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Article de revue

Le devoir de vigilance : une innovation juridique entre continuités et ruptures

Pages 633 à 647

Notes

  • [*]
    Ce travail doit beaucoup aux échanges avec Isabelle Daugareilh que nous tenons à remercier très chaleureusement.
  • [1]
    Loi n° 2017-399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre. Parmi une riche élaboration doctrinale, v. notamment (et suivant des approches différentes) : Sophie Schiller (dir.), Le devoir de vigilance, Paris : LexisNexis, 2019 ; Beatrice Parance, Élise Groulx et Victoire Chatelin, « Regards croisés sur le devoir de vigilance et duty of care », Journal du droit international, 2018, doctr. 2 ; Marie-Ange Moreau (dir.), dossier « Le devoir de vigilance », Droit social, 2017, p. 792-839 ; Tatiana Sachs, « La loi sur le devoir de vigilance des sociétés mères et sociétés donneuses d’ordre : les ingrédients d’une corégulation », Revue de droit du travail, 6, 2017, p. 380-401 ; Horatia Muir-Watt, « Devoir de vigilance et droit international privé : le symbole et le procédé de la loi du 27 mars 2017 », Revue internationale de la compliance et de l’éthique des affaires, 4, 2017, étude 95.
  • [2]
    Pour une reconstruction, voir Pauline Barraud de Lagerie, Les patrons de la vertu. De la responsabilité sociale des entreprises au devoir de vigilance, Rennes : PUR, 2019.
  • [3]
    Isabelle Daugareilh (dir.), La responsabilité sociale de l’entreprise, vecteur d’un droit de la mondialisation ?, Bruxelles : Bruylant, 2017 et Id. (dir.), Responsabilité sociale de l’entreprise transnationale et globalisation de l’économie, Bruxelles : Bruylant, 2010.
  • [4]
    OCDE : Organisation de coopération et de développement économiques ; OIT : Organisation internationale du travail ; ISO : Organisation internationale de normalisation ; PRI : Principles for Responsible Investment.
  • [5]
    Sur le processus de juridicisation de la RSE, voir : Gaëtan Marain, La juridicisation de la responsabilité sociale des entreprises, Aix-en-Provence : PUAM, 2016 ; Kathia Martin-Chenut et René de Quenaudon (dir.), La RSE saisie par le droit. Perspectives interne et internationale, Paris : Pedone, 2016.
  • [6]
    Voir sur ce point les réflexions d’Alain Supiot, « Face à l’insoutenable : les ressources du droit de la responsabilité », in Alain Supiot et Mireille Delmas-Marty (dir.), Prendre la responsabilité au sérieux, Paris : PUF, 2015, p. 9-35. Voir aussi Alain Supiot (dir.), Face à l’irresponsabilité : la dynamique de la responsabilité, Paris : Éditions du Collège de France, 2018.
  • [7]
    L’introduction en droit français de la notion de devoir de vigilance se situe en effet au confluent de deux dynamiques qui caractérisent la dernière mondialisation juridique : la « circulation » de concepts juridiques entre les divers systèmes et leur « traduction » d’une langue à l’autre. Objets d’étude à part entière, ces deux dynamiques ont aussi une dimension épistémologique et méthodologique : elles permettent en effet de comprendre et penser une mondialisation qui soit respectueuse de la diversité des langues et des traditions juridiques qu’elles expriment.
  • [8]
    Ce mouvement se déploie actuellement dans le cadre de l’arène onusienne (Intergouvernamental Working Group on Transnational Corporations and Other Business Enterprises With Respect to Human Rights) et européenne (European Parliament Working Group on Responsible Business Conduct) en vue de l’élaboration de textes internationaux contraignants.
  • [9]
    Sur la force régulatrice de la soft law, v. notamment : Pascale Daumier et Jean-Marc Sorel (dir.), Regards croisés sur la soft law en droit interne européen et international, Paris : LGDJ, 2018 ; Catherine Thibierge et al., La densification normative, Paris : Mare & Martin, 2013 ; Catherine Thibierge, La force normative, Paris : LGDJ, 2009. Adde, Isabelle Hachez, « Balises conceptuelles autours des notions de “source de droit”, “force normative” et “soft law” », Revue interdisciplinaire d’études juridiques, 65, 2010, p. 1-64.
  • [10]
    Pour une analyse de ces textes, v. notamment Surya Deva et David Bilchitz (eds.), Human Rights Obligations of Business. Beyond the Corporate Responsibility to Respect?, Cambridge : Cambridge University Press, 2013.
  • [11]
    Le champ d’application paradigmatique de l’approche commerciale de la due diligence est celui des fusions-acquisitions : dans ce champ, la due diligence désigne en effet l’ensemble de vérifications, notamment comptables, financières, juridiques, fiscales et sociales, que le futur acquéreur d’une entreprise réalise avant de réaliser la transaction.
  • [12]
    Les deux approches de la due diligence peuvent bien évidemment avoir des points communs, comme dans le cas où une human rights due diligence est réalisée sur une entreprise en voie d’acquisition opérant dans des zones sensibles afin d’analyser les risques juridiques et financiers dérivant de ses activités.
  • [13]
    Voir infra.
  • [14]
    Principes directeurs des Nations unies, Principe n° 17. V. aussi Principes directeurs de l’OCDE, chapitre II, § 10.
  • [15]
    Principes directeurs des Nations unies, Principe n° 17.
  • [16]
    Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme, La responsabilité des entreprises de respecter les droits de l’homme. Guide interprétatif, op. cit., p. 4.
  • [17]
    Voir, par exemple, The OECD Due Diligence Guidance for Responsible Mineral Supply Chains, 2016.
  • [18]
    L’expression est empruntée à l’ouvrage collectif dirigé par Alain Supiot et Mireille Delmas-Marty (dir.), Prendre la responsabilité au sérieux, Paris : PUF, 2015.
  • [19]
    Voir, sur ce point, Horatia Muir-Watt, « Devoir de vigilance et droit international privé : le symbole et le procédé de la loi du 27 mars 2017 », article cité.
  • [20]
    Principes directeurs des Nations unies, Principe n° 13. Le Guide interprétatif précise en outre que les relations commerciales « comprennent les relations commerciales indirectes dans sa chaîne de valeur, au-delà du premier niveau, ainsi que les positions minoritaires et majoritaires des actionnaires au sein des coentreprises » (p. 8). V. aussi Principes directeurs de l’OCDE, chapitre II, § 10.
  • [21]
    Principes directeurs des Nations unies, Principe n° 19, commentaire : « Si l’entreprise a le pouvoir de prévenir ou d’atténuer l’incidence négative, elle doit l’exercer. Et si elle ne l’a pas, il peut y avoir des moyens pour elle de l’accroître ».
  • [22]
    Principes directeurs des Nations unies, Principe n° 17, commentaire.
  • [23]
    Principes directeurs de l’OCDE, Principes généraux, § 12.
  • [24]
    Voir Isabelle Daugareilh, « La norme ISO 26000 sur la responsabilité sociétale des organisations : observations sur une expérience d’inter-normativité », in Michel Capron, Françoise Quairel-Lanoizelée et Marie-France Turcotte (dir.), ISO 26000 : une norme « hors norme », Paris : Economica, 2011, p. 147-153. Voir aussi Sandra Cossart et Raphaël Lapin, « La sphère d’influence des groupes de sociétés et les principes directeurs des Nations Unies », La revue des Droits de l’Homme, Actualités Droits et Libertés, juin 2016.
  • [25]
    Et notamment par la norme ISO 26000 qui la définit comme « l’étendue/ampleur des relations politiques, contractuelles économiques, ou autres à travers lesquelles une entreprise a la capacité d’influer sur les décisions ou les activités de personnes ou d’autres organisations ».
  • [26]
    Voir notamment, Nadia Bernaz, Business and Human Rights: History, Law and Policy – Bridging the Accountability Gap, New York : Routledge, 2017. À cet égard, les Principes directeurs des Nations unies précisent que : « la responsabilité qui incombe aux entreprises de respecter les droits de l’homme se distingue des questions de responsabilité juridique et d’application légale qui restent définies pour une large part par les dispositions du droit interne dans les juridictions compétentes » (Principe n° 12, commentaire).
  • [27]
    Pour une reconstruction de cette jurisprudence v. Awalou Ouedraogo, « La due diligence en droit international : de la règle de la neutralité au principe général », Revue générale de droit, 42 (2), 2012, p. 641-683. Développée d’abord dans le domaine des obligations de neutralité attendues par les États dans le cadre des conflits armés, la notion de due diligence s’est ensuite cristallisée dans celui de la protection des étrangers : dans ces domaines, où les obligations internationales ne pouvaient pas être indiquées de manière fixe, la due diligence offrait en effet aux juges et aux arbitres internationaux un moyen pour « mesurer » la responsabilité des États en fonction des circonstances concrètes de l’espèce.
  • [28]
    Samantha Besson, « La “due diligence” en droit international », Recueil des cours de l’Académie de La Haye, Leiden : Nijhoff, Boston : Brill, 2020 ; Sarah Cassella (dir.), Le standard de due diligence et la responsabilité internationale Journée d’études du Mans de la Société françaises pour le droit international, Paris : Pedone, 2018 ; Joanna Kulesza, Due Diligence in International Law, Leiden : Nijhoff, Boston : Brill, 2016 ; Roberto Pisillo-Mazzeschi, Due Diligence e responsabilità internazionale degli Stati, Milano : Giuffré, 1989. L’International Law Association (ILA) a organisé un groupe d’étude sur la due diligence qui a publié deux rapports respectivement en 2014 et 2016.
  • [29]
    Voir respectivement : Cour internationale de Justice (CIJ), Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzegovine c. Serbie-et-Montenegro), arrêt 26 févr. 2007, Rec., 2007 ; CIJ, Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), arrêt 20 avr. 2010, Rec., 2010 ; Tribunal international du droit de la mer (TIDM), Responsabilités et obligations des États qui patronnent des personnes et des entités dans le cadre d’activités menées dans la Zone, Affaire n° 17, 2011 ; CIJ, Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua), 2 févr. 2018.
  • [30]
    Voir les trois dernières affaires précitées. Cf. les contributions de Yann Kebrat et Sandrine Maljean-Dubois, in Sarah Cassella (dir.), Le standard de due diligence et la responsabilité internationale, op. cit., p. 27-38 et 145-162. Sur la valorisation de la due diligence en tant que source de production d’obligations de précaution à la charge des États, v. aussi Catherine Le Bris, « Les différents visages de la “précaution” : l’interprétation variable des juridictions internationales », in Luca d’Ambrosio, Geneviève Giudicelli-Delage et Stefano Manacorda (dir.), Principe de précaution et métamorphoses de la responsabilité, Paris : Mare & Martin, 2018, p. 43-55.
  • [31]
    Ulrich Beck, Weltrisikogesellschaft. Auf des Suche nach der verlorenen Sicherheit, Francfort/Main : Suhrkamp Verlag, 2007 (tr. it. Conditio humana. Il rischio nell’étà globale, Bari-Roma : Laterza, 2011).
  • [32]
    Pour Roberto Pisillo-Mazzeschi, « Responsabilité de l’État pour violation des obligations positives relatives aux droits de l’homme », Collected Courses of the Hague Academy of International Law, Brill Reference Online [en ligne].
  • [33]
    Pour une analyse des difficultés que la référence à l’« agent normal » pose en droit international public, v. Pierre d’Argent et Alexia de Vaucleroy, « Le contenu de l’omission illicite : la non-utilisation des moyens raisonnables », in Sarah Cassella (dir.), Le standard de due diligence et la responsabilité internationale, op. cit., p. 255-280, et spéc. p. 264. Voir également sur ce point le Rapport 2016 de l’ILA.
  • [34]
    Ibid. Une responsabilité internationale pour manquement aux obligations de due diligence peut être attribuée aux États, mais aussi aux organisations internationales. Voir les contributions de Évelyne Lagrange et Paolo Palchetti, in Sarah Cassella (dir.), Le standard de due diligence et la responsabilité internationale, op. cit., p. 189-230 et 231-242. Voir aussi la contribution de Samantha Besson, in Alain Supiot (dir.), Face à l’irresponsabilité : la dynamique de la responsabilité, op. cit., p. 121-160.
  • [35]
    Voir l’article 8 des Articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite adoptés par la CDI en 2001 : un fait illicite commis par un tiers pourra être attribué à l’État dès lors que le premier « agit en fait sur les instructions ou les directives ou sous le contrôle » de ce dernier.
  • [36]
    CIJ, Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, op. cit., § 462-463.
  • [37]
    TIDM, Responsabilités et obligations des États qui patronnent des personnes et des entités dans le cadre d’activités menées dans la Zone, op. cit., § 204. Nous soulignons.
  • [38]
    Voir aussi Patrick Jacob, « Le contenu de la responsabilité de l’État négligent », in Sarah Cassella (dir.), Le standard de due diligence et la responsabilité internationale, op. cit., p. 281-296 (spéc. p. 289).
  • [39]
    Ibid.
  • [40]
    Aux termes du nouvel article L. 225-102-4-I du Code de commerce, la loi sur le devoir de vigilance s’applique à « toute société qui emploie, à la clôture de deux exercices consécutifs, au moins cinq mille salariés en son sein et dans ses filiales directes ou indirectes dont le siège social est fixé sur le territoire français, ou au moins dix mille salariés en son sein et dans ses filiales directes ou indirectes dont le siège social est fixé sur le territoire français ou à l'étranger ».
  • [41]
    Pierre Legendre, « L’illusion occidentale du clonage des concepts. Un voyage dans les profondeurs linguistiques », in Id. (dir.), Tour du monde des concepts, Paris : Fayard, coll. « Poids et mesures du monde », p. 14.
  • [42]
    Najib Hage-Chahine, La distinction de l’obligation et du devoir en droit privé, Paris : Éditions Panthéon-Assas Paris II, 2017.
  • [43]
    Cette dimension « verticale » se reflète dans le régime de l’action en responsabilité envisagé pour le manquement au devoir de vigilance : celle-ci est en effet ouverte « à toute personne justifiant un intérêt à agir » (art. L. 225-102-5, al. 2 Code de commerce).
  • [44]
    Voir ainsi Sandra Cossard, Tiphaine Beau de Loménie et Antoine Lubrani, « Extension du domaine de la vigilance, la loi sur le devoir de vigilance, au-delà de la compliance », Revue des juristes de Sciences Po, 16, 2019, p. 13. Une telle approche semble rejoindre celle développée par la doctrine internationaliste à propos des « obligations à réalisation progressive » : ces obligations, qui s’opposeraient aux « obligations immédiates » (de due diligence ou de résultat), relèveraient « d’une catégorie complexe, dont la réalisation finale demande de suivre dans le temps aussi bien certaines obligations de due diligence que certaines obligations de résultat » (Roberto Pisillo-Mazzeschi, « Le chemin étrange de la due diligence : d’un concept mystérieux à un concept surévalué », in Sarah Cassella (dir.), Le standard de due diligence et la responsabilité internationale, op. cit., p. 329).
  • [45]
    Art. L. 225-102-41, al. 1, Code de commerce.
  • [46]
    Art. L. 225-102-4, I, al. 3, Code de commerce.
  • [47]
    Conseil Constitutionnel, Décision n° 2017-750 DC du 23 mars 2017 (obs. Bertrand Mathieu, Constitutions, 2017, p. 291).
  • [48]
    Art. L. 225-102-4, II, Code de commerce.
  • [49]
    La dimension « réparatrice » de la due diligence n’est pas tout à fait absente des textes internationaux de soft law : celle-ci est cependant limitée, notamment dans les Principes directeurs des Nations unies, à une activité de coopération avec les mécanismes judiciaires et se désintéresse de la question de l’accountability de l’entreprise pour les dommages qui peuvent être directement liés à son activité.
  • [50]
    Open-Ended Intergovernmental Working Group (OEIGWG), Legally Binding Instrument to Regulate, in International Human Rights Law, The Activities of Transnational Corporations and other Business Enterprises, Chairmanship revised draft, 6.8.2020, articles 6, 7 et 8. Voir aussi OEHCR-Human Rights Council, Improving Accountability and Access to Remedy for Victims of Business-Related Human Rights Abuse: The Relevance of Human Rights Due Diligence to Determinations of Corporate Liability, A/HCR/38/20/Add. 2
  • [51]
    Ibid.
  • [52]
    Pour une analyse croisée avec la pratique qui commence à se développer dans la jurisprudence de pays de Common Law, où le standard de due diligence peut concourir à la caractérisation d’un duty of care de l’entreprise à l’égard des victimes (notamment des activités de ses filiales), Béatrice Parance, Élise Groulx et Victoire Chatelin, « Regards croisés sur le devoir de vigilance et duty of care », article cité. Voir aussi, Claire Bright, « Le devoir de diligence de la société mère dans la jurisprudence anglaise », Droit social, 10, 2017, p. 828.
  • [53]
    Pour plus de détails, v. Tatiana Sachs, « La loi sur le devoir de vigilance des sociétés mères et sociétés donneuses d’ordre : les ingrédients d’une corégulation », article cité. Le juge national devra également prendre en considération des « facteurs de variabilité » tels que la prévisibilité du dommage ou sa proximité à la société mère ou donneuse d’ordre : voir sur ce point les réflexions de Béatrice Parance, Élise Groulx et Victoire Chatelin, « Regards croisés sur le devoir de vigilance et duty of care », article cité.
  • [54]
    Voir notamment dans le domaine de la conformité pénale : Antonio Fiorella (ed.), Corporate Criminal Liability and Compliance Programs, vol. I, Liability “Ex Crimine” of Legal Entities in Member States, Naples : Jovene, 2012.
  • [55]
    Voir Anne Danis-Fatôme et Geneviève Viney, « La responsabilité civile dans la loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre », Recueil Dalloz, 2017, p. 1610.
  • [56]
    Par exemple, au Royaume-Uni, avec la loi anticorruption UK Bribery Act 2010 et en Italie avec le décret n° 231 de 2001 sur la responsabilité administrative des personnes morales. Sur la transposition de ces modèles dans le domaine de la responsabilité pour les violations des droits de l’homme, voir respectivement : Irene Petropaoli et al., « A UK Failure to Prevent Mechanism for Corporate Human Rights Harms », Londres : British Institute of International and Comparative Law (BIICL), février 2020 (<https://www.biicl.org/publications/a-uk-failure-to-prevent-mechanism-for-corporate-human-rights-harms> (consulté le 15 septembre 2020) ; et Fédération internationale pour les droits humains (FIDH), « Italian Legislative Decree No. 231/2001: A Model for Mandatory Human Rights Due Diligence Legislations? », novembre 2019 (<https://media.business-humanrights.org/media/documents/files/documents/report_231_2001_ENG.pdf>, consulté le 15 septembre 2020).
  • [57]
    Voir, en Suisse, la Responsible Business Initiative, soumise à référendum populaire en novembre 2020 (et rejetée) ; et, à l’échelle internationale, la nouvelle formulation de l’art. 8 du Projet de Traité contraignant (Chairmanship Revised Draft) du 6.8.2020. Pour un panorama, voir Nicolas Bueno et Claire Bright, « Implementing Human Rights Due Diligence through Corporate Civil Liability », International and Comparative Law Quarterly, 69 (4), 2020, p. 789-818.

Introduction

1La notion de « devoir de vigilance » a fait son entrée dans le droit français en 2017 afin d’obliger les grandes sociétés commerciales ayant leur siège dans l’Hexagone à prévenir les risques majeurs pour les travailleurs, l’environnement et les droits de l’homme, qui sont causés par leurs activités, mais aussi par celles de leurs filiales, de leurs sous-traitants, ainsi que des fournisseurs avec lesquels existe « une relation commerciale établie » [1]. Cette innovation juridique marque sans aucun doute l’avancée la plus ambitieuse d’un mouvement social de responsabilisation des entreprises ayant des origines anciennes, et qui s’est remobilisé en 2013 quand l’effondrement du Rana Plaza, au Bangladesh, a causé 1 138 morts et environ 2 500 blessés parmi des ouvriers du textile travaillant pour des firmes occidentales [2]. Mettant l’accent sur les liens qui structurent les entreprises transnationales et les chaînes globales d’approvisionnement, ce mouvement a contribué à l’émergence d’une panoplie d’initiatives, privées et publiques, qui visent – sous l’étiquette de responsabilité sociale des entreprises (RSE) – à donner une dimension sociale et humaine à la globalisation de l’économie [3]. Cette panoplie d’initiatives s’immisce dans le champ juridique sous des formes multiples : celle d’instruments juridico-gestionnaires (codes de conduite, accords-cadres internationaux, clauses contractuelles) que les entreprises adoptent de manière volontaire ; et celle de standards normatifs que les organisations internationales publiques (Nations unies, OCDE, OIT) et privées (ISO, PRI, etc.) [4] incitent à adopter par le biais d’instruments de soft law[5].

2Parmi ces standards normatifs, un rôle central est joué par la notion de due diligence. Celle-ci désigne en effet un ensemble de règles et de processus que les entreprises sont invitées à intégrer dans leur organisation afin d’identifier, prévenir et remédier aux incidences négatives pour les droits de l’homme qui peuvent découler tant de leurs propres activités, produits ou services que de leur relation commerciale avec d’autres entités. Longtemps cantonnée au domaine de la responsabilité des États, la notion de due diligence s’impose désormais comme une notion clé dans le domaine de la responsabilité des entreprises : en permettant de reconnaître les relations qui relient les différentes entités qui constituent les réseaux internationaux d’entreprises, ainsi que les rapports de pouvoir qui les structurent, la notion de due diligence a l’ambition de combler les espaces interstitiels dans lesquels s’est construite, historiquement et juridiquement, l’irresponsabilité des entreprises transnationales [6].

3Existe dès lors un lien de filiation évident entre la notion de devoir de vigilance et celle de due diligence. L’une comme l’autre répondent à l’exigence d’imposer aux sociétés dominantes l’adoption d’instruments susceptibles de prévenir les nombreux risques qui peuvent découler de leurs activités et de celles des multiples entités constituant leur chaîne globale d’approvisionnement. Mais la loi française sur le devoir de vigilance marque également la volonté d’aller plus loin et d’introduire un mécanisme permettant d’attribuer juridiquement à la société dominante défaillante les préjudices causés par les entités dominées. En ce sens, la loi sur le devoir de vigilance vise à introduire une nouvelle règle de la responsabilité susceptible de contourner les obstacles techniques (le principe de l’autonomie de la personne morale ou l’absence de compétence des juges français sur les dommages produits à l’étranger) qui empêchent traditionnellement de faire remonter la responsabilité juridique jusqu’à « la tête » des chaînes globales de production. Dès lors, nous formulons ici l’hypothèse selon laquelle les spécificités, et le potentiel, du devoir de vigilance se déploient non seulement dans le fossé qui sépare la langue française de la langue anglaise, mais aussi dans les déviations qui marquent la circulation des concepts juridiques dans les différents espaces normatifs [7]. C’est en effet de ces déviations que dépend l’apport de cette innovation au plus large mouvement d’institution de la responsabilité juridique des entreprises dans l’horizon de la globalisation économique [8].

4Afin de tester cette hypothèse, nous déploierons notre analyse en trois temps. Tout d’abord, nous analyserons l’essor de la notion de due diligence dans les régulations internationales de la RSE en tant que catalyseur de l’organisation responsable des entreprises (I). Afin de saisir les impacts de cette notion sur la théorie de la responsabilité juridique, nous ferons, dans un deuxième, temps un bref détour dans le champ de la responsabilité étatique où la notion de due diligence a fait sa première apparition et où elle est l’objet d’un regain d’intérêt de la part de la doctrine et de la jurisprudence (II). L’analyse juridique du cheminement de la notion de due diligence en droit international permettra, dans le troisième et dernier temps de notre réflexion, de saisir le principal élément novateur qui accompagne l’introduction du devoir de vigilance en droit français. Il s’agit de la création d’un point d’appui pour l’attribution à l’entreprise mère ou donneuse d’ordre des dommages causés par les diverses entités de sa chaîne globale d’approvisionnement (III).

I. L’essor de la due diligence dans les régulations internationales de la RSE : catalyseur de l’organisation responsable des entreprises

5Nous utilisons ici le terme « catalyseur » car, on le sait, les régulations internationales en matière de responsabilité des entreprises appartiennent à l’univers de la soft law : dépourvues de toute force contraignante, elles sont néanmoins susceptibles de dégager une certaine force régulatrice [9]. Déjà évoquée dans la norme relative à la responsabilité sociale des entreprises adoptée en 2010 par ISO, la due diligence ou « diligence requise » se présente désormais comme une notion centrale dans les deux principales références internationales de la RSE : les Principes directeurs du Conseil des droits de l’homme des Nations unies sur les entreprises et les droits de l’homme, adoptés en 2011 ; et les Principes directeurs de l’OCDE à l’intention des multinationales, adoptés en 1976, et modifiés en 2011 pour être alignés au dispositif onusien [10].

6Il n’est pas à exclure que les rédacteurs de ces textes aient « joué avec les mots » pour faciliter la migration de cette notion dans le domaine des affaires à celui de la RSE : la notion de due diligence est en effet bien connue dans l’univers des entreprises pour désigner le niveau minimum de prudence exigée par les dirigeants pour éviter que la prise de certaines décisions puisse exposer l’entreprise et ses actionnaires à des risques matériels ou financiers [11]. Dans l’univers de la RSE, la due diligence acquiert alors une portée bien plus large : elle concerne en effet non seulement les risques que certaines décisions engendrent pour l’entreprises et ses actionnaires, mais aussi les risques que l’activité de l’entreprise engendre pour la société tout entière[12]. Cependant l’apparition de la due diligence dans les textes internationaux sur la responsabilité des entreprises ne saurait être réduite à un choix tactique. Elle s’inscrit en effet dans une stratégie qui consiste à calquer la responsabilité des entreprises sur celle des États : dans un cas comme dans l’autre la due diligence est mobilisée pour « mesurer » et « façonner » les obligations de prudence et prévention dont les titulaires d’un pouvoir garant et protecteur devraient s’acquitter pour faire face à la multiplication des risques, propres aux sociétés contemporaines [13].

7Ainsi, la due diligence est-elle définie comme un processus que les entreprises devraient mettre en œuvre pour identifier, prévenir, et atténuer les impacts négatifs réels et potentiels de leur activité, de leur chaîne d’approvisionnement et de leur relations d’affaires, mais aussi de la manière dont elles y remédient [14]. Les Principes directeurs des Nations unies et de l’OCDE donnent une description assez détaillée des étapes d’un tel processus. Les entreprises devraient premièrement identifier et évaluer les incidences négatives effectives et potentielles pour les droits de l’homme, y compris pour les droits des travailleurs, l’environnement, la probité, les consommateurs et la gouvernance d’entreprise. Elles devraient deuxièmement prendre toutes les mesures nécessaires pour prévenir et atténuer de telles incidences, en fonction du degré d’implication de l’entreprise et de sa marge de manœuvre. Troisièmement, les entreprises devraient rendre compte de la façon dont elles remédient aux incidences négatives effectives et potentielles pour les droits de l’homme. Quatrièmement, lorsque les entreprises déterminent qu’elles ont causé ou contribué à des incidences négatives, elles devraient prévoir des mesures de réparation. S’il est clair que les régulations internationales visent à « normaliser » la diligence requise par les entreprises, les Principes directeurs des Nations unies précisent néanmoins que cette procédure de gestion des risques pour les droits de l’homme « sera plus ou moins complexe suivant la taille de l’entreprise » [15] et qu’elle devra être réalisée « à la lumière des circonstances (à savoir le secteur, le contexte d’exploitation, la taille et autres facteurs similaires) » [16]. La due diligence garde dès lors une certaine plasticité qui permet son adaptation aux différents secteurs économiques et aux évolutions des impacts que certaines activités productives peuvent avoir sur les droits de l’homme, les droits des travailleurs et la protection de l’environnement [17].

8Mais encore faut-il déterminer le champ d’application de la due diligence des entreprises. Le point est central car il répond à la nécessité de « prendre au sérieux » la responsabilité des entreprises à l’heure de la globalisation des structures de production [18]. Dans un tel contexte, la fragmentation juridique de l’entreprise est en effet exacerbée par l’éclatement spatial de son organisation, devenu à son tour le principal moyen pour garder un avantage concurrentiel dans le marché global. En se jouant des différents régimes juridiques applicables aux multiples entités (filiales, fournisseurs et sous-traitants) qui structurent leur chaîne d’approvisionnement et leurs relations d’affaires, les entreprises peuvent en effet déjouer les mécanismes d’attribution de la responsabilité juridique qui demeurent, quant à eux, bien ancrés dans les concepts de personnalité juridique et de territoire [19].

9La due diligence est ainsi présentée comme le principal outil pour combler ces espaces interstitiels dans lesquels se construit l’irresponsabilité des entreprises dans le marché global. Les textes internationaux exigent en effet que les entreprises dirigent leurs efforts de diligence vers les risques pour les droits de l’homme qui dérivent non seulement de leurs activités directes, mais aussi de celles de « [leurs] partenaires commerciaux, des entités de [leur] chaîne de valeur, et de toute autre entité non étatique ou étatique directement liée à [leurs] activités, [leurs] produits ou services commerciaux » [20]. En recentrant la responsabilité dans les lieux de concentration des décisions et du profit, la due diligence vise ainsi à instituer les liens de pouvoir qui structurent les réseaux internationaux d’entreprise. Il reviendra en effet à chaque entreprise de se livrer à des examens systématiques des pratiques menées par ses relations commerciales, de demander l’avis d’experts indépendants quant à la marche à suivre, de renforcer les capacités de ses partenaires, de collaborer avec eux pour prévenir ou atténuer les incidences négatives sur les droits de l’homme. En somme, de déployer tous son pouvoir pour éviter que de telles violations ne soient réalisées ni à la tête ni à la périphérie de son organisation productive et commerciale [21].

10Il reste néanmoins à savoir si la société « négligente » peut se voir attribuer juridiquement les conséquences préjudiciables desdites violations. Sur ce point, les textes internationaux suivent une approche minimaliste. Les Principes directeurs des Nations unies précisent en effet que les violations des droits de l’homme causées par des tiers seront imputées selon les règles ordinaires de la complicité. Il en découle que la simple violation des normes de due diligence ne saurait suffire pour attribuer à la société négligente les incidences négatives sur les droits de l’homme matériellement réalisées par ses relations commerciales. À cette fin, il serait en effet nécessaire de prouver qu’elle ait « apporté en connaissance de cause une assistance pratique ou un encouragement qui a un effet notoire sur la commission » de la violation [22]. Une telle approche est confirmée par les Principes directeurs de l’OCDE : ceux-ci affirment en effet, et de manière encore plus tranchée, que le comportement négligent « ne doit pas être interprété comme transférant la responsabilité de l’entité à l’origine d’une incidence négative sur l’entreprise avec laquelle elle entretient une relation d’affaires » [23].

11À ce propos, on peut comprendre le regret, exprimé par certains, que les Principes directeurs des Nations unies et de l’OCDE n’aient pas valorisé la dimension technique de la notion de « sphère d’influence » [24]. Déjà intégrée par d’autres textes [25], la notion de « sphère d’influence », couplée à celle de due diligence, aurait permis d’abattre ce totem du droit des sociétés qu’est le principe de l’autonomie juridique et par conséquent d’apporter une contribution déterminante pour l’adaptation de la théorie de la responsabilité juridique à la globalisation et à la parcellisation des chaînes de production. Mais la soft law internationale ne va pas si loin : elle se limite en effet à présenter la due diligence comme un standard pour l’organisation et la gestion responsables de l’entreprise ; et non comme une nouvelle règle de la responsabilité juridique de l’entreprise permettant notamment de lui attribuer les préjudices causés à l’homme ou à l’environnement par les diverses entités de son groupe ou de sa chaîne globale d’approvisionnement. Ce choix – à l’origine de ce que certains appellent « corporate accountability gap » – a été sans doute la conséquence d’un manque de consensus politique [26]. Mais il semble également refléter un certain usage qui est fait de la due diligence dans le domaine de la responsabilité des États. Un bref détour vers ce domaine nous semble dès lors utile pour mieux comprendre les conditions et les effets de la migration de cette notion dans le champ de la responsabilité des entreprises.

II. Un détour par le droit international public : la mobilisation de la due diligence en tant que standard d’interprétation des obligations internationales des États

12En droit international public, la due diligence est une notion connue depuis longtemps : sa première apparition remonte en effet à la fin du xixe siècle en tant que standard d’interprétation des obligations internationales des États [27]. Après avoir été oubliée durant environ un siècle, la notion de due diligence a fait l’objet, à partir des années 1990, d’un regain d’intérêt par la doctrine et la jurisprudence [28]. Les juges internationaux se sont notamment appuyés sur cette notion pour caractériser la responsabilité des États dans des situations diverses : dans le cadre du génocide en ex-Yougoslavie, dans le domaine des atteintes à l’équilibre écologique du fleuve Uruguay ou à l’intégrité des fonds marins des océans, et plus généralement dans le domaine des atteintes à l’équilibre des écosystèmes [29]. L’analyse de la pratique jurisprudentielle aide à comprendre les raisons du succès récent du « vieux standard » de la due diligence : celui-ci permet en effet d’adapter le contenu des obligations internationales, conventionnelles et coutumières, des États à la multiplication aussi bien des risques qui caractérisent la société contemporaine que des acteurs qui contribuent à leur émergence. Dans cette perspective, il n’est dès lors pas étonnant que la protection de l’environnement naturel soit devenue le champ privilégié de la due diligence : dans ce domaine, les atteintes dérivent assez rarement de l’action intentionnelle des États, mais d’un ensemble de négligences imputables à la fois aux acteurs privés (qui opèrent) et aux acteurs publics (qui auraient dû contrôler ces opérations). Dans le domaine de la protection de l’environnement naturel, la due diligence s’imposerait même comme un principe général du droit international à partir duquel les juges et les arbitres tirent des obligations coutumières spécifiques de prévention des dommages environnementaux transfrontaliers [30].

13Quelle que soit la qualification retenue en droit international, le standard de la due diligence est voué, dans la World Risk Society[31], à exercer la fonction de « matrice » de nouvelles obligations à la charge des États. Il convient néanmoins de préciser que cette fonction s’exerce dans le cadre d’une catégorie spécifique d’obligations internationales – les obligations de comportement ou, pour utiliser la terminologie civiliste, les obligations de moyens [32]. Celles-ci se distinguent en effet par des éléments d’aléas dans l’obtention du résultat voulu par l’obligation internationale justifiant que l’on se borne à exiger de l’État qu’il mette en œuvre tous les « moyens raisonnables » pour éviter, dans les circonstances spécifiques de l’espèce, la production du dommage réprouvé par le droit international [33]. Le recours à la due diligence permet ainsi de fonder un régime de responsabilité par « omission négligente ». Il s’agit d’une responsabilité qu’il est assez facile à caractériser en l’espèce. Il suffit en effet d’identifier l’obligation de diligence requise et son débiteur : la simple violation de la première permet ainsi d’engager la responsabilité internationale de ce dernier [34].

14Il reste néanmoins à savoir de quoi l’État négligent est responsable, notamment lorsque le résultat dommageable réprouvé par le droit international est réalisé par un tiers agissant sous sa juridiction. L’État est-il responsable de ce dommage ou bien seulement d’avoir manqué à l’obligation de l’éviter ? La question est pertinente car, en droit international public, la règle est celle de la responsabilité de son propre fait et la responsabilité pour fait d’autrui demeure une exception [35]. L’analyse de la pratique jurisprudentielle permet de formuler une réponse nette : la caractérisation de la violation des obligations de diligence incombant aux États n’entraîne pas automatiquement l’attribution des dommages que ces obligations étaient censées éviter. Ainsi, dans l’affaire du Génocide de Srebrenica, la Cour internationale de justice a bien caractérisé la responsabilité internationale de la Serbie pour avoir manqué à son obligation de prévenir le génocide. Mais, en même temps, elle a considéré que la Serbie n’était pas tenue de réparer « les dommages de tous ordres, matériels et moraux, provoqués par les actes de génocide ». À cette fin, il serait en effet nécessaire de prouver la dimension causale de la négligence imputable à l’État et ces dommages, ce qui faisait apparemment défaut en l’espèce [36]. Ce principe a été appliqué, dans un tout autre contexte, par le Tribunal international du droit de la mer dans un avis rendu en 2011 dans l’affaire des Activités menées dans la Zone. De l’avis du Tribunal, la responsabilité de « l’État qui patronne » est engagée lorsqu’il a manqué à ses obligations de diligence. Toutefois, continue le Tribunal, « ce seul fait n’aura pas pour effet de rendre l’État qui patronne directement responsable du dommage causé par le contractant patronné » [37]. Les responsabilités juridiques de l’État qui patronne et du tiers patronné demeurent dès lors autonomes et parallèles.

15Dans le domaine de la responsabilité internationale des États, la mobilisation de la due diligence dévoile ainsi une certaine ambivalence, déjà soulignée par la doctrine : alors qu’elle permet d’élargir la responsabilité des États, par la création de nouvelles obligations et par la possibilité de toucher indirectement les acteurs privés qui traditionnellement échappent au droit international, la due diligence peut avoir aussi pour effet d’atténuer le régime de la responsabilité étatique. En effet, une gradation dans la responsabilité existe selon que l’État s’est montré complice d’une obligation de résultat ou qu’il a seulement manqué à une obligation de moyens [38]. Une telle gradation de la responsabilité se répercute et sur le terrain de réprobation, car il est moins dérangeant pour l’État de se voir reprocher une carence qu’une action dommageable ; et sur le terrain de la compensation car, responsable de sa négligence, l’État ne l’est pas automatiquement des conséquences dommageables. À cette fin, il est en effet nécessaire de procéder à une analyse causale qui peut se révéler fastidieuse en l’espèce, et dont les juges internationaux semblent, jusqu’ici, vouloir faire l’économie [39].

16S’agissant à la fois du champ de la responsabilité (juridique) des États ou de celui de la responsabilité (sociale) des entreprises, l’essor de la due diligence semble produire des effets similaires. En imposant des nouvelles obligations de moyens, elle enrichit le champ de la responsabilité des titulaires d’un pouvoir garant et protecteur, tout en laissant néanmoins dans l’ombre du manquement à de telles obligations de moyens la question de l’imputation (et de la réparation) des résultats dommageables qui sont produits, notamment par l’action de tiers, en l’espèce. De la responsabilité des États à celle des entreprises, c’est précisément sur ce point que l’introduction du devoir de vigilance en droit français, tout en s’inscrivant dans un lien de filiation avec la notion de due diligence, a l’ambition de marquer une rupture décisive : celle d’introduire une nouvelle règle de la responsabilité permettant d’imputer juridiquement aux grandes entreprises françaises les dommages réalisés par les multiples entités constituant leur chaîne globale d’approvisionnement [40].

III. L’introduction du devoir de vigilance en droit français : point d’appui pour l’imputation des dommages aux sociétés mères ou donneuses d’ordre

17Le travail sémantique qui a accompagné l’introduction en droit français du devoir de vigilance est une nouvelle preuve, s’il en fallait, de l’importance des mots, particulièrement dans le champ juridique. Malgré l’apparente homogénéisation imposée par l’anglais, les mots ne révèlent leur sens qu’au travers d’un travail créatif d’appropriation qui se réalise « en pactisant avec une altérité qui, le cas échéant, modifie ou détourne sa substance originaire » [41]. Le glissement sémantique entre la due diligence et le « devoir de vigilance » est un exemple paradigmatique de ce processus d’appropriation, et de la créativité qui le meut.

18Tout d’abord, « devoir » et non « obligation » [42]. Ce choix se justifie par la volonté d’extraire le comportement diligent exigé des sociétés visées par la loi d’« un face à face » avec des créanciers supposés : bien que le devoir de vigilance, nous le verrons, ait aussi une dimension réparatrice, sa qualification de « devoir » permet de mettre en avant sa dimension préventive de tout risque et dommage, son telos essentiel qui est celui de protéger les « droits naturels, inaliénables et sacrés de l’Homme » qui peuvent être atteints par l’organisation productive fragmentée et délocalisée des entreprises [43].

19Ensuite, « vigilance » et non « diligence » : par ce choix, le législateur français semble vouloir souligner que le comportement attendu par les sociétés visées par la loi ne saurait se réduire à la mise en œuvre de « moyens raisonnables », mais « de moyens tendant tout de même vers un résultat concret et raisonnable de prévention et de réduction des risques et atteintes graves » pour les droits de l’homme [44]. En somme, le devoir de vigilance repose sur la due diligence et sur les exigences procédurales qu’elle préconise pour les entreprises ; mais il vise, en même temps, à la dépasser en vue de l’obtention du résultat de protéger les droits de l’homme, les travailleurs et l’environnement ; voire à la détourner pour en faire un point d’appui pour l’imputation à l’entreprise des dommages qui peuvent être réalisés par les autres entités de sa chaîne d’approvisionnement. C’est dès lors à la fois par un lien de filiation et par un geste d’émancipation, que le devoir de vigilance peut être reconduit dans le giron de la due diligence.

20Commençons par le lien de filiation – lequel, il convient de le rappeler, n’implique pas d’identité mais seulement un degré de similitude. Ainsi, le législateur français a choisi tout d’abord de limiter le champ d’application du devoir de vigilance aux grandes sociétés commerciales ayant leur siège dans l’Hexagone [45]. Le législateur détaille ensuite les « moyens raisonnables » que les entreprises sont tenues d’adopter et qui constituent le « plan de vigilance » : il s’agit d’établir une cartographie des risques, des procédures d’évaluation, des mesures d’atténuation, un mécanisme d’alerte, et un dispositif de suivi. Ces mesures doivent être certes « raisonnables » mais également « effectives ». Par cette précision, le législateur manifeste une réelle défiance vis-à-vis d’une obligation qui pourrait rester formelle et lettre morte. Le lien de filiation de la loi avec les Principes directeurs des Nations unies et de l’OCDE se manifeste également dans la définition du périmètre du devoir de vigilance : celui-ci s’étend d’une part aux activités des filiales, ainsi qu’aux « activités des sous-traitants ou fournisseurs avec lesquels est entretenue une relation commerciale établie lorsque ces activités sont rattachées à cette relation » ; il concerne d’autre part « les atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ainsi que l’environnement » [46]. Malgré le choix du législateur français de restreindre le périmètre du devoir de vigilance aux seules « atteintes graves », celui-ci a été considéré comme trop flou et dès lors comme source d’incertitudes : c’est pourquoi le Conseil constitutionnel a annulé l’amende (d’un montant pouvant atteindre 10 millions d’euros), qui avait été initialement envisagée pour toute société qui se serait refusée à adopter un plan de vigilance [47]. Bien que l’amende ait été amputée, le volet préventif du devoir demeure tout de même justiciable : toute personne « justifiant d’un intérêt à agir » pourra en effet introduire une « action en conformité » devant le juge national et demander d’enjoindre l’entreprise soumise au devoir de vigilance, le cas échéant sous astreinte, à mettre en œuvre un plan conforme aux prescriptions de la loi [48].

21Venons-en maintenant à ce geste que nous avons qualifié d’« émancipateur » à l’égard de la notion internationale de due diligence et qui donne la marque de son appréhension créative par le législateur français : il s’agit de l’attribution d’une dimension réparatrice à la carence négligente de vigilance de la société dominante sur les risques de dommage qui émergent au sein de sa chaîne d’approvisionnement [49]. Ce geste d’émancipation, qui vise à combler le « corporate accountability gap » de la soft law internationale, s’avère désormais incontournable, comme en témoignent par ailleurs les travaux sur un instrument international contraignant qui sont menés dans le cadre du Conseil des droits de l’homme des Nations unies [50]. La question est seulement de savoir comment combler un tel « gap ». Parmi les différentes options envisageables [51], force est de constater que le législateur français a choisi celle la plus difficile à mettre en œuvre : celle-ci consiste en effet à adosser l’obligation de vigilance au régime ordinaire de la responsabilité civile. Ainsi, le manquement à l’obligation de mettre en œuvre de manière effective les mesures raisonnables énumérées au plan de vigilance est considéré, dans l’ordre juridique français, comme une faute susceptible d’engager la responsabilité de l’entreprise mère ou donneuse d’ordre. C’est donc par le biais de la faute que l’entreprise mère ou donneuse d’ordre pourra se voir imputer les dommages réalisés par ses filiales ou par les sous-traitants et les fournisseurs avec lesquels elle entretient une relation commerciale établie [52]. À cette fin, et sauf l’hypothèse extrême d’absence de plan de vigilance, il incombera dès lors au juge d’apprécier le caractère défectueux du plan en recherchant l’équilibre brisé entre la prévision de « mesures raisonnables » et une « mise en œuvre efficace » [53]. Si le critère du « raisonnable » permet d’introduire dans l’appréciation de la diligence raisonnable une certaine souplesse, le juge national devra évaluer l’« effectivité » de la mise en œuvre des mesures raisonnables envisagées par le plan. Autrement dit, le juge ne devra pas limiter son appréciation à la conformité des mesures envisagées par le Plan de vigilance à la loi, ou aux autres référentiels normatifs auxquels elle renvoie. Il devra étendre son jugement à la manière dont l’entreprise a déployé et a « fait vivre » le plan de vigilance au sein de son organisation. Certes, encore faut-il savoir si le juge français est prêt à se livrer à un tel jugement. Mais, en raison aussi de la pratique qui s’est développée dans d’autres pays où les juges sont appelés à réaliser un jugement similaire [54], cela ne nous semble pas être la plus grande difficulté de la caractérisation d’une responsabilité civile par faute de vigilance.

22Ce qui, en revanche, nous semble rendre difficile une telle opération est plutôt l’analyse causale de « la faute de vigilance » de la société mère ou donneuse d’ordre à l’égard du dommage causé par ses filiales ou par ses relations commerciales. Le risque est que le juge national, à l’instar de son homologue international, fasse lui-aussi l’économie d’une telle opération difficile et fastidieuse. On perçoit aisément les difficultés auxquelles le juge français sera confronté : il devra en effet se livrer à un raisonnement contrefactuel pour affirmer qu’en l’espèce le dommage produit par une filiale, un sous-traitant ou un fournisseur ne serait pas advenu en cas de mise en œuvre d’une vigilance effective de la part de l’entreprise mère ou donneuse d’ordre. Pour contourner au moins partiellement ces difficultés, certains plaident pour un assouplissement par la voie judiciaire de l’appréciation de la causalité, notamment par l’introduction de présomptions [55].

23Mais face aux incertitudes qu’une telle solution pourrait entraîner, il est légitime de se demander s’il n’aurait pas été préférable d’envisager un système de responsabilité objective, accompagné par une cause d’exonération de la responsabilité. Selon ce modèle, la société mère ou donneuse d’ordre serait responsable de plein droit pour les dommages causés par ses filiales, ses sous-traitants et relations commerciales établies à moins qu’elle puisse prouver qu’elle a mis en œuvre un plan de vigilance susceptible de prévenir un tel dommage. Déjà utilisé dans d’autres pays pour caractériser la responsabilité pénale ou administrative des personnes morales [56], un tel modèle d’attribution de la responsabilité semble s’affirmer à ce jour dans les travaux qui se développent en matière d’entreprises et droits de l’homme à l’échelle nationale et internationale [57]. Et cela en raison d’un triple bénéfice : premièrement, il évite d’avoir à caractériser le lien de causalité entre la faute de vigilance et les dommages via des approches herméneutiques qui risqueraient d’être sources d’insécurité juridique ; deuxièmement, il allège la charge de la preuve pour les victimes des violations des droits de l’homme car ce serait à l’entreprise de prouver en l’espèce sa diligence ; troisièmement, un tel modèle d’attribution de la responsabilité juridique offre à ces sujets calculants, que sont par définition les entreprises, une forte incitation à mettre en œuvre des processus effectifs de prévention et de vigilance.

24À défaut de l’adoption d’un tel modèle et en l’état, il reviendra certainement aux juges français de « faire vivre » le devoir de vigilance au prétoire, et d’en permettre une application effective dans le périmètre du régime ordinaire de la responsabilité civile.

Conclusion

25À l’origine de ce travail, nous avions formulé l’hypothèse selon laquelle la portée du devoir de vigilance doit s’apprécier à l’aune des déviations et des ruptures qui accompagnent la traduction de cette notion en droit interne. L’analyse juridique de la circulation de la notion de due diligence dans les différents espaces juridiques a permis de démontrer que la loi française sur le devoir de vigilance s’inscrit dans le tracé du droit international mais qu’elle le dépasse. Cette loi établie en effet une nouvelle règle de la responsabilité qui s’appuie sur les standards internationaux de gestion responsable des entreprises pour en faire toutefois un point d’appui pour l’imputation à l’entreprise défaillante des dommages qui sont réalisés par ses filiales, sous-traitants et fournisseurs. La pratique jurisprudentielle nationale nous dira si cette nouvelle règle de la responsabilité trouvera sa juste application, tandis que les discussions qui se poursuivent à l’échelle internationale en la matière nous indiquerons si des variations plus efficaces d’une telle règle sont envisageables. Ce qui est sûr c’est que le devoir de vigilance constitue une étape décisive et incontournable pour le projet d’institution d’une responsabilité juridique des entreprises dans l’horizon de la globalisation économique.

Notes

  • [*]
    Ce travail doit beaucoup aux échanges avec Isabelle Daugareilh que nous tenons à remercier très chaleureusement.
  • [1]
    Loi n° 2017-399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre. Parmi une riche élaboration doctrinale, v. notamment (et suivant des approches différentes) : Sophie Schiller (dir.), Le devoir de vigilance, Paris : LexisNexis, 2019 ; Beatrice Parance, Élise Groulx et Victoire Chatelin, « Regards croisés sur le devoir de vigilance et duty of care », Journal du droit international, 2018, doctr. 2 ; Marie-Ange Moreau (dir.), dossier « Le devoir de vigilance », Droit social, 2017, p. 792-839 ; Tatiana Sachs, « La loi sur le devoir de vigilance des sociétés mères et sociétés donneuses d’ordre : les ingrédients d’une corégulation », Revue de droit du travail, 6, 2017, p. 380-401 ; Horatia Muir-Watt, « Devoir de vigilance et droit international privé : le symbole et le procédé de la loi du 27 mars 2017 », Revue internationale de la compliance et de l’éthique des affaires, 4, 2017, étude 95.
  • [2]
    Pour une reconstruction, voir Pauline Barraud de Lagerie, Les patrons de la vertu. De la responsabilité sociale des entreprises au devoir de vigilance, Rennes : PUR, 2019.
  • [3]
    Isabelle Daugareilh (dir.), La responsabilité sociale de l’entreprise, vecteur d’un droit de la mondialisation ?, Bruxelles : Bruylant, 2017 et Id. (dir.), Responsabilité sociale de l’entreprise transnationale et globalisation de l’économie, Bruxelles : Bruylant, 2010.
  • [4]
    OCDE : Organisation de coopération et de développement économiques ; OIT : Organisation internationale du travail ; ISO : Organisation internationale de normalisation ; PRI : Principles for Responsible Investment.
  • [5]
    Sur le processus de juridicisation de la RSE, voir : Gaëtan Marain, La juridicisation de la responsabilité sociale des entreprises, Aix-en-Provence : PUAM, 2016 ; Kathia Martin-Chenut et René de Quenaudon (dir.), La RSE saisie par le droit. Perspectives interne et internationale, Paris : Pedone, 2016.
  • [6]
    Voir sur ce point les réflexions d’Alain Supiot, « Face à l’insoutenable : les ressources du droit de la responsabilité », in Alain Supiot et Mireille Delmas-Marty (dir.), Prendre la responsabilité au sérieux, Paris : PUF, 2015, p. 9-35. Voir aussi Alain Supiot (dir.), Face à l’irresponsabilité : la dynamique de la responsabilité, Paris : Éditions du Collège de France, 2018.
  • [7]
    L’introduction en droit français de la notion de devoir de vigilance se situe en effet au confluent de deux dynamiques qui caractérisent la dernière mondialisation juridique : la « circulation » de concepts juridiques entre les divers systèmes et leur « traduction » d’une langue à l’autre. Objets d’étude à part entière, ces deux dynamiques ont aussi une dimension épistémologique et méthodologique : elles permettent en effet de comprendre et penser une mondialisation qui soit respectueuse de la diversité des langues et des traditions juridiques qu’elles expriment.
  • [8]
    Ce mouvement se déploie actuellement dans le cadre de l’arène onusienne (Intergouvernamental Working Group on Transnational Corporations and Other Business Enterprises With Respect to Human Rights) et européenne (European Parliament Working Group on Responsible Business Conduct) en vue de l’élaboration de textes internationaux contraignants.
  • [9]
    Sur la force régulatrice de la soft law, v. notamment : Pascale Daumier et Jean-Marc Sorel (dir.), Regards croisés sur la soft law en droit interne européen et international, Paris : LGDJ, 2018 ; Catherine Thibierge et al., La densification normative, Paris : Mare & Martin, 2013 ; Catherine Thibierge, La force normative, Paris : LGDJ, 2009. Adde, Isabelle Hachez, « Balises conceptuelles autours des notions de “source de droit”, “force normative” et “soft law” », Revue interdisciplinaire d’études juridiques, 65, 2010, p. 1-64.
  • [10]
    Pour une analyse de ces textes, v. notamment Surya Deva et David Bilchitz (eds.), Human Rights Obligations of Business. Beyond the Corporate Responsibility to Respect?, Cambridge : Cambridge University Press, 2013.
  • [11]
    Le champ d’application paradigmatique de l’approche commerciale de la due diligence est celui des fusions-acquisitions : dans ce champ, la due diligence désigne en effet l’ensemble de vérifications, notamment comptables, financières, juridiques, fiscales et sociales, que le futur acquéreur d’une entreprise réalise avant de réaliser la transaction.
  • [12]
    Les deux approches de la due diligence peuvent bien évidemment avoir des points communs, comme dans le cas où une human rights due diligence est réalisée sur une entreprise en voie d’acquisition opérant dans des zones sensibles afin d’analyser les risques juridiques et financiers dérivant de ses activités.
  • [13]
    Voir infra.
  • [14]
    Principes directeurs des Nations unies, Principe n° 17. V. aussi Principes directeurs de l’OCDE, chapitre II, § 10.
  • [15]
    Principes directeurs des Nations unies, Principe n° 17.
  • [16]
    Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme, La responsabilité des entreprises de respecter les droits de l’homme. Guide interprétatif, op. cit., p. 4.
  • [17]
    Voir, par exemple, The OECD Due Diligence Guidance for Responsible Mineral Supply Chains, 2016.
  • [18]
    L’expression est empruntée à l’ouvrage collectif dirigé par Alain Supiot et Mireille Delmas-Marty (dir.), Prendre la responsabilité au sérieux, Paris : PUF, 2015.
  • [19]
    Voir, sur ce point, Horatia Muir-Watt, « Devoir de vigilance et droit international privé : le symbole et le procédé de la loi du 27 mars 2017 », article cité.
  • [20]
    Principes directeurs des Nations unies, Principe n° 13. Le Guide interprétatif précise en outre que les relations commerciales « comprennent les relations commerciales indirectes dans sa chaîne de valeur, au-delà du premier niveau, ainsi que les positions minoritaires et majoritaires des actionnaires au sein des coentreprises » (p. 8). V. aussi Principes directeurs de l’OCDE, chapitre II, § 10.
  • [21]
    Principes directeurs des Nations unies, Principe n° 19, commentaire : « Si l’entreprise a le pouvoir de prévenir ou d’atténuer l’incidence négative, elle doit l’exercer. Et si elle ne l’a pas, il peut y avoir des moyens pour elle de l’accroître ».
  • [22]
    Principes directeurs des Nations unies, Principe n° 17, commentaire.
  • [23]
    Principes directeurs de l’OCDE, Principes généraux, § 12.
  • [24]
    Voir Isabelle Daugareilh, « La norme ISO 26000 sur la responsabilité sociétale des organisations : observations sur une expérience d’inter-normativité », in Michel Capron, Françoise Quairel-Lanoizelée et Marie-France Turcotte (dir.), ISO 26000 : une norme « hors norme », Paris : Economica, 2011, p. 147-153. Voir aussi Sandra Cossart et Raphaël Lapin, « La sphère d’influence des groupes de sociétés et les principes directeurs des Nations Unies », La revue des Droits de l’Homme, Actualités Droits et Libertés, juin 2016.
  • [25]
    Et notamment par la norme ISO 26000 qui la définit comme « l’étendue/ampleur des relations politiques, contractuelles économiques, ou autres à travers lesquelles une entreprise a la capacité d’influer sur les décisions ou les activités de personnes ou d’autres organisations ».
  • [26]
    Voir notamment, Nadia Bernaz, Business and Human Rights: History, Law and Policy – Bridging the Accountability Gap, New York : Routledge, 2017. À cet égard, les Principes directeurs des Nations unies précisent que : « la responsabilité qui incombe aux entreprises de respecter les droits de l’homme se distingue des questions de responsabilité juridique et d’application légale qui restent définies pour une large part par les dispositions du droit interne dans les juridictions compétentes » (Principe n° 12, commentaire).
  • [27]
    Pour une reconstruction de cette jurisprudence v. Awalou Ouedraogo, « La due diligence en droit international : de la règle de la neutralité au principe général », Revue générale de droit, 42 (2), 2012, p. 641-683. Développée d’abord dans le domaine des obligations de neutralité attendues par les États dans le cadre des conflits armés, la notion de due diligence s’est ensuite cristallisée dans celui de la protection des étrangers : dans ces domaines, où les obligations internationales ne pouvaient pas être indiquées de manière fixe, la due diligence offrait en effet aux juges et aux arbitres internationaux un moyen pour « mesurer » la responsabilité des États en fonction des circonstances concrètes de l’espèce.
  • [28]
    Samantha Besson, « La “due diligence” en droit international », Recueil des cours de l’Académie de La Haye, Leiden : Nijhoff, Boston : Brill, 2020 ; Sarah Cassella (dir.), Le standard de due diligence et la responsabilité internationale Journée d’études du Mans de la Société françaises pour le droit international, Paris : Pedone, 2018 ; Joanna Kulesza, Due Diligence in International Law, Leiden : Nijhoff, Boston : Brill, 2016 ; Roberto Pisillo-Mazzeschi, Due Diligence e responsabilità internazionale degli Stati, Milano : Giuffré, 1989. L’International Law Association (ILA) a organisé un groupe d’étude sur la due diligence qui a publié deux rapports respectivement en 2014 et 2016.
  • [29]
    Voir respectivement : Cour internationale de Justice (CIJ), Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzegovine c. Serbie-et-Montenegro), arrêt 26 févr. 2007, Rec., 2007 ; CIJ, Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), arrêt 20 avr. 2010, Rec., 2010 ; Tribunal international du droit de la mer (TIDM), Responsabilités et obligations des États qui patronnent des personnes et des entités dans le cadre d’activités menées dans la Zone, Affaire n° 17, 2011 ; CIJ, Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua), 2 févr. 2018.
  • [30]
    Voir les trois dernières affaires précitées. Cf. les contributions de Yann Kebrat et Sandrine Maljean-Dubois, in Sarah Cassella (dir.), Le standard de due diligence et la responsabilité internationale, op. cit., p. 27-38 et 145-162. Sur la valorisation de la due diligence en tant que source de production d’obligations de précaution à la charge des États, v. aussi Catherine Le Bris, « Les différents visages de la “précaution” : l’interprétation variable des juridictions internationales », in Luca d’Ambrosio, Geneviève Giudicelli-Delage et Stefano Manacorda (dir.), Principe de précaution et métamorphoses de la responsabilité, Paris : Mare & Martin, 2018, p. 43-55.
  • [31]
    Ulrich Beck, Weltrisikogesellschaft. Auf des Suche nach der verlorenen Sicherheit, Francfort/Main : Suhrkamp Verlag, 2007 (tr. it. Conditio humana. Il rischio nell’étà globale, Bari-Roma : Laterza, 2011).
  • [32]
    Pour Roberto Pisillo-Mazzeschi, « Responsabilité de l’État pour violation des obligations positives relatives aux droits de l’homme », Collected Courses of the Hague Academy of International Law, Brill Reference Online [en ligne].
  • [33]
    Pour une analyse des difficultés que la référence à l’« agent normal » pose en droit international public, v. Pierre d’Argent et Alexia de Vaucleroy, « Le contenu de l’omission illicite : la non-utilisation des moyens raisonnables », in Sarah Cassella (dir.), Le standard de due diligence et la responsabilité internationale, op. cit., p. 255-280, et spéc. p. 264. Voir également sur ce point le Rapport 2016 de l’ILA.
  • [34]
    Ibid. Une responsabilité internationale pour manquement aux obligations de due diligence peut être attribuée aux États, mais aussi aux organisations internationales. Voir les contributions de Évelyne Lagrange et Paolo Palchetti, in Sarah Cassella (dir.), Le standard de due diligence et la responsabilité internationale, op. cit., p. 189-230 et 231-242. Voir aussi la contribution de Samantha Besson, in Alain Supiot (dir.), Face à l’irresponsabilité : la dynamique de la responsabilité, op. cit., p. 121-160.
  • [35]
    Voir l’article 8 des Articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite adoptés par la CDI en 2001 : un fait illicite commis par un tiers pourra être attribué à l’État dès lors que le premier « agit en fait sur les instructions ou les directives ou sous le contrôle » de ce dernier.
  • [36]
    CIJ, Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, op. cit., § 462-463.
  • [37]
    TIDM, Responsabilités et obligations des États qui patronnent des personnes et des entités dans le cadre d’activités menées dans la Zone, op. cit., § 204. Nous soulignons.
  • [38]
    Voir aussi Patrick Jacob, « Le contenu de la responsabilité de l’État négligent », in Sarah Cassella (dir.), Le standard de due diligence et la responsabilité internationale, op. cit., p. 281-296 (spéc. p. 289).
  • [39]
    Ibid.
  • [40]
    Aux termes du nouvel article L. 225-102-4-I du Code de commerce, la loi sur le devoir de vigilance s’applique à « toute société qui emploie, à la clôture de deux exercices consécutifs, au moins cinq mille salariés en son sein et dans ses filiales directes ou indirectes dont le siège social est fixé sur le territoire français, ou au moins dix mille salariés en son sein et dans ses filiales directes ou indirectes dont le siège social est fixé sur le territoire français ou à l'étranger ».
  • [41]
    Pierre Legendre, « L’illusion occidentale du clonage des concepts. Un voyage dans les profondeurs linguistiques », in Id. (dir.), Tour du monde des concepts, Paris : Fayard, coll. « Poids et mesures du monde », p. 14.
  • [42]
    Najib Hage-Chahine, La distinction de l’obligation et du devoir en droit privé, Paris : Éditions Panthéon-Assas Paris II, 2017.
  • [43]
    Cette dimension « verticale » se reflète dans le régime de l’action en responsabilité envisagé pour le manquement au devoir de vigilance : celle-ci est en effet ouverte « à toute personne justifiant un intérêt à agir » (art. L. 225-102-5, al. 2 Code de commerce).
  • [44]
    Voir ainsi Sandra Cossard, Tiphaine Beau de Loménie et Antoine Lubrani, « Extension du domaine de la vigilance, la loi sur le devoir de vigilance, au-delà de la compliance », Revue des juristes de Sciences Po, 16, 2019, p. 13. Une telle approche semble rejoindre celle développée par la doctrine internationaliste à propos des « obligations à réalisation progressive » : ces obligations, qui s’opposeraient aux « obligations immédiates » (de due diligence ou de résultat), relèveraient « d’une catégorie complexe, dont la réalisation finale demande de suivre dans le temps aussi bien certaines obligations de due diligence que certaines obligations de résultat » (Roberto Pisillo-Mazzeschi, « Le chemin étrange de la due diligence : d’un concept mystérieux à un concept surévalué », in Sarah Cassella (dir.), Le standard de due diligence et la responsabilité internationale, op. cit., p. 329).
  • [45]
    Art. L. 225-102-41, al. 1, Code de commerce.
  • [46]
    Art. L. 225-102-4, I, al. 3, Code de commerce.
  • [47]
    Conseil Constitutionnel, Décision n° 2017-750 DC du 23 mars 2017 (obs. Bertrand Mathieu, Constitutions, 2017, p. 291).
  • [48]
    Art. L. 225-102-4, II, Code de commerce.
  • [49]
    La dimension « réparatrice » de la due diligence n’est pas tout à fait absente des textes internationaux de soft law : celle-ci est cependant limitée, notamment dans les Principes directeurs des Nations unies, à une activité de coopération avec les mécanismes judiciaires et se désintéresse de la question de l’accountability de l’entreprise pour les dommages qui peuvent être directement liés à son activité.
  • [50]
    Open-Ended Intergovernmental Working Group (OEIGWG), Legally Binding Instrument to Regulate, in International Human Rights Law, The Activities of Transnational Corporations and other Business Enterprises, Chairmanship revised draft, 6.8.2020, articles 6, 7 et 8. Voir aussi OEHCR-Human Rights Council, Improving Accountability and Access to Remedy for Victims of Business-Related Human Rights Abuse: The Relevance of Human Rights Due Diligence to Determinations of Corporate Liability, A/HCR/38/20/Add. 2
  • [51]
    Ibid.
  • [52]
    Pour une analyse croisée avec la pratique qui commence à se développer dans la jurisprudence de pays de Common Law, où le standard de due diligence peut concourir à la caractérisation d’un duty of care de l’entreprise à l’égard des victimes (notamment des activités de ses filiales), Béatrice Parance, Élise Groulx et Victoire Chatelin, « Regards croisés sur le devoir de vigilance et duty of care », article cité. Voir aussi, Claire Bright, « Le devoir de diligence de la société mère dans la jurisprudence anglaise », Droit social, 10, 2017, p. 828.
  • [53]
    Pour plus de détails, v. Tatiana Sachs, « La loi sur le devoir de vigilance des sociétés mères et sociétés donneuses d’ordre : les ingrédients d’une corégulation », article cité. Le juge national devra également prendre en considération des « facteurs de variabilité » tels que la prévisibilité du dommage ou sa proximité à la société mère ou donneuse d’ordre : voir sur ce point les réflexions de Béatrice Parance, Élise Groulx et Victoire Chatelin, « Regards croisés sur le devoir de vigilance et duty of care », article cité.
  • [54]
    Voir notamment dans le domaine de la conformité pénale : Antonio Fiorella (ed.), Corporate Criminal Liability and Compliance Programs, vol. I, Liability “Ex Crimine” of Legal Entities in Member States, Naples : Jovene, 2012.
  • [55]
    Voir Anne Danis-Fatôme et Geneviève Viney, « La responsabilité civile dans la loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre », Recueil Dalloz, 2017, p. 1610.
  • [56]
    Par exemple, au Royaume-Uni, avec la loi anticorruption UK Bribery Act 2010 et en Italie avec le décret n° 231 de 2001 sur la responsabilité administrative des personnes morales. Sur la transposition de ces modèles dans le domaine de la responsabilité pour les violations des droits de l’homme, voir respectivement : Irene Petropaoli et al., « A UK Failure to Prevent Mechanism for Corporate Human Rights Harms », Londres : British Institute of International and Comparative Law (BIICL), février 2020 (<https://www.biicl.org/publications/a-uk-failure-to-prevent-mechanism-for-corporate-human-rights-harms> (consulté le 15 septembre 2020) ; et Fédération internationale pour les droits humains (FIDH), « Italian Legislative Decree No. 231/2001: A Model for Mandatory Human Rights Due Diligence Legislations? », novembre 2019 (<https://media.business-humanrights.org/media/documents/files/documents/report_231_2001_ENG.pdf>, consulté le 15 septembre 2020).
  • [57]
    Voir, en Suisse, la Responsible Business Initiative, soumise à référendum populaire en novembre 2020 (et rejetée) ; et, à l’échelle internationale, la nouvelle formulation de l’art. 8 du Projet de Traité contraignant (Chairmanship Revised Draft) du 6.8.2020. Pour un panorama, voir Nicolas Bueno et Claire Bright, « Implementing Human Rights Due Diligence through Corporate Civil Liability », International and Comparative Law Quarterly, 69 (4), 2020, p. 789-818.
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