Couverture de DRS_066

Article de revue

Les julgados de paz : une nouvelle justice de proximité au Portugal

Pages 331 à 357

Notes

  • [*]
    Instituto Superior de Ciências do Trabalho e de Empresa, Avenida das Forças Armadas, P-1600 Lisbonne.
  • [1]
    Le mot « julgado » signifie à la fois « jugé » (participe passé du verbe « julgar », juger) et « division territoriale sous la juridiction d’un juge » (Academia das Ciências de Lisboa, Dicionário da Língua Portuguesa Contemporânea, Lisbonne, Verbo, 2001).
  • [2]
    Pierre Guibentif (coord.), Miguel Cabrita, Vanda Gorjão et Alexandra Leandro, Julgados de paz em Acção. Estudo sociológico da fase dos projectos experimentais, rapport remis à la Direction générale de l’Administration extra-judiciaire (DGAE), Lisbonne, ISCTE, Département de sociologie, octobre 2002, 218 p. + annexes. Je remercie Filipe Lobo d’Ávila, actuel directeur général de l’Administration extra-judiciaire d’avoir autorisé l’usage des données contenues dans ce rapport.
  • [3]
    Pour un inventaire des formes de juridiction populaire au Portugal jusqu’au XIXe siècle et une appréciation critique de l’état des sources, voir António Manuel Hespanha, « As magistraturas populares na organização judiciária do Antigo Regime português », in Sindicato dos Magistrados do Ministério Público (org.), A participação popular na administração da justiça, Lisbonne, Livros Horizonte, 1982, p. 109-133. Pour un historique sommaire, voir Jaime Octávio Cardona Ferreira, Justiça de Paz, Coimbra, Almedina, 2005, p. 70 et suiv.
  • [4]
    Sur la genèse de cette disposition, voir Luís Catarino, « A participação popular na administração da justiça na Constituição de 1976 », in Sindicato dos Magistrados do Ministério Público (org.), A participação popular na administração da justiça, op. cit., p. 19-29.
  • [5]
    Décret-loi n° 539/79 du 31 décembre 1979 (date de la publication au journal officiel portugais). Celui-ci peut actuellement être consulté en ligne gratuitement, en langue portugaise, selon une modalité qui, sur indication de la référence, donne accès aux textes légaux publiés. Cette modalité ne fournit cependant pas de moteur de recherche par mots-clé : hhttp:// dre. pt/ gratis/ 1s/ dr1gratis. asp(consulté en décembre 2006).
  • [6]
    Loi n° 82/77 du 6 décembre 1977, article 12.
  • [7]
    Unités administratives d’échelon inférieur à la commune, couvrant soit des quartiers de grandes villes, soit des localités d’importance secondaire. Elles sont dotées d’organes de gouvernement élus, et constituent un niveau important d’exercice du pouvoir local au Portugal.
  • [8]
    Débat de ratification : Diario da Assembleia da República (ci-après DAR) (1re série), n° 55, 23 mai 1980, p. 2418-2428. Résolution de l’Assemblée de la République n° 177/80, Diário da República, 126, 31 mai 1980 (les travaux du Parlement portugais peuvent être consultés en ligne, en langue portugaise : HYPERLINK ""http:// debates. parlamento. pt/ r3/ dar/ "http://debates.parlamento.pt/r3/dar/ ; consulté en avril 2006).
  • [9]
    DAR (2e série) Revisão Constitucional, n° 50, 8 novembre 1996, p. 1542 et suiv. ; vote : DAR (1re série), n° 104, 31 juillet 1997, p. 4003.
  • [10]
    Projets de loi 82/VII et 83/VIII. Le projet de loi 83/VIII est reproduit dans Joel Timóteo Ramos Pereira, Julgados de paz. Organização, Trâmites e Formulários, Lisbonne, Quid Juris, 2002, p. 337 et suiv.
  • [11]
    DAR (1re série), n° 77, 12 juin 2000, p. 3025 et suiv.
  • [12]
    DAR (1re série), n° 89, 1er juin 2001, p. 3508 et suiv.
  • [13]
    À propos du thème de la crise de la justice au Portugal, voir en particulier António Barreto (org.), Justiça em Crise? Crises da Justiça, Lisbonne, Publicações Dom Quixote, 2000. Pour une interprétation des circonstances dans lesquelles ce thème surgit, voir Boaventura de Sousa Santos, Maria Manuel Leitão Marques et João Pedroso, « Les tribunaux dans les sociétés contemporaines : le cas portugais », Droit et Société, 42-43, 1999, p. 311-331 ; ainsi que l’ouvrage dont dérive cet article : Boaventura de Sousa Santos, Maria Manuel Leitão Marques, João Pedroso et Pedro Lopes Ferreira, Os tribunais nas sociedades contemporâneas : O caso português, Porto, Afrontamento, 1996.
  • [14]
    DAR (1re série), n° 77, 12 juin 2000, p. 3025, p. 3031. À propos de l’attention des milieux judiciaires à l’égard de la justice de proximité, voir les conclusions du Congrès des juges portugais et du Congrès de l’Ordre des avocats du Portugal de 1997, préconisant chacun la création des julgados de paz (Joel Timóteo Ramos Pereira, Julgados de paz. Organização, Trâmites e Formulários, op. cit., p. 357 et suiv.). Des expériences étrangères en matière de justice de paix font également l’objet d’un important chapitre dans João Pedroso, Catarina Trincão et Joao Paulo Dias, Processos de informalização e de desjudicialização. Caminhos da reforma da administração da Justiça, Coimbra, Observatório Permanente da Justiça em Portugal/Centro de Estudos Sociais/Faculdade de Economia da Universidade de Coimbra, novembre 2001.
  • [15]
    Sur les actions de ce type et les problèmes qu’elles posent au système judiciaire portugais, voir Boaventura de Sousa Santos, Maria Manuel Leitão Marques et João Pedroso, « Les tribunaux dans les sociétés contemporaines : le cas portugais », op. cit., p. 325 et suiv.
  • [16]
    Comme exemples de protocoles d’installation, on pourra consulter ceux concernant les quatre premiers julgados de paz dans Joel Timóteo Ramos Pereira, Julgados de paz. Organização, Trâmites e Formulários, op. cit., p. 273 et suiv.
  • [17]
    Portaria (ordonnance) n° 1456/2001 du 28 décembre 2001, revue par la Portaria n° 209/2005 du 24 février 2005, qui ne modifie cependant pas le montant de base.
  • [18]
    Direction générale de l’Administration extra-judiciaire, Julgados de paz. Relatório, Lisbonne, DGAE, juillet 2002, 71 p. + annexes.
  • [19]
    Conselho de Acompanhamento dos julgados de paz, Relatório. Nos termos do art. 65, n° 3 da lei 78/2001, de 13.07 a apresentar à Assembleia da República, Lisbonne, juillet 2002 (les rapports annuels de ce Conseil sont disponibles sur son site web : hhttp:// www. conselhodosjulgadosdepaz. com. pt/ index. asp ;consulté en avril 2006).
  • [20]
    Voir le rapport de Pierre Guibentif (coord.), Miguel Cabrita, Vanda Gorjão et Alexandra Leandro, Julgados de Paz em Acção. Estudo sociológico da fase dos projectos experimentais, op. cit.
  • [21]
    Ibid., chapitre 1 et annexes 1-3.
  • [22]
    Ibid., chapitre 2.
  • [23]
    Ibid., chapitre 3 et annexes 4-8.
  • [24]
    Ibid., chapitre 4 et annexe 9.
  • [25]
    Sur la définition de ces critères, voir la recherche récemment commandée par le ministère de la Justice à une équipe interdisciplinaire droit-économie, dont une synthèse a été publiée dans Maria Eduarda Gonçalves, José Castro Caldas, Maria João Cortinhal, Pedro Costa et Ricardo Ferreira, « Justice and Efficiency : Managing the Value Conflict », in Proceedings of XVIth International Conference of RESER, Lisbonne, 28-30 septembre 2006, Services Governance and Public Policies, Lisbonne, RESER/ISCTE, 2006, p. 809-824.
  • [26]
    Voir les quatre volumes d’Actes des Rencontres Meios alternativos de resolução de litígios, publiés entre 2001 et 2005.
  • [27]
    hhttp:// www. dgae. mj. pt/ index. htm(consulté en décembre 2006), où l’on pourra trouver notamment les bulletins d’information édités par la DGAE. Voir aussi le volume Colectânea de Legislação sobre julgados de paz, coordonné par la DGAE (Coimbra, Coimbra Editora, 2006), qui inclut, outre un recueil de la législation, des articles de fond émanant de personnalités impliquées dans le développement de la mesure.
  • [28]
    hhttp:// www. conselhodosjulgadosdepaz. com. pt/ index. asp(consulté en décembre 2006).
  • [29]
    Jaime Octávio Cardona Ferreira est l’auteur de « Justiça em crise ? Crise da justiça », in Antonio Barreto (org.), Justiça em Crise? Crises da Justiça, op. cit., p. 209-220 ; Id., « Há soluções para os problemas de justiça », in António Pedro Barbas Homem et Jorge Bacelar Gouveia, O debate da justiça. Estudos sobre a crise da justiça em Portugal, Lisbonne, Vislis Editores, 2001, p. 39-53 ; Id., Julgados de paz. Organização, Competência e Funcionamento, Coimbra, Coimbra Editora, 2001 ; il a publié plus récemment Justiça de Paz, op. cit.
  • [30]
    Voir le site web de celle-ci : hhttp:// www. mediadoresdeconflitos. pt/ index. php(consulté en décembre 2006).
  • [31]
    Cf. le texte de ce protocole sur le site web du Conseil d’accompagnement, signalé plus haut note 28.
  • [32]
    Voir la « Base juridico-documentaire » en ligne du ministère de la Justice : hhttp:// www. dgsi. pt/ home. nsf? OpenDatabase(consultée en avril 2006), entrée « Jurisprudência dos julgados de paz ».
  • [33]
    Signalons notamment deux thèses de mastère : João Paulo da Cunha Rendeiro Chumbinho, A cultura judicial clássica e a cultura judicial dos julgados de paz à luz do princípio da democraticidade, Lisbonne, ISCTE, 2005 ; Lúcia de Fátima Barreira Dias Vargas, Julgados de paz e Mediação. Uma nova face da justiça, Aveiro, Universidade de Aveiro, 2006 (Coimbra, Almedina, 2006).
  • [34]
    Sur la distinction entre ces deux aspects dans la réflexion jurissociologique, voir Pierre Guibentif, Teorias sociológicas comparadas e aplicadas. Bourdieu, Foucault, Habermas e Luhmann face ao direito, leçon-synthèse présentée dans le cadre des examens d’agrégation, Lisbonne, ISCTE, janvier 2006.
  • [35]
    Sur ces transformations, plus généralement, voir João Paulo Dias et João Pedroso, « As profissões jurídicas entre a crise e a renovação. O impacto do processo de desjudicialização em Portugal », Revista do Ministério Público, juillet-septembre 2002, p. 11-54.
  • [36]
    Dans ce sens, notamment, João Paulo da Cunha Rendeiro Chumbinho, A cultura judicial clássica e a cultura judicial dos julgados de paz à luz do princípio da democraticidade, op. cit.
  • [37]
    Pierre Bourdieu, « La force du droit. Éléments pour une sociologie du champ juridique », Actes de la recherche en sciences sociales, 64, 1986, p. 3-19. Il est vrai que cet usage de Bourdieu donne une acuité supplémentaire à la question justement soulevée par Violaine Roussel de la délimitation du champ juridique : voir Violaine Roussel, « Le droit et ses formes. Éléments de discussion de la sociologie du droit de Pierre Bourdieu », Droit et Société, 56-57, 2004, p. 41-56 (p. 44).
  • [38]
    Voir, à ce propos, les interventions de Jaime Cardona Ferreira et João Paulo Chumbinho, in Direction générale de l’Administration extra-judiciaire (org.), Terceira Conferência. Meios Alternativos de Resolução de Litígios, Lisbonne, Agora, 2004.
  • [39]
    À ce sujet, dans une perspective portugaise, voir António Manuel Hespanha, « Portugal na ordem jurídica internacional : notas históricas », dans O Mundo e a Justiça. Janus. Anuário de Relações Exteriores 2004, Lisbonne, Público/Universidade Autónoma de Lisboa, 2003, p. 118, ainsi que l’abondant dossier introduit par cette contribution.
  • [40]
    Pour une publication liée à cette intervention, voir Juan Carlos Vezulla, Mediação. Teoria e Prática. Guia para utilizadores e profissionais, Lisbonne, DGAE, 2004.
  • [41]
    Voir, par exemple, Jaime Octávio Cardona Ferreira dans Colectânea de Legislação sobre julgados de paz, op. cit., p. 195 ; Lúcia de Fátima Barreira Dias Vargas, Julgados de paz e Mediação. Uma nova face da justiça, op. cit., p. 34, p. 59, p. 73 ; un accès au Livre vert est placé sur le site web de l’Association des médiateurs ((http:// www. mediadoresdeconflitos. pt/ index. php(consulté en décembre 2006), etc.
  • [42]
    Sur cet « immobilisme », dans le cas français, voir Jacques Commaille, Territoires de justice. Une sociologie politique de la carte judiciaire, Paris, PUF, 2000, p. 207 et suiv.
  • [43]
    Cf. Jacques Chevallier, L’État post-moderne, Paris, LGDJ, coll. « Droit et Société », 2004, p. 196 et suiv.
  • [44]
    Jean-Guy Belley, « Le pluralisme juridique comme doctrine de la science du droit », in Jean Kellerhals, Robert Roth et Dominique Manaï (dir.), Mélanges Jean-François Perrin, Genève/Bâle/Munich, Helbing & Lichtenhahn, 2002, p. 135-165, notamment p. 161.
  • [45]
    Cette réflexion s’inspire des travaux, organisés autour du texte de Jean-Guy Belley, du comité de recherche « Études socio-juridiques – Sociologie du droit » de l’Association internationale des sociologues de langue française, lors du congrès de cette Association à Tours en juin 2004 (pour une documentation concernant ces travaux, voir http:// w3. univ-tlse2. fr/ aislf/ cr3/ cr3?renc_2004. htm).
  • [46]
    Un signe qui annonce peut-être une telle évolution dans la justice classique au Portugal est le fait que l’on rencontre aujourd’hui aussi bien des juges que des avocats qui se plaignent du fait que les tribunaux ne disposent pas de salles équipées de tables rondes (selon des témoignages recueillis dans le cadre d’une recherche en cours sur une récente réforme de la procédure civile, introduisant une « audience préliminaire » destinée à la fois à une tentative de conciliation et à l’organisation de la procédure sur une base de coopération entre les différents intervenants).
  • [47]
    Voir notamment : Pierre Guibentif (avec la collaboration de Vanda Gorjão et Rita Cheta), Comunicação social e representações do crime, Lisbonne, CEJ, 2002 (dont quelques résultats sont présentés dans Pierre Guibentif, « Le chameau dans le laboratoire. La théorie des systèmes et l’étude de la communication juridique quotidienne », Droit et Société, 47, 2001, p. 123-153) ; Manuel Villaverde Cabral, Jorge Vala et André Freire, Desigualdades sociais e percepções de justiça, Lisbonne, Imprensa de Ciências Sociais, 2003 ; António Manuel Hespanha (coord.), Inquérito aos sentimentos de justiça em ambiente urbano, Coimbra, Almedina, 2005 ; Boaventura de Sousa Santos, Maria Manuel Leitão Marques, João Pedroso et Pedro Lopes Ferreira, Os tribunais nas sociedades contemporâneas : o caso português, op. cit., chapitre 10.
  • [48]
    Slogan d’une campagne d’affichage qui peut être vue actuellement (avril 2006) sur le site web de la DGAE.
  • [49]
    Sur ce concept, voir Maria Eduarda Gonçalves, José Castro Caldas, Maria João Cortinhal, Pedro Costa et Ricardo Ferreira, « Justice and Efficiency : Managing the Value Conflict », op. cit.
  • [50]
    Boaventura de Sousa Santos, Maria Manuel Leitão Marques et João Pedroso, « Les tribunaux dans les sociétés contemporaines : le cas portugais », op. cit., p. 321.
  • [51]
    Niklas Luhmann, Das Recht der Gesellschaft, Francfort, Suhrkamp, 1993, p. 585 et suiv.
  • [52]
    Zygmunt Bauman, Liquid Modernity, Cambridge, Polity Press, 2000 ; sur Bauman et le droit, voir Jirí Pribán (ed.), Liquid Society and its Law, Aldershot, Ashgate, 2007.
  • [53]
    Gregorio Peces-Barba Martínez, Théorie générale des droits fondamentaux, Paris, LGDJ, coll. « Droit et Société. Série Droit », 2004.

1Le système judiciaire du Portugal connaît actuellement un important changement, avec la création, en 2001, de juridictions d’un type nouveau, les julgados de paz, expression qui pourrait être traduite par « juridictions de paix »  [1]. Les principales caractéristiques de ces juridictions sont les suivantes : elles sont compétentes pour connaître, selon une procédure simple et peu formaliste, de litiges de droit civil dont la valeur litigieuse est peu élevée (inférieure à 3 740 euros) ; elles sont installées dans des locaux distincts des tribunaux ordinaires, en principe mis à disposition par les municipalités ; elles offrent aux usagers le choix de soumettre leurs différends soit à un juge de paix, soit à un médiateur.

2Nous évoquerons d’abord les circonstances de la création de cette nouvelle institution et rendrons compte de son évolution au cours de ses premières années d’existence (I). Cette description s’appuiera, en particulier, sur une recherche sociologique commandée par l’administration portugaise et portant sur les premiers mois de fonctionnement du dispositif  [2]. Les observations recueillies seront ensuite réexaminées sous l’angle de leur pertinence pour une réflexion sociologique plus ample sur le droit dans le contexte portugais actuel (II).

I. Genèse et développement des julgados de paz

3Les julgados de paz sont établis par la loi n° 78/2001 du 13 juillet 2001. Il convient de rappeler l’évolution qui conduit à l’adoption de cette loi (I.1). Seront ensuite exposées des données concernant la période de mise en place de l’institution, de janvier à juin 2002 (I.2), puis sommairement présentés les développements ultérieurs du dispositif (I.3).

I.1. Antécédents et production de la loi instituant les julgados de paz

4Le Portugal a connu des formes diverses de justice de paix au long des deux derniers siècles. Les données concernant la réalité de ces institutions jusqu’à la Première République (1911-1926) sont cependant rares  [3]. Par ailleurs, les observateurs portugais s’accordent pour reconnaître que, sous le régime salazariste (1933-1974), les juges de paix n’exerçaient que des fonctions subalternes, et ce, dans la logique autoritaire du régime, sous un étroit contrôle gouvernemental. On peut donc considérer que le processus qui mène aux actuels julgados de paz commence avec la Révolution du 25 avril 1974 et, plus précisément, avec l’élaboration de la Constitution démocratique qui régit aujourd’hui le Portugal, adoptée le 25 avril 1976.

5La Constitution de 1976 prévoit que la loi peut « créer des juges populaires et établir d’autres formes de participation populaire dans l’administration de la justice » (article 217)  [4]. La mise en œuvre de cette disposition sera entreprise quelques années plus tard par l’un des « gouvernements d’initiative présidentielle » qu’a connu le Portugal dans une première phase de normalisation constitutionnelle, c’est-à-dire un gouvernement constitué par un Premier ministre choisi par le président de la République (à ce moment-là le général Ramalho Eanes) et non par l’un des partis représentés au Parlement. Ce gouvernement, présidé par Maria de Lourdes Pintasilgo (indépendante ; orientation politique chrétienne-sociale), adopte un décret-loi publié en décembre 1979 instituant des julgados de paz  [5] . Cette désignation est reprise d’une nouvelle Loi organique des tribunaux judiciaires, votée deux ans plus tôt, qui prévoyait que, localement, les tribunaux de première instance pourraient être remplacés par des juridictions de ce type  [6]. Selon le décret-loi de 1979, les julgados de paz devaient fonctionner dans le cadre des freguesias  [7], et connaître des différends de droit privé en matière de voisinage que les parties seraient d’accord de leur soumettre ainsi que des infractions aux règlements administratifs édictés par les freguesias. Les futurs juges de paix – non nécessairement des juristes – devaient être élus et auraient exercé leurs fonctions à titre gratuit. Les parties devaient se présenter personnellement et ne pouvaient être assistées d’un avocat.

6Le préambule du décret-loi de 1979 insiste sur la nécessité d’une « intervention plus directe et décisive de la communauté dans la tâche d’application de la justice ». La « capacité d’intervention, dialogue et réconciliation » doit cependant être « stimulée pédagogiquement », d’où l’inscription de la nouvelle institution dans le cadre des freguesias, dont on entend renforcer ainsi, progressivement, les responsabilités en matière de résolution des problèmes quotidiens des citoyens. Le même préambule note aussi que ces préoccupations correspondent à une évolution plus générale qui aurait déjà eu des résultats encourageants à l’étranger, selon une tendance « commune aux pays d’économie dirigée et d’économie de marché ». Est cité en particulier l’exemple des deux Allemagnes, la RFA développant la Betriebsjustiz, la RDA ses tribunaux sociaux.

7En décembre 1979, au cours même de la période d’élaboration de ce décret-loi, des élections législatives donnent la majorité à une coalition appelée Alliance démocratique (AD), composée du PPD/PSD (parti populaire démocratique/parti social-démocrate ; centre-droite, tendance libérale), du CDS (centre démocratique social ; démocrates-chrétiens) et du PPM (parti populaire monarchique). Un nouveau gouvernement est investi, dont le Premier ministre est Francisco Sá Carneiro (PSD). L’AD a recours à une procédure constitutionnelle qui lui permet de soumettre à l’Assemblée, pour ratification, des textes gouvernementaux déjà promulgués. C’est ce qui est fait en particulier en mai 1980 pour le décret-loi instituant les julgados de paz. Le débat à l’Assemblée conduit alors à sa révocation  [8].

8Dans ce débat, les partis de droite, qui annoncent qu’ils vont voter contre la ratification, invoquent le fait que des juges élus ne sauraient être impartiaux, mettent en évidence divers problèmes techniques et insistent sur les inconvénients de confier la justice à des personnes insuffisamment formées. Ils soutiennent notamment que les gens du peuple ont déjà d’excellentes pratiques de résolutions informelles de leurs différends ; que l’on ne saurait « oublier leur spontanéité généreuse » ; et qu’il serait imprudent d’« institutionnaliser » ces pratiques en s’inspirant « d’abstractions idéologiques qui ne font pas partie ni n’entrent dans (le) monde (de ces gens) » (p. 2419). À l’opposé, les défenseurs les plus véhéments des julgados de paz sont les communistes, qui y voient une forme de « participation populaire dans l’administration de la justice » (expression qui revient fréquemment dans les discours des députés du PCP) propre à concrétiser les visées de la Constitution de 1976. Ils dénoncent dans l’attitude des partis de droite la volonté de ne laisser au peuple que le seul pouvoir d’élire ses représentants, et une survivance de la méfiance de l’État salazariste à l’encontre des juges de paix (p. 2424 et suiv.). Les socialistes annoncent qu’ils soutiendront le texte de 1979, tout en regrettant la « phobie des avocats » qu’il révèle (p. 2423).

9Après le vote de non-ratification de 1980, le destin de la justice de proximité se joue pour un temps au niveau de la Constitution. Celle-ci fait l’objet de deux importantes révisions en 1982 et 1989, considérées comme signalant le retour du Portugal à la normalité démocratique et son ancrage définitif dans l’Europe occidentale après la période de transition plus turbulente qui suit la Révolution. Ces révisions retirent du texte constitutionnel un ensemble de dispositions et notions trop teintées de socialisme d’État, parmi lesquelles, dans le cadre de la révision de 1989, celle de « justice populaire ». Disparaît ainsi la base constitutionnelle de la première tentative d’introduire les julgados de paz. Ce n’est qu’en 1997, à l’occasion de la quatrième révision, que l’article énonçant les types de tribunaux est complété pour inclure désormais la possibilité de créer des « julgados de paz ». Ce complément est proposé – et présenté en termes très succincts à l’Assemblée de la République – par les socialistes, alors au gouvernement, et ne suscite pas d’opposition de la part des autres partis  [9].

10Le parti communiste, sur la base de cette disposition constitutionnelle, va, quelque temps plus tard, prendre l’initiative au Parlement, en présentant à la fois un projet de modification de la loi générale d’organisation judiciaire et un projet de loi instituant les julgados de paz  [10]. Après un débat substantiel en juillet 2000  [11], et la discussion de sa formulation définitive au sein de la Commission parlementaire des affaires constitutionnelles, des droits, des libertés et des garanties, le texte élaboré à partir de ce projet de loi est approuvé à l’unanimité en mai 2001  [12] par un parlement composé des mêmes quatre grands partis déjà présents en 1980, et dans lequel le parti socialiste, au gouvernement, est fortement représenté, sans toutefois disposer d’une majorité absolue.

11Cette unanimité tient principalement à deux facteurs. Le premier est lié à l’apparition d’un thème qui n’est invoqué à aucun moment dans les débats du décret-loi n° 539/79 : la crise de la justice au Portugal  [13]. Ce thème a en effet pris une ampleur considérable au cours des années 1990 dans les débats publics au Portugal. Si l’opposition de droite adhère au projet, c’est en insistant sur la gravité de cette crise, qu’elle ne manque pas d’imputer au gouvernement socialiste en place depuis 1995, mené par António Guterres, lequel vient de débuter son deuxième mandat après les élections législatives de 1999. Elle ne peut toutefois s’exposer au grief d’avoir fait obstacle à une mesure qui se présente comme une réponse innovante à cette situation de crise.

12Un deuxième facteur est la perception de l’ampleur qu’a pris dans d’autres États le développement de la justice de proximité et surtout, en rapport avec ce développement, de l’importance que prend la médiation comme technique alternative au traitement judiciaire classique des conflits. Le PCP, qui présente le projet de loi, a fait un effort considérable de divulgation d’initiatives en cours dans d’autres pays, auprès des milieux politiques et judiciaires portugais. Des voyages d’études ont été entrepris en Italie, au Brésil et en Argentine, et des rencontres thématiques ont été organisées, en particulier au Parlement et à l’Ordre des avocats  [14]. Dans ce contexte, s’il ne manque pas de rappeler le « temps perdu » qu’a signifié le refus de ratification de 1980 (p. 3025) et s’il trouve là une occasion d’affirmer sa fidélité aux idéaux de la Révolution de 1974, le PCP insiste surtout sur la nécessité de rejoindre une dynamique internationale d’innovation en matière judiciaire et entend ainsi faire la démonstration de son esprit d’ouverture et de sa capacité à intervenir au-delà de ses domaines d’action plus traditionnels.

13L’unanimité est par ailleurs mise en valeur pour des raisons politiques. Le gouvernement en place, minoritaire, a intérêt à cultiver les thèmes consensuels, à la différence du gouvernement de centre-droite de 1980, issu d’une majorité absolue. Dans le cas particulier, le projet du PCP lui donne l’occasion de se placer dans le rôle de facilitateur d’une action concertée du Parlement. L’initiative est expressément laissée au PCP, auquel le PS, au gouvernement et à la présidence de l’Assemblée de la République, apporte son soutien (p. 3033). En même temps, tout est fait pour montrer aux partis de droite que la mesure est dans l’air du temps et ne saurait être rejetée en principe, les questions plus techniques, éventuellement moins consensuelles, pouvant être débattues dans le cadre des travaux de la commission parlementaire.

14Le texte approuvé prévoit des julgados de paz destinés à connaître des litiges civils d’importance limitée (valeur litigieuse inférieure à 750 000 escudos, selon le texte alors approuvé ; actuellement 3 740,98 euros), portant sur des obligations pécuniaires, la remise de biens meubles, des rapports de copropriété, des rapports entre propriétaires de terrains, la location de logements (ci-après, selon la terminologie légale portugaise, les « baux urbains »), ou encore des cas de responsabilité civile ou d’inexécution de contrats. Peuvent également leur être soumises des demandes d’indemnité civile dérivant de petits délits (injures, voies de fait, larcins, grivèlerie, etc.) pour autant que le demandeur ait renoncé à engager une procédure pénale (art. 9 de la loi). Une restriction importante : les demandes concernant des obligations pécuniaires, lorsqu’elles émanent de personnes morales, ne sont pas recevables. L’idée est d’éviter à la nouvelle juridiction d’être « inondée » d’actions en paiement de factures intentées par des grandes sociétés pourvoyeuses de services, actions qui actuellement représentent une part considérable des procédures pendantes auprès des juridictions ordinaires  [15].

15La loi rappelle les principes auxquels doivent obéir les procédures : participation civique des intéressés, encouragement à la juste composition des litiges par accord entre les parties, simplicité, adéquation, informalité, oralité, économie absolue de procédure (article 2).

16Une particularité des nouvelles juridictions est qu’elles offrent aux usagers le choix entre deux modes de résolution des conflits : ceux-ci peuvent être soumis soit à un juge de paix soit à un médiateur, une séance de pré-médiation étant destinée à permettre aux parties d’opter en connaissance de cause entre ces deux voies.

17Juges de paix et médiateurs sont nommés sur concours par un jury constitué par le ministère de la Justice. Les candidats aux postes de juge de paix doivent être licenciés en droit et âgés de 30 ans au moins. La formation aux fonctions de juge ou de délégué du Ministère public dispensée par le Centre d’études judiciaires (Lisbonne, École portugaise de la magistrature) n’est pas requise.

18Le domaine de compétence territoriale des julgados de paz peut correspondre au territoire d’une municipalité (concelho, échelon supérieur à la frequesia) ou d’une freguesia, ou encore à un groupement de municipalités ou de freguesias. Leur installation et leur équipement est fourni par les autorités locales concernées, sur la base de protocoles d’accord conclus avec le ministère de la Justice  [16].

19Les émoluments s’élèvent à 35 euros, à payer par chacune des deux parties. En cas d’accord entre les parties, chacune se voit rembourser un montant de 10 euros. La partie qui obtient gain de cause reçoit l’émolument en retour, l’autre partie devant payer une deuxième prestation de 35 euros  [17].

I.2. La phase expérimentale

20Étant donné la nouveauté du dispositif, le gouvernement en fonction en 2001 a deux préoccupations. D’abord, entretenir le consensus politique qui s’est créé au moment du vote de la loi, en associant à sa mise en œuvre les quatre grands partis représentés au Parlement ; ensuite, n’introduire le dispositif, pour une période expérimentale, que dans un petit nombre de localités, et suivre de manière aussi détaillée que possible son fonctionnement durant cette période, afin de pouvoir le développer ultérieurement en meilleure connaissance de cause.

21Dans cet esprit, les quatre partis politiques – PS, PSD, CDS et PCP – sont invités à indiquer une municipalité présidée par un de leurs membres, afin qu’y soit installée une des quatre premières juridictions de paix. Les localités ainsi sélectionnées sont Lisbonne (sur indication du PS), Oliveira de Bairro (petite localité en zone rurale, proche du littoral, à 200 km environ au nord de Lisbonne ; sur indication du CDS), Seixal (dans la zone métropolitaine de Lisbonne, au sud du Tage ; sur indication du PCP) et Vila Nova de Gaia (localité située au nord du pays, sur les rives du Douro, en face de Porto ; sur indication du PSD).

22L’activité des quatre juridictions ainsi créées donne lieu à un suivi attentif par trois instances : la Direction générale de l’Administration extra-judiciaire (ci-après DGAE), entité gouvernementale chargée de la mise en œuvre logistique du dispositif  [18] ; le Conseil d’accompagnement de la justice de paix, entité par laquelle le pouvoir judiciaire assure l’encadrement de cette nouvelle juridiction  [19] ; et enfin une équipe de chercheurs en sciences sociales, chargée par la DGAE de produire un rapport de suivi indépendant  [20].

23Pour l’essentiel, la présente section rend compte de ce rapport de suivi. Il faut cependant signaler déjà ici certains développements ultérieurs dont il sera question surtout dans la section suivante. Ceux-ci sont étroitement liés aux changements de majorité politique intervenus au Portugal depuis 2001. À la suite d’élections législatives anticipées au printemps 2002, le PSD, allié au CDS, obtient la majorité et accède au gouvernement, qu’il conserve jusqu’à l’été 2005. À ce moment-là, de nouvelles élections parlementaires, elles aussi anticipées, portent à nouveau le PS au gouvernement. Ainsi, la phase expérimentale de fonctionnement des julgados de paz dont il va être question ici, planifiée sous un gouvernement socialiste, s’est en définitive déroulée alors qu’entrait en fonction un gouvernement d’une autre couleur politique.

24En vue de rendre compte de la réalité des julgados de paz dans la phase expérimentale, trois opérations de recherche ont été menées dans les quatre juridictions : une enquête par questionnaire auprès des usagers, de laquelle ont été retirées des données sur les usagers concernés pris individuellement, ainsi que sur les procédures conclues durant la période considérée ; une enquête par questionnaire auprès des juges, médiateurs et fonctionnaires impliqués dans la mise en œuvre de la mesure, et un ensemble d’entretiens approfondis avec les juges de paix et avec un échantillon de médiateurs.

L’expérience des usagers

25Le questionnaire aux usagers  [21] a été appliqué dans les locaux des juridictions de paix, avec l’aide de leurs fonctionnaires. Il était présenté aux usagers au moment où ceux-ci quittaient la juridiction, le cas présenté ayant été traité soit par un jugement ou un accord résultant d’une médiation, soit, la juridiction n’ayant pas eu à se prononcer, par une information concernant d’autres démarches envisageables. Les questions portaient principalement sur l’affaire soumise à la juridiction, sur l’attitude des personnes interrogées face à cette affaire et sur leur opinion quant à la juridiction.

26Entre avril et juillet 2002, 228 questionnaires ont été remplis. Les usagers interrogés se distribuent en cinq catégories : 27 % sont demandeurs ; 20 % défendeurs ; 23 % témoins ; 8 % avocats ; 17 %, enfin, se sont présentés à la juridiction sans que le problème qu’ils venaient soumettre se soit traduit par l’ouverture d’une procédure contentieuse. Quant au taux de réponse, on constate un certain déséquilibre entre les différentes juridictions, avec un nombre de questionnaires nettement plus élevé à Vila Nova de Gaia que dans les trois autres juridictions.

27Une majorité des usagés interrogés (58 %) sont des hommes ; les tranches d’âge les plus représentées sont 30-39 ans et 40-49 ans ; le niveau de scolarisation est bas, 45 % des personnes interrogées n’ayant pas terminé la scolarité obligatoire ; quant au statut professionnel, les catégories les plus représentées sont les salariés (34 %), les indépendants (23 %), et les retraités (21 %). Le profil des usagers varie considérablement d’une juridiction à l’autre : à Seixal, la population interrogée est plus jeune, avec une prédominance de salariés ; à Oliveira de Bairro, les indépendants sont de loin les plus nombreux ; à Lisbonne, le niveau de scolarité est plus élevé que dans les deux autres juridictions.

28On constate certaines corrélations entre les types de situations soumis aux juridictions et le profil social des personnes. Les conflits entre propriétaires de terrains opposent souvent des personnes ayant déjà atteint un certain âge, soit des retraités ; les cas d’inexécution de contrats concernent plus souvent des personnes jeunes, salariées, et de sexe masculin ; les problèmes de copropriété concernent des personnes d’âge moyen, plus souvent salariées.

29Les usagers interrogés ont eu connaissance de la juridiction de paix par des canaux différents, leurs sources variant d’un endroit à l’autre. À Lisbonne, l’information provient le plus souvent des médias ; à Seixal, des prospectus distribués dans les boîtes aux lettres ; à Oliveira do Bairro et Vila Nova de Gaia, mises à part ces deux sources, citées avec des fréquences comparables, sont également mentionnées par plusieurs des personnes interrogées les indications fournies par des connaissances ou par les juntas de freguesias (instances d’exercice du pouvoir local du niveau des freguesias), par la police ou par des avocats.

30Quant à la raison de leur venue au julgado de paz, les personnes interrogées, face à l’éventail de motifs possibles qui leur était soumis, choisissent en première ligne l’affirmation selon laquelle il s’agissait de résoudre un conflit ; la reconnaissance d’un droit ou l’obtention d’une indemnité sont des motifs nettement moins valorisés. Ici encore, on constate quelques variations en fonction du lieu. L’obtention d’une indemnité est mentionnée plus souvent à Lisbonne et à Vila Nova de Gaia que dans les deux autres juridictions. Le besoin d’obtenir une information est moins souvent mentionné à Lisbonne que dans les trois autres juridictions. Ces raisons peuvent aussi être liées au type de situation présenté. La recherche d’une médiation est plus souvent mentionnée dans les cas d’inexécution contractuelle, moins dans les cas de problèmes entre voisins, entre copropriétaires ou entre propriétaires de terrains. C’est dans le cas des problèmes entre voisins que le motif de la reconnaissance d’un droit est le plus souvent mentionné.

31Le degré de satisfaction face aux jugements ou accords obtenus est en moyenne élevé et varie peu entre les différentes catégories de personnes. Il varie de façon plus marquée selon le statut professionnel. Les indépendants et les employeurs sont nettement plus satisfaits que les autres catégories de personnes ; les salariés, par comparaison, sont moins satisfaits. On constate également des différences en fonction des situations traitées : le degré de satisfaction est élevé dans le cas des baux urbains, moins élevé dans le cas des problèmes de copropriété et de voisinage.

Caractérisation des procédures observées

32Les réponses au questionnaire étaient fournies individuellement. Une même procédure pouvait donc donner lieu à plusieurs questionnaires (l’un rempli par le demandeur, l’autre par le défendeur, d’autres encore, éventuellement, par des témoins, etc.). Un traitement approprié des réponses  [22] a cependant permis de reconstituer avec une certaine précision les procédures ayant donné lieu à des réponses par questionnaire. Il est ainsi possible de retirer de ces réponses des informations concernant non seulement les personnes interrogées, mais aussi les procédures. Celles ayant donné lieu à des questionnaires sont au nombre de 70 environ, sur un total de 127 terminées au cours de la période analysée.

33Les procédures observées concernent principalement des problèmes entre propriétaires de terrains (19), des cas d’inexécution contractuelle (17) et des problèmes entre copropriétaires (14). Moins fréquents sont les cas liés à des baux urbains (7) et les problèmes de voisinage autres que les problèmes entre propriétaires de terrains (6). Il existe une certaine corrélation entre les endroits et les situations traitées. À Lisbonne, ce sont nettement les problèmes de copropriété qui l’emporte ; à Vila Nova de Gaia, les problèmes entre propriétaires de terrains ; à Oliveira de Bairro, les cas d’inexécution contractuelle ; à Seixal, les questions de copropriété et les inexécutions de contrats.

34Comme cela a été signalé plus haut, la loi des juridictions de paix offre aux parties quelques alternatives procédurales importantes parmi lesquelles, en particulier, le choix entre médiateur et juge de paix. Il était donc particulièrement intéressant de reconstituer le déroulement concret des procédures observées. Celui-ci varie considérablement. Les cas de figure les plus fréquents sont les déroulements typiques que le texte légal permettait de prévoir (graphique 1, flèches noires) : dans vingt cas environ, l’affaire a été traitée par médiation, et s’est terminée par un accord entre les parties ; dans un nombre similaire de cas, l’affaire a été soumise au juge de paix et s’est conclue par un jugement de celui-ci, et ce, dans une moitié des cas, après une pré-médiation, dans une autre moitié des cas, sans qu’il y ait eu pré-médiation. Un nombre remarquable de procédures s’écarte pourtant des parcours prévus par le législateur. Le cas le plus fréquent est celui des procédures qui commencent par une phase de médiation et qui, par la suite, sont présentées au juge de paix (une vingtaine de cas ici encore). Curieusement, dans la plupart de ces cas (14 ; graphique 1, flèche hachurée), les personnes interrogées indiquent que la médiation a pu être menée à terme. De telles réponses peuvent être interprétées de manière diverse, mais elles peuvent vouloir dire que les usagers ont à la fois reconnu le caractère constructif de la procédure de médiation, même pour des procédures qui se concluent par un jugement ; ou encore qu’ils ne font pas de différence entre un jugement et une décision d’homologation d’accord, ce qui pourrait aller de pair avec une perception de la médiation comme subalterne par rapport à la décision du juge. Parmi les procédures restantes (flèches grises), les plus fréquentes sont celles qui se terminent par un accord extra-judiciaire (7).

Graphique 1
figure 1

35La distribution entre les différents déroulements de procédure varie d’un endroit à l’autre, et selon les situations présentées. Les procédures se concluant par un accord après médiation sont plus fréquentes à Vila Nova de Gaia et à Oliveira de Bairro. Les accords extra-judiciaires ont presque tous été conclus à Seixal et concernent presque tous des problèmes de copropriété. Les problèmes concernant des terrains donnent souvent lieu à une médiation à la suite de laquelle l’affaire est portée devant le juge de paix. Les affaires concernant des baux urbains sont souvent traitées par le juge de paix sans qu’il y ait eu une session de pré-médiation.

36Enfin, les données sur les procès observés confirment leur relative brièveté : presque tous se terminent en moins de deux mois. Parmi les procédures étudiées, celles qui sont conclues par un accord après médiation tendent à être plus brèves que celles qui se terminent par un jugement du juge de paix.

L’expérience des agents (approche extensive)

37Un questionnaire aux personnes impliquées dans le fonctionnement de la justice de paix (ci-après, les « agents ») – juges, médiateurs, fonctionnaires – a été appliqué entre mai et juin 2002  [23]. Ont été interrogés tous les juges de paix, la plus grande partie des fonctionnaires et près de la moitié des médiateurs. Le questionnaire portait en particulier sur des aspects du fonctionnement concret des juridictions et sur l’opinion des agents quant à celui-ci. Il comprenait aussi des questions sur la perception qu’avaient les agents de l’opinion des usagers. Les médiateurs ne sont pas rattachés à une juridiction de paix en particulier et, au cours de la période expérimentale, intervenaient généralement dans deux d’entre celles-ci. C’est pourquoi les comparaisons entre les réponses à cette enquête ont été faites en groupant, d’une part, les questionnaires recueillis dans les deux juridictions installées plus au sud du pays – à Lisbonne et à Seixal – et, d’autre part, les deux situées au nord, à Oliveira de Bairro et à Vila Nova de Gaia.

38Les personnes impliquées dans le fonctionnement de la justice de paix constituent une population majoritairement féminine (deux tiers de femmes), relativement jeune (près de 90 % entre 20 et 39 ans), présentant un niveau de scolarisation élevé (plus de 90 % ont terminé une formation de niveau moyen, avec 12 ans de scolarité, ou supérieure). Parmi les détenteurs d’un titre universitaire, 27 % ont suivi une formation post-licence, ayant conclu un mastère ou un doctorat). Ces proportions varient selon les trois catégories d’agents. La proportion de femmes est plus élevée chez les fonctionnaires que chez les juges, et, comme on pouvait s’y attendre, le niveau de scolarisation est plus élevé chez les juges que chez les fonctionnaires.

39Les agents étaient interrogés sur l’efficacité de leur juridiction, selon le type de litige. Dans l’ensemble, l’institution est considérée comme plus efficace face aux problèmes de copropriété, entre voisins, d’inexécution de contrats, entre propriétaires de terrains et de baux urbains (notes voisines de 5 sur une échelle de 1 à 6 points). Les évaluations plus réservées (notes inférieures à 4) concernent les cas d’indemnités en cas de vol, de lésions corporelles ou d’escroquerie. Ce profil de réponses se retrouve, avec des variations mineures, dans les réponses des trois catégories d’agents. Ce qui change entre celles-ci, c’est le niveau moyen des notes : les juges donnent des notes globalement plus élevées. Entre les différentes juridictions, les notes sont dans l’ensemble plus élevées dans les deux juridictions du nord que dans celles du sud. Le potentiel de la justice de paix face aux problèmes entre propriétaires de terrains et face aux demandes d’indemnités pour insultes est évalué de manière nettement plus positive au nord qu’au sud.

40Le fonctionnement interne de l’institution est évalué de manière globalement positive, avec des notes légèrement plus élevées au nord qu’au sud. À noter que chacune des trois catégories d’agents fait une appréciation très positive de l’activité des autres catégories. On trouve cependant, chez les médiateurs, des réponses comparativement plus réservées. L’évaluation des rapports entre médiateurs et juges de paix est légèrement plus positive au nord qu’au sud. Un dispositif qui obtient de très bonnes notes est la rédaction des faits de la cause par un fonctionnaire au moment de l’introduction de la demande, dispositif qui représente une innovation dans le monde judiciaire portugais. Seuls les juges donnent une note légèrement inférieure quant à la précision dans l’identification des différents éléments de fait.

41Les personnes interrogées étaient invitées à indiquer quels qualificatifs pouvaient être associés à la justice de paix, soit telle que celle-ci est conçue en principe, soit telle qu’elle fonctionne en pratique. Le plus remarquable dans les réponses est l’écart entre les principes et la réalité. Sur un qualificatif, l’expérience de la pratique dépasse les attentes qui existaient au niveau des principes : en matière de « célérité ». En revanche, la réalité reste en deçà des attentes de principes dans les domaines de l’« accessibilité », de l’« information aux citoyens » et de la « crédibilité ». En ce qui concerne ce dernier attribut, l’écart entre les attentes et la réalité est presque entièrement dû à la note relativement basse donnée par les médiateurs.

42Les rapports avec d’autres entités sont évalués de manière plutôt réservée, avec des notes se situant généralement entre 3 et 4 sur une échelle de 1 à 6. Les rapports avec le pouvoir local méritent les notes les plus élevées (ce qui est particulièrement marqué au nord) ; les rapports avec les autres tribunaux et avec les avocats reçoivent des notes plus basses. En revanche, au plan individuel, la coopération avec les avocats des usagers est appréciée plus positivement. Quant aux médias, ils n’accorderaient pas une attention suffisante à la nouvelle justice de paix. D’une manière générale, ce sont les médiateurs qui font les évaluations les moins positives des rapports avec les entités extérieures.

43Toujours au plan des relations avec l’extérieur, les relations avec les usagers méritent des notes meilleures. Les agents étaient interrogés sur l’idée qu’ils avaient du degré de satisfaction des usagers. Or ceux-ci sont perçus comme particulièrement satisfaits de la célérité et de la simplicité de la nouvelle institution.

44Les agents étaient aussi interrogés sur les possibles motivations des usagers qui s’adressent à la justice de paix. Les motivations hypothétiques les plus souvent citées sont la recherche d’une « décision rapide » (note moyenne de 5.7 sur une échelle de 1 à 6), la « résolution d’un conflit » (5.4) et la recherche d’une « aide » (5.2). Les motivations moins probables seraient la recherche d’une « indemnité » (3.8) et d’une médiation (3.7). Les médiateurs valorisent un peu moins la réponse « résolution d’un conflit ». Les motivations qui correspondent plus directement aux fonctions classiques de la justice – « résoudre un conflit », « voir son droit reconnu », « obtenir une indemnité » – obtiennent des notes plus élevées dans les juridictions de paix du nord que dans celles du sud.

45Il s’agissait aussi de savoir si les personnes interrogées considéraient que la justice de paix contribue au développement de la justice au Portugal. D’une manière générale, ce qui est le plus valorisé est le fait que la justice de paix introduit de nouvelles manières de pratiquer la justice (plus rapide et moins formaliste). Sur ce point, on constate quelques différences entre les juges et les médiateurs. Les juges valorisent des aspects qui renvoient à une notion de complémentarité entre les tribunaux classiques et la justice de paix (résolution des petits litiges, des affaires qui ne seraient pas soumises aux tribunaux classiques, et ce de manière moins formaliste). Les médiateurs valorisent les réponses qui correspondent à une vision de la justice de paix comme expérience d’une autre forme de pratiquer la justice : résolution alternative des litiges ; promotion d’une nouvelle culture de la médiation.

46Enfin, interrogés sur les motifs pour lesquels ils se sont présentés au concours de recrutement du personnel destiné à la nouvelle justice de paix, les médiateurs et les fonctionnaires mentionnent plus fréquemment l’intérêt de l’expérience personnelle ; les juges l’intérêt pour la matière. Les réponses sur leur situation actuelle révèlent des indices de satisfaction relativement élevés quant aux aspects de l’expérience professionnelle et de vie. Les notes les plus basses concernent les perspectives d’avenir professionnel (la note moyenne la plus basse sur ce point est celle des juges : 3.0) et la rémunération (note moyenne la plus basse chez les médiateurs : 2.6). Chez les trois catégories d’agents, les conditions logistiques et techniques obtiennent des notes d’un niveau moyen (4.4).

L’expérience des agents (approche intensive)

47La recherche comprenait la réalisation d’entretiens approfondis avec les huit juges de paix en fonction, ainsi qu’avec six médiateurs (de formation juridique et non juridique ; ayant réalisé tant des pré-médiations que des médiations)  [24]. Ces entretiens ont porté principalement sur les représentations qu’avaient initialement ces personnes de leurs futures tâches au sein de l’institution, sur l’expérience pratique de la justice de paix, sur le possible impact de la mesure, ainsi que sur les améliorations envisageables.

48Les juges de paix disent avoir débuté leur activité fortement motivés par l’idée de participer à l’expérience d’une nouvelle manière de pratiquer la justice. La différence avec la justice classique résiderait, de leur point de vue, dans la plus grande proximité entre les citoyens et le juge, dans la plus grande participation des citoyens, ainsi que dans la mise en valeur d’une logique de prévention des conflits et de pacification sociale.

49Leur expérience des rapports avec les usagers est très positive. La seule difficulté mentionnée concerne l’équilibre à trouver entre informalité et proximité, d’un côté, et exigence de maintenir la dignité du tribunal, de l’autre.

50Dans les relations avec les autres acteurs dans le champ judiciaire, les juges de paix admettent, de la part de ceux-ci, une certaine défiance et un certain manque de reconnaissance. Ces sentiments seraient imputables à la méconnaissance des caractéristiques de la nouvelle institution, aux controverses qui auraient marqué la procédure de sélection des juges de paix, ainsi qu’au fait que la loi elle-même serait très limitative dans la détermination des compétences de la justice de paix. La loi attribue en effet à cette dernière les causes de valeur réduite, oblige le juge de paix à renvoyer la cause devant les tribunaux ordinaires en cas d’incident de procédure, et elle donne à ceux-ci la compétence pour se prononcer sur les recours contre les jugements prononcés par les juges de paix.

51Au plan du fonctionnement interne des juridictions, les juges perçoivent le besoin de mieux articuler les trois secteurs de la justice de paix – juges, médiateurs, fonctionnaires – et de resserrer les rapports entre eux. C’est ainsi qu’ils ont développé des pratiques de rencontres informelles avec les médiateurs, de même d’ailleurs que des rencontres entre les quatre juges de paix. Les rapports avec les fonctionnaires sont considérés comme ne posant pas de problème, grâce notamment à la formation juridique de beaucoup d’entre eux. Quant à l’articulation avec le travail des médiateurs, les problèmes évoqués plus particulièrement – d’ailleurs mentionnés par les médiateurs eux-mêmes – sont ceux concernant l’homologation des accords. Il existerait une certaine difficulté à concilier le principe de procédure civile selon lequel le jugement ne peut porter que sur les conclusions formulées initialement par les parties, et le principe de la médiation, selon lequel l’objet du conflit doit être reconstruit au cours même de la procédure de médiation.

52Pour l’avenir, les juges considèrent comme souhaitable une extension, territoriale et matérielle, des compétences des juridictions de paix. Certains évoquent aussi de possibles compétences en matière pénale. S’inspirant de modèles étrangers, ils préconisent la création d’une carrière spécifique de magistrature et d’une instance de recours propres à la justice de paix. Ils aimeraient bénéficier d’une formation plus approfondie, qui pourrait à leur avis leur être dispensée en parallèle avec l’exercice de leurs fonctions.

53En ce qui concerne les médiateurs, leur principale attente était de pouvoir pratiquer une activité pour laquelle ils se sentaient une vocation particulière. Celle qu’ils exercent au moment des entretiens correspond bien à cette attente. Certains aimeraient pouvoir s’impliquer plus que ce n’est le cas actuellement ; d’autres considèrent qu’il est nécessaire de maintenir une autre activité et de ne pas se consacrer exclusivement à la médiation.

54Les rapports avec les usagers sont considérés comme gratifiants. Ceux-ci apprécieraient à la fois la pédagogie de la médiation, qui leur offre une nouvelle manière d’aborder les situations conflictuelles, et la célérité dans le traitement des cas. Les médiateurs admettent qu’à long terme un effet de la justice de paix pourrait être de développer chez les citoyens la notion de responsabilité des personnes face au traitement des conflits.

55Quant aux rapports avec les autres entités, ils mentionnent surtout les avocats. Ceux-ci, d’une manière générale, auraient une attitude hostile face aux médiateurs, qu’ils considéreraient comme des concurrents potentiels. Or une telle concurrence n’existerait pas puisqu’il s’agirait de deux rôles radicalement différents. D’ailleurs, pour tout ce qui concerne les renseignements juridiques, les médiateurs conseilleraient aux usagers de consulter des avocats. Il est également reconnu que la présence des avocats dans les séances de médiation n’a pas d’inconvénients. D’une manière générale, ils partagent avec les juges de paix une appréciation négative de la divulgation dont la mesure aurait bénéficié.

56Les médiateurs ressentent une certaine difficulté à se situer au sein des juridictions de paix, difficulté due en partie au fait qu’ils n’y passent pas tout leur temps de travail. Ils s’interrogent sur la fonction de juge-coordinateur, susceptible de mettre en cause l’équilibre entre le côté médiation et le côté juge de paix. Dans la procédure actuellement en vigueur, ils critiquent les règles qui imposent une séparation stricte entre les phases de la pré-médiation et de la médiation. Ils insistent sur les avantages qu’il y aurait, au moment de la pré-médiation, à pouvoir engager une médiation à très court terme, avec le même médiateur.

57Étant donné la relative indéfinition de leur statut et leur position dans les juridictions de paix, les médiateurs ressentent un fort besoin de tisser des liens entre eux. Ils correspondent et se rencontrent fréquemment. Ils regrettent de ne pas avoir de représentants officiellement reconnus ni auprès de la DGAE, ni auprès du Conseil d’accompagnement de la justice de paix. Ils attribuent une grande importance aux relations qu’ils ont pu établir jusqu’ici avec ces deux entités.

58Dans l’avenir, ils apprécieraient un approfondissement de la formation qu’ils ont commencée, ceci en rapport avec la volonté d’analyser très soigneusement l’expérience en cours en vue d’améliorer leurs instruments d’action. Cette volonté de perfectionnement, par le moyen d’une réflexion sur leur pratique, est affirmée avec plus d’insistance que les revendications d’ordre statutaire.

59Quant à l’avenir de la justice de paix, les médiateurs sont convaincus qu’une manière alternative de répondre à la conflictualité sociale prendra de l’importance, mais ils insistent sur l’idée selon laquelle ces réponses alternatives devraient se développer au sein même des structures de la justice officielle.

60Entre les discours des juges de paix et ceux des médiateurs, on observe des convergences mais également des écarts. Ceux-ci peuvent tenir à trois ordres de facteurs : les juges et les médiateurs répondent sur la base de pratiques professionnelles différentes, à partir de positions différentes au sein de l’institution (centrale et de coordination dans le cas des juges ; périphérique dans le cas des médiateurs), et, enfin, alors qu’ils se trouvent à des moments différents dans leurs parcours professionnels respectifs : les juges, en moyenne, au milieu de leur carrière, et recherchant une expérience nouvelle, encore que liée à des investissements personnels antérieurs ; les médiateurs, dans bien des cas, encore en début de carrière.

Mise en rapport des données

61La dernière étape du travail empirique a consisté à confronter les données recueillies au moyen des trois opérations de recherche qui viennent d’être décrites. D’une manière très générale, cette confrontation confirme les interprétations esquissées à la lumière de chaque ensemble de données. Ainsi, l’évaluation globalement positive de l’action du dispositif que font les agents, évaluation qui s’exprime autant dans les réponses au questionnaire que dans les entretiens approfondis, correspond à une évaluation même légèrement plus positive de la part des usagers. Le potentiel de l’institution, tel qu’apprécié par ses agents, est considéré comme le plus élevé précisément dans les domaines dans lesquels s’est manifestée la demande la plus forte (copropriétés, rapports entre propriétaires de terrains, autres rapports de voisinage, inexécution des contrats, baux urbains). Les différences quantitatives entre les réponses données au questionnaire par les juges et par les médiateurs peuvent aisément être mises en rapport avec les différentes logiques d’argumentation qui orientent les discours au long des entretiens approfondis : de la part des juges, une évaluation globalement plus positive de l’action du dispositif et légèrement plus réservée que celle des médiateurs quant aux virtualités concrètes de la médiation ; comparativement, un peu plus d’insistance des médiateurs sur le thème de la nécessaire participation des parties à la résolution de leurs conflits.

62Une des différences les plus remarquables concerne la reconstitution des motifs des usagers qui s’adressent à la justice de paix, en rapport plus précisément avec les motifs formulés en termes de « reconnaissance d’un droit » et d’« obtention d’une indemnité ». Les usagers eux-mêmes leur donnent une importance nettement moindre qu’aux autres motifs qui leur étaient proposés dans le questionnaire : « résolution d’un conflit ». « recherche d’une aide », etc. Les agents, en revanche, interrogés sur les motifs des usagers, donnent à ces deux motifs une importance certes légèrement inférieure, mais très proche tout de même de celle qu’ils attribuent aux autres motifs. Comme si les motifs d’une certaine manière conventionnels de l’appel à la justice étaient considérés par les agents comme nécessairement intériorisés par les usagers, tandis que ceux-ci hésitent à les mentionner, peut-être influencés par une procédure au long de laquelle on aura beaucoup insisté sur la nécessaire recherche de la conciliation et sur une approche renouvelée des conflits.

Bilan

63L’étude de la pratique de la justice de paix au long de la période expérimentale conduit ainsi aux constatations suivantes. Les rapports avec les usagers se révèlent plutôt bons. Cette qualité peut être due, en particulier, à l’impact d’une image marquée par une conception renouvelée du rapport entre citoyen et État, et par la perspective d’un traitement très rapide des cas présentés. Le fonctionnement de la justice de paix se révèle aussi très satisfaisant du point de vue des agents. Des différences de perspective, liées à des positions et des attentes assez différentes selon les catégories d’agents, ne semblent pas porter préjudice au fonctionnement de l’institution. Peut-être sont-elles, dans une certaine mesure, contrebalancées par le fait que le plus grand nombre des intervenants partagent une même formation universitaire – licence en droit pour une forte majorité – et par la conscience partagée de participer à une phase d’invention d’une nouvelle modalité de justice.

64Sont plus difficiles les rapports avec les autres intervenants de l’administration de la justice, encore que l’on observe sur ce point des variations : des relations plus encourageantes dans la proximité, avec les pouvoirs locaux et les avocats qui se présentent avec les usagers ; plus problématiques avec les autres tribunaux et avec la profession d’avocat en général, en raison notamment d’une connaissance insuffisante du nouveau dispositif.

65Quant à l’efficacité de la justice de paix face à la litigiosité sociale en général, le pronostic des agents est optimiste, bien que tempéré par le constat du faible niveau de connaissance du dispositif dans la population. On considère également que le domaine de compétence mériterait d’être élargi. Ceci permettrait de mieux répondre à des sollicitations qui, actuellement, doivent être ré-acheminées vers d’autres instances. Les agents considèrent disposer de moyens adéquats pour pouvoir y répondre.

66Quant à l’efficacité de la justice de paix face aux litiges qui lui sont soumis, elle semble être actuellement élevée, à l’échelle des litiges individuels. Quelques données suggèrent la formulation d’un facteur spécifique de cette efficacité : l’existence d’alternatives procédurales entre lesquelles les parties sont invitées à opter par une décision conjointe. La base d’entente qui peut s’établir face à ces options de procédure pourrait bien créer des conditions favorables pour aborder, dans les phases suivantes de la procédure, les questions de fond.

I.3. Développements ultérieurs

67À la suite d’élections législatives anticipées, au printemps 2002, le PSD obtient la majorité au Parlement, et un nouveau gouvernement entre en fonction sous la présidence de José Durão Barroso. Celui-ci ayant été invité à assumer la présidence de la Communauté européenne, un nouveau gouvernement est formé en juin 2004, présidé par Pedro Santana Lopes. En juin 2005, sur l’intervention du président de la République, Jorge Sampaio, de nouvelles élections législatives anticipées redonnent une majorité, cette fois-ci absolue, au parti socialiste ; le gouvernement issu de ces élections est présidé par José Socrates. Ce bref rappel des récents événements politiques au Portugal peut donner une idée des conditions dans lesquelles se sont développés les julgados de paz dans leurs premières années de fonctionnement. Certes, leur existence n’a jamais été remise en cause, ce qui confirme le consensus qui s’était manifesté lors de leur création. Mais il n’en reste pas moins que le gouvernement en fonction lorsque la période d’essai arrive à son terme n’est pas celui qui l’avait décidée et qui en avait défini les modalités et enjeux. Par ailleurs, les problèmes politiques de premier plan que posent inévitablement tout changement de gouvernement – ici trois changements en quatre ans, dont un dans des circonstances inhabituelles (départ du Premier ministre pour assumer la présidence de la Commission européenne) – absorbent beaucoup de l’attention et de la disponibilité du personnel politique, au détriment de thèmes de deuxième plan comme celui que constituent les julgados de paz.

68De fait, la mise à jour de la loi, qui aurait dû avoir lieu après la période expérimentale, n’a pas encore eu lieu (décembre 2006), et ce n’est qu’en 2004 qu’ont été inaugurées de nouvelles juridictions. Les juridictions créées initialement poursuivent leur travail et traitent un nombre de cas qui tend à augmenter progressivement (voir tableau 1). Quant au développement de l’institution, le thème qui domine actuellement le débat est celui du choix des localités où installer ces nouvelles juridictions  [25].

69Par ailleurs, la Direction générale de l’Administration extra-judiciaire poursuit ses activités de promotion des techniques alternatives de traitement des litiges, qui concernent, outre la justice de paix, les mesures d’aide à l’accès au droit, l’arbitrage dans le domaine de la consommation, la médiation dans le domaine du travail. Elle organise notamment des rencontres thématiques  [26], publie un bulletin, développe son information en ligne et organise des campagnes publicitaires mettant en valeur la nouvelle juridiction  [27].

70Le Conseil d’accompagnement des julgados de paz, selon la mission qui lui avait été confiée initialement, communique annuellement un rapport au Parlement sur l’activité des juridictions existantes. Il contribue par ailleurs activement à l’information du grand public sur la nouvelle juridiction, par son site web  [28], ainsi que par de nombreuses publications et interventions publiques de son président, l’ancien président du Tribunal suprême de justice portugais, Jaime Octávio Cardona Ferreira  [29].

Tableau 1
Tableau 1
Source : Conselho de Acompanhamento dos julgados de paz, Estatística mensal, mars 2006.

71La dynamique de fonctionnement de la justice de paix favorise l’affirmation des deux nouvelles professions qui y participent. Une association des médiateurs de conflits a été créée en septembre 2002  [30], et une association des juges de paix en mars 2006. Tenant compte notamment des demandes des juges de paix en fonction, le ministère de la Justice vient, par ailleurs, de signer un protocole d’accord avec l’Université de Lisbonne en vue de la création d’une formation spécifiquement destinée aux juges de paix  [31].

72La justice de paix gagne par ailleurs progressivement en visibilité. Un secteur spécifique lui est consacré sur le site de jurisprudence géré par le ministère de la Justice  [32]. Et elle commence à retenir l’attention de la recherche  [33].

73Cependant, certaines des juridictions se révèlent ne recevoir qu’une demande quantitativement très faible (voir tableau 1), ce qui suscite des interrogations quant à la sélection des localités où installer des julgados de paz. Face à cette situation, le gouvernement actuel entend préciser des critères propres à assurer une distribution territoriale efficace.

II. Éléments d’interprétation

74On distinguera ici les domaines de réflexion suivants : le monde juridique au Portugal, considéré en lui-même (II.1) ; les rapports entre la justice et le politique, tels qu’ils se jouent dans les procédures législatives jalonnant le processus de création de la nouvelle juridiction (II.2) ; les rapports entre la justice et ses usagers, tels qu’ils se jouent dans les procédures se déroulant dans le cadre de cette juridiction (II.3), et enfin, les rapports entre cette juridiction et son environnement sociétal au sens plus large (II.4). Dans chacun de ces domaines, seront passées en revue les observations pertinentes du point de vue des questions suivantes : recomposition des catégories sociales ou des espaces différenciés d’activité ; émergence d’acteurs et dynamique des relations entre ceux-ci  [34] ; phénomènes remettant en question les contours des mondes sociaux considérés.

II.1. Les julgados de paz et les transformations du monde juridique au Portugal

75Les julgados de paz révèlent et accusent plus particulièrement deux tendances marquant les transformations en cours aujourd’hui dans le monde juridique au Portugal : d’une part, la féminisation progressive des professions juridiques ; d’autre part et plus directement, les transformations que connaît le panorama des professions juridiques  [35]. La création des julgados de paz a donné une forte impulsion à la profession de médiateur et fait surgir une nouvelle profession, celle de juge de paix. Si leurs effectifs sont à l’heure actuelle réduits, surtout comparés à ceux des professions traditionnelles, ces nouvelles professions n’en sont pas moins présentes, leur dynamisme se manifestant en particulier par leur effort de former des entités représentatives et de développer leur outil de formation.

76Plus important que la simple apparition de nouvelles professions est le fait que celles-ci revendiquent une logique d’action, voire une culture différente de celle de la justice « classique »  [36]. Elles affirment ainsi une nouvelle position dans le champ juridique portugais, pour reprendre le modèle proposé par Pierre Bourdieu  [37], lequel pourrait s’en trouver, à terme, modifié en profondeur. Un effet immédiat de la distinction entre justice traditionnelle et justice de paix est que l’une et l’autre sont amenées à développer un discours sur leur différence, ce qui contribue à dynamiser le processus de réflexion interne à la culture juridique portugaise. Les travaux de Jaime Octavio Cardona Ferreira en sont un exemple  [38].

77Au sein même de la justice de paix nouvellement créée, la cohabitation entre juges de paix et médiateurs crée une instance spécifique de dialogue entre la médiation et la culture juridique traditionnelle, dialogue dont pourrait bénéficier de manière bien plus générale la réflexion juridique contemporaine. Encore faut-il que ce dialogue ait lieu et qu’il ne soit pas trop conditionné par un esprit de compétition entre les deux professions. En l’état actuel des choses, il pourrait être gêné par le fait que les formations des deux professions sont conçues comme deux filières entièrement séparées.

78Le développement de la justice de paix confirme par ailleurs la croissante imbrication de la culture juridique portugaise dans une dynamique de transformation du monde juridique qui transcende les frontières nationales  [39], et son analyse est propre à alimenter la réflexion sur les modalités de cette imbrication. On a déjà eu l’occasion de signaler l’importance de la comparaison internationale dans la phase d’élaboration du nouveau dispositif (supra, point I.1). Signalons encore l’intervention de spécialistes étrangers dans la formation des médiateurs  [40], ou l’importance que prend, dans les analyses publiées au cours de ces dernières années, la référence aux initiatives du Conseil de l’Europe, notamment la Recommandation Rec (2002) 10 du Comité des ministres du 18 septembre 2002, et de l’Union européenne, tels le Livre vert sur les modes alternatifs de résolution des litiges en matière civile et commerciale (COM[2002] 196 final) et la Proposition de directive sur certains aspects de la médiation en matière civile et commerciale du 22 octobre 2004 (COM[2004] 718 final)  [41].

II.2. Les julgados de paz : un cas de production du droit

79Comme tout processus de production du droit, celui qui mène à la création des julgados de paz fournit divers indices quant aux constellations de forces sociales en présence et aux dynamiques sociétales en cours.

80Quant aux forces agissantes dans le processus, on note l’importance des acteurs politiques stricto senso, c’est-à-dire les partis politiques, au premier rang desquels le PCP, et le gouvernement. Par comparaison, le rôle des professions juridiques et des milieux judiciaires, au long de la gestation du projet, est plus effacé. De fait, la création des julgados de paz, à laquelle les professions juridiques ne sont pas hostiles en principe, mais où elles ne sont pas ou peu impliquées, crée un espace d’action nouveau où le gouvernement peut prendre des initiatives, en l’absence d’acteurs puissants déjà constitués qui soient directement intéressés. De ce point de vue, on pourrait oser un parallèle avec une autre politique introduite au Portugal quelques années plus tôt : le revenu minimum garanti. Dans un cas comme dans l’autre, le gouvernement et les partis politiques sont mis au défi de réagir face à une situation de crise (ici, la crise de la justice ; là, la crise de la sécurité sociale). Dans un cas comme dans l’autre, toute action est sévèrement conditionnée par l’existence d’un important appareil administratif obéissant à des règles de fonctionnement très difficiles à modifier à court terme  [42]. Dans un cas comme dans l’autre, une nouvelle structure est créée, qui apparaît à la fois comme complémentaire et, d’une certaine manière, comme concurrente à l’appareil « classique » (justice : proche vs. distant ; protection sociale : ciblé vs. universel, donc coûteux, etc.), et dans le développement de laquelle le gouvernement dispose d’une grande marge de manœuvre. On pourrait encore ajouter que, dans les deux cas, il s’agit de mesures qui se prêtent à une certaine « médiatisation », en raison à la fois de leur nouveauté et de leur objectif général, qui se laisse aisément expliquer à un non-spécialiste.

81Une deuxième particularité du processus de production de la loi est la force des motifs de base « justice de proximité » et « médiation ». L’importance que prend le thème de la médiation dans le discours juridique lui-même, portugais et international, a déjà été signalée. Il s’agit ici de relever le poids de ces deux notions dans l’espace public. On peut s’interroger sur ce qui confère cette importance à ces thèmes, au-delà des motifs que certains acteurs concrets – on vient d’évoquer ceux du gouvernement – peuvent avoir de s’en saisir. Certes, il peut s’agir d’un certain retour de balancier après des décennies d’une pratique trop distante et abstraite de la justice. De ce point de vue, cette évolution peut être rapprochée des efforts faits, dans le domaine pénal, dans le sens d’une meilleure reconnaissance des problèmes des victimes. Sans doute faut-il aussi admettre une tendance, tout aussi perceptible au Portugal qu’ailleurs en Europe, à une meilleure prise en compte, dans les domaines traditionnels d’action de l’État, des attentes des usagers, liée aux transformations générales des relations entre États et administrés  [43]. Une autre interprétation est encore envisageable. De fait, une caractéristique de la justice de proximité et de la médiation, telles que conçues dans le cadre de la politique ici étudiée, est de s’adresser en priorité aux personnes, et non aux organisations (rappelons que les entreprises ne peuvent agir devant les julgados de paz pour réclamer des dettes impayées). Cette réforme ébauche ainsi, au sein de l’appareil judiciaire, la division entre une justice des personnes et une justice des organisations. Ce constat mérite d’être rapproché du diagnostic de Jean-Guy Belley, qui constate les profondes transformations que signifie actuellement pour le droit la prédominance de l’activité sociale organisée par opposition à l’expérience individuelle  [44]. La division évoquée pourrait être vue comme révélant l’écart grandissant, au plan de la pratique du droit, entre l’univers des organisations et celui de l’expérience individuelle  [45] .

II.3. La pratique des julgados de paz, lieu d’évolution des rapports entre la justice et ses usagers

82Une première question qui se pose ici est de savoir si la justice de paix a un effet sur la mobilisation du droit par les différentes catégories sociales. Il est vrai que les personnes qui s’adressent aux julgados de paz semblent venir de milieux sociaux très divers, y compris de milieux très modestes. Par rapport à la justice classique, l’introduction d’une demande est indiscutablement facilitée, autant par le fait qu’il n’est pas nécessaire de se faire représenter par un avocat, que par le mécanisme qui permet de présenter son cas oralement, les termes de la demande étant formulés par le fonctionnaire d’accueil au moment de l’enregistrement de celle-ci dans la base de données de la justice de paix. Sur ce point, il serait utile de comparer méthodiquement la demande adressée aux julgados de paz avec celle, portant sur des affaires comparables, adressée aux tribunaux classiques dans des régions où la justice de paix n’a pas encore été installée.

83Il faudrait, par ailleurs, approfondir les effets de l’implication dans une procédure conduite dans le cadre de la justice de paix sur les représentations que les personnes concernées ont des situations de conflit, de leur capacité à les gérer et des possibles articulations entre leur propre action sur ces situations et celle du juge ou du médiateur éventuellement saisi.

84Les données disponibles fournissent, dans l’immédiat, des indices sur la capacité des usagers à tirer parti des alternatives de procédure que leur propose la justice de paix. Une question qui mériterait d’être approfondie, à partir de cette observation, est celle des effets des prises de décision successives qui jalonnent la procédure. Deux hypothèses méritent ici d’être avancées, face au degré élevé de satisfaction des usagers : le fait d’être appelé à prendre des décisions en cours de procédure – en particulier celle de choisir entre la médiation et le juge de paix, ou encore celle de poursuivre une médiation engagée – peut permettre à l’usager de faire l’expérience d’une certaine reconnaissance de son statut de citoyen responsable. Ceci, dans certains conflits de proximité où les problèmes de reconnaissance et d’affirmation des personnes peuvent jouer un grand rôle, peut en soi-même contribuer à détendre le rapport de conflit. Par ailleurs, rappelons l’hypothèse de la création, au fil de ces prises de décision de procédure, d’un certain rapport de coopération entre les parties.

85L’expérience de la procédure conduite dans le cadre de la justice de paix dépendra aussi du cadre matériel. Celui-ci a fait l’objet d’une attention particulière au moment de l’installation des juridictions et cet aspect est mentionné en divers endroits des entretiens en profondeur, avec les juges de paix en particulier. Des locaux sans solennité particulière, un mobilier sobre, une table ronde, un juge qui se présente sans toge, tout doit suggérer l’idée d’une justice proche des citoyens. Sur ce point de vue encore, et d’une manière très visible pour les citoyens, la justice de paix se présente comme une alternative à la justice classique. Il vaudra la peine de suivre de près les évolutions que pourra connaître, dans ces prochaines années, l’aménagement des tribunaux classiques, et d’étudier dans quelle mesure de telles évolutions peuvent être liées à la mise en place de la justice de paix  [46].

II.4. Les julgados de paz, un élément du paysage judiciaire au Portugal

86La nouvelle juridiction ne saurait être présumée n’avoir d’impact que sur ceux qui ont eu un contact direct avec elle. Même si sa visibilité est encore faible, elle commence à être perçue du grand public. Le gouvernement fait d’ailleurs des efforts considérables dans ce sens, notamment par le moyen de campagnes d’affichage. Des reportages sur ce thème ont été publiés à différentes reprises dans la presse au cours de ces dernières années. Cette innovation judiciaire est donc susceptible d’avoir des effets sur les représentations que l’on se fait de la justice dans la population portugaise en général. La recherche dont il a ici été rendu compte ne comprenait pas de questionnaire auprès de la population et ne fournit sur ce point aucune donnée. Un travail sur les représentations de la justice de paix dans la population en général reste donc à faire et devrait d’ailleurs, idéalement, être mené sur le long terme. Au Portugal, il pourra prendre appui sur plusieurs travaux récemment publiés tant sur les représentations de l’appareil judiciaire que sur les sentiments de justice  [47].

87L’analyse du discours produit actuellement sur la justice de paix et plus généralement sur les moyens alternatifs de résolution des conflits suggère, quant aux évolutions à venir, deux hypothèses assez différentes.

88L’une est que le discours sur l’accessibilité de ces nouveaux moyens, amplifié par une stratégie de promotion fortement inspirée par la publicité de biens de consommation (« Je l’ai déjà résolu ! Et vous ? »  [48]), et renforcée par les signes matériels d’accessibilité signalés au point précédent, pourrait augmenter la propension de la population à y recourir. Une telle évolution des dispositions à s’adresser à des tiers qualifiés pour le traitement de situations de conflit pourrait avoir des conséquences diverses. Ainsi, elle pourrait favoriser l’expression de ce que l’on a pu appeler la demande latente  [49], ce qui pourrait entraîner une charge de travail supplémentaire pour le système de résolution des conflits. Elle pourrait également encourager l’idée selon laquelle la réponse normale à un conflit est la saisine d’un tiers qualifié, ce qui n’irait pas nécessairement dans le sens de l’objectif annoncé de promotion d’une société « auto-compositive ».

89L’autre hypothèse est que l’accent placé ainsi sur les techniques « douces » de résolution des conflits pourrait transformer en profondeur, à long terme, les attitudes face au recours à la justice « classique ». Une telle évolution pourrait être favorisée, non tant par la justice de paix prise isolément, mais par un ensemble de politiques de résolution des conflits basées sur l’outil de la médiation, actuellement en cours d’élaboration au Portugal (avec le développement, notamment, de la médiation dans le domaine du travail et dans le domaine pénal). Par ces politiques, le recours à la médiation tend à devenir la norme dans différents domaines, et le recours à la justice classique pourrait ainsi apparaître progressivement comme a priori inconvenant, voire abusif.

90Une telle évolution est d’ailleurs voulue pour contrarier la tendance, actuellement forte dans certains États (mais non, semble-t-il, au Portugal  [50]) à une trop forte litigiosité. Si elle venait à s’affirmer, cela pourrait donner raison à Niklas Luhmann lorsque celui-ci évoquait le caractère historiquement daté et peut-être bientôt dépassé de la culture juridique occidentale fondée sur une logique binaire dure  [51]. Elle pourrait certes correspondre à une forme d’interaction sociale plus fluide – pour ne pas dire « liquide », dans la terminologie lancée par Zygmunt Bauman  [52] – que celles qui prévalent actuellement. Mais elle affecterait probablement aussi la notion même de droit subjectif et celle, corrélative, selon laquelle un droit peut être défendu selon des règles objectives que les tribunaux ont pour mission d’appliquer.

91Ce pourrait être une bonne chose dans bien des domaines de la vie quotidienne et dans les conflits entre personnes qui entretiennent déjà des relations régulières. Les conséquences sont plus difficiles à évaluer en ce qui concerne les relations « urbaines » entre personnes pouvant légitimement prétendre, selon notre conception moderne de l’ordre de l’interaction, ne rien avoir à faire les unes avec les autres, et en ce qui concerne la perception des droits de la personne, domaine dans lequel il est entendu qu’une attitude défensive de la part de l’ensemble des citoyens est un antidote nécessaire face à d’éventuelles évolutions autoritaires de nos systèmes politiques. Certes, les droits de la personne forment une catégorie particulière de droits subjectifs, mais ils n’en font pas moins partie, en l’état actuel de la culture juridique occidentale, du même ordre juridique  [53]. Soumettre les autres droits subjectifs à un régime radicalement différent signifierait une transformation profonde de cette notion d’ordre juridique. Elle rendrait nécessaire – pour articuler la logique « douce » de la proximité, que l’on entend promouvoir, et la logique « dure » des institutions de portée macro-sociale, dont on voit mal qu’on puisse se passer – un profond renouveau de la formation des citoyens, qui aille bien au-delà de la promotion des nouveaux moyens de composition des litiges.

Conclusion

92Le développement de la justice de paix au Portugal n’en est qu’à ses débuts et les proportions de son dispositif sont encore modestes. Il est donc prématuré d’en évaluer l’impact. Les premières observations recueillies permettent cependant déjà d’avancer qu’elle aura des effets dans de nombreux domaines, allant des perceptions de la justice et du droit dans la population en général à l’évolution de la culture juridique professionnelle au Portugal. Sans parler de ses possibles effets – probablement les plus difficiles à mesurer – sur la conflictualité sociale.

93Dans l’immédiat, l’analyse du processus de réforme des dernières années confirme surtout ce que l’on observe aussi dans bien d’autres domaines des politiques publiques : les profondes transformations que traverse actuellement la réalité que l’on appelle l’État. Des transformations qui résultent, entre autres, de stratégies clairement affirmées de certains acteurs, au premier rang desquels les acteurs politiques stricto sensu. Mais des transformations qui renvoient aussi, au-delà de ces stratégies, à de remarquables « tendances » par lesquelles de nouvelles priorités prennent progressivement valeur d’évidence – voir notamment la généralisation des thèmes de la proximité et de la médiation. Un défi, aujourd’hui, aux sciences sociales – ainsi d’ailleurs qu’aux citoyens – est de mieux saisir les sources et les implications de ces tendances, même si – on devrait même dire : surtout si – elles ne peuvent être aisément imputées à certains acteurs en particulier.


Mots-clés éditeurs : Médiation, Portugal., Professions juridiques, Usagers de la justice, Justice de paix

Mise en ligne 01/12/2007

https://doi.org/10.3917/drs.066.0331

Notes

  • [*]
    Instituto Superior de Ciências do Trabalho e de Empresa, Avenida das Forças Armadas, P-1600 Lisbonne.
  • [1]
    Le mot « julgado » signifie à la fois « jugé » (participe passé du verbe « julgar », juger) et « division territoriale sous la juridiction d’un juge » (Academia das Ciências de Lisboa, Dicionário da Língua Portuguesa Contemporânea, Lisbonne, Verbo, 2001).
  • [2]
    Pierre Guibentif (coord.), Miguel Cabrita, Vanda Gorjão et Alexandra Leandro, Julgados de paz em Acção. Estudo sociológico da fase dos projectos experimentais, rapport remis à la Direction générale de l’Administration extra-judiciaire (DGAE), Lisbonne, ISCTE, Département de sociologie, octobre 2002, 218 p. + annexes. Je remercie Filipe Lobo d’Ávila, actuel directeur général de l’Administration extra-judiciaire d’avoir autorisé l’usage des données contenues dans ce rapport.
  • [3]
    Pour un inventaire des formes de juridiction populaire au Portugal jusqu’au XIXe siècle et une appréciation critique de l’état des sources, voir António Manuel Hespanha, « As magistraturas populares na organização judiciária do Antigo Regime português », in Sindicato dos Magistrados do Ministério Público (org.), A participação popular na administração da justiça, Lisbonne, Livros Horizonte, 1982, p. 109-133. Pour un historique sommaire, voir Jaime Octávio Cardona Ferreira, Justiça de Paz, Coimbra, Almedina, 2005, p. 70 et suiv.
  • [4]
    Sur la genèse de cette disposition, voir Luís Catarino, « A participação popular na administração da justiça na Constituição de 1976 », in Sindicato dos Magistrados do Ministério Público (org.), A participação popular na administração da justiça, op. cit., p. 19-29.
  • [5]
    Décret-loi n° 539/79 du 31 décembre 1979 (date de la publication au journal officiel portugais). Celui-ci peut actuellement être consulté en ligne gratuitement, en langue portugaise, selon une modalité qui, sur indication de la référence, donne accès aux textes légaux publiés. Cette modalité ne fournit cependant pas de moteur de recherche par mots-clé : hhttp:// dre. pt/ gratis/ 1s/ dr1gratis. asp(consulté en décembre 2006).
  • [6]
    Loi n° 82/77 du 6 décembre 1977, article 12.
  • [7]
    Unités administratives d’échelon inférieur à la commune, couvrant soit des quartiers de grandes villes, soit des localités d’importance secondaire. Elles sont dotées d’organes de gouvernement élus, et constituent un niveau important d’exercice du pouvoir local au Portugal.
  • [8]
    Débat de ratification : Diario da Assembleia da República (ci-après DAR) (1re série), n° 55, 23 mai 1980, p. 2418-2428. Résolution de l’Assemblée de la République n° 177/80, Diário da República, 126, 31 mai 1980 (les travaux du Parlement portugais peuvent être consultés en ligne, en langue portugaise : HYPERLINK ""http:// debates. parlamento. pt/ r3/ dar/ "http://debates.parlamento.pt/r3/dar/ ; consulté en avril 2006).
  • [9]
    DAR (2e série) Revisão Constitucional, n° 50, 8 novembre 1996, p. 1542 et suiv. ; vote : DAR (1re série), n° 104, 31 juillet 1997, p. 4003.
  • [10]
    Projets de loi 82/VII et 83/VIII. Le projet de loi 83/VIII est reproduit dans Joel Timóteo Ramos Pereira, Julgados de paz. Organização, Trâmites e Formulários, Lisbonne, Quid Juris, 2002, p. 337 et suiv.
  • [11]
    DAR (1re série), n° 77, 12 juin 2000, p. 3025 et suiv.
  • [12]
    DAR (1re série), n° 89, 1er juin 2001, p. 3508 et suiv.
  • [13]
    À propos du thème de la crise de la justice au Portugal, voir en particulier António Barreto (org.), Justiça em Crise? Crises da Justiça, Lisbonne, Publicações Dom Quixote, 2000. Pour une interprétation des circonstances dans lesquelles ce thème surgit, voir Boaventura de Sousa Santos, Maria Manuel Leitão Marques et João Pedroso, « Les tribunaux dans les sociétés contemporaines : le cas portugais », Droit et Société, 42-43, 1999, p. 311-331 ; ainsi que l’ouvrage dont dérive cet article : Boaventura de Sousa Santos, Maria Manuel Leitão Marques, João Pedroso et Pedro Lopes Ferreira, Os tribunais nas sociedades contemporâneas : O caso português, Porto, Afrontamento, 1996.
  • [14]
    DAR (1re série), n° 77, 12 juin 2000, p. 3025, p. 3031. À propos de l’attention des milieux judiciaires à l’égard de la justice de proximité, voir les conclusions du Congrès des juges portugais et du Congrès de l’Ordre des avocats du Portugal de 1997, préconisant chacun la création des julgados de paz (Joel Timóteo Ramos Pereira, Julgados de paz. Organização, Trâmites e Formulários, op. cit., p. 357 et suiv.). Des expériences étrangères en matière de justice de paix font également l’objet d’un important chapitre dans João Pedroso, Catarina Trincão et Joao Paulo Dias, Processos de informalização e de desjudicialização. Caminhos da reforma da administração da Justiça, Coimbra, Observatório Permanente da Justiça em Portugal/Centro de Estudos Sociais/Faculdade de Economia da Universidade de Coimbra, novembre 2001.
  • [15]
    Sur les actions de ce type et les problèmes qu’elles posent au système judiciaire portugais, voir Boaventura de Sousa Santos, Maria Manuel Leitão Marques et João Pedroso, « Les tribunaux dans les sociétés contemporaines : le cas portugais », op. cit., p. 325 et suiv.
  • [16]
    Comme exemples de protocoles d’installation, on pourra consulter ceux concernant les quatre premiers julgados de paz dans Joel Timóteo Ramos Pereira, Julgados de paz. Organização, Trâmites e Formulários, op. cit., p. 273 et suiv.
  • [17]
    Portaria (ordonnance) n° 1456/2001 du 28 décembre 2001, revue par la Portaria n° 209/2005 du 24 février 2005, qui ne modifie cependant pas le montant de base.
  • [18]
    Direction générale de l’Administration extra-judiciaire, Julgados de paz. Relatório, Lisbonne, DGAE, juillet 2002, 71 p. + annexes.
  • [19]
    Conselho de Acompanhamento dos julgados de paz, Relatório. Nos termos do art. 65, n° 3 da lei 78/2001, de 13.07 a apresentar à Assembleia da República, Lisbonne, juillet 2002 (les rapports annuels de ce Conseil sont disponibles sur son site web : hhttp:// www. conselhodosjulgadosdepaz. com. pt/ index. asp ;consulté en avril 2006).
  • [20]
    Voir le rapport de Pierre Guibentif (coord.), Miguel Cabrita, Vanda Gorjão et Alexandra Leandro, Julgados de Paz em Acção. Estudo sociológico da fase dos projectos experimentais, op. cit.
  • [21]
    Ibid., chapitre 1 et annexes 1-3.
  • [22]
    Ibid., chapitre 2.
  • [23]
    Ibid., chapitre 3 et annexes 4-8.
  • [24]
    Ibid., chapitre 4 et annexe 9.
  • [25]
    Sur la définition de ces critères, voir la recherche récemment commandée par le ministère de la Justice à une équipe interdisciplinaire droit-économie, dont une synthèse a été publiée dans Maria Eduarda Gonçalves, José Castro Caldas, Maria João Cortinhal, Pedro Costa et Ricardo Ferreira, « Justice and Efficiency : Managing the Value Conflict », in Proceedings of XVIth International Conference of RESER, Lisbonne, 28-30 septembre 2006, Services Governance and Public Policies, Lisbonne, RESER/ISCTE, 2006, p. 809-824.
  • [26]
    Voir les quatre volumes d’Actes des Rencontres Meios alternativos de resolução de litígios, publiés entre 2001 et 2005.
  • [27]
    hhttp:// www. dgae. mj. pt/ index. htm(consulté en décembre 2006), où l’on pourra trouver notamment les bulletins d’information édités par la DGAE. Voir aussi le volume Colectânea de Legislação sobre julgados de paz, coordonné par la DGAE (Coimbra, Coimbra Editora, 2006), qui inclut, outre un recueil de la législation, des articles de fond émanant de personnalités impliquées dans le développement de la mesure.
  • [28]
    hhttp:// www. conselhodosjulgadosdepaz. com. pt/ index. asp(consulté en décembre 2006).
  • [29]
    Jaime Octávio Cardona Ferreira est l’auteur de « Justiça em crise ? Crise da justiça », in Antonio Barreto (org.), Justiça em Crise? Crises da Justiça, op. cit., p. 209-220 ; Id., « Há soluções para os problemas de justiça », in António Pedro Barbas Homem et Jorge Bacelar Gouveia, O debate da justiça. Estudos sobre a crise da justiça em Portugal, Lisbonne, Vislis Editores, 2001, p. 39-53 ; Id., Julgados de paz. Organização, Competência e Funcionamento, Coimbra, Coimbra Editora, 2001 ; il a publié plus récemment Justiça de Paz, op. cit.
  • [30]
    Voir le site web de celle-ci : hhttp:// www. mediadoresdeconflitos. pt/ index. php(consulté en décembre 2006).
  • [31]
    Cf. le texte de ce protocole sur le site web du Conseil d’accompagnement, signalé plus haut note 28.
  • [32]
    Voir la « Base juridico-documentaire » en ligne du ministère de la Justice : hhttp:// www. dgsi. pt/ home. nsf? OpenDatabase(consultée en avril 2006), entrée « Jurisprudência dos julgados de paz ».
  • [33]
    Signalons notamment deux thèses de mastère : João Paulo da Cunha Rendeiro Chumbinho, A cultura judicial clássica e a cultura judicial dos julgados de paz à luz do princípio da democraticidade, Lisbonne, ISCTE, 2005 ; Lúcia de Fátima Barreira Dias Vargas, Julgados de paz e Mediação. Uma nova face da justiça, Aveiro, Universidade de Aveiro, 2006 (Coimbra, Almedina, 2006).
  • [34]
    Sur la distinction entre ces deux aspects dans la réflexion jurissociologique, voir Pierre Guibentif, Teorias sociológicas comparadas e aplicadas. Bourdieu, Foucault, Habermas e Luhmann face ao direito, leçon-synthèse présentée dans le cadre des examens d’agrégation, Lisbonne, ISCTE, janvier 2006.
  • [35]
    Sur ces transformations, plus généralement, voir João Paulo Dias et João Pedroso, « As profissões jurídicas entre a crise e a renovação. O impacto do processo de desjudicialização em Portugal », Revista do Ministério Público, juillet-septembre 2002, p. 11-54.
  • [36]
    Dans ce sens, notamment, João Paulo da Cunha Rendeiro Chumbinho, A cultura judicial clássica e a cultura judicial dos julgados de paz à luz do princípio da democraticidade, op. cit.
  • [37]
    Pierre Bourdieu, « La force du droit. Éléments pour une sociologie du champ juridique », Actes de la recherche en sciences sociales, 64, 1986, p. 3-19. Il est vrai que cet usage de Bourdieu donne une acuité supplémentaire à la question justement soulevée par Violaine Roussel de la délimitation du champ juridique : voir Violaine Roussel, « Le droit et ses formes. Éléments de discussion de la sociologie du droit de Pierre Bourdieu », Droit et Société, 56-57, 2004, p. 41-56 (p. 44).
  • [38]
    Voir, à ce propos, les interventions de Jaime Cardona Ferreira et João Paulo Chumbinho, in Direction générale de l’Administration extra-judiciaire (org.), Terceira Conferência. Meios Alternativos de Resolução de Litígios, Lisbonne, Agora, 2004.
  • [39]
    À ce sujet, dans une perspective portugaise, voir António Manuel Hespanha, « Portugal na ordem jurídica internacional : notas históricas », dans O Mundo e a Justiça. Janus. Anuário de Relações Exteriores 2004, Lisbonne, Público/Universidade Autónoma de Lisboa, 2003, p. 118, ainsi que l’abondant dossier introduit par cette contribution.
  • [40]
    Pour une publication liée à cette intervention, voir Juan Carlos Vezulla, Mediação. Teoria e Prática. Guia para utilizadores e profissionais, Lisbonne, DGAE, 2004.
  • [41]
    Voir, par exemple, Jaime Octávio Cardona Ferreira dans Colectânea de Legislação sobre julgados de paz, op. cit., p. 195 ; Lúcia de Fátima Barreira Dias Vargas, Julgados de paz e Mediação. Uma nova face da justiça, op. cit., p. 34, p. 59, p. 73 ; un accès au Livre vert est placé sur le site web de l’Association des médiateurs ((http:// www. mediadoresdeconflitos. pt/ index. php(consulté en décembre 2006), etc.
  • [42]
    Sur cet « immobilisme », dans le cas français, voir Jacques Commaille, Territoires de justice. Une sociologie politique de la carte judiciaire, Paris, PUF, 2000, p. 207 et suiv.
  • [43]
    Cf. Jacques Chevallier, L’État post-moderne, Paris, LGDJ, coll. « Droit et Société », 2004, p. 196 et suiv.
  • [44]
    Jean-Guy Belley, « Le pluralisme juridique comme doctrine de la science du droit », in Jean Kellerhals, Robert Roth et Dominique Manaï (dir.), Mélanges Jean-François Perrin, Genève/Bâle/Munich, Helbing & Lichtenhahn, 2002, p. 135-165, notamment p. 161.
  • [45]
    Cette réflexion s’inspire des travaux, organisés autour du texte de Jean-Guy Belley, du comité de recherche « Études socio-juridiques – Sociologie du droit » de l’Association internationale des sociologues de langue française, lors du congrès de cette Association à Tours en juin 2004 (pour une documentation concernant ces travaux, voir http:// w3. univ-tlse2. fr/ aislf/ cr3/ cr3?renc_2004. htm).
  • [46]
    Un signe qui annonce peut-être une telle évolution dans la justice classique au Portugal est le fait que l’on rencontre aujourd’hui aussi bien des juges que des avocats qui se plaignent du fait que les tribunaux ne disposent pas de salles équipées de tables rondes (selon des témoignages recueillis dans le cadre d’une recherche en cours sur une récente réforme de la procédure civile, introduisant une « audience préliminaire » destinée à la fois à une tentative de conciliation et à l’organisation de la procédure sur une base de coopération entre les différents intervenants).
  • [47]
    Voir notamment : Pierre Guibentif (avec la collaboration de Vanda Gorjão et Rita Cheta), Comunicação social e representações do crime, Lisbonne, CEJ, 2002 (dont quelques résultats sont présentés dans Pierre Guibentif, « Le chameau dans le laboratoire. La théorie des systèmes et l’étude de la communication juridique quotidienne », Droit et Société, 47, 2001, p. 123-153) ; Manuel Villaverde Cabral, Jorge Vala et André Freire, Desigualdades sociais e percepções de justiça, Lisbonne, Imprensa de Ciências Sociais, 2003 ; António Manuel Hespanha (coord.), Inquérito aos sentimentos de justiça em ambiente urbano, Coimbra, Almedina, 2005 ; Boaventura de Sousa Santos, Maria Manuel Leitão Marques, João Pedroso et Pedro Lopes Ferreira, Os tribunais nas sociedades contemporâneas : o caso português, op. cit., chapitre 10.
  • [48]
    Slogan d’une campagne d’affichage qui peut être vue actuellement (avril 2006) sur le site web de la DGAE.
  • [49]
    Sur ce concept, voir Maria Eduarda Gonçalves, José Castro Caldas, Maria João Cortinhal, Pedro Costa et Ricardo Ferreira, « Justice and Efficiency : Managing the Value Conflict », op. cit.
  • [50]
    Boaventura de Sousa Santos, Maria Manuel Leitão Marques et João Pedroso, « Les tribunaux dans les sociétés contemporaines : le cas portugais », op. cit., p. 321.
  • [51]
    Niklas Luhmann, Das Recht der Gesellschaft, Francfort, Suhrkamp, 1993, p. 585 et suiv.
  • [52]
    Zygmunt Bauman, Liquid Modernity, Cambridge, Polity Press, 2000 ; sur Bauman et le droit, voir Jirí Pribán (ed.), Liquid Society and its Law, Aldershot, Ashgate, 2007.
  • [53]
    Gregorio Peces-Barba Martínez, Théorie générale des droits fondamentaux, Paris, LGDJ, coll. « Droit et Société. Série Droit », 2004.
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