Notes
-
[1]
Jean-Paul CÉRÉ, Le contentieux disciplinaire dans les prisons françaises et le droit européen, Paris : L’Harmattan, coll. « Logiques juridiques », 1999, p. 58.
-
[2]
Cf. arrêt « Marie » du 17 février 1995 : le Conseil d’État a accepté de contrôler la légalité d’une décision disciplinaire prise à l’égard d’un détenu du fait du défaut de proportionnalité entre la sanction prononcée et la gravité de la faute.
-
[3]
Cf. décret du 2 avril 1996 modifié par la circulaire du 9 juin 2011 (liste étendue à 40 fautes : 11 infractions du premier degré touchant à la sécurité de l’établissement et à l’intégrité des personnes ; 18 fautes du deuxième degré concernent les injures et menaces à l’encontre du personnel ou des personnes détenues, le refus de se soumettre à une mesure de sécurité et la consommation de produits stupéfiants ; et 11 fautes du troisième degré, les moins graves).
-
[4]
Corinne ROSTAING, « Processus de judiciarisation carcérale : le droit en prison, une ressource pour les acteurs ? », Droit et Société, 67, 2008, p. 577-595.
-
[5]
Le droit disciplinaire pénitentiaire ne respecte pas les principes du procès pénal, à savoir la séparation des pouvoirs de poursuivre et de juger ; Mario CHIAVARIO, « Les principes du procès pénal et leur mise en œuvre dans les procédures disciplinaires », Revue internationale de droit pénal, 72 (3), 2001, p. 711-719, p. 715.
-
[6]
La thématique disciplinaire (procédures et sanctions) reste une des thématiques les plus mobilisées par la Commission nationale de la déontologie de la sécurité (CNDS), cf. CNDS, Rapport 2010, p. 85, et aujourd’hui par le défenseur des droits ou par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL), voir l’article, dans ce dossier, de Corentin DURAND, « Construire sa légitimité à énoncer le droit. Étude de doléances de prisonniers ».
-
[7]
Voir les travaux de Martine HERZOG-EVANS, « Le droit pénitentiaire : un droit faible au service du contrôle des détenus ? », in Claude FAUGERON, Antoinette CHAUVENET et Philippe COMBESSIE (dir.), Approches de la prison, Bruxelles : De Boeck Université, 1996 ; ID., Droit de la sanction pénitentiaire, Paris : Dalloz, 2004 ; ceux de Jean-Paul CÉRÉ, Le contentieux disciplinaire dans les prisons françaises et le droit européen, Paris : L’Harmattan, 1999 ; d’Éric MASSAT, « Des rapports du droit disciplinaire et du droit pénal dans l’administration », Revue de science criminelle et de droit comparé, 4, 2003, p. 743-762 ; d’Éric PECHILLON, « La prison : un service public ordinaire ? La reconnaissance du l’usager du service public pénitentiaire », Revue Fondations, 12, 2000, p. 69-78 ou de Pierrette PONCELA, « Discipline pénitentiaire. Un droit en mouvement », Revue de science criminelle et de droit comparé, 1, 2012, p. 208-215.
-
[8]
Les données chiffrées concernant les détenus informaient jusqu’en 2001 – dans des tableaux séparés – du nombre de fautes et de sanctions prononcées (par exemple, en 2000, 46 151 fautes et 38 434 sanctions), sans qu’il soit possible d’établir la correspondance entre telle faute et telle sanction. Seul le nombre des procédures disciplinaires est fourni depuis 2007.
-
[9]
Anselm STRAUSS, La trame de la négociation : sociologie qualitative et interactionnisme, Paris : L’Harmattan, 1992.
-
[10]
Un incident commis par un détenu est constaté par un surveillant qui rédige un compte rendu d'incident (CRI) ou rapport, ce qui entraîne le passage du détenu devant la commission de discipline.
-
[11]
Il s’agit de deux maisons d’arrêt (pour les prévenus ou les condamnés à de courtes peines), un centre de détention (pour les condamnés, à visée de resocialisation) et deux maisons centrales (pour les condamnés à de longues peines, régime sécuritaire).
-
[12]
Pour plus de détails, voir Antoinette CHAUVENET, Corinne ROSTAING et Françoise ORLIC, La violence carcérale en question, Paris : PUF, 2008. Le dispositif d’enquête était composé d’observations (observation directe d’« incidents », suivi de réunions, suivi de commissions disciplinaires, etc.), d’entretiens en face à face avec des détenus et des personnels ainsi que des questionnaires proposés à la fois aux détenus et aux personnels sur leurs représentations de la discipline au sein de leur établissement.
-
[13]
Suite officielle (passage en commission, sanction ou relaxe) et non officielle (classement sans suite, avertissement oral par le gradé, libération ou transfert avant le passage en commission, etc.).
-
[14]
Comme le rappelle Jean-Daniel REYNAUD, « Les régulations dans les organisations : régulation de contrôle et régulation autonome », Revue française de sociologie, 29 (1), 1988, la tradition sociologique nous apprend à opposer le système formel (officiel, explicite) de l’informel (officieux, spontané) alors que les deux systèmes sont largement entrelacés.
-
[15]
Cette catégorie administrative, reprise dans le terme de compte rendu d'incident, désigne un ensemble hétéroclite de manquements au règlement, d’incidents collectifs, d’automutilations ou tentatives de suicide, de bagarres ou d’agressions et traduit l’idée de ce qui trouble l’ordre carcéral. Le détenu est généralement désigné comme étant à l’origine de la situation.
-
[16]
Nicolas DODIER, L’expertise médicale. Essai de sociologie sur l'exercice du jugement, Paris : Métailié, 1993.
-
[17]
À savoir le surveillant ayant constaté l’infraction, le détenu concerné, l’officier décidant de la suite à donner et les trois membres qui siègent à la commission disciplinaire (un membre de la direction, un membre du personnel de surveillance et un assesseur extérieur), auxquels peuvent se rajouter éventuellement des avocats pour la défense de leur client.
-
[18]
Philip MILBURN, « De la négociation dans la justice imposée », Négociations, 1, 2004, p. 27-38, p. 32.
-
[19]
Anselm STRAUSS, La trame de la négociation : sociologie qualitative et interactionnisme, op. cit., p. 88.
-
[20]
Michel FOUCAULT, Surveiller et punir. Naissance de la prison, Paris : Gallimard, 1975, p. 238.
-
[21]
Michael IGNATIEFF, « Historiographie critique du système pénitentiaire », in Jacques-Guy PETIT (dir.), La prison, le bagne et l’histoire, Genève : Édition Médecine et hygiène, 1984, p. 9-18. M. Foucault serait « resté prisonnier d’un mythe selon lequel la modernité est rationnelle, disciplinaire, centralisée et l’Ancien régime, localisé, chaotique et violent » (p. 15).
-
[22]
Donald CLEMMER, The Prison Community [1940], New York : Holt, Rinehart and Winston, 1958 ; Gresham SYKES, The Society of Captives. A Study of a Maximum Security Prison, Princeton : Princeton University Press, 1958.
-
[23]
Erving GOFFMAN, Asiles. Étude sur la condition sociale des malades mentaux, Paris : Éditions de Minuit, 1968.
-
[24]
Antoinette CHAUVENET, Corinne ROSTAING et Françoise ORLIC, La violence carcérale en question, op. cit., p. 42. C’est le qualificatif le plus retenu (parmi les huit proposés) pour décrire le climat de la détention, par 88 % des surveillants et 79 % des détenus.
-
[25]
Claude FAUGERON, « Une théorie de la prison est-elle possible ? », in Claude FAUGERON, Antoinette CHAUVENET et Philippe COMBESSIE (dir.), Approches de la prison, op. cit., p. 15-41, p. 36.
-
[26]
Dominique MONJARDET, Ce que fait la police. Sociologie de la force publique, Paris : La Découverte, 1996.
-
[27]
Dès les premiers travaux sur les surveillants : Guy CASADAMONT, « Notes pour une sociologie du rapport surveillant(s)/détenu(s) », Revue de science criminelle et de droit pénal comparé, 1, 1991, p. 58-66 ; Antoinette CHAUVENET, Françoise ORLIC et Georges BENGUIGUI, Le monde des surveillants de prison, Paris : PUF, 1994.
-
[28]
Antoinette CHAUVENET, Corinne ROSTAING et Françoise ORLIC, La violence carcérale en question, op. cit., p. 104.
-
[29]
Gresham SYKES, The Society of Captives. A Study of a Maximum Security Prison, op. cit., p. 48.
-
[30]
Cédric MOREAU DE BELLAING, « De l’obligation à la ressource. L’apprentissage différencié des rapports au droit à l’École nationale de police de Paris », Déviance et société, 34 (3), 2010, p. 325-346, p. 331.
-
[31]
Selon l’enquête de Georges BENGUIGUI, Fabrice GUILBAUD et Guillaume MALOCHET, La socialisation professionnelle des surveillants de l’administration pénitentiaire, Paris : GIP Justice, 2008, p. 54.
-
[32]
Antoinette CHAUVENET, Corinne ROSTAING et Françoise ORLIC, La violence carcérale en question, op. cit., p. 83.
-
[33]
Grégory SALLE et Gilles CHANTRAINE, « Le droit emprisonné ? Sociologie des usages sociaux du droit en prison », Politix, 87, 2009, p. 97-117, p. 114.
-
[34]
Antoinette CHAUVENET, « Guerre et paix en prison », Cahiers de la sécurité intérieure, 31, 1998, p. 91-109, p. 108.
-
[35]
Nancy LOUCKS, « La gestion de l’indiscipline : une étude comparative », in Claude FAUGERON, Antoinette CHAUVENET et Philippe COMBESSIE (dir.), Approches de la prison, op. cit., p. 310.
-
[36]
Martine Herzog-Evans qui rapporte son expérience d’assesseur extérieur en commission dans une maison d'arrêt donne l’exemple contraire, et plutôt exceptionnel selon elle, d’un établissement qui tend à faire passer un grand nombre d’affaires en commission disciplinaire. Les cas de relaxe sont alors nombreux (cf. communication au colloque Trudeau, Lyon, 27 novembre 2013) ; voir Martine HERZOG-EVANS, « Aspects pratiques de la procédure disciplinaire en France », AJ Pénal, 12, 2013, p. 660-664.
-
[37]
Gérard LAMBERT, « La mécanique disciplinaire. Approche sociologique de la discipline pénitentiaire », in Pierre V. TOURNIER (dir.), Enfermements. Populations, espaces, temps, processus, politiques, Paris : L’Harmattan, 2012, p. 30.
-
[38]
84 % des surveillants ayant répondu choisissent les réponses « très peu » ou « pas du tout sévère » parmi les quatre réponses proposées (« pas du tout », « très peu », « assez », « trop »).
-
[39]
Antoinette CHAUVENET, Françoise ORLIC et Georges BENGUIGUI, Le monde des surveillants de prison, op. cit., p. 110.
-
[40]
Erving GOFFMAN, Les rites d’interaction, Paris : Éditions de Minuit, 1974, p. 9.
-
[41]
Corinne ROSTAING, La relation carcérale. Identités et rapports sociaux dans les prisons de femmes, Paris : PUF, 1997, p. 177.
-
[42]
Au sens de Max WEBER, Essais sur la théorie de la science [1917], Paris : Plon, 1965.
-
[43]
Dans cet établissement, les refus de fouilles (25 cas) étaient majoritairement classés comme un refus d’obtempérer (faute du troisième degré), plus rarement comme un refus de se soumettre à une mesure de sécurité (faute du deuxième degré).
-
[44]
Dominique MONJARDET, Ce que fait la police. Sociologie de la force publique, op. cit., p. 206.
-
[45]
Howard S. BECKER, Outsiders. Études de sociologie de la déviance, Paris : Métailié, 1985, p. 37.
-
[46]
Après plusieurs condamnations de l’administration pénitentiaire pour la mise en place de régimes de fouilles intégrales systématiques des détenus dans des établissements (Marseille, Poitiers, Strasbourg, etc.), le juge administratif sanctionne également la pratique des fouilles intégrales aléatoires (cf. arrêt du 26 septembre 2012).
-
[47]
Antoinette CHAUVENET, Corinne ROSTAING et Françoise ORLIC, La violence carcérale en question, op. cit., p. 205.
-
[48]
Christophe DUBOIS, « Le fonctionnement concret d’un quartier de détention pour femmes : ressorts organisationnels et implications sur l’identité personnelle des surveillants », SociologieS, mis en ligne le 3 juillet 2007. En ligne : <http://sociologies.revues.org/203>.
-
[49]
William L. F. FELSTINER, Richard L. ABEL et Austin SARAT, « L’émergence et la transformation des litiges : réaliser, reprocher, réclamer… », Politix, 16, 1991, p. 41-54, p. 41 ; traduction de « The Emergence and Transformation of Disputes. Naming, Blaming, Claiming », Law and Society Review, 15 (3-4), 1980-1981.
-
[50]
Plus de 85 % des personnels ayant répondu aux questionnaires (N = 384) disent avoir fait l’objet d’insultes au cours des deux dernières années.
-
[51]
Erving GOFFMAN, Les rites d’interaction, op. cit., p. 15. Garder la face est la condition de l’interaction et non son but.
-
[52]
Le nombre de recours administratifs préalables (RAP) s’élève à 1 172 pour 65 323 procédures disciplinaires en 2011 (cf. DIRECTION DE L’ADMINISTRATION PÉNITENTIAIRE, Rapport d’activité 2011, Paris : Ministère de la Justice, 2012) : 772 sanctions ont été confirmées, 128 annulées et 67 réformées (requalification, modification du quantum). 28 décisions du tribunal administratif (TA) sur des procédures disciplinaires ont été prononcées en 2011.
-
[53]
Les réunions de la commission de discipline varient énormément d’un établissement à l’autre, de plusieurs fois par semaine en maison d’arrêt à deux fois en une année (cf. SÉNAT, Rapport d’activité 2000).
-
[54]
En 2011, 39 % des procédures disciplinaires bénéficient du concours d’un avocat (DIRECTION DE L’ADMINISTRATION PÉNITENTIAIRE, Rapport d’activité 2011, op. cit.). Ce taux s’élève à 72 % pour la maison centrale étudiée.
-
[55]
Sous le terme « avertissement » se cachent deux pratiques : la sanction générale inscrite au dossier ou la réprimande orale sans passage en commission.
-
[56]
William L. F. FELSTINER, Richard L. ABEL et Austin SARAT, « L’émergence et la transformation des litiges : réaliser, reprocher, réclamer… », art. cité, p. 49.
-
[57]
Le nombre de places varie entre une dans les petits quartiers à vingt-trois dans un établissement sécuritaire.
-
[58]
Erhard FRIEDBERG, « Pouvoir et négociation », Négociations, 12, 2009, p. 15-22, p. 16.
-
[59]
Le transfèrement n’est plus une mesure d’ordre intérieur. Il est susceptible de recours, à condition que celui-ci ait des effets sur la vie du détenu (CE [Conseil d’État], 23 février 2000, Glaziou).
-
[60]
Jean-Daniel REYNAUD, Les règles du jeu. L’action collective et la régulation sociale, Paris : Armand Colin, 1993 (voir dans le chapitre 4, la partie sur l’autonomie et le contrôle dans l’organisation).
-
[61]
Erving GOFFMAN, Les rites d’interaction, op. cit., p. 20.
-
[62]
Dominique MONJARDET, Ce que fait la police. Sociologie de la force publique, op. cit., p. 37.
-
[63]
Stuart MACAULEY, « Non-Contractual Relations in Business: A Preliminary Study », American Sociological Review, 28 (1), 1963, p. 55-67, p. 55.
-
[64]
Gilles CHANTRAINE et Nicolas SALLÉE, « Progrès pénitentiaire, régression éducative ? », Les Cahiers dynamiques, 52, 2011, p. 28-34.
-
[65]
L’évadé passait ainsi par la « haie d’honneur », des surveillants alignés qui lui donnaient des coups. Aucun personnel n’adressait la parole à un détenu puni.
-
[66]
Dominique MONJARDET, Ce que fait la police. Sociologie de la force publique, op. cit., p. 88.
-
[67]
Pierrette PONCELA, « Discipline pénitentiaire. Un droit en mouvement », art. cité, p. 209, indique que l’ampleur des tâches du chef d’établissement ne lui permet pas de présider lui-même toutes les commissions de discipline et elle cite l’exemple de la maison d'arrêt des Hauts-de-Seine où il y a trois ou quatre commissions par semaine occupant chacune une demi-journée.
-
[68]
R. King et K. Mac Dermott confirment : les officiers se méfient des personnels qui font trop facilement des rapports. Roy D. KING et Kathleen McDERMOTT, « “My Geranium is Subversive”: Some Notes on the Management of Trouble in Prisons », The British Journal of Sociology, 41 (4), 1990, p. 445-471, p. 457.
-
[69]
D’autres négociations auraient pu être étudiées, par exemple celles entre le détenu et son avocat.
-
[70]
Liora ISRAËL, « Les mises en scène d’une justice quotidienne », Droit et Société, 42-43, 1999, p. 393-421.
-
[71]
Erving GOFFMAN, La mise en scène de la vie quotidienne, tome 2, Les relations en public, Paris : Éditions de Minuit, 1973, p. 213.
-
[72]
Voir ID., Les rites d’interaction, op. cit., p. 20. Deux sanctions sur trois prononcées dans l’établissement étudié le sont avec sursis. À plusieurs reprises, on a pu lire sur le document justifiant la décision de la commission : « Le détenu reconnaît les faits mais comme il s’est excusé et dit regretter les faits, il est condamné à […] avec sursis. »
-
[73]
Roy D. KING et Kathleen McDERMOTT, « “My Geranium is Subversive”: Some Notes on the Management of Trouble in Prisons », art. cité, p. 447.
-
[74]
Marie VERHOEVEN, « Les mutations de la discipline scolaire. Négociation des règles et résolution des conflits dans quatre établissements contrastés », Déviance et société, 22 (4), 1998, p. 389-413.
-
[75]
Ne sont reportés au niveau de l’échelon supérieur, à la direction interrégionale ou à la direction de l’administration pénitentiaire que les cas les plus graves, ceux qui nécessitent par exemple des poursuites pénales en plus des poursuites disciplinaires, ou quand une mesure de transfèrement dans un autre établissement est sollicitée.
-
[76]
Anselm STRAUSS, La trame de la négociation : sociologie qualitative et interactionnisme, op. cit., p. 104.
-
[77]
Il s’agit plutôt d’un ordre de grandeur pour des établissements de même taille : dans la maison d’arrêt, 626 CRI ont été rédigés annuellement pour 234 détenus au 1er janvier 2011 ; dans le centre de détention, 368 CRI pour 215 détenus et dans la maison centrale, 176 CRI pour 225 détenus. Ce ratio n’est pas significatif puisqu’il est calculé à partir du nombre moyen de détenus et non du flux (plus de turn-over en maison d’arrêt qu’en maison centrale).
-
[78]
Antoinette CHAUVENET, Corinne ROSTAING et Françoise ORLIC, La violence carcérale en question, op. cit., p. 119-123.
-
[79]
Même si le gradé « parlemente » pour convaincre un détenu de réintégrer sa cellule, s’il s’obstine, in fine, c’est la force qui prévaudra avec la mise au quartier disciplinaire (QD). Les trois quarts des surveillants questionnés (N = 384) déclarent avoir eu recours à la force au cours des deux dernières années, principalement lors d’interventions pour conduire un détenu récalcitrant au QD ou pour séparer les protagonistes d’une bagarre.
-
[80]
L’état des douches au sport ne permet pas aux détenus sportifs de prendre une douche sur place. Le moniteur de sport doit faire remonter à temps les détenus pour qu’ils aient le temps de la prendre avant la fermeture des cellules.
-
[81]
Howard S. BECKER, Outsiders. Études de sociologie de la déviance, op. cit., p. 33 : « Le même comportement peut constituer une transgression des normes s’il est commis à un moment précis ou par une personne déterminée, mais non s’il est commis à un autre moment ou par une autre personne. »
-
[82]
Anselm STRAUSS, La trame de la négociation : sociologie qualitative et interactionnisme, op. cit., p. 88.
-
[83]
Comme l’explique, dans son article publié dans ce dossier, Claire DE GALEMBERT, « “La prière qui n’existe pas…”. Sociologie d’une mise à l’épreuve du droit disciplinaire en maison centrale ».
-
[84]
Howard S. BECKER, Outsiders. Études de sociologie de la déviance, op. cit., p. 36.
-
[85]
William L. F. FELSTINER, Richard L. ABEL et Austin SARAT, « L’émergence et la transformation des litiges : réaliser, reprocher, réclamer… », art. cité, p. 45.
-
[86]
Howard S. BECKER, Les ficelles du métier. Comment conduire sa recherche en sciences sociales, Paris : La Découverte, 2002.
-
[87]
Ce problème est le même à l’école : Bénédicte CHEVIT, « Commission disciplinaire et conseil de discipline. Désaccords et accords autour de la convocation d’une instance disciplinaire dans un collège à recrutement social intermédiaire », Déviance et société, 27 (4), 2003, p. 483-503.
-
[88]
Michel FOUCAULT, Surveiller et punir. Naissance de la prison, op. cit., p. 49.
-
[89]
Ce modèle, proposé par Gilles Chantraine, à partir de l’observation des pénitenciers fédéraux canadiens, fonctionne davantage aux récompenses qu’aux peines : « il faut leur donner beaucoup pour qu’ils aient beaucoup à perdre », Gilles CHANTRAINE, « La prison post-disciplinaire », Déviance et société, 30 (3), 2006, p. 273-288, p. 284.
-
[90]
Notion d’acteur faible en référence à Jean-Paul PAYET, Frédérique GUILIANI et Denis LAFORGUE (dir.), La voix des acteurs faibles. De l’indignité à la reconnaissance, Rennes : PUR, 2008.
-
[91]
Liora ISRAËL, « Les mises en scène d’une justice quotidienne », art. cité, p. 416.
-
[92]
L’auteure adresse ses plus vifs remerciements aux relecteurs de ce texte, en particulier à Nicolas Dodier.
1 Le droit disciplinaire pénitentiaire, devenu « une branche vivante du droit » [1], s’est considérablement transformé entre 1995 et 2000 sous l’effet de l’ouverture de l’action disciplinaire à la vie juridique [2], de la mise en place de 36 infractions [3], de l’entrée des avocats dans les commissions de discipline et de l’obligation de motiver la décision disciplinaire (loi générale du 12 avril 2000). Partie prenante d’un processus plus large de judiciarisation croissante de la prison [4], ce droit offre aux personnes détenues de nouvelles ressources même si ces changements ne garantissent ni un fonctionnement parfaitement démocratique [5], ni l’absence d’arbitraire [6]. Si de nombreux travaux souvent juridiques se sont interrogés sur la transformation du droit pénitentiaire en soulignant sa dimension plus légaliste [7], peu se sont attachés à saisir le processus disciplinaire carcéral en action dans son fonctionnement concret alors même que les données officielles sont très parcellaires [8].
2 L’analyse des pratiques disciplinaires proposée ici s’inspire de l’approche interactionniste chère à Anselm Strauss [9], sociologue américain qui s’inscrit dans une perspective anti-déterministe. Ce dernier place au centre de son programme l’étude des processus et des actions collectives, et notamment celle de la coordination des activités et des interactions pour expliquer l’ordre social comme production collective. Il s’agira d’explorer la partie la plus invisibilisée et souvent informelle du processus disciplinaire en prison, afin de décortiquer les décisions pratiques et les interactions entre les acteurs, au lieu de se cantonner à la présentation habituelle de la procédure réduite à une suite logique de décisions qui s’enchaîneraient mécaniquement jusqu’à la sanction [10].
3 Ce travail, commencé lors de notre enquête sur la violence carcérale au cours de laquelle l’activité disciplinaire de cinq établissements [11] a été analysée [12], s’est poursuivi de façon plus discontinue sur deux maisons centrales en 2010-2011. Il a bénéficié d’un matériau unique grâce au recueil systématique de tous les comptes rendus d’incident d’un centre pénitentiaire (maison d’arrêt et centre de détention) par une surveillante du Bureau de gestion de la détention (BGD) qui prenait soin de noter la suite officielle ou non qui leur était donnée [13].
4 Analyser le fonctionnement concret du processus disciplinaire suppose donc de modifier doublement la perspective habituelle. Cela implique d’abord de considérer le déploiement complet de ce processus, bien en amont du compte rendu d’incident (CRI). Le processus disciplinaire peut être ainsi défini comme une série de décisions et actions – formelles et informelles [14] – qui concourent à faire entrer une transgression du règlement dans la procédure officielle. L’analyse de l’ensemble de ces actions qui contribuent à transformer un incident [15] en une éventuelle sanction suppose alors de « désagréger les acteurs collectifs » [16] afin de dégager la pluralité des interventions, celles d’au moins quatre types d’acteurs [17]. L’étude de façon symétrique, aussi bien des motivations pour lesquelles les surveillants rédigent des CRI que de celles pour lesquelles ils n’en rédigent pas, met en lumière des activités habituellement invisibilisées, notamment la non-transformation de certains incidents en rapports. Seront analysées selon ce principe les raisons qui incitent la hiérarchie à poursuivre ou à ne pas poursuivre.
5 L’idée de prendre au sérieux la notion de co-construction de l’ordre social développée par Anselm Strauss invite ensuite à étudier l’ensemble des négociations tout au long du processus disciplinaire. A. Strauss part en effet de l’hypothèse que l’ordre n’est pas imposé de manière unilatérale par l’administration mais qu’il faut qu’il y ait une part de consentement dans un équilibre toujours en redéfinition. Cette idée, appliquée à la discipline, requiert d’étudier, en reprenant les termes de Philip Milburn, « la part non négligeable de négociation enfouie dans la boîte noire de son fonctionnement réel » [18]. Détenus et personnels ont peut-être intérêt, pour maintenir une part d’ordre, cette « chose à laquelle les membres de toute société, de toute organisation, doivent “travailler” » [19], à éviter la procédure officielle ou à négocier son arrêt.
6 L’ouverture de la boîte noire du processus disciplinaire nous conduira à analyser dans une première partie ce qui se passe en amont de la procédure officielle. Nous examinerons dans une deuxième partie, à partir des interactions entre les différents protagonistes, leurs motivations à passer ou non par la procédure officielle. La dernière partie s’attachera enfin à rendre compte de la dimension structurée de l’ordre négocié disciplinaire, qui ne se fait ni n’importe comment, ni entre n’importe qui.
I. Un recours modéré à la procédure officielle
7 La vie quotidienne carcérale, faite de multiples interdictions, privations et empêchements, déploie à l’infini l’étendue des déviances et incidents potentiels puisque tout ce qui n’est pas expressément autorisé est interdit. Les personnels auraient l’occasion d’utiliser trente fois par jour le rapport d’incident. Or ils n’en font usage qu’avec parcimonie. Comment l’expliquer ? Le système carcéral ne repose pas sur la stricte application des règles formelles, encore moins sur le repérage systématique des infractions ou sur l’application automatique de sanctions. Nous verrons que ses règles sont labiles, que la rédaction d’un rapport n’est pas la règle et que le déroulement de la procédure disciplinaire est plus incertain qu’il n’y paraît.
I.1. La labilité des règles en contexte carcéral
8 Le livre Surveiller et punir de Michel Foucault a fait de la prison un « appareil disciplinaire exhaustif » [20] en s’appuyant sur des documents relatifs à la période du grand renfermement des années 1830-1840, celles de la construction des maisons centrales, du travail obligatoire et de l’imposition de la loi du silence. Les travaux des historiens se sont opposés à cette image d’une prison réduite à un système rigide et parfaitement disciplinarisé [21] et ils ont documenté dans des monographies d’établissements la difficulté à faire appliquer la discipline en prison. De même, les premiers travaux de sociologie carcérale américaine, ceux de Donald Clemmer ou Gresham Sykes [22], ont bien montré que les règles sont loin d’être parfaitement appliquées en prison et que le contrôle n’est jamais total, même dans celles les plus sécuritaires. Ils se positionnent dans le sillage d’Erving Goffman qui, analysant le fonctionnement complexe de l’institution totale, soulignait l’écart entre les fonctions officielles affichées et les pratiques réelles et l’étendue des possibilités d’actions des reclus à travers les adaptations secondaires [23]. Si la vie en institution totale est fondamentalement routinière, puisque les modalités de fonctionnement sont minutieusement réglées, en compagnie des mêmes personnes, elle reste cependant marquée par l’imprévisibilité [24]. En prison, il n’y a d’autre événement possible que l’incident, ce qui perturbe l’ordre interne ou externe. Ce sont les détenus qui créent l’événement, cognent dans les portes, s’automutilent, cassent leur cellule ou y mettent le feu, injurient ou agressent les personnels ou leur codétenu ou refusent d’obtempérer aux ordres donnés. L’analyse du travail des surveillants montre que si discipline il y a, elle a d’abord un objectif de maintien de l’ordre, c’est-à-dire dépourvu de contenu, sans volonté de changement des individus à moyen ou long terme [25]. Elle n’a pas, contrairement à la pensée foucaldienne, un objectif de modelage des corps et des esprits.
9 L’activité des surveillants, à l’inverse de l’activité productive des policiers dont les résultats se mesurent en nombres d’actes (timbres-amendes, flagrants délits, déferrements) [26], est d’abord évaluée à partir d’un état, le calme de la détention, l’absence d’incident. Et, pour l’obtenir, a été soulignée l’importante autonomie opérationnelle des surveillants [27]. Cette dernière résulte de la part de pouvoir discrétionnaire revenant aux agents en creux de ce qui a été décrit comme la labilité des règles, labilité qui participe au fonctionnement même de l’organisation carcérale [28]. On observe que les règles qui régissent le monde carcéral sont dénuées des attributs essentiels qui leur permettent d’assurer leur fonction : la clarté, la certitude et la légitimité. Dépourvues de réciprocité, elles ne relèvent que de la contrainte. Elles ont un pouvoir faible et sont peu efficaces, ce qui a pour effet de placer les surveillants dans une situation d’injonction contradictoire : ne pas appliquer le règlement c’est se mettre en infraction, l’appliquer c’est prendre le risque de « mettre le feu à l’étage ». Gresham Sykes, lors de son étude dans une prison de sécurité, soulignait déjà que le pouvoir des personnels est plus formel que réel et qu’il est le plus souvent tenu en réserve [29] Ce qui contribue le mieux à assurer la sécurité de la détention, c’est d’abord pour 55 % des surveillants interrogés leur savoir-faire, puis la cohésion de l’équipe (42 % des répondants). L’application du règlement est reléguée loin derrière, ce qui témoigne de la faiblesse de la discipline en tant que moyen d’assurer la sécurité dans les murs. Ici, comme pour les policiers étudiés par Cédric Moreau de Bellaing [30], si la formation tend à favoriser le juridisme des novices par l’apprentissage de la pratique de la procédure, l’expérience tend à en réduire l’usage.
Lors du tri des CRI, Éric, le chef de détention de la maison d’arrêt classe « sans suite » le rapport rédigé par un élève pour refus d’obtempérer : « C’est sûr qu’un surveillant titulaire ne lui aurait pas fait de rapport pour ça ! (Il lit) “Le détenu a refusé d’enlever sa serviette qui couvrait sa fenêtre.” Bon on l’enlève et puis c’est tout. »
11 L’enquête longitudinale sur la socialisation professionnelle des surveillants montre l’effet de l’apprentissage en situation [31]. À la question : « si un surveillant a un accrochage avec un détenu, il vaut mieux plutôt : (1) rédiger un rapport d’incident ou (2) régler le problème en tête à tête », 71 % des stagiaires à l’entrée de l’École nationale d’administration pénitentiaire (ENAP) choisissent de rédiger un rapport (contre 29 % pour la réponse 2) tandis qu’après une année d’ancienneté, le rapport s’est inversé : ils ne sont plus que 38 % à choisir le rapport (contre 62 % pour régler le problème « entre quatre yeux »).
12 Dotés de par la loi d’un pouvoir disciplinaire, les surveillants découvrent sur le terrain que l’autorité se gagne auprès des détenus, en s’abstenant de l’exercer [32]. Le surveillant, souvent seul au milieu de cinquante à quatre-vingts détenus, s’il a une grande latitude pour choisir la manière de gérer sa division, n’est « maître de son étage » qu’avec la coopération des détenus. Le fonctionnement structurel de l’institution sécrète immanquablement des privilèges, des échanges informels, des transactions aux marges du droit (y compris pour faciliter l’usage d’un droit) [33]. La métaphore du dispositif guerrier mobilisée par Antoinette Chauvenet [34] pour analyser la prison illustre comment les surveillants, pour gagner la coopération des détenus et éviter les explosions, initient un système d’échanges, de dons et contre-dons afin de négocier une « paix armée ». Guerre et paix ne se séparent pas en prison : « guerre d’usure », tactiques pour diviser les détenus, recherche d’informations auprès des balances constituent des moyens de riposte aux tactiques des détenus pour gêner le fonctionnement du système, retarder le travail des personnels, les déborder, les agresser, défier l’autorité ou se mutiner.
13 Il n’empêche qu’en dernier ressort seront mobilisés l’usage de la force et le recours à des sanctions, sanctions d’autant plus redoutées en France que les détenus encourent des pénalisations double ou triple pour la même infraction : d’abord par la commission disciplinaire, puis par les tribunaux externes si cette infraction est aussi un délit ou un crime, et enfin par le juge d’application des peines qui peut supprimer la remise de peine ou refuser d’accorder une permission de sortie [35]. L’analyse des résultats de la commission disciplinaire du centre de détention étudié, pour l’année 2003, confirme l’importance des sanctions (seulement 4 cas de relaxes sur 141) [36] et la fréquence des punitions de cellule (plus de 68 % des sanctions officielles). Gérard Lambert constate lui aussi le faible nombre de relaxes (21 sur 222 procédures) et la fréquence du placement au quartier disciplinaire, quel que soit le motif de la convocation devant la commission [37].
14 Ces données semblent cependant contradictoires avec les résultats de l’enquête quantitative que nous avons menée sur la violence carcérale. En effet, les réponses des détenus (N = 220) sur la politique disciplinaire de leur établissement, plus dispersées que celles des personnels (N = 384) [38], s’en rapprochent cependant : 42 % des détenus considèrent la discipline de leur établissement comme « peu » ou « pas du tout » sévère, 38 % l’estiment « assez sévère » et 20 % la jugent « trop sévère ». Comment expliquer ce sentiment de faible sévérité de la discipline alors que les décisions des commissions de discipline prononcent encore essentiellement (à plus de 70 %) des punitions de cellule, le fameux « mitard » tant redouté des personnes détenues ?
I.2. La rédaction d’un rapport, l’exception qui confirme la règle
15 La rédaction d’un rapport, selon nos observations, n’est pas la règle mais plutôt l’exception. Les professionnels observent régulièrement des comportements qui auraient pu faire l’objet d’un rapport étant donné le nombre d’infractions potentielles. Nombreux sont ceux qui ont sciemment décidé de ne pas les reporter, surtout quand on sait que 83 % des personnels de surveillance affirment mettre « peu », « rarement » ou « jamais » de CRI [39]. Comment comprendre cette affirmation ? De quelle manière les personnels problématisent-ils concrètement leur action quand ils constatent un incident ?
16 La hiérarchisation des fautes selon leur gravité et la perception d’une intention de nuire à la sécurité des agents ou de l’établissement sont souvent prises en considération. Sont ainsi distinguées les infractions qualifiées de « mineures » des incidents les plus graves, comme l’agression physique d’un agent, qui ne laissent guère de doute sur la suite à donner (report et passage en commission de discipline). Mais cette distinction ne suffit pas à déterminer la position de chaque agent, d’autres critères d’appréciation interviennent : le comportement des collègues, le contexte de l’établissement, la personne de l’infracteur ou la qualité de leur relation mais aussi ses représentations de l’ordre.
17 Car la manière de gérer son étage ou de considérer la transgression entre en jeu dans la décision du professionnel de reporter ou non une infraction. C’est ainsi qu’il exprime son point de vue sur la situation, sa ligne de conduite. Qu’il ait ou non l’intention d’adopter une telle ligne, l’individu finit toujours par s’apercevoir qu’il en a effectivement suivi une [40]. Deux lignes de conduite sont souvent distinguées : les « rigides » et les « cools ». Jacques définit la sienne :
Certains surveillants ont une rigidité propre, avec un côté militaire. Eux, ils s’en tiennent au règlement. Selon moi, on peut très bien fermer les yeux du moment que la sécurité n’est pas en jeu. Je ne dirai pas grand chose s’ils se promènent torse nu ou s’ils fument dans le couloir. On ne va pas ennuyer un détenu qui est là pour des années pour des conneries. Le discours sur les détenus qui ont tous les droits, ça me gonfle.
(Jacques, surveillant, 15 ans d’expérience, maison centrale)
19 Jacques se rapproche du rapport au travail missionnaire, caractéristique des surveillants qui acceptent de négocier facilement les règles, donnent la priorité à leurs relations aux détenus et ont un faible recours aux sanctions [41]. Ce type de rapport idéaltypique [42] au travail se distingue du rapport statutaire pour ceux qui font une application stricte du règlement, ont un rapport autoritaire aux détenus et recourent fréquemment à des sanctions. Prenons l’exemple des refus de fouilles qui représentent pour un des établissements étudiés plus de 8 % des CRI rédigés [43]. Samuel et Stanley analysent différemment la situation :
C’est souvent qu’ils demandent à ne pas baisser le caleçon, c’est humiliant. Moi je comprends. C’est pas par là qu’ils vont faire entrer des armes ! C’est plutôt du cannabis. Et ça, c’est pas mon problème !
(Samuel, surveillant, 15 ans d’ancienneté, maison d’arrêt)
La fouille, c’est essentiel pour notre sécurité. Si les gars sont en contact avec leurs proches, ils peuvent recevoir des objets interdits. C’est sérieux. On ne plaisante pas avec cela ! Même si le gars veut m’amadouer : « S’il vous plaît, Surveillant ! » Moi cela me laisse de marbre. « La fouille, c’est la fouille. On baisse son slip. » Le gars qui refuse, c’est rapport. Il connaît le règlement, un point c’est tout.
(Stanley, surveillant, 8 ans d’ancienneté, maison d’arrêt)
21 Stanley, dans un rapport plus statutaire au métier, dit s’en tenir à la lettre au règlement. Il estime que le risque de ne pas pratiquer une fouille complète est trop grand pour la sécurité de l’établissement. Il appartient même au registre des veux-pas-le-savoir [44] puisqu’il refuse de céder aux sollicitations du détenu conformément à sa conception légaliste de l’ordre. Samuel, proche de la logique missionnaire, justifie son attitude par deux arguments, la dignité du détenu humilié par les fouilles et l’inefficacité de ces dernières. Il estime préférable de maintenir une relation convenable avec le détenu puisque les fouilles ne permettent pas selon lui de trouver des armes mais plutôt du cannabis (consommation qu’il jugera peu problématique dans la suite de l’entretien). À la règle écrite qui paraît de plus en plus désuète pour de nombreux agents se substitue une règle pratique de tolérance surtout si sa transgression ne suscite aucune réaction de la part de la hiérarchie. C’est ainsi que, comme l’écrit Howard S. Becker, « certaines normes – mais pas toutes – sont transgressées impunément » [45]. Les arguments discursifs que Samuel évoque pour justifier le fait de ne pas pratiquer la fouille ont d’ailleurs été pour partie repris par le juge administratif [46].
22 Lorsque les surveillants relèvent ces différentes manières de travailler, distinguant les « sécuritaires » de ceux qui « font du social », ils considèrent souvent qu’il faut ces deux types de comportements pour faire marcher une prison, sinon elles exploseraient, ou bien ils en perdraient le contrôle [47]. Les plus sévères remettent en application le règlement, l’outil de travail essentiel du surveillant, les plus « cools » l’interprètent librement afin de réduire les tensions, c’est la coexistence des pairs (sociaux) et des impairs (sécuritaires) qui contribue, comme l’a observé Christophe Dubois, à l’équilibre de la détention [48]. Si la conception de l’ordre joue un rôle sur le recours au rapport d’incident, la judiciarisation a également eu un effet.
I.3. L’effet de la judiciarisation sur la procédure
23 La présentation standardisée du processus disciplinaire en prison – du CRI à la sanction – ne correspond qu’à la partie émergée de l’iceberg alors que le processus de transformation est complexe et débute bien en amont. William L. F. Felstiner, Richard L. Abel et Austin Sarat ont étudié les litiges comme le fruit d’une série de transformations d’une expérience offensante inaperçue en une expérience offensante perçue (naming) qui devient un grief imputable à la faute d’une personne (blaming), grief qui se mue enfin en réclamation auprès de l’entité désignée responsable (claiming), puis en litige si cette réclamation n’est pas reconnue comme légitime [49]. Nous allons analyser, à la manière de W. L. F. Felstiner, R. L. Abel et A. Sarat, comment des faits observés par des personnels peuvent devenir des infractions constatées puis des sanctions disciplinaires, suite à un processus complexe qui suppose ici de reformuler l’énoncé qui devient : constater, poursuivre et sanctionner.
24 Or la première étape, le constat, n’est pas évidente tant les dispositifs tels l’observation des comportements ou de leurs changements (de fréquentations ou d’habitudes), les contrôles mis en place (fouilles des cellules, fouilles corporelles, barreaudages), les surveillances par caméras ou le constat de traces de coups ou de fraudes s’avèrent insuffisants. Tout comme pour la délinquance dont on ne connaît généralement que les faits constatés par la police et la gendarmerie ou ceux reportés par les victimes, il est impossible de mesurer l’étendue des « incidents ». Nombreux sont ceux qui ne sont jamais constatés (le surveillant ne voit pas tout, les trafics ou règlements de compte se font à l’abri des regards) ni dénoncés (des victimes potentielles hésitent à parler par peur des représailles, notamment en cas de rackets ou d’agressions sexuelles).
25 D’autres ne peuvent faire l’objet d’un constat faute de pouvoir, avec la judiciarisation, respecter les conditions nécessaires à leur report notamment le fait d’établir un lien clair entre une infraction et un auteur. Il est fréquent lors des bagarres entre détenus de ne pas pouvoir distinguer le rôle de l’agresseur et de la victime parmi les protagonistes ou d’identifier l’auteur des insultes, comme l’explique Hichem :
— Souvent, c’est les insultes [50]. Il y en a qui pètent les plombs mais ça ne me touche pas. Et ça m’arrive souvent de ne pas mettre de rapport. J’ai mis deux ou trois comptes rendus d’incident pour ça et ça m’est arrivé six ou sept fois.
— Donc ce n’est pas systématique ?
— Non. Il y a des fois où ils font cela à travers des portes, on n’arrive pas à savoir qui l’a dit [ils sont à plusieurs par cellule], et puis, ce n’est pas direct, ce n’est pas dit en face. Mais si le gars dit « sale arabe », là c’est moi qui suis visé.
(Hichem, 4 ans d’ancienneté, maison d’arrêt)
27 Les insultes constituent pourtant une infraction qui « fait mal », « laisse des traces » en faisant perdre la face à l’autre [51], surtout lorsqu’elles s’adressent aux caractéristiques personnelles du surveillant (traiter une surveillante de « salope » ou un surveillant d’origine maghrébine de « harki » comme on l’a relevé sur des rapports). Et même quand elles sont reportées, la moitié des CRI pour insultes, menaces verbales et physiques, qui concernent directement les personnels, n’ont fait l’objet d’aucune sanction officielle dans la prison étudiée.
28 Ensuite, la deuxième étape qui vise à poursuivre s’est complexifiée avec la judiciarisation de la prison qui oblige à soumettre encore plus les rapports à un impératif de solidité juridique, au risque de faire l’objet de recours devant les tribunaux administratifs [52]. Le constat de l’infraction ne suffit donc pas à la transformer en sanction. D’abord, la hiérarchie peut décider l’arrêt de la procédure disciplinaire suite au filtrage des dossiers qui vise, outre sa fonction pragmatique de désengorgement de la commission, surtout en maison d’arrêt [53], à vérifier la qualité juridique de la procédure. Le respect des formalités et délais devient pointilleux, la procédure étant ensuite soumise au regard de vrais professionnels du droit depuis l’entrée dans les commissions des avocats dont la participation est plus fréquente en maison centrale qu’en maison d’arrêt [54]. Les personnels pénitentiaires doivent mobiliser un vocabulaire précis, décrire rigoureusement les faits, apporter des éléments de preuve sur l’infracteur. Autant d’évolutions qui les obligent à « bétonner les procédures » :
Il faut être de plus en plus procédurier et pointu. Cela fait un moment que ce détenu [qui vient de faire l’objet d’un CRI] était observé mais il faut être sûr que c’est lui. Ce détenu est très procédurier, il faut bétonner la procédure pour qu’il n’y ait pas de recours. […] Moi, je suis fière parce qu’on a pas eu un seul recours gagné par des détenus depuis un an et demi. Comme quoi on a bien bétonné les procédures… On fait du bon boulot.
(Brigitte, cheffe du BGD d’une maison centrale, 2011)
30 Les procédures avant le passage en commission sont fréquemment interrompues, soit par des classements sans suite (pour un compte rendu d’incident sur sept) soit par des avertissements oraux, utilisés ici comme réprimande (dans 20 % des cas) [55]. L’augmentation des délais d’attente (jusqu’à trois mois et demi dans cet établissement) et le regroupement des procédures font que des détenus, libérés en fin de peine ou transférés dans un établissement pour peines, ne passent jamais en commission de discipline (47 cas sur 389 CRI). Raoul, un surveillant, ironise :
C’est gentil ici. Le passage en commission disciplinaire se fait parfois trois semaines après, parfois plus ! Il y a souvent plusieurs rapports sur le même détenu. On nous demande d’attendre, que le gars soit bien chargé pour prendre beaucoup. Et on attend tellement que le gars est libéré !
32 Si bien que dans le centre pénitentiaire étudié, plus de 60 % des comptes rendu d’incident n’ont fait l’objet d’aucune sanction officielle. À l’instar de W. L. F. Felstiner, R. L. Abel et A. Sarat [56], nous observons que peu d’incidents, pourtant constatés, aboutissent à des sanctions. Par contre, quand une affaire arrive enfin devant la commission de discipline, elle aboutit généralement à une sanction. Et la commission tend à confirmer la sélection préalable des affaires puisqu’elle prononce peu de relaxes (137 sanctions sur 141 passages en commission). On a cependant observé que, même quand une sanction a été prononcée, elle n’est pas toujours appliquée, faute de places disponibles au quartier disciplinaire [57] ou suite à un avis médical d’incompatibilité qui sont vécus par les professionnels comme un désaveu et une « non-sanction ».
33 L’essentiel se joue donc en amont, de manière largement informelle. La référence au droit positif et à ses procédures n’est qu’une option parmi d’autres dans un répertoire de normes d’action plus ou moins formalisées dans lequel les personnels peuvent puiser. À chaque étape du processus s’ouvrent d’autres choix au personnel qui peut considérer qu’il existe plus d’inconvénients à reporter un incident qu’à ne pas le reporter. La gestion des incidents s’inscrit bien dans une économie générale de la relation carcérale.
II. Le rapport d’incident au cœur de la relation carcérale
34 L’ordre en prison est en effet le résultat d’un processus de négociation mettant en jeu des acteurs ayant des définitions différentes voire concurrentes des situations dans lesquelles ils sont engagés. Insister sur l’activité de négociation qui a lieu tout au long du processus disciplinaire, aussi bien pour y entrer que pour en sortir, et en étudier concrètement les différentes formes permet de rendre compte des activités de multiples acteurs, leurs motivations, les dilemmes moraux auxquels ils sont confrontés, les enjeux de l’échange, les sources de tensions. Tout comme les règles qui sous-tendent une situation sociale ne sont pas toujours formalisées pour être structurantes, une négociation n’a pas besoin d’être verbale et explicite pour exister. Il faut plutôt imaginer un continuum dans lequel la négociation tacite et implicite se trouverait à un extrême et la négociation formalisée et explicite à l’autre [58]. Seront étudiés successivement l’intérêt et les limites à ne pas reporter l’incident puis à le transmettre.
II.1. « Ne pas en mettre, c’est rester maître du jeu »
35 La reconnaissance de droits formels, l’instauration croissante de règles et la bureaucratisation de l’institution carcérale tendent à réduire la marge de manœuvre des personnels, qui jouaient sur toute une gamme de privilèges – devenus aujourd’hui des droits reconnus aux personnes incarcérées – et qui appliquaient des sanctions sans contrôle, la gifle éducative ou le transfert disciplinaire par exemple [59]. Ne pas rédiger de rapport d’incident, c’est se dégager une marge d’autonomie, à la fois par rapport au détenu mais aussi par rapport à ses supérieurs [60].
36 Lors d’un incident, le surveillant peut décider de ne rien dire, de feindre une « inattention calculée » [61] comme si la transgression du règlement qu’il voit commettre par un détenu n’avait pas eu lieu. Il peut « fermer les yeux » tout en montrant à la personne concernée qu’il a tout vu. Il peut engager une explication immédiate avec l’infracteur ou juste lui rappeler la règle transgressée ou encore l’avertir qu’il sera sanctionné s’il recommence. Recourir à ce système d’explication directe et immédiate – plutôt qu’à une décision lointaine, médiatisée et à une sanction incertaine – présente plusieurs atouts, notamment le fait pour le personnel de garder la totale maîtrise du processus vis-à-vis de son travail, de sa relation aux détenus ou à la hiérarchie. C’est ce que nous explique Gérald :
Avant, je mettais des rapports pour pas grand chose… Maintenant, je mets des rapports d’incident pour quelque chose de très grave. Cela fait des années que je n’ai pas mis de rapport… Pour les petites bêtises, je retiens, je m’en rappelle. Je ne mets pas de rapport. Mais quand le gars va me demander quelque chose, il n’a pas droit ou pas droit tout de suite, et comme ça, je n’attends rien des chefs.
38 Les surveillants, en cherchant à gérer l’étage à leur façon, refusent de n’être que de simples exécutants qui appliquent des règles. Ce sont eux qui, à la manière de la police discretion du policier de terrain [62], jugent de l’opportunité de relever ou non une infraction, valorisant l’autonomie dans leur travail, ce qui est source de satisfaction. À la manière de Stuart Macauley à propos des entreprises [63], qui montrait que les cadres commerciaux cherchaient à éviter d’aller devant les tribunaux et préféraient recourir à des sanctions officieuses comme la mise au ban des échanges contre les personnes ou entreprises fautives, l’encastrement de la relation d’autorité dans les relations carcérales engage les personnels pénitentiaires à privilégier aussi des sanctions informelles. Une « bonne explication » ou des sanctions diffuses (ne pas lui adresser la parole ou refuser de lui rendre service) permettent d’envoyer un signal fort au détenu, de rappeler les limites sans occulter les chances d’une reprise future des échanges contrairement au fait de l’envoyer devant la commission de discipline qui pourrait détruire durablement la relation avec lui.
39 Le fait de ne pas constater l’infraction ne signifie pas l’absence de sanctions. Face à l’absence de réaction d’un détenu, des solutions radicales peuvent ainsi être trouvées, susceptibles de juguler rapidement les conflits.
Dans un centre de détention, un détenu refusait régulièrement de baisser le son de sa radio. Une surveillante qui estimait que le CRI pour tapage ne permettait pas de résoudre rapidement le problème a adopté une solution radicale : elle retirait les plombs de sa cellule !
41 La négociation directe avec le détenu, contrairement à la lenteur procédurale, remplit un objectif éducatif, celui d’éviter la réitération. Comme le dira un capitaine : « Le but, c’est de leur rappeler les règles, pas de leur faire faire du trou [cellule disciplinaire]. »
Un surveillant ne met pas de rapport à un détenu qui l’avait pourtant durement insulté parce que personne n’était venu le chercher pour son parloir. Le surveillant insulté n’y était pour rien, c’est son collègue qui l’avait oublié. Il a fait preuve de compréhension vis-à-vis du détenu, estimant que le droit de visite est essentiel. Il discutera longuement avec lui sur la manière de réclamer ce droit sans user de violence. Il me dit : « Ce détenu ne recommencera pas. C’est clair, une sanction n’aurait servi qu’à accroître son sentiment d’injustice. »
43 Un autre enjeu éducatif est de rétablir son autorité, de se faire respecter. À celui qui l’a insulté, l’agent lui demande de formuler des excuses ; face à un détenu impatient et exigeant, il redouble de lenteur ; à celui qui l’a ennuyé toute la journée, il refuse de rendre service ; à un détenu impoli, il n’adresse plus la parole, etc. Ces mesures « éducatives » au sein des établissements pour mineurs sont considérées comme efficaces par les éducateurs comme par les surveillants [64].
44 C’est aussi l’autonomie par rapport à la relation hiérarchique qui est en jeu dans ce processus de règlement direct de l’incident avec le détenu. Cela évite au surveillant d’être contredit par la décision de ses supérieurs ou celle de la commission disciplinaire. Sébastien dit ainsi ne pas avoir rédigé de rapport alors qu’en entrant dans une cellule, il remarque : « Ça puait le chichon à plein nez. Mais cela n’aurait servi à rien car le détenu n’aurait rien eu et après je passe pour un con, moi, devant le détenu. »
45 Le système informel peut cependant être à double tranchant quand il se traduit par l’usage de sanctions diffuses qui peuvent avoir pour effet de provoquer de la violence. L’économie de la rétorsion s’apparente parfois au régime vindicatoire, une manière de se faire justice soi-même. Une telle peine présente l’avantage d’être immédiate mais elle peut s’avérer démesurée et aveugle. Les personnels comme les détenus parlent le plus souvent au passé des gifles éducatives ou des formes de sanctions collectives clandestines à l’encontre des détenus ayant agressé physiquement un surveillant ou cherché à s’évader [65]. Ces exemples montrent les effets pervers des sanctions informelles, un système arbitraire bien pire que les sanctions officielles, des sanctions sans limite de durée, laissant le détenu sans protection du droit. La gestion immédiate et individuelle des incidents peut ainsi conduire à des iniquités et à des pratiques humiliantes.
II.2. La transmission du rapport, une prise de risque ?
46 Établir un rapport correspond in fine à une prise de risque pour le surveillant à la fois vis-à-vis du détenu (peur du désaveu, relation en suspens) et vis-à-vis de la hiérarchie (crainte de ne pas être suivi ou d’une sanction trop faible, enjeu réputationnel).
47 Le rapport marque l’arrêt de la séquence temporelle des relations entre détenus et personnels : la transmission du CRI à la hiérarchie détruit l’espoir, pour le surveillant, de régler l’incident avec le détenu. Le surveillant qui croit punir en rédigeant un rapport apprend souvent à ses dépens qu’en déléguant cette tache, il peut être déçu du résultat (classement sans suite ou punition avec sursis).
48 Le rapport constitue en effet un objet sensible de la politique disciplinaire d’un établissement. Les chefs, par le filtrage des rapports, reprennent en main la gestion de l’ordre local en sélectionnant les affaires qu’ils estiment suffisamment graves pour être présentées en commission de discipline. Les initiatives cruciales, qui émanent, comme dans le travail policier [66], des exécutants selon une inversion hiérarchique, restent sous contrôle. La décision se déplace du côté de la hiérarchie qui choisit de la suite à donner. C’est à elle aussi que revient la tâche de qualifier la faute commise parmi les 40 infractions existantes depuis 2011. Les injures et menaces à l’encontre des personnels constituent, dans le centre de détention étudié, l’infraction la plus fréquemment reportée (un compte rendu d’incident sur cinq). La fréquence des autres infractions est inversement proportionnelle à leur gravité : la moitié des rapports concernait des infractions du troisième degré (défauts d’entretien, jets de détritus par les fenêtres, refus d’obtempérer aux injonctions, non-respect de dispositions du règlement). Ce qui conduit la hiérarchie à se plaindre du nombre excessif de rapports « pour rien » :
Il y a trop de comptes rendus d’incident ici. On a des difficultés avec les écrits des agents, pas toujours très précis. Je leur explique que ce n’était pas utile de faire un CRI si c’est un incident mineur ou si le détenu a fait des excuses ou si on a trouvé un rouleau de scotch ! Cela ne nécessite pas de faire un CRI ! On a des CRI tous les jours et il y a beaucoup de classements au dossier.
50 Car l’activité disciplinaire est chronophage. Outre l’enquête préliminaire qui mobilise des gradés, les personnels du BGD y consacrent une bonne partie de leur activité sans oublier le temps que les membres de la direction passent à siéger en commissions de discipline [67]. C’est une activité quotidienne qui sollicite de nombreuses interactions :
Je vois les rapports le matin, je vois s’il faut suivre ou classer tout de suite. Il y a des fois, j’hésite et je les montre au patron. Il y a aussi les responsables de bâtiment qui font l’enquête et qui connaissent les détenus. Ils notent « à classer » ou « avertissement oral souhaitable ».
52 Le classement sans suite constitue donc pour la hiérarchie un mode alternatif de résolution de conflit en passant par des formes de justice transactionnelle. Pour certaines affaires, la négociation directe avec le détenu permet l’échange d’informations : sera négocié le retrait du CRI d’un détenu pris en train de fumer un joint contre des informations sur les trafics ou sa source d’approvisionnement ; celui qui a agressé un codétenu s’engagera à « ne plus faire parler de lui » en échange de l’abandon des poursuites ou d’un changement de bâtiment afin d’éviter des représailles ou encore d’un « avertissement » informel afin d’éviter le déclassement du poste de travail. Cette négociation interindividuelle engendre une forme de désaveu pour le rédacteur du rapport pour qui l’avertissement ne constitue pas une « vraie » sanction :
On convoque le détenu chez le chef. Si le gars s’excuse ou balance un collègue, le gars, il voit son rapport disparaître. Le chef note « avertissement » mais ça ne veut rien dire. C’est pas une vraie sanction. En fait, il passe l’éponge.
54 Guillaume mentionne également dans cet extrait la possibilité d’un autre marchandage entre les chefs et le détenu, la dénonciation d’un collègue ou la fourniture d’informations sur le comportement des personnels en échange du classement du dossier. Si le rapport d’incident forge, comme on l’a vu, la réputation relationnelle des surveillants vis-à-vis des détenus, il constitue aussi un outil d’évaluation professionnelle des surveillants par la hiérarchie : ceux qui rédigent « trop » de CRI [68], ou pour des motifs jugés « ridicules » ou qui gèrent les détenus « à coup de CRI » semblent moins bien situés dans la hiérarchie des crédibilités que ceux qui en font un recours modéré. Brigitte, cheffe du BGD, dit ainsi : « Ce surveillant a beaucoup d’autorité sur les détenus. Quand il met un CRI, c’est généralement parce que c’est grave. » Il s’agit de menaces de mort répétées par un détenu qualifié de « gros profil » (détenu issu du grand banditisme, dont l’affaire a été médiatisée ou qui a un réseau social développé) qui sera convoqué par la commission de discipline. Au BGD, nombreux sont les discours étiquetant tel surveillant de « sévère », tel autre de « tranquille » et « fiable ». Un autre est disqualifié parce que « trop nerveux » et « facilement irritable ». Le chef de détention, pour justifier l’abandon des poursuites, tient compte du fait que « M. X est à cran, il a des problèmes personnels en ce moment et il a vraiment du mal en détention. Il s’énerve pour un rien ! Mettre un CRI pour ça [un drap déchiré], moi je classe. » Un bon surveillant est aux yeux de sa hiérarchie un surveillant dont on n’entend pas parler et qui réussit à maintenir le calme et à abaisser le climat de tension de son étage. L’essentiel de son travail, réel mais informel, consiste à apaiser autant que faire se peut la détention en répondant aux demandes, en tenant ses promesses, en étant juste, en ayant du sang-froid et un comportement constant et en sachant dénouer les situations de crise.
55 Le détenu sait qu’il peut contribuer lui-même à apaiser la situation et il cherche souvent à modifier le cours de la procédure [69]. Loin d’être un objet passif de la définition de la sanction, il participe à sa négociation, comme peuvent le faire l’enfant et sa famille dans la justice des mineurs [70]. Il tente, dans le cas d’insultes, d’expliciter son impulsivité par un mauvais parloir ou une situation familiale délicate ; dans le cas d’une bagarre, de justifier sa réaction à une agression plutôt que d’endosser la responsabilité de la violence sur un codétenu ; ou encore, dans le cas d’un incendie, de plaider l’inattention plutôt que l’intentionnalité de l’acte.
Le matelas d’un jeune détenu a pris feu. Le feu a été rapidement maîtrisé, le détenu est indemne. S’agit-il ici d’un accident, d’une tentative de suicide ou d’un acte intentionnel de dégradation, voire un acte de protestation ? Le brigadier veut surtout s’assurer que le détenu n’est pas suicidaire. Ce dernier dit qu’il n’a pas fait attention, qu’il fumait sur son lit et qu’il a dû s’assoupir. Il sera placé sous observation. Considérant que l’incident n’était pas volontaire et qu’il est mineur dans ses conséquences, le chef le qualifiera de « négligence » et le détenu recevra un avertissement.
57 Outre les justifications de l’incident, qui peuvent jouer en sa faveur (ou en sa défaveur), la présentation rituelle d’excuses peut influencer la suite donnée à la procédure.
Abdel, un détenu d’une quarantaine d’années demande à voir le chef du bâtiment. Il vient négocier le retrait de son CRI. Il dit regretter les paroles qu’il a adressées au surveillant. « C’est parti tout seul ! » Il souligne qu’il n’a jamais eu de rapport. Il racontera l’énervement ressenti, la situation de tension dans laquelle il se trouve depuis la mort de son fils alors qu’il était incarcéré et le risque que sa permission de sortie soit annulée alors qu’il est habituellement calme. Il obtient facilement l’arrêt de la procédure.
59 S’il ne parvient pas à obtenir le classement du dossier, l’accusé cherche au moins à obtenir du sursis ou à influencer la qualification de la faute en donnant une autre interprétation de l’acte. L’activité réparatrice, dont la fonction est de transformer ce qu’on pourrait considérer comme offensant en ce que l’on peut tenir comme acceptable [71], est fréquente. Les justifications et les excuses sont généralement adressées aux gradés car, comme le dit Étienne : « Mieux vaut s’adresser au bon dieu qu’à ses saints ! » Et la demande de réparation joue en faveur du sursis [72].
60 L’enjeu relationnel autour du rapport apparaît clairement, et ce à tous les niveaux hiérarchiques, que ce soit directement entre le détenu et le surveillant ou avec la hiérarchie ou indirectement entre l’agent et sa hiérarchie ou avec la direction. Nous avons montré que le rapport peut devenir une prise de risque pour le surveillant dans sa relation au détenu et comme enjeu d’évaluation professionnelle ; il l’est aussi pour la hiérarchie du fait de contraintes juridiques de plus en plus fortes et de la nécessité de prise en compte des caractéristiques des acteurs qui ne sont pas nécessairement compatibles entre elles, de sorte qu’elles obligent les professionnels à un délicat travail d’arbitrage. Le recours ou non au rapport contribue à l’équilibre interne de la détention ou à l’économie des relations entre détenus, personnels, hiérarchie et direction. Il ne s’agit pas seulement d’une question strictement locale d’interactions entre des membres engagés dans une situation singulière, elle permet d’examiner comment s’agence plus largement l’ordre négocié.
III. L’ordre négocié et ses limites
61 Ce qui préside à l’ordre négocié en prison, c’est cette recherche de l’évitement des désordres, quitte à trouver des arrangements souvent précaires. Roy D. King et Kathleen MacDermott avaient déjà souligné la compétence spécifique des acteurs, que ce soit les personnels ou les prisonniers, pour éviter les troubles potentiels sans avoir recours à une action formelle [73]. L’ordre, loin de s’appliquer partout de la même façon, se négocie localement et, comme dans quatre écoles secondaires observées par M. Verhoeven [74], nous verrons d’abord que la discipline est gérée différemment d’un type d’établissement à l’autre puis que les contributions des acteurs à la part d’ordre carcéral s’avèrent inégales.
III.1. Un ordre disciplinaire local
62 L’ordre négocié en prison est en effet un ordre local qui contribue à une gestion située des incidents [75]. Il n’y a pas de critères clairs déterminant « la politique » disciplinaire d’un établissement, qui se définit davantage comme un ensemble de réactions ponctuelles aux incidents reportés, à l’image de la pluralité des décisions hiérarchiques quant aux infractions poursuivies ou aux résultats différents de la commission selon le membre de la direction qui la préside.
63 Cet ordre carcéral souvent précaire se construit au quotidien en fonction d’ajustements permanents qui ne se stabilisent pas par hasard, mais de façon structurée [76]. Il se négocie ainsi différemment en maison d’arrêt, en centre de détention et en maison centrale. Le rapport de force entre détenus et personnels étant moins déséquilibré en établissement pour peines qu’en maison d’arrêt, la négociation autour de l’application du règlement y est plus fréquente. Nous avons observé que le nombre de rapports est supérieur en maison d’arrêt : il s’établit à 2,67 rapports par détenu contre 1,71 en centre de détention et 0,78 en maison centrale [77]. Le fait qu’il y ait, pour une population équivalente, 3,5 fois plus de CRI dans la maison d’arrêt par rapport à la maison centrale peut certes signifier une plus grande fréquence d’incidents en maison d’arrêt en supposant que les détenus y connaissent moins les règles ou que la surpopulation favorise les violences interpersonnelles, il peut également confirmer un recours plus fréquent au formalisme en maison d’arrêt. Les rapports concernent en maison centrale les incidents les plus graves, ceux du premier degré constituant près de 40 % des incidents (contre 27 % en maison d’arrêt). A contrario, les fautes les moins graves, celles du troisième degré, représentent moins de 7 % des rapports en maison centrale (contre 23 % en maison d’arrêt). Comme le disait Jacques (cf. extrait d’entretien supra), on n’embête pas un condamné à une longue peine « pour des conneries ».
64 La gestion plus sécuritaire de l’ordre en maison d’arrêt est liée à l’organisation structurelle des types d’établissement et à l’économie de la relation carcérale. Les personnels disent y appliquer plus strictement les règles car, aux multiples tâches qu’ils doivent réaliser du fait de la dépendance des détenus, s’ajoutent des tensions liées à la surpopulation récurrente, à l’inactivité et aux violences [78]. L’interconnaissance entre détenus et personnels y est moindre du fait de la grande taille de ces établissements (souvent d’une capacité supérieure à 600 places), de l’organisation des services (dans des étages différents) et du turn-over fréquent des personnels comme des détenus, alors que les personnels en établissements pour peines disposent a contrario de davantage de temps pour gérer un nombre plus réduit de détenus, incarcérés pour de longues durées. Une meilleure interconnaissance favorise la gestion de chaque situation problématique. Comme le dit Léo, surveillant en centrale : « On est tout le temps en train de négocier. »
Ils ont essayé d’appliquer le règlement ici [en centrale] mais c’est pas possible. C’est leur maison ici. Cela crie, certains n’ont rien à perdre. C’est très calme, c’est très propre mais il faut se méfier de l’eau qui dort. Ici, c’est donnant, donnant. C’est pour cela qu’ici ils ont autant de choses. La gestion d’une maison d’arrêt n’a rien à voir avec la maison centrale. Ici, ce sont des très longues peines. Moi j’ai préféré travailler en maison d’arrêt, on court mais c’est plus facile. Le règlement, il est plus facile à appliquer. Les détenus respectent ou alors on met un rapport. Ici on est tout le temps en train de négocier. Faut justifier quand on dit non, on est toujours obligé de se justifier. Faut laisser sa fierté de côté, sinon je partirais souvent au clash. Je me suis pris souvent la tête avec les détenus.
66 La maison centrale serait davantage la maison des détenus comme le montrent la nécessité pour les personnels de justifier leurs décisions, le fait que les détenus décident d’un certain arrangement autour des règles ou encore leur capacité à faire pression collectivement. Des surveillants venant de maison d’arrêt expérimentent, comme le raconte Thierry, ce rapport de force à leurs dépends :
J’étais trop rigide pour ici. Un dimanche à 13 h 15, les détenus tapaient dans les portes pour que j’ouvre. Ils criaient : « Surveillant, ouvrez ! — Non, il faut attendre un quart d’heure ! » J’étais avec les travailleurs qui avaient parloir et qui voulaient prendre une douche avant. Ils m’ont fait vraiment comprendre qu’il ne fallait pas attendre. Je me suis entêté. Vu le bruit, le chef est monté et on a vite ouvert. J’ai dû tout ouvrir, c’était au bord de l’explosion, ça débordait. J’ai reconnu mon erreur.
68 L’apaisement d’une situation tendue passe souvent par la démonstration de l’intérêt qu’a le détenu d’accepter la proposition qui lui est faite. En établissement pour peines, la négociation est facilitée par les aménagements de peines, libérations conditionnelles, possibilités de permissions de sortie. Comme le dit ce gradé en centre de détention : « On les tient par les remises de peines. Le moindre incident et le JAP [juge d’application des peines] peut tout annuler. » On est parfois surpris par la patience de tel personnel afin de calmer un détenu.
69 Au moment de la fermeture des cellules, un détenu, avec serviette autour du ventre, tourne en rond, exprime bruyamment son mécontentement : « je veux ma douche ». Il revient du sport et n’a pas eu le temps de prendre une douche. Devant son refus de réintégrer la cellule, le surveillant a sonné l’alarme. Trois surveillants l’entourent à distance et le chef intervient. Il demande à deux surveillants de faire rentrer les autres détenus en cellule. Le détenu continue de pester. Le gradé dit à notre intention : « Parmi les autres arguments de la négociation, on s’appuie sur notre connaissance des détenus. Il y a ce à quoi les détenus tiennent ou attendent. Exemple : quand des détenus ont demandé un emploi ou une permission, ils ont tout à gagner ou tout à perdre… Lui, ce qui le fera rentrer, c’est sa demande de PS [permission de sortie]. S’il fait une connerie, il aura un CRI et il ne pourra plus prétendre à sa sortie. Il le sait, il va rentrer. » Le chef commence à négocier avec le détenu, il lui montre qu’il est de son intérêt de réintégrer sans qu’il soit nécessaire d’utiliser la force [79], il évoque sa PS. Le détenu finit par rentrer en cellule.
70 Cet incident, terme particulièrement bien adapté à la situation qui a mobilisé plusieurs membres du personnel pendant près d’une heure, ne fera pas l’objet d’un rapport. Le détenu a réussi à faire émerger un dysfonctionnement local. Le lendemain, nous assisterons à une explication entre le chef de détention et le moniteur de sport [80]. Le détenu, en provoquant du désordre, a indirectement contribué à l’ordre négocié, et ce tout en évitant une sanction.
71 La négociation « entre quatre yeux » dépend du contexte. Les arrangements à l’amiable sont plus fréquents à l’atelier, au « socio » (lieux des activités) ou au sport qu’en détention, parce qu’étant seuls avec un groupe de détenus, les personnels ont davantage besoin de leur coopération. Comme le dit Howard S. Becker [81], le moment ou la personne font qu’un comportement constitue ou non une transgression des normes. L’incident sera moins fréquemment reporté lorsqu’il a lieu hors de la présence de témoins, si cela arrive en fin de service et s’il ne remet pas en cause l’interaction contrairement aux cas de violences physiques ou verbales.
72 D’autres éléments du contexte local interviennent comme la continuité ou discontinuité de la lignée hiérarchique, la cohésion ou l’atomicité des détenus mais aussi la force ou faiblesse des syndicats. Ce qui se joue dans le cadre de la gestion des incidents, c’est l’équilibre toujours fragile entre les forces en présence.
III.2. Des formes de réappropriation du pouvoir
73 Si, comme l’écrit Anselm Strauss, les membres de toutes sociétés doivent travailler au maintien de l’ordre négocié, cela ne signifie pas que tous les membres du monde carcéral y participent avec le même engagement [82]. Des personnels mobilisent davantage la panoplie informelle (donnant/donnant, sanctions informelles, rappel des règles lors des échanges « entre quatre yeux »), d’autres les outils plus formels (affectations aux postes de travail, forme de contractualisation dans les régimes différenciés en centre de détention, aménagements de peines, placement en quartier d’isolement, transfèrement, etc.). Certains changements – l’arrivée ou le départ d’un directeur, d’un gradé, d’un détenu leader – peuvent modifier l’économie de la relation carcérale et remettre en cause les arrangements. Se jouent alors des formes de réappropriation du pouvoir lors de la renégociation des arrangements entre certains acteurs.
74 Nos observations confirment également la gestion différentielle des incidents selon le profil du détenu mais surtout selon la typification de leurs comportements. Les propos d’une femme cheffe de bâtiment d’une maison centrale sont explicites : « On ne gère pas Monsieur L. [caïd corse] comme on gère un détenu lambda. » Le personnel hésitera à mettre un rapport à un « gros profil », du fait du risque encouru pour la tranquillité de la détention. Relever une transgression commise par une « grosse pointure », c’est s’exposer à des complications et à des réactions en chaîne, à la fois en interne du fait de leur aptitude à mobiliser des groupes de soutiens et en externe par leur recours à des ressources juridiques et médiatiques [83].
Mettre un CRI à un condamné à perpétuité pour des faits liés à une entreprise terroriste peut provoquer des mouvements de solidarité (le lendemain, deux détenus ne descendront pas travailler), un risque de médiatisation (il dit avoir téléphoné au CGLPL, il prend contact avec son avocat) et une possible juridicisation grâce à ses ressources juridiques (le détenu n’hésite pas à faire appel de la décision).
76 On pourrait reprendre ici la phrase de H. S. Becker quand il écrit que « les lois s’appliquent tendanciellement plus à certaines personnes qu’à d’autres » [84]. Le désir d’éviter les « prises de tête » avec des détenus contestataires amène les personnels à céder plus facilement à ceux qui ont une capacité de mobilisation. On voit ici que les relations entre les personnes et l’histoire des conflits précédents influent sur la forme et la manière dont ils vont mener leur litige [85] :
Un chef des services pénitentiaires (CSP) demande à un surveillant pourquoi il a laissé traîner aussi longtemps quatre détenus sur l’étage. « Mais c’est les Basques ! » lui répond celui-ci étonné de la question.
78 Les détenus aussi contribuent à l’ordre, quand ils estiment y avoir intérêt. Ils cherchent par exemple à éviter les contrôles afin d’accroître leurs terrains de manœuvre et leurs marges de liberté. Tous ne mettent pas la même énergie à l’évitement des désordres. Certains d’entre eux, ne disposant pas d’une capacité de mobilisation, développent d’autres compétences, une « compétence de nuisance » afin de perturber l’ordre carcéral. Ces formes de « tests » – des incidents qui apparaissent dérisoires à l’observateur extérieur – visent à gêner le travail des personnels ou, si ce n’est pas le cas, au moins à ne pas lui simplifier la tâche.
Nous avons observé l’intervention de plusieurs surveillants suite au déclenchement d’une alarme : un détenu tentait de franchir le grillage de la cour de promenade à la vue de tous. Il ne s’agissait pas d’une tentative d’évasion. Des surveillants parlent d’un jeu entre détenus pour vérifier leur habileté à récupérer des objets projetés par-dessus les murs et d’un test pour observer la rapidité de la réaction des personnels.
Il est arrivé plusieurs fois qu’un détenu en maison d’arrêt se cache dans une armoire ou dans une autre cellule. Ce comportement, dont les intentions sont variables (jeu, provocation, volonté d’attirer l’attention, moyen de tester la sécurité de l’établissement, etc.), a mobilisé une grande partie des surveillants pour retrouver ledit détenu, la crainte des personnels étant qu’il n’en profite pour s’évader.
80 Ces situations qui ont provoqué de réelles perturbations au sein du centre de détention se sont généralement terminées par une simple « explication ». Le chef nous explique une de ses « ficelles du métier » [86] : mieux vaut négocier l’engagement du détenu que cela ne se reproduira plus, plutôt que de chercher à le sanctionner, au risque de produire d’autres déviances ou violences.
81 Des détenus se plaignent, à juste titre, que le comportement correct des leurs ne soit pas toujours récompensé par les personnels : « Ici c’est le monde à l’envers, un jeune qui casse tout, on lui accorde tout pour qu’il foute la paix. » Ce traitement perçu comme inéquitable est un facteur de violence indirecte puisque certains détenus instrumentalisent la crainte qu’ils suscitent ou les problèmes qu’ils peuvent provoquer afin de parvenir à leurs fins. Les surveillants reprochent par exemple à leur hiérarchie l’affectation au service général (entretien et service des repas) de détenus pénibles ou « magouilleurs » ou l’absence de sanctions malgré des incidents répétés. Ils déplorent ces traitements inégaux, même s’ils y ont recours eux-mêmes comme me l’explique Tristan, un surveillant d’une quarantaine d’années que nous suivons durant son service en détention.
Il me dit accepter que ce jeune détenu (que nous venons de rencontrer), qualifié de violent, fume du cannabis en cellule et même dans le couloir. Il a négocié en contrepartie que celui-ci se tienne prêt à l’heure des promenades. Cela lui évite de perdre du temps lors des mouvements ou lors des « prises de tête » avec ce détenu qui peut taper contre la porte pendant des heures pour réclamer sa promenade.
83 Des surveillants perdent néanmoins patience et décident de ne plus rien laisser passer à ces détenus étiquetés de « pénibles », ceux qui ne respectent pas les règles ou qui se rendent délibérément insupportables afin d’obtenir leur placement en quartier disciplinaire pour être enfin seuls ou pour obtenir plus vite un transfert ou encore ceux qui deviennent « agressifs » parce qu’ils ne supportent plus l’enfermement ou ses tensions. Au sein du centre de détention, un quart des procédures annuelles (95 CRI sur 389) concernaient 11 détenus, régulièrement sanctionnés. L’un d’eux avait fait l’objet de 14 rapports en moins d’un an. Les sanctions officielles, comme on peut le voir, se limiteront à des avertissements et à du sursis jusqu’à la décision d’un transfèrement.
Le 5 février, le détenu se bagarre avec un autre détenu (CRI n° 1). Il passe en commission de discipline, le 17 février, et reçoit un avertissement. Le 29 février, il insulte et menace un surveillant (CRI n° 2). Très énervé, il est placé au quartier disciplinaire et tente de se pendre, ce qui est noté dans son dossier. Le 21 avril, il est surpris en train de se battre (CRI n° 3) et passe en commission le 6 mai : il obtient un nouvel avertissement après son engagement moral à « se contrôler ». Tout se calme pendant un temps. Il obtient un poste en détention et travaille pendant quatre mois. Il obtient une permission de sortir de trois jours et il rentre avec du shit caché dans une poche (CRI n° 4). Nouvel avertissement. Le 2 septembre, il refuse d’obtempérer à un ordre du surveillant (CRI n° 5), le lendemain il insulte et menace un surveillant (CRI n° 6), le surlendemain il menace et crache sur un surveillant (CRI n° 7). Il est placé dans un quartier fermé et, trois jours plus tard, il a un rapport pour un drap déchiré (CRI n° 8). Le lendemain, il insulte un surveillant (CRI n° 9) et à nouveau le surlendemain (CRI n° 10). Il passe en commission disciplinaire quatorze jours plus tard et est condamné à vingt-cinq jours avec sursis après une plaidoirie de son avocat sur sa fragilité psychiatrique. Placé au quartier d’isolement, il refuse une fouille le 20 novembre (CRI n° 11) puis il insulte un surveillant le 25 novembre (CRI n° 12) et refuse de rentrer de promenade le 29 novembre (CRI n° 13) puis il est surpris en train de « yoyoter » avec un autre détenu (CRI n° 14). Le directeur demande alors son transfert dans un autre établissement.
85 Ce cas extrême souligne les multiples tentatives des personnels pour obtenir le calme de ce détenu perturbé et perturbateur et les limites à la fois de la négociation et des sanctions. Faute de trouver une solution satisfaisante, le directeur propose son transfèrement qui fait partie des sanctions moins formelles telles que le placement en isolement (à la demande du détenu ou de l’administration) ou en régime fermé au sein des centres de détention au régime différencié, des mesures encore peu contrôlées par les tribunaux, malgré leur caractère possiblement disciplinaire.
86 Si la discipline reste souvent le pré carré des personnels de surveillance, des détenus « médiateurs » ont même été créés pour constituer un échelon intermédiaire quand la communication est rompue, afin de s’occuper des détenus perturbateurs ou pour réduire les risques d’incident violent. Cette approche organisationnelle de la gestion des désordres trouve ses limites dans le fait que les coopérations sont souvent difficiles voire conflictuelles, en raison de priorités divergentes selon les acteurs et de la difficulté d’harmoniser les points de vue des différents protagonistes [87].
Conclusion
87 Le cheminement proposé dans cet article – le fait de rendre compte du processus par lequel le constat d’un incident ne conduit pas à une sanction – nous apprend beaucoup sur le fonctionnement ordinaire de la détention, les tensions inhérentes à l’enfermement, les rapports de force, les marges de manœuvre des détenus et le pouvoir « tenu en réserve » des personnels. La situation carcérale caractérisée par des tensions fortes liées à une surpopulation permanente en maison d’arrêt, les mauvaises conditions de détention, la présence de détenus ayant des problèmes psychiatriques ou encore l’allongement des peines n’a pas conduit à une disciplinarisation plus forte des comportements, elle favorise au contraire une gestion localisée de l’évitement des désordres. On s’éloigne de l’idée de panoptique ou du contrôle pointilleux des comportements dans le cadre de l’« infra-pénalité » par la discipline [88], pour se rapprocher du modèle de la prison post-disciplinaire [89].
88 Cette mise en visibilité du processus disciplinaire cache cependant le caractère largement informel de la gestion de l’ordre. Ce résultat interroge au moins sur trois plans, d’abord en termes de droit protecteur des acteurs les plus faibles [90], de sens de la sanction et enfin d’ordre négocié. On voit ici comment le processus disciplinaire peut être réapproprié par les acteurs carcéraux en dehors du droit, notamment les personnels qui perçoivent la procédure comme une contrainte organisationnelle qu’ils cherchent à contourner. Or le fait de régler l’incident « entre quatre yeux », s’il peut souvent éviter aux détenus une sanction officielle, ne leur offre aucune possibilité de recours et peut même avoir pour conséquence l’usage de sanctions diffuses.
89 Si une grande partie de la procédure officielle est ainsi contournée, elle ne permet guère à la direction de définir une politique disciplinaire claire. La commission de discipline voit alors son rôle réduit à la définition de la sanction et de sa durée, les cas de relaxe étant rares, le tri des affaires ayant eu lieu en amont, de façon informelle. Cela interroge sur le sens même de la sanction qui n’est de fait pas médiatisée.
90 L’ouverture de la perspective d’un ordre négocié en prison est heuristiquement féconde. La problématique des droits pénètre de plus en plus l’espace carcéral et s’accompagne d’une conflictualité accrue autour de la négociation des règles. Il s’agit d’un ordre précaire et en réajustement perpétuel, ce qui rend toujours plus incertain le travail des personnels et affaiblit leur autorité, une autorité q ui se gagne mais ne se décrète plus. La construction de ces accords toujours temporaires n’a pas pour effet de faire disparaître la violence symbolique inhérente au fonctionnement de la justice [91] mais ils mettent en évidence le fait que les acteurs ne sont pas de simples agents qui subissent inconsciemment la violence symbolique, la négociation étant un mode de réappropriation du pouvoir au sein de ce processus disciplinaire [92].
Mots-clés éditeurs : Négociation, Prison, Sanctions, Ordre négocié, Discipline
Date de mise en ligne : 15/09/2014
https://doi.org/10.3917/drs.087.0303Notes
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[1]
Jean-Paul CÉRÉ, Le contentieux disciplinaire dans les prisons françaises et le droit européen, Paris : L’Harmattan, coll. « Logiques juridiques », 1999, p. 58.
-
[2]
Cf. arrêt « Marie » du 17 février 1995 : le Conseil d’État a accepté de contrôler la légalité d’une décision disciplinaire prise à l’égard d’un détenu du fait du défaut de proportionnalité entre la sanction prononcée et la gravité de la faute.
-
[3]
Cf. décret du 2 avril 1996 modifié par la circulaire du 9 juin 2011 (liste étendue à 40 fautes : 11 infractions du premier degré touchant à la sécurité de l’établissement et à l’intégrité des personnes ; 18 fautes du deuxième degré concernent les injures et menaces à l’encontre du personnel ou des personnes détenues, le refus de se soumettre à une mesure de sécurité et la consommation de produits stupéfiants ; et 11 fautes du troisième degré, les moins graves).
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[4]
Corinne ROSTAING, « Processus de judiciarisation carcérale : le droit en prison, une ressource pour les acteurs ? », Droit et Société, 67, 2008, p. 577-595.
-
[5]
Le droit disciplinaire pénitentiaire ne respecte pas les principes du procès pénal, à savoir la séparation des pouvoirs de poursuivre et de juger ; Mario CHIAVARIO, « Les principes du procès pénal et leur mise en œuvre dans les procédures disciplinaires », Revue internationale de droit pénal, 72 (3), 2001, p. 711-719, p. 715.
-
[6]
La thématique disciplinaire (procédures et sanctions) reste une des thématiques les plus mobilisées par la Commission nationale de la déontologie de la sécurité (CNDS), cf. CNDS, Rapport 2010, p. 85, et aujourd’hui par le défenseur des droits ou par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL), voir l’article, dans ce dossier, de Corentin DURAND, « Construire sa légitimité à énoncer le droit. Étude de doléances de prisonniers ».
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[7]
Voir les travaux de Martine HERZOG-EVANS, « Le droit pénitentiaire : un droit faible au service du contrôle des détenus ? », in Claude FAUGERON, Antoinette CHAUVENET et Philippe COMBESSIE (dir.), Approches de la prison, Bruxelles : De Boeck Université, 1996 ; ID., Droit de la sanction pénitentiaire, Paris : Dalloz, 2004 ; ceux de Jean-Paul CÉRÉ, Le contentieux disciplinaire dans les prisons françaises et le droit européen, Paris : L’Harmattan, 1999 ; d’Éric MASSAT, « Des rapports du droit disciplinaire et du droit pénal dans l’administration », Revue de science criminelle et de droit comparé, 4, 2003, p. 743-762 ; d’Éric PECHILLON, « La prison : un service public ordinaire ? La reconnaissance du l’usager du service public pénitentiaire », Revue Fondations, 12, 2000, p. 69-78 ou de Pierrette PONCELA, « Discipline pénitentiaire. Un droit en mouvement », Revue de science criminelle et de droit comparé, 1, 2012, p. 208-215.
-
[8]
Les données chiffrées concernant les détenus informaient jusqu’en 2001 – dans des tableaux séparés – du nombre de fautes et de sanctions prononcées (par exemple, en 2000, 46 151 fautes et 38 434 sanctions), sans qu’il soit possible d’établir la correspondance entre telle faute et telle sanction. Seul le nombre des procédures disciplinaires est fourni depuis 2007.
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[9]
Anselm STRAUSS, La trame de la négociation : sociologie qualitative et interactionnisme, Paris : L’Harmattan, 1992.
-
[10]
Un incident commis par un détenu est constaté par un surveillant qui rédige un compte rendu d'incident (CRI) ou rapport, ce qui entraîne le passage du détenu devant la commission de discipline.
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[11]
Il s’agit de deux maisons d’arrêt (pour les prévenus ou les condamnés à de courtes peines), un centre de détention (pour les condamnés, à visée de resocialisation) et deux maisons centrales (pour les condamnés à de longues peines, régime sécuritaire).
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[12]
Pour plus de détails, voir Antoinette CHAUVENET, Corinne ROSTAING et Françoise ORLIC, La violence carcérale en question, Paris : PUF, 2008. Le dispositif d’enquête était composé d’observations (observation directe d’« incidents », suivi de réunions, suivi de commissions disciplinaires, etc.), d’entretiens en face à face avec des détenus et des personnels ainsi que des questionnaires proposés à la fois aux détenus et aux personnels sur leurs représentations de la discipline au sein de leur établissement.
-
[13]
Suite officielle (passage en commission, sanction ou relaxe) et non officielle (classement sans suite, avertissement oral par le gradé, libération ou transfert avant le passage en commission, etc.).
-
[14]
Comme le rappelle Jean-Daniel REYNAUD, « Les régulations dans les organisations : régulation de contrôle et régulation autonome », Revue française de sociologie, 29 (1), 1988, la tradition sociologique nous apprend à opposer le système formel (officiel, explicite) de l’informel (officieux, spontané) alors que les deux systèmes sont largement entrelacés.
-
[15]
Cette catégorie administrative, reprise dans le terme de compte rendu d'incident, désigne un ensemble hétéroclite de manquements au règlement, d’incidents collectifs, d’automutilations ou tentatives de suicide, de bagarres ou d’agressions et traduit l’idée de ce qui trouble l’ordre carcéral. Le détenu est généralement désigné comme étant à l’origine de la situation.
-
[16]
Nicolas DODIER, L’expertise médicale. Essai de sociologie sur l'exercice du jugement, Paris : Métailié, 1993.
-
[17]
À savoir le surveillant ayant constaté l’infraction, le détenu concerné, l’officier décidant de la suite à donner et les trois membres qui siègent à la commission disciplinaire (un membre de la direction, un membre du personnel de surveillance et un assesseur extérieur), auxquels peuvent se rajouter éventuellement des avocats pour la défense de leur client.
-
[18]
Philip MILBURN, « De la négociation dans la justice imposée », Négociations, 1, 2004, p. 27-38, p. 32.
-
[19]
Anselm STRAUSS, La trame de la négociation : sociologie qualitative et interactionnisme, op. cit., p. 88.
-
[20]
Michel FOUCAULT, Surveiller et punir. Naissance de la prison, Paris : Gallimard, 1975, p. 238.
-
[21]
Michael IGNATIEFF, « Historiographie critique du système pénitentiaire », in Jacques-Guy PETIT (dir.), La prison, le bagne et l’histoire, Genève : Édition Médecine et hygiène, 1984, p. 9-18. M. Foucault serait « resté prisonnier d’un mythe selon lequel la modernité est rationnelle, disciplinaire, centralisée et l’Ancien régime, localisé, chaotique et violent » (p. 15).
-
[22]
Donald CLEMMER, The Prison Community [1940], New York : Holt, Rinehart and Winston, 1958 ; Gresham SYKES, The Society of Captives. A Study of a Maximum Security Prison, Princeton : Princeton University Press, 1958.
-
[23]
Erving GOFFMAN, Asiles. Étude sur la condition sociale des malades mentaux, Paris : Éditions de Minuit, 1968.
-
[24]
Antoinette CHAUVENET, Corinne ROSTAING et Françoise ORLIC, La violence carcérale en question, op. cit., p. 42. C’est le qualificatif le plus retenu (parmi les huit proposés) pour décrire le climat de la détention, par 88 % des surveillants et 79 % des détenus.
-
[25]
Claude FAUGERON, « Une théorie de la prison est-elle possible ? », in Claude FAUGERON, Antoinette CHAUVENET et Philippe COMBESSIE (dir.), Approches de la prison, op. cit., p. 15-41, p. 36.
-
[26]
Dominique MONJARDET, Ce que fait la police. Sociologie de la force publique, Paris : La Découverte, 1996.
-
[27]
Dès les premiers travaux sur les surveillants : Guy CASADAMONT, « Notes pour une sociologie du rapport surveillant(s)/détenu(s) », Revue de science criminelle et de droit pénal comparé, 1, 1991, p. 58-66 ; Antoinette CHAUVENET, Françoise ORLIC et Georges BENGUIGUI, Le monde des surveillants de prison, Paris : PUF, 1994.
-
[28]
Antoinette CHAUVENET, Corinne ROSTAING et Françoise ORLIC, La violence carcérale en question, op. cit., p. 104.
-
[29]
Gresham SYKES, The Society of Captives. A Study of a Maximum Security Prison, op. cit., p. 48.
-
[30]
Cédric MOREAU DE BELLAING, « De l’obligation à la ressource. L’apprentissage différencié des rapports au droit à l’École nationale de police de Paris », Déviance et société, 34 (3), 2010, p. 325-346, p. 331.
-
[31]
Selon l’enquête de Georges BENGUIGUI, Fabrice GUILBAUD et Guillaume MALOCHET, La socialisation professionnelle des surveillants de l’administration pénitentiaire, Paris : GIP Justice, 2008, p. 54.
-
[32]
Antoinette CHAUVENET, Corinne ROSTAING et Françoise ORLIC, La violence carcérale en question, op. cit., p. 83.
-
[33]
Grégory SALLE et Gilles CHANTRAINE, « Le droit emprisonné ? Sociologie des usages sociaux du droit en prison », Politix, 87, 2009, p. 97-117, p. 114.
-
[34]
Antoinette CHAUVENET, « Guerre et paix en prison », Cahiers de la sécurité intérieure, 31, 1998, p. 91-109, p. 108.
-
[35]
Nancy LOUCKS, « La gestion de l’indiscipline : une étude comparative », in Claude FAUGERON, Antoinette CHAUVENET et Philippe COMBESSIE (dir.), Approches de la prison, op. cit., p. 310.
-
[36]
Martine Herzog-Evans qui rapporte son expérience d’assesseur extérieur en commission dans une maison d'arrêt donne l’exemple contraire, et plutôt exceptionnel selon elle, d’un établissement qui tend à faire passer un grand nombre d’affaires en commission disciplinaire. Les cas de relaxe sont alors nombreux (cf. communication au colloque Trudeau, Lyon, 27 novembre 2013) ; voir Martine HERZOG-EVANS, « Aspects pratiques de la procédure disciplinaire en France », AJ Pénal, 12, 2013, p. 660-664.
-
[37]
Gérard LAMBERT, « La mécanique disciplinaire. Approche sociologique de la discipline pénitentiaire », in Pierre V. TOURNIER (dir.), Enfermements. Populations, espaces, temps, processus, politiques, Paris : L’Harmattan, 2012, p. 30.
-
[38]
84 % des surveillants ayant répondu choisissent les réponses « très peu » ou « pas du tout sévère » parmi les quatre réponses proposées (« pas du tout », « très peu », « assez », « trop »).
-
[39]
Antoinette CHAUVENET, Françoise ORLIC et Georges BENGUIGUI, Le monde des surveillants de prison, op. cit., p. 110.
-
[40]
Erving GOFFMAN, Les rites d’interaction, Paris : Éditions de Minuit, 1974, p. 9.
-
[41]
Corinne ROSTAING, La relation carcérale. Identités et rapports sociaux dans les prisons de femmes, Paris : PUF, 1997, p. 177.
-
[42]
Au sens de Max WEBER, Essais sur la théorie de la science [1917], Paris : Plon, 1965.
-
[43]
Dans cet établissement, les refus de fouilles (25 cas) étaient majoritairement classés comme un refus d’obtempérer (faute du troisième degré), plus rarement comme un refus de se soumettre à une mesure de sécurité (faute du deuxième degré).
-
[44]
Dominique MONJARDET, Ce que fait la police. Sociologie de la force publique, op. cit., p. 206.
-
[45]
Howard S. BECKER, Outsiders. Études de sociologie de la déviance, Paris : Métailié, 1985, p. 37.
-
[46]
Après plusieurs condamnations de l’administration pénitentiaire pour la mise en place de régimes de fouilles intégrales systématiques des détenus dans des établissements (Marseille, Poitiers, Strasbourg, etc.), le juge administratif sanctionne également la pratique des fouilles intégrales aléatoires (cf. arrêt du 26 septembre 2012).
-
[47]
Antoinette CHAUVENET, Corinne ROSTAING et Françoise ORLIC, La violence carcérale en question, op. cit., p. 205.
-
[48]
Christophe DUBOIS, « Le fonctionnement concret d’un quartier de détention pour femmes : ressorts organisationnels et implications sur l’identité personnelle des surveillants », SociologieS, mis en ligne le 3 juillet 2007. En ligne : <http://sociologies.revues.org/203>.
-
[49]
William L. F. FELSTINER, Richard L. ABEL et Austin SARAT, « L’émergence et la transformation des litiges : réaliser, reprocher, réclamer… », Politix, 16, 1991, p. 41-54, p. 41 ; traduction de « The Emergence and Transformation of Disputes. Naming, Blaming, Claiming », Law and Society Review, 15 (3-4), 1980-1981.
-
[50]
Plus de 85 % des personnels ayant répondu aux questionnaires (N = 384) disent avoir fait l’objet d’insultes au cours des deux dernières années.
-
[51]
Erving GOFFMAN, Les rites d’interaction, op. cit., p. 15. Garder la face est la condition de l’interaction et non son but.
-
[52]
Le nombre de recours administratifs préalables (RAP) s’élève à 1 172 pour 65 323 procédures disciplinaires en 2011 (cf. DIRECTION DE L’ADMINISTRATION PÉNITENTIAIRE, Rapport d’activité 2011, Paris : Ministère de la Justice, 2012) : 772 sanctions ont été confirmées, 128 annulées et 67 réformées (requalification, modification du quantum). 28 décisions du tribunal administratif (TA) sur des procédures disciplinaires ont été prononcées en 2011.
-
[53]
Les réunions de la commission de discipline varient énormément d’un établissement à l’autre, de plusieurs fois par semaine en maison d’arrêt à deux fois en une année (cf. SÉNAT, Rapport d’activité 2000).
-
[54]
En 2011, 39 % des procédures disciplinaires bénéficient du concours d’un avocat (DIRECTION DE L’ADMINISTRATION PÉNITENTIAIRE, Rapport d’activité 2011, op. cit.). Ce taux s’élève à 72 % pour la maison centrale étudiée.
-
[55]
Sous le terme « avertissement » se cachent deux pratiques : la sanction générale inscrite au dossier ou la réprimande orale sans passage en commission.
-
[56]
William L. F. FELSTINER, Richard L. ABEL et Austin SARAT, « L’émergence et la transformation des litiges : réaliser, reprocher, réclamer… », art. cité, p. 49.
-
[57]
Le nombre de places varie entre une dans les petits quartiers à vingt-trois dans un établissement sécuritaire.
-
[58]
Erhard FRIEDBERG, « Pouvoir et négociation », Négociations, 12, 2009, p. 15-22, p. 16.
-
[59]
Le transfèrement n’est plus une mesure d’ordre intérieur. Il est susceptible de recours, à condition que celui-ci ait des effets sur la vie du détenu (CE [Conseil d’État], 23 février 2000, Glaziou).
-
[60]
Jean-Daniel REYNAUD, Les règles du jeu. L’action collective et la régulation sociale, Paris : Armand Colin, 1993 (voir dans le chapitre 4, la partie sur l’autonomie et le contrôle dans l’organisation).
-
[61]
Erving GOFFMAN, Les rites d’interaction, op. cit., p. 20.
-
[62]
Dominique MONJARDET, Ce que fait la police. Sociologie de la force publique, op. cit., p. 37.
-
[63]
Stuart MACAULEY, « Non-Contractual Relations in Business: A Preliminary Study », American Sociological Review, 28 (1), 1963, p. 55-67, p. 55.
-
[64]
Gilles CHANTRAINE et Nicolas SALLÉE, « Progrès pénitentiaire, régression éducative ? », Les Cahiers dynamiques, 52, 2011, p. 28-34.
-
[65]
L’évadé passait ainsi par la « haie d’honneur », des surveillants alignés qui lui donnaient des coups. Aucun personnel n’adressait la parole à un détenu puni.
-
[66]
Dominique MONJARDET, Ce que fait la police. Sociologie de la force publique, op. cit., p. 88.
-
[67]
Pierrette PONCELA, « Discipline pénitentiaire. Un droit en mouvement », art. cité, p. 209, indique que l’ampleur des tâches du chef d’établissement ne lui permet pas de présider lui-même toutes les commissions de discipline et elle cite l’exemple de la maison d'arrêt des Hauts-de-Seine où il y a trois ou quatre commissions par semaine occupant chacune une demi-journée.
-
[68]
R. King et K. Mac Dermott confirment : les officiers se méfient des personnels qui font trop facilement des rapports. Roy D. KING et Kathleen McDERMOTT, « “My Geranium is Subversive”: Some Notes on the Management of Trouble in Prisons », The British Journal of Sociology, 41 (4), 1990, p. 445-471, p. 457.
-
[69]
D’autres négociations auraient pu être étudiées, par exemple celles entre le détenu et son avocat.
-
[70]
Liora ISRAËL, « Les mises en scène d’une justice quotidienne », Droit et Société, 42-43, 1999, p. 393-421.
-
[71]
Erving GOFFMAN, La mise en scène de la vie quotidienne, tome 2, Les relations en public, Paris : Éditions de Minuit, 1973, p. 213.
-
[72]
Voir ID., Les rites d’interaction, op. cit., p. 20. Deux sanctions sur trois prononcées dans l’établissement étudié le sont avec sursis. À plusieurs reprises, on a pu lire sur le document justifiant la décision de la commission : « Le détenu reconnaît les faits mais comme il s’est excusé et dit regretter les faits, il est condamné à […] avec sursis. »
-
[73]
Roy D. KING et Kathleen McDERMOTT, « “My Geranium is Subversive”: Some Notes on the Management of Trouble in Prisons », art. cité, p. 447.
-
[74]
Marie VERHOEVEN, « Les mutations de la discipline scolaire. Négociation des règles et résolution des conflits dans quatre établissements contrastés », Déviance et société, 22 (4), 1998, p. 389-413.
-
[75]
Ne sont reportés au niveau de l’échelon supérieur, à la direction interrégionale ou à la direction de l’administration pénitentiaire que les cas les plus graves, ceux qui nécessitent par exemple des poursuites pénales en plus des poursuites disciplinaires, ou quand une mesure de transfèrement dans un autre établissement est sollicitée.
-
[76]
Anselm STRAUSS, La trame de la négociation : sociologie qualitative et interactionnisme, op. cit., p. 104.
-
[77]
Il s’agit plutôt d’un ordre de grandeur pour des établissements de même taille : dans la maison d’arrêt, 626 CRI ont été rédigés annuellement pour 234 détenus au 1er janvier 2011 ; dans le centre de détention, 368 CRI pour 215 détenus et dans la maison centrale, 176 CRI pour 225 détenus. Ce ratio n’est pas significatif puisqu’il est calculé à partir du nombre moyen de détenus et non du flux (plus de turn-over en maison d’arrêt qu’en maison centrale).
-
[78]
Antoinette CHAUVENET, Corinne ROSTAING et Françoise ORLIC, La violence carcérale en question, op. cit., p. 119-123.
-
[79]
Même si le gradé « parlemente » pour convaincre un détenu de réintégrer sa cellule, s’il s’obstine, in fine, c’est la force qui prévaudra avec la mise au quartier disciplinaire (QD). Les trois quarts des surveillants questionnés (N = 384) déclarent avoir eu recours à la force au cours des deux dernières années, principalement lors d’interventions pour conduire un détenu récalcitrant au QD ou pour séparer les protagonistes d’une bagarre.
-
[80]
L’état des douches au sport ne permet pas aux détenus sportifs de prendre une douche sur place. Le moniteur de sport doit faire remonter à temps les détenus pour qu’ils aient le temps de la prendre avant la fermeture des cellules.
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[81]
Howard S. BECKER, Outsiders. Études de sociologie de la déviance, op. cit., p. 33 : « Le même comportement peut constituer une transgression des normes s’il est commis à un moment précis ou par une personne déterminée, mais non s’il est commis à un autre moment ou par une autre personne. »
-
[82]
Anselm STRAUSS, La trame de la négociation : sociologie qualitative et interactionnisme, op. cit., p. 88.
-
[83]
Comme l’explique, dans son article publié dans ce dossier, Claire DE GALEMBERT, « “La prière qui n’existe pas…”. Sociologie d’une mise à l’épreuve du droit disciplinaire en maison centrale ».
-
[84]
Howard S. BECKER, Outsiders. Études de sociologie de la déviance, op. cit., p. 36.
-
[85]
William L. F. FELSTINER, Richard L. ABEL et Austin SARAT, « L’émergence et la transformation des litiges : réaliser, reprocher, réclamer… », art. cité, p. 45.
-
[86]
Howard S. BECKER, Les ficelles du métier. Comment conduire sa recherche en sciences sociales, Paris : La Découverte, 2002.
-
[87]
Ce problème est le même à l’école : Bénédicte CHEVIT, « Commission disciplinaire et conseil de discipline. Désaccords et accords autour de la convocation d’une instance disciplinaire dans un collège à recrutement social intermédiaire », Déviance et société, 27 (4), 2003, p. 483-503.
-
[88]
Michel FOUCAULT, Surveiller et punir. Naissance de la prison, op. cit., p. 49.
-
[89]
Ce modèle, proposé par Gilles Chantraine, à partir de l’observation des pénitenciers fédéraux canadiens, fonctionne davantage aux récompenses qu’aux peines : « il faut leur donner beaucoup pour qu’ils aient beaucoup à perdre », Gilles CHANTRAINE, « La prison post-disciplinaire », Déviance et société, 30 (3), 2006, p. 273-288, p. 284.
-
[90]
Notion d’acteur faible en référence à Jean-Paul PAYET, Frédérique GUILIANI et Denis LAFORGUE (dir.), La voix des acteurs faibles. De l’indignité à la reconnaissance, Rennes : PUR, 2008.
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[91]
Liora ISRAËL, « Les mises en scène d’une justice quotidienne », art. cité, p. 416.
-
[92]
L’auteure adresse ses plus vifs remerciements aux relecteurs de ce texte, en particulier à Nicolas Dodier.