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Article de revue

Devoir de vigilance : la norme de gestion comme source de droit ?

Pages 667 à 682

Notes

  • [1]
    Armand Hatchuel, « De l’industrie aux nouvelles “industriations”. Approche historique et critique du renouveau industriel », in Pierre Veltz et Thierry Weil (dir.), L’industrie, notre avenir, Paris : Éditions Eyrolles, 2015, p. 37-52.
  • [2]
    Du moins jusqu’à la récente loi Pacte, articles 169 et 176, qui modifie la définition de la société (le plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises, dite loi Pacte, a été promulguée le 22 mai 2019).
  • [3]
    Blanche Segrestin et Armand Hatchuel, Refonder l’entreprise, Paris : Le Seuil, coll. « La République des Idées », 2012.
  • [4]
    La norme de gestion désigne une règle d’action qui « légitime [la] capacité d’action [d’un individu] vis-à-vis d’autrui (ou sur ce qui concerne autrui) » : Armand Hatchuel, « Normes de gestion et action collective. De la societas romaine à l’entreprise de demain », in Blanche Segrestin et Kevin Levillain (dir.), La mission de l’entreprise responsable. Principes et normes de gestion, Paris : Presses des Mines, 2018, p. 27-54.
  • [5]
    D’autres exemples pourraient assurément être mis en avant, y compris en dehors de l’entreprise, comme le principe dit des « avaries communes ». Voir Armand Hatchuel, Kevin Levillain et Blanche Segrestin, « Réconcilier écologie et justice sociale grâce au principe des “avaries communes” », Le Monde, 15 janvier 2019 ; Blanche Segrestin et Armand Hatchuel, « Autorité de gestion et avaries communes : pour un complément du droit de l’entreprise ? », Finance Contrôle Stratégie, 14 (2), juin, 2011, p. 9-36.
  • [6]
    Voir, dans ce dossier, la contribution de Guillaume Delalieux, « La loi sur le devoir de vigilance des sociétés multinationales : parcours d’une loi improbable ».
  • [7]
    Stéphane Vernac, Droit du travail et droit des sociétés : contribution à l’étude du pouvoir d’organisation, thèse de doctorat, Université Paris Ouest Nanterre La Défense, 2012.
  • [8]
    Paul Mougeolle, « Sur la conformité constitutionnelle de la proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre », La Revue des droits de l’homme, mis en ligne le 15 février 2017, p. 1-33.
  • [9]
  • [10]
    Tatiana Sachs, « La loi sur le devoir de vigilance des sociétés mères et sociétés donneuses d’ordre : les ingrédients d’une corégulation », Revue de droit du travail, 10, 2017, p. 380-390.
  • [11]
    Article L. 225-102-4.-I. du Code de commerce, introduit par l’article 1 de la loi n° 2017-399 du 27 mars 2017 (nous soulignons).
  • [12]
    Ibid. (nous soulignons).
  • [13]
    Ibid. (nous soulignons).
  • [14]
    « The “Business Judgement Rule” grants that directors’ decisions cannot be challenged by stakeholders in normal situations, i.e. if they were made in good faith, on an informed basis, and “in the honest belief that the action taken was in the best interest of the company” » (Margaret M. Blair et Lynn A. Stout, « A Team Production Theory of Corporate Law », Journal of Corporation Law, 24 (4), 1999, p. 751-806, p. 787).
  • [15]
    Gérard Lyon-Caen, « Que sait-on de plus sur l’entreprise ? », Mélanges dédiés au Président Michel Despax. Toulouse : Presses de l’Université des sciences sociales de Toulouse, 2002, p. 33-48.
  • [16]
    Cela a des conséquences fortes sur le dialogue social : le dialogue social s’organise sur des objets périphériques à la gestion et au travail lui-même. On pourrait dire que le dialogue social a été structuré historiquement sur des objets qui évacuent le gouvernement de l’entreprise et plus largement ce qui fait entreprise.
  • [17]
    Blanche Segrestin, « Qu’est-ce que bien diriger ? Une question centrale pour l’entreprise responsable », in Blanche Segrestin et Kevin Levillain (dir.), La mission de l’entreprise responsable. Principes et normes de gestion, op. cit., p. 9-24.
  • [18]
    Voir Yuri Biondi, Arnaldo Canziani et Thierry Kirat (eds.), The Firm as an Entity. Implications for Economics, Accounting, and the Law, Londres : Routledge, 2007. E. Merrick Dodd, « For Whom Are Corporate Managers Trustees? », Harvard Law Review, xlv (7), 1932, p. 1145-1162. Jeroen Veldman, « The Separate Legal Entity and the Architecture of the Modern Corporation », in Nina Boeger et Caroline Villiers (eds.), Shaping the Corporate Landscape: Towards Corporate Reform and Enterprise Diversity, Oxford : Hart Publishing, 2018, p. 61-75.
  • [19]
    Les plus communs étant des droits de propriété.
  • [20]
    Romain Laufer et Alain Burlaud, « Légitimité », in Yves Simon et Patrick Joffre (dir.), Encyclopédie de gestion, Paris : Economica, 2e éd., 1997 ; Romain Laufer, « Quand diriger, c’est légitimer », Revue française de gestion, 111, 1996, p. 12-36.
  • [21]
    Dans la terminologie romaine, le terme (gerere) est apparu à la fin de l’ère de la République et pour caractériser une catégorie particulière de l’action : ni le fait d’agir (agere), ni de provoquer l’action (facere), mais donner le cadre d’une action responsable (Moira Crété, « La “gestion” à l’époque romaine : naissance d’une nouvelle catégorie de l’action collective », Entreprises et histoire, 90, 2018, p. 161-177).
  • [22]
    Armand Hatchuel, « Normes de gestion et action collective. De la societas romaine à l’entreprise de demain », op. cit.
  • [23]
    Jean-Philippe Robé, « L’entreprise oubliée par le droit », Journal de l’École de Paris, 32, 2001, p. 29-37.
  • [24]
    Cité par Jean-Marie Thiveaud, « L’ordre primordial de la dette. Petite histoire panoramique de la faillite, des origines à nos jours », Revue d’économie financière, 1993, p. 67-106 (p. 92).
  • [25]
    Charles Robert, De la liquidation judiciaire des sociétés : loi du 4 mars 1889 : sociétés de commerce proprement dites et sociétés civiles par actions, commercialisées par la loi du 1er août 1893, Paris : L. Larose, 1896.
  • [26]
    Natacha Coquery et Nicolas Praquin, « Règlement des faillites et pratiques judiciaire » Histoire & mesure [en ligne], xxiii (1), 2008.
  • [27]
    Charles Robert, De la liquidation judiciaire des sociétés : loi du 4 mars 1889..., op. cit.
  • [28]
    Nicolas Praquin, « Les faillites au xixe siècle. Le droit, le chiffre et les pratiques comptables », Revue française de gestion, 188-189, 2008, p. 359-382.
  • [29]
    Natacha Coquery et Nicolas Praquin, « Règlement des faillites et pratiques judiciaire », op. cit.
  • [30]
    Bouché & Cie, faillite du 19 septembre 1854, rapport du syndic du 1er octobre 1859, adp, D11U3 186 11918, cité dans ibid., p. 29.
  • [31]
    René Piret, « La responsabilité du fait des choses inanimées en droit français et en droit belge », Les Cahiers de droit, 3 (6), 1958, p. 152-170 ; François Ewald, « Formation de la notion d’accident du travail », Sociologie du travail, 23 (1), 1981, p. 3-13 ; Id., « La société assurantielle », Revue Risques, 1, 1990, p. 5-23.
  • [32]
    Louis Josserand, De la responsabilité du fait des choses inanimées, Paris : Arthur Rousseau, 1897.
  • [33]
    Raymond Saleilles, Les accidents de travail et la responsabilité civile. Essai d’une théorie objective de la responsabilité délictuelle, Paris : Arthur Rousseau, 1897 (nous soulignons), p. 6.
  • [34]
    Ibid., p. 19.
  • [35]
    François Ewald, « Formation de la notion d’accident du travail », Sociologie du travail, 23 (1), 1981, p. 3-13.
  • [36]
    Pierre Gandouin, Les accidents du travail : responsabilité des patrons, assurance, Paris : Giard, 1889.
  • [37]
    Raymond Saleilles, Les accidents de travail et la responsabilité civile. op. cit., p. 10. Nous soulignons.
  • [38]
    Proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre, version Assemblée nationale du 11 février 2015, p. 11 (nous soulignons).
  • [39]
    Véronique Camerer, Head of Monitoring – Accord on Fire and Building Safety in Bangladesh, intervention au colloque de Cerisy, 1er juin 2019. D’après V. Camerer, à la suite de la mise en cause d’une usine qui ne pouvait donc plus produire pour les marques signataires de l’Accord, le tribunal bangladais a été saisi et il a questionné l’existence même de l’Accord, en indiquant que le pouvoir réglementaire de l’Accord mettait en cause la souveraineté de l’État. En conséquence, il donnait six mois à l’Accord (l’organisation) pour transférer ses activités au Gouvernement. Cela a conduit à une négociation avec le Gouvernement et l’association des employeurs qui a duré un an. Le 19 mai 2019, un memorandum of understanding a été signé entre les parties ; il prévoit le transfert des infrastructures et des équipes de l’Accord à une nouvelle entité, le RMG Sustainability Council (RSC).
  • [40]
    Le statut de société à mission est réservé, quand la raison d’être est inscrite dans les statuts de la société, au fait de préciser « un ou plusieurs objectifs sociaux et environnementaux que la société se donne pour mission de poursuivre dans le cadre de son activité » (article L 210-10 du Code de commerce).

Introduction

1Le drame survenu le 24 avril 2013 au Rana Plaza a tragiquement mis en lumière certains travers de la mondialisation : celle-ci a entraîné non seulement un mouvement de désindustrialisation des pays occidentaux, mais aussi le retour de formes productives rudimentaires, sans effort d’« industriation »[1], c’est-à-dire des formes qui ne fondent leur compétitivité que sur le très faible coût de la main d’œuvre et l’absence de sécurisation de celle-ci. Dans le cas du textile, l’organisation de la production s’est faite avec une cascade de sous-traitants et l’installation d’ateliers de fabrication dans les pays les moins-disants et les moins protecteurs, où les inspections du travail et les droits syndicaux étaient singulièrement défaillants. Dans ces conditions, là où elle est attendue pour être vecteur de développement économique et social, l’entreprise se révèle destructrice de compétences comme de sécurité au travail, et in fine irresponsable.

2Ce drame montre l’échec relatif des politiques classiques de responsabilité sociale des entreprises (RSE). Mais plus fondamentalement, il met aussi en lumière les limites du droit qui entourent l’entreprise. Non seulement le droit autorise une société à ne poursuivre qu’un intérêt privé [2], mais surtout l’ingénierie juridique rend possibles des montages complexes de sous-traitance et de filiales, qui empêchent de propager la responsabilité d’une entité à une autre. D’où le paradoxe de la mondialisation : les engagements les plus ambitieux en termes de RSE d’une maison mère n’impliquent pas la cascade de ses sous-traitants. Le cas du Rana Plaza montre donc qu’au-delà du périmètre de chaque société, l’entreprise, comme le groupe, n’a pas d’existence légale [3] et cette absence de conceptualisation empêche de penser les conditions de sa responsabilité. La loi sur le devoir de vigilance marque ici une avancée très significative.

3Dans cet article, nous souhaitons analyser le procédé de responsabilisation très atypique auquel recourt la loi sur le devoir de vigilance. Le droit prend en effet ici ses sources dans ce que nous appellerons, à la suite de nos précédents travaux [4], une norme de gestion : il ne qualifie pas une responsabilité classique des donneurs d’ordres pour les dommages occasionnés par ses commandes chez leurs sous-traitants. Il impose plutôt aux donneurs d’ordres d’établir et de mettre en œuvre un « plan de vigilance » destiné à identifier et prévenir les risques.

4Ce procédé consiste donc pour le droit à puiser un principe de responsabilité dans des normes de gestion. Il nous semble indispensable de caractériser cette « source » particulière du droit, c’est-à-dire de préciser les conditions théoriques et pratiques de ce recours ainsi que ses implications, notamment sur les conditions d’effectivité de la loi. Nous employons ici le terme de « source du droit » dans un sens différent de celui qui est d’usage chez les juristes, lorsqu’ils étudient la généalogie des règles juridiques applicables dans les textes, la coutume ou la doctrine. Nous utilisons ici la notion de « source » dans un sens plus commun pour décrire un processus de construction technique et de légitimation : dans ce sens, le droit puise nécessairement aux savoirs et aux expertises de son temps.

5L’article est organisé en trois temps. Nous montrons, dans un premier temps, en quoi la loi sur le devoir de vigilance repose sur un principe de responsabilité atypique que nous proposons d’expliquer au travers de la notion de « norme de gestion ». Cette dernière permet en effet de rendre acceptable et légitime une action malgré le fait qu’elle génère des risques sur autrui en explicitant les conditions dans lesquelles elle peut être conduite de manière responsable. Une telle norme, on le voit, suppose un savoir préalable, un ensemble de connaissances et de techniques typiquement gestionnaires. La norme de gestion vient alors poser dans la loi ce qu’est la « bonne gestion », c’est-à-dire la gestion qui n’est pas ordonnée à la recherche d’un intérêt privé, mais qui est conduite de manière responsable. Selon nous, les normes de gestion sont essentielles car, loin de s’opposer à la liberté d’entreprendre, elles organisent les conditions de possibilité de cette liberté. Dans un second temps, nous soulignons la portée de ce modèle de la norme de gestion. Nous revenons pour cela sur des précédents historiques et emblématiques : le droit de la faillite ou encore la loi sur les accidents du travail reposent en effet eux-mêmes sur des normes de gestion [5]. Dans un dernier temps, nous étudions les implications du modèle : il nous semble que celui-ci est d’autant plus utile qu’il permet d’identifier les conditions d’effectivité critiques pour le devoir de vigilance. Et nous concluons en soulignant la portée fondamentale du devoir de vigilance. Celui-ci traverse les frontières de la société et fait obligation à l’entreprise de bien gérer les risques de violation des droits fondamentaux des personnes et les risques environnementaux tout au long de la chaîne d’approvisionnement. Une telle obligation de vigilance, étendue aux risques non encore connus, pourrait constituer une norme constitutive de l’entreprise en droit.

I. Le devoir de vigilance et la reconnaissance d’une norme de gestion

6Comment comprendre la loi sur le devoir de vigilance ? Cette loi, qui a suscité de très vifs débats [6], surprend : elle ne se limite pas à des principes de prudence minimale, elle ne qualifie pas de responsabilité classique pour dommage (type pollueur-payeur), ni de responsabilité contractuelle. La loi ne cherche pas à saisir le « pouvoir d’organisation » des donneurs d’ordres [7]. Nous nous arrêtons ici sur le texte de loi : après avoir saisi sa singularité (I.1), nous montrons qu’elle relève d’une norme de gestion et nous nous efforçons de caractériser cette notion (I.2).

I.1. La singularité de l’obligation : un plan de vigilance

7Durant les débats qui ont précédé la promulgation de la loi, plusieurs critiques majeures étaient formulées par ses détracteurs. Nous ne les étudierons pas en détail, mais nous évoquerons les deux principales argumentations. D’abord, les opposants à la loi craignaient des obligations coûteuses et disproportionnées ainsi qu’une atteinte à la liberté d’entreprendre et au secret des affaires, du fait notamment d’une obligation de transparence. Ensuite, ils y voyaient le risque d’introduire une distorsion majeure du droit en créant une responsabilité pour le fait d’autrui. En effet, dans le cas de sous-traitants juridiquement autonomes, le nouveau cadre légal ne pourrait-il conduire à imputer au donneur d’ordre la négligence des premiers [8] ? C’est ce que craint par exemple le sénateur Christophe-André Frassa, dans son intervention au Sénat du 5 octobre 2016 :

8

Comme la société qui établit le plan doit le mettre en œuvre « de manière effective », y compris à l’égard de ses sous-traitants à l’étranger, dans quelle mesure cette disposition n’invitera pas le juge à avoir une conception plus extensive de la faute de la société en cas de manquement de sous-traitant, aboutissant de fait à une forme dégradée de responsabilité du fait de la faute d’autrui, c’est-à-dire d’un sous-traitant à l’étranger, indépendamment de la recherche de la responsabilité de ce sous-traitant selon ses lois nationales [9].

9Pourtant, la loi sur le devoir de vigilance ne cherche ni à imputer un dommage ni à établir la cause du dommage. Comme l’a montré Tatiana Sachs, la loi combine différents dispositifs d’autorégulation et de contrôle interne et externe, avec une puissance normative réelle [10]. En pratique, elle impose uniquement l’établissement d’un plan de vigilance. En effet, rappelons le texte de la loi :

10

Toute société qui emploie, à la clôture de deux exercices consécutifs, au moins cinq mille salariés en son sein et dans ses filiales directes ou indirectes dont le siège social est fixé sur le territoire français, ou au moins dix mille salariés en son sein et dans ses filiales directes ou indirectes dont le siège social est fixé sur le territoire français ou à l’étranger, établit et met en œuvre de manière effective un plan de vigilance[11].

11Ce plan est ensuite décrit plus précisément, d’abord dans son objectif général :

12

[Il] comporte les mesures de vigilance raisonnable propres à identifier les risques et à prévenir les atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ainsi que l’environnement, résultant des activités de la société et de celles des sociétés qu’elle contrôle au sens du II de l’article L. 233-16, directement ou indirectement, ainsi que des activités des sous-traitants ou fournisseurs avec lesquels est entretenue une relation commerciale établie, lorsque ces activités sont rattachées à cette relation [12].

13Puis dans sa composition :

14

« Il comprend les mesures suivantes :
Une cartographie des risques destinée à leur identification, leur analyse et leur hiérarchisation ;
Des procédures d’évaluation régulière de la situation des filiales, des sous-traitants ou fournisseurs avec lesquels est entretenue une relation commerciale établie, au regard de la cartographie des risques ;
3° Des actions adaptées d’atténuation des risques ou de prévention des atteintes graves ;
4° Un mécanisme d’alerte et de recueil des signalements relatifs à l’existence ou à la réalisation des risques, établi en concertation avec les organisations syndicales représentatives dans ladite société ;
5° Un dispositif de suivi des mesures mises en œuvre et d’évaluation de leur efficacité [13].

15Ce qu’il faut souligner ici, c’est que la loi énonce et impose des règles de bonne gestion : elle rappelle d’abord les principes et des méthodes qui appartiennent au corpus de connaissances bien établies de la gestion des risques. La loi se réfère ici à une gestion de risques particulière qui s’applique au cas des risques « avérés », c’est-à-dire, (a) des risques connus et clairement répertoriés ; (b) des risques « gérables », autrement dit pour lesquels des actions collectives préventives ou limitatrices sont aussi connues et possibles. On pourrait alors objecter : pourquoi la loi a-t-elle besoin d’imposer des règles qui devraient découler de l’intérêt bien compris des dirigeants ? Cette question renvoie donc aux hypothèses théoriques sous-jacentes du droit. Elle nous amène à mieux expliciter ce qu’est une « norme de gestion » et pourquoi elle ne vise pas la maximisation de l’intérêt de celui qui l’applique.

I.2. Qu’est-ce qu’une « norme de gestion » : éléments théoriques

16A priori, le droit ne dit pas ce que signifie « bien gérer » : il pose au contraire le principe de la liberté d’entreprendre ou du « jugement de l’employeur » (règle de l’« employeur seul juge » en France, ou « Business Judgment Rule » aux États-Unis) [14]. On peut même considérer que le droit a de manière constante cherché à éviter de s’immiscer dans les choix de gestion ou de les évaluer. Et le juge ne peut pas en principe se prononcer sur l’opportunité des choix de gestion : selon Gérard Lyon-Caen [15], par exemple, le droit du travail serait un droit des « conséquences » (administration des relations au travail) et non un droit de la gestion elle-même [16]. Il y a plusieurs raisons à cela : la gouvernance a été polarisée sur les questions de contrôle davantage que sur celles de gestion elle-même ; ensuite, « l’idée même de normer le comportement des dirigeants et de leur assigner des obligations à l’égard de différentes parties a été assez tôt rejetée au niveau théorique » [17]. Outre le manque des compétences des juges pour évaluer les décisions de gestion, il s’agit aussi de préserver la latitude de gestion des dirigeants qui doivent prendre en compte des parties prenantes diverses. Le droit a donc surtout retenu la norme de l’intérêt social, c’est-à-dire l’intérêt de la personne morale, entendue comme une entité séparée (« separate legal entity ») [18]. C’est d’ailleurs dans cette même perspective que le courant de la RSE a historiquement privilégié des normes volontaires, par opposition à des devoirs légaux imposés aux administrateurs ou aux dirigeants d’entreprise.

17Il est vrai que, dans la conception commune de la modernité libérale, le droit protège des intérêts [19] et consacre la liberté d’entreprendre. L’héritage et la perspective théoriques des sciences de gestion ne s’inscrivent pas dans la tradition libérale qui organise un débat entre intérêt individuel et État. Certes, il y a accord sur le fait que la fonction dirigeante consiste à élaborer des règles d’action qui lui sont propres [20]. Mais ces règles d’action ont, par nature, des effets sur d’autres acteurs que les dirigeants eux-mêmes. Il faut donc que ces règles d’action soient aussi des règles qui engagent une action responsable vis-à-vis des tiers. Aussi la norme de gestion ne découle-t-elle pas nécessairement de l’intérêt, même bien compris, de chacun ! Sur quoi repose donc une « norme de gestion » ? Elle émerge d’une rationalisation nouvelle de l’action qui se propage d’abord dans la société par influence, mimétisme ou apprentissage, et qui va ensuite être imposée par la loi comme norme redéfinissant les responsabilités relatives des acteurs. Remarquons qu’il n’est pas besoin ici de postuler que la norme de gestion fixée par la loi incarne l’« intérêt général ». Cette hypothèse est trop exigeante et renvoie à un corpus théorique qui n’est pas ici nécessaire.

18Par norme de gestion, nous entendons ici – il convient de le rappeler – non pas ce qui conduit un acteur à défendre au mieux ses intérêts, mais une règle d’action qui conditionne, donc rend possible et responsable, sa capacité d’action vis-à-vis d’autrui, et en particulier ce qui peut rendre acceptable, une fois cette règle fixée et respectée, la poursuite par chacun d’un profit individuel [21]. Selon cette perspective, une norme de gestion « libère l’action collective en fixant les règles qui lui permettent d’exister » [22]. Dans ce cadre théorique, la bonne gestion n’est donc plus assimilable à la rationalité classique de la poursuite de l’intérêt individuel. Elle désigne nécessairement un couplage local, historiquement situé, entre efficacité (pour soi) et responsabilité (vis-à-vis d’autrui).

II. Quand le droit se fonde sur la norme de gestion : des antécédents historiques

19La loi sur le devoir de vigilance fixe donc une norme de gestion quand les logiques d’efficacité productives poussent à des comportements irresponsables dans le contexte de la mondialisation. Ce raisonnement n’est cependant pas inédit dans l’histoire du droit. S’il n’a pas été théorisé, c’est sans doute en partie parce qu’il remet en cause les principes libéraux du droit. Nous allons voir que le devoir de vigilance avait d’illustres antécédents. Car la responsabilité du dirigeant d’entreprise n’était pas pensable dans le seul cadre de la modernité libérale.

20Dans cette partie, nous proposons un détour historique sur deux cas bien documentés : nous allons voir que la loi sur les faillites de 1889 (II.1) et celle sur les accidents du travail de 1898 (II.2) étaient elles-mêmes construites par le recours à des normes de gestion. Dans ces deux moments fondamentaux du droit de l’entreprise, il a fallu introduire un corpus de connaissances spécifiques, le savoir qui permet de reconnaître la « bonne gestion », pour constituer la responsabilité. Cette dernière n’est alors plus liée à la survenue d’un dommage, mais au respect des normes de gestion. Ces deux cas permettent selon nous de montrer l’importance du recours en droit à la norme de gestion. Mais ils illustrent aussi les principes opératoires de ces normes. En particulier, ils montrent qu’un principe de solidarité doit prévaloir si les risques considérés – et que l’on cherche à prévenir – surviennent malgré le respect de la norme de gestion.

II.1. La loi sur les faillites de 1889

21Jusqu’en 1889, le défaut de paiement et l’incapacité à rembourser des dettes impliquaient la faillite de la société et celle-ci signifiait aussi, pour le gérant, la déchéance des droits civiques et l’impossibilité de commercer. On assimilait le dommage lié à une créance non perçue comme le résultat d’une faute. Les conséquences de la faillite étaient donc sévères et ce n’est qu’en 1889 que la loi a reconnu que l’entrepreneur pouvait faillir « de bonne foi ». Pour assouplir un droit des affaires jugé de plus en plus comme trop rigide, les débats ont été longs et intenses tout au long du xixe siècle [23]. Pour Alexandre Millerand, qui défend une réforme dès les années 1880, l’enjeu était double :

22

Épargner au commerçant malheureux et honnête la flétrissure de la faillite et les nombreuses incapacités légales qui en sont la suite ; rendre moins compliquée et plus productive l’administration des biens du débiteur qui a cessé ses paiements : tels sont les deux buts à atteindre... [24].

23Le contexte est particulier : avec la libéralisation de la société anonyme, il devenait compliqué de tenir en faute les associés. Et si les incapacités dont la loi frappe le failli ne concerne pas les associés, elles ne peuvent non plus viser la personne morale qu’est la société. En outre, comme le souligne Charles Robert, la rigidité de la réglementation sur les faillites apparaît contreproductive à l’heure où les effets positifs et vertueux de l’aventure industrielle sont de plus en plus reconnus. Il écrit (p. 5) :

24

Actuellement, à la suite des grandes découvertes scientifiques qui feront la gloire du xixe siècle, à la suite de l’application commerciale et industrielle de la valeur, du gaz, de l’électricité, de vastes entreprises ont été créées, des sociétés colossales ont été fondées. À côté de ces géants, se placent des sociétés plus modestes, mais qui, dans leur sphère, remplissent, elles aussi, un rôle utile, nécessaire et fécond. Nous assistons tous les jours à la naissance de ces êtres fictifs, à leur développement, à leur ruine et à leur mort. Ils constituent donc évidemment un élément de la plus grande importance et du plus haut intérêt [25].

25La loi de 1889 va donc modifier profondément le droit des faillites, d’abord avec le régime de liquidation judiciaire :

26

Le commerçant – ou la société – défaillant(e), assisté(e) du syndic, continue à gérer les affaires courantes. Contrairement à la faillite, il s’agit de parvenir à la signature d’un concordat simple (par remise de dettes) ou par abandon d’actif (qui remplace l’ancienne clôture pour insuffisance d’actif). En cas d’échec du concordat ou par décision du tribunal, le débiteur retombe dans le système antérieur de la faillite (union ou banqueroute), avec les déchéances qu’il entraîne [26].

27Il est donc clairement admis qu’entreprendre génère des risques et que les risques de faillite valent la peine, collectivement, d’être encourus. Reste un problème, pour que la faillite soit admissible, il faut savoir distinguer entre les honnêtes faillis et les escrocs. La faillite ne constitue un comportement à la fois efficace et responsable que si elle intervient alors même que le dirigeant a eu un « bon comportement ». Il fallait donc trouver le moyen « le plus ingénieux et le plus pratique de distinguer et de traiter différemment le débiteur indigne d’intérêt, et le débiteur honnête qui ne doit pas subir une qualification déshonorante et encourir de très graves incapacités » [27].

28Or, pour distinguer le commerçant fautif ou malhonnête et le failli « malheureux et de bonne foi » qui peut bénéficier du régime de la liquidation judiciaire, la loi va tirer parti de la vague de rationalisation et de normalisation des comptes qui est en pleine expansion [28]. Natacha Coquery et Nicolas Praquin montrent comment les syndics évaluent la bonne comptabilité des entrepreneurs et objectivent ainsi la défaillance [29]. Ils citent, en exemple, les accusations de l’expert dépêché par le syndic de la société Rigal & Cie :

29

« En résumé, désordre dans la comptabilité, inaptitude du gérant, mauvaise administration, frais généraux excessifs, pour ne pas dire gaspillage de l’actif, et insuffisance du capital, telles sont les causes, qu’il me paraît juste d’assigner à la faillite de la société Rigal & Cie ». A contrario, l’expertise peut aussi dédouaner le failli : « L’état des écritures, qui n’ont pas été tenues avec régularité, ne m’a pas permis de me rendre exactement compte des opérations, mais il m’a été facile de reconnaître que la gestion du sieur Bouché ne présentait aucun caractère de fraude ni de mauvaise foi » [30].

30Ainsi, le concordat et le régime de la liquidation judiciaire reposent explicitement sur un modèle de la « bonne gestion » que l’on peut caractériser par quatre principes opératoires :

31

  • Tout gérant agit non plus en son nom propre mais au nom d’un collectif (ici, la société anonyme) et son action, même honnête et de bonne foi, est susceptible d’engendrer des risques pour autrui.
  • Il existe un savoir et des techniques de gestion, en l’occurrence les règles de la comptabilité, qui permettent de juger de la bonne foi de la défaillance. Celle-ci est honnête et acceptable, pour la collectivité, à la condition expresse que le gérant se soit comporté de manière responsable, c’est-à-dire qu’il ait bien tenu sa comptabilité et ses obligations à l’égard des tiers. Ces techniques de gestion assurent aussi une logique d’efficacité dans la conduite du dirigeant, elles ne créent pas d’irrationalité majeure de l’action (ce serait le cas si la tenue des comptes était trop lourde ou trop coûteuse).
  • Si le « débiteur honnête » est reconnu comme tel, il ne doit alors ni subir de qualification déshonorante ni encourir de graves incapacités. En revanche, les créanciers supportent les dettes solidairement.

32À quelques années d’intervalle, la loi sur les accidents du travail marque aussi le recours à une norme de gestion. De plus, elle organise une rupture dans le droit en consacrant l’émergence de l’entreprise moderne.

II.2. La loi sur les accidents du travail de 1898

33La loi sur les accidents du travail a été considérablement commentée et discutée [31]. Nous nous en tiendrons aux seuls éléments qui comptent pour notre propos. On sait qu’en imputant une responsabilité sans faute à l’employeur la loi de 1898 déroge profondément aux principes en vigueur en matière de responsabilité. Jusque-là, les accidents du travail relevaient du Code civil de 1804, plus précisément de son article 1382 : « Tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. »

34Mais l’accident du travail, et c’est là la nouveauté, ne relève ni du dommage causé par une faute ni de la responsabilité contractuelle. Il ne correspond pas non plus à un cas de responsabilité du fait d’autrui. Aux termes de longs débats, les juristes aboutiront à la thèse de la responsabilité objective en avançant deux éléments novateurs.

35Le premier élément est la qualification d’un nouveau risque : le risque professionnel. Avec le progrès de l’industrie et surtout l’arrivée du machinisme dans les ateliers, les conditions concrètes de travail évoluent. Non seulement les risques se multiplient mais ils changent de nature. Pour Louis Josserand :

36

En devenant industriel et mécanique, le risque devient aussi anonyme […]. Nous sommes bien en présence du fait de l’industrie, de l’accident anonyme, du risque professionnel résultant de l’emploi de machines dans des conditions normales [32].

37Raymond Saleilles renchérit sur cette ligne :

38

Le risque professionnel n’est qu’une application particulière de cette théorie générale : c’est la rançon du machinisme et de l’industrie moderne ; c’est la part inévitable d’inconnu qu’il faut subir lorsqu’on se livre à ces terribles engrenages devant lesquels l’initiative de l’ouvrier disparaît presque, si même celui qui les manie peut être autre chose qu’un instrument presque passif au milieu d’autres moteurs purement mécaniques. Parler de faute en présence de cet inconnu redoutable, c’est vouloir prétendre régler et connaître à un degré près les forces de la nature dans ce qu’elles ont de plus foudroyant et de plus terrible [33].

39Il s’agit donc là aussi, moins de faute que de risques inédits à assumer dans l’intérêt de tous ceux qui s’y soumettent, et la question devient celle de la prévention et du partage du risque. Voici dès lors le deuxième élément novateur : ces risques, s’ils valent la peine globalement d’être encourus, doivent être assumés par ceux qui initient l’action collective et en tirent le cas échéant les bénéfices possibles : les employeurs.

40Reste que là encore, et c’est le point capital, le risque n’est acceptable que si l’employeur s’est conduit comme un maître responsable ! Mais de quoi s’agit-il ? À quel maître faire référence ? À nouveau, la notion de norme de gestion apparaît comme un socle cognitif indispensable à l’édifice, et en particulier à la possibilité d’une assurance pour les employeurs. R. Saleilles formule clairement le changement de perspective : il invite à passer d’une obligation relevant de la propriété, principe classique de la modernité libérale, à une obligation relevant « du chef de la maîtrise et de la direction industrielles » [34].

41Car l’accident n’est assurable que si le risque est exogène, indépendant de l’action de l’employeur. Comme le rappelle François Ewald [35] en citant Pierre Gandouin [36] : « le dommage ne doit pas avoir été voulu : le mot l’indique. Si la catastrophe est le résultat d’un acte volontaire, il y a crime, il y a délit, il n’y a plus accident ». Autrement dit, si l’action collective génère un risque, il faut que la tenue générale de l’atelier respecte les règles de sécurité en vigueur. En d’autres termes, que l’employeur respecte les normes de bonne gestion…

42R. Saleilles, à nouveau, ne dit pas autre chose : il reconnaît que la théorie du risque professionnel va de pair avec l’obligation pour l’employeur de respecter les règles de l’industrie.

43

« On en arrive à imposer aux patrons, par voie de sanction indirecte, des règlements d’atelier et tout un ensemble de prescriptions générales que l’on considère comme devant entrer aujourd’hui dans les usages de l’industrie ». Aussi il y a bien faute de l’employeur – et responsabilité – s’il ne s’est pas conformé aux normes de gestion : « Ce n’est plus la faute directe à laquelle se rattache l’accident ; c’est l’aménagement général de l’industrie, c’est la tenue de l’usine qu’elle incrimine ; et parce que le patron, d’une façon générale, ne s’est pas conformé aux usages reçus, comme sanction, elle lui impose tous les risques » [37].

44Pour résumer, nous retrouvons encore une situation qui présente les mêmes principes opératoires :

45

  • L’action collective est initiée et conçue par l’employeur. Celle-ci est susceptible de créer un risque.
  • Le risque n’est pas nécessairement lié à une faute de la part de l’employeur ; il doit cependant être assuré. Mais cette couverture n’est effective que dans la mesure où l’employeur s’est conformé aux usages et prescriptions établies, relatives à la sécurité industrielle. Là encore, le droit ne peut qualifier une responsabilité que s’il peut s’appuyer sur un milieu professionnel qui a constitué un corpus de connaissances et de règles appropriées.
  • Si l’employeur s’est comporté de manière « responsable », c’est-à-dire qu’il a bien appliqué l’ensemble des prescriptions en vigueur, alors les risques sont solidarisés, et les dommages pris en charge par l’assurance de l’employeur.

46Le modèle de raisonnement et d’imposition d’une norme de gestion, dont nous venons de donner deux exemples, vaut pour les risques connus et qui peuvent être bien gérés par des méthodes établies. Il restera toujours des risques imprédictibles mais ils sont considérés comme acceptables et assurables. Quant à la responsabilité, elle se définit désormais non par rapport au risque lui-même mais par rapport au respect et à la bonne exécution de la norme de gestion : elle n’est pas liée à la survenue d’un dommage, mais davantage au respect des normes de gestion. Lorsque c’est le cas, l’action du dirigeant est réputée « avisée », c’est-à-dire conduite en connaissance de causes, prudente et soucieuse des intérêts d’autrui. Et ce n’est que lorsque ces conditions sont réunies qu’il y a solidarité de la société avec cette action collective.

III. Implications : retour sur les conditions d’effectivité du devoir de vigilance

47Ce détour historique visait surtout à montrer comment le droit avait eu besoin de recourir, sur des sujets clés pour l’entreprise, à un corpus gestionnaire pour penser la responsabilité du gérant ou du chef d’entreprise. Mais les cas historiques soulignent deux autres éléments : d’une part, la formulation de la norme de gestion renvoie à un corpus de connaissances qui lui-même est évolutif. Les règles comptables comme les règles en matière de sécurité au travail n’ont cessé d’évoluer pour suivre les transformations des activités elles-mêmes. La norme de gestion est donc d’autant plus efficace qu’elle renvoie à un corpus qui est régulièrement mis à jour. D’autre part, le droit introduit, dans les deux exemples précédents, un principe de solidarité : l’action est menée dans un intérêt commun malgré les risques qu’elle comporte. Les parties intéressées sont donc liées, notamment si un dommage survient, malgré le respect des normes de gestion : les créanciers sont solidaires face aux dettes, et les employeurs doivent s’assurer pour faire face aux accidents du travail.

48Ces éléments nous permettent de revenir sur deux aspects de la loi sur le devoir de vigilance qui en expriment à la fois le potentiel tout en posant les conditions de son effectivité. Il s’agit plus précisément de la constitution d’une expertise en matière de risques connaissables et gérables (III.1) et de la stimulation d’un dispositif partagé de prévention (III.2).

III.1. Constituer l’expertise en matière de risques connaissables et gérables

49La loi sur le devoir de vigilance formule clairement une norme de gestion : s’il ressort du plan de gestion des risques que les conditions de travail chez les sous-traitants exposent les travailleurs à des risques gérables, alors les donneurs d’ordre sont en faute s’ils contractent avec eux sans mesure corrective. De même, l’absence de plan ou d’un plan de qualité pourrait constituer une faute. Cependant, on voit bien que la mise en œuvre de cette norme appelle un arsenal de connaissances et de dispositifs permettant de qualifier les risques, d’établir les normes de sécurité et de surveiller les établissements des fournisseurs. Cette expertise opératoire est indispensable, comme le soulignait d’ailleurs le projet de loi : « ce plan de vigilance devra comporter les mesures raisonnables propres à prévenir les atteintes et risques préalablement identifiés ». La responsabilité des sociétés est engagée uniquement « sur les risques qu’elles auraient raisonnablement pu éviter » [38].

50L’effectivité de la loi dépend donc de l’étendue, de la disponibilité et de l’accessibilité des connaissances en matière de santé, de sécurité des personnes ainsi que d’atteintes à l’environnement.

51En prescrivant un plan de vigilance, la loi demande donc aux entreprises visées de se doter des moyens les plus efficaces et les plus adaptés à une bonne gestion de leurs chaînes d’approvisionnement. Rien ne permet aujourd’hui d’attester que les entreprises disposent de ces outils. Pour certains, la loi sur le devoir de vigilance est même un exemple de norme de gestion dont la mise en œuvre peut se révéler peu praticable. Certains grands groupes qui travaillent avec des dizaines de milliers de fournisseurs déclarent qu’ils ne sont pas toujours en mesure d’établir un plan de risques aux normes, ni même d’organiser un reporting et un suivi fiables de ce qui se passe chez certains de leurs fournisseurs locaux.

52Le devoir de vigilance requiert donc, pour être effectif, le développement de techniques, de formations et d’intervenants (services, conseils, audits...) qui pourront aider les entreprises à mettre en œuvre avec professionnalisme leurs plans de vigilance. Seul le recours possible à une telle expertise permettra à la justice de juger, en cas de plainte, de la réalité et de la qualité du plan de vigilance. Aussi l’énoncé d’une norme de gestion, devenue légale, devrait impulser l’élaboration de référentiels partagés sur l’analyse des risques et les mesures pour y remédier.

III.2. Stimuler des dispositifs partagés de prévention et gestion des risques

53Si la loi n’évoque pas de prise en charge partagée des dommages, en revanche, on peut aussi s’attendre à ce qu’elle lie entre eux les donneurs d’ordre et les entreprises, notamment pour mesurer les risques et développer les mesures pour y remédier. À cet égard, certaines expériences comme celle du consortium « Accord » sont particulièrement intéressantes et juridiquement innovantes.

54L’Accord on Fire and Building Safety (Accord) au Bangladesh a été signé en 2013 entre deux syndicats internationaux et 200 sociétés du secteur de l’habillement. L’organisation mise en place par l’Accord doit établir les conditions concernant la sécurité incendie et bâtiment, et pour cela mettre en place une inspection indépendante des ateliers et organiser des comités dans chaque atelier avec des représentants des ouvriers et des employeurs et des mécanismes pour faire remonter les plaintes. Ce dispositif était juridiquement engageant, dans la mesure où des procédures pouvaient être initiées pour poursuivre les entreprises qui ne respectaient pas leurs obligations. En pratique, une centaine d’ingénieurs avait été recrutée pour faire de l’évaluation des bâtiments mais aussi de la formation. Conclu en 2013 pour une durée de cinq ans, le dispositif n’a toutefois pas été reconduit à l’identique en 2018 : le gouvernement du Bangladesh mettant en cause la légitimité de la pérennité d’une telle organisation internationale dans ses activités de régulation sur son territoire [39].

55Reste que, sans ce type de structure collective innovante, l’application du devoir de vigilance dans les pays où le droit du travail et l’inspection des bâtiments sont défaillants, se heurte à l’absence d’évaluation rigoureuse et objective des risques.

Conclusion. Une nouvelle norme de gestion pour la constitution de l’entreprise

56Dans cet article, nous avons montré que la loi sur le devoir de vigilance instaure une obligation dont le fondement se distingue de la responsabilité classique pour faute, dans la mesure où la loi ne cherche pas à imputer le dommage au donneur d’ordre. La loi est certes sanctionnée par la responsabilité civile pour faute, mais la faute tient alors à la défaille du plan de vigilance. La loi ne repose pas non plus sur une responsabilité pour fait d’autrui ou une responsabilité contractuelle. Elle introduit en effet une norme de gestion – l’obligation d’un plan de vigilance – et s’inscrit en ce sens dans une lignée importante de lois dont la théorisation systématique était manquante. Nous avons montré toutefois la portée du schéma de la norme de gestion au travers de deux exemples historiques : la loi sur la liquidation judiciaire et celle sur les accidents du travail s’inscrivent en effet dans cette même lignée. Dans chaque cas, il est demandé aux sociétés et à leurs dirigeants de faire la preuve qu’ils ont mis en œuvre les dispositifs et les mesures qu’impose une norme de gestion. Celle-ci constituant l’étalon d’un comportement responsable face à des risques connus.

57D’un point de vue théorique, il apparaît que la norme de gestion ne vise pas la recherche de l’intérêt individuel. Elle découle plutôt du principe que l’action ne peut être conduite sans une règle de responsabilité vis-à-vis des tiers. Or, cette responsabilisation ne peut être attestée et reconnue que s’il existe un savoir préalable qui qualifie, dans les circonstances considérées, la « bonne gestion », et c’est elle qui est alors posée par la loi comme « norme de gestion ». Cette caractérisation a plusieurs intérêts pour la recherche.

58Elle nécessite d’abord une discussion, que nous avons entamée, sur les conditions d’effectivité de la loi. Car les effets de la loi dépendront des connaissances partagées et objectivables des risques, et d’autre part de la capacité des acteurs à étendre ces outils et des méthodes à mesure que des difficultés inattendues apparaîtront. Tant dans son introduction que dans sa pérennisation, la norme de gestion est indissociable d’un monde social et technique d’experts, de formateurs, d’outils dont la qualité et la capacité d’innovation détermineront sa valeur et sa survie.

59Cependant, on peut voir le devoir de vigilance comme une étape dans une mutation plus large. Car la vigilance qui est requise vis-à-vis des risques fondamentaux sur toute la chaîne d’approvisionnement préfigure une responsabilité plus constitutive de l’entreprise elle-même. Dans ce cas, la norme de gestion ne porte plus sur des risques prédéfinis, mais sur la place de l’entreprise dans la société.

60Jusqu’à présent, l’article 1833 du Code civil disposait que la société, donc le véhicule juridique de l’entreprise, était « constituée dans l’intérêt commun des associés ». Et le droit précisait comment mettre en œuvre cette injonction en disposant que les responsabilités qu’ont les associés entre eux. On pourrait d’ailleurs reprendre l’histoire des normes de gestion des associés. Néanmoins, l’entreprise était constituée dans l’intérêt des associés, et c’est cette norme qui a été progressivement contestée. Car l’action de l’entreprise est par elle-même une source majeure de risques, si elle ne poursuit que le seul intérêt des associés. Et c’est donc une révision fondamentale qu’opère la loi Pacte adoptée le 22 mai 2019, en constituant la société sur un cadre général de responsabilité vis-à-vis d’autrui et non plus seulement d’intérêt.

61La loi Pacte généralise le devoir de vigilance en modifiant l’article du Code civil qui définit la société. L’article 1833 est désormais rédigé de la manière suivante : « la société est gérée dans son intérêt social en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité ». La loi introduit aussi la possibilité, pour toute société de se doter d’une raison d’être et de devenir une société à mission. Une raison d’être, pour une société, est « constituée des principes dont la société se dote et pour le respect desquels elle entend affecter des moyens dans la réalisation de son activité » (article 1835 du Code civil) [40].

62Raison d’être et mission ne sont donc plus seulement des normes de gestion associées à la rationalisation d’un risque particulier. Elles se présentent comme des normes de gestion constitutives des sociétés et de leur impact. Ces nouvelles normes permettent aux entreprises de s’assigner volontairement et statutairement des normes de gestion sans que l’État ne l’impose. Elles instaurent une réflexivité responsable de l’entreprise par rapport à ses parties prenantes et au monde. Réflexivité qui tient compte de l’intérêt, des associés, mais qui ne se réduit plus à sa seule poursuite. Réflexivité également autonome dans la mesure où l’entreprise peut se donner des engagements sans qu’existent au préalable les connaissances ou les méthodes qui permettraient d’établir la norme correspondante. Aussi l’entreprise peut-elle se doter d’idéaux ou de missions qui exigent nécessairement de la recherche et de l’innovation. La société n’est plus un agent défini par son intérêt social ou celui de ses associés. La loi fonde un acteur pleinement conscient des risques que son action implique mais aussi des attentes et des espoirs auxquels il peut apporter sa contribution. Les conséquences d’une telle conception de l’entreprise restent encore à explorer. Mais nul doute qu’avec le devoir de vigilance et ces nouvelles normes de gestion, un pas de côté hors de la modernité libérale vient d’être fait. Un pas qui devrait conduire à repenser le statut des dirigeants et les rapports entre gestion et responsabilité.


Mots-clés éditeurs : Responsabilité sociale de l’entreprise, Entreprises transnationales, Devoir de vigilance, Norme de gestion

Mise en ligne 18/01/2021

https://doi.org/10.3917/drs1.106.0667

Notes

  • [1]
    Armand Hatchuel, « De l’industrie aux nouvelles “industriations”. Approche historique et critique du renouveau industriel », in Pierre Veltz et Thierry Weil (dir.), L’industrie, notre avenir, Paris : Éditions Eyrolles, 2015, p. 37-52.
  • [2]
    Du moins jusqu’à la récente loi Pacte, articles 169 et 176, qui modifie la définition de la société (le plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises, dite loi Pacte, a été promulguée le 22 mai 2019).
  • [3]
    Blanche Segrestin et Armand Hatchuel, Refonder l’entreprise, Paris : Le Seuil, coll. « La République des Idées », 2012.
  • [4]
    La norme de gestion désigne une règle d’action qui « légitime [la] capacité d’action [d’un individu] vis-à-vis d’autrui (ou sur ce qui concerne autrui) » : Armand Hatchuel, « Normes de gestion et action collective. De la societas romaine à l’entreprise de demain », in Blanche Segrestin et Kevin Levillain (dir.), La mission de l’entreprise responsable. Principes et normes de gestion, Paris : Presses des Mines, 2018, p. 27-54.
  • [5]
    D’autres exemples pourraient assurément être mis en avant, y compris en dehors de l’entreprise, comme le principe dit des « avaries communes ». Voir Armand Hatchuel, Kevin Levillain et Blanche Segrestin, « Réconcilier écologie et justice sociale grâce au principe des “avaries communes” », Le Monde, 15 janvier 2019 ; Blanche Segrestin et Armand Hatchuel, « Autorité de gestion et avaries communes : pour un complément du droit de l’entreprise ? », Finance Contrôle Stratégie, 14 (2), juin, 2011, p. 9-36.
  • [6]
    Voir, dans ce dossier, la contribution de Guillaume Delalieux, « La loi sur le devoir de vigilance des sociétés multinationales : parcours d’une loi improbable ».
  • [7]
    Stéphane Vernac, Droit du travail et droit des sociétés : contribution à l’étude du pouvoir d’organisation, thèse de doctorat, Université Paris Ouest Nanterre La Défense, 2012.
  • [8]
    Paul Mougeolle, « Sur la conformité constitutionnelle de la proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre », La Revue des droits de l’homme, mis en ligne le 15 février 2017, p. 1-33.
  • [9]
  • [10]
    Tatiana Sachs, « La loi sur le devoir de vigilance des sociétés mères et sociétés donneuses d’ordre : les ingrédients d’une corégulation », Revue de droit du travail, 10, 2017, p. 380-390.
  • [11]
    Article L. 225-102-4.-I. du Code de commerce, introduit par l’article 1 de la loi n° 2017-399 du 27 mars 2017 (nous soulignons).
  • [12]
    Ibid. (nous soulignons).
  • [13]
    Ibid. (nous soulignons).
  • [14]
    « The “Business Judgement Rule” grants that directors’ decisions cannot be challenged by stakeholders in normal situations, i.e. if they were made in good faith, on an informed basis, and “in the honest belief that the action taken was in the best interest of the company” » (Margaret M. Blair et Lynn A. Stout, « A Team Production Theory of Corporate Law », Journal of Corporation Law, 24 (4), 1999, p. 751-806, p. 787).
  • [15]
    Gérard Lyon-Caen, « Que sait-on de plus sur l’entreprise ? », Mélanges dédiés au Président Michel Despax. Toulouse : Presses de l’Université des sciences sociales de Toulouse, 2002, p. 33-48.
  • [16]
    Cela a des conséquences fortes sur le dialogue social : le dialogue social s’organise sur des objets périphériques à la gestion et au travail lui-même. On pourrait dire que le dialogue social a été structuré historiquement sur des objets qui évacuent le gouvernement de l’entreprise et plus largement ce qui fait entreprise.
  • [17]
    Blanche Segrestin, « Qu’est-ce que bien diriger ? Une question centrale pour l’entreprise responsable », in Blanche Segrestin et Kevin Levillain (dir.), La mission de l’entreprise responsable. Principes et normes de gestion, op. cit., p. 9-24.
  • [18]
    Voir Yuri Biondi, Arnaldo Canziani et Thierry Kirat (eds.), The Firm as an Entity. Implications for Economics, Accounting, and the Law, Londres : Routledge, 2007. E. Merrick Dodd, « For Whom Are Corporate Managers Trustees? », Harvard Law Review, xlv (7), 1932, p. 1145-1162. Jeroen Veldman, « The Separate Legal Entity and the Architecture of the Modern Corporation », in Nina Boeger et Caroline Villiers (eds.), Shaping the Corporate Landscape: Towards Corporate Reform and Enterprise Diversity, Oxford : Hart Publishing, 2018, p. 61-75.
  • [19]
    Les plus communs étant des droits de propriété.
  • [20]
    Romain Laufer et Alain Burlaud, « Légitimité », in Yves Simon et Patrick Joffre (dir.), Encyclopédie de gestion, Paris : Economica, 2e éd., 1997 ; Romain Laufer, « Quand diriger, c’est légitimer », Revue française de gestion, 111, 1996, p. 12-36.
  • [21]
    Dans la terminologie romaine, le terme (gerere) est apparu à la fin de l’ère de la République et pour caractériser une catégorie particulière de l’action : ni le fait d’agir (agere), ni de provoquer l’action (facere), mais donner le cadre d’une action responsable (Moira Crété, « La “gestion” à l’époque romaine : naissance d’une nouvelle catégorie de l’action collective », Entreprises et histoire, 90, 2018, p. 161-177).
  • [22]
    Armand Hatchuel, « Normes de gestion et action collective. De la societas romaine à l’entreprise de demain », op. cit.
  • [23]
    Jean-Philippe Robé, « L’entreprise oubliée par le droit », Journal de l’École de Paris, 32, 2001, p. 29-37.
  • [24]
    Cité par Jean-Marie Thiveaud, « L’ordre primordial de la dette. Petite histoire panoramique de la faillite, des origines à nos jours », Revue d’économie financière, 1993, p. 67-106 (p. 92).
  • [25]
    Charles Robert, De la liquidation judiciaire des sociétés : loi du 4 mars 1889 : sociétés de commerce proprement dites et sociétés civiles par actions, commercialisées par la loi du 1er août 1893, Paris : L. Larose, 1896.
  • [26]
    Natacha Coquery et Nicolas Praquin, « Règlement des faillites et pratiques judiciaire » Histoire & mesure [en ligne], xxiii (1), 2008.
  • [27]
    Charles Robert, De la liquidation judiciaire des sociétés : loi du 4 mars 1889..., op. cit.
  • [28]
    Nicolas Praquin, « Les faillites au xixe siècle. Le droit, le chiffre et les pratiques comptables », Revue française de gestion, 188-189, 2008, p. 359-382.
  • [29]
    Natacha Coquery et Nicolas Praquin, « Règlement des faillites et pratiques judiciaire », op. cit.
  • [30]
    Bouché & Cie, faillite du 19 septembre 1854, rapport du syndic du 1er octobre 1859, adp, D11U3 186 11918, cité dans ibid., p. 29.
  • [31]
    René Piret, « La responsabilité du fait des choses inanimées en droit français et en droit belge », Les Cahiers de droit, 3 (6), 1958, p. 152-170 ; François Ewald, « Formation de la notion d’accident du travail », Sociologie du travail, 23 (1), 1981, p. 3-13 ; Id., « La société assurantielle », Revue Risques, 1, 1990, p. 5-23.
  • [32]
    Louis Josserand, De la responsabilité du fait des choses inanimées, Paris : Arthur Rousseau, 1897.
  • [33]
    Raymond Saleilles, Les accidents de travail et la responsabilité civile. Essai d’une théorie objective de la responsabilité délictuelle, Paris : Arthur Rousseau, 1897 (nous soulignons), p. 6.
  • [34]
    Ibid., p. 19.
  • [35]
    François Ewald, « Formation de la notion d’accident du travail », Sociologie du travail, 23 (1), 1981, p. 3-13.
  • [36]
    Pierre Gandouin, Les accidents du travail : responsabilité des patrons, assurance, Paris : Giard, 1889.
  • [37]
    Raymond Saleilles, Les accidents de travail et la responsabilité civile. op. cit., p. 10. Nous soulignons.
  • [38]
    Proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre, version Assemblée nationale du 11 février 2015, p. 11 (nous soulignons).
  • [39]
    Véronique Camerer, Head of Monitoring – Accord on Fire and Building Safety in Bangladesh, intervention au colloque de Cerisy, 1er juin 2019. D’après V. Camerer, à la suite de la mise en cause d’une usine qui ne pouvait donc plus produire pour les marques signataires de l’Accord, le tribunal bangladais a été saisi et il a questionné l’existence même de l’Accord, en indiquant que le pouvoir réglementaire de l’Accord mettait en cause la souveraineté de l’État. En conséquence, il donnait six mois à l’Accord (l’organisation) pour transférer ses activités au Gouvernement. Cela a conduit à une négociation avec le Gouvernement et l’association des employeurs qui a duré un an. Le 19 mai 2019, un memorandum of understanding a été signé entre les parties ; il prévoit le transfert des infrastructures et des équipes de l’Accord à une nouvelle entité, le RMG Sustainability Council (RSC).
  • [40]
    Le statut de société à mission est réservé, quand la raison d’être est inscrite dans les statuts de la société, au fait de préciser « un ou plusieurs objectifs sociaux et environnementaux que la société se donne pour mission de poursuivre dans le cadre de son activité » (article L 210-10 du Code de commerce).
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