1 – Introduction
1Le bien-fondé des projets de gestion des connaissances n’est plus à démontrer, ce qui n’est pas le cas de l’efficacité des démarches actuelles et de l’efficience des modèles de connaissances proposés. Le travail que nous présentons ici vise à montrer l’intérêt d’une voie exploitant le récit objectivé au sein d’un document informatique comme un vecteur de l’expérience d’entreprise et une base d’histoires comme un outil de résolution collective de problèmes. Après avoir montré la place que peut légitimement occuper la narration dans la transmission de l’expérience en organisation, nous présenterons notre acception de la notion d’histoire et sa représentation. Nous présentons ensuite le modèle d’indexation exploité pour la constitution d’une base de documents narratifs et exposons les modalités de réutilisation de cette base. Un exemple issu de notre cas d’application illustre chacune de ces parties.
1.1 – Le partage d’expériences par les interactions narratives
2Schématiquement, la vue dominante de l’ingénierie des connaissances consiste à externaliser le savoir par une phase initiale de modélisation puis à stocker l’information résultante dans des répertoires partagés, sous forme de bases de connaissances, de bases documentaires multimédias et, plus récemment, de portails informationnels. Ces bases ont le grand avantage de pouvoir s’appuyer sur les techniques informatiques standard et sont aussi mieux à même d’intégrer rapidement les nouveaux concepts informatiques, comme le web sémantique.
3Toutefois, de plus en plus de chercheurs et de professionnels considèrent que l’approche patrimoniale de la gestion de connaissances rencontre certaines limites et ne peut convenir à toutes les situations. Les critiques sont de plusieurs ordres mais portent le plus souvent sur l’épistémologie des connaissances sous-jacentes : le raisonnement naturel ne serait pas fondé sur des règles mais sur l’expérience, et donc l’approche logique ne pourrait fonctionner pour modéliser les connaissances. Elles portent aussi sur les difficultés à exploiter des connaissances décontextualisées par la modélisation et sur les difficultés d’appropriation de ces bases par les réseaux sociaux d’experts qui renoncent alors à la maintenance itérative de ces bases.
4Compte tenu de ces arguments, ces mêmes chercheurs et praticiens se tournent vers d’autres voies fondées sur le partage de connaissances ou knowledge sharing (Ackerman et al, 2003).
5Pour positionner ce point de vue dans une perspective d’ingénierie des connaissances, nous la situons par rapport aux différentes facettes du transfert de connaissances proposées par Nonaka et Takeuchi comme indiqué en figure .1
La transmission des connaissances dans l’organisation d’après (Nonaka et al., 1995)
La transmission des connaissances dans l’organisation d’après (Nonaka et al., 1995)
6Notre démarche se concentre sur la phase d’internalisation et de socialisation en exploitant un support naturel de transmission de l’expérience : le récit. Certes, contrairement aux représentations évoquées plus haut, les récits possèdent une structure simple, ambiguë, à faible pouvoir d’expression formelle mais ils présentent aussi le très grand avantage de préexister au sein de l’organisation. Ainsi, la question ne porte plus sur le choix d’une structure de représentation mais sur le problème plus simple des moyens de sa médiatisation. Par ce choix, nous entendons récréer les conditions naturelles de socialisation de connaissances tacites en étendant les interactions entre experts par un intermédiaire qui serait une base de récits.
1.2 – Le projet HS&KM
7Le projet HS&KM est une expérience visant à montrer l’intérêt d’une approche de la gestion des connaissances qui exploitent les récits comme supports à l’expérience d’entreprise. Il s’agit de développer un outil d’aide à la capitalisation et au retour d’expériences centré sur la narration pour une équipe de consultants dans le domaine du Knowledge Management : l’outil HyperStoria-KM. L’entreprise qui participe à cette expérience est la société Cap Gemini Ernst and Young (CGEY). Elle implique à l’heure actuelle cinq consultants sur une mission de taille moyenne au sein d’une importante société des télécommunications.
8Précisons que ce projet comprend trois volets dont nous n’aborderons ici que le troisième. Les premier et deuxième volets menés en parallèle visent respectivement à proposer un logiciel pour l’élaboration coopérative de récits sous forme de résumés d’histoires (Soulier et al., 2003) et à exploiter le récit comme support à la résolution collective de problèmes (Soulier el al., 2002).
2 – La mise en histoire des expériences
2.1 – La notion d’histoire
9Selon (Bruner, 2002), une histoire consiste en une dialectique entre ce que nous attendons et ce qui se produit effectivement. Les histoires s’ancrent donc dans une théorie de l’attente. Les théories de l’attente regroupent les théories qui considèrent que les personnes formulent des projets et des buts, en anticipent les résultats, puis les évaluent (Bandura, 1997). Or, pour qu’il y ait une histoire, il faut justement qu’un événement imprévu survienne. Dans le cas contraire, il n’y a pas « d’histoire ». Bref, la notion d’histoire est liée à tout ce qui contrarie notre sens du « normal » et c’est la raison pour laquelle il est possible de définir une histoire comme une rupture de plan.
10D’une manière générale, nous considérons une histoire comme la représentation d’un événement. Cette définition peut être enrichie afin de préciser la notion d’événement et sa composition : ensemble de propositions chronologiquement ou causalement ordonnées qui modifient les représentations des acteurs de la situation. Une caractéristique essentielle de l’événement est qu’il est imprévisible, soit dans le moment précis de son occurrence, soit dans son contenu ou dans ses résultats, parfois dans ces trois aspects. Construites autour de tels événements, on trouvera dans les organisations au moins les trois types suivants d’histoires :
- les histoires organisationnelles, qui sont déjà collectives et réifiées. Elles résultent d’un événement public, identifié par la plupart des membres de l’organisation (fusion, projet mémorable, personnalité hors du commun, circonstance exceptionnelle), et qui s’est déposé dans une forme stabilisée de discours ;
- les histoires d’expériences personnelles vécues, limitées à un petit nombre d’interlocuteurs, et dont les événements racontés ainsi que la manière de les raconter peuvent changer en fonction des circonstances de la narration ;
- les anecdotes, qui ne constituent pas à proprement parler des histoires, mais plutôt des fragments d’histoires, le plus souvent relativement banales, et qui sont encours de mise en intrigue.
2.2 – La dimension actancielle des histoires
11Notre analyse de l’histoire s’inspire de l’UIF (Universal Indexation Format) élaboré spécifiquement par (Schank et al., 1990) pour l’indexation d’histoires. Dans l’UIF, le rappel d’une histoire est fondé d’une part sur l’identification au sein du récit d’un comportement intentionnel d’un agent (narrateur, témoin ou agent de l’action) appelé ici chaîne intentionnelle, d’autre part sur l’anomalie qui affecte le comportement de l’acteur.
2.2.1 – La chaîne intentionnelle
12La chaîne intentionnelle caractérise les objectifs du principal protagoniste de l’histoire. Elle est décrite par un but, un plan élaboré pour atteindre ce but, un résultat effectif et d’éventuels effets négatifs ou positifs de ce résultat. Une difficulté majeure de la phase d’analyse est que dans la majorité des cas le récit rend explicitement compte de ce qui a été fait (actions) et de ce qui s’est produit (événements), mais n’indique rien quant à la l’intention qui guidait ces actions. Cela signifie que les intentions des acteurs doivent être inférées par l’ingénieur de la connaissance, soit parce que l’intention est évidente pour le narrateur, soit parce que le but peut ne pas être connu ou compris du narrateur, soit enfin parce que le narrateur peut ne pas souhaiter révéler les réelles intentions des protagonistes dont il peut faire partie.
13A titre d’exemple, examinons une histoire issue de notre cas d’experimentation :
Extrait de l’histoire recueillie : initialisation de la mission
Extrait de l’histoire recueillie : initialisation de la mission
14La chaîne intentionnelle tirée de cet extrait fut la suivante:
15<But : démarrer une mission> <Plan : faire un état de l’art autour du problème du client> <Résultat : acquérir les solutions possibles au problème du client> <Effet positif : acquérir l’expertise sur le problème du client> <Effet négatif : ignorer les particularités du client>
16Cependant, toutes les histoires ne présentent pas un caractère d’intentionnalité suffisant pour qu’elles puissent être exploitées dans une démarche de transfert d’expériences. Nous distinguons ainsi deux types d’histoires : factuelles ou intentionnelles, ces dernières pouvant elles-mêmes appartenir plusieurs sous-catégories. Dans les histoires factuelles, il n’est pas possible de déterminer un comportement intentionnel. Si des acteurs sont mentionnés, ils sont réifiés et l’on n’en donne souvent que des propriétés (rien sur le comportement).
2.2.2 – La notion d’anomalie
17Si l’événement est au cœur de l’histoire il doit, pour qu’il y ait effectivement « histoire », être la cause d’un autre phénomène symbolisé par la notion d’anomalie. L’anomalie représente la différence entre l’attente d’un agent, au sens large, et ce qui se passe en réalité dans la situation décrite par l’histoire. Nous proposons cette notion « d’anomalie » à partir de la notion de « défaillance expectative » proposée par (Schank, 1999). Il s’agit d’une contradiction dans le système d’attente et de prédiction de l’agent concernant la situation, son propre comportement ou encore le comportement d’un autre agent. C’est en cela que les anomalies concentrent ce qui fait le caractère surprenant d’une histoire. Illustrons l’anomalie dans le cas où un vendeur nous raconte comment il a raté une vente :
18Exemple : un vendeur (témoin) espère (attenté) qu’il (agent) pourra tranquilliser le client a propos de son achat (résultat attendu), mais actuellement, il perd la vente (résultat actuel).
19Le témoin est la personne dont l’attente a été violée. Souvent, c’est le narrateur. L’agent n’est plus le rôle discursif mais l’acteur concret de l’action. De manière structurelle, (Burke et al., 1996) définissent l’anomalie de la façon suivante :
20« Un acteur X s’attendait [état intentionnel] à ce que Y arrive, mais c’est Z qui est arrivé ».
21Les états intentionnels ont été recensées au sein de taxonomies simplificatrices comme celle proposée par (Searle, 1983) qui factorise les très nombreuses formes d’intentionnalité à des modes psychologiques fondamentaux comme la perception, l’action, l’intention, la croyance ou le désir. D’autre part, pour tout état intentionnel, il est possible d’identifier ses conditions de satisfaction ou au contraire des conditions de frustration de cet état. Ainsi, une croyance peut être vraie ou démentie, un désir satisfait ou inassouvi, une action accomplie ou inachevée. Par conséquent, on dispose de repères pour identifier les anomalies et subséquemment les histoires que restituent plus ou moins directement les récits des agents interviewés.
22Dans le cas de l’exemple rapportée en figure 2, l’événement identifié est l’avertissement donné par ses collègues au consultant Junior: « […] Mais il faut tout de suite que tu ailles voir le client […] ». Ici, le narrateur indique explicitement l’anomalie. Elle est même l’objet du récit, ce qui représente un cas plutôt rare. Le plus souvent, le narrateur relate des faits qui font apparaître un décalage entre l’intention du protagoniste et les faits mais il n’identifie pas explicitement l’anomalie. Le récit dans lequel l’anomalie est identifiée peut alors être ajouté à la base sous la forme d’un document indexé suivant les diverses dimensions qui caractérisent cet élément de l’expérience d’entreprise.
23Pour capturer la défaillance expectative, il suffit d’opposer l’attente d’une personne avec ce qui était en train d’arriver dans la situation décrite par l’histoire. Pour raffiner la localisation de l’anomalie et déterminer son type, nous avons élaboré une taxonomie des défaillances expectatives (le type d’erreur) en fonction des caractères cognitifs de l’activité, fondée sur les travaux de référence sur les erreurs (Reason, 1990 ; Amalberti, 1996) (figure 3). Dans notre représentation de l’histoire, l’anomalie est caractérisée par un intitulé, un résultat, une localisation de l’erreur et un type d’erreur de la localisation.
Taxonomie des défaillances expectatives
Taxonomie des défaillances expectatives
24Ainsi dans le cas de notre exemple d’histoire, l’anomalie est décrite par les attributs suivants
25<Anomalie : pratique non conventionnelle en mission de conseil> <Localisation de l’écart: plan> <Type d’erreur : connaissances spécifiques> <Cas d’erreur : incomplétudes des connaissances pertinentes à l’espace problème>
3 – La base de documents narratifs : constitution et exploitation
3.1 – Genèse et diffusion des histoires dans l’entreprise
26La base de documents narratifs qui se constitue par indexation successive des histoires extraites des interviews fournit un capital d’expériences de l’organisation accessible sur des critères sémantiques (anomalie, intention d’acteurs, compétence ou rôle dans le domaine du KM) et sous une forme (le document narratif, multimédia) directement compréhensible par les agents de l’organisation, favorisant ainsi son internalisation et sa diffusion. Notre objectif est que cette diffusion qui se fait par des documents informatiques viennent compléter ou suppléer parfois aux modalités plus traditionnelles de communications des récits, modalités qui préexistent mais qui ne sont pas propices à une capitalisation à grande échelle. Prenant appui sur le concept de communauté de pratique, certains ethnologues de l’organisation ont en effet montré l’existence et l’importance de ces échanges d’histoires. Ainsi (Orr, 1996) et (Wenger, 1998) ont été parmi les premiers à étudier avec un regard ethnographique les pratiques de partage de savoirs entre techniciens de maintenance chez Xerox. Selon eux, l’élément essentiel de ces pratiques repose sur la narration et le partage d’histoires. Ils considèrent que les histoires racontées par les techniciens constituent d’abord une méthode de résolution collective de problème. Orr note que la narration est le plus souvent une conversation, plus précisément une conarration car les techniciens échangent leurs expériences sous forme d’histoires qui se répondent les unes les autres. Lorsqu’un problème inhabituel a été résolu, le technicien qui en a eu la charge raconte l’histoire de sa résolution à ses collègues de travail soit en cours d’action, soit a posteriori. Il nous paraît donc important de lier dans un même schéma la dimension individuelle (réutilisation d’un cas dans le raisonnement) et la dimension collective de la narration (communication du cas dans une conversation pour résolution).
27Ainsi, face à une situation nouvelle, événementielle
- l’expert recherche dans sa mémoire d’expérience, organisée sous forme de connaissances générales et d’histoires, ce qui est au plus près de la situation-problème courante ;
- l’expert réutilise l’histoire trouvée en l’adaptant au contexte courant : si l’histoire est très similaire à la situation en cours, il la stocke comme solution confirmée. Au contraire, si la réutilisation de l’histoire engendre une « défaillance expectative », le sujet s’engage dans un cycle de questions/explications. Dans les deux cas, l’expert réorganise sa mémoire pour y intégrer le nouvel épisode, sous forme de stéréotypes renforcés dans le premier cas (script ou habitude), sous forme d’histoires dans le second ;
- l’expert raconte ensuite les histoires « anormales » d’une part pour mieux les mémoriser au niveau individuel, et d’autre part pour partager les savoirs qu’elles contiennent au sein de sa communauté de pratique.
3.2 – Coopération par échanges d’histoires
28Notre acception de la coopération est celle de (Zacklad, 2003) pour qui « Les activités coopératives sont des activités collectives finalisées dans lesquelles les moyens de la construction et de l’atteinte des buts ne sont pas entièrement standardisés ni formalisés et qui laissent de ce fait une part d’autonomie importante aux acteurs dans la définition des modalités d’articulation de leurs contributions et dans l’adaptation à des phénomènes émergents. » La narration est une activité coopérative dont la finalité est soit de contribuer par le dialogue à la coordination d’une résolution en cours en racontant son expérience personnelle et en écoutant celle d’autres acteurs, soit de partager a posteriori son expérience personnelle d’une résolution de problème antérieure, au cours d’une conversation ordinaire. Pour mémoriser nos expériences, nous devons les raconter, sans quoi, après un certain temps, celles-ci ne parviennent plus à s’articuler à nos structures cognitives et renforcer ainsi nos compétences.
29La première étape de ce processus complexe est la production d’un récit de la tâche (diagnostic, compréhension, planification…). La production permet de condenser l’expérience sous la forme de structures de connaissances indexées en mémoire. Les événements importants jalonnant la tâche en cours de résolution sont perçus séquentiellement et sont transformés en une liste de propositions en mémoire sous la forme d’un index. La seconde étape consiste à raconter cette expérience sous la forme d’un récit au cours d’une conversation, ceci en premier lieu pour nous rappeler cette expérience et ensuite de manière plus indirect pour pouvoir la partager. C’est le storytelling proprement dit. La troisième étape est clairement coopérative et consiste pour le narrateur à raconter son expérience, et surtout, pour l’interlocuteur à extraire l’index de cette expérience qui n’est pas sienne, afin de le comparer avec les index spécifiques à sa propre expérience. Cette étape de compréhension peut être dite pleinement réalisée si l’interlocuteur peut trouver un index similaire à celui du narrateur dans sa propre « base d’histoires ». Si tel est le cas, nous pouvons dire qu’il y a « index partagé » entre le narrateur et l’interlocuteur. C’est probablement ce mécanisme qui explique pourquoi nous acceptons parfois de raconter l’histoire, et donc l’expérience, de quelqu’un d’autre que soi. Les récits de « secondes mains » sont en quelque sorte ratifiés par la personne qui les raconte à nouveau, souvent parce qu’elle-même a pu en éprouver la pertinence dans une situation pratique similaire.
Le cycle de raisonnement et de la communication par rappel d’histoire
Le cycle de raisonnement et de la communication par rappel d’histoire
30Coordonner la résolution d’un problème en s’appuyant sur l’expression de l’expérience des acteurs en présence est donc une manière (parmi d’autres) d’articuler une activité coopérative de résolution de problèmes.
3.3 – HyperStoria : recueil, indexation et accès aux documents narratifs
31Les histoires sont recueillies par le biais d’entretiens d’un type particulier, l’entretien narratif (EN), dont le but est d’optimiser le nombre d’histoires obtenues et leur narrativité. Ce matériau narratif est ensuite segmenté en petits récits ou « storiettes » qui seront ultérieurement indexés grâce à un modèle d’indexation organisé autour de deux dimensions : une dimension actancielles regroupant des attributs propres à l’histoire elle-même (comportement intentionnel et anomalie) et une dimension contextuelle liés au domaine de connaissances considéré (ici le conseil en KM).
Les attributs de la Storiette
Les attributs de la Storiette
32C’est sur la base de ces hypothèses que nous avons cherché à construire un système d’assistance à la résolution, au partage et à la formation dans le domaine du conseil en Knowledge Management – HyperStoria-KM. Une application réalisée par HyperStoria sert deux objectifs : l’assistance à l’apprentissage et l’assistance à la tâche (dans notre exemple, l’intervention de conseil). Dans le cas de CGEY, la base communautaire d’expérience est d’abord utilisée pour favoriser l’apprentissage des consultants juniors en Knowledge Management. L’accès à la base se fait soit par moteur de recherche, soit par un mode de navigation guidé par des scénarios professionnels, soit par un mode d’assistance à la tâche, soit enfin par un mode apprentissage associé à un Learning Management System (LMS). En fait, HyperStoria peut prendre place dans de nombreux scénarios d’utilisation de la base d’histoires. La catégorisation multiple fournit en effet un index multiple exploité pour une recherche guidée d’histoire. L’accès à un ensemble d’histoires qui, par leurs anomalies, par leurs chaînes intentionnelles, par les compétences sollicitées ou encore par les statuts de leurs acteurs et la situation dans laquelle ils prennent place, ramènent à une situation vécue de l’agent, contribue à placer ce dernier dans la situation de résolution de problèmes, comme dans le cas « naturel » d’échange d’histoires - ainsi que le notait Orr (Orr 1996). Nous travaillons également à donner à cet outil des fonctions permettant aux manager de l’utiliser comme une source importante d’investigation quant à la nature moyenne des problèmes rencontrés par les équipes, en fonction du grade, de l’étape du processus des compétences…
33HyperStoria a été développé selon un modèle client-serveur à client léger (navigateur internet) en utilisant le serveur d’application PHP et le SGBD Mysql. Il permet aujourd’hui d’enregistrer et d’indexer une histoire selon des critères propres aux dimensions du conseil en KM (Soulier et al., 2003). La base contient à l’heure actuelle la trentaine de Storiettes issues de notre cas d’étude. Si, dans les récits collectés, les histoires canoniques sont rares (inférieur à 20 %), elles sont riches en enseignements et méritent d’être communiquées pour apporter une expérience pertinente à un acteur confronté à un problème similaire.
4 – Conclusion
34II existe dans les organisations une tendance naturelle aux interactions par la narration pour faire partager des expériences « extra ordinaires ». La démarche que nous présentons ici vise à étendre cette tendance à la fois dans le temps et l’espace en médiatisant la narration au travers d’un modèle d’histoire, d’un document support au récit, d’une base organisée, d’un modèle d’indexation et d’un outil de recherche (Soulier et al., 2003).
35Au-delà de certaines corrections que cette expérimentation nous amènera à apporter aux modèles actuels, notre travail présent consiste à étendre l’outil vers un collecticiel. En permettant d’analyser, de représenter et d’échanger des histoires entre les utilisateurs, cet outil devrait permettre de limiter la part de subjectivité que peut introduire l’ingénieur de la connaissance dans son analyse et permettre ainsi de confronter des vues multiples sur les histoires recueillies.
5. Bibliographie
- Ackerman M., Pipek V., Wulf V. (eds), Sharing Expertise. Beyond Knowledge Management, Massachusetts Institute of Technology, 2003.
- Amalberti R., La conduite des systèmes a risques, Paris, PUF, 1996.
- Bandura A., Self Efficacy, Freeman and Company, New York, 1997.
- Bruner J., Pourquoi nous racontons-nous des histories ?, Paris, Editions Retz, 2002.
- Burke R., Kass A., Retrieving Stories for Case-Based Teaching, in Leake D.B. (eds), Case-Based Reasoning. Experiences, Lessons and Future Directions, AAAI Press/The MIT Press, 1996.
- Nonaka I., Takeuchi H., The Knowledge-Creating Compagny, Oxford University Press, 1995.
- Orr J.E., Talking about machines. An Ethnography of a Modern Job, Cornell University Press, 1996.
- Reason J., Human error, Cambridge, Cambridge University Press, 1990.
- Schank et al., Towards a General Content Theory of Indices, The Institute for the Learning Sciences, 1990.
- Schank R., Dynamique Memory Revisited, Cambridge University Press, 1999.
- Searle J.R., Intentionality. An essay in the philosophy of mind, Cambridge University Press, 1983.
- Soulier E., Lewkowicz M., « Sum’it up, support a la co-construction d’une représentation partagée d’une situation », Actes du colloque CITE 2003, 3 et 4 décembre 2003, Troyes.
- Soulier E., Caussanel J., « La narration pour la compréhension et la résolution de problème collective », Ingénierie des Connaissances IC’2002, Rouen 28-30 Juin 2002.
- Soulier E., Caussanel J., « Médiatiser la narration pour le transfert d’expériences », Journées COMETIC, Marseille 14-16 décembre 2003.
- Wenger E., Communities of Practice. Learning, Meaning, and Identity, Cambridge University Press, 1998.
- Zacklad M, Un cadre théorique pour guider la conception des collecticiels dans les situations de coopération structurellement ouvertes, a paraître in Bonardi, C, Georget, P., Roland-Levy, C, Roussiau, N., (2003), Psychologie Sociale Appliquée, Economie, Médias et Nouvelles Technologies, In Press, (Coll Psycho), Paris.
Mots-clés éditeurs : narration, gestion des connaissances, documents narratifs, représentation et transmission des connaissances