1 – Introduction
1Lorsque l’ergonomie des logiciels s’est développée à la fin des années 1970, nous aménagions des interfaces pour des experts en pétrochimie, pour des contrôleurs aériens, pour des comptables et financiers, pour des superviseurs de centrale nucléaire, en bref pour des personnes diplômées, compétentes, formées et qui souvent nous accordaient quelques heures pour analyser leurs tâches et comprendre leurs besoins. Nous déroulions nos méthodes et produisions des résultats que les ingénieurs opérationnalisaient en tenant compte des contraintes techniques, temporelles et budgétaires… Ces méthodes sont bien connues : analyse de la tâche, analyse des contraintes et des astreintes, étude des dysfonctionnements, mesures d’indicateurs subjectifs et objectifs de la charge de travail, expérience de double tâche, etc.
2Aujourd’hui, tout a changé. Nous devons concevoir les interactions de trois milliards de personnes interconnectées. Les contextes sont entièrement perturbés par cette nouvelle donne et nos méthodes subissent également de profondes évolutions. En effet, comment concevoir des systèmes d’ampleur mondiale ? Comment comprendre des utilisateurs qui se retrouvent dans le monde entier, avec des cultures différentes, des histoires singulières, des connaissances très variables et des caractéristiques perceptives, cognitives et sociales parfois curieuses ? Comment se représenter des utilisateurs qui n’existent pas encore car la technologie à laquelle nous pensons n’est pas encore développée ? Comment faire des documents électroniques qui satisferont le maximum d’utilisateurs, alors que nous ne pouvons analyser leur travail ? Comment élaborer une représentation d’utilisateurs qui sont disséminés dans le monde entier ?
3Répondre à ces questions est chose difficile. Modestement, cet article se propose tout d’abord de réfléchir, en adoptant un point de vue constructiviste, aux problèmes posés par la production de données sur les usages de produits qui n’existent pas encore, puis de proposer une alternative aux méthodes classiques d’analyse des utilisateurs – la méthode des staffs d’experts de communautés – pour enfin l’appliquer lors de la reconception d’une bibliothèque électronique sur l’histoire de la construction européenne. La reconception de la bibliothèque « European Navigator » (www.ena.lu.) sert d’application à cette recherche. Ena.lu est la référence sur la connaissance de l’Europe en proposant une information de haute qualité scientifique et pédagogique. Il s’agit d’une banque de connaissances multilingues, multisources et multimédias, qui rassemble plus de 15 000 documents (photos, séquences sonores et filmées, articles de presse, caricatures, textes de synthèse, tableaux, cartes et schémas interactifs) sur l’évolution de l’Europe unie de 1945 à nos jours.
2 – Orientations théoriques sur les méthodes d’appréhension des utilisateurs dans le domaine de la conception des bibliothèques numériques
2.1 – Du « If we build it, they will come » à l’analyse des besoins
4« If we build it, they will come ». Tel fut le leitmotiv de certains concepteurs de bibliothèques numériques et de décideurs politiques : « si nous les construisons, ils viendront ». Le pronom « ils » correspond aux usagers tandis que le « nous » correspond aux concepteurs (Michel, 2005). Dans l’un de ses derniers articles, Michel (2005) ajoute que le rôle des concepteurs et décideurs est de construire des bibliothèques numériques telles des étoiles guidant les usagers vers de nouveaux horizons qu’ils ne soupçonnent même pas. Certains concepteurs et décideurs semblent plus réservés quant à leur mission et semblent plus lucides quant aux usages réels qui sont faits des environnements qu’ils conçoivent. Ainsi, Wilson (2003) définit la mission des concepteurs des bibliothèques numériques de la manière suivante : « nous construisons, dans l’espoir que quelqu’un viendra, sans savoir ce que nous construisons exactement ni savoir qui viendra » (notre traduction). Enfin, quelques concepteurs de bibliothèques numériques n’hésitent pas à parler de gaspillage d’une part, de l’effort intellectuel et d’autre part, de l’argent public lorsqu’ils constatent avec désarroi que la plupart des environnements numériques sont mal ou pas utilisées (Warwick et al., 2006). Certains auteurs avaient déjà souligné ce gaspillage il y a plusieurs années (Jones, Gay et Rieger, 1999), insistant également sur la nécessité d’accorder de l’importance aux besoins réels des usagers avant d’entreprendre la constitution des vastes bibliothèques numériques.
5Ainsi, si certains continuent à penser que « l’offre conditionnera les usages », la réalité est toute autre lorsque l’on regarde de plus près les usages. Dans une étude récente, 76 % des usagers auxquels il était demandé de rechercher des références d’ouvrages dans une bibliothèque numérique « grand public » ne parviennent pas à réaliser ces tâches pourtant simples (Kani-Zabihi, Ghinea et Chen, 2008). De plus, bien que confrontés à un problème, plus de 80 % des usagers ayant participé à l’étude n’ont pas utilisé les fonctions d’aide car généralement destinées à des experts (avec un vocabulaire complexe et trop technique) et non intuitives. Ces données montrent à quel point les difficultés liées à l’utilisabilité posent problèmes aux utilisateurs. Quoi qu’il en soit, les performances des usagers apparaissent souvent « décevantes » aux yeux des concepteurs et commanditaires des bibliothèques numériques.
6Mais ces problèmes d’utilisation font souvent écho aux problèmes d’utilité qui concernent notamment les services proposés par les bibliothèques numériques. Se pose alors la question de savoir comment obtenir une représentation des besoins des utilisateurs ? D’un point de vue méthodologique, trois types de réponses sont généralement donnés : (1) certains auteurs cherchent à directement transformer les verbalisations des utilisateurs en besoin, ce qui présuppose que l’utilisateur a les moyens et les compétences d’une telle expression ; (2) d’autres auteurs considèrent que les besoins sont déductibles d’une analyse des usages et donc que l’interprétation des données permet d’inférer des besoins ; (3) enfin, quelques-uns insistent sur le fait que le besoin ne peut pas exister en tant que tel en dehors de l’humain, en dehors de l’histoire et du contexte sociétal lié. Pour ces derniers, il convient donc de produire des méthodes qui permettent de construire des situations sociales où les besoins des utilisateurs sont construits socialement, présentés, discutés et partagés.
7Sans retracer l’histoire précise de l’évolution des méthodologies, il est important de rappeler quelques éléments permettant de comprendre l’état actuel. Les études s’intéressant aux usages et comportements des utilisateurs des bibliothèques numériques reposent sur des méthodes de recueil de données bien antérieures à l’apparition des bibliothèques numériques. En effet, avant qu’ils ne concernent les environnements numériques, les comportements des usagers recherchant de l’information dans les bibliothèques ont fait l’objet de plusieurs études dès la fin des années 1960 (Gerstberger et Allen, 1968 ; Rosenberg, 1967) et durant les années 1970 (e.g., Allen, 1977). Paradoxalement et comme le font remarquer Fidel et Green (2004), ces études ne reposaient sur aucun cadre théorique précis et ne visaient qu’à recueillir les opinions des usagers, généralement par le biais de questionnaires et d’interviews. Pour les auteurs relevant de ce champ méthodologique, les usagers sont capables de verbaliser (et donc d’identifier) leurs besoins réels. Quoiqu’intéressantes, ces études présentaient deux biais. Premièrement, les usagers étudiés étaient seulement des experts en documentation et/ou en ingénierie (Allen, 1977, 1988 ; Anderson, Glassman, McAfee et Pinelli, 2001 ; Fidel, 1986 ; Fidel et Green, 2004 ; Ghosh, 2009). Secondement, les environnements et outils développés étaient destinés à ces experts (du domaine et/ou de l’activité) tels que les classifications décimales, les thesaurii, etc.
8Les sciences de l’ingénieur ont à leur tour rapidement compris qu’identifier les besoins et attentes de multiples usagers était primordial. Très logiquement, la méthodologie développée par ces sciences de l’ingénieur repose essentiellement sur l’analyse des traces laissées par les utilisateurs lorsque ces derniers interagissent avec les systèmes. Ces traces, qui correspondent aux « logs » automatiquement enregistrés, sont toujours utilisées pour analyser les comportements et stratégies des usagers recherchant de l’information dans des bibliothèques numériques ou systèmes apparentés (e.g., Del Fiol et Haug, 2009 ; Moreira, Gonçalves, Laender et Fox, 2009). L’avantage de cette technique est de recueillir de vastes corpus de traces (transaction logs) pouvant permettre d’extraire et/ou inférer les centres d’intérêts des usagers (Nakatsuji, Yoshida et Ishida, 2009 ; Park, 2009) sur la base de l’analyse des parcours. Mais, même si ces études revêtent un intérêt indéniable, elles ne fournissent que très peu d’informations quant aux besoins réels des usagers. Aussi, quelques rares études concilient la méthode de l’analyse des logs avec des entretiens d’usagers volontaires (e.g., Sliman, Biennier et Badr, 2009), les résultats étant peu exploitables et généralisables.
Il est aujourd’hui nécessaire de créer de nouvelles méthodes et/ou d’adapter des méthodes si l’on veut pouvoir appréhender les comportements et processus mentaux sous-jacents chez des utilisateurs de dispositifs a priori accessibles à tout le monde. Comme le fait remarquer Marchionini (2008), les domaines de recherche qui s’intéressent aux comportements en liaison avec l’information numérique continuent à évoluer rapidement à mesure que la technologie évolue, ces modifications changeant la nature même de l’information et la façon dont les individus interagissent (avec l’information et les uns avec les autres). Mais, il n’y a pas que l’évolution technologique qui oblige les chercheurs, concepteurs et développeurs à modifier leurs méthodes. L’évolution des champs théoriques est également un facteur crucial dans le choix méthodologique.
2.2 – L’expression directe des besoins
9Qui est « l’utilisateur » ? Combien sont-ils ? Sont-ils vraiment différents ? De quoi l’utilisateur a-t-il besoin ? Quelle interface doit-il avoir pour être efficace dans son travail ? Comment mieux satisfaire les besoins de l’utilisateur pour améliorer son confort de travail, sa satisfaction et sa performance ? Très souvent, les concepteurs cherchent à connaître les besoins des utilisateurs en les interrogeant. Leur constat est généralement amer : les utilisateurs ne savent pas ce qu’ils veulent et/ou savent ce qu’ils veulent mais ne parviennent pas à s’exprimer clairement. Il en est de même pour les utilisateurs, ayant rarement le sentiment d’être compris par les concepteurs.
10Les sciences de l’information et de la communication (SIC) ont été parmi les premières à s’intéresser aux comportements et besoins des usagers des bibliothèques traditionnelles (Allen, 1977 ; Gerstberger et Allen, 1968 ; Rosenberg, 1967) puis numériques (Anderson, Glassman, McAfee et Pinelli, 2001 ; Bishop, 1992 ; Cool et Xie, 2000 ; Hertzum et Petjersen, 2000 ; Pinelli, 1991 ; Pinelli, Bishop, Barclay et Kennedy, 1993). Le principal objectif de ces études n’est pas tant de connaître les comportements réels des usagers que les opinions quant à leurs attentes, habitudes et besoins. Aussi, la principale technique de recueil des opinions a été et reste les questionnaires ou les entretiens (Anderson, Glassman, McAfee et Pinelli, 2001 ; Fidel, 1986 ; Fidel et Green, 2004), certaines études conciliant les deux (Pinelli et al., 1993 ; Barak, Orit, Zviaand et Dori, 2009). Bien qu’elles n’aient pas été développées dans le cadre des bibliothèques numériques, des approches visant à accroître l’émergence d’idées nouvelles pour la conception de produits ont aussi été développées par des chercheurs des sciences de l’information et de la communication. La méthode EBAHIE (écoute des besoins et attentes et leur hiérarchisation ; Leleu-Merviel, 2008) en est un exemple. Cette méthode « prend appui sur un protocole formalisé et rigoureux pour organiser l’écoute, analyser les attentes exprimées et enfin les hiérarchiser suivant un ensemble d’indicateurs adéquats pour les caractériser. (…) Cette hiérarchisation permet d’identifier les éléments saillants ou les attentes dominantes. Elle constitue un outil d’aide à la décision pour la définition d’une stratégie fondée sur l’expression directe des attentes et besoins réels des usagers (…). » (p. 70).
11Cette méthode procède en deux phases : la première consiste à « écouter » les usagers lors d’interviews, d’entretiens personnels et de groupe et à transformer, traduire les idées évoquées en « attentes usagers ». La deuxième phase consiste à caractériser puis à hiérarchiser les attentes des usagers. La caractérisation des attentes se base sur trois catégories d’attentes auxquelles sont associées des niveaux de fonctions. Cette caractérisation des attentes est réalisée à l’aide d’un questionnaire. Ainsi, les attentes explicites (formulées comme telles par les usagers) devront donner lieu à des fonctions ou services proportionnels. La satisfaction sera donc ici proportionnelle à la présence de la fonction ou du service attendu. D’autres attentes, qualifiées d’implicites, ne sont pas exprimées par l’usagers car considérées par ces derniers comme allant de soi. Cependant, les fonctions ou services correspondant à ces attentes doivent obligatoirement être présents pour satisfaire l’usager. Leur absence est source de mécontentement. Une troisième catégorie est formée des attentes latentes. Par définition, ces derniers besoins ne sont pas exprimés car selon Leleu-Merviel (2008) l’usager « n’a pas conscience de l’existence de ce besoin (même s’il existe bel et bien) et qu’il ne sait pas qu’y répondre est possible ». Ces besoins latents semblent inférés à partir du succès que rencontrent des fonctions ou services proposés sans qu’ils fussent suscités par les utilisateurs/usagers. Selon Leleu-Merviel, de telles fonctions sont dites attractives et séduisent les usagers qui les découvrent. Ces fonctions ne peuvent générer que de la satisfaction. Les caractéristiques des fonctions peuvent évoluer dans le temps et passer du statut d’attractive au statut de proportionnelle puis d’obligatoire. Pour illustrer cette évolution, Leleu-Merviel évoque la téléphonie : « à l’ère de la téléphonie à fil, tout le monde se satisfait de la cabine téléphonique, et il ne serait venu à l’idée de personne de dire qu’il voulait un téléphone qu’il puisse avoir toujours sur lui et employer partout sans restriction d’aucune sorte. Pourtant, l’arrivée du mobile a montré que le besoin existait et que l’opportunité de le satisfaire a créé le tsunami social et commercial que l’on connaît ». Suite à la caractérisation des besoins, une grille permet de les hiérarchiser. Notons que la nature des besoins et de leurs fonctions associées (proportionnels, obligatoires, attractifs) ne définit pas leur importance. Cette grille peut ensuite être envoyée à un grand nombre d’usager.
12Depuis le début des années 1990, plusieurs institutions et organismes développant ou abritant des bibliothèques numériques ont cherché à recueillir des données quant à l’utilisabilité de leurs systèmes. Le développement d’un système informatique débute toujours par une appréhension plus ou moins consciente, explicite et définie des besoins de l’utilisateur. Cette appréhension repose sur l’idée simple que la bonne identification des besoins de l’utilisateur permet de définir, concevoir puis implémenter une interface qui bénéficiera des exigences de qualité, fiabilité, efficacité, confort, robustesse, productivité… capable de satisfaire l’utilisateur. La question de la prise en compte des besoins des utilisateurs est donc une dimension essentielle de la conception et de l’évaluation des systèmes techniques et sera gage de succès ou d’échec du futur système. Il s’en dégage une équation évidente : lorsque les interfaces répondent aux besoins des utilisateurs, ces derniers les évaluent positivement, les apprennent facilement, travaillent efficacement, commettent peu d’erreur et s’en déclarent satisfaits. Au contraire, lorsque les interfaces ne répondent pas à leurs besoins, les utilisateurs ne les comprennent pas, ne mémorisent pas les informations, s’énervent, sous-utilisent les sites web, les abandonnent voire les détériorent ou les sabotent. L’enjeu est donc de taille.
Par exemple, à l’aide d’interviews menées auprès de quatorze chercheurs et enseignants-chercheurs universitaires en sciences humaines (département d’histoire) et en lettres (département d’anglais), Rimmer, Warwick, Blandford, Gow et Buchanan (2008) ont cherché à comprendre pourquoi ces usagers n’utilisaient pas les bibliothèques numériques alors que celles-ci semblaient a priori utiles et utilisables. Ces auteurs se sont alors intéressés d’une part, à la façon dont ces usagers se représentaient les bibliothèques numériques, en comparant ces représentations avec celles que ces mêmes usagers avaient quant aux bibliothèques « traditionnelles » et d’autre part, aux besoins réels. Si Rimmer et al. (2008) se sont intéressés à ces utilisateurs (chercheurs et enseignants – chercheurs en histoire et en anglais), c’est surtout parce qu’une étude antérieure avait montré que ces derniers étaient réticents à utiliser les environnements numériques documentaires à leur disposition. Ainsi, Rimmer et al. (2008) ont pu identifier plusieurs obstacles à l’utilisation des bibliothèques numériques pour ces usagers : (1) les chercheurs et enseignants-chercheurs regrettent l’uniformité des présentations dans les bibliothèques numériques. L’un des plaisirs de ces experts est de manipuler et d’être au contact des objets « livres ». Or, en dématérialisant les documents, la numérisation confère un aspect jugé « froid » et « distant » ; (2) lorsqu’ils utilisent une bibliothèque numérique, ces mêmes experts n’ont plus l’impression d’appartenir à une communauté d’utilisateurs et/ou de spécialistes d’un domaine spécifique. En effet, un autre de leur plaisir évoqué est celui de se retrouver, de se croiser et d’échanger dans les rayonnages des bibliothèques « traditionnelles » ; (3) les chercheurs et enseignants-chercheurs déclarent ne pas retrouver les émotions qu’ils ont en travaillant dans une bibliothèque traditionnelle : plaisir de butiner, de feuilleter les ouvrages, d’échanger avec un collègue ou un étudiant croisé au détour d’un rayonnage, etc. Par ailleurs, comme l’indiquent Dinet et Rouet (2002) et Marchionini (1995) (4) le butinage est plus difficile à réaliser dans une bibliothèque numérique ; (5) enfin, ces experts éprouvent énormément de difficultés pour apprécier et juger la valeur historique ou littéraire des œuvres et documents lorsque ces derniers sont « dématérialisés ».
Des résultats identiques ont été retrouvés dans une étude similaire dans laquelle les auteurs s’intéressaient aux besoins des utilisateurs de la base de données ScienceDirect.com (Tenopir, Wang, Zhang, Simmons et Pollard 2008). Dans cette dernière étude, plusieurs techniques et méthodologies ont été utilisées (verbalisations concomitantes, entretiens, analyse des logs, et enregistrements audio-vidéos pour enregistrer les expressions faciales) pour en extraire des recommandations correctives.
2.3 – La construction sociale des besoins à partir des interactions humaines et sociales
13À l’opposé de la rigueur de l’expérimentation ou des analyses de l’activité sur le terrain que nous avions critiquées (Brangier et Bastien, 2006), se trouvent des méthodes plus souples et inventives basées sur la créativité et la participation des utilisateurs. Ces dernières donnent de l’importance à l’expression libre des besoins, aux débats entre les utilisateurs, à la construction d’un référentiel commun entre les utilisateurs et les concepteurs, aux émotions, à la sensibilité ou encore aux communications entre les acteurs des projets technologiques.
14Ces techniques participatives sont nombreuses : Brainstorming, Delphi, Focus group, atelier de conception participative, Storytelling, conférences de consensus… Dans tous les cas les utilisateurs sont invités à s’exprimer le plus librement possible sur des logiciels, des besoins, des insatisfactions, des petits malheurs technologiques durant une séance de plusieurs heures. L’objectif est de produire des verbalisations sur la manière dont les utilisateurs s’échangent des informations sur leurs interfaces ou de leur présenter des interfaces et d’attendre leurs réactions collectives. Il s’agit de recenser des opinions, des représentations de l’activité, des spéculations sur les comportements futurs, des aversions ou préférences véhiculées par ces personnes et qui pourraient servir à définir de nouvelles spécifications. Comme l’ont montré Salazar-Orvig et Grossen (2004), dans ces groupes, la production de discours est assez proche des conversations quotidiennes, ce qui permet l’étude des représentations sociales. Cependant, les analyses réalisées soulignent que les personnes « opèrent une importante activité de cadrage pour donner du sens à la situation de recherche et aux problèmes qui leur sont posés et que, selon ce cadrage et le travail interactif, les réponses des sujets varient à l’intérieur d’un problème, mais aussi d’un problème à l’autre » (p. 263) (Salazar-Orvig et Grossen, 2004). Ce va-et-vient d’un problème à un autre, d’une idée à une autre, d’une réfutation à une autre, etc., permet le passage d’une position énonciative à une autre qui n’est pas un signe d’instabilité, mais exprime le processus de construction du sens dans l’élaboration des représentations partagées.
15Née dans les années 1970, dans les Pays scandinaves sous le nom de « Participatory design », la méthode participative connaît un regain d’intérêt et s’est redéveloppée à partir de 2000 dans le domaine de la conception des nouvelles technologies. Cette approche de la conception repose sur plusieurs postulats, parmi lesquels on trouve l’idée de travailler en atelier pour (a) travailler ensemble avec les utilisateurs pour concevoir une solution, (b) donner aux utilisateurs de la voix dans le processus de conception, (c) augmenter la probabilité d’une conception utilisable, (d) augmenter l’acceptation de la solution technologique, (e) permettre à tous les participants de s’exprimer de façon égale, (f) rencontrer des utilisateurs futurs probables, (g) fournir un forum pour l’identification des problèmes, (h) réduire les temps de conception par des techniques de recueil très productives, (i) mettre au point des technologies faciles à apprendre et à appliquer, car elles tiennent compte d’emblée des utilisateurs, (j) maintenir la motivation en cours de projet en associant les utilisateurs, ou en donnant des visions sur les utilisateurs, (k) reconnaître les utilisateurs/consommateurs/experts comme des acteurs essentiels du développement des produits nouveaux, (l) faciliter le changement organisationnel lorsque les technologies modifient les modes de vie ou les styles de comportements des personnes.
16Pour autant, il ne suffit pas de rassembler physiquement des utilisateurs potentiels pour que des apports significatifs de leur réunion débouchent sur des perspectives de conceptions profitables. Il faut bien évidemment instrumenter leurs relations de manière efficace et stratégiquement orientée (Bastien, Brangier, Dinet, Barcenilla, Michel et Vivian, 2009). La question de l’organisation de la participation des utilisateurs devient donc un point-clé qui renvoie à la fois à la technique participative mise en place, à l’animation du groupe d’utilisateur et à la qualité du recueil des données (e.g., van Velsen et Melenhorst, 2009).
En somme, les méthodes participatives et créatives consistent à associer :
- de manière :
- directe (les personnes participent réellement) ;
- formelle (les personnes s’engagent effectivement) ;
- validée (les personnes sont reconnues compétentes) ;
- négociée (écoute réciproque et ajustement) ;
- des personnes :
- utilisateurs directs/indirects ;
- concepteurs ;
- dans la conception et le développement :
- d’un produit ;
- d’un service.
2.4 – Synthèse
17Cette revue bibliographique met en évidence trois démarches dans la conception ou le réaménagement des bibliothèques numériques et souligne qu’il est illusoire de chercher une solution instantanée et immédiate à un problème dont la solution se construit progressivement (Brangier, Dinet et Eilrich, 2009). Le besoin des utilisateurs n’est ni un fait, ni une donnée mais le fruit d’un long processus collaboratif entre concepteurs et utilisateurs. Cette conception constructiviste du besoin s’oppose au sens commun qui fait du besoin un objet matérialisable, définissable. Si l’on admet communément que la technique est un objet social et une réalité idéologique (Habermas, 1973), il n’en demeure pas moins problématique de considérer que la technique se superpose au besoin. En aucun cas, la technique n’absorbe le besoin. Une technique n’est qu’une expression réalisée à un moment donné d’un besoin construit. Ainsi, notre travail part de l’idée que pour l’utilisateur de technologies, le besoin est une construction sociale et pas une solution technique (Brangier, 2007), cette construction sociale étant (a) progressive et donc instable dans le temps (i.e., dépendante du contexte historique, social et économique), (b) partagée et donc liée à la relation humaine qui lui donne sens (i.e. les interactions entre le concepteur et l’utilisateur,) (c) mentalement élaborée et donc non finie (i.e., le besoin n’est pas autodéterminé par la technologie ou par les fonctionnalités de la technologie, et (d) dynamique (i.e., le besoin n’est pas statique, l’utilisateur étant lui-même instable, actif et dynamique). Dans cette perspective, nous proposons de bâtir une méthode centrée utilisateur permettant de précipiter la construction sociale des besoins des utilisateurs.
3 – Démarche méthodologique de la méthode des staffs d’experts de communautés
18Avec les méthodes participatives et créatives, la construction du besoin est envisagée comme un processus et un résultat d’une activité collective complexe produite au sein d’une situation sociale provoquée par le rassemblement de personnes coordonnées par un animateur (Kitzinger, 2004 ; Wibeck, Adelsward et Linell, 2004). Ici, nous proposons la méthode des staffs d’experts de communautés. Elle prend la forme d’un regroupement de plusieurs groupes de personnes expertes reconnues, représentant les communautés de pratiques impliquées dans un projet et s’exprimant ensemble sur le thème du projet. Le groupe est animé par un animateur qui, grâce à différents supports (papiers, écrans, ordinateurs, maquettes, storyboards, etc.) cherche à précipiter l’expression, la discussion, la réfutation ou la validation des idées du groupe. La méthode du staff vise donc à confronter l’intersubjectivité de différents experts de communautés et à mesurer l’impact cognitif de leur mise en relation, cet impact pouvant être apprécié par la qualité et la quantité des données générées par les réunions d’experts de communautés. L’expression et la participation servent à construire des idées nouvelles, des besoins, des fonctions, des nouvelles représentations d’un système, produit ou service en cours d’aménagement. L’organisation générale du processus de collecte des besoins des utilisateurs à partir de la méthode des staffs d’experts de communauté repose sur 5 phases, que nous détaillons ci-après (tableau 1).
Synopsis de la démarche des staffs d’experts de communautés
Synopsis de la démarche des staffs d’experts de communautés
3.1 – Définition des communautés de pratiques concernées
19Plutôt que de constituer les groupes avec des personnes représentatives de la population générale, le staff d’experts débute par une cartographie des communautés de pratiques potentiellement ciblées par le projet. Il s’agit à la fois de communautés :
3.2 – Identification des experts de communautés
20L’identification des communautés sert à la recherche des experts pouvant s’exprimer de manière fiable pour cette communauté. Il s’agit alors de constituer un panel d’experts qui sont des représentants possibles, légitimes et/ou reconnus. Un expert d’une communauté de pratique est donc une personne qui peut parler au nom de sa communauté. Il/elle est un représentant valide de la communauté. Cette validité des experts peut être appréhendée de deux manières complémentaires :
- la validité intrinsèque est centrée sur le modèle de compétence de l’expert La validation doit montrer si l’expert proposé est fiable et pertinent, s’il dispose bien des acquis (théoriques et empiriques) nécessaires à sa reconnaissance comme expert. Autrement dit, il s’agit de savoir si les différentes personnes appartenant à chaque staff ont un parcours, une expérience, une formation permettant de les confirmer dans leur rôle d’expert de communauté. L’expert a-t-il les compétences relevant de sa communauté ?
- la validité extrinsèque vise à apprécier la réputation de l’expert dans sa communauté. Elle confirme ou infirme la notoriété et la crédibilité de l’expert dans sa capacité à représenter sa communauté. L’expert est-il identifié comme un expert de sa communauté ?
3.3 – Organisation et animation des groupes de discussion
21À partir du panel d’experts, chaque communauté ciblée est représentée par au moins un groupe réunissant 4 à 6 personnes filmées durant 3 heures à 3 heures 30 minutes. Les groupes de discussion sont organisés en trois phases : (1) les participants sont invités à s’exprimer librement sur les thèmes du projet ; (2) les participants sont amenés à discuter de certains supports : écrans, maquettes, story-boards… présentés à cette occasion ; (3) les individus participent à l’organisation des informations et connaissances relatives au projet en réalisent ensemble un exercice de tri de cartes.
3.4 – Analyse des résultats
22Les films vidéo sont ensuite analysés afin d’identifier les idées nouvelles qui donneront des recommandations sur les futures caractéristiques du produit, système ou service. Ces idées sont nombreuses, riches et livrées sans restriction. L’intérêt de ces idées de création de nouvelles fonctionnalités est variable et dépend d’abord des objectifs du projet. Les objectifs sont des marqueurs d’amélioration, plus que des certitudes sur l’avenir. Le travail analytique fourni pour identifier les options envisageables va donner des résultats de plus en plus rigoureux sur les besoins exprimés. Ces analyses devront être partagées avec les commanditaires.
3.5 – Conférence de consensus
23Un « atelier ou conférence de consensus » est la phase durant laquelle un processus de réflexion collective concerne les questions controversées afin de parvenir à un accord sur des recommandations communes. Le principal objectif du consensus est de développer, avec les commanditaires, des méthodes de modélisation des recommandations de l’avis d’experts afin de renforcer l’objectivité des exigences de production. Les résultats sont donc discutés et réinterprétés par les commanditaires jusqu’à leur appropriation.
3.6 – Synthèse : intérêts et limites du staff d’expert de communauté
24Le staff dispose d’une autorité d’expertise. Il réunit des représentants éprouvés d’une communauté épistémique relativement structurée (comme les directeurs de laboratoires de recherche en histoire contemporaine). En pratique, ces experts vont vivre pas à pas une session d’animation de groupe où ils seront amenés à s’exprimer, débattre, argumenter, partager des représentations, en bref construire mutuellement du sens sur le futur de leur communauté et de ses besoins. Ils discutent, avec leurs mots et le technolangage de leur communauté, dans le détail tous les éléments du projet qui les réunit. Leurs idées sont enregistrées, analysées sous la forme de besoins et soumises pour approbation aux commanditaires (conférence de consensus) ce qui, en principe, ouvre la voie au réaménagement du projet voire à l’élaboration de nouveaux produits et services innovants. Les décisions stratégiques reviennent donc aux commanditaires qui expriment leurs intérêts à agir et à développer un projet novateur et adapté aux besoins construits socialement.
Le staff est donc une technique de médiation entre des besoins socialement construits et les commanditaires : les demandes, besoins, souhaits et désirs exprimés par le staff doivent être transmis et l’expertise mobilisée à l’appui de la négociation avec les commanditaires. Cela demande que l’activité propre au staff soit entretenue, que la délibération entre experts soit protégée, que soit pris en compte tous les aspects du problème, que l’écoute des hypothèses et raisonnements soit faite, que les critiques rigoureuses soient discutées et surtout que les avis dissonants soient respectés. De fait, la production et la circulation de l’expertise en sont l’enjeu central : si les intervenants cachent, déforment, oublient ou amplifient une partie des besoins, ou si le staff ne peut pas transmettre toutes ses analyses, alors les décisions de chacun risquent d’être biaisées et l’action collective sera moins efficace.
4 – Étude monographique : application pratique de la méthode des staffs d’experts de communauté à l’aménagement d’une bibliothèque numérique
4.1 – Contexte du projet
25ENA (European NAvigator, www.ena.lu) est une bibliothèque numérique spécialisée dans l’histoire de la construction européenne et développée par le Centre virtuel de la connaissance sur l’Europe (CVCE). Il s’agit d’une bibliothèque unique, véritable plateforme numérique de référence mondiale en matière de création et de diffusion de contenus à haute valeur ajoutée sur l’histoire de la construction européenne. Depuis plus de 10 ans, le CVCE a développé cette plateforme qui comprend aujourd’hui plus de 15 000 documents (textes, images, vidéos, etc.) en 23 langues. Le CVCE joue donc de multiples rôles en étant à la fois un centre de ressources, un acteur historique, un disséminateur de produits multimédias, un vecteur de la transmission des connaissances, de musée numérique, un gestionnaire des connaissances des historiens de l’Europe, une nouvelle sorte d’archiviste…
26La demande initiale était de faire évoluer la BN et de se concentrer sur des communautés d’utilisateurs en vue d’offrir un service plus riche et personnalisé via les nouvelles possibilités du web 2.0.
4.2 – Déroulement et mise en œuvre de la méthode des staffs d’experts de communauté de pratique
27La démarche d’identification des communautés reposa principalement sur le remue-méninges avec les commanditaires pour lister les communautés impliquées et les expertises dont elles relevaient. C’est au total 14 groupes représentant chacun une communauté qui ont été réunis. Pour chacun des groupes, des représentants reconnus pour représenter les communautés ont été identifiés. Aussi, les groupes avaient-ils les configurations suivantes (tableau 2).
Constitution des 14 staffs d’experts de communauté
Constitution des 14 staffs d’experts de communauté
28Au total, 58 personnes (allemandes, belges, canadienne, espagnole, françaises, luxembourgeoises) ont donc participé à ces 14 staffs d’experts qui furent réunis pour (a) produire collectivement des connaissances sur leurs besoins (expertise de contenu) ou sur leurs représentations des besoins des autres utilisateurs (expertise de contenant), (b) exprimer les besoins, attentes, exigences d’utilisateurs cibles, (c) réagir sur les services existants, et (d) expliciter les connaissances utiles et nécessaires à l’usage de la BN. Pour chacun de ces 14 groupes, une séance de travail de groupe filmée et instrumentée sur une durée de 3 heures à 3 heures 30 a été réalisée. La conduite de cette séance de travail reposait sur une grille identique pour tous les staffs. Après chaque réunion, les enregistrements audio-vidéos étaient analysés et un compte rendu écrit de chaque staff rédigé.
4.3 – Études des effets de la méthode des staffs d’experts de communauté sur la production des données relatives à l’utilisateur : la production de nouvelles fonctions pour les utilisateurs futurs
29L’intérêt d’une méthode se juge en fonction de la qualité des données qu’elle permet de générer, c’est-à-dire sa capacité à produire de nouvelles fonctionnalités, à exprimer de nouveaux besoins, à générer de nouvelles idées pour la BN. Aussi, notre question est de savoir si la méthode des staffs d’experts de communauté permettrait de produire des données originales, innovantes et permettant d’aider à des choix d’aménagement de la BN pour le futur ?
30Notre travail a d’abord été guidé par le fait que le besoin ne se trouve pas dans la singularité de la conception, mais qu’il est le résultat de transactions complexes entre un utilisateur, un concepteur et un environnement où l’imitation, l’apprentissage, la co-construction des connaissances et le partage des représentations jouent un rôle essentiel et où interviennent des processus de validations réciproques. Les besoins émergent dans et par les interactions sociales, avec pour principal outil de médiation, le langage. Si le participant n’est pas en mesure de résoudre isolément son problème, il aura plus de chance d’y parvenir en situation de coopération et d’interaction sociale. C’est ce postulat qui justifie l’idée que les besoins s’élaborent dans un travail collaboratif où utilisateurs cibles et animateur de groupe enrichissent mutuellement leurs connaissances, par la confrontation avec les connaissances d’autrui. Ces connaissances, qui dessinent finalement les besoins, sont (a) soit identifiées clairement par l’utilisateur cible qui dira avoir besoin de telle ou telle fonctionnalité, (b) soit connues mais pas encore arrivées à maturité, (c) soit complètement ignorées et dans ce cas l’analyse des données cherchera à reformuler des difficultés et à les traduire en besoin. Dans ce cas, l’analyse des besoins correspond donc à une forme de production coopérative où plusieurs personnes vont négocier et valider des représentations partagées sur ce qu’elles font, déclarent faire ou souhaiteraient faire. La production de toutes ces représentations se matérialisa sous la forme d’idéations exprimées ou déduites des 14 groupes.
31Les idéations furent très nombreuses (n = 134) ; elles ont été regroupées en 52 thèmes qui comprenaient chacun de 1 à 4 idées d’amélioration de la BN. Certaines étaient assez faciles à imaginer (e.g., « mieux connaître les politiques européennes à partir de données de l’actualité européenne »), d’autres au contraire étaient très spécifiques et portées par des communautés particulières (e.g., « archiver les connaissances relatives aux jumelages entre villes européennes »).
32Les fonctions classiquement attendues pour les BN (i.e., archivage des données, actualisation des informations, crédibilité des sources) ont complètement été revues par les staffs d’experts, et ont été catégorisées en 7 grandes fonctions (tableau 2). Les besoins peuvent être restitués sous la forme de fonctionnalités que les personnes jugent comme étant globalement utiles. L’énoncé de ces fonctionnalités souligne qu’une BN n’est pas seulement un lieu se limitant à l’archivage d’informations pertinentes, mais peut revêtir au total 7 fonctions que nous détaillons dans le tableau 3.
Les « 7 A » : liste des fonctions nouvelles déduites des idéations et des thèmes verbalisés par les staffs
Les « 7 A » : liste des fonctions nouvelles déduites des idéations et des thèmes verbalisés par les staffs
33Ainsi, les staffs d’experts ne se limitent pas à énoncer des propriétés fonctionnelles qui s’apparentent à celle d’une encyclopédie en ligne ; ils veulent que les BN jouent des rôles d’animation, de mise en relation, de partage de données entre utilisateurs, de construction d’une Europe des citoyens, etc. C’est donc là un nouvel enjeu pour les BN !
5 – Conclusion
34Au-delà des questions de modes qui touchent les sciences de la conception et qui commencent à faire une place aux méthodes participatives et créatives, la démarche des « staffs d’experts de communautés » doit permettre d’élaborer des données capables d’articuler des connaissances pour la production de technologies numériques ; la question étant de savoir si cet objectif est atteint ?
35La méthode des staffs part vraiment de l’idée que le besoin n’est ni un fait, ni une donnée mais le fruit d’un long processus collaboratif dans les groupes représentant des communautés. Le besoin n’existe pas en tant que tel, en dehors de l’humain, en dehors de l’histoire, en dehors de la société qui le génère ; le besoin se construit dans les interactions sociales et les réunions des staffs d’experts de communauté servent à produire des situations de construction sociale des besoins de chaque communauté sur la construction de l’Europe. En bref, le but de cet article était de faire valoir l’intérêt de la méthode des staffs et de proposer une démarche de mise en application de l’approche constructiviste des besoins dans la production des données relatives au développement d’une technologie numérique. Il s’agit là d’un paradigme méthodologique nouveau présentant des intérêts évidents mais qui pose aussi de nouvelles questions sur sa reproductibilité lors d’autres projets… mais c’est là une autre recherche !
Remerciements
Ce travail est le fruit d’une collaboration avec le CVCE – centre virtuel sur la connaissance de l’Europe (Grand-Duché de Luxembourg). Nous remercions vivement le CVCE pour la confiance qu’il nous a témoignée, et particulièrement Madame Marianne Backes, Directrice, Conseillère de Gouvernement de 1re classe, ainsi que ses collaborateurs avec lesquels il a toujours été très agréable de travailler : Mme Susana Muñoz, M. Frédéric Andres, M. Laurent Eilrich, M. Ghislain Sillaume.6. Bibliographie
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Mots-clés éditeurs : méthode participative, analyse de l'utilisateur et de ses besoins, approche constructiviste des besoins de l'utilisateur, design socioconstructiviste
Date de mise en ligne : 01/02/2010