Notes
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[1]
Nous faisons ici référence à l’alinéa 13 du préambule du TUE : « Résolus à poursuivre le processus créant une union sans cesse plus étroite entre les peuples de l’Europe, dans laquelle les décisions sont prises le plus près possible des citoyens, conformément au principe de subsidiarité. » (JOUE, C 83-13, 30 mars 2010).
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[2]
Citons, pour mémoire, l’article 5 al. 3 du traité de Maastricht : « L’action de la Communauté n’excède pas ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs du présent traité. » (JOCE, C 191, 29 juillet 1992). Mentionnons également la formulation actuellement en vigueur, telle qu’elle figure à l’article 5 § 4 TUE : « En vertu du principe de proportionnalité, le contenu et la forme de l’action de l’Union n’excèdent pas ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs des traités. » (JOUE, C 83-13, 30 mars 2010).
-
[3]
Conseil des ministres, Parlement européen et Commission des Communautés européennes, Accord institutionnel relatif aux procédures pour la mise en œuvre du principe de subsidiarité, 29 octobre 1993 (Bull. CE 10-1993).
-
[4]
« Monsieur Subsidiarité », Revue des affaires européennes, 1993, 1, p. 46-48.
-
[5]
Intitulé Proposition pour un accord interinstitutionnel sur le principe de subsidiarité (SEC (92) 1990), le rapport Lamoureux ne commence à circuler qu’au tout début de l’automne 1992. La version définitive du document paraît fin octobre, après le Conseil de Birmingham (Commission des Communautés européennes, Le principe de subsidiarité. Communication au Conseil et au Parlement européen, 27 octobre 1992, SEC (92) 1990 final).
-
[6]
Ken Endo, « The Art of Retreat: A Use of Subsidiarity by Jacques Delors, 1992-1993 », The Hokkaïdo Law Review, 48 (6), 1998, p. 394-378.
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[7]
Jacques Delors, « Pourquoi un grand marché sans frontières intérieures » (Discours devant le Parlement européen, 14 janvier 1985), Le nouveau concert européen, Paris : Odile Jacob, 1992, p. 27-49. Nous faisons référence au projet de traité d’Union européenne mis au point en 1984 par le Parlement européen sous la houlette d’Altiero Spinelli (Parlement européen, Résolution relative au projet de traité instituant l’Union européenne, 14 février 1984 ; JOCE, C 77, 19 mars 1984). Le projet Spinelli, dans lequel figurait explicitement le mot subsidiarité, contenait une disposition très voisine de la formule constitutionnelle du fédéralisme allemand. Voté par le Parlement européen le 14 février 1984, le projet n’a pas abouti ; il n’a jamais été ratifié ni même discuté par les parlements nationaux.
-
[8]
Jacques Delors, « Le principe de subsidiarité » (Discours au Colloque de l’Institut européen d’administration publique, 21 mars 1991), Le nouveau concert européen, op. cit., p. 163-176.
-
[9]
Cf. les conclusions des deux sommets britanniques de 1992 : Conseil européen, Birmingham, 16 octobre 1992 (Bull. CE 10-1992) ; Conseil européen, Édimbourg, 12 décembre 1992 (Bull. CE 12-1992).
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[10]
Dans cette communication du 27 octobre 1992, la Commission acceptait sa part de responsabilité dans les excès de la réglementation communautaire, mais elle soulignait aussi la coresponsabilité du Conseil et du Parlement européen (Commission des Communautés européennes, Le principe de subsidiarité. Communication au Conseil et au Parlement européen, 27 octobre 1992 ; SEC (92) 1990 final, paru dans Revue trimestrielle de droit européen, 28 (4), 1992, p. 728-741).
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[11]
Précisons, à ce stade, que la proportionnalité est prioritairement – et par construction – prédisposée à servir l’intérêt communautaire. Dans cette stratégie plus ou moins impensée, la Commission de Bruxelles a trouvé un allié de poids, la Cour de justice, institution à l’origine de l’entrée du principe de proportionnalité en droit communautaire. S’agissant de la définition jurisprudentielle de ce principe, cf. CJCE, Internationale Handelsgesellschaft mbH c. Einführ und Vorratsstelle für Getreide und Futtermittell, 17 décembre 1970 (aff. 11-70, Recueil de la jurisprudence de la Cour de justice et du Tribunal de première instance – ci-après Rec., p. 1125) ; CJCE, Casagrande, 3 juillet 1974 (aff. 9-74, Rec., p. 773) ; CJCE, Buitoni Forma, 21 juin 1979 (aff. 122-78, Rec., p. 677) ; CJCE, Régina c.Maurice Donald Henn et John Frederick Ernest Darby, 14 décembre 1979 (aff. 34-79, Rec., p. 3795) ; CJCE, Valsabbia, 18 mars 1980 (aff. 164-78, Rec., p. 907) ; CJCE, Union départementale des syndicats CGT de l’Aisne c. SIDEF Conforama, 28 février 1991 (aff. C 312-89, Rec., p. I-997). La Cour de justice avait exprimé sa méfiance à l’égard du principe de subsidiarité dès la phase préparatoire de la Conférence intergouvernementale sur l’Union politique. Dans une communication du 20 décembre 1990, le juge communautaire résumait ainsi sa position : « Nonobstant la connotation largement politique [du principe de subsidiarité], l’examen, par la Cour, d’un tel moyen ne poserait pas à celle-ci des problèmes de caractère nouveau. À cet égard, il suffit de renvoyer à un autre principe, peut-être de caractère plus modeste, qui, depuis longtemps, est pris en compte comme élément d’interprétation pour la délimitation des compétences permettant aux institutions d’imposer des obligations aux citoyens communautaires, et notamment aux opérateurs économiques, et dont la violation constitue également un moyen d’annulation et d’exception, à savoir le principe de proportionnalité » (CJCE, Communication à la Conférence intergouvernementale de 1991, 20 novembre 1990, cité dans Sénat, Rapport d’information fait au nom de la Délégation pour l’Union européenne sur l’application du principe de subsidiarité, dir. par Christian de La Malène, 1996, p. 46).
-
[12]
Bull. CE 10-1993 ; traité d’Amsterdam, protocole n° 7 (JOCE, C 340, 10 novembre 1997).
-
[13]
Commission des Communautés européennes, Livre blanc sur la gouvernance, 25 juillet 2001 (COM (2001) 428 final). Parmi les documents préparatoires publiés peu auparavant : Commission des Communautés européennes, Gouvernance européenne : vers une meilleure utilisation de la subsidiarité et de la proportionnalité, 16 mars 2001 (SdR D 2001).
-
[14]
Cf. Didier Georgakakis, « La gouvernance de la gouvernance. La politique du Livre blanc et les paradoxes du leadership de la Commission européenne », in Didier Georgakakis et Marine de Lassalle (dir.), La « nouvelle gouvernance européenne ». Les usages politiques d’un livre blanc, Strasbourg : Presses universitaires de Strasbourg, 2008, p. 175-208.
-
[15]
Notis Lebessis et John Paterson, Développer de nouveaux modes de gouvernance, Bruxelles : Commission européenne, 2000, p. 41 (Working Paper de la Cellule de prospective).
-
[16]
Ibid., p. 41 sq. Le thème de la subsidiarité active avait été lancé dès 1993 par Pierre Calame, haut fonctionnaire français du ministère de l’Équipement : Pierre Calame, L’État au cœur, le Meccano de la gouvernance, Paris : Desclée de Brouwer, 1997, voir le chapitre intitulé « La subsidiarité active », p. 167-205 ; Id., « Le principe de subsidiarité active. Concilier unité et diversité », in Olivier de Schutter, Notis Lebessis et John Paterson (dir.), La gouvernance dans l’Union européenne, Bruxelles : Commission européenne, 2001, p. 247-260 (Cahier de la Cellule de prospective) ; Pierre Calame, La démocratie en miettes. Pour une révolution de la gouvernance, Paris : Descartes, 2003, voir le chapitre intitulé « Les relations entre niveaux de gouvernance : la subsidiarité active », p. 171-199.
-
[17]
Cf. Arend Lijphart, Democracies: Pattern of Majoritarian and Consensus Governments in Twenty One Countries, New Haven : Yale University Press, 1985.
-
[18]
Renaud Dehousse (dir.), L’Europe sans Bruxelles ? Une analyse de la méthode ouverte de coordination, Paris : L’Harmattan, 2004 ; Renaud Dehousse, « La méthode ouverte de coordination. Quand l’instrument tient lieu de politique », in Pierre Lascoumes et Patrick Le Galès (dir.), Gouverner par les instruments, Paris : Presses de Sciences Po, 2005, p. 331-356.
-
[19]
Le Livre blanc insiste particulièrement sur cet aspect.
-
[20]
Cf. Aurélien Raccah, « Vers une formalisation de la procédure prélégislative de l’Union européenne ? », Revue française d’administration publique, 127, 2008, p. 543-558 ; Alberto Alemanno, « Quis custodet custodes dans le cadre de l’initiative “Mieux légiférer” ? », Revue du droit de l’Union européenne, 1, 2008, p. 43-86 ; Renaud Dehousse, « L’activité législative : moins mais mieux », in Renaud Dehousse, Florence Deloche-Gaudez et Olivier Duhamel (dir.), Élargissement : comment l’Europe s’adapte, Paris : Presses de Sciences Po, 2006, p. 23-38.
-
[21]
Cf. Alexander J. Mackenzie-Stuart, « Subsidiarity, A Busted Flush? », in Deirdre Curtin et David O’Keeffe (eds.), Essays T. F. O’Higgins, Dublin : Butterworth, 1992, p. 19-24 ; Paul Joan G. Kapteyn, « Community Law and the Principle of Subsidiarity », Revue des affaires européennes, 2, 1991, p. 35 ; Pierre Pescatore, « Mit der Subsidiarität leben. Gedenken zu einer drohenden Balkanisierung der EG », in Ole Due, Marcus Lutter et Jürgen Schwarze (Hrsg.), Festschrift Ulrich Everling, II, Baden-Baden : Nomos, 1995, p. 1071-1094.
-
[22]
TPICE, Vereniging van Samenverkende Prijsregelende Organisaties (SPO) in de Bouwnijverheid et al. c. Commission, 21 février 1995 (aff. T-29-92, Rec., p. II-289).
-
[23]
CJCE, Union royale belge des sociétés de football association ASBL c. Jean-Marc Bosman, Royal club liégeois SA c. Jean-Marc Bosman et autres et Union des associations européennes de football (UEFA) c. Jean-Marc Bosman, 15 décembre 1995 (aff. C-415-93, Rec., p. I-4921).
-
[24]
CJCE, Commission c. Royaume de Belgique, 10 septembre 1996, 12 septembre 1996 (aff. C-11-95, Rec., p. I-4115 ; aff. C-278-94, Rec., p. I-4307). Dans le même sens : CJCE, Commission c. Artegodan GmbH et autres, 24 juillet 2003 (aff. C-39-03, Rec., p. I-7885) ; CJCE, Commission c. République portugaise, 6 juillet 2006 (aff. C-53-05, Rec., p. I-6215) ; CJCE, Commission c. République italienne, 26 mars 2009 (aff. C-326-07, Rec., p. 7).
-
[25]
Par exemple : CJCE, Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord c. Conseil, 12 novembre 1996 (aff. C-84-94, Rec., p. I-5755) ; CJCE, République fédérale d’Allemagne c. Parlement et Conseil, 13 mai 1997 (aff. C-233-94, Rec., p. I-2405) ; CJCE, Royaume des Pays-Bas c. Parlement et Conseil, 9 octobre 2001 (aff. C-377-98, Rec., p. I-7079) ; CJCE, The Queen c. Secretary of State for Health, ex parte British American Tobacco (Investments) Ltd et Imperial Tobacco Ltd, 10 décembre 2002 (aff. C-491-01. Rec., p. I-11453) ; CJCE, Commission c. République fédérale d’Allemagne, 22 mai 2003 (aff. C-103-01, Rec., p. I-5369) ; CJCE, Royaume de Belgique c. Commission, 14 avril 2005 (aff. C-110-03, Rec., p. 2801) ; CJCE, The Queen, à la demande de Alliance for Natural Health et Nutri-Link Ltd c. Secretary of State for Health et The Queen, à la demande de National Association of Health Stores et Health Food Manufacturers Ltd c. Secretary of State for Health et National Assembly for Wales, 12 juillet 2005 (aff. jointes C-154-04 et C-155-04, Rec., p. I-6451).
-
[26]
Traité de Lisbonne, protocole n° 2, article 8 al. 1 (JOUE, C 306, 17 décembre 2007 ; JOUE, C 83-201, 30 mars 2010).
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[27]
Cf. John Peters, « National Parliaments and Subsidiarity: Think Twice », European Constitutional Law Review, 1 (1), 2005, p. 68-72 ; Ian Cooper, « The Watchdogs of Subsidiarity: National Parliaments and the Logic of Arguing in the EU », Journal of Common Market Studies, 44 (2), 2006, p. 281-304.
-
[28]
Les parlementaires nationaux peuvent défendre le respect de leurs compétences mais ne doivent pas interférer dans le processus législatif via un contrôle indu de la proportionnalité. Une fois que l’opportunité de l’action européenne est admise, le contenu n’est plus du ressort des parlements.
-
[29]
Dix-huit sur cinquante quatre, chaque pays disposant de deux voix (bicamérisme oblige).
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[30]
Réunissant les représentants des commissions en charge des affaires européennes dans les vingt-sept parlements des États membres, elle est habilitée à adresser au Parlement européen, au Conseil et à la Commission toute contribution qu’elle juge appropriée sur les activités législatives de l’Union. Elle est composée de six représentants parlementaires par État et de six membres du Parlement européen. Elle se réunit chaque semestre à l’initiative du Parlement de l’État qui exerce la présidence de l’Union.
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[31]
Créé par l’Acte unique, mis en place après Maastricht, le Comité des régions est une enceinte consultative composée de représentants des entités régionales des États membres (traité de Maastricht, article 198).
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[32]
Conseil de l’Europe, Charte de l’autonomie locale et régionale, 15 octobre 1985, article 4-3.
-
[33]
Jacques Blanc, « Comité des régions : une ambition politique pour une mission démocratique », Revue des affaires européennes, 2, 1994, p. 5-7 ; voir aussi Le Monde, 25-26 septembre 1994 ; Claude du Granrut, La citoyenneté européenne. Une application du principe de subsidiarité, Paris : LGDJ, 1997.
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[34]
Comité des régions, Avis sur la révision du traité sur l’Union européenne et du traité instituant la Communauté européenne, 21 avril 1995 (CdR 136-95 final) ; Id., Avis sur le principe de la subsidiarité : « Vers une culture de la subsidiarité ! Un appel du Comité des régions », 11 mars 1999 (CdR 302-98 final) ; Id., Avis sur les nouvelles formes de gouvernance : « L’Europe, un cadre pour l’initiative des citoyens », 14 décembre 2000 (CdR 182-2000 final).
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[35]
Traité de Lisbonne, protocole n° 2, article 8 al. 2 (JOUE, C 306, 17 décembre 2007 ; JOUE, C 83-201, 30 mars 2010).
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[36]
Expression par laquelle on désigne souvent l’ex-article 308 TCE devenu article 352 TUE (JOUE, C 83-47, 30 mars 2010).
1Pour analyser les différents usages stratégiques – discursifs et pratiques – dont la subsidiarité a pu être l’objet depuis l’entrée en vigueur du traité de Maastricht, nous nous proposons de la considérer du point de vue des protagonistes eux-mêmes : l’appréhender non pas comme une règle formelle à appliquer, mais comme une ressource, parmi de nombreuses autres, à la disposition des différents acteurs de la construction européenne. Alternative à la méthode définitionnelle, notre démarche se réclame directement du gag rule qui a présidé à la codification juridique du principe lors de l’élaboration du traité sur l’Union européenne (TUE). Compromis dilatoire aux vertus conjuratoires, il s’efforçait alors de concilier l’inconciliable autour d’un même mot d’ordre en ce cœur si sensible du fonctionnalisme européen : distribuer les compétences moins en fonction des matières juridiquement couvertes par les traités qu’au nom des impératifs communautaires fixés par le droit originaire lui-même, les fameux objectifs de l’Union.
2Qu’on nous permette ici de prendre au sérieux cet acte de naissance, de manière à relever pleinement le défi théorique que nous nous fixons : se départir des effets de naturalisation qui peuvent parfois résulter de l’entrée dans l’univers prestigieux de la textualité juridique. Pensons, en l’espèce, à l’insidieuse conversion dont a pu bénéficier le syntagme principe de subsidiarité lui-même, transformant fort avantageusement un indéniable potentiel d’intimidation conceptuelle en véritable charisme d’institution. Impératif épistémologique d’autant plus difficile à tenir que, passé le moment fondateur du traité de Maastricht, nous verrons combien l’absence de signification précise du principe ne fera qu’enrichir le contenu de la ressource. Concept de consensus certes, mais concept qui n’en a pas moins fait l’objet d’intenses luttes sémantiques. Nous voudrions donc, dans le cadre de cet article, neutraliser, voire désamorcer, quelques dangers d’amnésie, qui tendent à éluder la teneur proprement idéologique de la subsidiarité. Même juridicisée, elle demeure marquée par son passé lexical ; même inscrite dans le registre du droit positif et officiellement labellisée principe juridique, elle demeure marquée par son indétermination fondatrice.
3Nous aurons à naviguer entre deux acceptions du principe, deux acceptions distinctes mais fondamentalement complémentaires, qui renvoient chacune à un questionnement théorique sur la nature juridique et politique de l’Union.
4Si l’on adopte un regard strictement juridique – au sens du droit positif et du point de vue des textes eux-mêmes –, le principe de subsidiarité revêt une signification exiguë, qui trouve à s’appliquer non pas au stade de la délimitation des compétences entre l’Union et les États membres (cette répartition est consacrée par les traités eux-mêmes) mais au stade de leur mise en œuvre effective. Ainsi considéré, le principe de subsidiarité est censé s’appliquer aux seules compétences dites partagées entre l’Union et ses États membres (à l’exception des compétences exclusives régies par le principe d’attribution) quand il s’agit de les exercer, et seulement dans cette hypothèse. Il faudrait donc, pour être tout à fait rigoureux, parler de régulation et non de répartition des compétences.
5La complexité du sujet vient de ce que le sens du principe de subsidiarité ne s’épuise pas dans cette seule acception consacrée par le droit positif communautaire. Le principe endosse également une portée politique, telle qu’elle s’exprime dans le préambule du traité sur l’Union européenne qui, pour sa part, fait intervenir une définition beaucoup plus large et concerne l’enjeu global de la répartition des compétences en le plaçant expressément sous les auspices d’un mot d’ordre aujourd’hui très diffusé : le principe de proximité [1].
6Disons, en résumé, que derrière la question de la répartition des compétences, entendue lato sensu, se greffent deux enjeux entremêlés : celui de la délimitation des compétences proprement dite et celui de la régulation de leur exercice. Deux enjeux d’autant plus entremêlés dans le système communautaire que les compétences n’y sont pas distribuées en raison de leur nature matérielle mais en raison des objectifs fonctionnels visés et des organes institutionnels susceptibles de les mettre en œuvre.
7Deux acceptions, deux enjeux, mais aussi deux échelles. Identifier l’itinéraire sémantique de la subsidiarité (plutôt que d’entreprendre une définition a priori du concept) suppose de fluctuer entre deux échelles d’analyse – européenne et étatique – aux fins de reconstituer le dialogue à quatre voix qui s’est peu à peu mis en place entre la Commission, la Cour de justice, les gouvernements et les parlements nationaux.
8Parmi les institutions communautaires, c’est la Commission, de loin, qui a sémantiquement et politiquement le plus investi le principe de subsidiarité. Le Parlement, pour sa part, s’est gardé de s’aventurer sur ce terrain, bien conscient que le principe le plaçait en porte-à-faux avec ses homologues étatiques. La Commission, à l’inverse, par un savant dosage de discours et de pratique, aura su jouer sur la réversibilité du principe, y trouvant un argument de poids pour arbitrer ses conflits d’intérêts avec les États. En effet, dès l’entrée en vigueur du traité de Maastricht, Bruxelles a mis un point d’honneur à s’appliquer le principe de subsidiarité, y voyant une invitation pressante à la décrue réglementaire. Par ailleurs, la Commission n’a pas manqué de retourner le principe contre l’échelon national en lançant des appels de plus en plus insistants à l’introspection étatique. Où la subsidiarité recouvre indirectement une part de la densité théorique héritée de son catholicisme d’origine : célébration de la société civile, critique de la puissance publique étatique et de ses excès interventionnistes.
9Ce premier niveau de repérage permettra, dans un second temps, de reconstituer un dialogue à forte teneur politique mettant aux prises deux pôles conceptuels d’égale envergure : la subsidiarité (article 5 al. 2, selon la numérotation issue du traité de Maastricht), d’une part, et la proportionnalité (article 5 al. 3) [2], d’autre part. Consacré en 1993 par un accord interinstitutionnel, puis solennisé en 1997 par le protocole n° 7 annexé au traité d’Amsterdam, le mariage des deux laissera finalement très peu d’espace à la subsidiarité mais permettra de justifier une lecture fédéraliste du principe faisant la part belle à l’intérêt communautaire [3]. Un retournement semble néanmoins en cours depuis l’échec du traité constitutionnel et le raidissement souverainiste de certains États membres.
I – Une subsidiarité à double tranchant : les termes (évolutifs) du débat
10Initialement prévue pour réguler l’exercice des compétences partagées entre les niveaux national et communautaire, la subsidiarité subit un double glissement : principe juridique devenu synonyme de rationalisation de la pratique légistique de l’Union ; mot d’ordre politique appelant à la réduction du déficit démocratique. Rencontre théorique de ces deux mouvements, le Livre blanc sur la gouvernance européenne publié en 2001 aura beau mettre l’accent sur le second versant démocratique, le nouveau slogan managérial tendra malgré tout à reproduire l’interprétation maastrichtienne de la subsidiarité.
I.1 – Brouillage conceptuel : subsidiarité et gouvernance managériale
11Du point de vue bruxellois, la subsidiarité maastrichtienne première mouture s’inscrivait avant tout dans une séquence de communication politique – en direction notamment des Länder allemands et du gouvernement britannique –, non dans une stratégie politique véritablement consistante et préparée de longue date. Un indice troublant témoigne du peu de cas fait de la subsidiarité avant la présidence britannique du second semestre 1992 : passé le moment de l’élaboration du traité sur l’Union européenne, il faut attendre le mois d’octobre, après l’expression des différentes réticences antimaastrichtiennes, pour que paraisse le premier rapport officiel sur la subsidiarité émanant directement des instances communautaires. Les travaux de la Conférence intergouvernementale mis à part, la Commission n’engagea de réflexion de fond sur cette pièce maîtresse du traité de Maastricht que postérieurement à la codification juridique du principe. Préparé sous la houlette d’un proche collaborateur du président Delors, François Lamoureux, bientôt surnommé « Monsieur subsidiarité » [4], le rapport fut rendu public à l’automne 1992 dans la période qui a immédiatement précédé le Conseil européen de Birmingham [5].
12Un double langage se mettait dès lors en place. Un premier niveau de communication, en parfaite adéquation avec la ligne défendue par la présidence britannique, s’attachait à maintenir le discours antérieur, qui visait principalement à rassurer les États. Ce premier axe était rendu d’autant plus nécessaire que les difficultés de ratification rencontrées par le traité de Maastricht attendaient une réponse politique au plus haut niveau. Elle émana de Jacques Delors lui-même, qui sut exceller dans « l’art du retrait » tactique [6]. Jusqu’au début de l’année 1992, en effet, le ton delorien se voulait fidèle à la veine du fameux discours d’intronisation prononcé à Strasbourg – discours célébrant l’ambition fédéraliste du projet Spinelli un an après le vote resté sans suite du Parlement européen [7]. Au deuxième semestre de 1992, en revanche, la tonalité changeait de manière très sensible : la dimension intégratrice de la subsidiarité passait au second plan au profit d’une présentation destinée à conjurer les nouvelles craintes étatiques [8]. Mise en œuvre dès le non danois, peut-être cette stratégie aura-t-elle contribué à transformer le non potentiel des Français en courte victoire du oui.
13Un second niveau de discours atteste cependant d’une plus grande continuité dans l’attitude du président Delors. À lire attentivement les différentes productions documentaires de la Commission, on perçoit l’expression feutrée d’une forme d’agacement. Les instances bruxelloises pouvaient s’estimer victimes d’une accusation excessive et largement imméritée. La Commission chercha alors à reprendre l’initiative en faisant jouer la réversibilité du principe. Le 27 octobre 1992, dans le court intervalle qui séparait les conseils européens de Birmingham (16 octobre) et d’Édimbourg (12 décembre), Bruxelles s’adressa directement au Conseil et au Parlement par la voie d’une communication qui reprenait l’essentiel du rapport Lamoureux [9] :
Ce doit être aussi une occasion de souligner que la mise en œuvre de ce principe ne peut être ramenée à un exercice de tutelle sur la Commission par la remise en cause de son droit d’initiative et donc de modification des équilibres qu’organisent les traités [10].
15Faute de pouvoir assumer une subsidiarité ouvertement fédéraliste, la Commission, comme d’ailleurs les juges de Luxembourg dans la même séquence de temps, s’employait alors à déplacer le curseur du débat : du terrain, trop réversible, de la subsidiarité vers celui, mieux maîtrisé, de la proportionnalité [11]. Toutefois, l’insistance sur ce dernier principe de portée plus large (il s’applique également aux compétences exclusives) a pu, par ricochet, à la fois étendre l’emprise de la subsidiarité et ainsi accentuer la porosité des frontières entre les différentes catégories de compétences. D’autant qu’en établissant une continuité entre subsidiarité-proportionnalité et « intérêt communautaire », la Commission contribuait, malgré elle, à alimenter un mouvement symétriquement inverse du côté des États – déterminés, pour leur part, à imposer un axe subsidiarité-intérêt national.
16L’argumentaire de la Commission l’emportera finalement. Le tout – la communication du 27 octobre 1992 et la stratégie de la Commission – déboucha l’année suivante, le 29 octobre 1993, sur un nouveau compromis entre la lecture souverainiste des États (logique de proximité) et la lecture fédéraliste de la Commission (logique de proportionnalité). Mais, en consacrant cette approche dite globale de la subsidiarité, le texte de l’Accord interinstitutionnel, significativement intitulé « Démocratie, transparence et subsidiarité », ne dépassait guère le stade de l’arrangement sémantique ; on peut même se risquer à dire qu’il se contentait pour l’essentiel d’avaliser le point de vue proportionnaliste de l’intérêt communautaire. Sans surprise, la formule recevra une consécration solennelle en 1997 : le protocole n° 7 annexé au traité d’Amsterdam, relatif à l’application des principes de subsidiarité et de proportionnalité, reprendra textuellement les solutions dégagées quatre ans plus tôt dans l’Accord de 1993, scellant par là de manière un peu plus définitive encore le couplage subsidiarité-proportionnalité au seul et unique bénéfice de la seconde [12].
17Sous le double effet de la crise de confiance ayant précipité la fin de la commission Santer et de l’entrée en fonction du président Romano Prodi, l’approche globale sera ensuite peu à peu diluée à l’intérieur d’un nouveau mot d’ordre d’ambition plus générale, destiné pour sa part à raffermir la légitimité bruxelloise : la gouvernance multiniveaux. Les soubresauts de 1999 ayant encore aiguisé le sentiment diffus de déficit démocratique, on se mit de nouveau à réfléchir aux voies et moyens susceptibles de le résorber. Aussi, dès son arrivée Rue de la Loi, Romano Prodi lança-t-il plusieurs grands chantiers, parmi lesquels une vaste réflexion sur la « gouvernance européenne » qui aboutit à l’été 2001 à la publication du fameux Livre blanc [13].
18Du reste, le travail avait été préparé de longue date : qu’il suffise de consulter l’impressionnant foisonnement de littérature grise, Working Papers, notes et autres documents d’influence publiés dans la période. À analyser de près les différentes phases d’élaboration du nouveau concept [14], on constate d’abord une prise de distance très nette à l’égard de l’approche classique, dite « tayloriste », de la subsidiarité. On en vient même à réduire sa portée à l’élaboration d’un catalogue de compétences alors que, précisément, sa formulation maastrichtienne avait servi à éviter cette perspective, jugée impraticable sur le plan politique [15]. Et Notis Lebessis, éminence grise des travaux préparatoires, d’invoquer le concept de « subsidiarité active », nouveau mot d’ordre du moment cristallisant presque tout de l’exaspération bruxelloise face aux tenants de la subsidiarité souverainiste [16]. C’était ainsi, par l’adjonction d’une simple épithète, qu’on faisait valoir une subsidiarité non réductible à sa seule dimension territoriale (la proximité) pour investir un registre plus fonctionnel : celui du rapport entre État et société. L’expression « subsidiarité active » ne figurera pas en tant que telle dans la version définitive du Livre blanc, mais son invitation à célébrer la société civile n’en sera pas moins entendue par la Commission. Tout se passa comme si, en prenant conscience des effets potentiellement déstabilisants de la subsidiarité territoriale, elle avait intentionnellement voulu retourner l’argument contre l’État lui-même. Il y a peut-être là une riposte tactique, dûment proportionnée, à l’attitude persistante de certains gouvernements nationaux qui tendent à se dédouaner de leurs responsabilités sur les institutions communautaires en général et sur la Commission en particulier. Bruxelles avait donc beau jeu d’appeler à l’introspection étatique. Mais le champ lexical déployé répondait à une logique non moins manichéenne que la défausse nationale implicitement visée. D’un côté, la rigidité des États, leur fonctionnement hiérarchique et descendant. De l’autre, la flexibilité de la Commission, son fonctionnement dynamique et participatif.
I.2 – Reformatage opérationnel : subsidiarité et décrue réglementaire
19Où il apparaît que le reformatage opérationnel du concept découle logiquement de son couplage avec la gouvernance managériale. À grand renfort de gouvernance multiniveaux et de subsidiarité active, on célèbre l’entrée en scène de nouveaux acteurs issus de la société civile, on présente l’exercice consensuel et participatif du pouvoir comme une alternative indépassable aux contraintes et autres brutalités du modèle majoritaire [17]. L’heure, annonce le Livre blanc, est à la corégulation et à la méthode ouverte de coordination (la « MOC »).
20Reprenant un langage très à la mode, celui de la régulation douce, de l’ouverture aux partenaires sociaux et aux collectivités régionales, la MOC, vante les mérites de la coordination horizontale, fait la promotion des pratiques coalitionnelles et des techniques de concertation entre les États membres. Surtout, à l’instar de la subsidiarité, la MOC en est rapidement venue à remplir une fonction rhétorique de toute première importance dans le discours communicationnel de la Commission : elle fut érigée à dessein en contrepoids à la méthode communautaire classique d’intégration fonctionnelle par le droit, principalement dans les matières sensibles où les réticences étatiques ont coutume de faire blocage. À tel point que certaines études savantes ont pu stigmatiser le spectre à venir d’une « Europe sans Bruxelles » faisant le mauvais jeu de l’intergouvernementalisme [18]. Plus qu’un remplacement de la méthode communautaire, il faudrait davantage diagnostiquer une transformation du fonctionnalisme européen lui-même, dont les cadres généraux sont redéfinis et, pour ainsi dire, systématisés par le Livre blanc de juillet 2001 : intégration par le droit toujours, mais dorénavant agrémentée d’une implication des acteurs sociaux et d’une ouverture aux acteurs locaux.
21S’agissant des conséquences que la Commission tira elle-même pour la conduite de sa propre action, la lecture proposée du principe de subsidiarité se fit beaucoup plus modeste. Tant et si bien que la subsidiarité se résuma très vite à ne plus exprimer qu’une simple invitation à la décrue réglementaire et à la rationalisation législative [19]. En ce laboratoire de retraduction politique, les affaires sociales et l’emploi ont significativement pris valeur d’exemples : ils sont manifestement les deux seuls domaines dans lesquels cette subsidiarité revisitée a servi, un temps au moins, à justifier la relative inaction de la Commission (faute, d’ailleurs, de réels titres à agir, dans la mesure où les États ont toujours souhaité que les affaires sociales restent hors champ communautaire). Peut-être la MOC gagnerait-elle alors à être lue comme un cas d’application du principe de subsidiarité aux questions sociales, politiquement trop encombrantes pour dépasser le simple stade de l’incitation à agir.
22On passe donc subrepticement d’une exigence générale de subsidiarité à une subsidiarité « croupion » réduite au rang de nouveau critère qualitatif de la production légistique européenne. Les deux niveaux de discours font bien évidemment système : amplitude théorique de la subsidiarité quand Bruxelles doit se défendre ; définition pratique pour le moins restrictive quand il s’agit de se l’appliquer à soi-même. Dès 1993, brandissant opportunément l’étendard de la subsidiarité, la Commission entreprenait un travail de refonte systématique qui l’a conduite non seulement à réduire de manière significative le nombre de ses interventions législatives, mais aussi à rationaliser le corpus existant.
23Ce souci d’améliorer la qualité des textes européens (et d’en réduire la quantité) trouva tout particulièrement à s’exprimer dans les rapports « Mieux légiférer » (Better Regulation) publiés par les services de la Commission depuis 1993. Au fil de ses différentes livraisons annuelles, il apparaît avec netteté que Bruxelles s’est attachée à donner des gages de confiance aux États et aux opinions nationales en définissant de nouvelles pratiques de production normative. L’exigence de motivation et de justification, par exemple, longtemps de pure forme, est progressivement devenue de plus en plus rigoureuse : à travers le mot d’ordre général de la subsidiarité, elle trouve désormais à s’exprimer non plus en des termes exclusivement juridiques, elle s’exprime également en termes économiques, sociaux et environnementaux (procédures de consultation, études d’impact, évaluation de l’efficience) [20]. Aussi les fiches-subsidiarité, comme dit désormais le jargon communautaire, doivent-elles permettre d’apprécier autant le respect de la subsidiarité que celui de la proportionnalité.
II – Une subsidiarité à double détente : le terme (non définitif) du débat
24Faute de véritable accord sur le fond, l’axe proportionnalité-subsidiarité a été investi par l’ensemble des acteurs institutionnels de l’Union. Après l’étude du discours et de la pratique de la Commission, il convient, en conséquence, de compléter le tableau par deux coups de sonde dûment ciblés : un examen de l’attitude de la Cour de justice, d’une part ; une analyse de la place désormais accordée aux Parlements nationaux, d’autre part. Pour identifier le nouveau compromis autour duquel le débat semble s’être stabilisé et restituer la double détente de ce que nous proposons d’appeler le contrôle de subsidiarité, nous inversons l’ordre logique de la temporalité en considérant d’abord le contrôle a posteriori puis le contrôle a priori.
II.1 – Codage jurisprudentiel : proportionnalité versus subsidiarité
25À en croire les juges communautaires, l’absence de définition précise de la subsidiarité les aurait empêchés de lui conférer une réelle opposabilité juridique. Les autres praticiens du droit leur ont vite embrayé le pas, n’hésitant pas, eux aussi, à exprimer leur scepticisme quant à sa portée normative [21]. La subsidiarité soulèverait soit une question d’opportunité ne ressortissant pas de la compétence juridictionnelle, soit une question d’efficience se prêtant mal à un traitement judiciaire. Justiciabilité laborieusement reconnue par les juges certes, mais, en conformité avec leurs réticences initiales, le nouveau moyen juridique se vit accorder bien peu d’effets concrets. D’autant qu’aucune voie de droit spécifique n’avait été prévue et que, tour à tour, les deux solutions communautaire et nationale avaient été exclues. Il fallait donc faire entrer le principe de subsidiarité dans le droit commun du contentieux communautaire : recours en annulation, recours en manquement étatique et, plus encore, renvoi préjudiciel.
26Un simple balayage de la jurisprudence suffit à l’établir, la Cour s’est montrée particulièrement prudente en matière de contrôle de subsidiarité, l’autolimitation des juges atteignant même son maximum possible : sanction des seules erreurs manifestes d’appréciation via la pratique d’un contrôle restreint. Cette ligne jurisprudentielle a évolué au fil des années (contrôle formel puis contrôle normal) mais elle ne s’est jamais départie d’une certaine forme de défiance vis-à-vis d’une règle bien peu saisissable en droit, les hésitations et tergiversations de la doctrine pouvant expliquer une part de la pusillanimité des juges communautaires. L’explication ne saurait suffire pour autant, notamment parce que la Cour n’a jamais rechigné devant la nécessaire audace qu’implique sa mission, n’hésitant pas à sur-interpréter la lettre même des traités pour justifier le volontarisme de sa jurisprudence en matière de répartition des compétences. La raison de cette timidité est fort simple à diagnostiquer : le juge a très vite compris que la subsidiarité – toujours réversible – ne constituait pas une arme juridique assez solide pour appuyer sa politique jurisprudentielle. Disposant par ailleurs d’un principe de proportionnalité qu’il avait lui-même forgé, le juge communautaire a naturellement eu tendance à lire le nouveau à la lumière du déjà connu : la subsidiarité à la lumière de la proportionnalité. À cette explication contingente s’en ajoutait une autre. Dans le cadre du contrôle de proportionnalité, le juge met en balance des situations circonstanciées (selon un bilan coûts-avantages), il compare différentes manières concrètes dont une compétence peut être exercée et se place ainsi dans la possibilité de qualifier juridiquement une situation objective sans entrer de plain-pied dans le cœur sensible de l’appréciation en opportunité. À l’inverse, un contrôle, de plein droit, de la subsidiarité conduirait logiquement la Cour à se poser une question de pure opportunité relevant en théorie du seul niveau politique.
27Il faut attendre la pleine entrée en vigueur du traité de Maastricht pour qu’une double étape jurisprudentielle soit franchie. Dans un arrêt SPO rendu le 21 février 1995, les juges du Tribunal de Luxembourg sont les premiers à s’exprimer sur le principe maastrichtien. La solution donnée au cas d’espèce faisait montre d’une grande fermeté : le demandeur qui invoquait le non-respect du principe de subsidiarité en matière de droit de la concurrence pour la période antérieure au 1er novembre 1993 se voyait opposer un rejet catégorique [22]. Le véritable tournant intervint avec le célèbre arrêt Bosman dans lequel la subsidiarité faisait son entrée officielle non plus dans un jugement du Tribunal de première instance mais dans une décision de la Cour de justice [23]. Le principe maastrichtien, était-il affirmé par le juge, ne saurait justifier que la réglementation des associations privées (en l’espèce une fédération de football) fasse obstacle à l’application du droit communautaire. Le ton se voulait d’autant plus intransigeant qu’il s’agissait en l’occurrence de garantir l’une des quatre libertés fondamentales du Grand Marché : la libre circulation des personnes. Et le juge de préciser en appui du dispositif retenu : si la subsidiarité implique que l’intervention des autorités communautaires soit limitée au strict nécessaire dans le domaine de l’organisation des activités sportives, elle ne peut conférer aux dites associations, y compris au titre de leur autonomie institutionnelle, la possibilité de limiter l’exercice des droits fondamentaux reconnus aux particuliers par les traités constitutifs. L’argument invoqué contre l’Union était donc clairement rejeté.
28À considérer la seule question de la subsidiarité, le tournant de l’arrêt Bosman ne concernait guère plus que le droit du contentieux communautaire : en effet, après une première période où elle cherchait des expédients pour éviter d’avoir à se prononcer, après une période où elle pratiquait un contrôle restreint (relevant les seules erreurs manifestes), la Cour se prenait désormais à considérer les motifs de l’acte incriminé. Sur le fond, néanmoins, le mot avait beau surgir sous la plume des juges, la ligne jurisprudentielle en matière de compétences restait totalement inchangée. En conformité avec leur attitude antérieure, subsidiarité maastrichtienne ou pas, les juges continuaient, aussi imperturbablement que jalousement, de s’adonner à leur défense scrupuleuse des prérogatives communautaires. Si valeur juridictionnelle la subsidiarité finissait par acquérir, c’était au seul profit des institutions bruxelloises qu’elle devait jouer, non au profit des États. Et le juge de bientôt s’en emparer pour opposer l’argument à des requérants gouvernementaux trop vindicatifs à ses yeux [24] : dans deux arrêts rendus en septembre 1996, il invoque nommément le principe de subsidiarité donnant tort à la Belgique qui voulait se soustraire aux obligations définies par une directive communautaire.
29Malgré la multiplication des requêtes en annulation excipant de la subsidiarité [25], les exemples de rejet pourraient être multipliés : à ce jour, aucune censure n’a été prononcée pour violation du principe. La subsidiarité n’est devenue ni une arme juridique à la disposition des États, ni un moyen de droit permettant aux gouvernements de défendre leurs prérogatives contre des interventions communautaires qui seraient jugées impropres. Au total, la Cour a entériné, pour l’essentiel, l’approche retenue par la Commission – approche qui tend expressément à neutraliser l’effet limitatif de l’action communautaire, en insistant sur les obligations procédurales faites aux différentes institutions européennes, principalement via un examen de l’obligation de motivation formelle. Il n’en reste pas moins vrai qu’au fil de sa jurisprudence la Cour a perfectionné ses techniques de contrôle juridictionnel de la subsidiarité et, par là, précisé la justiciabilité du principe. Le traité de Lisbonne en témoigne, qui nous semble confirmer cette consécration [26].
II.2 – Recalibrage parlementaire : subsidiarité versus proportionnalité
30C’est surtout en matière de contrôle politique que le texte lisboète innove ; il apporte deux novations principales : la première relative aux parlements nationaux, la seconde au Comité des régions.
31Une tendance lourde court d’Amsterdam à Lisbonne, en passant par Nice et le projet avorté de Constitution : le renforcement du contrôle a priori de la subsidiarité. Il est devenu un axe majeur de l’affirmation du rôle des parlements nationaux dans la construction européenne [27]. À tel point que cette montée en puissance tend à déporter la question de la subsidiarité du terrain de la clarification des compétences vers celui, plus général, de la réduction du déficit démocratique. Ainsi un mécanisme de contrôle parlementaire ex ante s’est-il peu à peu ajouté au contrôle juridictionnel ex post opéré par la Cour de Luxembourg.
32Alors que les gouvernements étaient en première ligne du compromis maastrichtien qui faisait de la subsidiarité un instrument de protection souverainiste des intérêts étatiques, ils l’ont ensuite déserté à mesure que la réversibilité du principe leur apparaissait évidente. Tant et si bien que le mot d’ordre sera finalement repris par des parlements nationaux longtemps exclus de la construction européenne. Ils y trouveront un moyen idoine pour légitimer leur entrée en lice non seulement contre le Comité des régions mais aussi contre le Parlement de Strasbourg lui-même, accusé de monopole dans sa prétention au rôle de représentation des peuples européens. Consacré par le projet de traité constitutionnel puis par le traité de Lisbonne, ce retour en force juridique soulève, ici encore, un enjeu proprement politique : celui de la collaboration des parlements des différents États membres. Autre manière de dire que si de nouvelles dispositions sont bien entrées en vigueur avec la ratification du traité de Lisbonne, elles demandent désormais à déployer tous leurs effets.
33Nous présentons donc ici les principales dispositions consacrées par le texte lisboète, quand bien même elles n’ont pas encore pleinement développé leurs conséquences. Les protocoles n° 1 et 2 placés en annexe du traité érigent les parlements nationaux en gardiens officiels du principe de subsidiarité en procédant, au passage, à une autonomisation de la subsidiarité par rapport à la proportionnalité [28].
34Les parlements nationaux ne se voient pas reconnaître un droit de veto en bonne et due forme ; cependant le renforcement de la dimension politique du contrôle parlementaire de la subsidiarité n’en est pas moins tout à fait significatif sur le plan formel. Le traité de Lisbonne instaure une procédure d’alerte précoce (dite « carton jaune »). L’article 6 alinéa 1 de son protocole n° 2 s’applique potentiellement à tous les projets d’acte législatif, quel que soit leur auteur et sans considérer non plus les modalités spécifiques d’adoption des textes en cause. Si, au terme d’un délai de huit semaines à compter de la date de transmission du projet dans les langues officielles de l’Union, le nombre d’avis motivés représente au moins un tiers des voix attribuées aux parlements des États [29], le projet d’acte législatif européen devra obligatoirement être réexaminé par l’institution à l’origine du texte.
35À ce carton jaune, l’article 7 § 3 adjoint un mécanisme renforcé (dit « carton orange »). Contrairement au mécanisme de droit commun, il n’est applicable qu’aux actes adoptés dans le cadre de la procédure législative ordinaire, et ne répond pas aux mêmes conditions de déclenchement. Les différences se situent donc à deux niveaux : celui du champ matériel d’application et celui du nombre de voix à recueillir. Le carton jaune concerne tous les projets d’acte communautaire et est déclenché par un tiers ou un quart des voix attribuées aux parlements nationaux ; le carton orange ne concerne que les projets d’acte régis par la procédure législative ordinaire et est déclenché par une majorité simple des parlements. Dans les deux cas, cependant, l’obligation de réexamen ne débouche pas nécessairement sur le retrait du projet d’acte législatif. La Commission peut choisir de maintenir la proposition, de la modifier ou bien de la retirer purement et simplement. Dans l’hypothèse où elle choisit de la maintenir, elle doit émettre un avis motivé exposant les raisons de son choix qui sera ensuite soumis à l’appréciation du législateur : Conseil et Parlement.
36Au carton jaune et au carton orange, s’ajoute enfin le carton rouge. Prévu à l’article 8 du protocole n° 2, le mécanisme intervient non plus de manière préventive avant l’adoption de l’acte législatif mais ex post par la voie juridictionnelle, selon une procédure indirecte. En effet, c’est par l’intermédiaire des exécutifs nationaux et pour les seules questions de subsidiarité qu’un droit de saisine de la Cour est désormais reconnu au bénéfice des parlements nationaux. Les gouvernements sont ainsi habilités, au nom de leur Parlement, à saisir le juge communautaire d’un recours pour violation du principe de subsidiarité par un acte législatif européen.
37De manière plus générale, on comprend que le succès du mécanisme de contrôle politique repose en définitive sur la capacité de collaboration et de mise en réseau des différents parlements. Car c’est bien la convergence des contestations nationales qui pourra avoir un impact significatif sur le déroulement de la procédure. À cet égard, la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires des parlements de l’Union européenne (COSAC) sera vraisemblablement appelée à jouer un rôle moteur, à tout le moins à sortir de l’ombre politique dans laquelle elle s’est enfermée jusqu’ici [30]. Deux facteurs convergents corroborent cette hypothèse. Sa consécration lisboète : créée à Paris les 16-17 novembre 1989, formellement reconnue par le protocole n° 13 du traité d’Amsterdam, la COSAC est consacrée dans son existence institutionnelle par l’article 10 du protocole n° 1 annexé au traité de Lisbonne. Sa promotion bruxelloise : depuis septembre 2008, avant même la conclusion des travaux de la Conférence intergouvernementale de 2007, la Commission européenne avait d’elle-même pris l’initiative d’établir un dialogue direct avec les parlements des États membres en leur transmettant ses propositions législatives sans passer par l’intermédiaire des gouvernements. En réponse, les parlements nationaux ont pu émettre des avis informels portant notamment sur l’application du principe de subsidiarité.
38Cette montée en puissance des parlements nationaux peut apparaître comme inversement proportionnelle au relatif repli du Comité des régions [31]. Depuis sa mise en place, en effet, l’assemblée consultative avait stratégiquement repris à son compte le principe de subsidiarité n’hésitant pas à s’en prétendre le « gardien naturel » et, au besoin, à invoquer la charte de l’autonomie locale du Conseil de l’Europe [32]. Dès 1994, Jacques Blanc, le premier président du Comité, faisait part de cette ambition, pendant que sa collègue Claude du Granrut, également conseiller régional, menait pro domo un intense travail de conceptualisation théorique de la subsidiarité [33]. Constante, la revendication du Comité subsistera jusqu’aux débats de la Convention sur l’avenir de l’Europe mais n’aura aucune suite juridique, sauf, peut-être, sur le plan de la symbolique politique, dans la promotion du rôle et de la place des régions à compétences législatives. Songeons, par exemple, à l’avis du 21 mars 1995 appelant à l’application du principe au profit des niveaux infra-étatiques, et aux avis des 11 mars 1999 et 14 décembre 2000 appelant à l’édification d’une « véritable culture de la subsidiarité » [34]. La réponse du législateur européen, elle aussi, fut d’une grande constance. C’est sans ambiguïté aucune que le projet de traité constitutionnel refusait d’accéder aux prétentions du Comité, spécialement à son souhait de bénéficier d’un droit de contrôle préalable de la subsidiarité avant l’adoption de chaque acte communautaire. Le Comité des régions a certes été rehaussé par le traité de Lisbonne : à l’instar des parlements, il se voit reconnaître le droit de saisir le juge d’un recours pour violation du principe de subsidiarité par un acte législatif européen, mais ce droit de saisine ne vaut que dans les matières où les textes constitutifs prévoient explicitement sa consultation [35]. Aussi demeure-t-il confiné dans un rôle essentiellement consultatif, s’agissant des seules affaires régionales et des questions de coopération transfrontalière.
39Le constat serait incomplet, cependant, si l’on omettait, en la matière, d’ajouter une dernière remarque sur la poussée de l’échelon régional. Conformément au principe de l’autonomie institutionnelle, qui interdit aux instances communautaires de s’ingérer dans l’organisation territoriale interne des États membres, le protocole n° 2 du traité de Lisbonne laisse libre chaque État d’organiser la participation de ses assemblées régionales selon son propre mode de fonctionnement. Pour autant, face à la pression des régions d’Europe (au premier rang desquelles les Länder allemands), le principe de l’autonomie institutionnelle a été sérieusement ébréché pour faire droit à d’importantes concessions fédérales. Dans la ligne de l’article I-11 du projet de traité constitutionnel, précisant que le principe de subsidiarité s’appliquait autant aux niveaux régional et local qu’au niveau national, l’article 5 § 3 TUE contient cette stipulation inédite selon laquelle la subsidiarité ne s’analyse pas seulement au regard des capacités d’action de l’État, mais aussi au regard de celles des entités régionales et locales. Où il apparaît que la logique de proximité célébrée par le préambule trouve à présent à se décliner également en faveur des échelons infra-étatiques.
Conclusion
40Flexibilité et fonctionnalisme : voilà peut-être, en résumé, les deux axes directeurs qui régissent, dans la pratique, la politique de répartition des compétences dans le système institutionnel de l’Union européenne. En ce domaine si sensible de la vie communautaire, on aurait bien tort de croire à un jeu unilatéral exercé à Bruxelles et à Luxembourg par les seules Commission et Cour de justice. Depuis le traité de Maastricht en particulier, la flexibilité a été réclamée par les États membres eux-mêmes, par la voix de leur exécutif national, de manière à permettre une réversibilité dans le schéma de répartition. Sauf que, à ce jour, la flexibilité n’a pas bénéficié aux États, transformant cette réversibilité revendiquée en unilatéralité plus ou moins assumée : adossée à la philosophie fonctionnelle qui, dès l’origine, a inspiré les constructeurs de l’Europe, elle se met au service d’impératifs nécessairement changeants et toujours en devenir.
41Resitué dans cet ordre de grandeur – la dialectique inégalitaire entre les instances bruxelloises et les gouvernements nationaux –, l’enjeu du rôle des parlements des États membres reste encore très largement anecdotique. Pour autant, les perspectives qu’il soulève témoignent bien du caractère potentiellement réversible de ce que le jargon communautaire appelle la clause de flexibilité [36] : ce qui, pour l’heure, a essentiellement profité à Bruxelles pourra, à terme, bénéficier à l’échelon national. En l’état actuel de choses, cette réversibilité du schéma de répartition des compétences au sein de l’Union n’a d’égale, nous semble-t-il, que l’irréversibilité dans laquelle tend à s’inscrire le fonctionnalisme européen.
42Ce qui importe au total, s’agissant du principe de subsidiarité, c’est moins son effectivité juridique que sa signification proprement symbolique : un concept évanescent pour un projet indéfini – ceci expliquant cela, ou cela ceci. Symptôme de l’indétermination du meccano européen, la subsidiarité est dans le même temps un moyen inconscient de la reproduire, comme si, par définition, elle devait de bout en bout lui être consubstantielle, sous peine de disparaître ou de perdre son caractère d’irréversibilité. L’indétermination dans l’irréversibilité : tel est bien le principal moteur d’une construction européenne qui se pense elle-même sur le registre eschatologique de l’attente et de l’inachèvement.
L’auteur
Parmi ses publications :
- État, libéralisme et christianisme. Critique de la subsidiarité européenne, Paris : Dalloz, coll. « Nouvelle bibliothèque de thèses », 2012 ;
- Figures de l’État éducateur. Pour une approche pluridisciplinaire (dir., avec Nathalie Le Bouëdec et Xavier Pons), Paris : L’Harmattan, coll. « Logiques politiques », 2008 ;
- « Maurice Hauriou, juriste catholique ou libéral ? », Revue française d’histoire des idées politiques, 28, 2008 ;
- « La normativité entre efficacité politique et proximité démocratique. La question de la subsidiarité dans le droit de l’Union européenne », Gouvernance, 5 (2), 2008 ;
- « La subsidiarité chez Jacques Delors. Du socialisme chrétien au fédéralisme européen », Politique européenne, 23, 2007.
Mots-clés éditeurs : système institutionnel de l'Union européenne, proportionnalité, gouvernance, subsidiarité
Mise en ligne 30/07/2012
https://doi.org/10.3917/drs.080.0013Notes
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[1]
Nous faisons ici référence à l’alinéa 13 du préambule du TUE : « Résolus à poursuivre le processus créant une union sans cesse plus étroite entre les peuples de l’Europe, dans laquelle les décisions sont prises le plus près possible des citoyens, conformément au principe de subsidiarité. » (JOUE, C 83-13, 30 mars 2010).
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[2]
Citons, pour mémoire, l’article 5 al. 3 du traité de Maastricht : « L’action de la Communauté n’excède pas ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs du présent traité. » (JOCE, C 191, 29 juillet 1992). Mentionnons également la formulation actuellement en vigueur, telle qu’elle figure à l’article 5 § 4 TUE : « En vertu du principe de proportionnalité, le contenu et la forme de l’action de l’Union n’excèdent pas ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs des traités. » (JOUE, C 83-13, 30 mars 2010).
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[3]
Conseil des ministres, Parlement européen et Commission des Communautés européennes, Accord institutionnel relatif aux procédures pour la mise en œuvre du principe de subsidiarité, 29 octobre 1993 (Bull. CE 10-1993).
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[4]
« Monsieur Subsidiarité », Revue des affaires européennes, 1993, 1, p. 46-48.
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[5]
Intitulé Proposition pour un accord interinstitutionnel sur le principe de subsidiarité (SEC (92) 1990), le rapport Lamoureux ne commence à circuler qu’au tout début de l’automne 1992. La version définitive du document paraît fin octobre, après le Conseil de Birmingham (Commission des Communautés européennes, Le principe de subsidiarité. Communication au Conseil et au Parlement européen, 27 octobre 1992, SEC (92) 1990 final).
-
[6]
Ken Endo, « The Art of Retreat: A Use of Subsidiarity by Jacques Delors, 1992-1993 », The Hokkaïdo Law Review, 48 (6), 1998, p. 394-378.
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[7]
Jacques Delors, « Pourquoi un grand marché sans frontières intérieures » (Discours devant le Parlement européen, 14 janvier 1985), Le nouveau concert européen, Paris : Odile Jacob, 1992, p. 27-49. Nous faisons référence au projet de traité d’Union européenne mis au point en 1984 par le Parlement européen sous la houlette d’Altiero Spinelli (Parlement européen, Résolution relative au projet de traité instituant l’Union européenne, 14 février 1984 ; JOCE, C 77, 19 mars 1984). Le projet Spinelli, dans lequel figurait explicitement le mot subsidiarité, contenait une disposition très voisine de la formule constitutionnelle du fédéralisme allemand. Voté par le Parlement européen le 14 février 1984, le projet n’a pas abouti ; il n’a jamais été ratifié ni même discuté par les parlements nationaux.
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[8]
Jacques Delors, « Le principe de subsidiarité » (Discours au Colloque de l’Institut européen d’administration publique, 21 mars 1991), Le nouveau concert européen, op. cit., p. 163-176.
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[9]
Cf. les conclusions des deux sommets britanniques de 1992 : Conseil européen, Birmingham, 16 octobre 1992 (Bull. CE 10-1992) ; Conseil européen, Édimbourg, 12 décembre 1992 (Bull. CE 12-1992).
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[10]
Dans cette communication du 27 octobre 1992, la Commission acceptait sa part de responsabilité dans les excès de la réglementation communautaire, mais elle soulignait aussi la coresponsabilité du Conseil et du Parlement européen (Commission des Communautés européennes, Le principe de subsidiarité. Communication au Conseil et au Parlement européen, 27 octobre 1992 ; SEC (92) 1990 final, paru dans Revue trimestrielle de droit européen, 28 (4), 1992, p. 728-741).
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[11]
Précisons, à ce stade, que la proportionnalité est prioritairement – et par construction – prédisposée à servir l’intérêt communautaire. Dans cette stratégie plus ou moins impensée, la Commission de Bruxelles a trouvé un allié de poids, la Cour de justice, institution à l’origine de l’entrée du principe de proportionnalité en droit communautaire. S’agissant de la définition jurisprudentielle de ce principe, cf. CJCE, Internationale Handelsgesellschaft mbH c. Einführ und Vorratsstelle für Getreide und Futtermittell, 17 décembre 1970 (aff. 11-70, Recueil de la jurisprudence de la Cour de justice et du Tribunal de première instance – ci-après Rec., p. 1125) ; CJCE, Casagrande, 3 juillet 1974 (aff. 9-74, Rec., p. 773) ; CJCE, Buitoni Forma, 21 juin 1979 (aff. 122-78, Rec., p. 677) ; CJCE, Régina c.Maurice Donald Henn et John Frederick Ernest Darby, 14 décembre 1979 (aff. 34-79, Rec., p. 3795) ; CJCE, Valsabbia, 18 mars 1980 (aff. 164-78, Rec., p. 907) ; CJCE, Union départementale des syndicats CGT de l’Aisne c. SIDEF Conforama, 28 février 1991 (aff. C 312-89, Rec., p. I-997). La Cour de justice avait exprimé sa méfiance à l’égard du principe de subsidiarité dès la phase préparatoire de la Conférence intergouvernementale sur l’Union politique. Dans une communication du 20 décembre 1990, le juge communautaire résumait ainsi sa position : « Nonobstant la connotation largement politique [du principe de subsidiarité], l’examen, par la Cour, d’un tel moyen ne poserait pas à celle-ci des problèmes de caractère nouveau. À cet égard, il suffit de renvoyer à un autre principe, peut-être de caractère plus modeste, qui, depuis longtemps, est pris en compte comme élément d’interprétation pour la délimitation des compétences permettant aux institutions d’imposer des obligations aux citoyens communautaires, et notamment aux opérateurs économiques, et dont la violation constitue également un moyen d’annulation et d’exception, à savoir le principe de proportionnalité » (CJCE, Communication à la Conférence intergouvernementale de 1991, 20 novembre 1990, cité dans Sénat, Rapport d’information fait au nom de la Délégation pour l’Union européenne sur l’application du principe de subsidiarité, dir. par Christian de La Malène, 1996, p. 46).
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[12]
Bull. CE 10-1993 ; traité d’Amsterdam, protocole n° 7 (JOCE, C 340, 10 novembre 1997).
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[13]
Commission des Communautés européennes, Livre blanc sur la gouvernance, 25 juillet 2001 (COM (2001) 428 final). Parmi les documents préparatoires publiés peu auparavant : Commission des Communautés européennes, Gouvernance européenne : vers une meilleure utilisation de la subsidiarité et de la proportionnalité, 16 mars 2001 (SdR D 2001).
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[14]
Cf. Didier Georgakakis, « La gouvernance de la gouvernance. La politique du Livre blanc et les paradoxes du leadership de la Commission européenne », in Didier Georgakakis et Marine de Lassalle (dir.), La « nouvelle gouvernance européenne ». Les usages politiques d’un livre blanc, Strasbourg : Presses universitaires de Strasbourg, 2008, p. 175-208.
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[15]
Notis Lebessis et John Paterson, Développer de nouveaux modes de gouvernance, Bruxelles : Commission européenne, 2000, p. 41 (Working Paper de la Cellule de prospective).
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[16]
Ibid., p. 41 sq. Le thème de la subsidiarité active avait été lancé dès 1993 par Pierre Calame, haut fonctionnaire français du ministère de l’Équipement : Pierre Calame, L’État au cœur, le Meccano de la gouvernance, Paris : Desclée de Brouwer, 1997, voir le chapitre intitulé « La subsidiarité active », p. 167-205 ; Id., « Le principe de subsidiarité active. Concilier unité et diversité », in Olivier de Schutter, Notis Lebessis et John Paterson (dir.), La gouvernance dans l’Union européenne, Bruxelles : Commission européenne, 2001, p. 247-260 (Cahier de la Cellule de prospective) ; Pierre Calame, La démocratie en miettes. Pour une révolution de la gouvernance, Paris : Descartes, 2003, voir le chapitre intitulé « Les relations entre niveaux de gouvernance : la subsidiarité active », p. 171-199.
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[17]
Cf. Arend Lijphart, Democracies: Pattern of Majoritarian and Consensus Governments in Twenty One Countries, New Haven : Yale University Press, 1985.
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[18]
Renaud Dehousse (dir.), L’Europe sans Bruxelles ? Une analyse de la méthode ouverte de coordination, Paris : L’Harmattan, 2004 ; Renaud Dehousse, « La méthode ouverte de coordination. Quand l’instrument tient lieu de politique », in Pierre Lascoumes et Patrick Le Galès (dir.), Gouverner par les instruments, Paris : Presses de Sciences Po, 2005, p. 331-356.
-
[19]
Le Livre blanc insiste particulièrement sur cet aspect.
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[20]
Cf. Aurélien Raccah, « Vers une formalisation de la procédure prélégislative de l’Union européenne ? », Revue française d’administration publique, 127, 2008, p. 543-558 ; Alberto Alemanno, « Quis custodet custodes dans le cadre de l’initiative “Mieux légiférer” ? », Revue du droit de l’Union européenne, 1, 2008, p. 43-86 ; Renaud Dehousse, « L’activité législative : moins mais mieux », in Renaud Dehousse, Florence Deloche-Gaudez et Olivier Duhamel (dir.), Élargissement : comment l’Europe s’adapte, Paris : Presses de Sciences Po, 2006, p. 23-38.
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[21]
Cf. Alexander J. Mackenzie-Stuart, « Subsidiarity, A Busted Flush? », in Deirdre Curtin et David O’Keeffe (eds.), Essays T. F. O’Higgins, Dublin : Butterworth, 1992, p. 19-24 ; Paul Joan G. Kapteyn, « Community Law and the Principle of Subsidiarity », Revue des affaires européennes, 2, 1991, p. 35 ; Pierre Pescatore, « Mit der Subsidiarität leben. Gedenken zu einer drohenden Balkanisierung der EG », in Ole Due, Marcus Lutter et Jürgen Schwarze (Hrsg.), Festschrift Ulrich Everling, II, Baden-Baden : Nomos, 1995, p. 1071-1094.
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[22]
TPICE, Vereniging van Samenverkende Prijsregelende Organisaties (SPO) in de Bouwnijverheid et al. c. Commission, 21 février 1995 (aff. T-29-92, Rec., p. II-289).
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[23]
CJCE, Union royale belge des sociétés de football association ASBL c. Jean-Marc Bosman, Royal club liégeois SA c. Jean-Marc Bosman et autres et Union des associations européennes de football (UEFA) c. Jean-Marc Bosman, 15 décembre 1995 (aff. C-415-93, Rec., p. I-4921).
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[24]
CJCE, Commission c. Royaume de Belgique, 10 septembre 1996, 12 septembre 1996 (aff. C-11-95, Rec., p. I-4115 ; aff. C-278-94, Rec., p. I-4307). Dans le même sens : CJCE, Commission c. Artegodan GmbH et autres, 24 juillet 2003 (aff. C-39-03, Rec., p. I-7885) ; CJCE, Commission c. République portugaise, 6 juillet 2006 (aff. C-53-05, Rec., p. I-6215) ; CJCE, Commission c. République italienne, 26 mars 2009 (aff. C-326-07, Rec., p. 7).
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[25]
Par exemple : CJCE, Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord c. Conseil, 12 novembre 1996 (aff. C-84-94, Rec., p. I-5755) ; CJCE, République fédérale d’Allemagne c. Parlement et Conseil, 13 mai 1997 (aff. C-233-94, Rec., p. I-2405) ; CJCE, Royaume des Pays-Bas c. Parlement et Conseil, 9 octobre 2001 (aff. C-377-98, Rec., p. I-7079) ; CJCE, The Queen c. Secretary of State for Health, ex parte British American Tobacco (Investments) Ltd et Imperial Tobacco Ltd, 10 décembre 2002 (aff. C-491-01. Rec., p. I-11453) ; CJCE, Commission c. République fédérale d’Allemagne, 22 mai 2003 (aff. C-103-01, Rec., p. I-5369) ; CJCE, Royaume de Belgique c. Commission, 14 avril 2005 (aff. C-110-03, Rec., p. 2801) ; CJCE, The Queen, à la demande de Alliance for Natural Health et Nutri-Link Ltd c. Secretary of State for Health et The Queen, à la demande de National Association of Health Stores et Health Food Manufacturers Ltd c. Secretary of State for Health et National Assembly for Wales, 12 juillet 2005 (aff. jointes C-154-04 et C-155-04, Rec., p. I-6451).
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[26]
Traité de Lisbonne, protocole n° 2, article 8 al. 1 (JOUE, C 306, 17 décembre 2007 ; JOUE, C 83-201, 30 mars 2010).
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[27]
Cf. John Peters, « National Parliaments and Subsidiarity: Think Twice », European Constitutional Law Review, 1 (1), 2005, p. 68-72 ; Ian Cooper, « The Watchdogs of Subsidiarity: National Parliaments and the Logic of Arguing in the EU », Journal of Common Market Studies, 44 (2), 2006, p. 281-304.
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[28]
Les parlementaires nationaux peuvent défendre le respect de leurs compétences mais ne doivent pas interférer dans le processus législatif via un contrôle indu de la proportionnalité. Une fois que l’opportunité de l’action européenne est admise, le contenu n’est plus du ressort des parlements.
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[29]
Dix-huit sur cinquante quatre, chaque pays disposant de deux voix (bicamérisme oblige).
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[30]
Réunissant les représentants des commissions en charge des affaires européennes dans les vingt-sept parlements des États membres, elle est habilitée à adresser au Parlement européen, au Conseil et à la Commission toute contribution qu’elle juge appropriée sur les activités législatives de l’Union. Elle est composée de six représentants parlementaires par État et de six membres du Parlement européen. Elle se réunit chaque semestre à l’initiative du Parlement de l’État qui exerce la présidence de l’Union.
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[31]
Créé par l’Acte unique, mis en place après Maastricht, le Comité des régions est une enceinte consultative composée de représentants des entités régionales des États membres (traité de Maastricht, article 198).
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[32]
Conseil de l’Europe, Charte de l’autonomie locale et régionale, 15 octobre 1985, article 4-3.
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[33]
Jacques Blanc, « Comité des régions : une ambition politique pour une mission démocratique », Revue des affaires européennes, 2, 1994, p. 5-7 ; voir aussi Le Monde, 25-26 septembre 1994 ; Claude du Granrut, La citoyenneté européenne. Une application du principe de subsidiarité, Paris : LGDJ, 1997.
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[34]
Comité des régions, Avis sur la révision du traité sur l’Union européenne et du traité instituant la Communauté européenne, 21 avril 1995 (CdR 136-95 final) ; Id., Avis sur le principe de la subsidiarité : « Vers une culture de la subsidiarité ! Un appel du Comité des régions », 11 mars 1999 (CdR 302-98 final) ; Id., Avis sur les nouvelles formes de gouvernance : « L’Europe, un cadre pour l’initiative des citoyens », 14 décembre 2000 (CdR 182-2000 final).
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[35]
Traité de Lisbonne, protocole n° 2, article 8 al. 2 (JOUE, C 306, 17 décembre 2007 ; JOUE, C 83-201, 30 mars 2010).
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[36]
Expression par laquelle on désigne souvent l’ex-article 308 TCE devenu article 352 TUE (JOUE, C 83-47, 30 mars 2010).