Parmi les divers moyens qui sont à la disposition d’un observateur pour se faire une idée d’un certain état social – présent ou passé – l’étude de la manière et de l’orientation de l’argumentation sur une question donnée est chose précieuse. Entre ce sur quoi il n’est pas permis d’argumenter (certains points de religion, tabous sociaux) et ce sur quoi le débat devient au contraire un exercice obligé, voire lassant, s’ouvre une vaste gamme de sujets et une non moins vaste gamme des façons de les présenter, de les défendre ou de les critiquer. Tout cela – faut-il le dire ? – fluctue avec le temps et les mœurs. Si quelque jour un portrait de notre époque devait être brossé par qui souhaiterait apporter sa contribution à la longue histoire des conversions de vérités, la façon dont certaines questions finissent par être posées, alors même qu’elles eussent été jugées scandaleuses ou risibles quelques années auparavant ou quelques kilomètres plus loin, tout comme l’aptitude évolutive des arguments à passer en un trait de temps de la catégorie de l’irrecevable à celle de l’indiscutable, de l’opinion minoritaire au dogme, devraient être l’objet d’une attention toute particulière. Dans cette optique, il me semble que l’on peut s’intéresser à titre d’exemple aux jeux de hasard et d’argent pour retrouver les chemins par lesquels s’opère la transition plus ou moins progressive qui, passant par la tolérance, mène de la réprobation universelle à l’approbation générale ou supposée telle, le tout sur un fond de droit positif durablement schizophrénique, posant des interdictions de principe ensevelies sous des monceaux d’exception…