [23]. Même lorsqu’elles sont objectivement accessibles, les ressources juridiques ne sont pas nécessairement saisissables par les acteurs.
19 Si ce constat est essentiel, il ne doit pas faire oublier que l’incarcération marque l’aboutissement – ou une étape – dans une procédure judiciaire. Conduits en prison par la décision d’un juge, poursuivis par un procureur, souvent défendus par un avocat, les interlocuteurs du Contrôleur général ont tous une expérience de la justice pénale, parfois inscrite dans le temps long. Le fonctionnement des établissements pénitentiaires se caractérise lui-même par une saturation de règles formelles [24]. Dans ces conditions, comment le droit peut-il être à la fois omniprésent, selon le mot d’Austin Sarat [25], et absent ou même seulement timidement émergeant ? De fait, la fréquence et parfois la précision des références juridiques dans notre corpus invitent à compléter le constat de leur faible disponibilité par l’étude des dynamiques d’accès au droit en détention. Notre corpus suggère – mais sans permettre d’y accéder directement – des modes de socialisation au fil des interactions avec des professionnels du droit, des associations [26], auxquels s’ajoute parfois une socialisation active et souvent autodidacte au droit.
20 Les usages sociaux du droit en détention ont par ailleurs – parfois dans les mêmes travaux – été analysés au regard du risque pratique que la pénétration du droit faisait peser sur l’équilibre fragile des relations sociales en détention [27]. La mobilisation du droit peut en effet « contribuer à cristalliser les conflits, interdisant à leurs protagonistes de trouver eux-mêmes les moyens de les régler » [28]. Le registre juridique est alors neutralisé au profit de relations interpersonnelles fondées sur la réciprocité et l’honneur [29]. En écho à ces analyses, les auteurs de doléances de notre corpus cherchent fréquemment à désarmer le droit, c’est-à-dire à en limiter le caractère déstabilisant au regard de l’économie des relations sociales en détention : « Je tiens à vous informé que ma démarche n’a pour but que de n’être respecté par l’autorité dans l’intégralité de mes droits, et en aucun cas afin d’être désagréable ou de m’opposer à l’autorité de la prison. »
21 Cette approche relationnelle des usages du droit est essentielle pour notre travail, qui doit néanmoins la replacer dans le cadre d’une interaction épistolaire, donc différée, où le destinataire est extérieur au fonctionnement de la détention. Le recours au droit suppose, en effet, non seulement sa disponibilité et son acceptabilité dans le contexte social de rédaction, mais également que le droit apparaisse légitimement mobilisable dans l’interaction épistolaire qui s’engage. Saisir la diversité des opérations d’affirmation et d’atténuation du droit et des modes de légitimation qui s’y rattachent suppose alors de rompre avec une conception homogène de la légalité, aux contours définis par le chercheur, pour suivre la manière dont les interlocuteurs du CGLPL situent le droit – dans les pratiques des acteurs, dans la matérialité de ses textes, dans leur propre subjectivité. Ainsi, nous pourrons analyser comment ces prisonniers se situent par rapport au droit, c’est-à-dire la manière dont ils assument rhétoriquement la prétention à s’en saisir.
II. S’affirmer comme représentant autorisé de l’objectivité du droit
22 À quoi renvoient les références au droit mobilisées dans les doléances adressées au Contrôleur général des lieux de privation de liberté ? Quel est le « lieu » de sa capacité normative, c’est-à-dire de l’entité concrète par laquelle il s’assure une prise sur la réalité et à partir de laquelle il peut être saisi [30] ? Une première hypothèse situerait le droit au niveau des pratiques judiciaires et administratives. Néanmoins, le système judiciaire et administratif n’est presque jamais associé aux énoncés du droit comme appui normatif. Alors que la justice s’incarne dans des acteurs, professionnels du champ judiciaire, la capacité normative du droit se situe dans le corpus soit dans des textes – le droit –, soit dans l’individu lui-même – mes droits.
II.1. De la justice au droit
23 Dans notre corpus, la mobilisation du droit est presque toujours indépendante de la description de l’activité des services administratifs et judiciaires. Le droit se trouve déconnecté rhétoriquement des interactions avec la justice et l’administration. Lorsque celles-ci sont mentionnées, c’est le plus souvent sur un registre individualisant, situant l’injustice, l’aide, ou l’opposition chez des acteurs isolés : « J’ai du mal à oublier le visage du Procureur qui criait : “je vous mets en prison”. » Ceux-ci sont aux prises avec des motivations avant tout personnelles, et parfois contraires au droit : un auteur rapporte avoir interpellé une officier pénitentiaire en lui disant : « Mme vous êtes hors la loie, vous m’avez punis sous de simples présemption sous de simples suspissions, vous ne respectez pas l’article 7 du CPP ». Chassé des pratiques des acteurs judiciaires et administratifs, le droit se réfugie dans ses textes. Il y trouve une forme d’existence objective proche de ce que Patricia Ewick et Susan Silbey nomment une « légalité réifiée », où « les règles semblent produire des effets indépendamment des actions humaines » [31].
24 Pour des individus saisis au corps par la force du droit pénal, placés sous la contrainte du droit disciplinaire pénitentiaire, souvent pris dans la régulation administrative de l’aide sociale, le fait de tenir à distance le droit de la justice permet également de ne pas avoir à justifier un changement de positionnement vis-à-vis de l’entité qui les a condamnés, et dont ils attendraient aujourd’hui une protection. Ainsi, lorsqu’un scripteur affirme : « la justice est la pour incarcére j’espere qu’elle sera la pour m’aidez », il semble chercher à justifier son nouveau statut en acceptant le stigmate carcéral tout en s’attachant à en réduire la portée : « la loi est pour tout le monde moi je sais que je suis pas un sîn mes comme tout jeune ont fait tous des bêtise ». Cependant, la rareté des caractérisations du droit comme une activité judiciaire et administrative invite à faire l’hypothèse qu’au-delà de la volonté de disposer d’appuis normatifs objectifs pour mettre en cause l’action de ces entités sociales, de tels énoncés produisent des difficultés de positionnement du scripteur incarcéré par rapport à la norme dont il se réclame.
II.2. Objectiver le droit dans ses chiffres et ses lettres
25 Lorsque le droit est mobilisé en toute généralité – par exemple, par une référence au droit ou à la loi –, il se voit presque toujours attribuer une existence et une normativité propres : « Il mélange les fumeurs et les non fumeur sans respecté la loi. » Il apparaît alors comme une entité homogène, capable d’agir par elle-même : « le droit veut que ». Sa capacité d’action s’incarne également souvent dans la matérialité de ses supports textuels. Ainsi, près d’un quart des références juridiques codées [32] renvoient avec plus ou moins de précision soit à la référence d’un article ou d’un texte juridique – « l’article D220 du CPP » – (16 % des références codées), soit à une citation de son contenu (7 %). La mobilisation du droit s’opère alors par un rapport direct à sa lettre et à sa matérialité.
26 Il ne s’agit cependant que rarement d’un rapport de proximité. Les références juridiques mobilisées se situent en effet le plus souvent à un niveau élevé de la hiérarchie des normes. Environ un quart des références précises renvoient à des sources supra-légales (Constitution, traités internationaux) ou à des dispositions des codes pénal et de procédure pénale. De fréquentes références sont faites aux droits de l’homme, à la Déclaration de 1789 ou à la Convention européenne des droits de l’homme. Si la généralité de ces références rend leur disponibilité moins problématique, elle conduit bien souvent les scripteurs à juxtaposer la description d’une situation avec l’énoncé d’une norme, sans en préciser l’articulation : « le détenu a plein de boutons dans le dos article 3 interdiction, nul ne peut-être soumis à des peines traitement inhumain et dégradant ». Ici, la citation – incomplètement référencée à la Convention européenne des droits de l’homme – est accolée à la description de l’état de santé d’un codétenu sans même un signe de ponctuation. En l’absence de l’articulation à la description de situations problématiques de ces ressources juridiques générales, c’est par sa seule invocation que le droit est censé produire ses effets.
27 Ainsi, quand le droit est mis en impuissance dans les interactions avec la justice et l’administration, les auteurs de doléances semblent se cramponner à sa matérialité, joignant parfois la copie manuscrite ou la photocopie de pages entières de sources juridiques (« d’après l’article D220 du CPP [Reproduction au verso de cette présente…] »), ou multipliant les références :
Les lois, et les droits des détenus étant en permanence baffoués, et n’ayant à priori, pas de recours entendus, de la Justice, j’ose m’adresser à vous, en déposant 4 plaintes :
[…]
4 – VIOLATION DE LA CORRESPONDANCE = Articles = 727, D.69, D.262, D.411, D.419, D.438, D.465, A.40 et A40-1 de code de procédure pénale, Arrêté du 12 mai 1997.
monsieur le controleur général, les faits de chaque plainte, vous sont exposés dans les fiches numérotées ci-jointes.
29 Ce ne sont pas loin de quarante textes juridiques différents, de la Convention européenne des droits de l’homme à de simples arrêtés, qui sont invoqués dans ce courrier. Cette accumulation est justifiée par les violations permanentes de l’administration et par l’indifférence de la justice à les rétablir. Lorsqu’elle est chassée des pratiques des acteurs administratifs et judiciaires, la capacité normative du droit se réfugie dans sa matérialité, ses chiffres et ses lettres. Ainsi, comme l’ont montré Patricia Ewick et Susan Silbey [33], la légitimité du droit comme appui normatif objectif parvient à survivre à sa contradiction par les faits, y compris par ceux attribuables à des entités censées le faire respecter.
30 Cependant, énoncer l’objectivité du droit suppose de se situer par rapport à lui, c’est-à-dire de s’affirmer comme représentant autorisé de la légalité. Nombre d’auteurs de doléances évitent de telles opérations pour atténuer leur prétention à énoncer le droit ; d’autres se détournent de l’objectivité et de la matérialité du droit pour ancrer sa capacité normative ailleurs, en soi-même : le droit devient mes droits.
II.3. Légitimer et atténuer la prétention à énoncer l’objectivité du droit
31 Les tensions propres à l’énonciation de références juridiques peuvent être saisies, en creux, dans les stratégies déployées pour mettre à distance ce qui apparaît comme des usages illégitimes du droit, incarnés par la figure culturelle du procédurier. Un seul courrier, atypique à bien des égards, la revendique explicitement dès l’en-tête, en se présentant par l’entité fictive « Procédurier and co. ». La doléance, longue et accompagnée de nombreuses pièces jointes, se situe à un niveau de généralité très élevé, utilise le « nous » de majesté, s’adresse à des interlocuteurs indéterminés et nombreux (« Chers auditeurs, chères auditrices »), dénonce « le monde carcéral » et les hypocrisies de « cet état dictocratique » [34]. Cette prétention normative s’appuie sur des références pointilleuses à l’esprit et à la lettre des « textes de loi en vigueur dans cet état dictocratique », lesquels sont à la fois dénoncés comme arbitraires et présentés comme des supports normatifs sans appel qu’il convient de faire respecter pour eux-mêmes, en dehors de tout intérêt individuel. L’auto-présentation comme procédurier se justifie ainsi par la prétention à la généralité, la mobilisation du droit comme arme offensive, en dehors de toute nécessité personnelle. Ce sont précisément ces trois éléments que tentent de mettre à distance la plupart des doléances mobilisant le droit. En particulier, lorsque celui-ci est cité dans son objectivité, cette prétention à la généralité fait presque toujours l’objet de stratégies spécifiques de légitimation ou d’atténuation.
32 Saisi dans ses usages institutionnels, le discours juridique dissout le sujet parlant dans l’objectivité textuelle du droit : « l’article A40 du code de procédure pénale énonce que ». Ce faisant, il acquiert, dans les termes de Pierre Bourdieu, une « efficacité symbolique » [35] spécifique, une posture universalisante ancrée dans un registre linguistique privilégiant les tournures impersonnelles, le recours systématique à l’indicatif de vérité général, à des verbes constatifs… Cette « force de la forme » [36] permet à ses interprètes autorisés, les juristes, de parler en toute objectivité, de faire prendre en charge par le seul droit la portée normative de l’énoncé. Ainsi, le droit est non seulement présenté comme un corpus de textes, mais ces textes sont dotés d’une capacité normative intrinsèque, affranchie des points de vue individuels. Cependant, se réclamer de l’objectivité du droit suppose de se poser en représentant autorisé de la légalité. Ainsi, lorsque, protestant contre l’accumulation de retards et de négligences dans l’obtention de ses lunettes de vue, un prisonnier écrit : « en conclusion, je dénonce que la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, les articles L.1110-1, L.1110-2, L.1110-3, L.1110-4, n’ont pas été respecté », il ne se pose plus en victime mais en porte-parole de la légalité. L’auteur de la doléance assume le seul rôle du dénonciateur : c’est la loi qui est bafouée.
33 Une telle prétention, comparable à celle revendiquée par « Procédurier and co. », s’en distingue néanmoins par la présentation de soi adoptée. Plutôt que de se revendiquer d’une entité collective fictive, la plupart des prisonniers mobilisent des stratégies destinées à conférer à leur identité rhétorique une légitimité personnelle capable de soutenir l’énonciation de références juridiques. Ainsi, 25 % des doléances revendiquent une forme de valeur sociale, pour moitié ancrée dans l’espace de la détention – en activant des éléments relationnels, professionnels, etc. Les auteurs construisent alors une supériorité morale vis-à-vis du reste de la population carcérale et éventuellement de l’administration. L’autre moitié de ces doléances se saisissent de ressources extérieures à la vie en détention pour affirmer une communauté morale avec le destinataire, souvent par la réactivation d’un statut professionnel ou familial antérieur à l’incarcération. Ces revendications d’une valeur sociale « décarcérée » [37] se heurtent néanmoins à la fragilisation du lien social avec l’extérieur. Plusieurs auteurs de doléances s’attachent ainsi à convaincre leur interlocuteur que le statut revendiqué a survécu à l’incarcération (« je suis, et je reste Fonctionnaire d’État assermenté chez France-Télécom, Direction territoriale [région] », « La prison interdit la liberté, pas d’être parents ! »). De telles opérations de présentation de soi sont associées dans 22 % des cas à la mobilisation de références juridiques précises, quand seules 5 % des présentations qui insistent davantage sur la vulnérabilité et la faiblesse du scripteur font de même.
34 L’affirmation de sa conformité à des attentes institutionnelles, notamment en termes de préparation à la réinsertion, est également mobilisée pour soutenir la prétention à énoncer le droit. Un auteur de doléance dactylographiée ancre ainsi sa prétention à invoquer le droit dans une présentation de soi affirmant à la fois sa valeur personnelle et sa conformité institutionnelle :
Je sollicite votre attention sur les difficultés rencontrées dans le cadre de mon projet de préparation à la réinsertion professionnelle. J’ai en effet la volonté de poursuivre des études de développement informatique et je fais face à l’absence de volonté de l’administration de [nom de l’établissement] d’apporter son soutien à ce projet. […] J’ai obtenu pendant ma détention les diplômes de licence et maîtrise d’informatique à l’université [nom de l’université] en 2003 […]. Les articles D.72, D.74, D.94 et D.95 précisent de plus une des missions principales de la détention est la réinsertion sociale et professionnelle des détenus. Tous ces éléments sont à même de justifier le bien-fondé de ma requête.
36 C’est en se plaçant du bon côté du droit, en prouvant l’adéquation de ses valeurs et objectifs avec ceux de la loi, en marquant que l’entité supposée incarner la loi est, elle, indifférente, que l’auteur s’autorise à fondre sa propre appréciation normative de la situation dans l’objectivité du droit. De telles stratégies sont parfois implicites, comme dans ce courrier qui rythme son argumentation d’une anaphore en « Considérant que », à la manière d’un arrêt de justice. En montrant sa maîtrise – réelle ou supposée – des codes du discours juridique, l’auteur semble alors revendiquer une appartenance au « champ juridique » [38].
37 Ainsi, la construction d’une image rhétorique susceptible de soutenir une prétention à énoncer le droit s’appuie alors sur l’affirmation d’une valeur sociale ou d’une dignité morale. Cependant, la construction d’identités rhétoriques assez robustes pour supporter une telle prétention suppose la mobilisation de ressources rares en détention. Le quotidien carcéral est en effet pauvre en éléments valorisants, et fonctionne avant tout – selon l’expression de Léonore Le Caisne – comme un lieu de « déconstruction de soi » [39]. D’autre part, l’incarcération opère une rupture avec les statuts sociaux assumés à l’extérieur, et rend difficile leur permanence [40]. De fait, peu de doléances assument de faire supporter à la seule image rhétorique de l’auteur l’énonciation du droit dans sa pleine objectivité. Le corpus foisonne au contraire de stratégies d’atténuation de la prétention à énoncer le droit. Les interlocuteurs du Contrôleur général privilégient le plus souvent des formulations affirmant la subjectivité de leur énoncé (« je pense que c’est mon droit de ne pas être avec un fumeur »). Parfois, la référence juridique est attribuée à un tiers, porte-parole autorisé du droit. C’est alors ce dernier qui assume le fait de dire le droit, et qui autorise le scripteur à ne pas entrer en contact direct avec le droit (« Le Médiateur de la République m’a écrit qu’en application de l’article D365 du Code de procédure pénale je pouvais être soigné par un médecin de mon choix »). Enfin, de nombreuses références au droit sont formulées de manière interrogative, invitant le destinataire à prendre seul l’éventuelle responsabilité d’un énoncé affirmatif (« Est-ce légal et quel recours suis-je en droit de déposer ? »).
38 Ces énonciations du droit en mode mineur constituent autant d’indices d’une indignité à énoncer le droit, laquelle entretient des liens étroits avec les difficultés à revendiquer une identité sociale positive en détention. Dans notre corpus, l’énonciation du droit en termes généraux et objectifs fait figure d’exception, quand elle est au contraire fréquemment rapportée à la subjectivité du scripteur. Ce faisant, les interlocuteurs du Contrôleur général renoncent à la légitimité d’énoncer le droit de manière objective et générale pour ancrer cette prétention dans leur subjectivité.
III. Se présenter comme sujet de droits
III.1. Du représentant de la légalité au sujet titulaire de droits
39 Dans notre corpus, la subjectivation des énoncés juridiques est bien souvent double, comme dans cette affirmation, relative à la lenteur d’un transfert vers un établissement pour peine : « je trouve que mes droit ne son pas respectér ». L’énonciation du droit est certes rapportée à la subjectivité du scripteur mais, surtout, la source de la portée normative du droit se déplace : elle ne se situe pas dans les pratiques des agents administratifs et judicaires, elle ne se situe plus dans le texte, elle réside désormais dans le scripteur lui-même. Le passage de droits objectifs, volontiers rapportés à la matérialité de leurs supports textuels, aux droits subjectifs marque une nouvelle caractérisation du droit et, avec elle, un nouveau mode de positionnement par rapport à lui. En effet, les références juridiques mobilisées dans le corpus sont énoncées dans une majorité des cas à la fois par une subjectivation de la prise en charge de l’appui normatif, et par une limitation de la portée de celui-ci. L’auteur ne parle pas au nom du droit ; il tourne le dos à sa portée universelle pour la limiter à soi, le droit fait place aux droits, à mes droits. Se trouve ainsi radicalement mise à distance la figure du procédurier et son usage vindicatif du droit ; ce qui fait la violence de la mobilisation du droit est désarmé et le discours juridique est absorbé par la revendication d’être titulaire de droits.
Récemment, j’ai ma petite nièce de 5 ans qui est décédée et ils m’ont empêché de téléphoner. Je vous prie de bien vouloir m’aider à ce que mes droits soient bien respectés.
41 Ici, le fait d’être titulaire de droits (entitlement) est affirmé comme une évidence. On est proche de ce que Sally Engle Merry décrit comme un « sens général d’avoir des droits en tant que membre d’une société normée (an ordered society) » [41]. Dans les audiences civiles qu’elle a observées aux États-Unis, les plaignants se présentent souvent devant le juge sans invoquer de catégorie juridique précise, mais expriment bien plutôt une « conscience d’être titulaire de droits » [42]. Cette conscience suppose, comme le note l’auteure, une forme d’appartenance : c’est en tant que membre d’une société, d’une communauté, d’un groupe, que les individus peuvent se réclamer de droits et d’obligations les uns envers les autres. Or, la mise à l’écart symbolique et spatiale de l’incarcération fragilise les ressources sociales de présentation de soi et, avec elles, les possibilités d’affirmation d’une appartenance. L’incarcération marque en effet une rupture avec les communautés extérieures à la détention, et le quotidien de la vie carcérale offre peu de supports à la constitution de collectifs. Rappelons à ce titre que toute action collective non sollicitée par l’administration pénitentiaire est susceptible de faire l’objet de poursuites disciplinaires [43]. Ainsi, si 10 % des doléances du corpus mobilisent le pronom personnel « nous » ou son équivalent informel « on », seules deux d’entre elles confèrent à ces collectifs non seulement une valeur descriptive (« nous sommes obliger de vivre avec les rats, les cafards, les bêtes à milles pates ») mais également une capacité d’action (« Nous avons décidés d’escaladés le grillage et de jouer au foot. On savait bien qu’on risquait un rapport d’incident et on savait bien que les surveillants allaient venir. ») Les collectifs, en détention, sont faibles, et les groupes d’appartenances – notamment familiaux –, lorsqu’ils survivent par-delà les murs, se trouvent fragilisés.
42 Ainsi, la fragilité des ressources individuelles et collectives de présentation de soi est susceptible de saper l’évidence d’être membre d’une communauté sociale, et par suite d’être titulaire de droits. « Pays des Droits de l’Homme ok, mais des hommes libres ! », s’exclame l’auteur d’une doléance. Situer la légalité en soi suppose alors de prouver sa dignité comme sujet de droits, c’est-à-dire de l’ancrer dans l’affirmation d’une forme d’appartenance. L’articulation entre construction d’une identité rhétorique et déploiement de stratégies argumentatives acquiert ici une nouvelle dimension. Lorsque l’appartenance ne s’impose pas comme une évidence, c’est la construction rhétorique de l’identité du scripteur qui autorise la revendication de certains droits. Le mode de présentation de soi détermine alors le spectre des droits dont peut se réclamer l’auteur de la doléance.
III.2. Prouver sa dignité comme sujet de droits
43 Dans un courrier dactylographié de deux pages, un homme raconte avoir été victime d’une ruse de sa fille pour l’empêcher de communiquer avec sa femme. Il s’adresse au CGLPL pour se voir « réhabilité dans [ses] droits parentaux et [lui] permettre de rappeler aussi souvent que nécessaire à [sa] fille qu’elle est encore trop jeune pour se comporter ainsi ». La revendication des droits en tant que parent s’accompagne d’importants efforts pour faire la preuve de cette qualité, et de sa permanence malgré la détention. En insistant sur le fait qu’il occupe, en tant que père, une position d’où il peut « faire la morale », et ce malgré son incarcération, l’auteur affirme son appartenance à une communauté morale d’où il peut revendiquer certains droits. Les appuis familiaux sont de fait les plus souvent mobilisés pour fonder une identité sociale positive en dehors de la détention, dans la mesure où le scripteur peut montrer qu’il continue à assumer son rôle. Corinne Rostaing a ainsi montré que le statut de parent constitue, dans les prisons pour femmes, le « statut suprême, celui qui est valorisé par les détenues et les personnels », même s’il est également vécu comme « un poids, un souci, une souffrance » [44]. Ces ressources ne sont d’ailleurs aucunement mobilisées exclusivement, ou même relativement plus, par des femmes. Nombre de prisonniers se présentent également comme des pères ou des fils qui assument la charge – et la grandeur morale – de leurs obligations familiales. La revendication de ces statuts fournit alors des appuis pour revendiquer des droits.
44 En l’absence de tels supports, certaines doléances situent leur revendication au niveau de leur ethos préalable, c’est-à-dire de « l’ensemble des données dont on dispose sur le locuteur au moment de sa présentation de soi » [45]. Dans le cadre de la communication avec le CGLPL, cet ethos préalable est limité au fait que l’auteur de la doléance est incarcéré. Or, dans nombre de courriers, la revendication de ses droits ne s’appuie pas sur l’affirmation d’une identité sociale concurrente au statut de détenu. C’est au contraire en tant que détenu que des droits sont revendiqués : « je fais la grêve de la Faim pour que mes droits de détenu soivent respecté », écrit un prisonnier. La distinction entre les droits des hommes libres et ceux des détenus est ici actée. Plutôt que de revendiquer une appartenance dépassant l’incarcération, c’est à son niveau que le fait d’être titulaire de droits est affirmé. Néanmoins, une telle prétention n’a encore rien d’une évidence. On se trouve bien souvent ici encore dans une situation où le scripteur doit « prouver son éligibilité à certains droits sociaux » [46]. Pour revendiquer des droits en tant que détenu, nombre d’auteurs de doléances tentent de se présenter comme des « détenus sans histoires » ou comme de « bons détenus » : « je travai et en plus je vais a l’ecole et je fait tout » ; « je fait tout ce qui es à mon pouvoir pour préparé ma future réincertion. J’ai payée tout mes amandes je travail en atelier où je travail tout les jours ». En activant l’ethos préalable de l’incarcération, en exposant leur conformité aux injonctions institutionnelles qui leur sont faites, ces scripteurs revendiquent une dignité en tant que détenu, dignité amoindrie, dignité par défaut, à laquelle s’attachent des droits différents de ceux des « hommes libres ».
III.3. L’humanité, entre douleur et droit
45 À un niveau plus fondamental encore, c’est à leur qualité d’être humain que s’articulent, exclusivement ou non, 17 % des stratégies argumentatives déployées dans notre corpus. C’est alors l’appartenance à une « commune humanité » [47] qui fonde le fait d’être titulaire de droits :
Mon suicide n’affêctera gêre de monde car, je suis démuni de tout, pas de parloir, pas d’argent, donc pas de droits. Vous savez, j’aurai tout de même souhaiter bénéficier de mes droits en t’en qu’être humain.
47 Lorsque tout le reste fait défaut, c’est vers son humanité que se replie l’auteur de la doléance. En ce qu’elle partage qui est humain et qui ne l’est pas, mais également ce qu’il est humain de faire et de subir de ce qui ne l’est pas, l’humanité est à la fois une communauté d’appartenance et un système normatif. Dans le corpus, la fréquente intervention de non-humains – numéros d’écrou, animaux domestiqués, etc. – marque une volonté de tracer des frontières d’humanité. Ainsi, un prisonnier, entravé toute une nuit au cours d’une hospitalisation dans un service psychiatrique, écrit : « je ne supporte pas d’être attaché comme un chien ». Par cette comparaison, le scripteur rappelle sa qualité d’être humain et marque l’incompatibilité de sa situation avec celle-ci. Ici, la seule comparaison vaut disqualification.
48 Les modes de définition des contours de l’humanité sont d’autant plus intéressants quand la notion est également mobilisée dans son acception juridique. L’humanité fait alors directement le lien entre la qualité revendiquée par le scripteur et le spectre de droits qui s’y rattachent. Cette dimension juridique se décline principalement selon deux modalités, aux implications sensiblement différentes. La première se réfère à la notion de « droits de l’homme », elle-même de fait presque associée au pays qui les a vus naître, la France. Mobilisés dans ce contexte, les droits de l’homme constituent le socle d’une communauté nationale normée dont le scripteur ne s’exclut aucunement (« Est ce là, la France ? Le Pays qui m’a vu naître, Pays des droits de l’homme ? »). En revanche, c’est bien une prétention à définir les frontières d’une humanité plus fondamentale qu’expriment par exemple les références – plus ou moins précises – à l’expression « traitements inhumains et dégradants », issue de la Convention européenne des droits de l’homme.
49 Située à l’intersection d’un mode d’appartenance fondamentale, d’un système normatif aux contours diffus et d’une norme juridique, l’humanité constitue ainsi une passerelle rhétorique entre différents registres argumentatifs. Elle mêle les registres de la supplique et de la revendication, trop souvent considérés comme distincts dans la littérature académique [48]. En cela, il paraît opportun de réévaluer, dans un contexte historique bien différent, la proposition de Michael Pollak relative à l’impossibilité d’un registre commun du droit et de la souffrance [49]. En effet, si bien des doléances se placent résolument du côté de l’exposition de la souffrance à l’exclusion de toute forme d’appui normatif, et si – symétriquement – certains auteurs mettent sans ambiguïté à distance toute forme de pathos pour parler en droit [50], près d’un quart des courriers de notre corpus articulent droit et souffrance. L’exposition de douleurs physiques ou psychologiques vient alors légitimer l’affirmation d’être titulaire de droits en tant qu’être humain, et ce d’autant plus que les faits eux-mêmes apparaissent trop particuliers pour s’accorder à un appui normatif si général. Ainsi, l’inhumanité ou le caractère « inhumain et dégradant » d’une situation ne se situent que rarement dans les faits eux-mêmes, mais bien plutôt dans les conséquences qu’ils engendrent pour les personnes. La souffrance, loin d’éloigner du registre juridique, fournit alors des appuis à sa mobilisation. C’est en tant qu’elle souffre que la personne peut se réclamer d’une commune humanité, et de la norme humanitaire.
50 Plus encore, dire sa souffrance constitue l’une des modalités les plus fréquentes de l’affirmation de la nécessité de faire usage de ses droits. C’est notamment le cas des fréquentes mentions de violences contre soi, déjà réalisées ou projetées. Présentes dans 17 % des doléances du corpus, ces références au suicide, à l’automutilation, au refus de soins vitaux, viennent objectiver une souffrance psychique insupportable (« je suis en train de perdre ma femme à cause de la peur qu’elle à et je n’ai qu’elle et je préfère mettre fin à mes jours plutôt que de rester seul et continuer à subir »). Cette dimension, omniprésente dans notre corpus, souligne en creux un aspect des usages illégitimes du droit en prison déjà évoqué : il ne suffit pas d’être titulaire de droits, il faut en avoir besoin. Le prisonnier qui fait valoir ses droits en dehors de toute nécessité marque une prétention qui dépasse la situation décrite. Il demande alors, comme le note C. Rostaing, « l’application stricte » de ses droits [51]. Au contraire, de nombreuses doléances cherchent à mettre à distance cette prétention en insistant sur le caractère mesuré, réduit à la plus stricte nécessité, de leur usage des ressources juridiques. Par exemple, un homme justifie le fait d’en appeler au droit par la modération dont il a fait preuve dans le passé, lorsque les circonstances étaient moins pressantes : « je ne sais pas si l’on peut parler de magnanime mais, je n’ai pas jugé de poursuivre ce professionnel de la santé pour mise en danger de la vie d’autrui ». On retrouve ici la caractérisation du « rejet du droit comme une preuve de force morale » [52]. Le scripteur ne se résout à mobiliser le droit que lorsque la nécessité l’y force. Au-delà du fait d’être titulaire de droits, c’est la légitimité à s’en réclamer que la souffrance vient étayer.
Conclusion. Énoncer le droit par-delà les murs, une épreuve morale
51 Le droit, sous diverses formes, occupe une place importante dans l’espace de communication complexe construit par les doléances adressées au Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Au-delà des contraintes matérielles, culturelles et organisationnelles qui pèsent sur la disponibilité du droit en détention, c’est leur dignité à énoncer le droit qui se joue dans ces doléances d’acteurs socialement affaiblis par l’incarcération elle-même et aussi, souvent, par leur trajectoire sociale.
52 Selon la manière dont le droit est invoqué, les termes de cette épreuve morale se modifient sensiblement. Situer le droit au niveau des pratiques des professionnels du droit suppose, pour des personnes incarcérées, de justifier un nouveau positionnement vis-à-vis des institutions judiciaires et administratives. Situer la capacité normative du droit dans la matérialité de ses textes suppose de revendiquer le statut de représentant légitime de l’objectivité du droit. Enfin, situer le droit dans sa subjectivité et son corps suppose s’ériger soi-même en sujet de droits, c’est-à-dire de justifier de sa qualité à être titulaire de droits. Ainsi, c’est en construisant une image rhétorique d’eux-mêmes que les interlocuteurs du CGLPL produisent des appuis pour se situer par rapport au droit, pour revendiquer leur légitimité à s’en saisir dans le cadre de leur communication avec une autorité administrative indépendante.
53 Or, si les doléances présentent une multitude de stratégies de légitimation de la prétention à énoncer le droit – par la revendication d’une valeur sociale ou d’une grandeur morale notamment –, ce sont les stratégies d’atténuation qui dominent le corpus. S’y exprime une double indignité – à énoncer le droit et à se présenter comme titulaire de droits –, qui se nourrit de la rareté, en détention, de ressources sociales positives de présentation de soi. En effet, composant nécessairement avec le stigmate de l’incarcération, ces opérations achoppent au peu d’éléments valorisants disponibles pour reconstruire une identité sociale dans le quotidien de la détention, quand les identités sociales ancrées à l’extérieur sont bien souvent fragilisées ou perdues. Les doléances reçues par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté sont ainsi saturées d’énonciations du droit en mode mineur, rapportées à la subjectivité d’un auteur qui semble lui-même s’amenuiser : le fonctionnaire et le père de famille font place au détenu sans histoire, qui s’efface à son tour devant l’être humain et l’être souffrant. L’affaiblissement social, produit et entretenu par l’incarcération, fragilise alors les ressources d’énonciation du droit et limite le spectre de ce qui peut être revendiqué en son nom [53].
Mots-clés éditeurs : Prison, Acteurs socialement affaiblis, Usages sociaux du droit, Légitimité, Doléances de prisonniers
Date de mise en ligne : 15/09/2014
https://doi.org/10.3917/drs.087.0329Notes
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[1]
En 2008, à partir de sa création en juillet, le Contrôleur général a reçu 192 saisines. Il en a reçu 1 272 en 2009 et 3 276 en 2010. Pour plus de détails, se référer aux rapports annuels de l’institution, disponibles en ligne.
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[2]
Loi n° 2007-1545 du 30 octobre 2007 instituant un Contrôleur général des lieux de privation de liberté, article 1. Sur le CGLPL, voir notamment Jacques CHEVALLIER, « Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté », in Jean-Charles FROMENT et Martine KALUSZYNSKI (dir.), L’Administration pénitentiaire face aux principes de la nouvelle gestion publique, Grenoble : PUG, 2011, p. 187-202.
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[3]
L’article 6 de la loi précise que « toute personne physique, ainsi que toute personne morale s’étant donné pour objet le respect des droits fondamentaux, peuvent porter à la connaissance du contrôleur général des lieux de privation de liberté des faits ou situations susceptibles de relever de sa compétence ».
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[4]
À partir de la définition proposée par J-P. Payet et D. Laforgue, on peut considérer que ce concept permet de désigner des individus que leur catégorisation administrative ou leur marginalité par rapport à des normes sociales fragilisent quant à la possibilité de mobiliser légitimement certaines ressources sociales dans une variété d’interactions ; Jean-Paul PAYET, Frédérique GUILIANI et Denis LAFORGUE (dir.), La voix des acteurs faibles. De l’indignité à la reconnaissance, Rennes : PUR, 2008, p. 10.
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[5]
Tous les courriers reçoivent une réponse, dans un délai moyen d’un mois (ce délai a aujourd’hui considérablement augmenté avec la montée en charge du nombre de saisines et le développement d’enquêtes approfondies). À leur arrivée, l’intégralité des courriers sont lus et annotés par le contrôleur général puis par la directrice des services administratifs. Les projets de réponse élaborés par le « pôle saisine » (à l’époque de l’observation, deux chargées d’enquête et deux stagiaires) sont également relus et validés par la directrices des services et le contrôleur général. En 2009 et 2010, environ 40 % des saisines ont donné lieu à des enquêtes auprès d’autorités. Elles servent également de support pour la préparation des visites d’établissement.
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[6]
Erving GOFFMAN, Stigmate [1963], Paris : Éditions de Minuit, 1975, p. 12.
-
[7]
Didier FASSIN, « La supplique. Stratégies rhétoriques et constructions identitaires dans les demandes d’aide d’urgence », Annales. Histoire Sciences Sociales, 55 (5), 2000, p. 955-981.
-
[8]
8. Ibid., p. 959.
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[9]
Luc BOLTANSKI (avec Yann DARRÉ et Marie-Ange SCHILTZ), « La dénonciation », Actes de la recherche en sciences sociales, 51, 1984, p. 14.
-
[10]
Isabelle THIREAU et Linshan HUA, « Le sens du juste en Chine. En quête d’un nouveau droit du travail », Annales. Histoire Sciences Sociales, 56 (6), 2001, p. 1283-1312.
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[11]
Ibid., p. 1285.
-
[12]
Liora ISRAËL, L’arme du droit, Paris : Presses de Sciences Po, 2009 et ID., « Qu’est-ce qu’avoir le droit ? Des mobilisations du droit en perspective sociologique », Revue internationale de recherche biographique, 3, 2013, p. 34-47.
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[13]
Seuls les premiers courriers concernant les établissements pénitentiaires ont été retenus, quand la compétence du Contrôleur général s’étend à l’ensemble des lieux de privation de liberté (hospitalisation sans consentement, rétention administrative, garde-à-vue, etc.). 80 % des saisines reçues par le Contrôleur général émanent directement de personnes privées de liberté. Parmi ces courriers, 92 % des lettres concernent des établissements pénitentiaires.
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[14]
En plus des travaux déjà cités, notamment Francis CHATEAURAYNAUD, « Causes de détresse et formes d’appel au secours dans le courrier adressé à l’Abbé Pierre ou à la Fondation pour le logement des défavorisés (Étude de sociologie assistée par ordinateur) », Convention Fondation Abbé Pierre-DOXA, 1996, p. 1-97 ; Jean-Claude FARCY, « “Je désire quitté la France pour quitté les prisons”. Les requêtes de prisonniers pour obtenir leur exil (années 1870) », Champ pénal, II, 2005 ; Gérard NOIRIEL, La tyrannie du national, Paris : Calmann-Lévy, 1991.
-
[15]
Barney GLASER et Anselm STRAUSS, La découverte de la théorie ancrée [1967], Paris : Armand Colin, 2012, p. 203.
-
[16]
Florence WEBER, « Publier des cas ethnographiques : analyse sociologique, réputation et image de soi des enquêtés », Genèses, 70, 2008, p. 142.
-
[17]
Yasmine BOUAGGA, « Humaniser la peine ? Ethnographie du traitement pénal en maison d’arrêt », thèse de doctorat de sociologie, Paris : EHESS, 2013.
-
[18]
Anne REVILLARD et al., La fabrique d’une légalité administrative. Sociologie du Médiateur de la République, rapport final de recherche, Université Paris 13-CERAL, 2011.
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[19]
Les problématiques propres à la personnalisation de l’institution se retrouvent dans plusieurs autorités administratives indépendantes chargées de la défense des droits fondamentaux. Voir par exemple Anne REVILLARD et al., La fabrique d’une légalité administrative, Sociologie du Médiateur de la République, op. cit.
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[20]
Les thématiques ont été codées de manière très ouverte (191 modalités), puis regroupées par recodage. Si plusieurs thématiques étaient abordées dans un courrier, on a retenu les deux problèmes sur lesquels la doléance insistait le plus. Les proportions exposées ici sont exprimés par référence à l’ensemble des thématiques codées selon cette procédure (N = 202).
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[21]
L’orthographe, la syntaxe, la ponctuation, et – lorsque le courrier était dactylographié – la mise en page des textes originaux, ont été respectées. Ces éléments linguistiques et scripturaux participent en effet à la définition de la situation de communication.
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[22]
Notamment dans Grégory SALLE et Gilles CHANTRAINE, « Le droit emprisonné ? Sociologie des usages sociaux du droit en prison », Politix, 87, 2009, p. 93-117 ; Corinne ROSTAING, « Processus de judiciarisation carcérale : le droit en prison, une ressource pour les acteurs ? », Droit et Société, 67, 2007, p. 577-595.
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[23]
Corinne ROSTAING, « Processus de judiciarisation carcérale : le droit en prison, une ressource pour les acteurs ? », art. cité, p. 590.
-
[24]
Georges BENGUIGUI, Antoinette CHAUVENET et Françoise ORLIC, « Les surveillants de prison et la règle », Déviance et société, 18 (3), 1994, p. 275-295.
-
[25]
Austin SARAT, « “… The Law is All Over”: Power, Resistance and the Legal Consciousness of the Welfare Poor », Yale Journal of Law and the Humanities, 2 (2), 1990, p. 342-379.
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[26]
Sur ce point encore peu exploré, voir les travaux de Yasmine BOUAGGA, « Rentrer dans le droit commun ? », Champ pénal, VII, 2010 et ID, « Humaniser la peine ? Ethnographie du traitement pénal en maison d’arrêt »», op. cit.
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[27]
Notamment, Grégory SALLE et Gilles CHANTRAINE, « Le droit emprisonné ? Sociologie des usages sociaux du droit en prison », art. cité ; Antoinette CHAUVENET, Corinne ROSTAING et Françoise ORLIC, La violence carcérale en question, Paris : PUF, 2008 ; Corinne ROSTAING, « Processus de judiciarisation carcérale : le droit en prison, une ressource pour les acteurs ? », art. cité ; voir également l’article, dans ce dossier, de Corinne ROSTAING, « L’ordre négocié en prison : ouvrir la boîte noire du processus disciplinaire ».
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[28]
Antoinette CHAUVENET, Corinne ROSTAING et Françoise ORLIC, La violence carcérale en question, op. cit., p. 317.
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[29]
Antoinette CHAUVENET, « Guerre et paix en prison », Les cahiers de la sécurité intérieure, 31 (3), 1998, p. 91-109.
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[30]
On s’inspire ici de la notion de « lieu sociologique de l’État » forgée par Dominique LINHARDT, « L’État et ses épreuves. Éléments d’une sociologie des agencements étatiques », Clio@Themis, 1, 2009.
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[31]
Patricia EWICK et Susan SILBEY, The Common Place of Law. Stories from Everyday Life, Chicago : The University of Chicago Press, 1998, p. 88.
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[32]
On a codé jusqu’à deux occurrences de référence au droit par courrier. Les proportions sont exprimées par rapport à l’ensemble des références codées (N = 101), réparties dans 74 doléances présentant une ou plusieurs références au droit.
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[33]
Patricia EWICK et Susan SILBEY, The Common Place of Law. Stories from Everyday Life, op. cit., p. 230-333.
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[34]
En note, le courrier explicite ce néologisme : « Dictocratie = NF. Démocratie ayant des penchants de dictature ».
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[35]
Pierre BOURDIEU, « La force du droit. Éléments pour une sociologie du champ juridique », Actes de la recherche en sciences sociales, 64, 1986, p. 15.
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[36]
Ibid., p. 43.
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[37]
Corinne ROSTAING, La relation carcérale, Paris : PUF, 1997, p. 246.
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[38]
Pierre BOURDIEU, « La force du droit. Éléments pour une sociologie du champ juridique », art. cité, p. 3.
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[39]
Léonore LE CAISNE, Prison. Une ethnologue en centrale, Paris : Odile Jacob, 2000, p. 13.
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[40]
Voir Caroline TOURAUT, La famille à l'épreuve de la prison, Paris : PUF, 2012, ainsi que son article dans ce dossier, ID., « Les proches de détenus et leurs rapports ordinaires au droit pénitentiaire ».
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[41]
Sally Engle MERRY, Getting Justice and Getting Even, Chicago : The University of Chicago Press, 1990, p. 2.
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[42]
Ibid., p. 37 et 179.
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[43]
Articles D.249-1 à D.249-3 du Code de procédure pénale. Corinne Rostaing présente la « voice collective » en prison comme une forme d’adaptation secondaire désintégrante, c'est-à-dire inassimilable par le fonctionnement de l’organisation ; Corinne ROSTAING, « L’expression des détenus », in Jean-Paul PAYET, Frédérique GUILIANI et Denis LAFORGUE (dir.), La voix des acteurs faibles. De l’indignité à la reconnaissance, op. cit., p. 121-138.
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[44]
Corinne ROSTAING, La relation carcérale, op. cit., p. 275-276.
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[45]
Ruth AMOSSY, La présentation de soi, Paris : PUF, 2010, p. 73.
-
[46]
Didier FASSIN et Estelle D’HALLUIN, « Truth from the Body. Medical Certificates as Ultimate Evidence for Asylum Seekers », American Anthropologist, 107 (4), 2005, p. 597.
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[47]
Luc BOLTANSKI et Laurent THÉVENOT, De la justification, Paris : Gallimard, 1991, p. 96.
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[48]
Voir par exemple l’opposition entre dénonciations et suppliques dans Didier FASSIN, « La supplique. Stratégies rhétoriques et constructions identitaires dans les demandes d’aide d’urgence », art. cité, p. 960.
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[49]
Michael POLLAK, L’expérience concentrationnaire, Paris : Métailié, 2000, p. 247-248. Sur la complexité de la relation entre souffrance et droit, voir Nicolas DODIER et Jeanine BARBOT, « De la douleur au droit », in Mathieu BERGER, Daniel CEFAÏ et Carole GAYET-VIAUD (dir.), Du civil au politique, Bruxelles : PIE Peter Lang, 2011.
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[50]
Par exemple, un prisonnier introduit sa doléance par une mise à distance résolue : « J’ai été condamné à 3 ans de prison ferme. Même si je trouve la peine très lourde, j’accepte la décision de la justice. Donc, je ne veux pas que l’on me plaigne. »
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[51]
Corinne ROSTAING, « Processus de judiciarisation carcérale : le droit en prison, une ressource pour les acteurs ? », art. cité, p. 586.
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[52]
Patricia EWICK et Susan SILBEY, The Common Place of Law. Stories from Everyday Life, op. cit., p. 85.
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[53]
Merci aux coordinatrices du dossier, Claire de Galembert et Corinne Rostaing, ainsi qu’à Nicolas Dodier et Liora Israël pour leurs précieuses remarques. Cet article est issu d’une recherche menée de 2010 à 2012 sous la direction de Liora Israël (Corentin DURAND, Plaintes d’outre-murs, mémoire de master 2, Paris : EHESS, 2012).