Notes
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[1]
Institut de Recherches et d’études sur le Monde Arabe et Musulman (IREMAM), MMSH, BP 647, F-13094 Aix-en-Provence cedex 02.
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[2]
Loi n° 2004-228 du 15 mars 2004 « encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics », et sa circulaire d’application du 18 mai 2004, parue au Bulletin officiel du ministère de l’Éducation nationale (BOEN) du 22 mai.
-
[3]
Selon Paul Sabatier, cité et traduit dans Henri Bergeron, Yves Surel et Jérôme Valluy, « L’Advocacy Coalition Framework. Une contribution au renouvellement des études de politiques publiques ? », Politix, 41, 1998, p. 206.
-
[4]
Sur cette approche, voir notamment Jean-Gustave Padioleau, « La lutte politique quotidienne : caractéristiques et régulations de l’agenda politique », in Id., L’État au concret, Paris, PUF, 1982 ; et le classique John W. Kingdon, Agendas, Alternatives, and Public Policies, 2e éd., New York, Longman, 1995.
-
[5]
Une disposition instituée en novembre 1999 par Jean-Pierre Chevènement.
-
[6]
Chiffres fournis par le journal PLPL (Pour lire pas lu), 19, avril 2004, et cités dans Jean-Pierre Tévanian, Le voile médiatique : un faux débat, Paris, Raisons d’agir, 2005, p. 15.
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[7]
Cf. note 1.
-
[8]
Cf. Erich Goode et Nachman Ben-Yehuda, « Moral Panics : Culture, Politics, and Social Construction », Annual Review of Sociology, 20, 1994, p. 149-171.
-
[9]
En raison de la nature analytique de l’exposé, nous n’avons pas cherché à équilibrer les parties.
-
[10]
Circulaire du 20 septembre 1994 : « Port de signes ostentatoires dans les établissements scolaires ».
-
[11]
Sur ces détails, voir Gilles Manceron, « Opinion publique et forces politiques », in Françoise Lorcerie (dir.), La politisation du voile : l’affaire en France, en Europe et dans le monde arabe, Paris, L’Harmattan, 2005.
-
[12]
Une organisation issue des rangs du Parti socialiste.
-
[13]
Gilles Manceron, « Opinion publique et forces politiques », op. cit., p. 67.
-
[14]
Rapport de François Baroin, introduction.
-
[15]
Ibid.
-
[16]
L’une des propositions porte sur la création d’une faculté de théologie musulmane.
-
[17]
Sa première intervention publique contre la position libérale du Conseil d’État remonte à l’affaire Mlle Saglamer, jugée en appel par le CE le 10 juillet 1995. Rapportant ses conclusions en tant que commissaire du gouvernement, R. Schwartz avait alors proposé d’attribuer un caractère ostentatoire et prosélyte au foulard, dès lors qu’il était porté collectivement. Il n’avait pas été suivi par le CE. Rémi Schwartz est par ailleurs un leader du Mouvement juif libéral de France.
-
[18]
Jean-Paul Costa est l’auteur, avec Guy Bédouelle (spécialiste de l’histoire du catholicisme), de l’ouvrage Les laïcités à la française, Paris, PUF, 1998.
-
[19]
Cf. « Le Conseil d’État, le droit public français et le “foulard” », interview de Monsieur Jean-Paul Costa (conseiller d’État), Cahiers d’études sur la Méditerranée orientale et le monde turco-iranien, 19, janvier-juin 1995, p. 82-84. Voir aussi dans son livre suscité le chapitre 13, intitulé « L’islam ».
-
[20]
Fonds d’action sociale pour les travailleurs immigrés et leurs familles.
-
[21]
Libération, 12 novembre 1999. Les auteurs s’identifient respectivement comme directrice d’association et directeur d’école, et tous deux membres du comité de rédaction d’Hommes et Migrations.
-
[22]
Le renversement du thème de la discrimination est caractéristique de l’épisode : c’est l’islam qui discrimine et les femmes portant foulard s’auto-discriminent. On retrouvera ces thèmes dans le rapport de la commission Stasi, lequel fait place aussi au « sentiment de discrimination » des jeunes issus de l’immigration, dans une stratégie discursive d’équilibrage des normes contraires que l’on retrouve aussi dans le discours présidentiel (voir infra, § III.2).
-
[23]
Cf. la célèbre étude de Serge Moscovici, Psychologie des minorités actives, Paris, PUF, 1979.
-
[24]
Rapport, IV, A, 2.
-
[25]
Le premier auditionné fut Rémy Schwartz le 11 juin 2003, suivi de Hanifa Cherifi, la médiatrice de l’Éducation nationale pour les affaires de foulards.
-
[26]
Voir le documentaire de Dorothée Thénot, Derrière le voile : dans les coulisses de la commission Stasi, Chaîne parlementaire Public Sénat, 2004, cassette vidéo 52 minutes. Nous remercions la chaîne Public Sénat de nous avoir aimablement transmis ce document.
-
[27]
Voir un exposé détaillé de ces biais dans Alain Gresh, L’islam, la République et le monde, Paris, Fayard, 2004, chapitre 8.
-
[28]
Les Renseignements généraux annonçaient, pour le premier trimestre de l’année scolaire 2003-2004, 1 256 élèves portant le foulard, sur lesquelles on comptait 20 cas ayant posé problème, et 4 exclusions (chiffres donnés par Nicolas Sarkozy sur France 2 le 20 novembre).
-
[29]
René Rémond signera le 2 février 2004 dans Le Monde une libre opinion intitulée « De l’inutilité d’une loi déplacée ».
-
[30]
Voir dans ce numéro l’entretien avec Jean Baubérot.
-
[31]
Cette dénomination malcommode renvoie au fait que la coalition prohibitionniste a combiné dans un attelage inédit une ligne nationaliste et une ligne ultrarépublicaine pour l’interprétation de la laïcité.
-
[32]
« Pourquoi le foulard n’est-il pas criminalisé comme le viol ? », s’indigne une universitaire, membre d’un groupe féministe (Le Monde, 8 juillet 2003).
-
[33]
Cf. le chapitre consacré aux médias par Vincent Geisser dans son ouvrage La nouvelle islamophobie, Paris, La Découverte, 2003. Le livre analyse la campagne éditoriale et médiatique qui s’en est pris, en 2002, aux jeunes musulmans des banlieues pour antisémitisme.
-
[34]
L’Express justifie ce parti pris non sans humour : « Dans ce débat […], on n’entend que la voix des musulmans les plus radicaux, pourtant moins nombreux que les modérés. C’est à ces derniers que l’Express donne la parole », L’Express, 18 au 24 septembre 2003, dossier « La laïcité face à l’islam ».
-
[35]
La presse rapporte qu’Alain Seksig s’adresse ce soir-là à Jacques Chirac en ces termes : « Aujourd’hui, c’est la seconde fois que l’on vote pour vous » (Le Monde, 19.12.03, article signé Philippe Bernard, Béatrice Gurrey et Martine Laronche).
-
[36]
Syndicat national des personnels de direction de l’Éducation nationale.
-
[37]
Union nationale des syndicats autonomes (organisation syndicale interprofessionnelle).
-
[38]
Cf. David Kessler, « Neutralité de l’enseignement public et liberté d’opinion des élèves » (À propos du port de signes distinctifs d’appartenance religieuse dans les établissements scolaires). Conclusions sur Conseil d’État, 2 novembre 1992, M. Kherouaa et Mme Kachour, M. Balo et Mme Kizic, Revue française de droit administratif, 9 (1), janvier-février 1993, p. 112-119.
-
[39]
L’UNSA a voté en faveur du projet de circulaire lors de son examen par le Conseil supérieur de l’éducation le 17 mai 2004, alors qu’elle s’était abstenue précédemment lors de l’examen du projet de loi.
-
[40]
Rapport Debré, tome II, Auditions, audition conjointe de responsables du SNPDEN, 25 juin 2003.
-
[41]
Cf. le rapport d’activité de Philippe Guittet devant le congrès du SNPDEN, Direction (revue du SNPDEN), 119, juin 2004, p. 29.
-
[42]
Rapport d’activité de Philippe Guittet, loc. cit.
-
[43]
Antoine Sfeir, Les réseaux d’Allah : les filières islamistes en France et en Europe, 2e éd., Paris, Plon, 2001.
-
[44]
Chahdortt Djavann, Bas les voiles, Paris Gallimard, 2003.
-
[45]
Emmanuel Brenner (dir.), Les territoires perdus de la République : antisémitisme, racisme et sexisme en milieu scolaire, Paris, Mille et une nuits, 2002.
-
[46]
Bernard Lewis, Que s’est-il passé ? L’Islam, l’Occident et la modernité, Paris, Gallimard, 2002.
-
[47]
Caroline Fourest et Fiammetta Venner, Tirs croisés : la laïcité à l’épreuve des intégrismes juif, chrétien et musulman, Paris, Calman-Lévy, 2003.
-
[48]
Rappelons qu’elle a été fondée en 1866 par Jean Macé.
-
[49]
Pierre Tournemire, « Une loi qui serait inopportune », Idées en mouvement, 110, juin 2003.
-
[50]
Ibid.
-
[51]
Ibid.
-
[52]
Les signataires sont l’association Éducation & Devenir (regroupant des chefs d’établissement favorables à la démocratisation scolaire), la FCPE, la FERC-CGT, la FSU, le SGEN-CFDT, l’UNL, ainsi que la Ligue de l’enseignement, la Ligue des droits de l’homme et le MRAP. Seule parmi les grandes fédérations syndicales enseignantes, l’UNSA ne s’est pas associée.
-
[53]
On peut regretter qu’aucun inspecteur d’académie n’ait été auditionné.
-
[54]
Voir la revue Administration et Éducation, revue de l’Association française des administrateurs de l’éducation. La livraison 2001 (3), par exemple, consacrée à « L’exercice de l’autorité au sein du système éducatif, nouveaux contextes et perspectives », comprend une grande conférence par Jean-Paul de Gaudemar, DESCO.
-
[55]
Une partie seulement : en juin 2004, une mission de l’Inspection générale dirigée par Jean-Pierre Obin rendra un rapport de 37 pages sur Les signes et manifestations d’appartenance religieuse dans les établissements scolaires, qui décrit en des termes alarmistes la situation dans les établissements scolaires. Retenu par l’Inspection générale, ce rapport sera placé sur le site du ministère sur pression de la LICRA en mars 2005, puis finalement publié sur papier : Alain Seksig, Michèle Narvaez, Barbara Lefebvre et al., L’école face à l’obscurantisme religieux. 20 personnalités commentent un rapport choc de l’Éducation nationale, Paris, Max Milo, 2006.
-
[56]
Norbert Elias, La société des individus, Paris, Fayard, 1991 (chapitre « Les transformations de l’équilibre “nous-je” », p. 286).
-
[57]
Rapporté par Philippe Guittet (SNPDEN) qui participait à l’émission (entretien avec l’auteure).
-
[58]
Selon Patrick Haenni, cela a contribué à discréditer ces notables dans les quartiers et à accroître l’audience du salafisme. Voir La France face à ses musulmans : émeutes, jihadisme et dépolitisation, Rapport pour l’International Crisis Group, mars 2006.
-
[59]
Ce qu’a cherché à faire le Haut Conseil à l’intégration sous la présidence de Roger Fauroux. Cf. Haut Conseil à l’intégration, L’Islam dans la République, Paris, La Documentation française, 2000.
-
[60]
Emmanuel Brenner (dir.), Les territoires perdus de la République : antisémitisme, racisme et sexisme en milieu scolaire, op. cit.
-
[61]
Ce sera la directive 2000/43 « relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d’origine ethnique ».
-
[62]
L’évolution reprendra en 2004 après l’épisode, mais dans un contexte politique radicalisé. Voir Françoise Lorcerie, « Le primordialisme français, ses voies, ses fièvres », in Marie-Claude Smouts (dir.), La situation postcoloniale : les “postcolonial studies” dans le débat français, Paris, Presses de Sciences Po, 2007, p. 298-243.
-
[63]
Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité.
-
[64]
Cette étude s’appuie notamment sur deux chapitres du livre La Politisation du voile, op. cit. : « À l’assaut de l’agenda public. La politisation du voile islamique en 2003-2004 » et « Les professionnels de l’école et l’affaire du voile. Des enseignants très partagés sur l’incrimination du voile ». Merci à Claire de Galembert pour sa précieuse relecture.
1En 2004, à la suite d’une campagne médiatique intense mettant en cause très largement les débordements de l’islam, la France s’est dotée d’une réglementation interdisant aux élèves le port de signes qui conduiraient à se faire reconnaître dans l’espace scolaire par leur appartenance religieuse [2]. Nous proposons ici une lecture de l’épisode en termes d’entreprise politique, une approche développée dans les études touchant à la mise sur agenda des problèmes publics. Appelons entreprise politique une coordination d’acteurs sociaux de statuts divers, mobilisés pour faire prendre en charge par la décision politique un problème donné, dans les termes qu’ils souhaitent. La condition du succès des entrepreneurs politiques est de parvenir à faire lire la réalité comme un problème dans les termes qui sont les leurs, afin d’assurer la solution dont ils sont porteurs. L’étude de divers cas américains amène à poser qu’une coalition inclut à l’ordinaire, à des degrés divers, des leaders de groupes d’intérêt, ainsi que des hauts fonctionnaires, des experts, des législateurs, parfois des journalistes [3]. L’entreprise se déploie dans un espace conflictuel, elle doit pour réussir étendre ses soutiens, alors qu’elle est contrée par d’autres acteurs, qui tentent de disqualifier le supposé problème, ou bien tentent de promouvoir une autre solution [4]. L’épisode de politisation du voile islamique en France en 2003-2004 montre le triomphe d’une entreprise politique dont les opérateurs voulaient de longue date faire interdire le voile à l’école. Mais ils ne s’étaient pas antérieurement coalisés et n’avaient pas trouvé l’occasion de conquérir l’agenda public.
2L’emballement des médias en avril-mai n’était guère prévisible. Début avril a lieu la mise en place du Conseil français du culte musulman (CFCM) sous l’égide du ministère de l’Intérieur, au terme d’un processus de consultation initié en juillet 1999 par Jean-Pierre Chevènement. Le Conseil comprend les leaders des principales fédérations de lieux de culte, dont l’Union des organisations islamiques de France (UOIF), à qui la grande presse accole régulièrement l’épithète d’« intégriste ». La démarche semble témoigner d’une vue pragmatique de la situation chez les hommes chargés de la décision politique dans ce dossier, à savoir le ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy, et au-delà le président de la République. Mais le 19 avril 2003, devant le congrès de l’UOIF au Bourget, N. Sarkozy, d’abord chaudement accueilli, se fait huer en soulignant que le port du voile est interdit sur les photos d’identité [5]. Les médias s’emparent de l’esclandre, et c’est très vite l’avalanche : plateaux TV, magazines radio, articles de presse affluent. Au cours de l’année 2003, on ne comptera pas moins de 1 284 articles sur « le voile » dans les trois principaux quotidiens français, soit plus d’un par jour et par journal [6]. La question se déplace sur l’école : « Pour ou contre l’interdiction du voile à l’école ? », ce qui devient dans le débat : « Pour ou contre le voile à l’école ? » et « Pour ou contre le voile ? » Le 4 juin, Jean-Louis Debré, président de l’Assemblée nationale, installe une mission parlementaire d’information « sur la question des signes religieux à l’école ». Peu après, le président de la République nomme son ami Bernard Stasi, ancien ministre centriste et médiateur de la République, à la présidence d’une commission « sur l’application du principe de laïcité », laquelle est installée le 3 juillet et commence ses auditions publiques début septembre. C’est dès lors l’effervescence dans les médias. La mission Debré rend ses conclusions le 12 novembre : elle demande à l’unanimité une loi pour interdire le port « visible » de signes religieux à l’école (une position radicale, retenue non pas dans la loi mais dans la circulaire d’application, qui fait référence à l’intitulé de la loi [7]). Le 11 décembre, la commission Stasi remet son rapport : la demande d’interdire les signes religieux « ostensibles » à l’école est la plus notable de ses propositions, souscrite à l’unanimité moins une voix, celle de Jean Baubérot, seul spécialiste de la laïcité dans la Commission, qui s’est abstenu. Le 17 décembre, Jacques Chirac annonce le début du processus législatif, tout en tenant un discours de mobilisation nationale unitaire. L’effervescence publique retombe très largement. La loi sera votée dans une atmosphère de consensus. Elle interdit « le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse ».
3Le développement médiatique de l’affaire n’en livre toutefois pas les ressorts politiques et sociaux. La question d’une loi contre le port du voile à l’école n’a cessé de rebondir dans l’espace du débat public français depuis au moins le gouvernement Balladur (1993-1995). Mais les premiers mois de 2003 avaient été calmes, hormis la médiatisation du refus par des enseignants d’une élève portant un bandana au lycée La Martinière de Lyon, gros établissement de 2 500 élèves. Le recteur n’avait pas suivi la demande d’exclusion formulée par les enseignants – et les rieurs paraissaient de son côté. Entre mars et décembre 2003, la situation s’est donc totalement retournée.
4Tout d’abord, une coalition de cause s’est constituée à la faveur de l’esclandre du Bourget (et de sa médiatisation), avec deux piliers principaux : des leaders de l’UMP, proches du chef de l’État, et un noyau militant situé plutôt à gauche. Inédite et discrète, cette coalition a soutenu l’embrasement médiatique et obtenu à l’automne le retournement du PS et de fractions des autres partis, induisant l’effet de consensus politique total, ce que nous montrerons dans une première partie. En face, les défenseurs du droit en l’état, représenté par l’avis du 27 novembre 1989 du Conseil d’État et sa jurisprudence ultérieure, furent objectivement nombreux : les Églises et le grand Rabbinat, les principales associations laïques, la majorité des syndicats enseignants, les organisations musulmanes, etc. Pour autant, ils n’ont pas su porter leur cause en commun. Ils eurent peu d’accroche directe au politique et furent peu entendus des médias comme cela sera indiqué dans la deuxième partie de cet article. C’est qu’aussi le prohibitionnisme a bénéficié d’un effet de « panique morale », qu’il a contribué à déclencher et à entretenir mais qu’il n’a pas pu susciter de toutes pièces. La notion de panique morale, forgée à partir de l’étude des « grandes peurs » médiévales, désigne l’emprise émotionnelle croissante dans une société de l’hostilité à l’égard d’un groupe, de façon disproportionnelle à la nature du comportement du groupe incriminé [8]. De tels mouvements collectifs procèdent toujours d’une conjonction entre des dispositions à la peur qui préexistent dans la population et l’action de groupes qui vont activer ces dispositions et les orienter vers leurs fins propres. En l’espèce, l’affaire a précipité une profonde inquiétude sociale sur l’islam, la nation et sur « l’intégration » des musulmans, et elle en a favorisé la pérennité en avivant la crispation du sentiment national face aux garanties juridiques dont jouissent les musulmans. Ce sera l’objet de la troisième partie de cet article [9].
I. Les entrepreneurs de l’épisode : une coalition inédite
5Une analyse attentive des faits révèle la conjonction d’une mobilisation politique venue de la droite parlementaire proche du chef de l’État, et d’un militantisme porté par des experts et idéologues familiers du pouvoir sans en être. Une dizaine d’acteurs tout au plus sont repérables comme centraux. Leur coordination apparaît avoir structuré le déploiement de l’épisode. Quant aux acteurs du champ scolaire qui portaient la cause de la prohibition, ils n’ont pas fait partie du noyau central de l’entreprise.
I.1. La mobilisation du parti majoritaire
6Le parti néo-gaulliste a engagé le combat contre le port du voile à l’école dès son retour au pouvoir en 1993. Bernard Pons, président du groupe RPR à l’Assemblée nationale, ainsi que Robert Pandraud et Bruno Bourg-Broc, députés, futurs membres de la mission Debré « sur la question des signes religieux à l’école », se distinguent par la virulence de leurs attaques contre la première circulaire prise en cette matière par le nouveau ministre de l’Éducation nationale, le président de l’UDF François Bayrou, à la rentrée 1993. Il y reprenait à son compte la circulaire Jospin du 12 décembre 1989, laquelle transposait l’avis du Conseil d’État du 27 novembre 1989. La majorité à l’Assemblée nationale compte alors aussi dans ses rangs Ernest Chenière, ancien principal du collège de Creil, qui a suscité la première « affaire de foulard » en excluant trois filles de son collège et en convoquant la presse, après la rentrée 1989. C’est sous cette pression que F. Bayrou donnera à la rentrée suivante une deuxième circulaire interdisant cette fois les signes « ostentatoires en soi », en contradiction flagrante avec l’avis, la jurisprudence et la doctrine du Conseil d’État [10]. Cette circulaire n’amènera pas le Conseil d’État à revenir sur son refus de caractériser le signe, indépendamment de la façon dont il est porté. Mais elle provoque immédiatement un nouveau pic du débat public et suscite un flot de contentieux. Au lendemain de son élection, Jacques Chirac se déclare en faveur d’une interdiction par la loi et demande à François Bayrou une proposition en ce sens. Mais les élections législatives anticipées (1997) stoppent l’entreprise, et la question disparaît de la scène centrale jusqu’en mars 2003 [11].
7À cette date, tandis que s’achève, sous la houlette du ministre de l’Intérieur, la mise en place des élections des délégués au CFCM, dont le bureau a déjà été désigné, le débat rebondit brusquement dans l’UMP. Le 8 mars, la marche des « Ni putes ni soumises » [12] à travers la France pour défendre les femmes musulmanes opprimées s’achève à Paris par une manifestation de 30 000 personnes, un succès public. Les photos des visages des marcheuses, coiffées en Mariannes, seront d’ailleurs exposées sur les colonnes du Palais-Bourbon. Des personnalités du parti lancent alors des déclarations réclamant le vote d’une loi pour interdire le voile ; ce sont des proches du président de la République, dont il est permis de penser qu’ils agissent à son instigation [13] : Alain Juppé, président de l’UMP, Jean-Louis Debré, président de l’Assemblée nationale, François Baroin, vice-président de l’Assemblée nationale et porte-parole de l’UMP, ou encore le député Yves Jego.
8F. aroin se voit confier par le premier ministre Jean-Pierre Raffarin un rapport sur la situation de la laïcité. Le rapport Pour une nouvelle laïcité est rendu en mai, au moment de la table-ronde à l’Assemblée (le Figaro Magazine en rend compte dans sa livraison du 24 mai). Lu rétrospectivement, trois points de ce rapport sont remarquables.
Tout d’abord, l’auteur du rapport se positionne en homme politique ayant le souci du sens autant que de la stratégie. Le rapport défend l’idée d’une décision législative contre le port du voile à l’école. Mais cette idée est transcendée dans le texte par une vision politique des enjeux. En premier lieu, le rapport opère une mutation symbolique qui va être couronnée de succès au cours de l’épisode : il appelle à penser et vouloir la laïcité comme l’emblème de la pérennité de « l’identité française » face aux grands défis de l’heure et aux menaces internes :
9Alors que notre société est bousculée par la mondialisation, la construction européenne et la décentralisation, la laïcité apparaît comme une référence stable et un peu mythique. C’est pourquoi elle est devenue un élément de référence de l’identité française. Sa remise en cause par le multiculturalisme et le communautarisme peut donc être perçue comme une menace pour l’identité nationale [14].
10La laïcité était jusque là une valeur plutôt de gauche, elle est ici réélaborée dans un sens national conservateur. La commission Stasi se ralliera à cette acception.
11C’est que la laïcité ainsi conçue ne peut manquer de rassembler : l’auteur du rapport anticipe la consolidation du second tour de l’élection présidentielle :
12Dès lors, un renouveau de la laïcité devient un élément de la réponse au choc du 21 avril 2002. On assiste ainsi à une « re-politisation » du thème de la laïcité qui pourrait devenir une valeur de la « droite de mai » face à une gauche qui s’est largement convertie au multiculturalisme et n’a pas su répondre au défi du communautarisme [15].
13Dans la foulée, l’auteur propose opportunément l’organisation d’un débat public à l’aide d’une commission spéciale analogue à celle qu’avait présidée Marceau Long sur la réforme du code de la nationalité en 1987, avec des auditions relayées par la chaîne parlementaire. Il suggère de la doubler d’une mission d’information parlementaire pour pousser plus largement les investigations. Préconisations qui seront pour l’essentiel suivies d’effet.
Un deuxième point ressort du rapport, lu rétrospectivement : le port du voile est incriminé, et la position du Conseil d’État contestée. Mais les rhétoriques qui triompheront dans l’épisode ne sont pas à ce stade complètement en place, il y a d’ailleurs peu d’effets de slogan dans le rapport, sinon l’accolement de laïcité et d’identité française. Un exemple : le voile, dit le rapport, n’est « pas un signe religieux », il relève de l’intégrisme. L’argument traversera tout l’épisode. Cependant la dénomination « signe politico-religieux », qui fera florès à l’automne, est absente dans le rapport Baroin. De manière significative on la retrouve dans le discours de l’UMP, par exemple chez Alain Juppé lors de son audition par la commission Stasi le 28 octobre. Le rapport Stasi reprendra à son tour « politico-religieux », en l’accolant à « groupes » ou « mouvements ».
14Dernier point remarquable : des « 16 propositions pour une nouvelle laïcité » qui forment la dernière partie du rapport, une seule sera finalement retenue « proscrire le port du voile ». Il en sera de même pour les propositions de la commission Stasi. Il est vrai que toutes les propositions du rapport Baroin ne correspondaient pas à des changements, certaines rappelaient simplement la norme instituée. Surtout, les propositions du rapport n’ont pas une tonalité anti-religieuse. Il n’est pas question ici de revenir à une religion du for intérieur (soit le niveau de liberté religieuse de l’Ancien régime). Le rapport Baroin consacre exactement la moitié de ses propositions à la défense de la liberté religieuse et de la liberté de conscience, et à la reconnaissance de « la place de la religion dans notre société ». Toutes sont passées par pertes et profits. Et c’est le rapport de la mission Debré, dont F. Baroin fut un pilier, qui articula la position la plus hostile à la tolérance des signes religieux à l’école. Cependant, cette orientation du rapport de mai 2003 est trop soulignée pour ne pas faire sens politiquement. Cette entreprise d’exaltation de la laïcité française et de criminalisation du port du voile islamique à l’école participe d’une stratégie de l’UMP visant à séduire ou à ménager un électorat de sensibilité religieuse, y inclus l’électorat religieux musulman [16]. Il ne s’agissait pas de saboter le jeune CFCM mais plutôt de le cadrer en compensant symboliquement la peur ou le malaise créés par son instauration, dans l’électorat majoritaire. Aussi bien, la proposition de proscrire le voile à l’école était-elle équilibrée dans le rapport par celle d’« autoriser les chefs d’établissement à tenir compte de l’intérêt de l’élève », concession qui disparaîtra dans la radicalisation idéologique de l’automne.
I.2. Un noyau militant extérieur au monde politique
15Le déploiement de l’épisode a été servi par des personnes qui, quoique extérieures au monde politique, étaient bien placées au sein de l’appareil d’État, se connaissant et agissant de façon stratégique. Partons de ce qui est le plus évident. Le choix des membres de la commission Stasi, la fixation de son mode de fonctionnement, la sélection des témoignages de terrain furent des décisions déterminantes pour l’impact sur l’opinion et l’issue de l’épisode. Rémy Schwartz, maître des requêtes au Conseil d’État, doyen des commissaires du gouvernement, nommé rapporteur de la Commission, en fut un acteur maître. Il était d’emblée favorable à une loi [17]. Lors de la table ronde « École et laïcité aujourd’hui » organisée par le groupe UMP de l’Assemblée nationale le 22 mai 2003, quelques jours avant l’installation de la mission Debré sur la question des signes religieux à l’école, il fait ainsi fortement état de son insatisfaction de la jurisprudence du Conseil d’État, « très difficile à manier, notamment lorsqu’il s’agit de faire le partage entre signe ostentatoire et signe qui ne serait pas ostentatoire ». Il ajoute :
Imposer l’interdiction de tout signe religieux au sein du système éducatif, du moins en ce qui concerne l’enseignement primaire et secondaire, telle est la vraie question. Elle suscite néanmoins deux interrogations : la question constitutionnelle […] ; la deuxième interrogation porte sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.
17Sur ce point, un moment-clé du développement des travaux de la commission Stasi fut l’audition à huis clos, le 17 octobre, de Jean-Paul Costa, au titre de ses fonctions de vice-président de la Cour européenne des droits de l’homme. Ancien directeur du cabinet d’Alain Savary au ministère de l’Éducation nationale, conseiller d’État, professeur associé à l’université Paris I, bon connaisseur du droit de la laïcité [18], vice-président de la Cour européenne des droits de l’homme depuis 2001, Jean-Paul Costa avait exprimé de longue date, lui aussi, son insatisfaction de la jurisprudence courante et sa conviction qu’une loi était nécessaire face à l’islam [19]. Devant la Commission Stasi, l’argument de J.-P. Costa, purement juridique, permet de lever les hésitations qui pouvaient subsister. « Si une telle loi était soumise à notre Cour, elle serait jugée conforme au modèle français de laïcité, et donc pas contraire à la Convention européenne des droits de l’homme », déclare-t-il en faisant valoir que la Cour reconnaît la marge nationale d’interprétation des principes généraux des droits de l’homme.
18Dans des rôles différents mais respectivement cruciaux, l’épisode voit donc se manifester deux personnalités du Conseil d’État, incarnant une tendance mise en minorité dans les délibérations du Conseil. Rémy Schwartz et Jean-Paul Costa défendent l’idée qu’en matière de port du foulard, le Conseil d’État a pris ses arrêts par défaut en quelque sorte, faute d’une législation restrictive qu’ils trouvaient politiquement souhaitable. Toutefois, ce sont d’autres personnes, familières des milieux gouvernementaux à divers titres tout en étant peu connues du grand public, spécialistes des questions d’école et d’intégration, qui ont donné une consistance idéologique à la solution prohibitionniste.
19La table ronde « École et laïcité aujourd’hui » du 22 mai à l’Assemblée nationale apparaît rétrospectivement comme un moment fort de la mise en ordre de bataille du noyau central de l’entreprise. Elle a mis en résonance dans un espace politique (l’Assemblée nationale) des arguments d’intellectuels médiatiques, d’acteurs politiques (les parlementaires), de deux ministres de l’Éducation nationale, d’un membre éminent du Conseil d’État, d’une responsable associative et d’un représentant du monde scolaire. Outre les deux ministres de l’Éducation nationale, cinq orateurs y eurent la charge de présenter l’état des lieux, cinq « grands témoins » et personne d’autre : Alain Finkielkraut, Alain-Gérard Slama, Rémy Schwartz, ainsi que Mme Gaye Petek Salom et Alain Sekzig. Tous s’avérèrent hostiles à la position du Conseil d’État et demandèrent à l’Assemblée nationale de passer d’urgence à l’action. Deux d’entre eux, A. Finkielkraut et A.-G. Slama, sont des habitués de la scène médiatique ; leur mode d’action publique est principalement médiatique. Pour les trois autres orateurs, la tribune de l’Assemblée nationale leur donne l’occasion d’exposer complémentairement leur insatisfaction juridique (Rémy Schwartz) ou la « vérité » du terrain – que ce soit celle des femmes, des banlieues ou de l’école.
20Gaye Petek Salom, directrice de l’association ELELE d’aide aux femmes de l’immigration turque et membre du Haut Conseil à l’intégration (future membre de la commission Stasi), appelle à la défense de la République, de son école, et à la défense des jeunes filles contre les idéologues radicaux qui les manipulent en sous-main : « Ces voiles ostentatoires sont des armes de destruction du contrat républicain dans les mains d’idéologues radicaux qui veulent empêcher l’émancipation et l’autonomie des jeunes filles. » Alain Seksig, inspecteur de l’Éducation nationale, ancien militant d’extrême gauche, ancien instituteur devenu chargé de mission au FAS [20], ancien conseiller au cabinet de Jack Lang à l’Éducation nationale (2000-2002) où il initia la commission sur la laïcité à l’école, nourrit son propos d’anecdotes alarmistes sur des conduites d’élèves et sur certaines pratiques pédagogiques qu’il présente comme des égarements, en soulignant le besoin urgent d’une intervention politique pour refonder la norme laïque.
21En 1999, au moment de l’affaire de Flers, Alain Seksig et Gaye Petek avaient écrit ensemble un « Rebond » au journal Libération [21]. Leur argument est en six points. En substance : le foulard est un « signe politico-religieux » ; il est discriminatoire : il fait voir la femme qui le porte, et il désigne celle qui ne le porte pas [22] ; il ne s’agit pas d’exclure des filles, « les filles s’excluent d’elles-mêmes » ; la foi appartient à l’intimité : il faut interdire tout signe religieux ostentatoire, y compris la kippa ; il ne s’agit pas de stigmatiser l’islam et les populations musulmanes, mais de lutter contre l’intégrisme, voyez l’Algérie : France et Algérie, même combat ; il faut une loi qui redise les exigences de la laïcité à l’école : non à la « laïcité » du Conseil d’État, qui permet aux parents d’élèves voilées de s’en prévaloir !
22Cinq ans plus tard, l’argument formera la trame du rapport de la commission Stasi et semble être devenu l’opinion de la quasi-totalité du personnel politique et des citoyens, au point de pouvoir être présenté comme consensuel dans la nation par le chef de l’État. Serions-nous devant la success story d’une « minorité active » ? Mobilisation sur le long terme, savoir-faire militant, congruence dans l’adversité, ces vertus caractéristiques des « minoritaires actifs » n’auraient-elles pas fini par payer [23] ? Sans aucun doute. Mais il faut penser la réussite en termes systémiques. On vient de le voir, il y a eu convergence pour engager l’action entre experts activistes et conseillers d’État opposés de longue date à la position officielle, accompagnés par des intellectuels connus. Cette convergence a été pour le moins stimulée par la mobilisation qui s’était enclenchée indépendamment au début de l’année au sein du parti majoritaire, sur les mêmes idées à peu près.
I.3. La séquence centrale : embrasement médiatique, coordination des entrepreneurs de l’épisode, passion populaire, ralliement du PS, décision
23C’est à la faveur de l’embrasement médiatique qui a suivi l’incident du Bourget que le noyau de l’UMP mobilisé contre le port du voile à l’école et le noyau actif extérieur au monde politique ont fait leur jonction, pour employer une métaphore militaire, et organisé leur coordination dans l’objectif de parvenir à une décision législative. Avec cette clé d’analyse, il est possible de dégager de la masse des données écrites, visuelles, produites par l’épisode ce que furent les grandes lignes de l’entreprise. Elles sont relativement simples. Une fois obtenu, avant le début des congés scolaires, le dispositif à deux étages de politisation du « problème » – une mission parlementaire et une commission publique –, les entrepreneurs de l’interdiction en ont pris le contrôle – d’entrée de jeu pour la mission d’information parlementaire, plus progressivement dans le cas de la commission –, soutenus par le battage médiatique qu’ils contribuaient à alimenter, et leur « solution » s’est imposée comme la seule issue dans l’opinion publique et dans la sphère politique.
Le dispositif mis en place fut conforme à celui en faveur duquel F. Baroin avait plaidé : « une commission ad hoc présidée par une personnalité incontestée, qui serait chargée de faire des propositions concernant les diverses questions auxquelles est confronté le principe de laïcité » [24], travaillant de conserve avec une mission d’information parlementaire. Mais tandis que F. Baroin proposait que cette mission consacre ses investigations au développement de l’islamisme en France, la décision prise fut de la focaliser sur les signes religieux à l’école, soit une anticipation directe du travail législatif souhaité pour la suite. La commission publique fut présidée par Bernard Stasi, avec Rémy Schwartz comme rapporteur, tandis que la mission parlementaire était présidée par Jean-Louis Debré lui-même, relayé par François Baroin et Éric Raoult, membres du bureau.
24La mission parlementaire – dont les auditions ne furent pas retransmises – s’afficha d’emblée très majoritairement favorable à une interdiction législative et ses auditions furent clairement orientées en ce sens [25]. Elles sont néanmoins fort intéressantes pour la sociologie politique, car les personnes furent appelées à témoigner ès qualités, parfois en collectifs catégoriels. Les auditions renseignent donc sur la position des catégories sociales reconnues par la mission comme directement concernées par le port du foulard islamique à l’école. On découvre ainsi, entre autres choses, que les hauts cadres scolaires furent dans leur majorité hostiles à une nouvelle loi, de même que les chefs d’établissement ayant eu à gérer des « affaires de foulards » (alors que le discours prohibitionniste les donnait pour les fervents partisans d’une interdiction législative) (voir infra).
25La commission Stasi, quant à elle, constituait au départ un collectif plus ouvert. L’enregistrement filmé des débats permet de saisir comment la gestion du processus délibératif au sein de la commission parvint à contrôler l’incertitude de l’issue [26]. Tout s’est passé comme si Rémy Schwartz, son rapporteur général, instruisait à charge – mais la commission n’était pas un tribunal. D’autres membres – on voit dans le film Patrick Weil et Gilles Kepel notamment – ont eu un rôle d’initiative important. La sélection des témoins fut particulièrement biaisée [27]. Aucune lycéenne voilée ne fut auditionnée alors qu’il s’agissait d’elles principalement et que la très grande majorité d’entre elles accomplissaient à cette époque une scolarité normale, conformément à la jurisprudence du Conseil d’État [28]. Deux jeunes femmes voilées, militantes associatives, furent entendues à la toute dernière séance, rajoutée à cet effet alors que le rapport était bouclé. Aucun enseignant ou chef d’établissement à l’aise avec le « problème » de l’islam ne fut sollicité ; Jean Baubérot a dit publiquement après le rendu du rapport que cette éventualité, qu’il proposait de ménager, avait été écartée. Ce biais dans l’évocation des données du problème fut occulté par les conditions de la délibération : émotion produite par les premiers témoignages de terrain, précipitation du rythme des travaux de la commission (tout devait être bouclé avant les fêtes, et la date du 11 décembre finalement retenue pour la remise du rapport accrut encore le stress), pression des médias sur les membres. René Rémond et Alain Touraine, qui n’étaient pas au départ favorables à une loi mais qui en ont finalement voté le principe, ont déploré après coup ces pressions [29]. Ajoutées à l’effet d’urgence et au pathos, la commensalité et la convivialité qui régnaient dans la commission ont permis d’aboutir au consensus sur le texte à la date voulue, à une abstention près [30].
26Dans le même temps, la montée en puissance de la position nationale-ultrarépublicaine dans l’opinion [31] était soutenue par l’activité de divers réseaux et l’émergence d’autres. Des membres influents du Grand-Orient se mobilisèrent sur le respect de la tradition laïque française. La Grande Loge féminine de France, quant à elle, prit collectivement position. Des groupes et personnalités féministes rejoignirent les « Ni putes ni soumises » sur le thème de la maltraitance féminine dans l’intégrisme islamique, sinon dans l’islam [32]. Des Algériens (ou Algériens d’origine) s’activèrent également dans la promotion du prohibitionnisme : réseaux berbéristes, anciens du PAGS (ex-PC d’Algérie) réfugiés en France, réunissant des élites universitaires et artistiques, mettant en avant la souffrance des femmes en Algérie et leur expérience vécue du danger islamiste. À l’automne, ces réseaux, connectés à des universitaires français anciens coopérants en Algérie, parviennent à tirer la sonnette d’alarme à l’Université et à faire démarrer en certains sites une action prohibitionniste.
27La couverture médiatique de l’épisode a assuré un retentissement maximum à ces mobilisations. La plupart des grands magazines papier d’opinion se sont engagés, sans surprise et selon des tonalités différentes [33], en faveur de la vision nationale-ultrarépublicaine du problème et sa solution prohibitionniste. Le journal Libération fut en pointe pour les quotidiens. La pression était telle dès le printemps que le Monde de l’éducation de mai 2003, qui montre dans son dossier les excès de la campagne en cours, titre tout de même « Communautarisme. Menace sur l’école », sans point d’interrogation. Les magazines papier ont généralement exclu les filles voilées de la parole, elles n’y figurent – comme à la commission Stasi – que comme objets de discours [34]. La TV, quant à elle, a plutôt figuré physiquement la mise en minorité de la tendance UOIF, avec des dispositifs de plateau défavorables aux musulmans et musulmanes qui se réclamaient de la version de la laïcité fondée sur l’état du droit.
28L’opinion publique fut conquise peu à peu. Les sondages enregistrent la progression de l’hostilité populaire, entre autres parmi les enseignants, entre septembre et janvier. De même dans la classe politique, les indécis finissent par se rallier ou par se taire. En octobre, l’UMP s’agrège derrière ses leaders prohibitionnistes, les sarkozystes mettent une sourdine à leurs réserves (M. Fillon a prôné une loi le 16 septembre). Le conseil national de l’UMP se prononcera le 28 novembre. Surtout le PS renonce à sa position antérieure d’acceptation du droit en l’état. Jack Lang, le premier, a initié ce revirement au printemps, en annonçant son intention de déposer une proposition de loi visant à interdire le voile à l’école ; Laurent Fabius lui emboîte le pas au congrès de Dijon le 17 mai. Le 12 novembre, le bureau politique du parti adopte à l’unanimité (la presse fait état de pressions à cette fin) une position prohibitionniste – le jour même où la mission Debré, à laquelle appartiennent Élizabeth Guigou et Jean Glavany, rend ses conclusions officialisant la demande d’une loi, à l’unanimité de ses membres.
29La messe est dite. Se succèdent la remise du rapport Stasi, le discours de Jacques Chirac annonçant une loi [35], la délibération parlementaire avec un vote rapide et massif proscrivant la manifestation « ostensible » d’appartenance religieuse dans les établissements scolaires publics ; enfin la circulaire qui, après un forcing acharné du SNPDEN [36] et le changement du ministre (François Fillon hérite du portefeuille), prohibe purement et simplement tout signe « dont le port conduit à se faire immédiatement reconnaître par son appartenance religieuse ». La victoire de la coalition nationale-ultrarépublicaine est totale. Le Conseil d’État a approuvé la loi, et la circulaire sera confirmée au contentieux.
1.4. Les entrepreneurs scolaires de l’interdiction : en marge du noyau central
30Le SNPDEN, principale organisation de chefs d’établissement de l’Éducation nationale, affilié à l’UNSA [37], portait la demande d’une loi depuis le renouvellement de ses instances dirigeantes, en décembre 2002. Alors que le Conseil d’État insistait sur les droits des élèves [38], le SNPDEN faisait valoir le contraire. Considérant que l’école n’est pas un service public comme un autre, il estime que les élèves ne sont pas des « usagers ». Par conséquent, ils n’ont pas à se réclamer de droits spéciaux.
31Avec cette position prohibitionniste, le SNPDEN s’est retrouvé relativement isolé du reste des organisations scolaires. Les autres syndicats majoritaires de l’Éducation nationale ne l’ont pas suivi (voir ci-après), et sa fédération même, hésitante durant tout l’épisode, n’a rejoint son côté que lors de la discussion de la circulaire d’application de la loi [39]. Ce point est passé inaperçu dans le feu du débat, bien que l’école fût au cœur des discours de ceux qui réclamaient une loi pour la défendre. Mais le SNPDEN n’a pas fait partie non plus du noyau initial de l’entreprise. À l’Assemblée nationale, il ne fut pas partie prenante à la Table ronde sur la laïcité à l’école, initiative qui réunit publiquement les familles de la coalition et lança l’action parlementaire sous l’égide de Jean-Louis Debré, le 22 mai 2003.
32Il a su en revanche faire valoir ses arguments dans les deux dispositifs mis en place, la mission Debré et la commission Stasi. Nombre d’entre eux ont été repris en effet dans le rapport de la mission Debré : insatisfaction des chefs d’établissement à l’égard du droit en vigueur, refus de ce qu’ils conçoivent comme un « droit local » de la laïcité – auquel contraignait la position du Conseil d’État –, attente d’une intervention du législateur afin qu’il précise le contenu de la laïcité scolaire. Le syndicat plaide pour l’interdiction de tous les « signes de reconnaissance identitaires et visibles » [40], et refuse l’adjectif « ostentatoire » qui lui paraît ouvrir la brèche au « droit local » (c’est-à-dire au droit interprété en fonction des circonstances locales et de la personnalité du chef d’établissement) et à l’amollissement de la laïcité. Durant l’épisode, ses dirigeants se sont trouvés en phase avec le message d’émancipation individuelle des filles porté par l’organisation « Ni putes ni soumises » et avec les déclarations d’Hanifa Cherifi sur les menaces intégristes dans les quartiers. Pour autant, ils ont peu pris part au débat idéologique général. Au final, la circulaire d’application de la loi du 15 mars fut rédigée sur leurs indications directes [41]. En mai 2004, le SNPDEN a déploré l’abandon du « volet social » des mesures préconisées par la commission Stasi [42].
II. Les tenants du droit en l’état : nombreux, mais dispersés et sans accroche directe au politique
33La campagne prohibitionniste a privé d’audience les défenseurs d’une conception libérale de la laïcité, appuyée sur le droit en l’état, dont – ce n’est pas le moindre des paradoxes de l’affaire – les grandes associations de défense des droits de l’homme et de la laïcité et les principales organisations du monde scolaire. Elle a également pris à revers les défenseurs de la modernisation des formes scolaires, dont une majorité des hauts cadres de l’Éducation nationale.
II.1. Les anti-prohibitionnistes : une diversité sans principe d’agrégation
34Dans l’épisode de politisation du voile, certains ont tenté d’alerter les esprits en défendant le droit en l’état, lequel, disaient-ils, ménage aux religions un bon équilibre entre les droits et les devoirs, et donne à l’État les moyens d’agir en tant que de besoin. En tout état de cause, une interdiction du foulard à l’école ne ferait que stigmatiser davantage une minorité qui l’est déjà beaucoup, et laisserait entiers les véritables problèmes, qui sont les problèmes d’intégration et les problèmes sociaux.
Deux ensembles d’acteurs et d’organisations se sont mobilisés sur cette ligne anti-prohibitionniste : d’une part, les Églises et le grand rabbinat ; d’autre part, une mouvance composite qualifiée par ses adversaires d’« islamo-gauchiste » car on y trouvait associés des musulmans taxés d’islamisme (souvent des amis de Tariq Ramadan), des associations et groupes d’extrême-gauche, des féministes et… de grandes associations de défense des droits de l’homme et de la laïcité. Les signataires de l’appel du collectif unitaire « Une école pour tous-tes – Contre les lois d’exclusion » témoigne de l’hétérogénéité des membres de cette mouvance : Collectif des musulmans de France (proche de Tariq Ramadan), Divercité (association lyonnaise animée par Saïda Kada), Jeunes musulmans de France (réseau UOIF), Conseil des imams de France, Étudiants musulmans de France (réseau UOIF), Dounia Bouzar (personnalité indépendante alors nommée au Conseil français du culte musulman), MIB (Mouvement de l’immigration et des banlieues, autonome), Ligue des droits de l’homme, SUD, MRAP, l’association « Droits devant ! », les Verts, LCR, collectif « Les mots sont importants » (animé par Pierre Tévanian).
35Force est de constater que ces deux groupes d’acteurs et d’organisations ne sont pas parvenus à se faire entendre du politique ni de l’opinion. Ils ont clairement pâti d’un déficit médiatique (sauf des personnalités typées reçues pour focaliser les attaques, comme Tariq Ramadan ou Saïda Kada) et d’un déficit éditorial. Comment faire des livres à succès sur la laïcité apaisée et la nécessité de ne rien changer ? A fortiori dans un contexte international instable, quand monte la peur, nourrie de best-sellers tels que Les réseaux d’Allah [43], Bas les voiles [44], Les territoires perdus de la République [45], Que s’est-il passé ? [46], La laïcité à l’épreuve des intégrismes [47], etc.
36Plus fondamentalement, il ne pouvait y avoir de contre-coalition intégrée, en raison de la disparité (sinon de l’antagonisme) des espaces sociaux dans lesquels ces groupes évoluent. À ceci s’ajoute le décrochage des calendriers de la mobilisation. C’est avec un temps de retard considérable sur leurs adversaires qu’ils se sont rassemblés dans leurs espaces de proximité : ce n’est que le 8 décembre que les Églises produisent un communiqué commun ; le collectif unitaire « Une école pour tous-tes – Contre les lois d’exclusion » ne s’agrège lui aussi qu’en décembre.
37Pour sa part, en marge du débat public, la Ligue de l’enseignement, matrice historique du mouvement laïque autour de l’école [48], s’est attachée durant tout l’épisode à coordonner les positions des syndicats majoritaires de l’Éducation nationale et des associations proches. Elle l’a fait avec succès, mais sans plus d’impact politique que les mouvements généralistes.
38Dès juin 2003, Pierre Tournemire, son secrétaire général adjoint, qui avait été à l’initiative, avec Michel Morineau, de la création de la commission « Laïcité et islam » au sein de la Ligue en 1997, publie dans la revue Idées en mouvement un texte où il dit la défiance de la direction nationale de la Ligue à l’égard de la campagne d’incrimination qui se développe. « Qu’on le dise clairement, c’est le foulard et plus généralement l’Islam qui sont visés. Le risque d’une stigmatisation des musulmans de France, posée comme un préalable à la cohésion sociale, est grand [49]. » Or l’exigence laïque n’est pas dans le combat contre l’emprise des dogmes religieux. Elle impose à l’école de développer l’esprit critique, mais dans le respect absolu de la liberté de conscience. Les enseignants « n’ont pas à juger des convictions de leurs élèves car il n’y a pas de limite à la liberté de conscience » [50]. Une loi qui viserait à « redéfinir de “façon stricte la laïcité” », comme le demande le SNPDEN, est « inopportune » [51]. Pour des raisons de droit, mais aussi pour des raisons sociales et philosophiques, en relation avec la mission même de l’école. Début novembre 2003, la Ligue de l’enseignement diffuse sur son site un nouveau document de 37 pages, élaboré pour la commission Stasi, La laïcité, un bien commun, une démarche, une construction permanente, où elle reprend et développe ces positions.
39Dans l’épisode, la Ligue a progressivement imposé sa légitimité comme instance de référence sur les questions en débat auprès des principales organisations du monde scolaire. Ce n’est cependant qu’à la veille du discours du chef de l’État le 16 décembre 2003 qu’elle parvient à fédérer un communiqué commun associant organisations scolaires et organisations généralistes de défense des droits de l’homme pour dire non à une nouvelle loi [52] :
[…] Les signataires, refusant toute stigmatisation d’une partie de la population, restent attachés à l’équilibre défini par la loi de 1905 conciliant la liberté individuelle d’expression d’une conviction et le nécessaire respect par tous des libertés fondamentales et des personnes, principes qui doivent s’appliquer à tous et partout dans la République.
Il n’est pas opportun pour ces raisons de proposer une nouvelle loi telle qu’elle est actuellement mise en avant.
Dans ces conditions, nous proposons un rappel solennel et clarifié de la législation et de la réglementation actuelles […].
43La position est claire, mais le décalage des calendriers est encore une fois frappant. Quand le communiqué commun paraît, on connaît déjà la teneur du discours que Jacques Chirac doit prononcer le lendemain.
II.2. Modernisme et laïcité chez les cadres de l’Éducation nationale
44Au sein du monde scolaire, pourtant, les militants laïques ne furent pas les seuls à dire leur réticence ou leur hostilité à la réinterprétation de la laïcité scolaire dans un sens répressif. La grande majorité des cadres de l’Éducation nationale et une fraction non négligeable des chefs d’établissement, dont les plus concernés par les « affaires de foulards », ont tenu la même position. Sans militantisme, pour des raisons essentiellement pragmatiques ou réformistes.
La mission Debré a auditionné tous les plus hauts cadres de l’Éducation nationale ayant à connaître du port du foulard : le directeur de l’enseignement scolaire (DESCO), les cinq recteurs des académies les plus concernées ainsi qu’un ancien recteur, juriste de droit public et spécialiste de la laïcité scolaire, et les deux coprésidents du comité national de réflexion et de proposition sur la laïcité à l’école, respectivement doyen de l’inspection générale de l’Éducation nationale (IGEN) et chef de service de l’inspection générale de l’administration de l’Éducation nationale (IGAEN). Tous ces responsables prennent nettement leurs distances à l’égard de l’entreprise en cours et se montrent circonspects quant à l’opportunité d’une loi ou y sont expressément opposés – à l’exception des recteurs de Paris et de Lille [53].
45Cette convergence frappante peut s’expliquer par une culture de l’action publique que l’on pourrait qualifier de « moderniste ». Le combat pour une version de la laïcité scolaire qui restreigne les libertés des élèves va, selon eux, à l’encontre d’une vision qui a pour horizon l’autonomie des établissements, le management des ressources humaines, l’exercice de l’autorité à tous les échelons du système, la responsabilisation de l’encadrement [54]. L’entreprise de politisation du voile vient même entraver la mise en œuvre d’une telle vision politique, comme l’explique le directeur de l’enseignement scolaire lors de son audition : « La loi fonctionne comme un parapluie vis-à-vis des responsabilités à prendre. Cela est, à nos yeux, complètement incompatible avec le principe d’autonomie des établissements qui donne à la fois de la liberté mais aussi de la responsabilité. »
46S’il apparaît, au travers des auditions, qu’une telle culture n’est pas vraiment partagée par les ministres (ni au demeurant par leurs cabinets), une partie au moins des inspecteurs généraux [55], une majorité des recteurs et une bonne partie des chefs d’établissement s’en réclament – et même le SNPDEN d’ailleurs, en dehors du dossier de la laïcité et des droits des élèves. Elle semble protéger largement ces cadres de la peur de l’islam dans l’analyse qu’ils font des enjeux scolaires.
III. Peur de l’islam et crise de l’intégration
47Nous avons jusqu’ici concentré l’analyse sur le « comment » de l’épisode, sans rien dire du « pourquoi ». Une pluralité de causes a été plaidée à l’occasion du débat sur le port du foulard à l’école : la cause des femmes, celles de la République, de la nation (contre le communautarisme), de l’école, etc. Chacune a permis à ses tenants de décliner une dimension particulière du débat. Et l’on a vu les féministes se cliver en pro et contra, les défenseurs de la République de même, ainsi que ceux de la laïcité, de l’école. De fait, les causes avancées ne disent rien du « pourquoi » – et d’ailleurs la question échappe dans une bonne mesure à l’observation, donc au champ des sciences sociales.
48Il est néanmoins possible d’avancer le résumé suivant : l’épisode aura été un grand moment d’épanchement anti-musulman, conclu par un moment fort de réassurance collective autour de l’idéal de la grande nation républicaine, lors du discours de Jacques Chirac le 17 décembre 2003. Si une clé psychosociale de l’épisode affleure dans ce résumé, alors on peut suggérer une hypothèse que d’autres faits appuient. Il se pourrait que le succès de l’entreprise de prohibition des signes d’islam ait tenu à des processus de nature proto-politique : d’une part, l’islamophobie affichée sur la scène publique a pu embrayer sur une disposition à la peur préexistante et assez largement partagée dans la population majoritaire, laquelle a pris au dernier trimestre 2003 l’allure d’une « panique morale » ; d’autre part, cette peur a pu in fine se transmuer dans l’exaltation du charisme national pérenne. L’État national est pour nos contemporains le protecteur suprême, rappelle Norbert Elias ; il caractérise en termes d’« opiniâtreté » la résistance que « la représentation du nous et l’idéal du nous » opposent aux transformations des configurations politiques [56]. Il se pourrait qu’il ait été question aussi dans l’épisode de la défense opiniâtre de l’idéal du nous national.
III.1. De l’islamophobie publiquement affichée à la peur de l’islam
49L’islamophobie a marqué l’ensemble de l’épisode, non seulement dans son discours mais dans sa structure. Ce climat s’est manifesté de différentes manières.
Les musulmans organisés, et en particulier les représentants officiels du Conseil français du culte musulman (CFCM), ont été d’emblée écartés du processus de délibération sur le problème du voile. Au lendemain de la mise en place du CFCM au terme d’un processus de préparation de trois ans et demi avec le ministère de l’Intérieur, le geste d’exclusion est remarquable. Lors de l’émission télévisée Mots croisés qui a suivi l’incident du Bourget, le 26 avril 2003, Patrick Devedjian, ministre délégué à l’Industrie et proche de Nicolas Sarkozy, disait en aparté, incrédule : « On n’a quand même pas créé le Conseil français du culte musulman pour ne pas les interroger sur le premier cas important qui se pose [57] ! » Aucun de ces représentants ne fut membre de la commission Stasi, constituée d’un panel de personnalités concernées à des titres divers. Même dûment adoubés, ils se sont vu dénier l’autorité de la voix, constitutive de la relation démocratique, sur un problème qui les concernait pourtant au premier chef. Cette mise à l’écart des musulmans « reconnus » est caractéristique de l’entreprise de politisation du voile islamique en France en 2003 [58].
50Mais c’est surtout par les discours médiatisés que l’islamophobie s’est vue légitimée publiquement durant l’épisode. « Osons dire tout le mal que nous pensons de l’islam. » Claude Imbert, éditorialiste au Point et membre du Haut Conseil à l’intégration a pu ainsi se proclamer islamophobe sans que cela ne remette en question ses fonctions.
51Il est enfin intéressant de revenir à l’argumentaire développé par le rapport Stasi. Salué par le président de la République et par la classe politique, le rapport n’a rien d’une étude circonstanciée sur l’islam et ses modes d’expression dans la France d’aujourd’hui [59]. Il cultive bien davantage une rhétorique de la peur. L’exposé général des motifs, au début du rapport, est particulièrement alarmant, sinon alarmiste. La France serait en danger ; « des groupes extrémistes sont à l’œuvre dans notre pays pour tester la résistance de la République et pour pousser certains jeunes à rejeter la France et ses valeurs », est-il écrit, et ces groupes auraient l’oreille de la population immigrée. Les atteintes à la laïcité se multiplieraient. Sans apporter de preuves, le rapport expose les bonnes raisons qu’auraient de telles populations de « prête[r] une oreille bienveillante à ceux qui les incitent à combattre ce que nous appelons les valeurs de la République » :
Les difficultés de l’intégration de ceux qui sont arrivés sur le territoire national au cours de ces dernières décennies, les conditions de vie dans de nombreuses banlieues de nos villes, le chômage, le sentiment éprouvé par beaucoup de ceux qui habitent sur notre territoire d’être l’objet de discriminations, voire d’être rejetés hors de la communauté nationale […].
53Les immigrés ont-ils de bonnes raisons de prêter cette oreille bienveillante, ou la prêtent-ils dans les faits ? Si aucune réponse n’est apportée à la question, l’évidence de la volonté de certains opérateurs islamistes ne semble faire aucun doute : « Il faut être lucides : oui, des groupes extrémistes sont à l’œuvre […]. » Le texte apporte moins de preuves objectives qu’il ne joue sur le sous-entendu, le présupposé, l’allusion, la généralisation hyperbolique, donnant libre cours à l’interprétation de sens commun la plus fantasmatique. Sur l’école, le tableau relève du même registre, mobilisé précédemment par un libelle réputé avoir beaucoup impressionné le président de la République [60]. Interruptions de cours pour prière, absences, contestation de « pans entiers du programme d’histoire ou de sciences de la vie et de la terre », faux certificats médicaux, examens perturbés par des élèves qui refusent « d’être entendues par un examinateur masculin », etc. : il y aurait une dérive généralisée dans les établissements scolaires imputable à l’emprise croissante que l’islam exercerait sur les populations. Les ressorts rhétoriques à l’œuvre sont les mêmes.
Ces passages s’inscrivent dans la ligne des auditions de la commission Stasi. La production d’une « panique morale » cristallisée par l’islam – l’on peut en faire l’hypothèse – fut un ressort majeur de son fonctionnement. Elle en fut même une caisse de résonance, cette peur de l’islam étant diffusée dans la société à travers le relais des magazines et d’une série de publications. L’effet de dramatisation collective fut consensuel, finissant par emporter l’adhésion des grandes organisations qui avaient mené le combat contre l’idée d’une loi.
III.2. La nation en souffrance : la crise de la politique d’intégration
54Il est question dans cet épisode d’identité nationale. La ferveur nationale qui le traverse et finit par légitimer la solution législative retenue n’a pas été étrangère, selon nous, au fait que le port de signes musulmans, notamment à l’école, reste perçu majoritairement comme une remise en cause de l’identité nationale. Mais ceci n’est qu’un aspect d’un problème plus vaste. La question de la présence et de l’intégration au « nous » de populations allochtones nombreuses, se référant à l’islam, a acquis ces années-là un niveau élevé d’acuité. L’épisode apparaît ainsi comme un point d’orgue dans la crise récurrente de la politique d’intégration.
55Cette politique émerge au début des années 1980 avec la mutation démographique de la population immigrée : celle-ci est en voie de normalisation, elle comprend désormais une moitié de femmes et de jeunes, il est certain qu’elle devient et sera de plus en plus une partie de la population française. Au cours des années 1980-1990, les majorités parlementaires se renversant à chaque élection législative, la politique d’intégration évolue en dents de scie sans se stabiliser. La gauche est tout d’abord favorable à l’extension des droits, avant d’en revenir à partir de 1984 à un statu-quo juridico-politique ; la droite cultive le sentiment national et les conditionnalités culturelles sans pour autant que ses tentatives pour durcir le droit n’aboutissent. Cette analyse de la politique d’intégration à l’aune du critère partisan semble se vérifier lors des crises du foulard de 1989 à 1996 : la gauche entérine grosso modo l’avis du Conseil d’État de 1989 ; la droite tente de revenir à la tradition avec la circulaire Bayrou du 20 septembre 1994, qui pose que certains signes sont « ostentatoires en soi » et doivent être proscrits, à savoir le voile islamique mais pas les croix ni les kippas.
56À l’automne 1998, la reconnaissance des discriminations raciales par le gouvernement de Lionel Jospin met toutefois fin à ce scénario. Une directive européenne en préparation [61] obligeait à s’en préoccuper, et l’absence d’échéance électorale proche a facilité le saut décisionnel. Cette reconnaissance rend intenables aussi bien le statu quo juridique auquel se tenait le PS depuis quinze ans (il va falloir légiférer à nouveau), que l’obligation de ressemblance qui était le cap de la politique d’intégration de la droite (le problème que soulève la lutte contre la discrimination n’est pas la différence, mais l’inégalité de traitement).
57Durant les années 1998-2003 la politique d’intégration se trouve prise entre deux axes : la lutte contre les discriminations dans la vie sociale, et l’intégration de l’islam dans le régime des droits et libertés garantis aux autres religions [62]. Ni le 11 Septembre, ni l’alternance parlementaire de 2002 ne stoppent le processus. Amorcée par la gauche, la mise en place de dispositions juridiques anti-discriminatoires est poursuivie bon an mal an par la droite, qui annonce, comme l’impose la directive européenne, l’installation d’une autorité administrative indépendante. Amorcée par la gauche encore, la normalisation de la situation de l’islam est également poursuivie par la droite, qui mène à bonne fin le processus de consultation des personnalités de l’islam initié à l’été 1999 et installe le CFCM.
58Mais en assumant ces choix, fort d’une situation parlementaire confortable, le gouvernement UMP travaille à fronts renversés, suscitant la contestation au sein du parti majoritaire. Il en résulte une politique jouant sur des normes contradictoires, la contradiction étant transcendée au moyen d’une rhétorique politique exaltant le charisme national. Perceptible dès le discours de Jacques Chirac à Troyes le 14 octobre 2002, elle s’affirme dans le rapport Baroin, le rapport Stasi et le discours de Jacques Chirac du 17 décembre. Il s’agit d’attester à la fois l’identité française permanente et sa recomposition, son ouverture à la diversité ; incriminer l’islam « intégriste » et reconnaître comme interlocuteurs des musulmans taxés « d’intégrisme » ; annoncer la lutte contre les discriminations, mais reconnaître plutôt le « sentiment d’être discriminé » que la production objective de discriminations par la société majoritaire, et blâmer l’islam pour discrimination. Bernard Stasi pourrait se voir édifier une statue de Janus. À peine fut-il nommé président de la commission « sur l’application du principe de laïcité dans la République », qu’il fut investi en juin 2003 par le Premier ministre d’une mission de préfiguration d’une instance autonome de lutte contre les discriminations. Le rapport sur la laïcité a été une pièce maîtresse de la campagne de dénigrement de l’islam et d’exaltation d’une laïcité nationaliste ; il a ouvert la voie à la loi du 15 mars 2004. Le second, bouclé à la hâte au printemps 2004, ouvrira – et sans passions cette fois-ci – la voie à la création de la HALDE [63], établie par la loi… le 30 décembre 2004 [64].
Mots-clés éditeurs : Islam européen, Mobilisation politique, Idéologie républicaine, France., Laïcité
Date de mise en ligne : 16/06/2008
https://doi.org/10.3917/drs.068.0053Notes
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[1]
Institut de Recherches et d’études sur le Monde Arabe et Musulman (IREMAM), MMSH, BP 647, F-13094 Aix-en-Provence cedex 02.
-
[2]
Loi n° 2004-228 du 15 mars 2004 « encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics », et sa circulaire d’application du 18 mai 2004, parue au Bulletin officiel du ministère de l’Éducation nationale (BOEN) du 22 mai.
-
[3]
Selon Paul Sabatier, cité et traduit dans Henri Bergeron, Yves Surel et Jérôme Valluy, « L’Advocacy Coalition Framework. Une contribution au renouvellement des études de politiques publiques ? », Politix, 41, 1998, p. 206.
-
[4]
Sur cette approche, voir notamment Jean-Gustave Padioleau, « La lutte politique quotidienne : caractéristiques et régulations de l’agenda politique », in Id., L’État au concret, Paris, PUF, 1982 ; et le classique John W. Kingdon, Agendas, Alternatives, and Public Policies, 2e éd., New York, Longman, 1995.
-
[5]
Une disposition instituée en novembre 1999 par Jean-Pierre Chevènement.
-
[6]
Chiffres fournis par le journal PLPL (Pour lire pas lu), 19, avril 2004, et cités dans Jean-Pierre Tévanian, Le voile médiatique : un faux débat, Paris, Raisons d’agir, 2005, p. 15.
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[7]
Cf. note 1.
-
[8]
Cf. Erich Goode et Nachman Ben-Yehuda, « Moral Panics : Culture, Politics, and Social Construction », Annual Review of Sociology, 20, 1994, p. 149-171.
-
[9]
En raison de la nature analytique de l’exposé, nous n’avons pas cherché à équilibrer les parties.
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[10]
Circulaire du 20 septembre 1994 : « Port de signes ostentatoires dans les établissements scolaires ».
-
[11]
Sur ces détails, voir Gilles Manceron, « Opinion publique et forces politiques », in Françoise Lorcerie (dir.), La politisation du voile : l’affaire en France, en Europe et dans le monde arabe, Paris, L’Harmattan, 2005.
-
[12]
Une organisation issue des rangs du Parti socialiste.
-
[13]
Gilles Manceron, « Opinion publique et forces politiques », op. cit., p. 67.
-
[14]
Rapport de François Baroin, introduction.
-
[15]
Ibid.
-
[16]
L’une des propositions porte sur la création d’une faculté de théologie musulmane.
-
[17]
Sa première intervention publique contre la position libérale du Conseil d’État remonte à l’affaire Mlle Saglamer, jugée en appel par le CE le 10 juillet 1995. Rapportant ses conclusions en tant que commissaire du gouvernement, R. Schwartz avait alors proposé d’attribuer un caractère ostentatoire et prosélyte au foulard, dès lors qu’il était porté collectivement. Il n’avait pas été suivi par le CE. Rémi Schwartz est par ailleurs un leader du Mouvement juif libéral de France.
-
[18]
Jean-Paul Costa est l’auteur, avec Guy Bédouelle (spécialiste de l’histoire du catholicisme), de l’ouvrage Les laïcités à la française, Paris, PUF, 1998.
-
[19]
Cf. « Le Conseil d’État, le droit public français et le “foulard” », interview de Monsieur Jean-Paul Costa (conseiller d’État), Cahiers d’études sur la Méditerranée orientale et le monde turco-iranien, 19, janvier-juin 1995, p. 82-84. Voir aussi dans son livre suscité le chapitre 13, intitulé « L’islam ».
-
[20]
Fonds d’action sociale pour les travailleurs immigrés et leurs familles.
-
[21]
Libération, 12 novembre 1999. Les auteurs s’identifient respectivement comme directrice d’association et directeur d’école, et tous deux membres du comité de rédaction d’Hommes et Migrations.
-
[22]
Le renversement du thème de la discrimination est caractéristique de l’épisode : c’est l’islam qui discrimine et les femmes portant foulard s’auto-discriminent. On retrouvera ces thèmes dans le rapport de la commission Stasi, lequel fait place aussi au « sentiment de discrimination » des jeunes issus de l’immigration, dans une stratégie discursive d’équilibrage des normes contraires que l’on retrouve aussi dans le discours présidentiel (voir infra, § III.2).
-
[23]
Cf. la célèbre étude de Serge Moscovici, Psychologie des minorités actives, Paris, PUF, 1979.
-
[24]
Rapport, IV, A, 2.
-
[25]
Le premier auditionné fut Rémy Schwartz le 11 juin 2003, suivi de Hanifa Cherifi, la médiatrice de l’Éducation nationale pour les affaires de foulards.
-
[26]
Voir le documentaire de Dorothée Thénot, Derrière le voile : dans les coulisses de la commission Stasi, Chaîne parlementaire Public Sénat, 2004, cassette vidéo 52 minutes. Nous remercions la chaîne Public Sénat de nous avoir aimablement transmis ce document.
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[27]
Voir un exposé détaillé de ces biais dans Alain Gresh, L’islam, la République et le monde, Paris, Fayard, 2004, chapitre 8.
-
[28]
Les Renseignements généraux annonçaient, pour le premier trimestre de l’année scolaire 2003-2004, 1 256 élèves portant le foulard, sur lesquelles on comptait 20 cas ayant posé problème, et 4 exclusions (chiffres donnés par Nicolas Sarkozy sur France 2 le 20 novembre).
-
[29]
René Rémond signera le 2 février 2004 dans Le Monde une libre opinion intitulée « De l’inutilité d’une loi déplacée ».
-
[30]
Voir dans ce numéro l’entretien avec Jean Baubérot.
-
[31]
Cette dénomination malcommode renvoie au fait que la coalition prohibitionniste a combiné dans un attelage inédit une ligne nationaliste et une ligne ultrarépublicaine pour l’interprétation de la laïcité.
-
[32]
« Pourquoi le foulard n’est-il pas criminalisé comme le viol ? », s’indigne une universitaire, membre d’un groupe féministe (Le Monde, 8 juillet 2003).
-
[33]
Cf. le chapitre consacré aux médias par Vincent Geisser dans son ouvrage La nouvelle islamophobie, Paris, La Découverte, 2003. Le livre analyse la campagne éditoriale et médiatique qui s’en est pris, en 2002, aux jeunes musulmans des banlieues pour antisémitisme.
-
[34]
L’Express justifie ce parti pris non sans humour : « Dans ce débat […], on n’entend que la voix des musulmans les plus radicaux, pourtant moins nombreux que les modérés. C’est à ces derniers que l’Express donne la parole », L’Express, 18 au 24 septembre 2003, dossier « La laïcité face à l’islam ».
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[35]
La presse rapporte qu’Alain Seksig s’adresse ce soir-là à Jacques Chirac en ces termes : « Aujourd’hui, c’est la seconde fois que l’on vote pour vous » (Le Monde, 19.12.03, article signé Philippe Bernard, Béatrice Gurrey et Martine Laronche).
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[36]
Syndicat national des personnels de direction de l’Éducation nationale.
-
[37]
Union nationale des syndicats autonomes (organisation syndicale interprofessionnelle).
-
[38]
Cf. David Kessler, « Neutralité de l’enseignement public et liberté d’opinion des élèves » (À propos du port de signes distinctifs d’appartenance religieuse dans les établissements scolaires). Conclusions sur Conseil d’État, 2 novembre 1992, M. Kherouaa et Mme Kachour, M. Balo et Mme Kizic, Revue française de droit administratif, 9 (1), janvier-février 1993, p. 112-119.
-
[39]
L’UNSA a voté en faveur du projet de circulaire lors de son examen par le Conseil supérieur de l’éducation le 17 mai 2004, alors qu’elle s’était abstenue précédemment lors de l’examen du projet de loi.
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[40]
Rapport Debré, tome II, Auditions, audition conjointe de responsables du SNPDEN, 25 juin 2003.
-
[41]
Cf. le rapport d’activité de Philippe Guittet devant le congrès du SNPDEN, Direction (revue du SNPDEN), 119, juin 2004, p. 29.
-
[42]
Rapport d’activité de Philippe Guittet, loc. cit.
-
[43]
Antoine Sfeir, Les réseaux d’Allah : les filières islamistes en France et en Europe, 2e éd., Paris, Plon, 2001.
-
[44]
Chahdortt Djavann, Bas les voiles, Paris Gallimard, 2003.
-
[45]
Emmanuel Brenner (dir.), Les territoires perdus de la République : antisémitisme, racisme et sexisme en milieu scolaire, Paris, Mille et une nuits, 2002.
-
[46]
Bernard Lewis, Que s’est-il passé ? L’Islam, l’Occident et la modernité, Paris, Gallimard, 2002.
-
[47]
Caroline Fourest et Fiammetta Venner, Tirs croisés : la laïcité à l’épreuve des intégrismes juif, chrétien et musulman, Paris, Calman-Lévy, 2003.
-
[48]
Rappelons qu’elle a été fondée en 1866 par Jean Macé.
-
[49]
Pierre Tournemire, « Une loi qui serait inopportune », Idées en mouvement, 110, juin 2003.
-
[50]
Ibid.
-
[51]
Ibid.
-
[52]
Les signataires sont l’association Éducation & Devenir (regroupant des chefs d’établissement favorables à la démocratisation scolaire), la FCPE, la FERC-CGT, la FSU, le SGEN-CFDT, l’UNL, ainsi que la Ligue de l’enseignement, la Ligue des droits de l’homme et le MRAP. Seule parmi les grandes fédérations syndicales enseignantes, l’UNSA ne s’est pas associée.
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[53]
On peut regretter qu’aucun inspecteur d’académie n’ait été auditionné.
-
[54]
Voir la revue Administration et Éducation, revue de l’Association française des administrateurs de l’éducation. La livraison 2001 (3), par exemple, consacrée à « L’exercice de l’autorité au sein du système éducatif, nouveaux contextes et perspectives », comprend une grande conférence par Jean-Paul de Gaudemar, DESCO.
-
[55]
Une partie seulement : en juin 2004, une mission de l’Inspection générale dirigée par Jean-Pierre Obin rendra un rapport de 37 pages sur Les signes et manifestations d’appartenance religieuse dans les établissements scolaires, qui décrit en des termes alarmistes la situation dans les établissements scolaires. Retenu par l’Inspection générale, ce rapport sera placé sur le site du ministère sur pression de la LICRA en mars 2005, puis finalement publié sur papier : Alain Seksig, Michèle Narvaez, Barbara Lefebvre et al., L’école face à l’obscurantisme religieux. 20 personnalités commentent un rapport choc de l’Éducation nationale, Paris, Max Milo, 2006.
-
[56]
Norbert Elias, La société des individus, Paris, Fayard, 1991 (chapitre « Les transformations de l’équilibre “nous-je” », p. 286).
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[57]
Rapporté par Philippe Guittet (SNPDEN) qui participait à l’émission (entretien avec l’auteure).
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[58]
Selon Patrick Haenni, cela a contribué à discréditer ces notables dans les quartiers et à accroître l’audience du salafisme. Voir La France face à ses musulmans : émeutes, jihadisme et dépolitisation, Rapport pour l’International Crisis Group, mars 2006.
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[59]
Ce qu’a cherché à faire le Haut Conseil à l’intégration sous la présidence de Roger Fauroux. Cf. Haut Conseil à l’intégration, L’Islam dans la République, Paris, La Documentation française, 2000.
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[60]
Emmanuel Brenner (dir.), Les territoires perdus de la République : antisémitisme, racisme et sexisme en milieu scolaire, op. cit.
-
[61]
Ce sera la directive 2000/43 « relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d’origine ethnique ».
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[62]
L’évolution reprendra en 2004 après l’épisode, mais dans un contexte politique radicalisé. Voir Françoise Lorcerie, « Le primordialisme français, ses voies, ses fièvres », in Marie-Claude Smouts (dir.), La situation postcoloniale : les “postcolonial studies” dans le débat français, Paris, Presses de Sciences Po, 2007, p. 298-243.
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[63]
Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité.
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[64]
Cette étude s’appuie notamment sur deux chapitres du livre La Politisation du voile, op. cit. : « À l’assaut de l’agenda public. La politisation du voile islamique en 2003-2004 » et « Les professionnels de l’école et l’affaire du voile. Des enseignants très partagés sur l’incrimination du voile ». Merci à Claire de Galembert pour sa précieuse relecture.