Notes
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[1]
Claude Lévi-Strauss, Mythologique. Le cru et le cuit, Paris : Plon, 1964.
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[2]
La photographie illustre un article du philosophe colombien Omar Felipe Giraldo, « Nous ne pouvons pas confier nos rêves aux urnes », 19 juillet 2017, disponible sur le site Le Comptoir.
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[3]
Il apparaît dans le film de Marie-Monique Robin, Les moissons du futur, 2012.
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[4]
Le Japon présente une physionomie particulière puisque l’exploitation agricole est très peu concentrée, plus de 80 % des exploitations font moins de 2 hectares. Voir D. H. Whittaker et Rob Scollay, « La renaissance de l’agriculture japonaise ? », in Gilles Allaire et Benoît Daviron (dir.), Transformations agricoles et agroalimentaires. Entre écologie et capitalisme, Versailles : Éditions Quae, 2017, p. 106.
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[5]
Claude Lévi-Strauss, « Productivité et condition humaine », Études rurales, juillet-décembre 2001, p. 137.
-
[6]
Ibid. Outre le texte de Claude Lévi-Strauss, voir l’ouvrage classique de Marshall Sahlins, Âge de pierre, âge d’abondance. L’économie des sociétés primitives, Paris : Gallimard, 1976.
-
[7]
Pierre Muller, Les politiques publiques, Paris : PUF, coll. « Que sais-je ? », 11e éd., 2015, qui écrit : « l’action sur la société passe par la définition d’objectifs qui vont eux-mêmes être définis à partir d’une représentation du problème, de ses conséquences et des solutions envisageables pour le résoudre » (p. 51, souligné par l’auteur).
-
[8]
Essentiellement des États-Unis d’Amérique puisque l’Europe qui, en 1973, restait importatrice nette pour de nombreux produits agricoles devient exportatrice grâce aux subventions à l’exportation, les « restitutions ». Pour résister à l’offensive, les États-Unis avaient également recours à des programmes destinés à soutenir les exportations. Les deux parties s’étaient engagées dans une guerre des subventions. En septembre 1986, les ministres du Commerce du GATT précisent que la négociation portera sur 14 domaines, dont l’agriculture et se rallient au principe selon lequel toute intervention de la puissance publique sur la production produit un effet néfaste. Voir, par exemple, Yves Petit, La Politique agricole commune (PAC) au cœur de la construction européenne, Paris : La Documentation française, 2016, p. 62 et suiv.
-
[9]
Ibid., p. 61.
-
[10]
Matthieu Ansaloni, Le tournant environnemental de la politique agricole commune. Débats et coalitions en France, en Hongrie et au Royaume-Uni, Paris : L’Harmattan, 2015.
-
[11]
Conclusions du Conseil européen de Berlin, 24-25 mars 1999, citées par Yves Petit, La Politique agricole commune (PAC) au cœur de la construction européenne, op. cit., p. 65. Voir également Jean-Christophe Bureau et Sophie Thoyer, La politique agricole commune, Paris : La Découverte, nouvelle édition, 2014, p. 25 et suiv.
-
[12]
Ève Fouilleux, « Entre production et institutionnalisation des idées : la réforme de la politique agricole commune », Revue française de science politique, 50 (2), 2000, p. 277-305 ; Matthieu Ansaloni, « La fabrique du consensus politique. Le débat sur la politique agricole commune et ses rapports à l’environnement en Europe », Revue française de science politique, 63 (5), 2013, p. 917-937.
-
[13]
Ève Fouilleux, « Entre production et institutionnalisation des idées : la réforme de la politique agricole commune », art. cité, p. 290.
-
[14]
Maria Giovanna Zamburlini et Tomás García Azcárate, « La réforme de la PAC post-2013. Un archipel d’ONG environnementales entre différenciation et coordination », Économie rurale, 347, 2015, p. 21-37.
-
[15]
Jacques Chevallier et Danièle Lochak, « Les juristes dans l’espace public », Droit et Société, 93, 2016, p. 359-374.
-
[16]
Le Conseil européen de la recherche, inauguré en 2007, vise à « financer l’excellence scientifique à la frontière des connaissances » pour « soutenir les carrières de chercheurs indépendants, dans tous les domaines scientifiques ». Voir Claire Debôves, « 10 ans après, le bon bilan de l’ERC », CNRS Le journal, 13 février 2017, disponible sur Internet. Sur la place du droit de l’alimentation et de la sécurité alimentaire dans les universités, voir également François Collart Dutilleul, « Lascaux et le droit de la sécurité alimentaire dans le monde. Histoire intellectuelle d’un programme de recherche atypique en droit », Revue internationale de droit économique, XXIX (2), 2015, p. 237-256. L’auteur constate que la place de ces disciplines à l’université est beaucoup plus importante en Amérique, tant au nord qu’au sud.
-
[17]
Claire Debôves, « 10 ans après, le bon bilan de l’ERC », article cité. Comme exemple de liberté critique offerte par le Centre européen de la recherche, voir, par exemple Boaventura de Sousa Santos, Épistémologies du Sud. Mouvements citoyens et polémique sur la science, Paris : Desclée de Brouwer, 2016, produit d’une recherche menée en parallèle avec celle du groupe Lascaux.
-
[18]
François Collart Dutilleul, « Lascaux et le droit de la sécurité alimentaire dans le monde. Histoire intellectuelle d’un programme de recherche atypique en droit », article cité, p. 242 et 243.
-
[19]
Jacques Commaille, À quoi nous sert le droit ?, Paris : Gallimard, p. 91. Dans cet ouvrage, l’auteur soutient la thèse de la « dualité de la légalité ». Dans une première approche, dogmatique, le droit incarnerait la « raison juridique » accompagnant « une représentation hiérarchisée, pyramidale, descendante de l’ordre politique » (p. 47). Dans une seconde, le droit apparaît comme une ressource utilisée par les agents sociaux dans leurs interactions et non comme une référence. Alors « l’attention est sollicitée sur les dimensions sociales du droit, c’est-à-dire sur le fait que les conditions suivant lesquelles il se construit et se met en œuvre sont influencées par des environnements culturels, sociaux et politiques » (p. 83).
-
[20]
« L’alimentation devrait être un droit de l’homme », Libération, 21 mars 2014. Voir également Laure Després, « Comment le fonctionnement actuel du système économique mondialisé influence-t-il la sécurité alimentaire ? », in François Collart Dutilleul (dir.) et Thomas Bréger (coord.), Penser une démocratie alimentaire, San Rosé : INIDA, 2013, vol. 1, p. 57-67, qui écrit : « les formes actuelles très diversifiées du mouvement de marchandisation de la nature vont-elles toutes dans le sens d’une augmentation de l’insécurité alimentaire » (p. 66).
-
[21]
Condorcet, Lettre sur le commerce des grains, Paris : Chez Couturier Père, 1974, p. 10, disponible sur le site Gallica.
-
[22]
Chantal de Crisnoy, Lénine face aux moujiks, Paris : Édition La Lenteur, 2017. L’ouvrage, tiré d’une thèse de doctorat, était paru une première fois en 1978, aux éditions du Seuil ; sur la tradition marxiste, voir par exemple : Bernard Hervieu et François Purseigle, Sociologie des mondes agricoles, Paris : Armand Colin, coll. « U », 2014, p. 12 et suiv.
-
[23]
Marcel Gauchet, « Pleurer les paysans ? », Le Débat, 60, 1990, p. 281-282. À la fin des années 1870, la population rurale atteint un pic de 80 % des habitants de la France. Progressivement, la population rurale devient une population paysanne, les campagnes se vident des artisans, contraints à l’exil urbain et à la vie d’usine. La population paysanne ne cesse de décliner. Sur cette évolution, voir les ouvrages classiques d’Eugen Weber, La fin des terroirs. La modernisation de la France rurale, 1870-1914, Paris : Fayard, coll. « Pluriel », 2010 ; Henri Mendras, La fin des paysans [1967], Arles : Actes Sud, coll. « Babel », 1984 ; et pour l’époque contemporaine Pierre Bitoun et Yves Dupont, Le sacrifice des paysans. Une catastrophe sociale et anthropologique, Paris : Éditions L’Échappée, 2016.
-
[24]
Marcel Gauchet, « Sous l’amour de la nature, la haine des hommes », Le Débat, 59, 1990, p. 278-282.
-
[25]
Dominique Bourg, L’homme artifice, Paris : Gallimard, 1996, p. 291-292.
-
[26]
Luc Ferry, Le nouvel ordre écologique, Paris : Grasset, p. 28. Sur le courant « éradicateur », Yves Dupont, « Pourquoi faut-il pleurer les paysans ? », Écologie & politique, 31, 2005, p. 25-40.
-
[27]
Jacques Attali, parmi d’autres, illustre cette ode au nomadisme, optimum du comportement de l’individu dans la société postmoderne, L’homme nomade, Paris : Fayard, 2003. En contrepoint, Simone Weil, L’enracinement. Prélude à une déclaration des devoirs envers l’être humain, Paris : Gallimard, 1949, qui analyse les conséquences sociales du déracinement de la classe ouvrière, suite à l’exode rural, mais aussi le déracinement paysan, maladie qui « a quelque chose d’encore plus scandaleux ; car il est contre nature que la terre soit cultivée par des êtres déracinés », p. 104. Ou encore, Pierre Bourdieu et Abdelmalek Sayad, Le déracinement. La crise de l’agriculture traditionnelle en Algérie, Paris : Minuit, 1964, qui décrivent comment les colonisateurs ont détruit les cadres socio-symboliques traditionnels pour façonner un homme nouveau. Il est cocasse d’observer comment l’administration en France, avec la collaboration de supplétifs du principal syndicat agricole, la FNSEA, poursuit la même ambition.
-
[28]
Laurence Fontaine, Le marché. Histoire et usages d’une conquête sociale, Paris : Gallimard, coll. « NRF essais », 2014.
-
[29]
Cet aspect, outre les contre-exemples très nombreux, est bien mis en lumière dans les études réunies par Isabelle Hillenkamp et Jean-Michel Servet (dir.), Le Marché autrement. Marchés réels et marché fantasmé, Paris : Classiques Garnier, coll. « Bibliothèque de l’économiste », 2015.
-
[30]
Catherine Colliot-Thélène, « Les rationalités modernes du politique : de Foucault à Weber », in Hinnerk Bruhns et Patrice Duran (dir.), Max Weber et le politique, Paris : LGDJ, coll. « Droit et Société. Recherche et Travaux », 2009, p. 187.
-
[31]
Michael Löwy, La cage d’acier. Max Weber et le marxisme wébérien, Paris : Stock, coll. « Un ordre d’idées », 2013, p. 9 pour la traduction de l’expression « cage d’acier », largement entrée dans le langage habituel.
-
[32]
Max Weber, Économie et société, tome 2, Paris : Plon, coll. « Agora », 1995, p. 411 et 412.
-
[33]
Giandomenico Majone, « Communauté économique européenne : déréglementation ou re-réglementation ? La conduite des politiques publiques depuis l’Acte Unique », in Bruno Jobert (dir.), Le tournant néo-libéral en Europe, Paris : L’Harmattan, p. 236.
-
[34]
Voir Ève Fouilleux, « Entre production et institutionnalisation des idées : la réforme de la politique agricole commune », art. cité, p. 291 et suiv. Mon texte reprend purement et simplement ces analyses.
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[35]
Ibid., p. 300.
-
[36]
Référentiel global défini par Pierre Muller comme « un ensemble de valeurs fondamentales qui renvoient aux croyances de bases d’une société, ainsi que de normes qui permettent de choisir entre des conduites », cité par Ioannis Papadopoulos, « Référentiel, médiateurs et démocratie », in Laurie Boussaguet, Sophie Jacquot et Pauline Ravinet (dir.), Une French Touch dans l’analyse des politiques publiques ?, Paris : Presses de Sciences Po, 2015, p. 107.
-
[37]
Emmanuelle Jouanet, Qu’est-ce qu’une société internationale juste ? Le droit international entre développement et reconnaissance, Paris : Éditions A. Pédone, 2011.
-
[38]
Pierre Muller, « Mise en perspective / Une théorie des cycles d’action publique. Pour penser le changement systémique », in Laurie Boussaguet, Sophie Jacquot et Pauline Ravinet (dir.), Une French Touch dans l’analyse des politiques publiques ?, op. cit., p. 408.
-
[39]
Pauline Ravinet et Bruno Palier, « “Global, es-tu là ?”. Réflexions sur une catégorie fantomatique », in ibid., p. 27-55.
-
[40]
L’expression « mimétisme marchand » est utilisée par Matthieu Ansaloni et Andy Smith, « Des marchés au service de l’État ? », Gouvernement et action publique, 4, 2017, p. 9-28.
-
[41]
Pierre Muller, « Mise en perspective / Une théorie des cycles d’action publique. Pour penser le changement systémique », op. cit., p. 422.
-
[42]
Ibid., p. 424.
-
[43]
World Development Report: Agriculture for Development, Washington, 2007, disponible sur le site de l’institution. Sébastien Treyer, « Agriculture : comment un monde réchauffé se nourrira-t-il ? », CERISCOPE Environnement, 2014 [en ligne], François Gemenne, L’enjeu mondial. L’environnement, Paris : Presses de Sciences Po, 2015, p. 79-88.
-
[44]
Ève Fouilleux, « Entre production et institutionnalisation des idées : la réforme de la politique agricole commune », art. cité, p. 300 ; Matthieu Ansaloni, « La fabrique du consensus politique », art. cité, p. 924 et suiv.
-
[45]
Jacques Chevallier et Danièle Lochak, « Les juristes dans l’espace public », art. cité, p. 364.
-
[46]
François Collart Dutilleul, « Lascaux et le droit de la sécurité alimentaire dans le monde. Histoire intellectuelle d’un programme de recherche atypique en droit », op. cit., p. 242.
-
[47]
François Collart Dutilleul et Paul Nihoul, Code de droit européen de l’alimentation, Bruxelles : Bruylant, 2012, publié en français, anglais, espagnol, néerlandais, chinois et portugais.
-
[48]
Pierre Bourdieu, « Habitus, code et codification », Actes de la recherche en sciences sociales, 64, 1986, p. 41.
-
[49]
La recherche des valeurs est expressément revendiquée par le programme Lascaux, François Collart Dutilleul, De la Terre aux aliments, des valeurs au droit, San José : INIDA, 2012.
-
[50]
Olivier Nay décrit cette évolution en matière de politique de développement : « Gouverner par le marché. Gouvernements et acteurs privés dans les politiques internationales de développement », Gouvernement et action publique, 4, 2017, p. 127-154.
-
[51]
Bertrand Badie, « Entre aspirations et désenchantement », in Bertrand Badie et Dominique Vidal (dir.), En quête d’alternatives. L’état du monde 2018, Paris : La Découverte, 2017, p. 18.
-
[52]
Boaventura de Sousa Santos, Épistémologies du Sud. Mouvements citoyens et polémique sur la science, op. cit., p. 28.
-
[53]
Guillaume Tusseau, « Un chaos conceptuel qui fait sens : la rhétorique du constitutionnaliste global », in Jean-Yves Chérot et Benoît Frydman (dir.), La science du droit dans la globalisation, Bruxelles : Bruylant, coll. « Penser le droit », 2012, p. 182-228. L’auteur décrit la « verticalisation du droit international », car « l’ordre juridique international tend à se doter d’une structure formelle comparable à celle qui semblait un monopole des États : la hiérarchie des normes », p. 194.
-
[54]
Andreas Fischer-Lescano et Gunther Teubner, « Collisions de régimes : la recherche vaine de l’unité juridique face à la fragmentation du droit mondial », Revue internationale de droit économique, XXVII (1), 2013, p. 187-228.
-
[55]
« L’OMC est morte, vive l’OMC ! », Les Échos, 6 décembre 2013 ; « L’OMC s’enfonce dans la crise », AFP, 13 décembre 2017. Par ailleurs, la FAO constate que le nombre de personnes dans le monde souffrant de sous-alimentation chronique a augmenté en 2016, FAO, FIDA, OMS, PAM et UNICEF, L’État de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde 2017, Rome : FAO, 2017, p. 2.
-
[56]
Fabrizio Cafaggi, « Les nouveaux fondements de la régulation transnationale privée », Revue internationale de droit économique, XXVII (1), 2013, p. 129-161 ; pour l’agriculture, voir Ève Fouilleux et Alison Loconto, « Dans les coulisses des labels : régulation tripartite et marchés imbriqués. De l’européanisation à la globalisation de l’agriculture biologique », Revue française de sociologie, 58 (3), 2017, p. 501-531.
-
[57]
Benoît Frydman, Petit manuel pratique de droit global, Bruxelles : Académie royale de Belgique, coll. « L’académie en poche », 2014, p. 115.
-
[58]
Ève Fouilleux, « Au-delà des États en action… La fabrique des politiques publiques globales », in Laurie Boussaguet, Sophie Jacquot et Pauline Ravinet (dir.), Une French Touch dans l’analyse des politiques publiques ?, op. cit., p. 314.
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[59]
François Collart Dutilleul et Fabrice Riem (dir.), Droits fondamentaux, ordre public et libertés économiques, Paris : Institut Universitaire Varenne, coll. « Colloques & Essais », 2013.
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[60]
Ibid., « Table ronde n° 2, Les moyens juridiques d’assurer le respect des valeurs portées par les droits fondamentaux », p. 253-264.
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[61]
Rapport du 4 août 2015, A/72/274, p. 2. Voir également le rapport au Conseil des droits de l’homme de l’ONU de Alfred de Zayas, Rapport de l’Expert indépendant sur la promotion d’un ordre international démocratique et équitable, 20 juillet 2017, A/HRC/36/40. Dans la même veine, mais cette fois à propos du Fonds monétaire international (FMI), voir Alfred de Zayas, Rapport de l’Expert indépendant sur la promotion d’un ordre international démocratique et équitable, 21 juillet 2017, A/72/187, p. 28 et 29.
-
[62]
Cette proposition est mise en forme par François Collart Dutilleul, La Charte de La Havane - Pour une autre mondialisation, Paris : Dalloz, coll. « Tiré à part », 2018.
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[63]
François Collart Dutilleul (dir.), Penser une démocratie alimentaire, 2 volumes, San Jose : INIDA, 2013.
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[64]
Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, tome 1, Paris : Garnier-Flammarion, 1981, p. 124.
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[65]
Alain Bernard et Fabrice Riem, « Sécurité alimentaire : le local, l’international et l’intérêt général », in Éric Balate, Josef Drexl, Séverine Menétrey et Hans Ullrich (dir.), Le droit économique, entre intérêts privés et intérêt général. Hommage à Laurence Boy, Aix-en-Provence : PUAM, 2016, p. 259-318. On consultera avec intérêt le site Internet Club des territoires Un plus Bio, qui fédère le mouvement des collectivités locales engagées dans cette phase de transition.
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[66]
« L’alimentation devrait être un droit de l’homme », Libération, 21 mars 2014, article cité.
1L’homme ne vit pas que dans un monde de choses. Mais aussi de symboles, de mots et d’images. Changer le monde suppose aussi de changer l’image du monde. L’agriculture et l’alimentation obéissent, plus que d’autres champs de la vie sociale, à cette loi générale car, par la cuisine, l’homme passe de la nature à la culture, de la chose à l’imaginaire [1].
2Première image offerte par l’agriculture d’aujourd’hui, celle de la « république du soja transgénique » [2] – à cheval sur le Brésil, l’Argentine, l’Uruguay, le Paraguay et la Bolivie et couvrant une superficie passée de 17 à 46 millions d’hectares entre 1990 et 2010, dont 20 millions gagnés sur la forêt amazonienne – montrant une noria de monstres mécaniques, alignés comme pour une parade militaire, récoltant le carburant de l’élevage industriel moderne. Dépourvue de toute poésie, l’image du désert vert n’invite pas au rêve, si ce n’est à celui d’un homme rendu maître et possesseur de la nature. Un monde totalement désenchanté, enfin, et dépeuplé.
3Deuxième image, celle de Monsieur Yoshinori Kaneko, artiste japonais de l’agriculture [3]. Il cultive 2 hectares mais une centaine de variétés végétales différentes comme on sculpte des bonzaïs. « Chaque plante, dit-il, est une vie qui nous est confiée. » Il élève trois vaches et quelques dizaines de canards utilisés, à l’occasion, comme supplétifs pour retourner et engraisser la rizière. L’échange avec les clients relève de la cérémonie rituelle. Les produits, joliment présentés sur un plateau, sont livrés à la trentaine de familles dont Monsieur Kaneko assure l’approvisionnement. Il ne fixe pas de prix, mais reçoit une enveloppe contenant un « remerciement » [4].
4Claude Lévi-Strauss fournit la troisième page de l’album et permet de franchir une étape supplémentaire dans les mondes imaginaires. Il écrit : « Les Australiens étaient récemment – certains sont encore – des agriculteurs symboliques : ils ne cultivent pas la terre, mais célèbrent des rites compliqués pour protéger les plantes sauvages, encourager leur croissance, éloigner d’elles les parasites et les calamités atmosphériques [5]. » Ce n’est plus la machine ou la main de l’homme qui cultive, seulement son esprit.
5Les grottes de Lascaux ornent la dernière page de ce recueil. Dans un monde de cavernes, à l’abri de la lumière du jour, l’homme peint un troupeau fantomatique, réservoir inépuisable de ressources alimentaires. Pourquoi donc s’échiner à griffer le sol, s’inquiéter pour le troupeau, alors que la nature offre en abondance les ressources nécessaires ? Bigrement rationnel, sensible à la beauté du monde, le primitif (sic) préfère disposer de son temps et peindre un « troupeau symbolique » [6].
6La première image, celle de l’agriculture techno-industrielle, a pu représenter, au sortir de la Seconde Guerre mondiale et pendant les Trente Glorieuses, l’image d’un progrès souhaitable en raison de l’accroissement, au moins apparent, de la productivité. Avec la persistance de la faim dans le monde et le retour des crises aigues d’approvisionnement en 2007 et en 2008, la montée des préoccupations environnementales, les crises sanitaires récurrentes, depuis la vache en folie jusqu’aux canards grippés, l’horizon se brouille. Les hommes ne sont plus seulement confrontés à la question de savoir de quoi se nourrir mais aussi à celle de savoir comment se nourrir. Du même coup, les autorités publiques, internationales ou nationales, mais aussi régionales ou municipales, peinent à définir une politique publique. Faute d’un référentiel – entendu comme système de représentations, d’idées, matrice d’un schéma d’organisation générale de la politique publique et de ses principaux instruments [7] – qui fasse l’unanimité, le pouvoir politique tâtonne et bricole.
7L’Union européenne illustre ce phénomène. En 1992, elle a opéré un changement de cap en matière de Politique agricole commune (PAC). Considérant que l’aide à l’agriculture engloutissait une part trop importante de ses ressources et sous la pression de ses partenaires [8] dans la négociation de l’Uruguay Round du General Agreement on Tariffs and Trade (GATT), elle décide d’adopter une politique « market oriented » c’est-à-dire qu’une « logique de concurrence a prévalu pour pouvoir conserver ou acquérir des parts de marché » [9]. Si les préférences idéologiques ne sont peut-être pas absentes de ce choix, l’Agenda 2000, destiné à préparer l’adhésion à l’Union européenne de cinq pays de l’Europe de l’est, marque une nouvelle inflexion de la PAC et légitime l’idée d’un « second pilier », à côté, voire en concurrence, du premier pilier traditionnel, le soutien de la production. Ce second volet axe la politique, déléguée pour partie aux États [10], vers le développement et l’aménagement rural, la protection de l’environnement avec la préservation de la biodiversité, la satisfaction des exigences des consommateurs en matière de qualité et de sûreté des denrées alimentaires, voire la préservation du bien-être des animaux [11].
8Ce « verdissement » de la PAC ne signifie pourtant pas l’abandon de la logique productiviste, au contraire. L’économie du bien-être d’Arthur Cecil Pigou par exemple, d’inspiration utilitariste et libérale, attire l’attention sur les externalités. Il s’agit des conséquences de l’activité d’un agent, ignorées par le marché, qui éloignent de l’optimum économique en portant atteinte aux biens publics. Une intense bataille d’idées conduit à l’adoption d’un slogan qui s’impose à tous dans cette arène : « l’argent public doit exclusivement rémunérer la fourniture de biens publics » (public money for public goods) [12], pour le reste, l’économie de marché accomplira son office, as usual.
9Une représentation, naïve sans doute, conduit à opposer la logique du marché et celle de la préservation de l’environnement. L’agro-industrie, fondée sur la concentration, le développement technique et mécanique, apparaîtrait plutôt comme inconciliable avec une agriculture respectueuse de l’homme et de la nature. Le nouveau référentiel de la PAC se caractérise donc par « l’hétérogénéité et les contradictions internes » [13], facteur d’instabilité pour tous les acteurs de cette politique publique.
10D’autant qu’une multitude de participants interviennent sur le forum où se débat cette politique publique. Jusque dans les années 1980, la politique agricole mettait en face-à-face, quasi exclusivement, pouvoirs publics, communautaires ou nationaux, et agriculteurs. Progressivement, ces derniers perdent le monopole de l’influence. Dans les années 1990, la dimension internationale devient prépondérante. Outre l’Organisation mondiale du commerce (OMC), l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) investit la question agricole dans la perspective la plus familière pour elle, celle de l’économie de marché. Par ailleurs, de multiples organisations non gouvernementales (ONG) fournissent à la Commission un alibi démocratique comme représentants, autoproclamés, de la société civile [14]. Sur le plan scientifique, les économistes, ruralistes particulièrement, trouvent des débouchés valorisés à leur production scientifique. En revanche les juristes, hormis sous leur forme technocratique, paraissent étrangement muets, voire totalement absents du forum et du débat dans l’espace public [15].
11Il faut dire que l’agriculture occupe une place résiduelle dans les facultés de droit, du moins en France. Le droit rural vit dans une semi-clandestinité, abandonné pour une large part aux praticiens. Quant au « droit agroalimentaire, à proprement parler, il n’existe pas » constate François Collart Dutilleul quand il répond à l’appel à projet lancé par l’European Research Council [16]. Le financement de cette recherche permettra le développement d’un travail d’envergure, le « programme Lascaux », qui va s’étendre sur la période 2009-2013 et auquel vont contribuer plusieurs centaines de chercheurs répartis sur toute la surface de la planète.
12Dans ce cadre particulièrement accueillant car « les chercheurs développent leurs propres idées hors de toute contrainte institutionnelle et cela percute l’ordre établi » [17], l’initiateur du projet ne va pas manquer de sortir des sentiers empruntés par la doctrine juridique académique et bousculer les idées reçues en matière agroalimentaire en choisissant un sujet ambitieux : « Le nouveau droit agroalimentaire européen à la lumière des enjeux de la sécurité alimentaire, du développement durable et du commerce international. »
13Pour mener à bien cette entreprise, l’initiateur de la recherche et toute son équipe, dont le signataire de ces lignes, tentent « d’arpenter le réel », « d’aller sur le terrain comme le font les anthropologues » car « c’est le seul moyen d’apprendre comment le droit façonne les pratiques » puisqu’il s’agit d’appréhender la sécurité alimentaire comme un « phénomène social total ». Au plan juridique, « le droit qui tourne autour de la sécurité alimentaire est complexe, hétérogène, multiple, éclaté et ce sont précisément les faits qui permettent d’y mettre un début d’ordre et d’y voir naître des convergences idéologiques, théoriques ou pratiques » [18]. Dans cette mesure, le groupe de recherche accepte, au moins de façon implicite, de considérer le droit de façon non dogmatique et critique car, selon l’expression de Jacques Commaille, « ce qui se joue est bien plus que la question du droit : c’est celle de la mise en ordre du monde social et de la structuration du politique » [19]. Ainsi, en mêlant dogmatisme et pragmatisme, cette recherche collective s’inscrit dans un mouvement très vaste de recomposition des discours, savants et politiques, sur l’agriculture à partir de l’alimentation. Elle questionne donc l’ordre social et interroge la structuration du politique : sans surprise, le programme Lascaux abandonne le référentiel du marché (I) et l’image d’une agriculture industrielle en partant à la recherche des « valeurs » (II).
I. Le marché comme politique agricole
14François Collart Dutilleul le dit tout net : « On ne nous parle que de la loi du marché dont on n’a rien à faire [20]. » Et pourtant, il faut bien constater que cette « loi du marché » sert de justification à bien des politiques publiques agricoles qui, en même temps que la concentration, sonnent le glas d’un monde paysan méprisé. La mobilité, la « libre circulation » caractérisent le monde de la marchandise. Il faut déraciner la chose, mais l’homme aussi, pour mettre la société en marché.
I.1. Déracinement
15Le mépris du paysan remonte à loin. Pour se limiter à l’époque moderne, Condorcet écrivait par exemple : « Les cultivateurs accoutumés à une vie dure et frugale, ont peu de besoins, et par conséquent peu d’activité. La moindre gêne les dégoûte, la moindre discussion les fatigue. Ils demanderaient à la terre de quoi vivre et non de quoi s’enrichir [21]. » Marx et Engels ne pensent pas autre chose puisqu’ils affirment dans le Manifeste du parti communiste que l’avènement, inéluctable, de la société socialiste s’appuierait fatalement sur le développement des forces productives, autrement dit le prolétariat. Lénine et ses compagnons, intellectuels déracinés, font de la paysannerie une force inerte, au mieux, qui devrait être guidée par le prolétariat. Convaincus que les moujiks organisent la disette, ils se lancent dans une répression féroce. Staline poursuivra le rêve d’une nouvelle Russie, hautement industrialisée, campagnes comprises, moujiks transformés en prolétaires [22].
16Nous ne manquons pas, chez nous non plus, de beaux esprits. Marcel Gauchet se réjouit : « l’extinction du dernier paysan est pour bientôt » [23], d’autant que « l’amour de la nature », pour cette intelligence aiguisée, cache « la haine des hommes » [24]. Dominique Bourg souligne « le parcours de la modernité industrielle et l’un de ses résultats les plus spectaculaires : la disparition d’une civilisation paysanne millénaire », mais il faut patienter quelque temps encore pour que « soient éradiqués de la France d’après-guerre ses derniers avatars » [25]. Luc Ferry, explique : « Toute notre culture démocratique, toute notre histoire économique, industrielle, intellectuelle, artistique depuis la Révolution française est marquée, pour des raisons philosophiques de fond, par un éloge du déracinement, ou, ce qui revient au même, de l’innovation – éloge que le romantisme, puis le fascisme et le nazisme n’ont cessé de dénoncer comme fatal aux identités nationales, voire aux coutumes et aux particularités locales [26]. »
17Voilà donc le grand projet de la modernité, « pour des raisons philosophiques de fond », il faut déraciner, mettre en marche en somme [27]. Le « marché » permet de déraciner, d’abord, la marchandise. Avec l’édification d’un marché national puis international, l’autarcie devient ringarde, le blé devient un flux, liquide presque, et qui circule comme dans la théorie des physiocrates.
I.2. Mise en marché
18Le marché libère les hommes, paraît-il. Laurence Fontaine fournit une bonne illustration de cette littérature apologétique [28]. Le marché serait triplement libérateur, de la misère, de la domination sociale et politique mais encore de l’oppression patriarcale. Aujourd’hui, le microcrédit apparaîtrait comme l’instrument principal de la démocratisation par le marché. Pour parvenir à cette conclusion, l’auteure récuse l’opposition entre marché et capitalisme. En usant exclusivement du singulier « le » marché, posture assumée, cette construction mentale devient un universel ethnocentrique qui justifie les politiques économiques les plus libérales, sans prendre en considération les conséquences nuisibles, pour les plus pauvres des pays du sud notamment [29].
19La référence à Max Weber, dès le début de l’ouvrage, « le marché rend libre » (p. 15) relève de la captation d’héritage. Procéder de la sorte contrevient d’abord à la méthode wébérienne. Catherine Colliot-Thélène écrit par exemple : « Chez Foucault comme chez Weber, la place centrale accordée à l’analyse des conduites est la contrepartie positive d’un refus, celui de recourir, dans les formes de discours mis en œuvre pour rendre raison des logiques pratiques, à des entités collectives hypostasiées. La critique de l’essentialisme est au cœur de l’épistémologie wébérienne [30]. » Refuser de recourir aux « entités collectives hypostasiées », comme « le » marché, refuser l’essentialisme, posture méthodologique revendiquée par le programme Lascaux conduisent inéluctablement à reconnaître l’infinie diversité des marchés dont les effets sociaux varient très sensiblement en fonction de considérations qui ne sont pas qu’économiques.
20Ensuite, les conclusions de Weber vont plutôt dans le sens inverse de la « libération » à considérer, ce que Laurence Fontaine refuse de faire, un autre élément indispensable à l’analyse : le capitalisme. Alors les conclusions de Max Weber changent de sens. Il parle d’un « habitacle dur comme l’acier » (Stahlartes Gehäuse), la célèbre « cage d’acier », qui ne renvoie pas exactement à l’idée de « libération » [31]. Il écrit que « la communauté de marché, en tant que telle, est le plus impersonnel des rapports de la vie pratique dans lesquels les hommes peuvent se trouver », « lorsque le marché est laissé à sa propre légalité, il n’a de considérations que pour les choses, aucune pour les personnes ni pour les devoirs de fraternité ou de piété », le marché « est radicalement étranger à toute fraternisation » [32]. Sans doute ce que les laudateurs du marché entendent par libération, « enfermer l’homme dans la solitude de son propre cœur » selon l’expression de Tocqueville.
21Mais la portée scientifique de cette littérature n’est pas l’essentiel. Elle contribue à nourrir un abondant réservoir d’idées et de propositions dans lequel les acteurs politiques puisent à l’occasion, car « le stock des idées existantes prédétermine l’éventail des alternatives conceptuelles ouvertes à leur choix » [33]. On peut en constater les effets à la fois sur les agents sociaux et sur les institutions.
22La réforme de la PAC en 1992 le montre [34]. Depuis les origines, cette politique produit des effets sur les prix, puisque les agriculteurs bénéficient de prix garantis. Autant dire que les économistes orthodoxes condamnaient cette politique – qui contredit une pièce essentielle de la théorie du marché, le prix comme signal envoyé aux producteurs – mais ils restaient inaudibles. La montée en puissance de l’agriculture européenne provoque, au début des années 1980, des tensions sur les marchés internationaux avec les États-Unis d’Amérique. L’OCDE se saisit donc du problème de l’articulation entre les politiques nationales et le système commercial multilatéral et, avec l’aide des économistes de marché revenus en grâce, construit un modèle dit MTM (Trade Mandate Model) qui permettrait une évaluation des incidences d’une réduction progressive de la protection accordée à l’agriculture. Nourrir la population ou assurer un revenu décent aux agriculteurs ne sont plus les critères pertinents de l’évaluation de la politique agricole. Ce changement de paradigme permet le transfert du litige à l’arène du GATT puisqu’il s’agit maintenant d’une question qui relève de sa compétence. Le renouvellement du débat politique « a clairement permis aux tenants du paradigme néo-classique d’amorcer le retournement paradigmatique du forum » [35], les prix garantis sont regardés avec suspicion alors que les aides directes, dont les effets sur les revenus sont pourtant largement identiques, bénéficient d’une tolérance. Pour les paysans du Sud, subissant la concurrence déloyale de producteurs subventionnés, la situation ne s’améliore pas.
23Les théories économiques libérales, tombées en disgrâce auprès des décideurs politiques au temps du keynésianisme, continuaient d’occuper l’arrière-plan de la scène intellectuelle. L’Europe, construction politique fondée sur le marché, pièce centrale de son « référentiel » [36], est une arène politique internationale prédisposée à ce type de solution. Une semaine à peine après sa prise de fonction, le président Jacques Delors annonçait son programme : l’achèvement d’un marché pleinement unifié pour 1992. La solution de marché présente un attrait inoxydable, préserver les finances publiques, et dispense d’un débat houleux, le débat sur les valeurs et même les buts des politiques publiques. Mais elle ne signifie nullement un gouvernement allégé, loin de là.
II. La contribution du programme Lascaux à la lutte pour les valeurs
24La théorie classique de l’économie évacue la question de la valeur en retenant une conception subjective : elle se définit comme l’expression de l’intérêt que l’agent porte au bien en cause. Il s’agirait d’un processus psychologique, extérieur à la science économique proprement dite. Entre l’aliment issu de l’agro-industrie et celui que fournit l’agriculture durable, chaque consommateur choisit librement en fonction de ses préférences et du prix qu’il est disposé à payer. Dans une économie de marché atomisée, cela fonctionnerait assez bien en préservant la liberté de choix. Le processus de concentration du pouvoir introduit par le capitalisme rend la liberté illusoire. Avec cette inégalité structurelle, la question de l’équité se pose, que le marché ne résout pas. Il faut recourir à d’autres mécanismes, ceux du choix politique, de la démocratie, débattre des valeurs, choisir entre justice et mise en coupe déréglée du monde [37]. Autrement dit, contribuer à un débat politique pour l’élaboration d’un référentiel de secours et d’un droit rénové pour tenter de sauver la planète et chaque homme qui la peuple.
II.1. La recherche d’un référentiel
25Pierre Muller, dans le sillage de Pierre Bourdieu et de Michel Foucault, voit dans l’État le lieu où les sociétés modernes « construisent leur rapport au monde et agissent sur elles-mêmes » [38]. La notion de « référentiel global » fournit la vision d’ensemble du régime économique, du régime des relations internationales, de la citoyenneté et du politique du point de vue du « bon gouvernement ». Dans la période actuelle, au cycle de « l’État-entreprise » succèderait celui de la « gouvernance durable ». La thèse du référentiel global fait des modèles économiques dominants – les différents régimes du capitalisme – le cœur de l’analyse [39]. Les cycles successifs se caractérisaient par des injonctions positives sur ce que les pouvoirs publics devaient faire pour obéir à l’impératif de bonne gouvernance. Dans le cycle de l’État-entreprise par exemple, celui de la vulgate néolibérale, l’injonction adressée à l’État est celle du mimétisme marchand, il doit « pour agir, tendre à mimer le modèle du marché à travers de multiples instruments » [40] afin que l’État ne soit pas un handicap pour le « véritable » développement économique. En revanche, ce qui caractériserait, temporairement peut-être, le cycle de la « gouvernance durable » serait plutôt l’incertitude. Avec l’achèvement de la globalisation dans le domaine de l’économie et le passage à une finance interconnectée, s’ouvre l’époque des crises planétaires. Par ailleurs, la prise de conscience d’un risque écologique, menaçant l’avenir de la planète et donc de l’humanité tout entière, constituerait « le stade ultime de l’autoréférentialité » [41]. Ou, pour dire les choses brutalement, l’humanité a le choix entre la réforme (la révolution ?) ou le suicide.
26Ainsi, le régime des politiques publiques traverse une phase d’incertitude radicale. Une partie significative de l’activité réflexive de la société sur elle-même « porte sur les conséquences entraînées par l’incapacité croissante des sociétés à se prendre en charge elles-mêmes, voire sur les effets néfastes de leurs propres actions sur elles-mêmes » [42]. Mais plus largement encore, la question se pose de la pertinence de poursuivre sur la voie économiciste engagée, tant au plan national que global. En articulant le très local, l’enraciné, et l’international, l’agriculture et l’alimentation offrent l’occasion de passer du constat de ce qui est à l’interrogation sur ce qui devrait advenir.
27La question agraire faisait son grand retour chez les économistes du développement comme pièce des politiques publiques. En 2007, la Banque mondiale consacrait son rapport annuel au développement à l’agriculture, avant même les crises alimentaires de 2008 [43]. Il n’y a donc pas de hasard si, à cette date, le Conseil européen de la recherche accepte de financer le projet Lascaux dont le sujet, l’alimentation, « de la fourche à la fourchette », sort des cadres académiques établis. Le groupe pouvait jouer le rôle d’un think tank d’occasion sur une question centrale de l’Union européenne. Les travaux à venir – dans une phase de recomposition du référentiel qui pose aussi la question de la redéfinition des frontières et du contenu des politiques publiques – pouvaient contribuer à renouveler les termes du débat agricole, au cœur de la construction européenne. Alors que l’arène des politiques publiques agricoles recourt largement aux experts ancillaires, soigneusement sélectionnés par les responsables politiques et administratifs en fonction des conclusions attendues [44], le passage par le Conseil européen de la recherche ouvre la porte à une démarche engagée.
II.2. Le programme Lascaux, une recherche engagée
28Cette liberté offerte à la recherche scientifique par le programme européen dans le cadre duquel elle s’inscrit, explique la méthode et les résultats obtenus. Pour le porteur du projet, et comme l’écrivent Jacques Chevallier et Danièle Lochak, « c’est la perception d’un enjeu politique touchant aux principes fondamentaux sous-jacents à l’ordre juridique qui incite les juristes à entrer dans l’arène du débat public » [45]. À rebours d’une démarche doctrinale orthodoxe, le Programme ne se plie pas aux contraintes liées au positivisme en prétendant se limiter à exploiter les ressources du droit en vigueur. Dans la mesure où il s’agit d’estimer comment le droit contribue à l’échec de la sécurité alimentaire, comment il dysfonctionne, il faut convenir « qu’une telle approche n’est pas du tout » neutre « puisqu’elle identifie un problème social que le droit contribue à créer. Il en résulte une approche critique du droit » [46], nécessairement pluridisciplinaire, évidemment politique.
29Cette dimension politique apparaît dès la première publication d’envergure du Programme, le Code de droit européen de l’alimentation [47]. En sélectionnant parmi une multitude de textes, les compilateurs font advenir un droit de l’alimentation, droit original et nouveau. Au-delà du choix des textes figurant dans le Code, la dimension symbolique de l’ouvrage résulte du fait même de la codification. Comme l’écrit Pierre Bourdieu, « l’objectivation qu’opère la codification introduit la possibilité d’un contrôle logique de la cohérence », en conséquence, « la codification est une opération de mise en ordre symbolique, ou de maintien de l’ordre symbolique, qui incombe le plus souvent aux grandes bureaucraties d’État » [48]. En même temps que ce Code consacre l’existence d’une branche nouvelle du droit, le droit de l’alimentation, il emprunte (usurpe ?) à la légitimité de l’État qui a pour tâche, particulièrement dans le domaine juridique, le maintien de l’ordre symbolique.
30En se posant comme « médiateur », le programme Lascaux quitte le domaine technique pour celui des « valeurs », pour aborder de front la question politique [49]. Il se charge de mettre en mots le changement du référentiel de l’alimentation. Car en basculant dans la logique néolibérale, les États renoncent à la question politique [50]. Si la loi du marché dirige le monde, si l’économie fonctionne à plein régime, la question politique se marginalise et l’économie devient une science absolue : There is no alternative. En ouvrant largement ses colonnes aux représentants des agriculteurs du monde et de la société civile, les publications du programme Lascaux attestent de solidarités transnationales, d’une nouvelle forme de société politique et contribuent à construire un imaginaire mondial [51].
31Pour décrypter un changement intervenant au niveau global, une démarche globale s’impose. Empruntant la forme du réseau international, le programme Lascaux se range au diagnostic sans complaisance de Boaventura de Sousa Santos : « les pays du Nord perdent de plus en plus de terrain en matière économique, politique et culturelle », car « après avoir passé cinq siècles à faire la leçon au reste du monde, le Nord semble aujourd’hui incapable d’apprendre des expériences du monde » [52]. Plus encore, l’Occident renie la conviction qui porte le mouvement de la modernité : la société décide pour elle-même par débat entre citoyens égaux. Il n’y a d’obligation que consentie.
32Le programme Lascaux établit un bilan de l’échec des politiques publiques en matière d’alimentation : ces politiques échouent car elles n’existent pas au niveau international. En effet, la question de la sécurité alimentaire se trouve discutée dans des forums ou des arènes éclatées qui ne traitent chacune que d’un aspect de cette politique et prétendent à l’autonomie normative [53]. L’OMC est en charge du commerce international, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) de la sécurité et de l’approvisionnement alimentaire, les questions de l’environnement se discutent quant à elles dans des forums spécialisés [54]. Faute d’un principe transversal guidant les décisions de chacune de ces instances, non seulement l’insécurité alimentaire augmente dans le monde, mais chacune d’entre elles se voit condamnée à l’impuissance [55].
II.3. Repenser le droit ?
33Paradoxalement cette impuissance se conjugue avec une prolifération des normes, des règles, des standards ou des labels aboutissant à une « régulation transnationale privée » [56]. Même si ces dispositions ne présentent pas de caractère formellement impératif, elles imposent leur emprise sur l’ensemble des acteurs, agriculteurs et consommateurs compris, et affectent les droits et libertés de ceux qui ne peuvent y échapper [57]. Au nom du développement durable, en se grimant des apparences d’un fonctionnement démocratique et équitable, il s’agit de « figures globales d’incorporation de la critique par le référentiel de marché, elles l’amendent à la marge, sans jamais remettre en question ses fondamentaux » [58].
34Dans l’ordre international, la pyramide des normes se renverse. Les règles de bas étage l’emportent dans la pratique. Les droits de l’homme ou les droits fondamentaux pourraient apparaître comme l’antidote adapté au chamboulement des sources du droit et à la fragmentation du droit global. Le programme Lascaux a testé cette hypothèse, sans dégager de position unanime [59]. Dominique Rosenberg, par exemple, constate que les droits fondamentaux peuvent finir par accéder à la catégorie des normes du droit impératif général à condition que des acteurs assez nombreux s’obstinent à saisir un juge. En revanche, Horatia Muir-Watt, François Collart Dutilleul et d’autres pensent que le droit impératif général ne produit pas de grands résultats [60]. Le Rapporteur spécial sur l’extrême pauvreté et les droits de l’homme de l’Organisation des Nations unies (ONU), Philip Alston, conforte la vision sceptique. À propos de la Banque mondiale, il écrit par exemple que « l’approche actuellement adoptée par la Banque à l’égard des droits de l’homme est incohérente, contraire au but recherché et insoutenable. Chose certaine, la Banque mondiale est une zone exempte de droits de l’homme. Dans ses politiques opérationnelles, en particulier, elle semble traiter les droits de l’homme beaucoup plus comme une maladie infectieuse que comme un ensemble de valeurs et d’obligations universelles » [61].
35Faute de trouver dans les droits de l’homme un moyen d’action à court terme, le programme Lascaux suggère deux stratégies.
36Prenant acte de la structuration du global en secteurs verticaux spécialisés, il convient de pénétrer le cœur du système, celui du commerce international de l’OMC. La réactivation du texte signé le 24 mars 1948, la charte de La Havane, mais avorté en raison du refus de ratification des États-Unis d’Amérique, permettrait la mise en œuvre d’un régime juridique spécifique pour les produits agricoles nécessaires à l’alimentation, voire même pour tous les produits issus des ressources naturelles. La solution ne serait pas hors de portée. Elle prendrait appui sur le modèle de l’exception culturelle qui existe déjà [62]. Conjointement, le contrôle des contrats d’investissements internationaux dans l’agriculture s’impose.
37Mais, surtout, par la démocratie, il s’agit de remettre le marché à sa place, subordonné à la politique [63]. Car, pour qui adhère à la thèse de la perte de légitimité du politique mais aussi des experts, alors il faut constater que l’État ne remplit plus son rôle de mise en ordre du monde de façon satisfaisante. En se défaussant sur des pouvoirs privés, il n’assume plus l’essentiel de sa tâche, celle du bon gouvernement. Des enjeux aussi importants que la sécurité alimentaire ou la préservation de la planète apparaissent comme instrumentalisés au profit des détenteurs du pouvoir politique ou économique.
38Le consommateur et le citoyen se rejoignent pour exercer effectivement la liberté que le système, au moins formellement, leur concède. En France, par exemple, des collectivités locales se trouvent à l’origine d’innovations politiques fortes. Alexis de Tocqueville constatait que « dans la commune comme partout ailleurs, le peuple est la source des pouvoirs sociaux, mais nulle part il n’exerce sa puissance plus immédiatement », en conséquence, c’est « dans la commune que réside la force des peuples libres » [64]. Aujourd’hui, nombre de départements et de communes convertissent les cantines à l’agriculture durable. Certaines – comme la commune de Mouans-Sartoux dans les Alpes-Maritimes [65] –, pour maîtriser totalement la qualité de la nourriture servie aux enfants, n’utilisent plus que des produits bruts transformés sur place. De plus, une régie agricole employant un « agriculteur municipal » permet de produire localement. La maîtrise des coûts et la lutte contre le gaspillage alimentaire permettent même d’économiser 0,15 € par repas. Ils se contentent d’ajuster collectivement les ressources aux besoins. Plutôt que de distribuer des dividendes à des actionnaires, les habitants mettent en œuvre une politique « locale internationale » en apportant l’eau à des communautés africaines démunies. Ils ne font de leçon de démocratie à personne. Ils savent bien que l’Occident est grotesque à donner son propre régime politique en modèle à la société africaine qui pratique, elle, la règle de l’unanimité.
39Il manquait donc tout à l’heure une image à notre album, celle d’une plante adventice, paraît-il, le coquelicot. François Collart Dutilleul constatait : « Le coquelicot ne fait qu’ajuster ses ressources à ses besoins. Il ne capitalise pas, ne prend jamais plus que ce qui est utile à sa survie. Et là où il pousse, il reste de quoi nourrir la génération suivante. Si le coquelicot sait le faire… Cette loi est essentielle et personne n’en discute [66]. » Dans la discrétion, loin des personnes importantes et des premiers de cordée, des communautés d’habitants, des petits peuples obstinés, des gens de peu, mettent en œuvre la loi du coquelicot : l’ajustement des ressources et des besoins. Le commerce international est une bien grande chose. La démocratie une toute petite. Mais une grande idée ?
Mots-clés éditeurs : Droit international et européen, Politique agricole, Sécurité alimentaire, Démocratie, Droits de l’homme, Marché
Date de mise en ligne : 09/05/2019
https://doi.org/10.3917/drs1.101.0021Notes
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[1]
Claude Lévi-Strauss, Mythologique. Le cru et le cuit, Paris : Plon, 1964.
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[2]
La photographie illustre un article du philosophe colombien Omar Felipe Giraldo, « Nous ne pouvons pas confier nos rêves aux urnes », 19 juillet 2017, disponible sur le site Le Comptoir.
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[3]
Il apparaît dans le film de Marie-Monique Robin, Les moissons du futur, 2012.
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[4]
Le Japon présente une physionomie particulière puisque l’exploitation agricole est très peu concentrée, plus de 80 % des exploitations font moins de 2 hectares. Voir D. H. Whittaker et Rob Scollay, « La renaissance de l’agriculture japonaise ? », in Gilles Allaire et Benoît Daviron (dir.), Transformations agricoles et agroalimentaires. Entre écologie et capitalisme, Versailles : Éditions Quae, 2017, p. 106.
-
[5]
Claude Lévi-Strauss, « Productivité et condition humaine », Études rurales, juillet-décembre 2001, p. 137.
-
[6]
Ibid. Outre le texte de Claude Lévi-Strauss, voir l’ouvrage classique de Marshall Sahlins, Âge de pierre, âge d’abondance. L’économie des sociétés primitives, Paris : Gallimard, 1976.
-
[7]
Pierre Muller, Les politiques publiques, Paris : PUF, coll. « Que sais-je ? », 11e éd., 2015, qui écrit : « l’action sur la société passe par la définition d’objectifs qui vont eux-mêmes être définis à partir d’une représentation du problème, de ses conséquences et des solutions envisageables pour le résoudre » (p. 51, souligné par l’auteur).
-
[8]
Essentiellement des États-Unis d’Amérique puisque l’Europe qui, en 1973, restait importatrice nette pour de nombreux produits agricoles devient exportatrice grâce aux subventions à l’exportation, les « restitutions ». Pour résister à l’offensive, les États-Unis avaient également recours à des programmes destinés à soutenir les exportations. Les deux parties s’étaient engagées dans une guerre des subventions. En septembre 1986, les ministres du Commerce du GATT précisent que la négociation portera sur 14 domaines, dont l’agriculture et se rallient au principe selon lequel toute intervention de la puissance publique sur la production produit un effet néfaste. Voir, par exemple, Yves Petit, La Politique agricole commune (PAC) au cœur de la construction européenne, Paris : La Documentation française, 2016, p. 62 et suiv.
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[9]
Ibid., p. 61.
-
[10]
Matthieu Ansaloni, Le tournant environnemental de la politique agricole commune. Débats et coalitions en France, en Hongrie et au Royaume-Uni, Paris : L’Harmattan, 2015.
-
[11]
Conclusions du Conseil européen de Berlin, 24-25 mars 1999, citées par Yves Petit, La Politique agricole commune (PAC) au cœur de la construction européenne, op. cit., p. 65. Voir également Jean-Christophe Bureau et Sophie Thoyer, La politique agricole commune, Paris : La Découverte, nouvelle édition, 2014, p. 25 et suiv.
-
[12]
Ève Fouilleux, « Entre production et institutionnalisation des idées : la réforme de la politique agricole commune », Revue française de science politique, 50 (2), 2000, p. 277-305 ; Matthieu Ansaloni, « La fabrique du consensus politique. Le débat sur la politique agricole commune et ses rapports à l’environnement en Europe », Revue française de science politique, 63 (5), 2013, p. 917-937.
-
[13]
Ève Fouilleux, « Entre production et institutionnalisation des idées : la réforme de la politique agricole commune », art. cité, p. 290.
-
[14]
Maria Giovanna Zamburlini et Tomás García Azcárate, « La réforme de la PAC post-2013. Un archipel d’ONG environnementales entre différenciation et coordination », Économie rurale, 347, 2015, p. 21-37.
-
[15]
Jacques Chevallier et Danièle Lochak, « Les juristes dans l’espace public », Droit et Société, 93, 2016, p. 359-374.
-
[16]
Le Conseil européen de la recherche, inauguré en 2007, vise à « financer l’excellence scientifique à la frontière des connaissances » pour « soutenir les carrières de chercheurs indépendants, dans tous les domaines scientifiques ». Voir Claire Debôves, « 10 ans après, le bon bilan de l’ERC », CNRS Le journal, 13 février 2017, disponible sur Internet. Sur la place du droit de l’alimentation et de la sécurité alimentaire dans les universités, voir également François Collart Dutilleul, « Lascaux et le droit de la sécurité alimentaire dans le monde. Histoire intellectuelle d’un programme de recherche atypique en droit », Revue internationale de droit économique, XXIX (2), 2015, p. 237-256. L’auteur constate que la place de ces disciplines à l’université est beaucoup plus importante en Amérique, tant au nord qu’au sud.
-
[17]
Claire Debôves, « 10 ans après, le bon bilan de l’ERC », article cité. Comme exemple de liberté critique offerte par le Centre européen de la recherche, voir, par exemple Boaventura de Sousa Santos, Épistémologies du Sud. Mouvements citoyens et polémique sur la science, Paris : Desclée de Brouwer, 2016, produit d’une recherche menée en parallèle avec celle du groupe Lascaux.
-
[18]
François Collart Dutilleul, « Lascaux et le droit de la sécurité alimentaire dans le monde. Histoire intellectuelle d’un programme de recherche atypique en droit », article cité, p. 242 et 243.
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[19]
Jacques Commaille, À quoi nous sert le droit ?, Paris : Gallimard, p. 91. Dans cet ouvrage, l’auteur soutient la thèse de la « dualité de la légalité ». Dans une première approche, dogmatique, le droit incarnerait la « raison juridique » accompagnant « une représentation hiérarchisée, pyramidale, descendante de l’ordre politique » (p. 47). Dans une seconde, le droit apparaît comme une ressource utilisée par les agents sociaux dans leurs interactions et non comme une référence. Alors « l’attention est sollicitée sur les dimensions sociales du droit, c’est-à-dire sur le fait que les conditions suivant lesquelles il se construit et se met en œuvre sont influencées par des environnements culturels, sociaux et politiques » (p. 83).
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[20]
« L’alimentation devrait être un droit de l’homme », Libération, 21 mars 2014. Voir également Laure Després, « Comment le fonctionnement actuel du système économique mondialisé influence-t-il la sécurité alimentaire ? », in François Collart Dutilleul (dir.) et Thomas Bréger (coord.), Penser une démocratie alimentaire, San Rosé : INIDA, 2013, vol. 1, p. 57-67, qui écrit : « les formes actuelles très diversifiées du mouvement de marchandisation de la nature vont-elles toutes dans le sens d’une augmentation de l’insécurité alimentaire » (p. 66).
-
[21]
Condorcet, Lettre sur le commerce des grains, Paris : Chez Couturier Père, 1974, p. 10, disponible sur le site Gallica.
-
[22]
Chantal de Crisnoy, Lénine face aux moujiks, Paris : Édition La Lenteur, 2017. L’ouvrage, tiré d’une thèse de doctorat, était paru une première fois en 1978, aux éditions du Seuil ; sur la tradition marxiste, voir par exemple : Bernard Hervieu et François Purseigle, Sociologie des mondes agricoles, Paris : Armand Colin, coll. « U », 2014, p. 12 et suiv.
-
[23]
Marcel Gauchet, « Pleurer les paysans ? », Le Débat, 60, 1990, p. 281-282. À la fin des années 1870, la population rurale atteint un pic de 80 % des habitants de la France. Progressivement, la population rurale devient une population paysanne, les campagnes se vident des artisans, contraints à l’exil urbain et à la vie d’usine. La population paysanne ne cesse de décliner. Sur cette évolution, voir les ouvrages classiques d’Eugen Weber, La fin des terroirs. La modernisation de la France rurale, 1870-1914, Paris : Fayard, coll. « Pluriel », 2010 ; Henri Mendras, La fin des paysans [1967], Arles : Actes Sud, coll. « Babel », 1984 ; et pour l’époque contemporaine Pierre Bitoun et Yves Dupont, Le sacrifice des paysans. Une catastrophe sociale et anthropologique, Paris : Éditions L’Échappée, 2016.
-
[24]
Marcel Gauchet, « Sous l’amour de la nature, la haine des hommes », Le Débat, 59, 1990, p. 278-282.
-
[25]
Dominique Bourg, L’homme artifice, Paris : Gallimard, 1996, p. 291-292.
-
[26]
Luc Ferry, Le nouvel ordre écologique, Paris : Grasset, p. 28. Sur le courant « éradicateur », Yves Dupont, « Pourquoi faut-il pleurer les paysans ? », Écologie & politique, 31, 2005, p. 25-40.
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[27]
Jacques Attali, parmi d’autres, illustre cette ode au nomadisme, optimum du comportement de l’individu dans la société postmoderne, L’homme nomade, Paris : Fayard, 2003. En contrepoint, Simone Weil, L’enracinement. Prélude à une déclaration des devoirs envers l’être humain, Paris : Gallimard, 1949, qui analyse les conséquences sociales du déracinement de la classe ouvrière, suite à l’exode rural, mais aussi le déracinement paysan, maladie qui « a quelque chose d’encore plus scandaleux ; car il est contre nature que la terre soit cultivée par des êtres déracinés », p. 104. Ou encore, Pierre Bourdieu et Abdelmalek Sayad, Le déracinement. La crise de l’agriculture traditionnelle en Algérie, Paris : Minuit, 1964, qui décrivent comment les colonisateurs ont détruit les cadres socio-symboliques traditionnels pour façonner un homme nouveau. Il est cocasse d’observer comment l’administration en France, avec la collaboration de supplétifs du principal syndicat agricole, la FNSEA, poursuit la même ambition.
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[28]
Laurence Fontaine, Le marché. Histoire et usages d’une conquête sociale, Paris : Gallimard, coll. « NRF essais », 2014.
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[29]
Cet aspect, outre les contre-exemples très nombreux, est bien mis en lumière dans les études réunies par Isabelle Hillenkamp et Jean-Michel Servet (dir.), Le Marché autrement. Marchés réels et marché fantasmé, Paris : Classiques Garnier, coll. « Bibliothèque de l’économiste », 2015.
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[30]
Catherine Colliot-Thélène, « Les rationalités modernes du politique : de Foucault à Weber », in Hinnerk Bruhns et Patrice Duran (dir.), Max Weber et le politique, Paris : LGDJ, coll. « Droit et Société. Recherche et Travaux », 2009, p. 187.
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[31]
Michael Löwy, La cage d’acier. Max Weber et le marxisme wébérien, Paris : Stock, coll. « Un ordre d’idées », 2013, p. 9 pour la traduction de l’expression « cage d’acier », largement entrée dans le langage habituel.
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[32]
Max Weber, Économie et société, tome 2, Paris : Plon, coll. « Agora », 1995, p. 411 et 412.
-
[33]
Giandomenico Majone, « Communauté économique européenne : déréglementation ou re-réglementation ? La conduite des politiques publiques depuis l’Acte Unique », in Bruno Jobert (dir.), Le tournant néo-libéral en Europe, Paris : L’Harmattan, p. 236.
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[34]
Voir Ève Fouilleux, « Entre production et institutionnalisation des idées : la réforme de la politique agricole commune », art. cité, p. 291 et suiv. Mon texte reprend purement et simplement ces analyses.
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[35]
Ibid., p. 300.
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[36]
Référentiel global défini par Pierre Muller comme « un ensemble de valeurs fondamentales qui renvoient aux croyances de bases d’une société, ainsi que de normes qui permettent de choisir entre des conduites », cité par Ioannis Papadopoulos, « Référentiel, médiateurs et démocratie », in Laurie Boussaguet, Sophie Jacquot et Pauline Ravinet (dir.), Une French Touch dans l’analyse des politiques publiques ?, Paris : Presses de Sciences Po, 2015, p. 107.
-
[37]
Emmanuelle Jouanet, Qu’est-ce qu’une société internationale juste ? Le droit international entre développement et reconnaissance, Paris : Éditions A. Pédone, 2011.
-
[38]
Pierre Muller, « Mise en perspective / Une théorie des cycles d’action publique. Pour penser le changement systémique », in Laurie Boussaguet, Sophie Jacquot et Pauline Ravinet (dir.), Une French Touch dans l’analyse des politiques publiques ?, op. cit., p. 408.
-
[39]
Pauline Ravinet et Bruno Palier, « “Global, es-tu là ?”. Réflexions sur une catégorie fantomatique », in ibid., p. 27-55.
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[40]
L’expression « mimétisme marchand » est utilisée par Matthieu Ansaloni et Andy Smith, « Des marchés au service de l’État ? », Gouvernement et action publique, 4, 2017, p. 9-28.
-
[41]
Pierre Muller, « Mise en perspective / Une théorie des cycles d’action publique. Pour penser le changement systémique », op. cit., p. 422.
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[42]
Ibid., p. 424.
-
[43]
World Development Report: Agriculture for Development, Washington, 2007, disponible sur le site de l’institution. Sébastien Treyer, « Agriculture : comment un monde réchauffé se nourrira-t-il ? », CERISCOPE Environnement, 2014 [en ligne], François Gemenne, L’enjeu mondial. L’environnement, Paris : Presses de Sciences Po, 2015, p. 79-88.
-
[44]
Ève Fouilleux, « Entre production et institutionnalisation des idées : la réforme de la politique agricole commune », art. cité, p. 300 ; Matthieu Ansaloni, « La fabrique du consensus politique », art. cité, p. 924 et suiv.
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[45]
Jacques Chevallier et Danièle Lochak, « Les juristes dans l’espace public », art. cité, p. 364.
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[46]
François Collart Dutilleul, « Lascaux et le droit de la sécurité alimentaire dans le monde. Histoire intellectuelle d’un programme de recherche atypique en droit », op. cit., p. 242.
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[47]
François Collart Dutilleul et Paul Nihoul, Code de droit européen de l’alimentation, Bruxelles : Bruylant, 2012, publié en français, anglais, espagnol, néerlandais, chinois et portugais.
-
[48]
Pierre Bourdieu, « Habitus, code et codification », Actes de la recherche en sciences sociales, 64, 1986, p. 41.
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[49]
La recherche des valeurs est expressément revendiquée par le programme Lascaux, François Collart Dutilleul, De la Terre aux aliments, des valeurs au droit, San José : INIDA, 2012.
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[50]
Olivier Nay décrit cette évolution en matière de politique de développement : « Gouverner par le marché. Gouvernements et acteurs privés dans les politiques internationales de développement », Gouvernement et action publique, 4, 2017, p. 127-154.
-
[51]
Bertrand Badie, « Entre aspirations et désenchantement », in Bertrand Badie et Dominique Vidal (dir.), En quête d’alternatives. L’état du monde 2018, Paris : La Découverte, 2017, p. 18.
-
[52]
Boaventura de Sousa Santos, Épistémologies du Sud. Mouvements citoyens et polémique sur la science, op. cit., p. 28.
-
[53]
Guillaume Tusseau, « Un chaos conceptuel qui fait sens : la rhétorique du constitutionnaliste global », in Jean-Yves Chérot et Benoît Frydman (dir.), La science du droit dans la globalisation, Bruxelles : Bruylant, coll. « Penser le droit », 2012, p. 182-228. L’auteur décrit la « verticalisation du droit international », car « l’ordre juridique international tend à se doter d’une structure formelle comparable à celle qui semblait un monopole des États : la hiérarchie des normes », p. 194.
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[54]
Andreas Fischer-Lescano et Gunther Teubner, « Collisions de régimes : la recherche vaine de l’unité juridique face à la fragmentation du droit mondial », Revue internationale de droit économique, XXVII (1), 2013, p. 187-228.
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[55]
« L’OMC est morte, vive l’OMC ! », Les Échos, 6 décembre 2013 ; « L’OMC s’enfonce dans la crise », AFP, 13 décembre 2017. Par ailleurs, la FAO constate que le nombre de personnes dans le monde souffrant de sous-alimentation chronique a augmenté en 2016, FAO, FIDA, OMS, PAM et UNICEF, L’État de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde 2017, Rome : FAO, 2017, p. 2.
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[56]
Fabrizio Cafaggi, « Les nouveaux fondements de la régulation transnationale privée », Revue internationale de droit économique, XXVII (1), 2013, p. 129-161 ; pour l’agriculture, voir Ève Fouilleux et Alison Loconto, « Dans les coulisses des labels : régulation tripartite et marchés imbriqués. De l’européanisation à la globalisation de l’agriculture biologique », Revue française de sociologie, 58 (3), 2017, p. 501-531.
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[57]
Benoît Frydman, Petit manuel pratique de droit global, Bruxelles : Académie royale de Belgique, coll. « L’académie en poche », 2014, p. 115.
-
[58]
Ève Fouilleux, « Au-delà des États en action… La fabrique des politiques publiques globales », in Laurie Boussaguet, Sophie Jacquot et Pauline Ravinet (dir.), Une French Touch dans l’analyse des politiques publiques ?, op. cit., p. 314.
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[59]
François Collart Dutilleul et Fabrice Riem (dir.), Droits fondamentaux, ordre public et libertés économiques, Paris : Institut Universitaire Varenne, coll. « Colloques & Essais », 2013.
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[60]
Ibid., « Table ronde n° 2, Les moyens juridiques d’assurer le respect des valeurs portées par les droits fondamentaux », p. 253-264.
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[61]
Rapport du 4 août 2015, A/72/274, p. 2. Voir également le rapport au Conseil des droits de l’homme de l’ONU de Alfred de Zayas, Rapport de l’Expert indépendant sur la promotion d’un ordre international démocratique et équitable, 20 juillet 2017, A/HRC/36/40. Dans la même veine, mais cette fois à propos du Fonds monétaire international (FMI), voir Alfred de Zayas, Rapport de l’Expert indépendant sur la promotion d’un ordre international démocratique et équitable, 21 juillet 2017, A/72/187, p. 28 et 29.
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[62]
Cette proposition est mise en forme par François Collart Dutilleul, La Charte de La Havane - Pour une autre mondialisation, Paris : Dalloz, coll. « Tiré à part », 2018.
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[63]
François Collart Dutilleul (dir.), Penser une démocratie alimentaire, 2 volumes, San Jose : INIDA, 2013.
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[64]
Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, tome 1, Paris : Garnier-Flammarion, 1981, p. 124.
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[65]
Alain Bernard et Fabrice Riem, « Sécurité alimentaire : le local, l’international et l’intérêt général », in Éric Balate, Josef Drexl, Séverine Menétrey et Hans Ullrich (dir.), Le droit économique, entre intérêts privés et intérêt général. Hommage à Laurence Boy, Aix-en-Provence : PUAM, 2016, p. 259-318. On consultera avec intérêt le site Internet Club des territoires Un plus Bio, qui fédère le mouvement des collectivités locales engagées dans cette phase de transition.
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[66]
« L’alimentation devrait être un droit de l’homme », Libération, 21 mars 2014, article cité.