Notes
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[1]
« Le pictogramme et la pierre vont ensemble. L’idéogramme naît avec l’argile présente en Mésopotamie, ce qui permet de remplacer le poinçon ou le ciseau par le calame, à la pointe taillée en biseau, d’où l’écriture cunéiforme chez les Assyriens et les Perses… Quand le support change, la graphie change. Le papyrus égyptien permet l’emploi du roseau, plus simple et plus délié, comme le parchemin en peau de bête permettra, plus tard, la plume d’oie, passage crucial de l’angle à l’arrondi, du coin à la courbe. » Régis Debray, Manifestes médiologiques [1]
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[2]
Voir sur ce sujet Jack Goody, La raison graphique [3].
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[3]
« C’est une étrange chose que l’écriture. Il semblerait que son apparition n’eût pu manquer de déterminer des changements profonds dans les conditions d’existence de l’humanité ; et que ces transformations dussent être surtout de nature intellectuelle. La possession de l’écriture multiplie prodigieusement l’aptitude des hommes à préserver les connaissances… » Claude Lévi-Strauss, Tristes tropiques [4].
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[4]
« De nouvelles manières de penser et d’être ensemble s’élaborent dans le monde des télécommunications et de l’informatique. Les relations entre les hommes, le travail, l’intelligence elle-même dépendent de la métamorphose incessante de dispositifs informationnels de tous ordres. Écriture, lecture, vision, audition, conception, apprentissage sont saisis par une informatique de plus en plus perfectionnée. La recherche scientifique ne se conçoit plus sans un appareillage complexe qui redistribue les anciens partages entre expérience et théorie. Il émerge, en cette fin de XXe siècle, une connaissance par simulation que les épistémologues n’ont pas encore recensée », écrit Pierre Lévy dans Les technologies de l’intelligence [5].
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[5]
« Mais dans tout cet ensemble de signes, les mots oraux comme les mots écrits tiennent une place très particulière : leur stabilité, leur flexibilité, leur productivité quasi infinie et leur combinabilité en font des êtres sémantiques à part. » Alain Bentolila, Le propre de l’homme [11].
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[6]
L’Atelier régional de jurisprudence des cours d’appel de Montpellier et de Nîmes, sous ma direction, édite depuis plus de vingt ans, avec l’appui du barreau de Montpellier et de la CARPA, une revue très prisée des professionnels du droit et dont la première partie est uniquement consacrée aux évaluations judiciaires : Revue de jurisprudence régionale, CETIJ, Faculté de droit de Montpellier.
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[7]
Ce modèle a été notamment défendu par le psychologue américain E. Osgood.
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[8]
Cette méthode et ses applications à la jurisprudence font l’objet d’un enseignement dispensé depuis plusieurs années par l’auteur dans le cadre du DEA « Informatique juridique « à l’Université de la Sagesse à Beyrouth. Des recherches doctorales et des articles ont été et sont réalisés en application de cette méthode de l’analyse de contenu ou « content analysis » mise au point aux États-Unis au début du siècle dernier par les écoles de journalisme.
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[9]
Des critiques ont souvent été adressées au mode de sélection des auteurs de ces publications qui n’effectueraient pas leur sélection selon des critères très rigoureux, cette dernière n’obéissant, selon certains, « qu’au hasard de l’activité des correspondants des revues auprès de ces juridictions » (voir Marc Véricel, La publication des décisions de justice en droit du travail [20]). À leur décharge, on doit reconnaître que les auteurs n’ont pas les moyens de cette objectivité quand bien même en auraient-ils la volonté, une sélection « objective » exigeant, en premier lieu, un accès à toute l’information judiciaire pour effectuer un tri systématique et méthodique.
-
[10]
Il est éminemment souhaitable que, dans un proche avenir, la numérisation des documents éditoriaux, liée au règlement des questions touchant au droit des auteurs et des éditeurs, ouvre l’accès au contenu intégral du document originel, ce qui constituera une avancée significative pour les systèmes d’information automatisés.
-
[11]
Michel Grimaldi, dans une formule qui peut être généralisée à tous les professionnels du droit, écrit, à propos de la profession notariale : « Aussi n’a-t-il guère besoin d’une information massive, mais d’une information significative » [22].
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[12]
Selon le rapport « État et perspectives du 20 septembre 2001 » publié dans le Bulletin de la Cour de cassation 2001, la base Juridice des arrêts des cours d’appel et des jugements des tribunaux de grande instance est née d’un constat, celui de l’inadéquation d’un produit existant, la base de données JURIS, aux attentes des utilisateurs, principalement magistrats, mais aussi fonctionnaires des services judiciaires. Prenant acte de ces difficultés et de l’insatisfaction des magistrats à cet égard, la Direction des services judiciaires, en étroite collaboration avec la Cour de cassation, a donc décidé en 2000 d’inviter les cours d’appel à produire la base des arrêts et jugements en activant en leur sein des cellules composées en majorité d’assistants de justice recrutés à cet effet et placés sous la responsabilité des magistrats. Ces cellules sont destinataires des décisions sélectionnées par les formations de jugement et en assurent l’enrichissement (titrage et rédaction d’abstracts).
-
[13]
L’article 5 du Code civil dispose : « Il est défendu au juge de prononcer par voie de disposition générale et réglementaire sur les causes qui lui sont soumises », ceci afin d’observer le principe de la séparation des pouvoirs adopté par les révolutionnaires de 1789 et d’éviter le retour aux arrêts de règlement, pouvoir que les parlementaires d’Ancien Régime s’étaient octroyés et qui est aujourd’hui dévolu au législateur.
1LES CORRELATS MANIFESTES ENTRE LA MATIERE ET LA MANIERE [1] invitent les juristes à la réflexion face au développement des technologies nouvelles, aux nouveaux supports d’informations, au processus de traitement de l’information et à ses apports prévisibles à la connaissance du droit et à la recherche juridique, enfin, aux nouveaux comportements qu’ils induisent. Car le support n’est pas neutre et notre raison semble bien dépendre en partie de nos outils [2].
« En conférant à la pensée une puissance incomparable de pénétration, l’imprimerie dote brusquement les hommes de l’écrit d’une surpuissance sans précédent »
3En remontant le temps, cette remarque pourrait aussi bien s’appliquer à la révolution qu’entraîne la découverte de la typographie par Gutenberg au XVe siècle ; du fait de cette invention, la forme des lettres change pour se muer en caractères d’imprimerie. Mais, au-delà de ces inférences purement formelles, il en est d’autres plus fondamentales que l’on doit souligner et qui modifient l’esprit de l’homme, sa façon de penser et de concevoir.
4Avec la propagation de l’écrit qu’induit la découverte de l’imprimerie, on assiste à un formidable développement de l’esprit analytique et à l’élaboration de structures logiques dans la construction du texte. S’instaure alors une distanciation critique par rapport à l’information diffusée et des formes de comportement comme l’individualisme et l’introspection apparaissent [2].
5Mais aussi, et ceci semble primordial, est offerte pour la première fois la possibilité de conserver le savoir avec exactitude et de le substituer à la tradition orale, plus incertaine et moins rationnelle, marquée du sceau des croyances et des superstitions [3]. La construction des connaissances va reposer sur ce vaste édifice construit au fil du temps, par strates successives, conservant pour les générations à venir ces fruits de la pensée et de l’intelligence accumulés. Ainsi, le papier va offrir un incomparable vecteur de diffusion du savoir.
6Si, avec cette invention, on assiste alors au passage de la civilisation de l’oral à celle de l’écrit, l’avènement de l’informatique, couplé aujourd’hui à celui de l’Internet, paraît bien nous conduire de la civilisation de l’écrit vers la « société de l’information ».
7Science ou technique, l’informatique doit être envisagée sous l’angle épistémologique, celui qui invite à l’analyse de sa logique et de ses effets prévisibles sur les nouvelles manières de penser [4].
8Ces réflexions et celles qui vont suivre se fondent sur l’expérience et les recherches conduites à la Faculté de droit de Montpellier par l’équipe attachée au Centre d’études et de traitement de l’information juridique (CETIJ), en étroite collaboration scientifique avec les Éditions du Juris-Classeur qui produisent aujourd’hui la banque de données Juris-Data. Je m’attacherai ici à analyser plus particulièrement la logique présidant à la conception et à la constitution des fichiers informatiques de données juridiques et les effets prévisibles de ce processus sur la production doctrinale.
1 – De l’écrit à la mémoire électronique
9Un des effets, parmi les plus marquants, de l’informatique documentaire est sans conteste la dématérialisation de l’information ou, plus exactement, une conscience plus marquée de la distinction entre le support matériel et l’information proprement dite. Aujourd’hui, ce sont moins les supports papier qui nous intéressent que les contenus qu’ils véhiculent ou qu’ils représentent, et cela pour la seule raison que l’informatique a ouvert de nouvelles perspectives, venant en aide au classement, au stockage et à la recherche des informations mises en mémoire.
10Mais peut-on aisément passer d’un support à l’autre, du papier à la mémoire électronique, du matériel à l’immatériel ?
11La transposition pure et simple du contenu de l’écrit dans des mémoires électroniques n’est pas souhaitable, car elle est singulièrement « contre-productive » ; si la logique d’organisation de l’écrit reste compatible avec les potentialités offertes par l’informatique, transposée sans adaptation à son nouveau support, elle entraîne une grave déperdition de puissance de recherche. Ainsi, tout contenu documentaire, particulièrement lorsqu’il s’agit d’informations à caractère technique ou scientifique, doit subir un traitement préalable pour favoriser et optimiser la recherche ultérieure de données. L’objectif, qui n’est pas seulement la mémorisation, mais bien davantage la recherche d’informations, doit avoir été largement prémédité.
12Cette intentionnalité se traduit essentiellement par une nécessaire maîtrise du langage et la conscience des perturbations qui pourraient résulter de l’informatisation de données brutes, contenues dans des documents aux structures sémantiques incertaines ou insuffisantes.
13Or il faut se rendre à l’évidence : c’est le plus clair du temps le réflexe de l’homme que de plaquer une innovation sur une invention déjà existante, et seul le recul que donne le temps lui permettra d’effectuer de nécessaires adaptations. Les perspectives offertes par nos inventions pénètrent lentement dans nos mentalités. Et si le phénomène est bien connu, il se répète invariablement au fil de l’histoire : c’est ce que certains ont appelé, à propos de l’invention de l’automobile, l’effet « diligence » pour rappeler que les premiers moteurs à explosion furent installés sur des véhicules plutôt conçus pour la traction animale que celle des moteurs à pétrole ; ce fut encore le cas des premiers films cinématographiques dont le contenu était plus marqué par la logique théâtrale que par la dynamique et les rythmes qu’adoptent les réalisateurs d’aujourd’hui.
14Les accès aux banques de données qu’autorise le réseau Internet nous en fournissent tous les jours maints exemples ; liées à la faiblesse des moteurs de recherche souvent inadaptés, les procédures de recherche d’informations conduisent trop souvent à des rendez-vous manqués [6].
15Il convient donc d’adapter la mise en forme des données informatisées aux finalités et à la logique de la recherche automatique, notamment en structurant et en enrichissant le contenu du document selon une méthode rigoureuse qui permettra l’intégration de toutes les clefs souhaitables pour favoriser l’accès direct à l’information. C’est la méthode que nous avons adoptée depuis bientôt trente ans pour concevoir, réaliser et maintenir un fichier jurisprudentiel et doctrinal intégré dans la banque de données Juris-Data.
16Mais, avec le recul que donne le temps de l’expérimentation, une question mérite aujourd’hui d’être posée : en quoi ces fichiers constituent-ils un outil de recherche contribuant à la réflexion sur le droit ? Cette question, envisagée sous l’angle des sciences de l’information et de la communication, découvre un processus de circularité et de construction des connaissances, dans un cycle désormais classique et comprenant trois phases successives : « construction -> communication -> usage ».
La collecte, la sélection et le traitement d’une information judiciaire inédite
17C’est à partir des travaux de recherche réalisés à la Faculté de droit de Montpellier, dès les années soixante, par l’équipe de chercheurs dirigée par le professeur Pierre Catala, puis de la création par celui-ci en 1985 d’un réseau national de collecte et de traitement de l’information judiciaire, sous la forme d’Ateliers régionaux de jurisprudence (ARJ) et la création concomitante de la banque de données Juris-Data aux Éditions du Juris-Classeur à Paris que, pour la première fois dans l’histoire du droit en France, des moyens informatiques furent mis en œuvre pour appréhender et indexer de manière systématique la jurisprudence du fond [7]. Cette initiative constitue aujourd’hui, et chaque jour davantage, un appui des plus précieux pour les praticiens mais aussi, comme nous allons le montrer, pour le développement de la recherche juridique et l’activité réflexive de la doctrine [8].
18L’innovation porte sur trois points essentiels :
- l’accès à l’intégralité des décisions de la Cour de cassation ainsi que des cours d’appel ;
- la mise en place d’une procédure de sélection fondée sur des critères objectifs, conduite essentiellement par des universitaires [8] ;
- la création d’outils linguistiques permettant le traitement systématique et organisé des données, dénommées « structures d’analyse ».
- l’analyse documentaire à finalité de création de banques de données pour la recherche d’informations ;
- l’analyse de contenu à finalité de constitution de fichiers statistiques pour la recherche d’inférences et de causalités.
19• La première voie de traitement de l’information emprunte aux méthodes de l’analyse documentaire ses principes et ses objectifs. Les documents primaires sont traités et analysés sous la forme d’index riches appelés « abstracts », puis informatisés [9]. L’organisation de l’indexation se fait à partir d’items auxquels l’analyste-documentaliste, juriste de formation, attribue des coefficients de valeur informationnelle ; délestés des mots-outils ou mots vides, seuls les mots notionnels ou informatifs trouvent leur place dans l’abstract [10].
20Après une première phase de déconstruction, l’analyste-documentaliste procède à une reconstruction suivant une logique déductive, l’index étant construit en partant du général vers le particulier, et selon un principe de hiérarchisation ; la place des items dans l’abstract est indicative de leur coefficient de valeur. La méthode d’analyse intègre ainsi la logique de recherche automatisée. En sélectionnant et en organisant les mots et les concepts selon leur charge classificatoire respective, puis en enrichissant la chaîne des mots et concepts implicites, elle privilégie les tris et les croisements de données [5]. La méthode permet ainsi de « préméditer » les rencontres virtuelles signifiantes, entre données similaires, apparentées ou contraires sur un sujet donné. En ce sens, on peut penser qu’elle se rapproche de la théorie des facettes chère à Georges Perec [12].
21Ces assemblages, produits de l’interrogation, ne créent pas uniquement une juxtaposition de données, mais ils proposent des entités informationnelles propres chargées de sens, le tout étant, selon le fameux postulat aristotélicien, plus que la somme des parties qui la constituent. Cette « copulation » des données, lors de l’interrogation, en entraînant un ré-ordonnancement des informations, crée un sens nouveau. Certains auteurs, dans une formule fort justement imagée, parlant de ces rapprochements d’éléments d’information appartenant à des univers différents et produisant un sens nouveau, parlent d’« effet puzzle » [13]. À l’instar de ces fichiers, les dictionnaires ne sont-ils pas hantés, de la même façon, par l’ombre de romans à écrire ?
22Depuis bientôt vingt ans, cette méthode a permis la conception et la maintenance d’un fichier jurisprudentiel, à partir d’une sélection systématique des 250 000 arrêts rendus annuellement par les cours d’appel françaises.
23Cette possibilité d’accès à une information jusqu’ici inédite, aujourd’hui organisée et mise à jour selon un rythme accéléré, proche du temps de la production des décisions par les juridictions, offre aux auteurs de la discipline un gisement d’informations à partir duquel la liberté des choix reste inégalée à ce jour [14].
24L’interrogation hebdomadaire des fichiers Juris-Data par les auteurs participant à la rédaction du contenu des revues juridiques introduit dans l’activité doctrinale une plus grande rigueur, tant sur le plan de l’analyse que sur ceux de la célérité et de l’objectivité de la recherche d’information. L’utilisation de l’outil informatique offre alors un réel atout de scientificité et de grande objectivité. C’est ainsi que les contentieux se découvrent dans toute leur réalité et leur globalité, dans leur uniformité ou leur pluralisme, leur spécificité ou leurs effets sériels ; nourrissant la querelle et l’échange, cette découverte des contenus judiciaires ne peut laisser indifférente la doctrine qui en fait l’étude et le commentaire.
25Le champ jurisprudentiel de création du droit découvre ses mécanismes, créant une plus large ouverture sur des espaces jusqu’ici peu connus, mal appréhendés par des revues doctrinales qui n’ont jamais, dans le passé, possédé cette puissance de moyens et cette rapidité d’accès à ce type d’information.
26Loin de se concurrencer, le papier et l’informatique s’épaulent et s’alimentent dans un cycle d’échanges ininterrompu.
27Au-delà des interprétations des normes législatives et de leurs applications au fait contentieux, de l’étude de la définition des concepts que la loi nomme mais ne définit pas, c’est aussi à une vision plus large, plus complète et plus dynamique du contentieux à laquelle les auteurs sont invités.
28Cependant, c’est certainement l’étude du fait, dans sa qualification et sa quantification, qui est la plus innovante ; en ce sens, cette découverte des faits en droit participe de la méthode heuristique. Des revues régionales ont vu le jour dans le sillage de l’informatisation de ces données qui ouvrent aux praticiens l’accès aux évaluations judiciaires, mettant parfois en évidence de réelles et inexplicables distorsions entre les juridictions [6].
29On notera ici un des effets induits de l’informatisation de cette information : la mise à jour et la diffusion de ces informations, notamment auprès des juges, n’ont pas été sans influence sur le resserrement des écarts d’évaluation constatés jadis ! Ne peut-on déceler ici une des contributions significatives de l’informatique juridique à la recherche du « juste » ? [Voir hors texte page suivante].
30Cet apport de l’informatique documentaire, en facilitant l’accès à plus d’informations juridiques, n’enlève rien à la liberté de penser ni à l’intensité de l’activité intellectuelle, comme certains ont pu le craindre [15]. L’admettre consisterait à confondre l’effet et la cause, et cette dernière relève seulement de la posture intellectuelle adoptée par le juriste.
31En revanche, cet accès facilité enrichit la communication : le recours aux fichiers automatiques offre en effet de plus grandes chances de médiatisation à des décisions qui, sans cet appui, seraient restées dans les limbes des greffes. Cet accès au droit, servi par l’informatique, en introduisant plus de transparence, favorise une plus grande objectivité.
32• La seconde voie de traitement de l’information emprunte aux méthodes de l’analyse de contenu ses principes et ses objectifs. Si elle présente bien des analogies avec l’analyse documentaire, l’analyse de contenu s’en différencie en ce qu’elle ouvre la voie à la recherche d’inférences et de causalités. C’est un instrument d’analyse du contenu des communications.
33Sur le plan épistémologique, la décision de justice peut être analysée comme empruntant à deux modèles de communication. On peut la considérer comme :
- un message de type instrumental, c’est-à-dire véhiculant un message qui, pris dans le contexte des procédures judiciaires, notamment des voies de recours, est destiné à produire un certain effet sur le récepteur qui est le juge du contrôle [16] ;
- un message de type représentatif, dans lequel ce qui est essentiel est l’information révélée par les items lexicaux présents dans le texte même : autrement dit, à travers les mots et les concepts composant le texte, on peut percevoir des indicateurs valides qui dévoilent notamment l’état d’esprit de l’émetteur et des acteurs en procès, sur leurs choix, leur psychologie, tout comme l’analyse de tout discours renseigne sur l’état d’esprit de son locuteur [7].
L’informatisation des indemnités judiciaires : une contribution à la recherche du « juste »
Depuis plus de vingt ans, la Revue de jurisprudence régionale du Languedoc-Roussillon, prenant appui sur les travaux de dépouillement et d’indexation des décisions d’appel effectuées par les membres de l’Atelier régional de jurisprudence de la Faculté de droit de Montpellier (CETIJ) en vue de leur informatisation, traite, dans une première partie, de données chiffrées des cours de Nîmes et de Montpellier (réparation des préjudices subis par les victimes, prestations compensatoires en matière de divorce, dommages-intérêts, etc.), et ce de manière exhaustive.
Il faut souligner tout d’abord – et ce fut un des apports de l’indexation de la jurisprudence à des fins d’automatisation – que cette tâche doit se plier à la rigueur et à la logique informatiques, contraignant ses auteurs à une organisation rigoureuse du langage et conduisant au choix et à la fixation de catégories pour élaborer des grilles d’analyse ayant une valeur opératoire.
Cette information quantifiée, organisée, loin des savantes théories que peut offrir ailleurs la doctrine juridique traditionnelle, a pour ambition première de permettre aux professionnels du droit d’accéder, de manière systématique et selon un modèle de classement des données, à des informations de type pratique, au cas par cas.
Au-delà de ce simple catalogage, elle a encore pour objet de proposer des tris statistiques simples, ouvrant la voie à un classement par moyennes, à la valeur du point d’IPP (incapacité permanente partielle) ou encore à un ordonnancement des indemnités selon le degré de gravité du préjudice souffert par la victime, et ce par chef de préjudice (préjudice d’agrément, préjudice esthétique, préjudice sexuel, préjudice scolaire, etc.). Dans le domaine des prestations compensatoires, à des fourchettes établies, prenant en compte les revenus du mari ou l’âge de la femme, sont associées les indemnités allouées à l’époux créancier.
Les corrélations des variables retenues, créées à partir des données chiffrées contenues dans chaque décision et que le juge a bien voulu mentionner, en créant de l’information, permettent l’appréhension du degré de cohérence de ces contentieux. Ces résultats ouvrent la voie à des mises en perspective portant sur des segments de temps (études diachroniques) ou encore à des rapprochements (études comparatives) avec les pratiques indemnitaires des tribunaux du ressort et, au-delà, avec d’autres cours d’appel.
L’accès à ces données et leur traitement, en autorisant des études statistiques comparatives, contribuent, en fournissant aux juges un complément d’information, à réduire les disparités qui ne doivent le plus souvent rien à la rationalité.
Certes, égalité n’est pas justice et il ne s’agit pas de promouvoir ici une grille unique pour un calcul automatique : l’indemnisation n’obéit pas à la seule logique arithmétique ; d’autres facteurs, moins aisément « paramétrables », entrent en ligne de compte, qui relèvent du particularisme de chacune des situations dans lesquelles entre la part de l’humain et du social dont le juge ne peut pas ne pas avoir conscience. Il n’en demeure pas moins avéré que tendre vers une plus grande objectivité et donc plus de « transparence » ne peut que servir la cause judiciaire. La crédibilité de l’indemnisation en dépend, au moment même où l’accès au droit pour tout citoyen va devenir une réalité (ou une virtualité) par le biais d’Internet, dans le cadre du Service public d’accès au droit (SPAD).
Cette clarification ne peut que servir la justice et le droit.
À cette fin, s’appuyant sur les grilles établies, la pratique mériterait d’être généralisée pour être utilisée par les analystes dans tous les Ateliers régionaux de jurisprudence (ARJ) de France. Les calculs effectués à partir des collectes de données pourraient alors offrir un précieux outil d’aide à la décision, notamment pour le magistrat.
Plusieurs ARJ ont déjà emprunté cette voie d’étude des données chiffrées, diffusées au moyen de revues régionales, suscitant un vif intérêt chez les magistrats, les avocats, les assureurs, les associations de défense des victimes, les médecins chargés d’expertises judiciaires, etc.
En offrant les matériaux pour une meilleure connaissance des contentieux dans leur globalité, ces approches quantitatives concourent à éclairer les décideurs judiciaires sur une production d’information dont ils sont les auteurs et qu’ils ne peuvent, à leur place et isolément, appréhender de manière systématique et globale.
« Miroir de sa pratique », ce traitement des données quantifiées, effectué dans un geste de gratitude envers le corps judiciaire qui est notre pourvoyeur et d’échange entre ce dernier et l’Université, contribue à offrir au juge une vision panoramique de ces contentieux si particuliers, jusqu’ici peu étudiés, autorisant le cas échéant les « réajustements » ou les « rattrapages » nécessaires et dont le magistrat reste et doit rester, à la fin, le souverain maître.
34On comprendra que la démarche nous éloigne de l’herméneutique, pour emprunter les voies des sciences de l’information et de la communication auxquelles on applique les mathématiques pour donner à l’analyse de plus grandes chances d’objectivité [17]. La méthode permet les vérifications d’hypothèses, mais aussi la découverte de phénomènes que seule une étude massive peut laisser entrevoir [18].
35Cette méthode consiste à transformer les données sélectionnées pour remplir l’objectif de recherche en variables statistiques. Cette mutation va ouvrir la voie aux opérations de corrélation des variables, desquelles on tirera des interprétations.
36Ici encore on notera la nécessaire préparation des données en vue de leur traitement informatique. En effet, les décisions de justice doivent être traitées et analysées à partir d’un protocole de dépouillement intégrant toutes les variables statistiques préalablement retenues. Ce protocole se présente comme un modèle généralisable, applicable à tous les contentieux ayant la même nature juridique [19].
37Ce type de recherche, développé dans le laboratoire montpelliérain et enseigné aux étudiants inscrits dans le DEA « Informatique et Droit », connu sous le nom de Jurimétrie, donne une vision phénoménologique et sociologique du droit appréhendé au moment du procès [8].
38En ouvrant des voies nouvelles vers la connaissance des phénomènes judiciaires, ces recherches, qui s’appuient sur les outils informatique et statistique sans lesquels elles ne seraient même pas envisageables, participent à l’enrichissement d’un droit savant et à la réflexion doctrinale.
La collecte et le traitement de l’information juridique éditoriale
39Mais la quintessence de l’information juridique se trouve sans conteste dans les supports éditoriaux, plus précisément dans le contenu des revues juridiques. La réflexion savante y paraît sous la forme d’articles, de chroniques, de décisions annotées ou commentées. Par fonction et par tradition, les éditeurs et les auteurs y opèrent, en général [9], une sélection qualitative : ces choix sont donc, par principe, objectifs. De plus, la qualité de l’auteur et sa notoriété introduisent des coefficients de valeur laissés à l’appréciation des usagers. Les revues constituent donc une source d’information de qualité que Juris-Data a choisi d’informatiser.
40Un dépouillement est donc effectué de toute l’information contenue dans, à ce jour, plus de cent revues juridiques parmi les plus reconnues, générales ou spécialisées. Le contenu est analysé sous forme d’abstract pour alimenter plusieurs types de fichiers informatisés, selon un classement par type de document : doctrine, notes de jurisprudence, chronique de jurisprudence, commentaires des normes, fiches pratiques, libres propos. La méthode d’analyse choisie est adaptée aux exigences de la recherche automatique et aux potentialités offertes par l’ordinateur :
- d’une part, elle entre, par l’application des structures, dans la classification générale, même si le langage de la doctrine diffère le plus souvent de celui de la jurisprudence ou de la loi. Ce choix constitue un facteur d’homogénéité de l’ensemble des fichiers ;
- d’autre part, l’indexation est développée, enrichie et instrumentalisée, afin de prendre en compte toutes les facettes informationnelles du document et d’ouvrir autant de clefs virtuelles à la recherche automatique en créant des points de connexion. L’information inutile ou source de bruit fait l’objet d’une élimination indispensable. Au-delà du thème abordé par l’auteur, ce sont davantage les idées dominantes qui sont extraites et analysées.
41Mais l’informatisation de ces informations éditoriales ouvre surtout la voie à tous les rapprochements et tous les croisements d’information, à leur juxtaposition, donc à leur confrontation : d’une certaine manière, la rapidité, la facilité et la systématisation de ces assemblages de données concourent à l’activité de réflexion par les moyens qu’elle lui procure. L’informatique juridique joue ici un rôle d’accélérateur dans la mise à jour des connaissances et dans leur fertilisation réciproque.
2 – De la mémoire électronique à l’écrit et aux produits informatiques
42Il est à peine utile de souligner que les fichiers informatisés ne contiennent que des données qui ne se transforment en information que dans le cas où un utilisateur vient à les interroger pour trouver une réponse utile donc signifiante. Les données pertinentes, sélectionnées et croisées par l’ordinateur, en rencontrant une curiosité compétente, entrent dans un système de pertinence qui leur donne un sens : c’est alors seulement que l’on peut parler d’information, cette dernière trouvant sa place dans le système cognitif de l’usager. C’est donc le sens qui confère à la donnée sa qualité d’information, les données inactivées devant être considérées comme des informations virtuelles.
43Le produit des interrogations automatiques de la banque de données Juris-Data par les auteurs alimente l’édition, sert à l’enrichissement des revues doctrinales ou encore des annotations contenues dans les codes législatifs, tel le Mégacode des éditions Dalloz ou encore les codes Litec. Il nourrit aussi de nouveaux produits informatiques, comme des cédéroms ou le Jurisclasseur électronique aujourd’hui accessible sur l’Internet.
44Loin de supprimer le papier, l’informatique documentaire le soutient, le multiplie et l’enrichit dans des laps de temps jusqu’ici inégalés. Les auteurs, citant de plus en plus souvent les sources électroniques, renvoient les usagers aux références contenues dans la banque de données [10], permettant à ces derniers de retrouver d’une part les documents originaux, accréditant ainsi l’existence des sources informationnelles, d’autre part les liens existants et créés entre les diverses informations.
45Ainsi, l’informatique juridique documentaire a pris sa place dans le cycle de l’information : construction, puis communication et enfin usage des connaissances. En jouant un rôle grandissant dans ce schème circulaire, les banques de données juridiques provoquent une plus grande réactivité de l’écrit. Les trois phases se succèdent et s’alimentent mutuellement dans cette ronde sans fin, avec l’inévitable retour au fichier par le biais du dépouillement des revues.
46L’informatique juridique participe ainsi, de façon indirecte, à l’élaboration de la doctrine et à sa médiatisation, en collectant, sélectionnant et traitant les données essentielles, puis en facilitant leur repérage. Ces moyens introduisent une plus grande rationalité dans la gestion de l’information, une objectivité accrue ainsi qu’une accélération dans la mise à jour des connaissances juridiques [21].
47En même temps que la maîtrise de la masse des données existantes, elle nous propose la fin de leur dispersion !
48Cependant, il convient de garder à l’esprit que, sans une sélection de l’information fondée sur des critères qualitatifs, nous assisterions à la création de fichiers pléthoriques [11], entraînant inévitablement un nivellement corrélatif de l’information et un lourd déficit de sens [9].
49Cette délicate opération de sélection de l’information inédite (décisions non publiées) est effectuée, rappelons-le, par les analystes-documentalistes qui sont à la fois des juristes et des professionnels du traitement de l’information. Cette opération doit obéir à des critères scientifiques auxquels les universitaires, en toute indépendance, offrent leur garantie.
50Le juge peut-il et doit-il participer à cette « sélection » ? La réponse est, sans discussion, affirmative si l’on considère le rôle d’autorité reconnu aux magistrats de la Cour de cassation, qui détermine sa doctrine en indiquant aux juges du fond les règles d’interprétation des normes dans un souci de cohérence et d’harmonisation de l’interprétation.
51Mais en va-t-il de même pour les juges du fond, tel que le projet de constitution de la base de jurisprudence des cours d’appel et tribunaux de grande instance Juridice l’a imaginé [12] ? Au-delà de la difficulté de mise en place de moyens durables de sélection puis de traitement de l’information par des documentalistes professionnels, ce projet suscite un certain nombre de questions.
52Quels seront les usagers de cette base ?
53S’agit-il d’un intranet dédié à l’usage exclusif des magistrats ? On comprend immédiatement tout l’intérêt que ces derniers pourraient retirer d’un tel outil documentaire interne. Mais le risque ne réside-t-il pas dans un possible arrimage de l’interprétation future aux règles proposées par les espèces sélectionnées, ces dernières constituant un micro-gisement d’informations d’aide à la décision du juge ? Facteur de répétition, l’usage du traitement de texte par les magistrats ne pourra alors qu’aggraver cette tendance à l’imitation. Par ailleurs, cette exclusivité d’accès ne risque-t-elle pas de porter atteinte au principe du contradictoire, les avocats pouvant en prendre un légitime ombrage ?
54S’agit-il d’une base en ligne, ouverte à tous les professionnels du droit ? Se pose alors la question de la légitimité de la sélection. Les juges du fond, en présidant à ces choix et donc à d’inévitables éliminations, ne risquent-ils pas de se voir reprocher de jouer le rôle de l’acteur et du critique ? Quel sera le véritable degré de distanciation dans cette démarche sélective et la part de liberté du juge dans cette fonction nouvelle ? Dans son rôle de représentant de l’autorité judiciaire, le juge se doit d’appliquer la loi en l’interprétant en liaison avec le fait contentieux. Il relève alors de sa compétence de rendre des décisions bien motivées, avec les meilleurs contenus informationnels, dans le respect de l’esprit, sinon de la lettre, de l’article 5 du Code civil [13]. Or, toute sélection jurisprudentielle effectuée par le juge du fond et sa médiatisation corrélative ne créeraient-elles pas, indirectement, un moyen de désigner la règle à suivre ?
55Par raison et par tradition, le traitement de l’information juridique et sa médiatisation ne doivent-ils pas rester l’apanage du monde de l’édition juridique en étroite collaboration et avec l’appui du monde universitaire ? Ce couple indépendant ne se doit-il pas de sauvegarder son autonomie dans une totale « liberté de communication des pensées et des opinions » ? Sa crédibilité reposera fondamentalement sur l’éthique universitaire. Ne doit-il pas en être de même pour la sélection de l’information et son informatisation, ces dernières devant obéir à des critères qualitatifs auxquels l’Université, sans arrière-pensée, se doit d’offrir sa garantie ?
56L’informatique juridique, en offrant aujourd’hui des supports médiatiques dotés d’une grande puissance de calcul et en réduisant considérablement le temps de la recherche documentaire, propose aux universitaires les meilleurs moyens pour l’exercice de leurs compétences : ceux d’opérer des choix dans un esprit de système, en fonction de la construction savante du droit et de sa théorisation. Il relève de la liberté des auteurs d’en faire un réel et savant usage.
57Mars 2003
Bibliographie
Références
- 1Régis DEBRAY. – Manifestes médiologiques. – Gallimard, 1994
- 2Régis DEBRAY. – Cours de médiologie générale. – Gallimard, 1991
- 3Jack GOODY. – La raison graphique : la domestication de la pensée sauvage. – Traduction et présentation de Jean Bazin et Alban Bensa. – Éditions de Minuit, 1979
- 4Claude LEVI-STRAUSS. – Tristes tropiques. – Plon, 1955. – P. 342
- 5Pierre LEVY. – Les technologies de l’intelligence : l’avenir de la pensée à l’ère informatique. – La Découverte, 1990
- 6Hubert FONDIN. – La recherche d’information dans les mémoires électroniques : l’enjeu documentaire. – Documentaliste - Sciences de l’information, 1999, vol. 36, n° 4-5, p. 244
- 7Pierre CATALA. – Le droit à l’épreuve du numérique : Jus ex Machina. – PUF, 1998
- 8Emmanuel GAYAT. – Pourquoi publier les décisions des juges du fond ? – Droit ouvrier, octobre 2002, p. 486
- 9Patrick MAISTRE DU CHAMBON, Virginie LARRIBAU-TERNEYRE, Xavier HENRI, Serge BORIES. – Où trouver la jurisprudence ? – Recueil Dalloz, année 2000, n° 13, Chronique, p. 197
- 10Robert ESCARPIT. – L’information et la communication : théorie générale. – Hachette, 1991. – P. 163
- 11Alain BENTOLILA. – Le propre de l’homme : parler, lire, écrire. – Plon, 2000. – P. 81
- 12Paul-Dominique POMART. – Georges Perec et la documentation : questions à notre métier. – Documentaliste- Sciences de l’information, 1992, vol. 29, n° 6, p. 243-249
- 13Ibid., p. 249
- 14Marc VERICEL. – La publication des décisions de justice en droit du travail. – Droit social, 1997, p. 1081
- 15Christian ATIAS. – Les maux du droit et les mots pour le dire. – Recueil Dalloz, année 1997, n° 28, Chronique
- 16A. L. GEORGES. – Quantitative and qualitative approaches to content analysis, trends in content analysis. – Ed. Ithiel de Sola Pool, University of Illinois Press, Urbana, 1959
- 17Serge BORIES. – De la jurimétrie à la juristique… ou de la lettre au chiffre. In : Droit et informatique : l’hermine et la puce. – Masson, 1992. – P. 175
- 18Marie-Anne FRISON-ROCHE, Serge BORIES. – La jurisprudence massive. – Recueil Dalloz, année 1993, n° 39, Chronique, p. 287
- 19Philippe CHALLINE. – Les techniques de modélisation de la connaissance dans le domaine du droit. – Documentaliste- Sciences de l’information, 2002, vol. 39, n° 4-5, p. 182
- 20Marc VERICEL. – La publication des décisions de justice en droit du travail. – Revue de droit social, 1997, p. 1081
- 21Françoise DEKEUWER-DEFOSSEZ. – Les enjeux universitaires. – Revue trimestrielle de droit civil, n° 4, octobre-décembre 2002, p. 751
- 22Michel GRIMALDI. – Quelles revues pour le 21e siècle ? Les attentes du notariat. – Revue trimestrielle de droit civil, n° 4, octobre-décembre 2002, p. 716
Notes
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[1]
« Le pictogramme et la pierre vont ensemble. L’idéogramme naît avec l’argile présente en Mésopotamie, ce qui permet de remplacer le poinçon ou le ciseau par le calame, à la pointe taillée en biseau, d’où l’écriture cunéiforme chez les Assyriens et les Perses… Quand le support change, la graphie change. Le papyrus égyptien permet l’emploi du roseau, plus simple et plus délié, comme le parchemin en peau de bête permettra, plus tard, la plume d’oie, passage crucial de l’angle à l’arrondi, du coin à la courbe. » Régis Debray, Manifestes médiologiques [1]
-
[2]
Voir sur ce sujet Jack Goody, La raison graphique [3].
-
[3]
« C’est une étrange chose que l’écriture. Il semblerait que son apparition n’eût pu manquer de déterminer des changements profonds dans les conditions d’existence de l’humanité ; et que ces transformations dussent être surtout de nature intellectuelle. La possession de l’écriture multiplie prodigieusement l’aptitude des hommes à préserver les connaissances… » Claude Lévi-Strauss, Tristes tropiques [4].
-
[4]
« De nouvelles manières de penser et d’être ensemble s’élaborent dans le monde des télécommunications et de l’informatique. Les relations entre les hommes, le travail, l’intelligence elle-même dépendent de la métamorphose incessante de dispositifs informationnels de tous ordres. Écriture, lecture, vision, audition, conception, apprentissage sont saisis par une informatique de plus en plus perfectionnée. La recherche scientifique ne se conçoit plus sans un appareillage complexe qui redistribue les anciens partages entre expérience et théorie. Il émerge, en cette fin de XXe siècle, une connaissance par simulation que les épistémologues n’ont pas encore recensée », écrit Pierre Lévy dans Les technologies de l’intelligence [5].
-
[5]
« Mais dans tout cet ensemble de signes, les mots oraux comme les mots écrits tiennent une place très particulière : leur stabilité, leur flexibilité, leur productivité quasi infinie et leur combinabilité en font des êtres sémantiques à part. » Alain Bentolila, Le propre de l’homme [11].
-
[6]
L’Atelier régional de jurisprudence des cours d’appel de Montpellier et de Nîmes, sous ma direction, édite depuis plus de vingt ans, avec l’appui du barreau de Montpellier et de la CARPA, une revue très prisée des professionnels du droit et dont la première partie est uniquement consacrée aux évaluations judiciaires : Revue de jurisprudence régionale, CETIJ, Faculté de droit de Montpellier.
-
[7]
Ce modèle a été notamment défendu par le psychologue américain E. Osgood.
-
[8]
Cette méthode et ses applications à la jurisprudence font l’objet d’un enseignement dispensé depuis plusieurs années par l’auteur dans le cadre du DEA « Informatique juridique « à l’Université de la Sagesse à Beyrouth. Des recherches doctorales et des articles ont été et sont réalisés en application de cette méthode de l’analyse de contenu ou « content analysis » mise au point aux États-Unis au début du siècle dernier par les écoles de journalisme.
-
[9]
Des critiques ont souvent été adressées au mode de sélection des auteurs de ces publications qui n’effectueraient pas leur sélection selon des critères très rigoureux, cette dernière n’obéissant, selon certains, « qu’au hasard de l’activité des correspondants des revues auprès de ces juridictions » (voir Marc Véricel, La publication des décisions de justice en droit du travail [20]). À leur décharge, on doit reconnaître que les auteurs n’ont pas les moyens de cette objectivité quand bien même en auraient-ils la volonté, une sélection « objective » exigeant, en premier lieu, un accès à toute l’information judiciaire pour effectuer un tri systématique et méthodique.
-
[10]
Il est éminemment souhaitable que, dans un proche avenir, la numérisation des documents éditoriaux, liée au règlement des questions touchant au droit des auteurs et des éditeurs, ouvre l’accès au contenu intégral du document originel, ce qui constituera une avancée significative pour les systèmes d’information automatisés.
-
[11]
Michel Grimaldi, dans une formule qui peut être généralisée à tous les professionnels du droit, écrit, à propos de la profession notariale : « Aussi n’a-t-il guère besoin d’une information massive, mais d’une information significative » [22].
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[12]
Selon le rapport « État et perspectives du 20 septembre 2001 » publié dans le Bulletin de la Cour de cassation 2001, la base Juridice des arrêts des cours d’appel et des jugements des tribunaux de grande instance est née d’un constat, celui de l’inadéquation d’un produit existant, la base de données JURIS, aux attentes des utilisateurs, principalement magistrats, mais aussi fonctionnaires des services judiciaires. Prenant acte de ces difficultés et de l’insatisfaction des magistrats à cet égard, la Direction des services judiciaires, en étroite collaboration avec la Cour de cassation, a donc décidé en 2000 d’inviter les cours d’appel à produire la base des arrêts et jugements en activant en leur sein des cellules composées en majorité d’assistants de justice recrutés à cet effet et placés sous la responsabilité des magistrats. Ces cellules sont destinataires des décisions sélectionnées par les formations de jugement et en assurent l’enrichissement (titrage et rédaction d’abstracts).
-
[13]
L’article 5 du Code civil dispose : « Il est défendu au juge de prononcer par voie de disposition générale et réglementaire sur les causes qui lui sont soumises », ceci afin d’observer le principe de la séparation des pouvoirs adopté par les révolutionnaires de 1789 et d’éviter le retour aux arrêts de règlement, pouvoir que les parlementaires d’Ancien Régime s’étaient octroyés et qui est aujourd’hui dévolu au législateur.