1 – Introduction
1Il est aujourd’hui établi que le développement de nouveaux produits repose sur un ensemble de processus socio-techniques complexes. Dans ce contexte, les phases amont des projets de conception (avant-projets, études préliminaires, projets de R&D ... ) constituent des périodes propices à l’introduction d’innovations technologiques. Nous avons souligné dans de précédents travaux (Legardeur el al., 2000) les difficultés et les caractéristiques de ces phases préparatoires aux projets, en particulier lorsqu’il s’agit de proposer de nouvelles idées en forte rupture avec les dispositifs routiniers. En effet, certains acteurs sont parfois tentés d’explorer de nouvelles alternatives innovantes basées par exemple sur de nouveaux concepts de solutions techniques, sur des nouvelles technologies ou sur l’introduction de technologies utilisées dans d’autres secteurs d’activités. Ces acteurs, porteurs de nouvelles idées potentiellement innovantes, engagent des stratégies particulières afin de les valoriser et de les faire partager par l’ensemble des acteurs. Il en découle des processus informels peu structurés qui interviennent parallèlement aux processus « officiels » du projet proprement dit. Pourtant, ces phases d’intéressement, de négociation et de prospective constituent des enjeux stratégiques car elles permettent parfois d’aboutir à des solutions innovantes exploitables en projet. Dans ce contexte, ces acteurs sont alors confrontés à des dispositifs peu stabilisés sur le plan du réseau d’acteurs et des connaissances mobilisées.
2Notre problématique est d’étudier comment les mécanismes informels de coopération qui interviennent lors des phases amont de conception peuvent être instrumentés. Notamment, il s’agit d’étudier comment les informations manipulées par les acteurs peuvent être capitalisées, structurées et réutilisées pour faciliter la diffusion et l’apprentissage d’idées nouvelles et donc de l’innovation. Dans cette optique, nous présentons dans la première partie de cet article, les principales analyses d’un cas d’étude de terrain industriel concernant l’introduction de nouveaux matériaux pour la conception de véhicules au sein de l’entreprise Renault VI. Dans un deuxième temps, nous présentons la maquette d’un environnement collaboratif, nommé ID2, destiné à favoriser la coopération des acteurs. Cette maquette a été spécifiquement développée à partir du cas d’étude industriel et notamment pour instrumenter les processus informels des phases amont de conception. Nous considérons alors dans une troisième partie dans quelle mesure un outil de SGDT (systèmes de gestion de données techniques, en anglais PLM Product Life cycle Management, ou PDM Product Data Management) générique peut permettre d’instrumenter ces processus informels. En effet, bien qu’ils soient reconnus comme des environnements favorisant une coordination préétablie de processus élémentaires (Miller, 2000), nous proposons alors une configuration possible basée sur l’environnement Windchill (PTC, 2002). Nous concluons alors sur les perspectives qu’ouvrent ces orientations vis-à-vis de l’évolution des outils de PLM.
2 – La diffusion de l’innovation produit/process en phase amont des projets de conception
2.1 – Une étude de terrain : le cas de l’innovation produit/process chez Renault VI
3Notre démarche de recherche est essentiellement basée sur une approche socio-technique (Boujut et Tiger, 2002) qui consiste en l’observation participante et l’étude empirique de différents cas industriels. Les résultats que nous présentons font suite à une étude de terrain de 18 mois qui s’est déroulée dans un des bureaux d’études de l’entreprise Renault VI. Le choix des technologies y est particulièrement orienté dès le début d’un projet de conception. Ce choix reste généralement dans le domaine des technologies de l’acier et des procédés associés (laminage, emboutissage, pliage, etc.), qui sont traditionnellement utilisés et connus par les concepteurs. Par contre, nous avons pu encourager, par notre participation en tant qu’acteur dans un des projets, l’introduction de matériaux composites de type SMC (sheet molding compound) sur une application innovante. L’objectif principal de ce projet était de reconcevoir une partie d’un véhicule industriel en proposant, dès les phases amont du projet, la technologie des matériaux composites SMC. De ce fait, nous nous sommes retrouvés dans une situation très paradoxale car, bien que le matériau et le process SMC soient connus et utilisés industriellement depuis plus de 30 ans, dans le contexte du bureau d’étude partenaire, cette technologie était considérée comme totalement nouvelle par les acteurs qui en avaient une connaissance très limitée. Dans ce contexte, nous avons pu observer un décalage et des changements dans les pratiques de conception lors du déroulement de ce projet innovant par rapport aux situations de conception plus routinières basées sur des habitudes de conception fortement liées et ancrées à l’histoire du produit et à la technologie acier traditionnellement utilisée. De nouvelles connaissances et de nouveaux participants dans le processus de conception ont ainsi été introduits.
4Suite à cette première étude de terrain, nous avons cherché à étudier les dispositifs qui pouvaient exister au sein de l’entreprise partenaire pour favoriser l’introduction d’innovation produit/process lors des phases amont de conception. Nous avons pu identifier certaines situations où la question du codéveloppement entre le bureau d’études et un fournisseur expert d’une technologie différente est parfois mise en tension autour du choix du couple matériau/process. Nous avons pu observer que ces situations sont souvent encouragées par un acteur particulier, dénommé l’expert matériaux, qui constitue un acteur-clé dans l’entreprise partenaire pour encourager l’intégration de nouvelles technologies. De ce fait, nous avons analysé l’activité de ces acteurs en suivant ces derniers sur le terrain, en observant leurs pratiques et en les interrogeant sur les méthodes qu’ils mettaient en œuvre pour proposer de nouvelles technologies aux bureaux d’études.
5Notre analyse de terrain est essentiellement basée sur la théorie de l’acteur réseau proposée par (Callon et Latour, 1985). Notre étude montre que le rôle de l’expert matériaux est multiple car il doit pouvoir fournir des conseils et des données sur le matériau ou sur le process mais il joue également un rôle-clé d’acteur pilote dans le prédéveloppement de nouvelles solutions innovantes. En effet, il se retrouve parfois dans une position de « facilitateur » et d’animateur de compétences. Son rôle est de diffuser et de faire accepter une idée nouvelle, qui n’est encore qu’au stade de concept pour la faire passer progressivement au stade d’application industrielle. C’est ce mouvement que nous caractérisons ici de processus d’innovation. Pour cela, l’acteur pilote est amené à constituer par stratégie d’intéressement, un réseau de compétences au sein duquel il se retrouve en position centrale vis-à-vis de tous les métiers de son entreprise et du fournisseur. Il analyse les différents besoins, les traduit, et fait circuler les contraintes et les informations qu’il a recueillies auprès de ses interlocuteurs, afin de trouver un vecteur commun pour le développement de l’idée. L’expert matériau endosse un statut stratégique d’acteur d’interface.
2.2 – Diffuser l’innovation, une remise en cause des dispositifs
6On pourrait être tenté de croire que, de par les qualités intrinsèques de l’innovation proposée, les différents acteurs (experts métiers, responsables techniques et opérationnels, chefs de projet…) se mobilisent spontanément pour concrétiser ces nouvelles alternatives. Dans la pratique, cette dynamique d’adoption de l’innovation n’est pas toujours aussi directe et dépend surtout de l’aptitude d’un ou plusieurs acteurs pilotes (l’expert matériaux par exemple) à susciter l’adhésion de nouveaux alliés et instaurer la coopération entre ceux-ci. En effet, nous avons montré que dans un univers de conception orienté vers les technologies de la métallurgie, il n’est pas évident pour une solution composite de s’imposer. Les avantages des matériaux composites (légèreté, palette de formulations, faible sensibilité à la corrosion, capacité à intégrer plusieurs fonctions, etc.) ne sont pas uniquement confrontés aux arguments techniques des technologies déjà en place. Le processus d’adoption, ou au contraire de rejet, d’un nouveau matériau s’inscrit dans un processus plus complexe qu’une « simple » confrontation technique entre process. A ce sujet, dans le domaine de la sociologie, certains travaux (Callon et Latour, 1985) proposent le modèle de la traduction pour décrire le processus d’innovation où chacun résiste ou adhère à une innovation en fonction de ses intérêts propres.
7Une première analyse des logiques d’acteurs, des dynamiques de connaissances mobilisées et des processus d’apprentissage dans ce contexte de forte instabilité, lié au degré d’incertitude des projets observés, montre que les acteurs remettaient en cause les dispositifs existants. Ces observations nous ont conduits à formuler trois hypothèses qui caractérisent les processus d’innovation suivis (Legardeur et al., 2000).
8Premièrement, il n’y a pas d’innovation sans une certaine évolution de l’organisation et sans la mise en réseau des acteurs. De leurs interactions émerge un dispositif de « qualification » (ou d’acceptation) du nouveau matériau porté par les promoteurs d’une solution innovante, et un dispositif de « déqualification » (ou de rejet) porté par les promoteurs d’une solution plus routinière.
9Deuxièmement, il n’y a pas d’innovation à savoir constant et sans création et partage des connaissances. Dans notre cas, l’introduction d’une nouvelle technologie conduit la majorité des acteurs à découvrir un matériau et un procédé et implique le développement de nouvelles connaissances au sein du réseau. L’enjeu est donc d’organiser l’émergence et la confrontation des savoirs produit/process.
10Troisièmement, il n’y a pas d’innovation sans remise en cause des outils et dispositifs d’évaluation du couple produit/process. En effet, dans le cas de projets plus routiniers, la cartographie des acteurs impliqués et les principaux critères mobilisés sont relativement vite établis et stabilisés (souvent aspects techniques tels que choix de solutions, calculs, simulations et aspects économiques tels que devis ou estimations). Par contre, lors des situations de projets innovants, nous avons vu que cette cartographie est très instable avec l’arrivée progressive de nouveaux acteurs, apportant de nouveaux critères d’évaluation à différents stades du projet.
2.3 – Diffuser l’innovation, des trajectoires informelles à travers l’organisation
11Nous avons vu à travers l’analyse du cas d’étude précédent, que l’innovation est accompagnée généralement d’une certaine «déstabilisation» de l’organisation. Dans ce paragraphe, nous allons insister sur la nécessité de prendre en compte cette évolution pour favoriser la diffusion de l’innovation produit/process.
12A ce sujet, (Crozier et Friedberg, 1977) ont défini le concept de zone d’incertitude en expliquant que tout l’effort d’une organisation consiste à maîtriser les aléas auxquels elle est confrontée. C’est ce qui explique la définition des responsabilités, de procédures, de cahier des charges, de contrats, qui tenteront de rendre l’avenir et les comportements prévisibles. Cependant, il subsiste toujours des imprévus et l’innovation favorise cette émergence et soulève alors de multiples zones d’incertitudes. L’existence même de ces zones d’incertitude ouvre des possibilités de jeu entre les acteurs de l’organisation. C’est donc une source de conflit où les jeux de pouvoir vont s’installer. Identifier ces zones d’incertitude permet de déterminer les lieux où vont s’élaborer des alliances, des résistances et des négociations entre les acteurs et finalement conduire à faire progresser l’innovation. L’opposition entre innovation et organisation se retrouve dans l’observation de situations de travail présentées dans (Alter, 1993). Nous nous intéressons plus particulièrement aux « espaces d’innovation » qui se déploient, en marge de l’organisation, dans la structure informelle de l’entreprise. Dans les «phases préparatoires au projet», il arrive parfois qu’un acteur, porteur d’une nouvelle idée, explore différentes alternatives, en rassemblant un certain nombre d’informations, en constituant un premier réseau d’acteurs, en identifiant un certain nombre d’avantages et d’inconvénients de la nouvelle solution proposée, etc. Ces phases présentent un caractère fortement informel car, fréquemment ce type de développement se développe de manière non contractuelle, en dehors des projets officiels, sans ressource allouée. Les processus de coopération et de confrontation des points de vue impliquent alors des modes de partage et d’échange d’informations qui empruntent souvent des circuits informels et peu identifiés au sein des entreprises. Cependant, les résultats de ces phases, approuvés et validés par les décideurs de l’entreprise, peuvent alors parfois conduire au lancement de projets officiels et à l’émergence d’applications innovantes.
3 – Un environnement collaboratif spécifique pour l’innovation
3.1 – Contexte de développement
13A partir des études menées au sein de Renault VI, nous avons procédé à la spécification d’un environnement collaboratif s’appuyant sur la structuration autour d’un «projet d’innovation» de la collaboration des acteurs et proposant une structuration des informations manipulées. Sous le pilotage de chaque acteur pilote, porteur d’une proposition innovante, cet environnement doit tracer, classer et diffuser les informations manipulées et favoriser les interactions entre les acteurs en vue de permettre le transfert de cette proposition innovante vers un statut d’industrialisation. Il vise à apporter une aide opérationnelle en instrumentant les stratégies développées par l’acteur pilote (l’expert matériaux par exemple) lorsqu’il se retrouve en situation de porteur de l’innovation produit/process.
14Certains travaux portent sur la possibilité de réaliser et de capitaliser une construction commune du produit en cours de conception en tenant compte de l’ensemble des intervenants du cycle de vie du produit (Tichkiewitch, 1995). Les acteurs ont besoin d’informations concernant la solution (matériaux utilisés, côtes…) mais ils cherchent également à retrouver des informations sur les phases antérieures de conception comme l’historique des différents critères de décisions, le contexte initial du projet, les alternatives de conception (Karsenty, 1996). L’approche proposée est de modéliser en cours d’action une certaine représentation du produit sous forme de « concepts » (représentant les solutions possibles de choix de matériaux et/ou de procédés) évalués par des « critères ». Cela permet également de conserver une représentation synthétique de la logique de conception mise en æuvre par l’ensemble des acteurs pour évaluer et faire évoluer la solution.
15Cet outil est articulé autour de quatre concepts principaux :
- construire un tableau de bord du projet associant les concepts et les critères, permettant l’évaluation des différentes alternatives,
- favoriser la mise en réseau des acteurs,
- argumenter et crédibiliser les solutions proposées,
- capitaliser et réutiliser les informations pour favoriser les apprentissages.
Diagramme de classe pour le support de l’innovation matériaux
Diagramme de classe pour le support de l’innovation matériaux
3.2 – Proposition de l’outil lD2
16Cet outil vise à proposer une représentation synthétique dans toutes les dimensions explorées pour présenter un argumentaire aux décideurs et constituer une source de connaissances sur les projets innovants. Les recherches actuelles dans le domaine du concurrent engineering montrent les difficultés du travail aux interfaces des métiers (Finger et al., 1995) et la nécessité de proposer des supports pour instrumenter ces interactions entre les différents métiers. Les informations issues des différents domaines de compétences (design, conception, marketing, fabrication…) sont formalisées dans ID dans un « tableau concepts/critères TCC » (figure 2).
17Celui-ci constitue un véritable tableau de bord du projet et permet de montrer à l’ensemble des participants du projet les différents critères mobilisés par les acteurs. Ceux-ci, progressivement définis et proposés, permettent une évaluation comparative des différents concepts proposés par rapport à une solution de référence qui peut être la solution existante à reconcevoir ou la solution idéale à atteindre. Ce support commun a pour but de favoriser le débat au sein du réseau d’acteurs et en ce sens, il intervient comme un objet intermédiaire ouvert (Jeantet, 1998). L’outil fournit ainsi un support pour instrumenter les interactions par l’intermédiaire de trois modes d’annotation : les liens, les questions et les alarmes (figure 2) :
- les liens permettent aux acteurs de relier deux critères dépendants,
- les alarmes signalent une remarque d’un acteur sur un critère particulier,
- les questions illustrent les besoins d’information sur un critère.
Un exemple de TCC du projet Composite et de lien, alarme et question
Un exemple de TCC du projet Composite et de lien, alarme et question
18Chaque apport dans le tableau sous forme de liens, alarmes et questions est validé par l’acteur pilote pour constituer peu à peu l’historique du projet.
19L’acteur pilote constitue le réseau d’acteurs de son projet d’innovation selon les intérêts stratégiques ou techniques qu’il estime pertinents pour crédibiliser sa proposition à partir de ses « connexions relationnelles » (Régnier, 1995).
20Lors des phases préparatoires, l’outil proposé permet d’obtenir une synthèse de tous les éléments concernant la logique de conception. De ce fait, cette synthèse permet à l’acteur pilote de construire une justification et une argumentation solide concernant sa proposition de nouvelle technologie. Ces représentations des échanges aux interfaces des métiers sont des supports qui peuvent permettre d’améliorer la coopération et l’apprentissage des acteurs en situation de conception.
3.3 – Conclusions sur ID2
21L’outil ainsi présenté constitue une réponse spécifique au besoin de favoriser l’émergence d’innovations technologiques dans les phases préalables ou initiales des projets de conception de produits nouveaux. ID2 propose une structuration multiniveaux d’informations traditionnellement peu ou pas formalisées, synthétisées via le tableau concepts/critères. Il permet de tracer au fil de l’eau la « logique » du processus d’innovation qui a pour caractéristique d’être non planifiable, car il dépend essentiellement d’acteurs humains qui pensent, agissent, anticipent, développent des stratégies, et s’inscrivent dans des processus non prédictibles. Il assure ainsi la capitalisation de connaissances tacites selon (Nonaka, 1995).
22Un tel outil pose toutefois des difficultés de déploiement au sein des entreprises:
- d’un point de vue technique il s’agit d’un outil expérimental, qui de plus s’ajoute aux systèmes déjà en place tels que les outils SGDT,
- d’un point de vue organisationnel, sa logique basée sur la constitution autonome de réseaux transverses dans l’entreprise implique l’aval des organes de direction et un changement culturel important.
4 – Favoriser l’innovation produit/process via un SGDT
4.1 – La structuration de l’information dans un SGDT
23A l’origine, destinés à résoudre les problèmes de gestion des fichiers issus des outils CAO (unicité de l’information et versionnement par exemple), les SGDT fournissent à la bonne personne, la bonne information au bon moment, et dans le bon format. Ils gèrent désormais l’ensemble du cycle de vie du produit (Randoing, 1995).
24Les SGDT évoluent aujourd’hui vers le développement collaboratif de produits (ou CPC Collaborative Product Commerce), renforçant ainsi leur position de système d’information transversal dans l’entreprise. Cette tendance explique aussi pourquoi ces outils se tournent actuellement vers les technologies internet pour construire les interfaces utilisateurs et s’appuyer sur les technologies d’intégration correspondantes avec des applications tiers. Les SGDT deviennent de véritables collecticiels (Johansen, 1988 ; David et al., 2001) dédiés au travail collaboratif. C’est pourquoi nous souhaitons étudier comment de tels systèmes peuvent être exploitées pour mettre en æuvre les concepts d’instrumentation de l’informel que nous avons identifié au sein du cas d’étude précédent. Pour (CIMdata, 2001) les SGDT reposent sur cinq concepts fondamentaux :
- la gestion de documents destinée à structurer les informations relatives au produit, à assurer leur unicité, leur accessibilité par les utilisateurs, leur sécurité et leur versionnement via leur cycle de vie ;
- la gestion de processus (ou workflow) qui permet d’automatiser et de contrôler l’évolution des documents de façon dynamique (Liu et al., 2001 ; Eynard et al., 2002), par le déclenchement de séquences d’actions prédéfinies ;
- la gestion de la structure produit, composant métier spécifique d’un SGDT:
- la gestion de la classification, participant à la standardisation des produits ;
- la des projets, qui commence à être intégrée ou associée aux SGDT.
Diagramme état-transition de la classe « critère »
Diagramme état-transition de la classe « critère »
25Dans un SGDT, un workflow décrit une séquence de tâches connectées entre elles par des liens séquentiels et des conditions autorisant des boucles. Il définit aussi les droits applicables aux utilisateurs au niveau de chaque activité. Ce workflow s’applique sur un objet afin de gérer son cycle de vie. La figure 4 montre le workflow de validation associé à la classe « critère » et pilotant les changements d’états associés. Afin de rendre générique la configuration des workflows et des cycles de vie, le concept de rôle s’ajoute à celui d’utilisateurs et de groupes.
Modélisation du processus associé à un « critère »
Modélisation du processus associé à un « critère »
26Nous abordons à présent l’exploitation de ces principes en vue de réaliser une maquette opérationnelle répondant au cas d’étude précédent.
4.2 – Expérimentation au cas de l’innovation matériaux
27Nous nous sommes appuyés sur le SGDT Windchill (PTC) et en particulier sur le composant Project Link du fait de son IHM et des fonctions plus adaptées à la collaboration d’acteurs au sein d’un projet commun. En premier lieu nous avons considéré les classes définies dans la figure 1 en regard de leur utilisation. Un SGDT ne permettant pas de réaliser l’équivalent du tableau concepts/critères, nous avons choisi une structure arborescente pour représenter ses éléments : en premier lieu un dossier représentant chaque concept proposé ; et en second lieu un document générique « évaluation » instancié pour chaque évaluation d’un critère.
28La figure 5 représente dans sa partie gauche la structure arborescente résultante de dossiers et de documents pour un projet d’innovation produit/process et correspondant au tableau de bord du projet. Nous voyons sur sa partie droite le détail de l’évaluation du document associé au critère « Assembly » : son état actuel (« proposition ») et son historique (2 itérations réalisées).
Structuration des dossiers « concepts » et des documents « évaluation »
Structuration des dossiers « concepts » et des documents « évaluation »
29A partir de cette structuration, les échanges entre les acteurs relatifs aux évaluations peuvent être tracés sous Windchill Project Link à l’aide de liens commentés entre les documents « évaluation de critère » (classe « lien »), mais aussi à l’aide forums de discussion qui peuvent être associés au projet comme à chaque document « évaluation de critère » (classes « warning » et « question »).
30Enfin, nous avons défini un cycle de vie et un workflow conformes aux figures 3 et 4 pour le document générique « évaluation ». De façon à assurer le contrôle des propositions et leur mise à disposition par l’acteur pilote, ce workflow comporte plusieurs tâches gérant le cycle de vie du document générique « évaluation » :
- une tâche de soumission dévolue à un membre du projet quand celui-ci modifie un document-évaluation,
- une tâche de validation dévolue au chef de projet,
- une tâche de modification si l’acteur pilote ne valide pas une évaluation.
31Enfin, les membres d’un projet peuvent s’abonner à des événements spécifiques tels que le passage d’un document à l’état «validé» via une notification électronique. Seuls deux types de rôles sont nécessaires : chef de projet et membres. Les membres ont le droit de lire et modifier l’ensemble des éléments constitutifs du projet (documents et forums) ainsi que d’attacher à des documents des fichiers externes complétant l’information des acteurs. Comme chef de projet, l’acteur pilote dispose de la totalité des droits, dont ceux de définir les membres qu’il souhaite inviter, de restreindre les droits de certains membres vis-à-vis de certains documents.
4.3 – Synthèse : vers un environnement génétique
32Par cette expérimentation, nous avons montré qu’il est possible à travers un SGDT générique de réaliser un environnement de collaboration adapté au caractère informel des échanges entre acteurs de la conception. Nous avons toutefois dû opérer des restrictions par rapport au développement d’un outil spécifique tel que ID2.
33D’une part, avec la configuration proposée du SGDT, les informations sont structurées autour de la mise en place d’une arborescence de dossiers et de documents. Dans cette configuration, nous répondons au besoin de capitalisation des informations mais nous ne disposons pas d’une vision synthétique sous forme d’un tableau multivues tel que le TCC, ce qui pénalise l’interaction entre acteurs. De plus, toutes les informations correspondant aux cellules du TCC doivent être saisies dans un document. Ainsi, ce formalisme proposé dans le SGDT nous paraît moins adapté et moins souple dans son usage par rapport à celui proposé dans un outil spécifique tel qu’ID2 et qui découle d’une structuration plus détaillée.
34D’autre part, dans le SGDT considéré, plusieurs éléments dépendent désormais d’un contrôle manuel. Ainsi l’acteur pilote doit vérifier que tous les documents associés aux critères existent dans chaque dossier et que chacun possède une désignation correcte. De même, les acteurs du réseau doivent indiquer dans la désignation d’un nouveau forum s’il s’agit d’un warning ou d’une question. Ce dernier point illustre le fait qu’un SGDT ne permet pas une configuration détaillée de la structure des informations. Dans ce cas, il faut envisager un développement spécifique en modifiant la structure des bases de données du SGDT.
35Par contre, les fonctionnalités proposées par le SGDT considéré (forums de discussions, abonnements à des événements, etc.) peuvent permettre de répondre à certains des besoins identifiés pour instrumenter les échanges informels. Toutefois, il n’existe pas à ce jour un SGDT unique qui rassemble l’ensemble des fonctionnalités nécessaires et permette une configuration adaptée aux échanges informels.
5 – Conclusion
36Dans cet article nous avons posé la problématique de la gestion d’informations semi-structurées dans le contexte de l’introduction d’innovations produit/process lors des phases préparatoires aux projets de conception. Distinct d’un projet « officiel » de conception, cette introduction est pilotée par un acteur expert comme un projet à part entière mais mobilisant des processus informels et des stratégies d’acteurs particulières. Nous avons étudié cette situation au sein d’un bureau d’études de l’entreprise Renault VI et défini les processus de collaboration qui intervenaient. Nous en avons déduit les spécifications nécessaires au développement d’un outil collaboratif (ID2), support à ces projets d’innovation où les informations sont encore peu structurées. Nous avons ensuite procédé à la configuration d’un SGDT et montré que leurs fonctions génériques peuvent répondre en partie à ces mêmes besoins en réalisant des compromis portant sur la représentation des évaluations et en disposant de réelles fonctions de collaboration de type forums ou abonnements.
37Notre travail montre que la configuration d’un outil SGDT permet en partie de proposer un environnement adapté à la structuration des échanges informels. Par contre, certaines fonctionnalités (tableau multivues, champs, etc.) permettant de favoriser l’interaction et l’échange rapide d’information et présentes dans un outil tel qu’ID2 ne sont pas rassemblées dans un seul outil SGDT du commerce. Ainsi, il nous semble que le développement d’outils spécifiques adaptés au contexte de l’entreprise constitue actuellement une réponse pertinente pour favoriser les espaces d’innovations, les échanges informels, et le partage d’informations peu structurées.
38A l’inverse, le développement et le déploiement de ces outils spécifiques posent un certain nombre de problèmes à la fois sur le plan technique mais également sur le plan stratégique. En effet, ces outils sont souvent conçus et imaginés comme des prototypes, des premières versions, des outils démonstrateurs de concepts, etc. Ils présentent généralement quelques incomplétudes liées au fait qu’ils sont issus de résultats de travaux de recherche dont la finalité première n’est pas l’industrialisation ni la maintenance de produits informatiques. De ce fait, la phase d’appropriation de ces outils par les acteurs, qui se déroule généralement en parallèle avec une phase de mise au point technique, peut être retardée ou éventuellement compromise. Par ailleurs, le problème du déploiement de tels outils se situe aussi dans l’intégration avec les outils existants de l’entreprise, l’objectif n’étant pas de proposer un outil déconnecté et isolé des systèmes d’information existants de l’entreprise, mais au contraire, un outil intégré dans l’organisation déjà en place.
39De ce fait, pour mieux répondre aux besoins de collaboration liés aux échanges informels et à l’innovation en conception, nous envisageons d’étudier les possibilités de personnalisation et d’intégration de développements spécifiques au sein des outils SGDT au regard de nouvelles expérimentations en industrie.
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Mots-clés éditeurs : processus informels, phase amont, gestion du cycle de vie produit, environnement collaboratif, innovation en conception de produits