Notes
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[1]
Parmi une très abondante bibliographie, citons : André-Jean Arnaud, Entre modernité et mondialisation. Cinq leçons d’histoire de la philosophie du droit et de l’État, Paris : LGDJ, coll. « Droit et Société », 1997 ; Manuel Castells, The Rise of Network Society, Oxford : Blackwell Publishers, 1999 ; Jacques Commaille et Pierre Lascoumes (avec la collab. de Catherine Fournier), La production gouvernementale du droit, Paris : Éditions du CNRS, 1995 ; Mireille Delmas-Marty, Trois défis pour un droit mondial, Paris : Seuil, 1998 ; François Ost, Le temps du droit, Paris : Odile Jacob, 1999 ; Aseem Prakash et A. Jeffrey Hart, Globalization and Governance, Londres : Routledge, 1999 ; Gerry Stoker, « Governance as a Theory: Five Propositions », International Social Sciences Journal, 1998, p. 17-28.
-
[2]
À cet égard, la théorie politique classique semble négliger les mécanismes assurant la confiance des acteurs dans le système de régulation, ou réduit la création de cette confiance à des mécanismes agrégatifs ou majoritaires. La philosophie politique, quant à elle, paraît faire l’impasse sur les conditions qui font qu’un modèle démocratique permet de produire des normes effective sur l’espace social – à moins de réduire d’emblée ce modèle à une conception positiviste ou réaliste de la décision – et les difficultés philosophiques que pose la réalisation éventuelle de ces conditions.
-
[3]
Pour une revue de la littérature sur l’utilisation du récit en science sociale voir : Barbara Czarniawska, Narratives in Social Science Research, Londres : Sage, 2004 ; Claudio Radaelli, « Récit (Policy narrative) », in Laurie Boussaguet, Sophie Jacquot et Pauline Ravinet, Dictionnaire des politiques publiques, Paris : Presses de Sciences Po, 3e éd., 2010, p. 548-554 ; Barbara Czarniawska, Narrating the Organization. Dramas of Institutional Identity, Chicago : University of Chicago Press, 1997.
-
[4]
Voir Charles Taylor, Modern Social Imaginaries, Durham : Duke University Press, 2004.
-
[5]
Iris Marion Young, Inclusion and Democracy, Oxford : Oxford University Press, 2000, p. 70-79.
-
[6]
Deborah Stone, « Causal Stories and the Formation of Policy Agendas », Political Science Quarterly, 104 (2), 1989, p. 281-300.
-
[7]
Emery Roe, Narrative Policy Analysis. Theory and Practice, Durham : Duke University Press, 1994, p. 36-37.
-
[8]
Pierre Bourdieu, « L’illusion biographique », Actes de la recherche en sciences sociales, 62-63, 1986, p. 69-72.
-
[9]
Voir Teun Van Dijk, « Principles of Critical Discourse Analysis », in Margareth Wetherell, Stephanie Taylor et Simeon J. Yates (eds.), Discourse Theory and Practice, Londres : Sage Publications, 2001, p. 301-317 ; Slef Slembrouck, What Is Meant by Discourse Analysis?, <http://www.umsl.edu/~wilmarthp/mrpc-web-resources/discourse-analysis.pdf>, 2006, en libre accès depuis le 15 avril 2009.
-
[10]
Deborah Stone, « Causal Stories and the Formation of Policy Agendas », art. cité, p. 283.
-
[11]
Maarten Hajer, The Politics of Environmental Discourse: Ecological Modernization and the Policy Process, Oxford : Clarendon Press, 1995.
-
[12]
Jürgen Habermas, Idéalisations et communication. Agir communicationnel et usage de la raison [2001], Paris : Fayard, 2006.
-
[13]
Voir Emery Roe, Narrative Policy Analysis. Theory and Practice, op. cit., et de manière plus générale, Maarten Hajer, « Doing Discourse Analysis: Coalitions, Practices, Meaning », in Margo van den Brink et Tamara Metze (eds.), Words Matter in Policy and Planning: Discourse Theory and Method in the Social Sciences, Utrecht : KNAG/Nethur, coll. « Netherlands Geographical Studies », 2005, p. 65-74.
-
[14]
Louise Phillips et Marianne W. Jorgensen, Discourse Analysis as Theory and Method, Londres : Sage, 2002 ; Margaret Wetherell, Stephanie Taylor et Simeon J. Yates (eds.), Discourse Theory and Practice. A Reader, op. cit.
-
[15]
Claudio Radaelli, « Logiques de pouvoirs et récits dans les politiques publiques de l’Union européenne », Revue française de science politique, 50 (2), 2000, p. 255-276.
-
[16]
Jacques Commaille, « De la “sociologie juridique” à une sociologie politique du droit », in Jacques Commaille, Laurence Dumoulin et Cécile Robert, La juridicisation du politique. Leçons scientifiques, Paris : LGDJ, 1994, p. 134.
-
[17]
Frederick Herzberg, Work and the Nature of Man, New York : World Publishing Times Mirror, 1966.
-
[18]
Michel Crozier, « Le problème de la régulation dans les sociétés complexes modernes », in François Chazel et Jacques Commaille, Normes juridiques et régulation sociale, Paris : LGDJ, coll. « Droit et Société », 1991, p. 134.
-
[19]
Cf. Franck Cochoy, « La responsabilité sociale de l’entreprise comme “représentation” de l’économie et du droit », Droit et Société, 65, 2007, p. 91-101.
-
[20]
Données au 31 décembre 2013. Source : <http://www.iso.org/iso/fr/about/iso_members.htm>, consulté en février 2014.
- [21]
-
[22]
Source : <http://www.iso.org>, août 2012.
-
[23]
Source : <http://annualreport.iso.org/fr>.
-
[24]
Voir Craig Murphy et Joanne Yates, « Coordinating International Standards: The Formation of the ISO », MIT Sloan Working Paper, n° 4638-07, 2007.
-
[25]
La procédure ISO est ainsi divisée en six grands stades (préliminaire, proposition, préparation, comité, enquête, approbation, publication). Voir : International organization for standardization (ISO) et International electrotechnical commission (IEC), Directives ISO/CEI, partie 1. Procédures pour les travaux techniques, 5e éd., 2004.
-
[26]
Depuis la création de l’ISO après la seconde guerre mondiale, ses activités se concentraient sur la production de normes de produits fortement spécialisés. À partir du milieu des années 1980, elle va toutefois se lancer dans la production de normes plus généralement destinées aux organisations. Cette évolution est souvent présentée dans la littérature comme une véritable révolution dans l’univers de la normalisation. Les normes de système de management – la série ISO 9000 focalisée sur la qualité et la série ISO 14000 centrée sur la gestion environnementale – connaissent un succès commercial sans précédent. Voir Denis Segrestin, « L’entreprise à l’épreuve des normes de marché. Les paradoxes des nouveaux standards de gestion dans l’industrie », Revue française de sociologie, 38 (3), 1997, p. 533-585 ; Laurent Thévenot, « Un gouvernement par les normes. Pratiques et politiques des formats d’information », in Bernard Conein et Laurent Thévenot (dir.), Cognition et information en société, Paris : Éditions de l’EHESS, 1997, p. 205-242 ; Nils Brunsson et Bergt Jacobsson, A World of Standards, Oxford : Oxford University Press, 2000 ; Olivier Borraz, « Les normes : instruments dépolitisés de l’action publique », in Pierre Lascoumes et Patrick Le Galès (dir.), Gouverner par les instruments, Paris : Presses de Sciences Po, 2004, p. 123-161.
-
[27]
Pour une analyse détaillée des bouleversements rencontrés par l’ISO, voir Coline Ruwet, « Towards a Democratization of Standards Development? Internal Dynamics of ISO in the Context of Globalization », New Global Studies, 5 (2), 2011.
-
[28]
Ces critiques ont été particulièrement vives à l’égard du processus d’élaboration d’ISO 14001, norme de système de management de l’environnement. Voir Jennifer Clapp, « The Privatization of Global Environmental Governance: ISO 14000 and the Developing World », Global Governance, 4, 1998, p. 295-316 ; Riva Krut et Harris Gleckman, ISO 14001. A Missed Opportunity for Sustainable Global Development, Londres : Earthscan, 1998.
-
[29]
Une des originalités de cette étude de cas réalisée dans le cadre de la thèse de sociologie de Coline Ruwet est d’avoir récolté des données qualitatives en suivant le processus d’élaboration du contenu d’ISO 26000 pas à pas d’avril 2006 à février 2008. Ceci fut possible notamment en raison de la modification de certaines règles de la procédure afin de favoriser une plus grande transparence et ouverture du processus. Voir Coline Ruwet, Normalisation et démocratie. Des filetages à la RSE. Sociologie du processus d’élaboration d’ISO 26000, thèse de sociologie, Louvain : Université catholique de Louvain, 2009.
-
[30]
Pour une analyse détaillée des prémices du processus d’élaboration d’ISO 26000, voir Coline Ruwet, « Preparing a Success Story in the Background. The Role of the Premises of Standard-Setting at ISO 26000 », in Kai Jacobs et al. (eds.), European Academy for Standardization (EURAS). Proceedings 2013, Verland Mainz, 2013, p. 341-356. Pour une analyse de la mise en œuvre des nouvelles règles de procédure destinées à favoriser l’inclusion et la transparence, voir Id., « ISO 26000 : vers une démocratisation de la procédure ISO ? », in Michel Capron, Françoise Quairel-Lanoizelée et Marie-France Turcotte, ISO 26 000 : une Norme « hors norme » ? Vers une conception mondiale de la responsabilité sociétale, Paris : Economica, 2011.
-
[31]
Claudio Radaelli, « Logiques de pouvoirs et récits dans les politiques publiques de l’Union européenne », art. cité, p. 269.
-
[32]
L’extrait fait ici référence au groupe de travail sur la responsabilité sociétale chargé d’élaborer le contenu de la norme ISO 26000.
-
[33]
Source : dossier « Responsabilité sociétale. ISO 26 000 en affirme le sens », ISO Focus+, 2 (3), mars 2011, p. 12.
-
[34]
Peter Haas, « Introduction: Epistemic Communities and International Policy Coordination », International Organization, 46 (1), 1992, p. 1-35.
-
[35]
Coline Ruwet, Normalisation et démocratie. Des filetages à la RSE. Sociologie du processus d’élaboration d’ISO 26000, op. cit.
-
[36]
Lors du lancement du processus en mars 2005, quarante-trois instituts nationaux de normalisation participaient au processus : le nombre de pays participants a ainsi plus que doublé en cinq ans. Source : <http://www.iso.org/wgsr>.
-
[37]
Cf. Coline Ruwet, « Que représentent les stakeholders ? Le cas de l’élaboration d’ISO 26000 », Revue française de science politique, 60 (6), 2010.
-
[38]
D’autres jeux destinés au grand public (quizz, etc.) avec parfois des prix à la clef furent organisés autour de la norme avec notamment l’objectif de lutter contre l’image rébarbative des instruments ISO et de faire connaître le projet ISO 26000. La connaissance du récit sur la phase d’élaboration y était notamment questionnée.
-
[39]
Source : dossier « Responsabilité sociétale. ISO 26 000 en affirme le sens », ISO Focus+, op. cit., p. 30.
-
[40]
Ronald Dworkin, Law’s Empire, Harvard : Harvard University Press, 1986.
-
[41]
Hannah Arendt, La condition de l’homme moderne, Paris : Gallimard, 1958, p. 287-290.
-
[42]
Voir Giandomenico Majone, Regulating Europe, Londres : Routledge, 1996, Id., « Independence vs. Accountability? Non Majoritarian Institutions and Democratic Government in Europe », EUI Working Papers, 94/3, 1994, Michael Dorf et Charles Sabel, « A Constitution of Democratic Experimentalism », Columbia Law Review, 98, 1998, p. 267-463.
-
[43]
Frank Fisher et John Forester (eds.), The Argumentative Turn in Policy Analysis and Planning, Durham : Duke University Press, 1993.
-
[44]
Voir Frank Fischer, Reframing Public Policy. Discursive Politics and Deliberative Practices, Oxford : Oxford University Press, 2003.
-
[45]
John S. Dryzek, Deliberative Democracy and Beyond: Liberals, Critics, Contestations, Oxford : Oxford University Press, 2000 ; Karl Heinz Ladeur, « La procéduralisation et son utilisation dans une théorie juridique post-moderne », in Olivier de Schutter, Notis Lebessis et John Paterson (dir.), La gouvernance dans l’Union européenne, Luxembourg : Office des publications officielles des Communautés européennes, coll. « Les cahiers de la Cellule de prospective », 2001 ; dans une perspective plus institutionnaliste, Charles Sabel, « Beyond Principal-Agent Governance: Experimentalist Organizations. Learning and Accountability », in Ewald Engelen et Monika Sie Dhian Ho (eds.), De staat van de democratie. Democratie voorbij de staat, Amsterdam : Amsterdam University Press, coll. « WRR Verkenning », 4, 2004, p. 173-195.
-
[46]
John Dryzek, Deliberative Democracy and Beyond: Liberals, Critics, Contestations, op. cit. ; Karl Heinz Ladeur, « La procéduralisation et son utilisation dans une théorie juridique post-moderne », art. cité, p. 55-76 ; Charles Sabel, « Beyond Principal-Agent Governance: Experimentalist Organizations. Learning and Accountability », op. cit.
-
[47]
Traduction de l’extrait : « à la lumière de propositions plus détaillées, partielles résultant des efforts déployés pour les mettre en œuvre », Charles Sabel, « Beyond Principal-Agent Governance: Experimentalist Organizations. Learning and Accountability », op. cit., p. 11.
-
[48]
Voir David Munro, « Norms, Motives and Radical Democracy: Habermas and the Problem of Motivation », Journal of Political Philosophy, 15 (4), p. 447-472.
-
[49]
Dans le cadre du processus ISO 26000, l’objet sur lequel porte la norme – la responsabilité sociétale – n’a pas été défini au préalable par l’ISO afin de laisser aux participants la liberté de s’accorder sur une définition consensuelle.
Introduction au débat
1 Les techniques d’action publique n’ont jamais autant évolué que depuis ces trente dernières années. La littérature scientifique s’est longuement penchée sur les causes de cette évolution, qu’il s’agisse de l’affaissement des fonctions et du statut de l’État-nation, l’émergence de nouveaux types d’acteurs, la transformation des relations entre l’espace politique et l’espace économique, ou la modification des rapports spatio-temporels du nouvel état de rationalité politique [1]. Diverses, éclatées parfois, les perspectives utilisées pour interroger les nouvelles formes d’action publique n’en dessinent pas moins les contours de ce que nous appellerons le « paradigme de la régulation » : le passage progressif d’une conception linéaire, contraignante et statocentrique du pouvoir à une conception mixte et résultant de sa mise en réseau, dont l’effet de contrainte reposerait sur la coordination des volontés des destinataires supposés de la norme.
2 Notre article entend explorer les dispositifs qui permettent de lier, au sein de ces techniques de régulation, la formation d’une norme effective aux sentiments de légitimité et de motivation que cette norme parvient à susciter auprès des acteurs [2]. Nous partons à ces fins de l’hypothèse que toute communauté politique développe un récit pour fonder la légitimité de ses décisions.
3 La notion de récit désigne généralement la façon dont une communauté politique raconte et se raconte son existence collective. Et elle décrit ici la façon dont le processus de décision est interprété, mis en discours, pour être progressivement traduit en règles de conduites collectives. La notion de récit fait ainsi l’hypothèse qu’il existe un lien étroit entre les contenus de sens politique et les institutions et procédures qui les encadrent, plutôt que d’opposer les idées et politiques d’une part, les procédures et institutions de l’autre. Elle permet ce faisant d’analyser la manière dont une communauté discursive sédimente progressivement ses pratiques, et alimente d’elle-même la relation de confiance qu’elle éprouve par rapport à ses institutions collectives.
4 La notion présente un double intérêt dans notre étude des modes de régulation contemporains. D’une part, la notion de « récit » accorde une place particulière aux dimensions informelles des processus institutionnels d’interaction entre les acteurs. Elle permet de surmonter les insuffisances des analyses de surplomb du champ politique, que celles-ci fassent dépendre l’action politique de déterminismes idéologiques intrinsèques, ou qu’elles fassent procéder celle-ci de l’action formelle des institutions juridiques. Ce faisant, elle donne un levier supplémentaire pour analyser l’ouverture de la sphère juridique sur les différents champs du social, le dépassement progressif des techniques de command and control et l’importance des mécanismes de confiance pour le processus de validation de la norme. D’autre part, la notion de récit contribue à éclairer les angles morts des théories délibératives et agrégatives concernant les mécanismes de formation de consensus politique, et le pari consistant à faire dériver de ce consensus une norme effective. Comme nous le verrons, le récit permet en effet d’examiner les logiques d’inclusion/exclusion à l’œuvre dans le processus de régulation, et de réévaluer la mesure dans laquelle les acteurs peuvent exercer – ou non – leur autonomie réflexive dans le processus. Il montre également, au sein du processus politique, le rapport ambivalent entre légitimité et sentiment de confiance. Dans ce cadre, notre objectif n’est pas – directement du moins – de montrer le modèle de rationalité sur la base duquel appréhender les pratiques narratives étudiées. Notre approche de la notion de récit n’a pas pour ambition directe d’épuiser les débats épistémologiques mettant aux prises les conceptions fonctionnalistes ou interactionnistes du récit mais de prendre au mot les dispositifs de légitimation que la figure du récit met en lumière et institue, ainsi que de réfléchir sur les justifications normatives et politiques qu’elle sous-tend.
5 Notre approche théorique s’appuiera sur l’étude de cas du processus d’élaboration et d’application de la norme ISO 26000, norme publiée en 2010 qui propose des lignes directrices en matière de responsabilité sociétale à tous les types d’organisations. Cette norme internationale traduit l’extension des travaux de l’Organisation internationale de normalisation (ISO) dans des champs relevant des politiques publiques. Pour la première fois dans l’histoire de l’organisation, le groupe d’experts participant à l’élaboration de la norme a pu modifier la procédure afin de répondre aux critiques soulignant le manque d’inclusion et de transparence de l’ISO. Ces modifications ne sont pas seulement emblématiques des transformations à l’œuvre au sein du paradigme de la régulation, elles proposent un discours à la fois justificatif et performatif. Les pages qui suivent décriront d’abord notre approche conceptuelle de la notion de « récit ». Nous dégagerons, dans un deuxième temps, à travers l’étude du cas d’ISO 26000, les principales dimensions du récit dans les modes de régulation étudiés. Nous mettrons en exergue, dans un troisième temps, les grands axes, tensions et ambiguïtés qui semblent traverser ces figures contemporaines du récit.
I. Approche conceptuelle de la notion de récit
6 L’assimilation du langage politique à un récit n’est pas chose nouvelle [3]. Ainsi, Charles Taylor décrit bien la manière dont ce qu’il appelle les « imaginaires sociaux » construisent un état général de la rationalité collective, des normes et des dispositifs qui rendent certaines pratiques sociales plus légitimes et les font sentir plus réalisables que d’autres [4] ; la narration est alors un mode d’expression permettant de forger une base de compréhension commune dans des situations où l’expérience ou les valeurs ne sont pas partagées par les membres d’une communauté politique [5]. Au niveau plus restreint du contenu du message politique, la figure du récit permet également d’analyser la séquentialité et les relations causales entre les actions, ainsi que la manière dont elles sont réinterprétées voire transformées en trames narratives [6]. Comme l’écrit Emery Roe, peu importe alors la véracité des éléments de l’histoire : « Même lorsque leur véracité est en question, ces récits sont, de manière explicite, plus programmatiques que les mythes, et ont pour objectif de faire en sorte que leurs récepteurs les intériorisent et en fassent quelque chose [7]. » Enfin, les théories herméneutiques ou sémiotiques de l’interprétation analysent depuis longtemps les effets de sens « illocutoires » dans l’acte de signification, étudiant ses présupposés idéologiques, levant l’illusion du sens clair ou « l’illusion biographique » [8] sur lequel on le fait reposer [9].
7 Néanmoins, la notion de récit ne porte pas seulement sur le contenu du message politique ou la manière dont la société se représente son existence symbolique, mais aussi – plus largement que le seul message mais plus ponctuellement qu’un état général de la rationalité collective – sur le processus de décision et d’interaction collective qui mène à la création d’une norme. Le récit se réfère, d’une part, à une dimension biographique quand il désigne la succession des faits, des interactions, des étapes du processus de décision. Le récit recouvre alors l’histoire même du processus de décision. Mais il implique, de l’autre, une dimension normative qui se reflète dans les faits sélectionnés et les liens significatifs établis entre ces faits. Cette dimension normative fournit aux acteurs du processus des critères d’explication et d’interprétation. Elle constitue également l’ensemble des formes de langage qui oriente le sens de l’activité publique et qui donne aux acteurs des raisons d’y adhérer [10]. Dans ce cadre, le récit désigne un contenu narratif, le processus d’écriture et de fictionnalisation de ce contenu, mais aussi les règles et codes qui président à ce processus d’écriture.
8 Les dimensions biographiques et normatives du récit dégagent donc un vécu, et des raisons d’interpréter et de nommer ce vécu. Mais elles présentent aussi des modèles de sens et un schéma d’adhésion pour l’action collective. Le récit justifie les actions passées et donne des raisons pour l’action future. Il ne crée pas seulement les conditions d’une compréhension collective. En construisant les conditions d’une grille d’intellection collective, il justifie des bases pour l’action et permet à chacun des acteurs de s’assurer que cette base est partagée.
9 Dans ce cadre, le récit présente deux types de narration. Une narration du contenu du processus de discussion, à savoir l’histoire même de la prise de décision collective, la succession chronologique des faits menant à la décision mais aussi la manière dont ils sont mis en scène : la mise à l’agenda de la décision, son écriture officielle, la manière dont ils s’insèrent dans une histoire des relations sociales plus ou moins formalisées, les formes de langage qui permettent aux acteurs d’assimiler les codes de délibération internes au processus de régulation. C’est ainsi que Maarten Hajer montre en quoi la construction des discours sociaux ne procède ni seulement d’une dynamique délibérative indépendante du background des acteurs, ni par ailleurs sur des conformismes et déterminismes sociaux directs, mais sur un équilibre complexe de disciplines collectives et de rituels de groupes gouvernant la formation des discours [11].
10 Et une narration sur cette narration-même, qui porte sur les caractéristiques de la méthode de décision. Le récit porte alors sur les procédures qui encadrent la production de la discussion collective (récit sur le contenant). La procédure de décision se fait l’écho des raisons d’agir et du type de légitimation qu’induisent les pratiques qu’elle est sensée produire. Elle se structure dès lors autour d’un certain nombre de présuppositions idéalisantes à qui il est néanmoins attribué une efficience opérative dans l’organisation de l’interaction collective [12]. En outre, la procédure propose également la trame institutionnelle qui enserrera ces raisons d’agir dans un type donné de discussion publique – délibération consensuelle, négociation aboutissant à un vote, marchandage d’avantages, confrontation de forces sociales, chacune d’entre elles proposant en retour un certain style de rationalité collective.
11 Nous ne prenons donc pas seulement le récit comme un mode d’analyse du contenu des discours, voire de la manière dont ces discours se constituent au cours et dans le cadre des pratiques argumentatives, des étapes de négociation, de la façon dont sont ressaisis narrativement les divers évènements menant à la prise de décision [13]. Nous le considérons également comme un outil de gouvernance à part entière, étayé par des procédures. Le récit tel que nous l’envisageons ici ne désigne pas seulement un ensemble d’interactions produisant des enjeux, des alliances entre acteurs, des voies d’action. Il s’inscrit dans l’économie institutionnelle même du processus étudié : il constitue l’un des leviers procéduraux de la décision, qu’il contribue lui-même à commenter et justifier. En ce sens, notre définition du récit ne se situe ni dans une « analyse des discours » [14] via une reconstruction sociolinguistique des contenus de sens, ni dans une analyse de « politique publique » centrée sur l’articulation entre les institutions et les intérêts des acteurs [15], mais dans la volonté de montrer en quoi les discours – ainsi que, dans le cas ici étudié, les discours produits sur les discours – sont considérés comme des outils de gouvernance supposés être à la fois effectifs et légitimes.
12 En quoi la figure du récit nous aide-t-elle à comprendre les transformations contemporaines de l’action publique ? La critique néo-moderne du rationalisme juridique vise tant les justifications jusnaturalistes de la sphère juridique et politique que la déconnection supposée du positivisme juridique par rapport aux pratiques sociales. Conceptuellement, le principe d’un cadre cognitif commun apte à organiser stratégiquement la connaissance du social ne parvient plus à s’imposer. L’espace social ne se présente plus comme un bloc compréhensible : les couches d’application et de réception de la norme sont de plus de plus nombreuses, et mettent en présence des langages et des perceptions du monde fragmentés. Pratiquement, l’action publique doit répondre à l’affaissement d’une perception commune des problèmes qui leur sont soumis. La perte d’universalité de l’espace public s’accompagne d’une complexification et d’une particularisation des situations qui lui sont soumises. Caractérisé par la séparation des pouvoirs, la règle de la majorité et le règne des droits, le constitutionnalisme moderne semble proposer un mode de gouverner trop détaché des circonstances particulières d’application de la décision. À la vision d’un ordre juridique impératif centré sur la figure de l’État se substitue celle « d’une action publique co-construite » avec d’autres partenaires [16]. L’État transformant ses missions, il doit également repenser les techniques de gouvernement qu’il utilise. Le gouvernement des affaires humaines requiert davantage de flexibilité et de compréhension pour les mécanismes d’interaction entre les acteurs [17].
13 Les modes de régulation contemporains devront dès lors répondre à trois enjeux. Comment construire une décision rationnelle dans un environnement dynamique ? Comment procurer un sentiment de confiance et de satisfaction aux acteurs dans le moment présent dans cet environnement mouvant caractérisé par une situation d’incertitude par rapport à la décision ? Comment influencer cet environnement et, plus particulièrement, comment transformer la confiance des acteurs en adhésion pratique à des normes sociales ? Comme l’exprime Michel Crozier : « Si vous ne pouvez pas obtenir […] la convergence des actions humaines par le contrôle hiérarchique ou par les règles, il faut vous appuyer sur la culture [18]. » Les discours contemporains sur la gouvernance n’entendent pas rompre avec les exigences de rationalité et de légitimité démocratique que la modernité a contribué à poser. L’affaiblissement du paradigme juridique classique rend pourtant nécessaire le façonnement d’un nouveau type de récit collectif capable d’entraîner solidarité et sentiment d’appartenance à la communauté des normes. Le récit doit provenir de la communauté elle-même et de l’exercice de sa volonté – mais d’une communauté qui serait incarnée autrement plus activement que par l’état législatif parlementaire. En retour, il contribue à constituer cette collectivité et la conduit vers un objectif déterminé. L’adhésion à la norme ne dépend plus de l’autorité d’un gouvernant ou d’un principe de rationalité imposé de l’extérieur, mais de la conviction que l’histoire menant à la formation de cette norme est coécrite par tous les acteurs. La régulation ressuscite en un sens le vieux principe des « Livres dont vous êtres le héros » : le récit vise à tisser la plus grande contiguïté possible entre l’acteur et le processus de formation de la norme, et entend le convaincre de son autonomie en l’assurant de sa participation.
II. Le cas de la norme ISO 26000 : flexibilisation de la procédure et nouvelle figure du récit
14 L’étude de cas sur laquelle nous nous basons pour analyser les formes prises par le récit au sein du « paradigme de la régulation » est le processus d’élaboration et d’application d’ISO 26000. Cette norme internationale a pour ambition de définir des lignes directrices générales en matière de responsabilité sociétale et ce pour tout type d’organisation quelle que soit sa taille ou sa localisation. La norme ISO 26000 propose une définition du concept de « responsabilité sociétale » ainsi qu’une clarification de la terminologie associée [19]. Elle fournit également des conseils sur la manière de le mettre en œuvre et d’améliorer la crédibilité de la communication en la matière.
15 Comme son nom l’indique, ISO 26000 est un instrument produit par l’Organisation internationale de normalisation (ISO). Composée d’un réseau de membres issus de 161 pays différents [20], l’ISO, « le plus grand éditeur et producteur mondial de Normes internationales d’application volontaire » [21], se présente comme une organisation sans but lucratif dont l’objet est d’offrir une procédure permettant à des acteurs de créer une norme en fonction des besoins du marché. L’influence dont dispose l’ISO est importante. Ses travaux s’étendent à plus de 200 domaines – 224 comités techniques en 2013 – et ses normes – plus de 20 000 publiées depuis 1947 – sont reprises suivant le principe d’une adhésion volontaire au niveau européen par le Comité européen de normalisation (CEN) ainsi que par les instituts nationaux de normalisation membres partout sur la planète [22]. L’analyse d’une organisation comme l’ISO est particulièrement intéressante car elle est, à certains égards, emblématique des transformations à l’œuvre dans le cadre du « paradigme de la régulation ».
16 Publiée en novembre 2010, dix ans après les premières propositions dans ce sens au sein de l’ISO, ISO 26000 est le premier cadre de référence en matière de responsabilité sociétale des entreprises (RSE) publié au niveau international. Alors que les opposants à la publication d’une norme ISO dans le champ de la RSE étaient nombreux et influents aussi bien en interne qu’à l’extérieur, cette norme fait aujourd’hui figure de « success story » pour l’organisation internationale de normalisation. En janvier 2009, peu avant la clôture du processus d’élaboration de la norme, le groupe de travail en charge de son développement comptait 430 experts et 175 observateurs issus de 90 pays. 42 organisations internationales, parmi lesquelles les acteurs publics et privés considérés comme les plus légitimes dans le domaine comme l’Organisation internationale du travail (OIT), les Nations unies, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), l’Union européenne, l’Organisation mondiale de la santé (OMS), le Global Reporting Initiative (GRI), SAI Global, AccountAbility... étaient également représentées. Le processus ISO 26000 est à ce jour le plus important processus multistakeholder mis en place pour le développement d’un instrument en matière de RSE. Il s’avère également être le processus le plus participatif dans l’histoire de l’ISO, qu’il s’agisse du nombre d’experts impliqués ou de la diversité des pays représentés – les pays en développement étant traditionnellement peu actifs dans les travaux de normalisation. La diffusion de la norme fut également couronnée de succès dès sa publication. Dans son rapport annuel 2010, l’ISO souligne ainsi : « Quatre mois après sa publication, une recherche sur “Google” renvoyait à quatre million d’occurrences touchant à ISO 26000 [23]. » En septembre 2011, l’ISO référençait la norme comme sa meilleure vente : les instituts nationaux de normalisation avaient déjà vendu à eux seuls plus de 6000 copies de la norme.
II.1. Un nouveau type de récital politique
17 Notre hypothèse est que le succès rencontré par l’ISO avec la norme ISO 26000 s’appuie sur un nouveau type de « récital » politique. Cette nouvelle figure du récit permet à l’ISO de répondre à deux défis auxquels l’organisation internationale est confrontée pour assurer l’effectivité et la légitimité de l’élaboration de ses normes. D’une part, la participation au développement et à la mise en œuvre des normes ISO est volontaire et entièrement à la charge financière des organisations participantes. D’autre part, les personnes envoyées pour élaborer le contenu d’une norme sont originaires de pays différents et se rencontrent de visu deux à trois fois par an. Or, le processus d’élaboration nécessite que les participants se détachent de leur appartenance à l’organisation qui les envoie et au pays dont ils sont originaires. La production effective d’une norme passe par la constitution d’un collectif : il est donc indispensable qu’à la fois le processus d’élaboration et son résultat soient considérés comme légitimes aux yeux des acteurs pour que ces derniers décident de prendre part au développement d’une norme ISO les concernant et dont ils seront, pour la plupart, les futurs utilisateurs. Néanmoins, la participation au processus et la constitution d’un collectif ne sont pas des conditions suffisantes pour que l’élaboration d’une norme ISO et son application soient couronnées de succès. Une participation sans adhésion réelle des acteurs risquerait de nuire à la qualité du document produit et pourrait être fatale pour l’application de la norme. Par conséquent, comment susciter non seulement la participation mais l’engagement des acteurs dans le processus d’élaboration et à l’application de ses normes ? Selon notre hypothèse, c’est la mise en récit du processus d’élaboration de la norme qui va permettre de créer une identité de groupe entre les participants et d’influencer positivement la motivation et la fidélité des acteurs par rapport au processus et à son résultat.
18 Historiquement, le fonctionnement de l’ISO repose sur l’adhésion des membres de l’organisation à une Constitution et des règles de procédure pour le développement de ses normes [24]. La mise en récit du processus d’élaboration des normes ISO est basée sur la reconnaissance commune de règles de procédure considérées comme fondatrices et sur une rhétorique technocratique. Les experts – majoritairement des ingénieurs au moment de la création de l’ISO – s’inscrivent ainsi dans une narration dont les grandes étapes successives sont prévisibles, toujours identiques [25]. En construisant les conditions d’une grille d’intellection collective, ce récit justifie des bases pour l’action et permet à chacun des participants au processus d’élaboration d’une norme ISO de s’assurer que cette base est partagée. Or, dans le cadre du processus d’élaboration d’ISO 26000, ce dispositif de mise en récit s’est vu bouleversé. En effet, l’entrée de l’ISO dans des sphères en lien avec les politiques publiques – l’environnement, la santé, le progrès social, la sécurité, etc. – a comme conséquence une augmentation du nombre de catégories de stakeholders potentiellement concernées ou affectées par le développement de ses normes [26]. En d’autres termes, suite à son entrée dans le champ des politiques publiques, le défi pour l’ISO est de s’ouvrir au contexte social. Il ne s’agit plus seulement de susciter l’adhésion et la participation des industriels – principaux utilisateurs et concepteurs traditionnels de ses normes – mais également d’autres catégories d’acteurs – organisations non gouvernementales (ONG), syndicats et associations de consommateurs, par exemple. Par ailleurs, le nombre de consortiums privés représentant des concurrents pour l’ISO se multiplie. Comment, dès lors, convaincre les utilisateurs des normes de choisir l’ISO plutôt que de développer leurs propres outils ? L’ISO doit se présenter comme étant à la fois suffisamment efficace et légitime aux yeux d’une diversité de stakeholders dont les intérêts et les exigences sont différents – voire opposés [27].
19 L’élaboration d’une norme ISO 26000 en matière de responsabilité sociétale des organisations doit répondre aux critiques qui lui sont adressées sur le manque d’inclusion et de transparence des procédures utilisées [28]. Pour la première fois dans l’histoire de l’organisation, la liberté fut dès lors laissée aux participants de modifier la procédure d’élaboration des normes afin d’en améliorer l’inclusion et la transparence. Cette flexibilisation de la procédure ISO s’accompagne alors d’une nouvelle figure du récit. Celle-ci n’explique et ne légitime pas seulement, ni même essentiellement, l’action des stakeholders à partir de l’intérêt direct de l’institution – « la normalisation correspond à l’objet social d’ISO » – ou des perspectives idéologiques des acteurs – « IS0 26000 correspond/ne correspond pas à x conceptions substantielles de la justice » – mais à partir de sa capacité à s’abstraire de ses perspectives d’intérêts, et proposer une procédure les intégrant de manière objective et démocratique. L’histoire du dispositif ISO 26000 consiste à raconter comment les différentes perspectives des divers acteurs arrivent à s’agréger dans une histoire commune provenant de la communauté elle-même et de l’exercice de sa volonté. Les données empiriques récoltées dans le cadre de notre recherche de terrain [29] permettent de comprendre toute la portée du récit diffusé sur ISO 26000.
II.2. Récit sur le contenu
20 L’histoire officielle du processus d’élaboration d’ISO 26000 s’étale sur une période de neuf ans (2001-2010) et peut être divisée en trois grandes étapes : les prémices durant lesquelles sont organisées de multiples consultations (2001-2005) ; le développement du contenu de la norme par un groupe d’experts multistakeholder privilégiant la méthode du consensus (2005-2009) ; le vote par les instituts nationaux de normalisation membres de l’ISO et la publication de la norme (2009-2010). Il nous est impossible de présenter ici une analyse détaillée des événements qui se sont produits durant toutes ces années [30]. Nous nous focaliserons donc d’abord sur l’analyse des caractéristiques générales du récit sur le contenu développé en insistant sur les principaux éléments au fondement de sa légitimité.
21 La particularité du récit sur le contenu de la norme ISO 26000 est de se présenter comme neutre. Il s’agit d’une description des faits qui ont jalonnés le processus d’élaboration : les différents types de consultations organisées avant le lancement du projet, la localisation temporelle et géographique des différentes réunions de travail internationales, les différents documents produits, les séminaires organisés pour informer telle ou telle catégorie de participant, les protocoles d’accord signés avec des organisations internationales, la mise au point progressive de la structure du groupe d’experts chargés du développement de la norme. Ce même récit, retraçant les grandes étapes de l’élaboration de l’instrument ISO 26000 depuis les prémices du processus, fut répété oralement à la fois par les représentants de l’ISO lors de la présentation du projet ISO 26000 et par les présidents de séance lors de la session plénière d’ouverture aux réunions de travail internationales. On retrouvait également ce récit par écrit sur le site Internet consacré au processus d’élaboration d’ISO 26000 (www.iso.org/sr) ou encore sur une brochure publiée par l’ISO et traduites dans dix langues pour inciter le public extérieur à participer au processus. Durant les cinq années du processus d’élaboration (2005-2010), ce récit fut régulièrement mis à jour par le biais de newsletters diffusées au terme de chaque nouvelle réunion de travail internationale. Ces newsletters mettaient l’accent sur les principaux résultats procéduraux des réunions en insistant sur des éléments comme l’augmentation du nombre de participants ou le renforcement de la participation des pays en développement, mais aussi sur la succession des réunions de travail et des séminaires collectifs organisés : les aspects allant dans le sens d’une amélioration de l’inclusion et de la transparence du processus sont ainsi spécifiquement mis en évidence. Mais ces comptes rendus insistaient également sur l’énumération des réunions de travail, des séminaires organisés, etc. Enfin, ce récit circulait par l’entremise de certains participants engagés activement dans le processus – à l’occasion d’entretiens donnés à la presse ou de séminaires destinés à encourager de nouveaux instituts nationaux à s’investir dans l’élaboration d’ISO 26000, par exemple. Les participants contribuent ainsi à la diffusion du récit et favorisent l’élargissement de l’adhésion à son égard.
22 L’histoire officielle du processus était ainsi écrite et diffusée au fur et à mesure de son déroulement. Une interprétation officielle des événements qui s’étaient déroulés lors des réunions internationales ou des décisions prises était ainsi fournie quasiment « en direct ». Comme le souligne Claudio Radaelli : « Les récits sont importants pour ce qu’ils ne disent pas, autrement dit pour leur pouvoir de réduire au silence les récits concurrents. [...] Les récits hégémoniques [...] institutionnalisent certaines possibilités d’action, dans l’opération même où ils rendent tout simplement inconcevables les alternatives possibles [31]. » La reprise et diffusion immédiate de l’histoire officielle du processus a ainsi contribué à diminuer le risque d’apparition d’autres versions possibles de l’histoire qui, par leur dimension critique ou non véridique, risquaient de porter atteinte à la crédibilité accordée au récit officiel et, par conséquent, à l’adhésion à l’égard du processus.
23 De manière générale, la linéarité et le caractère chronologique de cette narration permettent aux destinataires de se considérer comme partie prenante d’un événement important qui les dépasse mais dans lequel ils peuvent s’inscrire et qu’ils contribueront alors à façonner. La mise en récit du processus d’élaboration de la norme va être utilisée comme un moyen pour créer une histoire, un passé et une identité commune. Les acteurs sont ainsi incités à s’investir dans le développement du contenu. Enfin, le rappel constant du calendrier passé et à venir donne toute la mesure de l’investissement mis en place dans le projet tout en renforçant, au sein du groupe de travail chargé du développement de la norme, l’impression de la nécessité d’aboutir.
II.3. Récit sur le contenant
24 Le récit sur le contenu est cependant insuffisant pour assurer la légitimité de la norme et la motivation de participer à son développement ou sa mise en œuvre. Il ne suffit pas de décrire la trame de l’histoire en commun, il faut donner aux acteurs de bonnes raisons pour y adhérer et s’y engager. Dans ce récit, le processus d’élaboration prétend combiner des principes tels que l’ouverture, la représentativité, l’efficacité et l’expertise. Le récit sur le contenant insiste ainsi, et de manière toute particulière, sur le caractère démocratique inédit du développement d’ISO 26000.
25 « De tous les groupes constitués pour élaborer une norme ISO, l’ISO/GT RS [32] a été le plus important, avec la base la plus large en termes de représentation des parties prenantes. Lors de sa dernière réunion, en juillet 2010, l’ISO/GT RS comptait 450 experts participants et 210 observateurs de 99 pays membres de l’ISO et de 42 organisations en liaison. Six principaux groupes de parties prenantes étaient représentés : industrie, gouvernements, monde du travail, consommateurs, organisations non gouvernementales et services, conseil, recherche et autres, avec équilibre géographique et équilibre hommes/femmes [33]. » À l’instar des communautés épistémiques [34], les experts nommés par les instituts nationaux de normalisation sont supposés être politiquement neutres, indépendants, recrutés sur une base volontaire et dotés d’une compétence reconnue dans le domaine d’application de la norme. Leurs décisions doivent être prises sur le mode du consensus. D’un autre côté, à l’instar des organisations intergouvernementales, l’ISO fonctionne sur le principe de délégations nationales qui sont chargées de représenter les intérêts de leur pays et votent les projets de normes internationales.
26 Dans le cadre de la norme ISO 26000, l’équation se complique. Premièrement, des règles peuvent être créées ou modifiées par les participants au processus de manière à assurer l’ouverture (l’égalité d’accès et d’influence, la transparence) et l’efficacité du processus. Le récit sur le contenant semble donc être créé par les participants eux-mêmes. La liberté de modifier les règles de procédure paraît leur donner la possibilité d’écrire eux-mêmes le récit expliquant le choix des repères, et d’agir au cœur même du collectif créé au fur et à mesure du processus d’élaboration de la norme. Prenant place dans une situation d’incertitude par rapport au résultat de la délibération, elle doit ce faisant susciter et renforcer la motivation des acteurs ainsi que leur sentiment de légitimité vis-à-vis de la procédure. Deuxièmement, on assiste à une complexification de la définition donnée à la représentativité dans la mesure où un équilibre est recherché dans la représentation de diverses catégories de stakeholders à la fois au niveau national et international mais aussi également entre pays développés et ceux classés « en voie de développement ». À partir d’une analyse empirique approfondie, nous avons démontré l’impossibilité de parvenir à un tel résultat et les arbitrages qui devaient nécessairement être effectués entre ces différents objectifs [35]. Néanmoins, la procédure laisse l’impression aux participants que l’ensemble de ces principes peuvent être combinés via leur engagement dans le façonnement de la procédure qui assure le succès du récit. Et que pour ce faire, il est naturellement nécessaire de dépasser ses intérêts individuels pour se consacrer à la réussite de l’entreprise collective. Les éléments allant à l’encontre de cette vision idéale de la procédure sont, ce faisant, écartés de la narration officielle. Le récit oublie ainsi souvent de mentionner que les participants au groupe d’experts sur ISO 26000 ont augmenté de façon exponentielle tout au long du déroulement du processus – en septembre 2005, lors de la deuxième réunion de travail, on dénombrait ainsi 270 experts participants parmi lesquels une minorité (110 personnes) provenait des pays classés en développement [36]. Par ailleurs, le découpage en catégories de stakeholder ainsi que les méthodes de sélection des participants pour chacune d’entre elle est également problématique. À l’instar du mandat assigné au groupe de travail, la définition donnée à la représentation est ainsi laissée volontairement ambiguë de manière à favoriser l’ouverture du processus [37]. L’engagement du plus grands nombre possible d’acteurs – ainsi que la conviction de tous que cet engagement est effectif – dans le processus d’élaboration est en effet un facteur essentiel pour favoriser le succès de la norme lors de la phase d’application.
27 L’utilisation de cette nouvelle figure du récit ne se limite pas à la phase d’élaboration de la norme. L’histoire ne peut s’arrêter avec la publication de la norme, elle doit se prolonger au-delà. La poursuite du récit est en effet indispensable pour maintenir l’engagement des personnes qui se sont impliquées dans son développement (« l’aventure continue ») et pour soutenir la diffusion de la norme en élargissant le public impliqué (« vous aussi vous pouvez être des héros de l’histoire en appliquant la norme dans votre organisation »). Phases d’élaboration et d’application de la norme sont ainsi intrinsèquement reliées : les concepteurs de la norme jouent en effet un rôle fondamental en tant qu’ambassadeurs de sa diffusion. Il est donc indispensable qu’au terme de la phase d’élaboration, le récit ait réussi à créer une fidélité à l’égard de la norme.
28 Comment maintenir et élargir l’engagement et la confiance à l’égard de la norme une fois celle-ci publiée ? Les défis rencontrés lors de la phase d’application vont influer sur les caractéristiques du récit. Il s’agira dès lors, et à nouveau, d’insister sur l’ouverture pour favoriser la diffusion de la norme et l’adhésion du grand public, de mettre en exergue l’efficacité de l’outil pour solliciter son utilisation et de montrer que l’itérativité, l’amélioration continue et l’apprentissage collectif sont toujours possibles, de manière à encourager l’engagement de nouveaux acteurs. De plus, le succès de la norme ISO 26000 est intrinsèquement lié à sa diffusion au sein du champ social. Les organisations ne seront poussées à acquérir ce nouvel instrument que si responsabilité sociétale rime avec ISO 26000 pour leurs clients et le public au sens large. Contrairement à la phase d’élaboration de la norme, il n’existe guère de collectif, de groupe d’experts constitué et de règles de procédures à respecter. Lors de la phase d’application, le récit sur le contenu perd ainsi sa linéarité pour se fractionner en fonction des échelles géographiques et des différentes modalités de création et de diffusion.
29 Le récit se concentre alors essentiellement sur le caractère inclusif et ouvert de sa procédure. Pour ne prendre qu’un exemple, à l’occasion de la publication de la norme ISO 26000 en novembre 2010, l’ISO lança, via les réseaux sociaux et les médias, un concours ouvert à tous demandant aux participants d’écrire un article portant sur : « Que signifie pour vous la responsabilité sociétale ? » et « Quelles sont vos attentes concernant ISO 26000 ou comment cette norme aura-t-elle un impact ? ». La « meilleure » contribution fut ensuite publiée en mars 2011 dans un numéro spécial du magazine de l’organisation, ISO Focus+, consacré à ISO 26000. Ce mécanisme permet ainsi d’emblée aux personnes n’ayant pas participé à l’élaboration d’ISO 26000 de devenir partie prenante de son histoire en prenant la plume pour imaginer le futur de la norme. Le contenu du récit développé importe peu, il s’agit avant tout de montrer que la délibération se prolonge au-delà de la phase d’élaboration [38].
30 La force du nouveau récital politique est de pouvoir s’appuyer sur les structures existantes. Les instituts nationaux de normalisation et les organisations internationales participant au processus furent ainsi de puissants diffuseurs du récit et vecteurs du passage d’une échelle de résonance internationale vers une diffusion plus locale indispensable pour favoriser une application de la norme sur le terrain. Sous couvert de débattre du contenu de la norme ou d’en enseigner les principes, il s’agit en fait surtout de communiquer sur son existence et de susciter l’engagement à son égard afin de favoriser son application. L’Agence française de normalisation (AFNOR) fut ainsi particulièrement active : « Durant l’année 2010, le Groupe AFNOR a organisé un “tour de France ISO 26000” structuré en demi-journée qui était rythmée par trois temps forts : comprendre, déployer et évaluer sa démarche développement durable – responsabilité sociétale. Une vingtaine d’évènements dans toute la France ont rassemblé près de 3000 participants. En coordonnant l’ensemble des manifestations et en les regroupant sous une même appellation, le Groupe AFNOR a pu, ainsi, faire bénéficier la norme ISO 26000 d’une importante et intensive couverture médiatique [39]. »
31 Internet et les médias sociaux en particulier se trouvent au cœur des mécanismes de diffusion de ce nouveau type de récital. Il s’agit de créer le lien le plus direct possible entre les personnes intéressées et la norme. La création de sites Internet officiels spécialement consacré à l’élaboration de la norme (www.iso.org/sr, www.iso.org/wgsr et www.iso.org/iso26000) et offrant un accès libre aux documents de travail avait déjà contribué à la notoriété de la norme au moment de la phase de développement. Après la publication, des pages dédiées à ISO 26000 sont créées sur Twitter (6 000 membres en août 2012), Facebook et Linkedin (plus de 9 600 membres en février 2014). D’anciens experts qui avaient participé au processus d’élaboration se chargent ainsi de lancer et d’animer des débats sur la norme. La majorité des discussions sur ces sites reviennent sur des éléments maintes fois débattus depuis les prémices du processus, au début des années 2000, mais il s’agit avant tout de favoriser l’engagement du public au sens large dans la « communauté ISO 26000 ». Le récit invite ainsi l’utilisateur potentiel à appliquer une – et/ou plusieurs – norme(s) et ainsi devenir membre de la famille ISO. Il pourra par la suite participer directement ou indirectement à la révision des normes – qui ont lieu tous les cinq ans maximum – et passer du statut d’utilisateur à celui de concepteur. La boucle est ainsi bouclée. L’ouverture dans la phase d’application de la norme renforce l’efficacité du processus de sa révision future.
III. Articulations, tensions et ambiguïtés du récit au cœur du paradigmede la régulation
32 Les pages qui précèdent distinguent deux types de récit : le processus de décision balance à chaque fois entre la nécessité de former une norme efficace et l’exigence de légitimité qu’elle doit remplir. En réalité, la structure du récit fait le pari de la complémentarité entre ces deux termes.
33 D’une part, les phases d’élaboration et d’application ne sont pas considérées comme distinctes l’une de l’autre. La phase d’élaboration de la norme ne vise pas seulement à instituer les conditions abstraites de la discussion publique mais aussi, d’emblée, à préparer le consensus entourant la norme. En retour, la phase d’application de la norme inclut en son sein les conditions qui permettront une exécution viable et effective de la norme, à savoir : en l’absence de système de sanction horizontale, le consensus des acteurs ; afin d’obtenir un tel consensus, des motifs durables d’adhésion de leur part ; en vue de construire cette adhésion, leur inclusion dans l’application du processus. La formation de la norme s’intègre dès son entame dans une démarche de management public visant à faciliter la bonne application de la norme. Cette application permet, quant à elle, aux acteurs de se saisir du contenu de la norme, et donc d’en influencer le contenu.
34 De l’autre, récits sur le contenu et récits sur la procédure se conditionnent réciproquement. En soi, la chronologie des évènements, la succession des réunions ou encore la mise en place d’une temporalité soutenue ne suffisent pas à susciter un sentiment d’adhésion chez les acteurs. Par ailleurs, la mise en place de procédures plus ou moins ouvertes et participatives ne saurait entraîner à elle seule la mise en place de normes effectives. La nécessité de créer une confiance collective autour de la norme devient donc ici capitale. Cette relation de confiance doit permettre de produire une norme effective, à l’application de laquelle les acteurs consentiraient ou participeraient. Mais elle doit également favoriser l’élaboration d’une norme efficace, en profitant davantage des savoirs de terrain et de l’apport épistémique des acteurs. Dans ce cadre, c’est donc la conscience partagée que l’œuvre en commun fait l’objet d’une écriture par chacun des acteurs, simultanément au même endroit, ou à la chaîne [40] lors des phases successives d’adjudication de la norme. Et c’est, en retour, la mise en place progressive de famille de normes appuyées par l’autorité de l’expertise qui cimente la participation des acteurs. Le processus se veut le plus ouvert possible ; mais le statut d’acteur n’est conféré qu’à celui qui accepte de s’insérer au sein même du processus de décision, et d’accepter ses artefacts, ses coutumes, ses solidarités de langage.
35 À défaut d’avoir la capacité d’imposer aux acteurs un contenu normatif, la procédure ISO doit convaincre ceux-ci qu’ils ont de bonnes raisons d’y acquiescer, tout en maximisant les chances qu’ils s’y plient effectivement. Comment associer sentiment de légitimité et confiance, et comment faire en sorte que cela se traduise par une participation active des acteurs à l’effectuation de la norme ? Le pari entrepris par l’ISO consistera en ceci : convaincre que l’histoire du processus d’élaboration de la norme n’est pas écrit de l’extérieur, mais par les acteurs eux-mêmes. Ces derniers doivent être incités à s’engager dans la prise de décision. Leur participation au processus d’élaboration de la norme doit obtenir leur coopération lors de la phase d’application de la norme. Enfin, cette participation doit produire une décision de qualité, informée des circonstances de son application.
36 Comment penser de manière démocratique le moment d’acceptation de la norme ? Comment faire pour qu’il évite l’arbitraire, qu’il devienne l’instrument aveugle d’un intérêt privé ou de la technostructure administrative ? La procédure mise en place par l’ISO pour l’élaboration d’ISO 26000 reprend l’idée platonicienne d’un gouvernement façonneur, réunissant dans un même geste l’action politique et le moment de son exécution, mais elle veut situer le lieu de la rationalité politique dans la glaise du potier plutôt que dans l’âme abstraite d’un hypothétique roi-philosophe [41]. Pour cela, les discours autour du développement de la norme ISO 26000 vont moins insister sur le récit du processus que sur celui de la procédure supposée l’alimenter. Le processus d’élaboration d’ISO 26000 s’interprète comme une partie de jeu de rôles ; sa procédure subsiste du fait que ses acteurs croient à la réalité de leur participation.
37 L’ouverture du processus permet d’une part d’élargir la communauté épistémique en charge de la norme à l’ensemble du champ social. L’espace de décision politique ne présage pas de la légitimité de tel ou tel groupe à participer au débat public. De l’autre, l’itérativité de la décision et la rétroaction constante des phases d’élaboration et d’application de la norme permettent que la participation des acteurs et leur adhésion au processus puissent se nourrir naturellement : la narration de l’une soutient l’autre, et ce d’autant plus fort que leur écho est censé porter bien au-delà des portes des groupes d’experts. La délibération se prolonge au sein même de la phase d’application de la norme [42] : un tel retour réflexif du contexte d’application transforme alors à son tour la finalité d’origine de la norme, créant ainsi une nouvelle cohérence entre le monde social et l’espace d’élaboration de la norme, qui elle-même passe à l’arrière-plan.
38 Ce récit-là contient deux dimensions. La première se forme à partir de l’inclusion des acteurs à toutes les phases du processus décisionnel, et recouvre la dimension proprement biographique du récit : les acteurs qui participent au processus écrivent par leur action les différents chapitres du processus. La seconde raconte cette participation et la met en scène. Le récit constitue dans ce cadre une œuvre d’interprétation du processus décisionnel devant susciter chez tous la conviction que la dynamique collective se déroule bien sous le sceau de la plus grande participation de tous. Elle construit également une dynamique régulatrice et justificatrice. D’une part, les acteurs conçoivent la légitimité du processus à partir de sa dimension participative puisque celle-ci est supposée recevoir le consensus de la communauté de discussion. D’autre part, ce sentiment de légitimité nourrit lui-même la dynamique de participation des acteurs et contribue à consolider le processus de décision. Dans ce cadre, la procédure mise en place ne permet pas seulement aux acteurs de certifier d’eux-mêmes le « tournant argumentatif » [43] – pour reprendre les mots de Frank Fischer – de la procédure. Elle alimente, par son caractère itératif, un constant processus d’information des acteurs tout en laissant indéterminée – et donc ouverte – la définition même de ce qu’est un acteur expert [44].
39 La légitimité du processus doit procéder à la fois de sa qualité délibérative, de la participation des acteurs qu’elle suscite et dont elle découle. De plus, le sentiment collectif de légitimité doit émerger du sentiment d’une histoire vécue autour de ces valeurs de délibération et de participation. Le consensus collectif s’appuie sur le sentiment de chacun d’avoir avantage à faire partie du processus, ou de subir un préjudice à devoir le quitter. La naissance d’un tel sentiment provient ici des modes de narration propres à la communauté épistémique en charge de la production de la norme. L’apprentissage collectif qui accompagne la mise en récit sélectionne progressivement les éléments redondants qui deviendront ensuite des schémas axiologiques, puis une idéologie. Mais ce récit sur le contenu – les faits discursifs menant à la formation de la norme – est lui-même construit par le consensus créé autour du récit sur le contenant – la manière dont la communauté se raconte le processus de rationalisation de la discussion publique. La communauté ne se réfère plus seulement à une histoire en commun, mais à la manière dont met en scène l’élaboration progressive de cette histoire, les codes de discussion construits ensemble, l’affichage de la conviction commune que le processus de décision a été délibéré en commun.
Conclusion : trois questions critiques
40 Notre appréhension de la notion de récit ne montre pas seulement comment un processus d’action publique – ici la procédure ISO – peut agir sur le champ discursif pour créer de nouvelles représentations des problèmes soumis aux acteurs, ainsi que pour orienter le consensus collectif et l’action des institutions autour de ces représentations. Elle permet également d’élargir notre compréhension de la délibération publique, et ce à deux niveaux.
41 D’une part, la figure du récit montre qu’il n’est pas nécessaire d’effacer les intérêts et les conceptions d’arrière-plan de chacun pour produire des effets positifs d’un point de vue épistémique. L’acte de raisonner n’est pas seulement conditionné par le moment formel de son élaboration, mais également par les ressources offertes par les expérimentations et les conséquences pratiques auxquelles donnent lieu son application. Celles-ci représentent à la fois une ressource et une contrainte d’ajustement de la décision politique [45]. La justification de la norme s’éprouve dans le cours même de sa réalisation [46]. Dans ce cadre, la figure du récit permet de prendre en compte, mais aussi d’exploiter pratiquement, le fait que le contexte d’application de la norme est un élément intrinsèque de la délibération. La norme se forme par essais et erreurs, et se révise « in the light of more detailed, partial proposals arising from efforts to implement them » [47].
42 D’autre part, elle montre pratiquement à quel point la notion de confiance est importante pour la délibération publique. À défaut de transparence des intentions ou de sincérité prouvée des acteurs, le succès de la discussion repose sur le pari collectif sur la bonne foi de chacun de s’engager dans la discussion : la figure du récit est la pierre angulaire supposée permettre à chacun de se reconnaître et de croire en ce pari. Intégrant la dimension stratégique – à savoir l’expression calculée des intérêts, mais aussi l’application effective de la norme – dans une démarche de justification de la discussion publique [48], la figure du récit ouvre ce faisant une porte pour penser de manière démocratique le problème de la motivation à suivre la norme.
43 Le paradigme de la régulation doit représenter un équilibre d’un nouveau genre entre création de consensus et gestion de la pluralité, formation de la contrainte et légitimité délibérative. La mise en récit est chargée d’alimenter la motivation des acteurs tout en déroulant devant eux l’image de leur propre participation. Elle entend ainsi obtenir une mise en œuvre effective des réformes tout en assurant l’autonomie réflexive des acteurs : y parvient-elle pour autant ? Trois remarques critiques jettent le doute à cet égard.
44 À un premier niveau se pose bien entendu la question de la neutralité du récit. Il ne s’agit pas ici de pointer quelque déterminisme idéologique intrinsèque à ISO 26000, ou de rappeler la place privilégiée que les techniques de « nouvelle gouvernance » ménagent pour les acteurs qui disposent de plus de ressources, de temps et d’énergie ; mais de souligner que la figure du récit constitue un processus de sélection des contenus discutés et des acteurs de la discussion. Le processus de décision étudié se conçoit comme un processus inclusif. Mais l’inclusion des acteurs nécessite d’emblée qu’ils adhèrent aux codes, cérémoniaux et artefacts symboliques du processus. Leur influence procède de leur capacité à socialiser leurs positions et arguments, et donc à partager les codes informels et les principes de rationalité constituant le récit collectif – parmi lesquels l’idée que ce processus, quelles que soient les disparités de ressources entre les acteurs, est authentiquement « ouvert », « itératif » et « participatif ». Dans ce contexte, il est théoriquement possible de critiquer les biais d’un tel cadre procédural. Toutefois, la capacité de faire valoir la critique est liée au statut d’acteur. L’appartenance à la discussion est condition de parole mais elle implique d’accepter de s’insérer dans les procédures existantes. Les négociateurs les mieux socialisés ne trouvent forcément plus aucune raison de questionner le cadre de négociation dans lequel ils évoluent – puisqu’ils le maîtrisent et l’ont intégré comme étant a priori fonctionnel. Les autres ne rentrent pleinement dans le club qu’en digérant les codes de fond et de forme déjà existants. Toute critique conséquente est également une critique de la procédure elle-même. Critiquer la mesure revient donc à se mettre hors-jeu. Se mettre dans le jeu revient en retour à accepter les conséquences de l’inclusion.
45 On est alors en droit de se demander, à un deuxième niveau, si la régulation par le récit est réellement en mesure de marier les deux objectifs qu’elle affecte de poursuivre : la mise en scène d’une participation démocratique et autonome, et la construction d’un consensus efficace autour de normes effectives. Supposons en effet que le récit permette l’expression autonome de l’espace public. Dans ce cas, comment garantir simultanément la production d’une norme effective ? Vu l’absence de contrainte formelle du processus, l’application de la norme est étroitement liée à la production d’un consensus entre les acteurs, et ce tant au niveau du contenu que des modalités d’application de la norme. Ce consensus est nécessaire, puisque sans lui les acteurs n’ont pas de motif puissant pour se soumettre aux mécanismes d’émulation et d’incitation collective mis en place par la norme. Or, l’existence spontanée d’un tel consensus est improbable en l’absence d’une conception homogène de la vie morale collective chez les acteurs. Dès lors, il s’agit soit de renoncer à l’idée d’un tel consensus : dans ce cas, il semble illusoire que les acteurs s’accordent spontanément autour de normes issues d’une discussion collective ; si cela devait toutefois arriver, il serait encore plus illusoire de croire que les acteurs se conformeront d’eux-mêmes à ces normes. Soit on n’y renonce pas, et il s’agit dès lors de mettre en place les outils pour y parvenir, à savoir un système décisionnel reposant sur un contrôle diffus dans l’espace – prenant place dans de multiples milieux et institutions – et dans le temps – s’exerçant tout au long de la procédure d’élaboration, d’adoption et d’exécution des normes, en dépit des séparations formelles prévues par les traités. La question de la construction du cadre normatif ne serait plus celle de la définition, de la mise en œuvre ou du contrôle de la norme par un système juridique chargé d’imposer de l’extérieur sa contrainte, mais plutôt celle du pilotage de l’innovation et des représentations collectives. L’auto-évaluation et la participation des acteurs sont supposées donner une photographie de leur comportement vis-à-vis du contenu de la norme en même temps que le cap d’une pratique qui sera jugée comme « bonne » parce qu’elle est appliquée par les autres acteurs.
46 Dans ce cas, le contrôle public se déroule dans le même mouvement que la rencontre des besoins et attentes supposés des acteurs. Les conditions d’efficacité de la décision ne dépendent plus de la mise en œuvre de dispositifs judiciaires ou policiers, mais de l’inclusion des acteurs dans la même grille de rationalité. La procédure doit créer d’elle-même l’adhésion. Dans ce cadre, l’ouverture à la participation réflexive des acteurs représente principalement un combustible destiné à augmenter la force centripète du processus. La tenue d’un débat de fond sur le contenu, les principes et les biais possibles des indicateurs devient dès lors des plus hypothétique : chacun des acteurs se presse auprès d’une échelle de performance construite sur un consensus fictif au départ, renforcé progressivement par la conviction aveugle et collective qu’il vaut mieux se trouver parmi les « bons élèves » de la classe. Dans ce cadre, comment éviter que le débat public ne se réduise à une vaste ruée sur des indicateurs chargés d’évaluer « l’adaptabilité des acteurs », c’est-à-dire leur capacité à réagir à leurs propres attentes supposées ? Les acteurs sont les héros de leur histoire en commun, mais la trame de cette dernière ne leur offre que le choix entre un jeu libre sans histoire, ou une histoire dont ils ne seraient que les personnages.
47 Ceci nous porte jusqu’à notre troisième remarque. Les techniques de régulation que nous avons abordées veulent certes organiser un apprentissage collectif ouvert sur l’indéterminabilité des décisions possibles, plutôt que l’orientation forcée des acteurs autour des perceptions jugées d’emblée « bonnes » ou « correctes ». La procédure d’apprentissage collectif doit donc conduire les acteurs à leur propre illumination [49]. Toutefois, le dispositif ainsi créé amène une double objection.
48 Premièrement, cet apprentissage collectif est orienté autour d’objectifs déjà définis, et de contenus idéologiques parfois explicites : de quel droit et sur quelle base le sont-ils, puisque ce devait précisément être la participation des acteurs et la décentralisation du processus qui lui donne sa légitimité ? Deuxièmement, la mise en récit de la participation des acteurs supporte explicitement une manière précise de nouer la discussion publique, de concevoir le rôle de la délibération, du conflit, de l’articulation des intérêts. L’apprentissage collectif entend « institutionnaliser » une forme de rationalité collective qui puisse « guider » l’action publique. Quelle que soit la validité ou même la forme précise de cette conception, elle suppose donc que tous les acteurs de l’espace social se sont mis d’accord pour délibérer exclusivement autour de cette forme de rationalité. La régulation par le récit prétend tenir compte de la complexité sociale et du caractère dynamique des préférences qui s’y expriment. Elle néglige pourtant le fait que le principe de la délibération n’échappe pas à un pluralisme irréductible des formes de discussion publiques. La décision de délibérer fait l’objet d’un choix moral, susceptible à ce titre de désaccords. Or, l’obligation de délibérer supprime non seulement la possibilité de ce choix, mais l’opportunité de développer une conviction divergente.
49 La régulation par le récit permet à première vue une conception cohérente du rapport démocratique : un processus participatif, ouvert et interactif ; une décision rationnelle, informée et débattue ; une norme appliquée de manière efficace. Pourtant, l’assemblage de ces différents éléments ne semble pas suffire à définir un régime démocratique de décision. Les théories de la démocratie insistent habituellement sur la qualité de l’articulation entre rationalité et représentativité dans la définition du bien commun, et le rôle central qu’y joue la recherche de l’autonomie « authentique » de l’acteur : cette brève approche du phénomène de la régulation ne nous encourage-t-elle pas à chercher ailleurs la justification du principe démocratique ? Ces quelques pages ont tenté de montrer qu’une discussion coopérative ne peut prendre place qu’en s’assurant de la motivation de ses participants, mais qu’une telle assurance revient à mettre en suspens l’exercice de leur autonomie. Le prix payé pour le consensus est donc élevé. Il nous questionne sur l’ambition des récits de la régulation à renouveler simultanément l’expression démocratique des citoyens et l’efficacité des formes d’intervention publique. Il pousse également à s’interroger en quoi les justifications – au sens large – communicationnelles du régime démocratique permettent de surmonter le pluralisme des valeurs davantage que les approches naturalistes qu’elles dénoncent.
Mots-clés éditeurs : Délibération, Paradigme de la régulation, Norme ISO 26000, Légitimité politique, Transformation des techniques d'action publique
Mise en ligne 16/05/2014
https://doi.org/10.3917/drs.086.0135Notes
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[1]
Parmi une très abondante bibliographie, citons : André-Jean Arnaud, Entre modernité et mondialisation. Cinq leçons d’histoire de la philosophie du droit et de l’État, Paris : LGDJ, coll. « Droit et Société », 1997 ; Manuel Castells, The Rise of Network Society, Oxford : Blackwell Publishers, 1999 ; Jacques Commaille et Pierre Lascoumes (avec la collab. de Catherine Fournier), La production gouvernementale du droit, Paris : Éditions du CNRS, 1995 ; Mireille Delmas-Marty, Trois défis pour un droit mondial, Paris : Seuil, 1998 ; François Ost, Le temps du droit, Paris : Odile Jacob, 1999 ; Aseem Prakash et A. Jeffrey Hart, Globalization and Governance, Londres : Routledge, 1999 ; Gerry Stoker, « Governance as a Theory: Five Propositions », International Social Sciences Journal, 1998, p. 17-28.
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[2]
À cet égard, la théorie politique classique semble négliger les mécanismes assurant la confiance des acteurs dans le système de régulation, ou réduit la création de cette confiance à des mécanismes agrégatifs ou majoritaires. La philosophie politique, quant à elle, paraît faire l’impasse sur les conditions qui font qu’un modèle démocratique permet de produire des normes effective sur l’espace social – à moins de réduire d’emblée ce modèle à une conception positiviste ou réaliste de la décision – et les difficultés philosophiques que pose la réalisation éventuelle de ces conditions.
-
[3]
Pour une revue de la littérature sur l’utilisation du récit en science sociale voir : Barbara Czarniawska, Narratives in Social Science Research, Londres : Sage, 2004 ; Claudio Radaelli, « Récit (Policy narrative) », in Laurie Boussaguet, Sophie Jacquot et Pauline Ravinet, Dictionnaire des politiques publiques, Paris : Presses de Sciences Po, 3e éd., 2010, p. 548-554 ; Barbara Czarniawska, Narrating the Organization. Dramas of Institutional Identity, Chicago : University of Chicago Press, 1997.
-
[4]
Voir Charles Taylor, Modern Social Imaginaries, Durham : Duke University Press, 2004.
-
[5]
Iris Marion Young, Inclusion and Democracy, Oxford : Oxford University Press, 2000, p. 70-79.
-
[6]
Deborah Stone, « Causal Stories and the Formation of Policy Agendas », Political Science Quarterly, 104 (2), 1989, p. 281-300.
-
[7]
Emery Roe, Narrative Policy Analysis. Theory and Practice, Durham : Duke University Press, 1994, p. 36-37.
-
[8]
Pierre Bourdieu, « L’illusion biographique », Actes de la recherche en sciences sociales, 62-63, 1986, p. 69-72.
-
[9]
Voir Teun Van Dijk, « Principles of Critical Discourse Analysis », in Margareth Wetherell, Stephanie Taylor et Simeon J. Yates (eds.), Discourse Theory and Practice, Londres : Sage Publications, 2001, p. 301-317 ; Slef Slembrouck, What Is Meant by Discourse Analysis?, <http://www.umsl.edu/~wilmarthp/mrpc-web-resources/discourse-analysis.pdf>, 2006, en libre accès depuis le 15 avril 2009.
-
[10]
Deborah Stone, « Causal Stories and the Formation of Policy Agendas », art. cité, p. 283.
-
[11]
Maarten Hajer, The Politics of Environmental Discourse: Ecological Modernization and the Policy Process, Oxford : Clarendon Press, 1995.
-
[12]
Jürgen Habermas, Idéalisations et communication. Agir communicationnel et usage de la raison [2001], Paris : Fayard, 2006.
-
[13]
Voir Emery Roe, Narrative Policy Analysis. Theory and Practice, op. cit., et de manière plus générale, Maarten Hajer, « Doing Discourse Analysis: Coalitions, Practices, Meaning », in Margo van den Brink et Tamara Metze (eds.), Words Matter in Policy and Planning: Discourse Theory and Method in the Social Sciences, Utrecht : KNAG/Nethur, coll. « Netherlands Geographical Studies », 2005, p. 65-74.
-
[14]
Louise Phillips et Marianne W. Jorgensen, Discourse Analysis as Theory and Method, Londres : Sage, 2002 ; Margaret Wetherell, Stephanie Taylor et Simeon J. Yates (eds.), Discourse Theory and Practice. A Reader, op. cit.
-
[15]
Claudio Radaelli, « Logiques de pouvoirs et récits dans les politiques publiques de l’Union européenne », Revue française de science politique, 50 (2), 2000, p. 255-276.
-
[16]
Jacques Commaille, « De la “sociologie juridique” à une sociologie politique du droit », in Jacques Commaille, Laurence Dumoulin et Cécile Robert, La juridicisation du politique. Leçons scientifiques, Paris : LGDJ, 1994, p. 134.
-
[17]
Frederick Herzberg, Work and the Nature of Man, New York : World Publishing Times Mirror, 1966.
-
[18]
Michel Crozier, « Le problème de la régulation dans les sociétés complexes modernes », in François Chazel et Jacques Commaille, Normes juridiques et régulation sociale, Paris : LGDJ, coll. « Droit et Société », 1991, p. 134.
-
[19]
Cf. Franck Cochoy, « La responsabilité sociale de l’entreprise comme “représentation” de l’économie et du droit », Droit et Société, 65, 2007, p. 91-101.
-
[20]
Données au 31 décembre 2013. Source : <http://www.iso.org/iso/fr/about/iso_members.htm>, consulté en février 2014.
- [21]
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[22]
Source : <http://www.iso.org>, août 2012.
-
[23]
Source : <http://annualreport.iso.org/fr>.
-
[24]
Voir Craig Murphy et Joanne Yates, « Coordinating International Standards: The Formation of the ISO », MIT Sloan Working Paper, n° 4638-07, 2007.
-
[25]
La procédure ISO est ainsi divisée en six grands stades (préliminaire, proposition, préparation, comité, enquête, approbation, publication). Voir : International organization for standardization (ISO) et International electrotechnical commission (IEC), Directives ISO/CEI, partie 1. Procédures pour les travaux techniques, 5e éd., 2004.
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[26]
Depuis la création de l’ISO après la seconde guerre mondiale, ses activités se concentraient sur la production de normes de produits fortement spécialisés. À partir du milieu des années 1980, elle va toutefois se lancer dans la production de normes plus généralement destinées aux organisations. Cette évolution est souvent présentée dans la littérature comme une véritable révolution dans l’univers de la normalisation. Les normes de système de management – la série ISO 9000 focalisée sur la qualité et la série ISO 14000 centrée sur la gestion environnementale – connaissent un succès commercial sans précédent. Voir Denis Segrestin, « L’entreprise à l’épreuve des normes de marché. Les paradoxes des nouveaux standards de gestion dans l’industrie », Revue française de sociologie, 38 (3), 1997, p. 533-585 ; Laurent Thévenot, « Un gouvernement par les normes. Pratiques et politiques des formats d’information », in Bernard Conein et Laurent Thévenot (dir.), Cognition et information en société, Paris : Éditions de l’EHESS, 1997, p. 205-242 ; Nils Brunsson et Bergt Jacobsson, A World of Standards, Oxford : Oxford University Press, 2000 ; Olivier Borraz, « Les normes : instruments dépolitisés de l’action publique », in Pierre Lascoumes et Patrick Le Galès (dir.), Gouverner par les instruments, Paris : Presses de Sciences Po, 2004, p. 123-161.
-
[27]
Pour une analyse détaillée des bouleversements rencontrés par l’ISO, voir Coline Ruwet, « Towards a Democratization of Standards Development? Internal Dynamics of ISO in the Context of Globalization », New Global Studies, 5 (2), 2011.
-
[28]
Ces critiques ont été particulièrement vives à l’égard du processus d’élaboration d’ISO 14001, norme de système de management de l’environnement. Voir Jennifer Clapp, « The Privatization of Global Environmental Governance: ISO 14000 and the Developing World », Global Governance, 4, 1998, p. 295-316 ; Riva Krut et Harris Gleckman, ISO 14001. A Missed Opportunity for Sustainable Global Development, Londres : Earthscan, 1998.
-
[29]
Une des originalités de cette étude de cas réalisée dans le cadre de la thèse de sociologie de Coline Ruwet est d’avoir récolté des données qualitatives en suivant le processus d’élaboration du contenu d’ISO 26000 pas à pas d’avril 2006 à février 2008. Ceci fut possible notamment en raison de la modification de certaines règles de la procédure afin de favoriser une plus grande transparence et ouverture du processus. Voir Coline Ruwet, Normalisation et démocratie. Des filetages à la RSE. Sociologie du processus d’élaboration d’ISO 26000, thèse de sociologie, Louvain : Université catholique de Louvain, 2009.
-
[30]
Pour une analyse détaillée des prémices du processus d’élaboration d’ISO 26000, voir Coline Ruwet, « Preparing a Success Story in the Background. The Role of the Premises of Standard-Setting at ISO 26000 », in Kai Jacobs et al. (eds.), European Academy for Standardization (EURAS). Proceedings 2013, Verland Mainz, 2013, p. 341-356. Pour une analyse de la mise en œuvre des nouvelles règles de procédure destinées à favoriser l’inclusion et la transparence, voir Id., « ISO 26000 : vers une démocratisation de la procédure ISO ? », in Michel Capron, Françoise Quairel-Lanoizelée et Marie-France Turcotte, ISO 26 000 : une Norme « hors norme » ? Vers une conception mondiale de la responsabilité sociétale, Paris : Economica, 2011.
-
[31]
Claudio Radaelli, « Logiques de pouvoirs et récits dans les politiques publiques de l’Union européenne », art. cité, p. 269.
-
[32]
L’extrait fait ici référence au groupe de travail sur la responsabilité sociétale chargé d’élaborer le contenu de la norme ISO 26000.
-
[33]
Source : dossier « Responsabilité sociétale. ISO 26 000 en affirme le sens », ISO Focus+, 2 (3), mars 2011, p. 12.
-
[34]
Peter Haas, « Introduction: Epistemic Communities and International Policy Coordination », International Organization, 46 (1), 1992, p. 1-35.
-
[35]
Coline Ruwet, Normalisation et démocratie. Des filetages à la RSE. Sociologie du processus d’élaboration d’ISO 26000, op. cit.
-
[36]
Lors du lancement du processus en mars 2005, quarante-trois instituts nationaux de normalisation participaient au processus : le nombre de pays participants a ainsi plus que doublé en cinq ans. Source : <http://www.iso.org/wgsr>.
-
[37]
Cf. Coline Ruwet, « Que représentent les stakeholders ? Le cas de l’élaboration d’ISO 26000 », Revue française de science politique, 60 (6), 2010.
-
[38]
D’autres jeux destinés au grand public (quizz, etc.) avec parfois des prix à la clef furent organisés autour de la norme avec notamment l’objectif de lutter contre l’image rébarbative des instruments ISO et de faire connaître le projet ISO 26000. La connaissance du récit sur la phase d’élaboration y était notamment questionnée.
-
[39]
Source : dossier « Responsabilité sociétale. ISO 26 000 en affirme le sens », ISO Focus+, op. cit., p. 30.
-
[40]
Ronald Dworkin, Law’s Empire, Harvard : Harvard University Press, 1986.
-
[41]
Hannah Arendt, La condition de l’homme moderne, Paris : Gallimard, 1958, p. 287-290.
-
[42]
Voir Giandomenico Majone, Regulating Europe, Londres : Routledge, 1996, Id., « Independence vs. Accountability? Non Majoritarian Institutions and Democratic Government in Europe », EUI Working Papers, 94/3, 1994, Michael Dorf et Charles Sabel, « A Constitution of Democratic Experimentalism », Columbia Law Review, 98, 1998, p. 267-463.
-
[43]
Frank Fisher et John Forester (eds.), The Argumentative Turn in Policy Analysis and Planning, Durham : Duke University Press, 1993.
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[44]
Voir Frank Fischer, Reframing Public Policy. Discursive Politics and Deliberative Practices, Oxford : Oxford University Press, 2003.
-
[45]
John S. Dryzek, Deliberative Democracy and Beyond: Liberals, Critics, Contestations, Oxford : Oxford University Press, 2000 ; Karl Heinz Ladeur, « La procéduralisation et son utilisation dans une théorie juridique post-moderne », in Olivier de Schutter, Notis Lebessis et John Paterson (dir.), La gouvernance dans l’Union européenne, Luxembourg : Office des publications officielles des Communautés européennes, coll. « Les cahiers de la Cellule de prospective », 2001 ; dans une perspective plus institutionnaliste, Charles Sabel, « Beyond Principal-Agent Governance: Experimentalist Organizations. Learning and Accountability », in Ewald Engelen et Monika Sie Dhian Ho (eds.), De staat van de democratie. Democratie voorbij de staat, Amsterdam : Amsterdam University Press, coll. « WRR Verkenning », 4, 2004, p. 173-195.
-
[46]
John Dryzek, Deliberative Democracy and Beyond: Liberals, Critics, Contestations, op. cit. ; Karl Heinz Ladeur, « La procéduralisation et son utilisation dans une théorie juridique post-moderne », art. cité, p. 55-76 ; Charles Sabel, « Beyond Principal-Agent Governance: Experimentalist Organizations. Learning and Accountability », op. cit.
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[47]
Traduction de l’extrait : « à la lumière de propositions plus détaillées, partielles résultant des efforts déployés pour les mettre en œuvre », Charles Sabel, « Beyond Principal-Agent Governance: Experimentalist Organizations. Learning and Accountability », op. cit., p. 11.
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[48]
Voir David Munro, « Norms, Motives and Radical Democracy: Habermas and the Problem of Motivation », Journal of Political Philosophy, 15 (4), p. 447-472.
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[49]
Dans le cadre du processus ISO 26000, l’objet sur lequel porte la norme – la responsabilité sociétale – n’a pas été défini au préalable par l’ISO afin de laisser aux participants la liberté de s’accorder sur une définition consensuelle.