Notes
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[1]
Robert Le Quillec, La Commune de Paris. Bibliographie critique 1871-1997, Préface d’Alain Dalotel, Paris, La Boutique de l’Histoire éditions, 1997.
-
[2]
Jean-Philippe Luis, L’Ivresse de la fortune. A.-M. Aguado, un génie des affaires, Paris, Payot, 2009.
-
[3]
Jean-Philippe Luis, L’Utopie réactionnaire. Épuration et modernisation de l’État dans l’Espagne de la fin de l’Ancien Régime (1823-1834), Madrid, Casa de Velázquez, 2002.
-
[4]
Manuel Martínez, Los famosos traidores refugiados en Francia convencidos de sus crímenes, y justificación del Real Decreto de 30 de mayo por FMMMC, Madrid, Imprenta Real, 1814 ; Juan López Tabar, Los famosos traidores. Los afrancesados durante la crisis del Antiguo Régimen (1808-1833), Madrid, Biblioteca nueva, 2001.
-
[5]
Jean-Philippe Luis, « Vivre et survivre en exil : le cas du clergé français émigré en Espagne pendant la Révolution », in Lucienne Domergue, Georges Lamoine (dir.), Après 89 : la Révolution, modèle ou repoussoir, Toulouse, Presses Universitaires de Toulouse-Le Mirail, 1991, p. 89-103.
-
[6]
Jean-Philippe Luis, « La Década Ominosa y la cuestión del retorno de los josefinos », Ayer, n° 95, 2014, p. 133-153.
-
[7]
Jean-Philippe Luis, « El proyecto social de los epígonos de la Ilustración en España », in Jean-Pierre Dedieu, Juan Luis Castellano, María Victoria López-Cordón (dir.), La pluma, la mitra, la espada. Estudios de Historia institucional en la Edad Moderna, Madrid/Bordeaux, Marcial Pons/Université de Bordeaux, 2000, p. 319-337. Le PAPE (Personal Administrativo y Político de España) était une équipe de recherche informelle à composition variable, qui a mené un projet historiographique d’ample répercussion dans l’historiographie moderniste espagnole depuis les années 1980.
-
[8]
Sa communication au colloque en témoigne, publiée sous le titre « La fin de l’Ancien Régime en Espagne des années 1780 aux années 1840 : une crise des élites ? », in Laurent Coste, Stéphane Minvielle, François-Charles Mougel (dir.), Le Concept d’élites en Europe de l’Antiquité à nos jours, Bordeaux, Publications de la MSH d’Aquitaine, 2014, p. 187-198.
-
[9]
Ramón de Mesonero Romanos, Memorias de un setentón, Barcelone, Crítica, 2008 [1879], p. 413-415.
-
[10]
Jean-Philippe Luis, « La Década Ominosa (1823-1833), una etapa desconocida en la construcción de la España contemporánea », Ayer, n° 41, 2001, p. 81-118.
Alain Dalotel (1943-2020), historien de la Commune de Paris
Hommage à deux voix : Claude Latta et Pierre-Henri Zaidman
1Notre ami Alain Dalotel est décédé le 29 mai 2020 à Bagnolet à l’âge de 77 ans. Il était venu à Montbrison et à Précieux participer à trois de nos colloques consacrés à Benoît Malon et au mouvement ouvrier de son époque. Historien de la Commune de Paris, il était engagé dans cette Histoire comme il l’avait été dans les luttes sociales de l’après-1968 – mais de ce dernier sujet il ne parlait pas, ne souhaitant sans doute pas tout mélanger. Doctorant en histoire, après avoir été un des premiers étudiants salariés non-bacheliers de l’Université de Vincennes, il n’avait pas voulu faire une carrière dans l’enseignement. Employé dans une Caisse de retraite, il avait mené parallèlement un parcours d’historien. De 1978 à 2006, il avait publié de nombreux ouvrages et articles. Puis, au milieu des années 2000, il avait dû renoncer à toute activité à la suite d’un grave AVC et, sans doute par une sorte de pudeur, s’était comme retranché du monde.
2J’avais fait la connaissance d’Alain Dalotel, il y a longtemps maintenant, lors du colloque consacré, en 1981, à Blanqui et aux blanquistes par la Société d’histoire de la Révolution de 1848 et des Révolutions du xixe siècle, dirigée alors par Maurice Agulhon. Il y avait une équipe sympathique de jeunes historiens, Jean-Claude Caron, Jean-Yves Mollier, Alain Faure et d’autres. Alain Dalotel, flamboyant et ironique, avait fait une communication sur les blanquistes en prison. Il était un remarquable chercheur. Comme historien, il cherchait toujours le document inédit et avait dans ce domaine un flair remarquable : nous en avions convenu, au colloque de Narbonne (2011) en parlant de lui avec affection en compagnie de Marc Vuilleumier, Robert Tombs et Jacques Rougerie.
3Dalotel allait volontiers à contre-courant et s’amusait des réactions qu’il provoquait ; sa gouaille parisienne surprenait parfois les milieux universitaires. Nous avons fait connaissance et nous avons sympathisé, nous donnant de nos nouvelles, échangeant nos publications, nous retrouvant dans les colloques ou les assemblées générales de la « société de 48 ». Nous nous étions donné une fois rendez-vous rue de la Fontaine-au-Roi dans le xie arrondissement à Paris, où il voulait me montrer l’emplacement de la dernière barricade de la Commune – une plaque avait été apposée.
4Pour l’un de ses premiers ouvrages, il avait réalisé un coup de maître. En 1980, Alain Dalotel avait publié avec Alain Faure et Jean-Claude Freiermuth Aux origines de la Commune. Le mouvement des réunions publiques à Paris 1868-1870, qui changeait la perspective de l’histoire de la Commune en attirant l’attention sur les dizaines de réunions publiques des « clubs rouges » qui, dans la région parisienne et à Paris, avaient en 1868-1870 préparé le mouvement de contestation sociale et idéologique de la Commune. Ce fut un livre fondateur et nouveau par le placement de la focale en amont de l’événement : non, la Commune n’avait pas surgi de rien ! Alain Dalotel aimait signaler ce qui était novateur et, par exemple, me fit lire de toute urgence l’étude de Jacques Rougerie sur les femmes pendant la Commune (1997).
5Alain Dalotel s’est en effet beaucoup intéressé aux figures féminines de la Commune : Paule Minck (1839-1901), dont il a commenté les textes dans un ouvrage paru en 1981. En 2004, il publia surtout la biographie d’une autre grande féministe, André Léo (1824-1900) : La Junon de la Commune. Dès 1991, la Revue d’Histoire du xixe siècle s’était fait l’écho de ses recherches ; à son initiative, un hommage avait été rendu, le 19 octobre 1991, au cimetière parisien d’Auteuil, devant la tombe, restaurée, qui porte le nom d’André Léo (Léodile Champseix), celui de son mari Grégoire Champseix et ses deux fils. Cette tombe avait été remise en état et la Société d’histoire de la Révolution de 1848 avait, avec d’autres, participé à cette restauration. Alain Dalotel avait pris la parole et avait insisté sur l’importance de cette écrivaine et militante socialiste et féministe. Il était le premier à être allé consulter à l’Institut international d’histoire sociale d’Amsterdam les papiers d’André Léo et les lettres que Benoît Malon lui avait écrites. Une Association André-Léo s’était, par ailleurs, formée à Lusignan (Vienne), son pays natal, et avait publié deux volumes de ses textes aux éditions du Lérot. Des études, des rééditions de romans d’André Léo, l’édition de la correspondance de Benoît Malon à André Léo ont suivi. Yannick Ripa, dans son Histoire féminine de la France (2020), fait à André Léo une grande place.
6Bref, Alain Dalotel s’intéressait aux hommes et aux femmes de la Commune, à Ranvier, à Avrial, à Amouroux, à Raoul Rigault (cf. infra la bibliographie) mais aussi aux barricades de 1871 et aux bagnes où furent envoyés les communards. Il a publié de nombreux articles dans le Bulletin des Amis de la Commune de Paris et dans la revue d’histoire populaire Gavroche, des comptes rendus dans la Revue d’Histoire du xixe siècle.
7Alain Dalotel était aussi allé faire un tour du côté des maquis de Haute-Savoie, avait enquêté dans les archives mais aussi sur place et en avait ramené un livre sur le maquis des Glières qui sert encore de référence, au-delà de polémiques récentes. Alain Dalotel participa également, avec jubilation, à plusieurs films, dont celui de Peter Watkins, La Commune (Paris 1871), tourné en 1999. Il fut l’un des conseillers historiques du film, en compagnie de Jacques Rougerie, Robert Tombs et Marcel Cerf. Le film de Watkins cassait les codes du documentaire et interrogeait volontiers l’actualité. En 2004, Alain Dalotel a également collaboré au documentaire, plus classique, de Mehdi Lallaoui, intitulé également La Commune de Paris-1871.
8La dernière partie de la vie d’Alain Dalotel a été difficile. La vie est parfois cruelle. Puis cet AVC et ce long silence.
9Dans sa biographie d’André Léo, André Dalotel insiste sur l’actualité d’André Léo : « André Léo a surtout refusé la logique funeste de l’embrigadement et l’esprit sectaire qui tue les plus belles révolutions. Combattante de l’égalité, elle n’a pas oublié la liberté. Sa longue bataille pour les Droits (des femmes, des enfants, des peuples) est le fil d’or qui la relie au monde d’aujourd’hui. » En parlant des autres, les historiens parlent parfois d’eux-mêmes.
10Claude Latta
11*
12J’ai rencontré Alain Dalotel au début des années 1990 quand j’ai décidé de délaisser une recherche universitaire ennuyeuse pour plonger au cœur du mouvement communaliste que j’avais entraperçu avec Jacques Rougerie à la Sorbonne des années plus tôt.
13Fréquentant les centres d’archives, je suis inévitablement tombé sur ce remarquable spéléologue des documents enfouis et cachés. Après lui avoir présenté le résultat de mes premières recherches sur le colonel de la 14e légion, Lucien-Félix Henry, et lui avoir parlé de mes projets, il me fit comprendre que les quartiers de l’Est parisien n’avaient pas besoin de recherches plus approfondies que ce qui existait déjà et qu’il se réservait les compléments. Il me dirigea sur la Rive gauche pour poursuivre le travail commencé par son ami, Jean-Claude Freiermuth, qui décéda quelques mois plus tard dans un accident de la route et dont il me communiqua le mémoire de maîtrise sur le xiiie arrondissement. Il m’encouragea à prendre contact avec Marcel Cerf pour ce qui concernait le xive et me fournit les débuts de référence dans les archives pour commencer mes recherches. Débuta ainsi une longue amitié pendant des soirées bien arrosées et une collaboration pour la revue Gavroche. Il me mit également en contact avec Robert Le Quillec dont il venait de préfacer la bibliographie de la Commune [1]. C’est ainsi que je pus achever mon livre sur Émile Duval dont il trouva le titre et qu’il corrigea mille fois après des discussions interminables et passionnées, avant d’en rédiger la préface.
14Alain était un militant du mouvement ouvrier aux idées révolutionnaires intactes malgré l’air du temps. Il continuait de défendre « ceux d’en bas » et voulait leur offrir des figures magnifiques et héroïques de dirigeants politiques et intellectuels auxquels ils puissent s’identifier. C’est ce qu’il me dit quand je lui ai demandé pourquoi il avait écrit sur Ranvier, André Léo, Rigault et les autres et il s’enthousiasma quand je lui ai présenté « mon Duval » qu’il nomma : « un héros du xiiie arrondissement ».
15Il avait sur l’histoire de la Commune quelques idées-forces dont il voulait écrire les pages militaires a contrario de l’œuvre de Robert Tombs. Il fallait toujours aller au-delà des apparences et des images plus ou moins reconstituées. Concernant l’assassinat des otages de la Roquette et de la rue Haxo, il avait, l’un des premiers, établi leur nombre et leur identité et refusait toujours de le mettre en parallèle avec les dizaines de milliers de victimes des massacres versaillais en faisant la différence entre un mouvement populaire irraisonné et une opération militaire mûrement réfléchie. Il me mit sur la piste de Benjamin Sicard, commandant du peloton qui fusilla les otages à la Roquette, confondu avec Élie Pigerre qui fut accusé à sa place. Il faisait remarquer qu’Édouard Vaillant, avant d’être délégué à l’Instruction publique de la Commune, avait été responsable de l’Intérieur pour la Commission exécutive, et ainsi de suite. Il en voulait beaucoup aux francs-maçons dont il disait que les manœuvres avaient gêné la politique militaire de la Commune à des moments importants. Il avait repéré dans les archives les références des mouchards et des indicateurs et affirmait que, pour cette raison, une bonne part de l’histoire du mouvement social était à réécrire en raison du rôle qu’ils avaient joué. Combien de fois avons-nous polémiqué sur la différence qui, à mes yeux, existait entre deux membres du Comité central de la garde nationale, indicateurs mais à des époques différentes : Du Bisson avant la Commune, et Josselin, après celle-ci.
16Alain n’aimait pas beaucoup le travail collectif. Il refusa, par exemple, de participer au groupe d’étude sur les archives du mouvement communaliste mis en place par les Amis de la Commune avec le soutien des Archives nationales. Mais il était toujours disponible pour fournir un renseignement, répondre à une question ou discuter d’une thématique. Il montrait volontiers sa thèse sur la Commune dans le xie arrondissement (Esquisse d’une histoire de la république démocratique et sociale à Popincourt : 1870-1871, sous la direction de Jacques Rougerie) surtout si c’était autour d’un demi.
17Il ne se contentait pas des documents et des papiers de bibliothèques, il allait sur le terrain humer ce qui restait de l’ombre des communards. Il me montra l’immeuble où avait habité Duval, et son appartement que Freiermuth avait voulu acheter. Il alla voir à Clamart les pavés dont il disait qu’ils étaient encore sanglants du courage des fédérés (il en avait ramassé un qu’il mettait sur la table lorsqu’il faisait une conférence). Il alla au séminaire Saint-Sulpice où un brave curé le fit descendre dans une crypte où l’on célèbre toujours la mémoire de l’archevêque Darboy et du père Olivaint.
18Son grand plaisir était de nous réunir, après les montées au Père Lachaise, sur la tombe de Blanqui pour nous donner rendez-vous, ici où là dans Paris en vue de débaptiser la place d’Italie en Émile Duval ou poser une plaque, rue Gay-Lussac, là où avait été fusillé Raoul Rigault.
19Il avait soutenu bien avant notre rencontre, la cause irlandaise et participait toujours à des conférences de solidarité (l’une d’elles, si je me souviens, se tint en février 2005 au Centre culturel irlandais à Paris). Gardant une part de secret, il disait que c’était mieux ainsi car, si cela gênait les historiens, cela rendrait plus difficile le travail de la police.
20C’était un homme modeste, un historien brillant et un ami fidèle.
21Pierre-Henri Zaidman
Bibliographie chronologique
22Alain Dalotel, Un Sabre au service de la bourgeoisie, Bois-le-Roi, Le Peuple prend la parole, 1978.
23Alain Dalotel, Alphonse Daudet écrivain contre-révolutionnaire avec les « Contes du lundi », Bois-le-Roi, Le Peuple prend la parole, 1978.
24Alain Dalotel, Le Club des prolétaires, mai 1871, Bois-le-Roi, Le Peuple prend la parole, 1978.
25Alain Dalotel, Alain Faure, Jean-Claude Freiermuth, Aux origines de la Commune.
Le mouvement des réunions publiques à Paris 1868-1870, Paris, François Maspero, coll. « Actes et Mémoires du Peuple », 1980.
26Alain Dalotel, Paule Minck, communarde et féministe 1839-1901, Paris, Syros, 1981.
27Alain Dalotel, « Le traumatisme de la Semaine sanglante », Tumultes, n° 8, mai 1981.
28Alain Dalotel, « Une loi sociale imposée aux syndicats », Le Monde-Dimanche, 5 octobre 1981.
29Alain Dalotel, Jean-Claude Freiermuth, « Les barricades de la Commune (1871) », Gavroche, n° 3, avril-mai 1982.
30Alain Dalotel, « Un pèlerinage rouge : La “montée” au mur des fédérés (1878-1914) », Gavroche n° 9, avril-mai 1983.
31Alain Dalotel, « L’insurrection de Paris en août 1944 (témoignage de Jacques Debu-Bridel) », Gavroche, n° 15, mai-août 1984.
32Alain Dalotel, « Les Blanquistes et la prison, 1868-1871 », in Maurice Agulhon, Philippe Vigier (dir.), Blanqui et les Blanquistes, Colloque international organisé par la Société d’histoire de la révolution de 1848 et des révolutions du xixe siècle, Paris, SEDES, 1986.
33Alain Dalotel, « Deux amnisties pour oublier la Commune », in Philippe Vigier (dir.), Maintien de l’ordre et polices en France et en Europe au xixe siècle, Actes du colloque organisé par la Société d’histoire de la Révolution de 1848, Grâne, Créaphis, 1987.
34Alain Dalotel, Lorène Travers, « Le rugby “all Irish” », Autrement, hors série n° 23, « Irlande. Les Latins du Nord », mars 1987.
35Alain Dalotel, « Les maquis de Haute-Savoie », Gavroche, n° 37, janvier-février 1988 ; n° 38, mars-avril 1988.
36Alain Dalotel, « La place du centenaire de la semaine sanglante dans la commémoration du centenaire de la Commune en France », 1848, Révolutions et mutations du xixe siècle, n° 5, 1989.
37Alain Dalotel, Le Maquis des Glières, Paris, Plon, 1992.
38Alain Dalotel (dir. scientifique), Victor Petit, De la Chine à la Guyane, mémoires du bagnard Victor Petit, Paris, la Boutique de l’histoire, 1996.
39Alain Dalotel, « Des barricades aux massacres », in Jean-Marie Jenn, avec la collaboration de Florence Bourillon, Alain Dalotel, Jean El Gammal et al. (dir.), Le xixe arrondissement : une cité nouvelle : exposition, Paris, Délégation à l’action artistique de la Ville de Paris /Archives de Paris, 1996.
40Alain Dalotel, « Des femmes dans les clubs rouges 1870-1871 », in Alain Corbin, Jacqueline Lalouette, Michèle Riot-Sarcey (dir.), Femmes dans la cité 1815-1871, Actes du colloque organisé par la Société d’histoire de la Révolution de 1848 (1992), Grâne, Créaphis, 1997.
41Alain Dalotel, « Le piège coopérateur (1848-1871) », Gavroche, n° 95, septembre-octobre 1997.
42Alain Dalotel, « Préface », in Robert Le Quillec, La Commune de Paris, bibliographie critique, 1871-1997, Paris, La Boutique de l’Histoire éditions, 1997.
43Alain Dalotel, « La barricade des femmes », in Alain Corbin, Jean-Marie Mayeur (dir.), La Barricade, Actes du colloque organisé par la Société d’histoire de la Révolution de 1848 (1995), Paris, Publications de la Sorbonne, 1997.
44Alain Dalotel, « Les otages de la rue Haxo », Bulletin de l’Association d’Histoire et d’Archéologie du xxe arrondissement, n° 11, 3e trimestre 1997, réédité en novembre 2004.
45Alain Dalotel. « 1871, le drame de la rue Haxo », Gavroche, n° 103, janvier-février 1999.
46Alain Dalotel, « La rue Haxo, mémoire impossible », in François Gasnault, Jean-Philippe Dumas (dir.), Le xxe arrondissement. La montagne à Paris, Paris, Action artistique de la ville de Paris/Archives de Paris, 1999.
47Alain Dalotel (dir. scientifique), Émile Maury, Mes souvenirs sur les événements des années 1870-1871, Paris, La Boutique de l’histoire, 1999.
48Alain Dalotel, John Sutton, « Un communard oublié : le mécanicien Avrial », Gavroche n° 110, mars-avril 2000.
49Alain Dalotel, « La dernière barricade de la Commune de 1871 », Gavroche, n° 111-112, mai-août 2000.
50Alain Dalotel, « Benoît Malon, troisième fils d’André Léo ? », in Claude Latta, Marc Vuilleumier, Gérard Gâcon (dir.), Du Forez à la revue socialiste, Benoît Malon (1841-1893). Réévaluations d’un itinéraire militant et d’une œuvre fondatrice, Actes du colloque de Montbrison et Précieux (1999), Saint-Étienne, Publications de l’Université de Saint-Étienne, 2000.
51Alain Dalotel, « André Léo, la grande communarde féministe », Bulletin de l’Association des Amis de Benoît Malon, n° 13, décembre 2000.
52Alain Dalotel, « Benoît Malon, le retour (1880-1893) », in Claude Latta (dir.), La Commune de 1871. L’événement, les hommes et la mémoire, Actes du colloque de Précieux et Montbrison (2003) présidé par Michelle Perrot et Jacques Rougerie, Saint-Étienne, PUSE, 2004.
53Alain Dalotel, André Léo (1824-1900), la Junon de la Commune, Chauvigny, Association des publications chauvinoises, 2004.
54Alain Dalotel, Gabriel Ranvier (1828-1879), le Christ de Belleville, blanquiste, communard et franc-maçon, maire du xxe arrondissement de Paris, Paris, Dittmar, 2005.
55Alain Dalotel, “The Paris Commune 1871” (translate in English, German, Serbian, Spanish), rePublicart (revue en ligne), “Alternative Economics, Alternative Societies”, Projet de recherche transnational par Olivier Ressler, Vienne, European Institute for Progressive Cultural Policies, 2005 [https://www.librarystack.org/alternative-economics-alternative-societies/] (consulté en avril 2021).
56Alain Dalotel, « Amouroux, un communard tricolore », Gavroche n° 146, avril-juin 2006.
57Alain Dalotel, « Avant-propos », in Pierre-Henri Zaidman, Émile Victor Duval (1840-1871) : un héros du xiiie arrondissement, ouvrier fondeur, général de la Commune de Paris, préface de Marcel Cerf, Paris, Dittmar, 2006.
58Cette bibliographie ne mentionne pas les comptes rendus de lecture faits dans la Revue d’histoire du xixe siècle et dans le Bulletin des Amis de la Commune.
59Claude Latta, chercheur associé à l’Université de Saint-Étienne
Pierre-Henri Zaidman, maître de conférences à l’Université Paris Descartes
Jean-Philippe Luis (1963-2020)
Hommage par Jean-Claude Caron et Pierre-Marie Delpu
60La Revue d’histoire du xixe siècle a souhaité rendre hommage à Jean-Philippe Luis, professeur d’histoire contemporaine à l’Université Clermont Auvergne. Il était spécialiste d’histoire politique et sociale de l’Espagne des premières décennies du xixe siècle, dont il s’était affirmé comme l’un des experts français et internationaux les plus éminents. La brutalité et la précocité de son décès, en octobre 2020, laissent la communauté des historiens dans la tristesse, ce dont témoignent les contributions qui suivent. Chacun à sa manière, leurs auteurs disent ce que fut leur rencontre avec Jean-Philippe, les échanges qu’ils eurent avec lui, sa capacité à établir un dialogue des deux côtés des Pyrénées, ou encore le rôle d’animation et d’administration qu’il assuma au sein de son université. Tous soulignent sa discrétion qui n’eut d’égale que son efficacité. Ajoutons qu’il savait faire preuve d’humour y compris et surtout face à l’inventivité administrative quasi illimitée à laquelle tout universitaire est confronté.
61Outre de nombreux ouvrages, chapitres de livres, communications présentées à des colloques ou articles de revues, Jean-Philippe laisse en guise d’héritage deux ouvrages majeurs : la version publiée en 2002 de sa thèse consacrée à L’Utopie réactionnaire. Épuration et modernisation de l’État dans l’Espagne de la fin de l’Ancien Régime (1823-1834), une très stimulante et innovante réflexion sur la confrontation entre archaïsme et modernité dans l’administration de l’Espagne de Ferdinand VII ; et L’Ivresse de la fortune. A. M. Aguado, un génie des affaires, publié en 2009, qui, au-delà de sa dimension biographique, propose au lecteur le tableau d’un milieu social marqué par une mobilité subie – celle des « afrancesados » – entre deux mondes que séparent la Révolution française mais aussi les Pyrénées. Soucieux de réinscrire le cas espagnol dans les dynamiques politiques et sociales du premier xixe siècle, Jean-Philippe Luis a livré des travaux à la portée beaucoup plus large. De ses premiers travaux consacrés à l’histoire de l’administration à ses chantiers plus récents sur le royalisme ou sur la gestion politique des risques naturels, il s’est attaché à montrer la modernité des institutions monarchiques et des droites espagnoles, tout en cherchant à saisir les échanges et les transferts entre des cultures politiques opposées. Cet apport scientifique dépasse donc largement le seul cas espagnol, qu’il s’est constamment efforcé de réinscrire dans la complexité de l’espace politique européen post-révolutionnaire.
62Jean-Claude Caron, professeur émérite d’histoire contemporaine à l’Université de Clermont Auvergne
Pierre-Marie Delpu, agrégé et docteur en histoire,membre scientifique de la Casa de Velázquez
Loin du café des certitudes. Hommage par Philippe Bourdin
63Nous nous connaissions depuis plus de trente ans, une bonne mesure pour les amitiés qui durent. Nous commencions alors notre carrière dans l’enseignement secondaire, riches de l’expérience de terrain à laquelle nous nous confrontions, dubitatifs sur les formations ex cathedra imposées. Les lectures, la musique ou le cinéma partagés, l’éphémère journal syndical destiné aux jeunes collègues en situation instable, nous réunissaient avant que ne le fasse un ailleurs universitaire dont nous avions tout à apprendre sans jamais oublier « le monde d’avant ». Jeune agrégé en 1987, Jean-Philippe l’avait découvert au lycée Blaise Pascal de Clermont-Ferrand. Il entra en 1997 à l’Université Blaise Pascal, devenue depuis l’Université Clermont Auvergne (UCA), et y devint professeur en 2008. Travaillant l’un et l’autre sur la charnière entre les xviiie et xixe siècles, nous croyions fermement à la nécessité d’effacer cette frontière académique artificielle entre le moderne et le contemporain.
64Après des études à l’Université Toulouse-Le Mirail puis à l’Université de Provence, Jean-Philippe y avait soutenu en 1995 une thèse dirigée par Gérard Chastagnaret sur L’Utopie réactionnaire. Épuration et modernisation de l’État dans l’Espagne de la fin de l’Ancien Régime (1823-1834). Il gardait un souvenir ému de Madrid et de la Casa de Velázquez dont il avait été l’hôte (1993-1995) et où il siégeait désormais au conseil scientifique. Combien d’entre nous ont profité de ses judicieux conseils pour mettre nos pas dans ceux des libéraux espagnols du xixe siècle en ces lieux historiques que conserve la capitale espagnole ! À défaut, il fit venir leurs ombres jusqu’à Clermont-Ferrand, mues par les meilleurs savants internationaux dans les nombreuses rencontres scientifiques dont il fut l’organisateur. De part et d’autre des Pyrénées, il installa l’échange, l’ouverture, et s’illustra dans d’abondantes publications accueillies par des revues réputées, avant qu’il ne compte lui-même parmi leurs comités scientifiques. 14 livres personnels ou collectifs, 80 articles pour des revues scientifiques ou chapitres d’ouvrages en témoignent.
65Jean-Philippe savait ce que signifiaient historiquement les allers-retours, les exils voulus ou forcés, depuis sa maîtrise sur le clergé français émigré en Espagne pendant la Révolution française, jusqu’à son habilitation, en 2007, consacrée à un riche banquier espagnol un temps installé à Paris (L’Ivresse de la fortune. A. M. Aguado, un génie des affaires). Spécialiste reconnu de l’Espagne contemporaine, cet enfant de la Méditerranée – une partie de sa famille s’était construite en Algérie – en déclinait les formes politiques, la prosopographie de ses administrateurs, et offrait au public le plus large des manuels qui le portaient jusqu’à la Guerre d’Espagne. S’associant à maints collègues, notamment clermontois, entraînant ses étudiants de master et ses doctorants, ou ses post-doctorants hispanophones, il s’interrogeait plus largement sur le libéralisme politique, sur les formes européennes de la contre-révolution ou de la Restauration, sur la construction de l’État et l’émergence des nations, sur la vie diplomatique et la perception de l’altérité. Ses dernières recherches, inspirées par l’ANR GLOBIBER (« Les États impériaux ibériques (1808-1930). Une globalisation originale ? »), le portaient vers l’Empire espagnol après les indépendances des territoires américains dans les années 1810-1824. Il envisageait, à partir des exemples de Cuba, de Porto Rico et des Philippines, et d’une connaissance des fonctionnaires poussés au retour en Europe (et pensionnés jusque dans les années 1840), des commerçants, des créoles restés fidèles à la métropole, de mesurer les influences de la société coloniale sur celle de la Péninsule ibérique. Il prévoyait des comparaisons avec d’autres empires (russe, turc, italien) jusqu’à la fin du xixe siècle, ce qui aurait nourri un projet européen ERC.
66C’est dire que la soif de recherche de Jean-Philippe demeurait intacte, même s’il la savait contrainte par ses engagements administratifs durant douze ans. Ils étaient une manière de rendre à l’institution ce qu’elle nous avait donné en liberté, sans fourvoiement sur les lendemains qui déchantent, sans amour particulier du pouvoir. Directeur adjoint du Centre d’Histoire « Espaces et Cultures » d’abord, directeur de la Maison des sciences de l’homme (MSH) ensuite, Jean-Philippe soigna la pluridisciplinarité, ouvert aux historiens de l’art, aux spécialistes des civilisations étrangères, aux archéologues, aux géographes, aux littéraires, aux juristes, etc. Quel que soit le travail fourni par ses prédécesseurs à la tête de la MSH, il donna à l’institution un relief et une dimension nouveaux, obtenant des postes, développant les technologies, encourageant à la création de bases de données, à la sitographie, à la filmographie, fondements d’une reconnaissance par le réseau national. Chacun peut témoigner de son énergie, de son dévouement, de sa disponibilité, de son écoute chaque fois qu’il fallait monter un projet, lui qui en avait tant obtenu dans le cadre de l’ANR, du ministère espagnol de la Recherche (en collaboration avec l’Université de Saragosse et la Complutense de Madrid), des bourses régionales (pensons au programme AREC sur les acteurs et réseaux de la Révolution et de la Contre-révolution en Europe, 1789-1850), ou enfin de l’I-Site. Il avait participé à la construction de ce dernier, représentant les SHS, comme il le faisait au sein du conseil académique et de la commission scientifique de l’UCA. Il fut aussi un enseignant novateur, créant un master professionnel « Mondes contemporains » ouvert aux métiers du journalisme et de l’administration.
67Si légaliste qu’il fût, Jean-Philippe n’avait aucune illusion sur les bornes, les prétentions et l’irréalisme de notre « si petit monde » moqué par David Lodge ; nous nous en amusions souvent. S’il n’était pas rétif à user de l’autorité lorsqu’il le fallait, il préférait par-dessus tout l’entente, la conciliation, la cordialité. L’homme privé était évidemment plus complexe que ne le présenteront les hommages confraternels, mais son enthousiasme, son sourire et son rire rendaient paisible notre univers professionnel. « Une longue maladie », comme l’on dit pour ne pas nommer le mal, et qui dans son cas fut foudroyante et douloureuse, nous enlève sa lumineuse présence. Pour plagier Maxime Le Forestier, l’un de ses chanteurs préférés, « Tous mes souvenirs s’enfument/Aux soixante bougies qui s’allument », loin du « café des certitudes » ; il y a vraiment maldonne. C’est fou, tout ce que nous ne serons, ne ferons pas, ou plus.
68Philippe Bourdin, professeur d’histoire moderne à l’Université Clermont Auvergne
Jean-Philippe Luis. Hommage par Vincent Flauraud
69De l’activité de l’enseignant-chercheur, la part dévolue aux tâches d’enseignement est souvent réduite à la portion congrue, quand vient malheureusement le temps des hommages rétrospectifs. C’est pourtant un aspect essentiel de son investissement dans le métier : pour former, pour transmettre, pour penser et organiser cette transmission.
70Jean-Philippe Luis fut pour moi un collègue, seize ans durant, au sein de l’université Blaise Pascal puis de l’UCA, après l’avoir d’abord connu comme chercheur, lui jeune docteur et moi jeune doctorant, engagé en thèse auprès de Gérard Chastagnaret à Aix-en-Provence. Jean-Philippe, alors enseignant du secondaire, avait fait son entrée initiale à l’université clermontoise comme chargé de cours, notamment pour remplacer Annie Moulin-Bourret, fauchée elle aussi, en 1995, par la maladie. Cruels télescopages. Maître de conférences jusqu’en 2008, Jean-Philippe a alors été élu professeur, l’année qui a suivi sa soutenance d’HDR. Son bureau est resté le même, à l’une des extrémités du quatrième étage du « bâtiment Gergovia ». Ce n’est qu’à compter de 2014, quand, après avoir été directeur adjoint du Centre d’Histoire « Espaces et Cultures », il a été élu directeur de la Maison des sciences de l’homme, à quelques rues de là, qu’il y a déplacé le centre de gravité de son activité. Le troisième lieu du quartier universitaire où l’on pouvait le croiser, c’était la brasserie où il passait rituellement prendre son café vers 13 heures : il y a eu si souvent là, dans ce cadre informel, l’occasion d’agiter des idées, de recueillir ses conseils, d’entretenir tout simplement les liens d’amitié.
71Enseignant en licence et master, Jean-Philippe l’est resté jusqu’au bout, avec des décharges insignifiantes malgré les charges institutionnelles. Ce n’est qu’en mai dernier qu’il parla de demander son premier congé pour recherche ! Cette présence assidue, il l’a mobilisée pour partager avec les étudiants sa connaissance intime de la sphère hispanique. Il a, plusieurs années, assuré en L3 – année capitale pour éveiller l’intérêt en vue d’un sujet de recherche en master – un cours sur « L’Espagne et les crises européennes aux xixe et xxe siècles (1808-1947) » et plus récemment un autre sur « Les territoires d’outre-mer hispaniques et l’Europe aux xviiie et xixe siècles ». En master, pour un public d’historiens et linguistes, il coanimait depuis plusieurs années un séminaire sur « État et société dans l’Europe méridionale du xviie à nos jours », ou abordait régulièrement la guerre d’Espagne dans un autre, sur les conflits. Identifié, comme chercheur, en tant que spécialiste de l’Espagne du xixe siècle, Jean-Philippe repoussait ainsi largement, dans le cadre son enseignement, les bornes chronologiques et spatiales, voire thématiques, de ses approches. Maître de conférences, il avait également assuré un cours général de L2 sur les « Pouvoirs autoritaires en Europe au xxe siècle », ainsi que la coordination de la « Méthodologie du travail à l’université » pour les étudiants de L1.
72En 2006, Mathias Bernard, promu doyen de l’UFR, lui avait demandé de le remplacer à la direction d’un jeune master alors expérimental, « Mondes contemporains », coporté par l’École de droit. Mutualisant les forces d’historiens, juristes, politistes, spécialistes de communication, il s’agissait d’ouvrir aux étudiants d’histoire l’horizon de carrières plus variées que celle, alors dominante, de l’enseignement, pour leur proposer de gagner les champs de l’administration et des médias, et d’apporter aux juristes un socle de connaissances en sciences humaines. C’est non seulement la gestion administrative d’une formation qu’il a eue à assumer, mais aussi l’animation et l’impulsion de relations avec les milieux professionnels locaux, les stages devenant un passage obligé. Partant diriger la MSH, c’est une formation désormais légitimée qu’il m’a demandé de prendre en charge, engageant juste avant le passage de relais des conventionnements avec les responsables de la communication des principales collectivités et entreprises de la région, et avec des acteurs de la protection sociale. Continuant néanmoins à enseigner aux étudiants de ce master l’histoire de la vie politique et intellectuelle et des médias dans la France contemporaine, il n’a cessé d’être une vigie pour activer des opportunités de stage, accueillant lui-même des stagiaires dans le cadre de projets de la MSH, dont il a mis régulièrement les locaux à disposition pour des manifestations avec le monde professionnel, légitimant de sa présence les actions menées.
73Fort de cette implication constante, trans-niveaux de formation et trans-composantes de l’université, Jean-Philippe, dans ses activités d’enseignant-administrateur, a été souvent, sans éclats de voix, un passeur, un facilitateur, un modérateur, un activateur, jamais avare d’un encouragement. Lui qui n’aimait ni les cravates, ni les costumes, n’a jamais été un homme de distance, tout en étant un homme de discrétion. Aux départs à la retraite, il lui arrivait d’adapter les paroles de chansons populaires et de reprendre sa guitare électrique ou son synthé. Il redevenait le musicien de bal qu’il avait été, dans ses jeunes années, dans ce Nord Aveyron qu’il vient de regagner pour l’éternité.
74Vincent Flauraud, enseignant à l’Université Blaise Pascal/Université Clermont Auvergne (UCA)
Jean-Philippe Luis, historien de l’exil. Hommage par Delphine Diaz
75Avant d’être un grand historien de l’Espagne et du xixe siècle, Jean-Philippe Luis était un homme avenant, unanimement apprécié et toujours à l’écoute. Je garde très vif le souvenir de nos discussions à l’issue de ma soutenance de thèse à laquelle il m’avait fait l’honneur de participer, mais aussi de sa façon d’encourager et de guider les travaux de jeunes chercheurs à l’occasion de plusieurs colloques organisés à l’Université Blaise Pascal de Clermont-Ferrand. Pédagogue et humain, il savait dialoguer et mettre en confiance.
76Sa disparition prématurée nous prive d’un historien des institutions espagnoles et de la construction de l’État libéral au xixe siècle, qui s’était plus récemment penché sur l’histoire de l’administration dans les colonies. Mais ce sont ses précieux apports à l’histoire de l’émigration et de l’exil que j’aimerais ici mettre en lumière. En 2009, Jean-Philippe Luis a publié un livre issu de son mémoire d’habilitation à diriger des recherches, L’Ivresse de la fortune. A. M. Aguado, un génie des affaires [2]. Il y faisait la biographie d’un célèbre proscrit « joséphin » : Alejandro María Aguado (1784-1842), personnage influent, dont il réinscrivait l’itinéraire fulgurant dans le contexte de la « Década Ominosa » (la « décennie abominable », 1823-1833) à laquelle il avait consacré sa thèse de doctorat [3]. Aguado naquit dans une famille navarraise qui s’était installée au xviiie siècle en Andalousie et avait fait fortune dans le commerce transatlantique. Destiné à la carrière militaire, impliqué comme jeune officier volontaire dans les combats contre les Français à Tudela en 1808, Aguado passa deux ans après aux lignes ennemies et collabora avec l’armée et le régime de Joseph Bonaparte, devenant colonel et aide de camp du maréchal Soult. En 1813, comme tant d’autres « joséphins », il dut s’exiler en France et demanda la naturalisation deux ans après, rompant ainsi symboliquement avec son pays d’origine. Pour autant, Alexandre Aguado ne coupa pas tout lien financier avec celui-ci, puisqu’il devint, entre 1824 et 1832, le principal négociateur des prêts bancaires demandés par l’Espagne à la France. Grâce à ce rôle d’intermédiaire et de banquier de la monarchie espagnole, il effectua une ascension rapide mise en valeur par le livre de Jean-Philippe Luis : propriétaire terrien et collectionneur de titres nobiliaires, entrepreneur dans le monde industriel aussi bien en France qu’en Espagne – il mourut d’ailleurs à 57 ans à Gijón, alors que ses mines étaient en voie d’être reliées par la route à la ville portuaire. Aguado n’était certes pas représentatif des itinéraires collectifs suivis par les « joséphins » exilés en France, ces « célèbres traîtres [4] » souvent tombés dans l’oubli, pour reprendre le titre d’un ouvrage espagnol qui a fait date. Néanmoins, Jean-Philippe Luis a montré avec finesse combien l’exil pouvait être, au cours du premier xixe siècle, une situation subie qui contribuait aussi à redistribuer les cartes.
77Cet intérêt pour l’exil n’était en réalité pas tout à fait neuf dans les travaux de Jean-Philippe Luis. Dès 1991, il avait publié une importante contribution sur le clergé français émigré en Espagne pendant la Révolution française [5]. Plus récemment, il avait prolongé sa réflexion sur l’exil des « joséphins » à travers un article dans la revue Ayer, centré sur la question de leur retour en Espagne [6]. Il y montrait que seul un petit groupe de proscrits avait pu franchir en sens inverse les Pyrénées, sans parvenir toutefois à former un collectif uni. Ces anciens « joséphins » étaient appelés par les absolutistes espagnols les « afrancesados », ce qui renvoyait leur identité à une extranéité dont il fallait foncièrement se méfier. Quant à Aguado, même s’il ne réinstalla pas en Espagne, il fut pour les ultraroyalistes espagnols le symbole même du retour en force des « afrancesados ».
78À la lumière de ce survol, on mesure toute la richesse des apports de Jean-Philippe Luis à l’histoire de l’exil espagnol par-delà les Pyrénées. Il ne s’agit pourtant que l’un des multiples terrains qu’il avait arpentés dans son étude du xixe siècle franco-espagnol et des restaurations européennes, avec la bienveillance et l’ouverture d’esprit qui toujours le caractérisaient.
79Delphine Diaz, maîtresse de conférences en histoire contemporaine, Université de Reims Champagne-Ardenne, membre junior de l’IUF
Une rencontre autour de la théorie et la méthode : un témoignage personnel sur Jean-Philippe Luis, historien discret. Hommage par Andoni Artola Renedo
80J’ai rencontré Jean-Philippe Luis pour la première fois en septembre 2009, à l’occasion d’un colloque tenu à Vitoria autour de la mobilité sociale dans le monde hispanique de l’Ancien Régime. Jeune doctorant, je n’ai pas trop osé parler avec lui de peur qu’il découvre mes faiblesses, mais nous avons été présentés l’un à l’autre et avons eu une courte conversation. Je connaissais déjà son livre L’Utopie réactionnaire. Épuration et modernisation de l’État dans l’Espagne de la fin de l’Ancien Régime (1823-1834), version remaniée de sa thèse, ainsi que le chapitre qu’il avait publié dans l’ouvrage collectif La pluma, la mitra, la espada (2000) avec les meilleurs représentants de l’équipe PAPE – que j’admirais, et dont il était sans doute l’un des continuateurs les plus jeunes et les plus prometteurs [7]. Bien que cette première rencontre ait été plutôt superficielle, j’ai retenu de Jean-Philippe trois traits académiques et personnels : sa proximité discrète avec les jeunes doctorants, ce qui le conduisait à s’intéresser avec humilité à leurs recherches ; puis, son engagement pour l’interdisciplinarité, ainsi que son engouement pour les questions théoriques et méthodologiques [8] ; et, finalement, l’approche novatrice qu’un chercheur moderniste de formation pouvait apporter aux premiers temps de l’histoire contemporaine du monde hispanique.
81Nos centres d’intérêt communs et les milieux académiques que nous fréquentions nous ont menés à une deuxième rencontre, cette fois-ci plus profonde. En 2012, j’avais fini de rédiger ma thèse sur l’épiscopat espagnol à la fin de l’Ancien Régime. Il s’agissait d’une prosopographie avec une approche relationnelle inspirée de la théorie des réseaux, dirigée par José María Imízcoz (Université du Pays basque) et nourrie du soutien de Jean-Pierre Dedieu (CNRS). À la recherche d’un chercheur étranger pour qu’une mention internationale puisse être conférée à mon doctorat, mon directeur a sollicité Jean-Philippe, qui a accepté avec générosité de faire partie du jury. La chronologie et la méthodologie employées justifiaient amplement sa présence, car il avait mené une enquête semblable sur les élites de l’administration sous le règne de Ferdinand VII.
82C’est justement la convergence de nos bases théoriques et de nos sujets de recherche, dont nous ne nous sommes vraiment aperçus que lors de la soutenance, qui fit en sorte que, quelques mois plus tard, Jean-Philippe me proposa de participer à un programme de recherche sur les réseaux de la contre-révolution en Europe. La tâche était disproportionnée par rapport au temps disponible (18 mois), mais Jean-Philippe était surtout intéressé par le maniement des grandes bases de données, à l’image de « Fichoz » que j’avais utilisée intensivement dans ma thèse, et par la possibilité de consacrer une enquête transnationale aux élites contre-révolutionnaires à partir de leurs réseaux personnels. L’enjeu méthodologique et théorique était de faire une histoire incarnée de la contre-révolution, à travers les parcours individuels et collectifs de ses acteurs à partir de la fin de l’Ancien Régime. Nous étions convaincus que l’étude massive des données relationnelles permettrait de saisir certains phénomènes que la plupart des travaux nous semblaient séparer artificiellement.
83Plus tard, j’ai compris qu’il s’employait à lancer des nouveaux chantiers de recherche, plus que, sous sa direction pleine et entière, des programmes collectifs. J’ai quitté la MSH de Clermont-Ferrand, qu’il dirigea jusqu’à sa disparition, pour l’Université du Pays basque en 2016. Les années que j’y ai passées constituent un véritable tournant personnel et professionnel, dans la mesure où j’ai dû complètement reconfigurer mes sujets de recherche. La dernière fois que je l’ai vu, début 2019, nous avons évoqué l’idée d’organiser un colloque à Clermont sur les résistances aux révolutions dans les années 1820. La nouvelle suivante que j’ai eue de lui a été celle de son départ. Entre les deux, je n’ai presque rien su : discret, comme avec les jeunes doctorants qu’il ne connaissait guère ou comme ces afrancesados de retour en Espagne après leur émigration en 1814, sujet qu’il connaissait si bien, son malheureux décès laisse des chantiers ouverts qui méritent d’être poursuivis.
84Andoni Artola Renedo, enseignant chercheur à l’Université du Pays basque
Mettre en lumière la « décennie abominable » : Jean-Philippe Luis et la réinterprétation de la Década Ominosa en Espagne (1823-1833). Hommage par Álvaro París Martín
85En 1879, le chroniqueur madrilène Mesonero Romanos mentionnait, en écrivant ses mémoires, la période la moins agréable de son récit, la décennie 1823-1833. Face au souvenir de la deuxième restauration absolutiste de Ferdinand VII, Mesonero invitait le lecteur à « plier la feuille » et à détourner « le regard avec horreur et l’estomac avec dégoût », afin de s’éloigner de cette décennie « terrible », « pitoyable », « sanglante » et « répugnante [9] ». Il semblerait que les historiens espagnols aient bien écouté ces conseils, contribuant à l’oubli de cette période par une grande partie de l’historiographie.
86Pourquoi, dès lors, un jeune historien a-t-il osé s’aventurer dans cette décennie « sinistre » pour rédiger sa thèse ? J’ignore quelles furent les motivations de Jean-Philippe Luis – et malheureusement j’ai manqué l’occasion de le lui demander – mais je connais les miennes, qui m’ont donné l’opportunité de le connaître et de profiter de ses enseignements pendant un séjour postdoctoral d’une année au pied des puys de Clermont-Ferrand.
87En 1995, Jean-Philippe Luis a soutenu sa thèse sur les paradoxes de la Década Ominosa, réintroduisant cette période dans la « modernité », voir dans la « normalité » historiographique. Son ouvrage – publié en 2002 sous le titre de L’Utopie réactionnaire – a révolutionné notre connaissance de l’administration absolutiste, l’épuration de l’appareil d’État et l’émergence de la fonction publique en Espagne. Par ailleurs, elle a renouvelé la connaissance de la période, interprétée jusqu’alors comme « une sinistre parenthèse interrompant provisoirement l’avènement inéluctable et salvateur du libéralisme » (p. 341). Pour cela, Jean-Philippe Luis a dépassé la dichotomie entre le récit libéral et marxiste (qui niait l’importance des réformes mises en place par l’administration absolutiste) et celui des historiens néoconservateurs qui soulignaient les changements pour atténuer le caractère répressif du régime. Il a reconnu la dimension réformatrice de la décennie, son rôle charnière dans la transition entre l’Ancien Régime et l’État libéral, ouvrant la porte à une nouvelle génération d’historiens de l’État et de l’administration. Avant la parution de sa thèse, il avait publié un article dans la revue Ayer qui demeure la meilleure synthèse sur la période jusqu’à aujourd’hui, contribuant à mettre les résultats de sa recherche au service de la réinterprétation de la décennie « oubliée [10] ».
88Lorsque je suis arrivé à l’Archivo Histórico Nacional de Madrid pour découvrir les rapports de police qui allaient devenir les sources de ma thèse, les travaux de Jean-Philippe Luis ont été comme des rayons de lumière dans une historiographie grise et obsolète. Dès lors, j’ai commencé à dialoguer avec lui sans le connaître, comme on le fait avec les maîtres silencieux qui nourrissent les pensées un peu débordantes des doctorants. Cinq années plus tard, sans avoir aucune connaissance préalable de mon existence et de mes recherches, il a eu l’amabilité de faire partie de mon jury de thèse. Après une soutenance réussie et grâce un projet de post-doctorat, je travaillais sous sa tutelle à la MSH de Clermont-Ferrand.
89En 2017, je l’ai encouragé à organiser un grand colloque en 2023 à l’occasion du bicentenaire de cette décennie « maudite ». Il m’a répondu que c’était à nous, les jeunes, de prendre le relais. Dès lors, j’envisageai l’idée de lui faire présider et ouvrir la rencontre, afin de mettre en commun nos avancées communes pour la compréhension d’une période qu’il avait tant contribué à faire connaître. La nouvelle de son départ a été si inattendue que j’aurai du mal à croire que sa chaise restera vide. Heureusement, les places occupées par ses disciples seront aussi nombreuses que les idées qu’il a semées.
90Álvaro París Martín, docteur en histoire, chercheur « Juan de la Cierva » à l’Université de Saragosse
Un monde qui n’est pas si neuf. Hommage par Pedro Rújula
91Il y a une forme de complaisance chez les historiens contemporanéistes, qui les pousse à considérer que tout ce qui s’est produit au xixe et au xxe siècles est complètement neuf. Ce postulat est soutenu par des méthodologies qui entretiennent cette idée. Ainsi, dès lors que ce qu’on étudie est neuf, il n’apparaît pas très important de prêter attention à ce qui s’est passé auparavant. Les résultats sont très cohérents : par sa nouveauté, le monde contemporain est à la fois complet et complexe.
92Il ne fallait qu’un moderniste pour troubler la fête. Surtout si ce moderniste est subtil et intelligent, intéressé par les débuts du monde contemporain, comme l’était Jean-Philippe Luis. Le contemporanéiste a la sensation que la terre tremble sous ses pieds et que ses pièces ne s’emboîtent pas aussi facilement qu’il ne le pensait. Le moderniste, lui, suggère que tout n’a peut-être pas commencé à la période qu’il étudie, mais qu’il devrait considérer des phénomènes jugés nouveaux comme étant profondément marqués par des réalités antérieures.
93L’horizon historique change lorsqu’on se déprend des conventions chronologiques qui différencient les périodes académiques, et lorsqu’on écarte le mythe selon lequel la période contemporaine serait nécessairement fondatrice. C’est donc lorsque l’histoire se manifeste en son temps, avec toute la complexité dont elle est capable, et que les hommes, submergés, font leur possible pour ne pas être emportés par le courant, même s’ils doivent prendre des décisions nouvelles qui leur permettent de sortir des eaux. Des individus soumis à des circonstances concrètes, qui expérimentent des moments normaux ou exceptionnels, influencés par leurs générations ou leurs parcours de vie.
94J’ai appris de Jean-Philippe, surtout, à ne pas tenir trop de choses pour acquises, à questionner les formulations tenues pour canoniques, si on considère qu’elles ne résultent pas d’une démonstration convaincante. J’ai appris de lui à utiliser des catégories qui permettent, véritablement, d’analyser les problèmes, d’envisager les individus comme des acteurs inscrits dans leur contexte et non pas comme des stéréotypes de classe représentatifs d’un rôle qui leur aurait été attribué de l’extérieur. J’ai appris de lui à prêter attention à l’administration, parce qu’elle avait une responsabilité structurelle dont l’importance historique ne pouvait passer inaperçue. J’ai, enfin, appris de lui que les époques marquent le comportement des hommes dont le destin n’est écrit dans aucun scénario, bien que beaucoup de décisions individuelles convergentes finissent par produire des phénomènes cohérents. En lisant Jean-Philippe, j’ai compris qu’il fallait prêter beaucoup plus d’attention aux élites, dès lors qu’elles ont été les premières à impulser les changements et à s’adapter à ces derniers. Et, bien sûr, à accepter le fait que si les changements existent et s’ils ne peuvent pas s’expliquer par le bas, il fallait déporter le regard vers d’autres secteurs de la société qui apporteraient des réponses spécifiques à des situations données et seraient eux aussi vecteurs d’innovation. J’ai appris, pour finir, que la culture, comprise comme manière de voir et d’agir dans le monde, constitue un facteur historique de première importance.
95Jean-Philippe Luis, en effet, s’est concentré sur les médiateurs, les intermédiaires, les « passeurs de modernité » qui ont agi comme vecteurs de transformations dans une société dont la base restait encore très attachée à l’Ancien Régime. Il cherchait à expliquer le rôle dynamisant, déclencheur, à des moments historiques déterminés, qu’ont joué des hommes qui replaçaient leurs idées dans un contexte plus large afin de promouvoir un changement. Lorsque je pense à Jean-Philippe, je me souviens de lui comme l’un de ces « passeurs » qui, avec élégance et intelligence, a été capable de bâtir des ponts, de nous aider à passer d’une rive à l’autre : de la France à l’Espagne, du xviiie au xixe siècles, des élites à la communauté dans son ensemble, de ceux qui en savaient long sur la façon dont les sociétés évoluent à ceux d’entre nous qui avaient, et ont encore, beaucoup à apprendre.
96Pedro Rújula, professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Saragosse
Texte traduit de l’espagnol par Pierre-Marie Delpu
Marc Vuilleumier (1930-2021)
Hommage par Charles Heimberg
97La triste nouvelle de la disparition récente, le 15 janvier 2021, de l’historien Marc Vuilleumier laisse forcément un grand vide pour celles et ceux qui entendent promouvoir un regard critique et documenté sur l’histoire sociale et du mouvement ouvrier, en Suisse et en Europe, en particulier du xixe siècle.
98Né en 1930 à Courbevoie, Marc Vuilleumier a vécu à Genève, ville où il a étudié, puis enseigné l’histoire sociale. La richesse de ses travaux est immense et sa bibliographie constituée d’innombrables contributions à des manifestations scientifiques ou des ouvrages collectifs. Lorsqu’il a pris sa retraite, en 1995, de sa charge d’enseignement à l’Université de Genève, un ouvrage de Mélanges lui a été offert par des collègues soucieux de valoriser ses travaux et son apport à l’histoire sociale. Pour une histoire des gens sans Histoire. Ouvriers, exclues et rebelles en Suisse. xixe-xxe siècles, tels étaient le titre et le sous-titre de ce livre qui contenait par ailleurs une première liste de ses publications. Une suite de cette liste se trouve dans un autre ouvrage majeur et plus récent (2012), constitué cette fois d’un choix de textes de Marc Vuilleumier parmi ceux qui étaient devenus introuvables et qu’il a soigneusement commentés après une longue et remarquable préface évoquant l’ensemble de son parcours. Histoire et combats. Mouvement ouvrier et socialisme en Suisse.1864-1960 représente finalement le livre de référence qui manquait à son œuvre.
99Un texte important de Marc Vuilleumier, reproduit dans le livre de 2012, pose « quelques jalons pour l’historiographie du mouvement ouvrier en Suisse » et souligne notamment (p. 71) que le mouvement socialiste suisse n’était pas seulement marqué par l’ignorance de sa propre histoire, mais aussi par « l’imprégnation de ses membres par une idéologie diffuse, véhiculée par l’école, la presse, le service militaire et les innombrables manifestations patriotiques, qui donnait du passé national une image mythifiée ». Il ajoute que « plus peut-être que dans aucun autre pays, l’histoire a joué, en Suisse, un rôle de premier plan dans la formation d’un sentiment national », en soulignant combien ces mythes nationaux ont gommé des tensions intérieures pour privilégier un récit consensuel et unificateur.
100Marc Vuilleumier a mis soigneusement en évidence des aspects de la vie sociale qui ne figuraient pas dans les approches traditionnelles et évoqué les parcours et actions de figures du monde ouvrier qui tentaient de s’organiser pour la défense collective de leurs intérêts. Il a attiré notre attention sur les plus subalternes et les plus déracinés, non seulement les exilés politiques, les ouvriers émigrés, mais aussi, par exemple, à propos de la répression sociale en Suisse au xixe siècle, ces milliers de Heimatlose, des gens ne relevant d’aucune commune, d’aucune forme de citoyenneté, qui ont été pourchassés, condamnés, expulsés de canton en canton. À ce propos, il a insisté sur un processus de formation de l’État par lequel les collectivités locales conservaient de telles prérogatives qu’elles constituaient une force d’inertie, ce qui explique en fin de compte la dynamique conservatrice de cette spécificité helvétique. Il avait l’habitude de mettre en évidence le caractère éminemment conservateur de la Suisse de cette époque, après la « parenthèse » de la République helvétique ; à propos, par exemple, de la persistance des pratiques de torture, des retards substantiels de l’émancipation paysanne et du contraste marquant, du point de vue de la vie matérielle, entre les premiers développements industriels et la société traditionnelle découlant de l’Ancien Régime et des régimes de Restauration dans les cantons suisses avant la fondation de la Suisse moderne en 1848.
Conscience de l’inachevé et méthode critique
101Dans une vidéo de l’une de ses très nombreuses présentations de colloque, en 2014 à propos de l’Association internationale des travailleurs (AIT), Marc Vuilleumier expliquait avoir rendu une contribution, comme on le lui demandait, en respectant le nombre de signes, mais en s’excusant de son caractère inachevé. Il montrait ainsi un souci de bien faire et de faire complètement, mais aussi une difficulté à clore le propos ou à le synthétiser. Mais la vraie raison de cette posture a une certaine noblesse. Elle ne relève pas seulement de sa conscience de l’inachèvement, mais aussi de sa lucidité et de son honnêteté intellectuelle.
102Dans cette présentation, il exprimait encore sa volonté de faire une histoire de l’Internationale par en bas, au niveau des simples adhérents et des militants, en ne s’arrêtant pas aux étiquettes. L’affirmation d’une histoire critique du mouvement ouvrier trouvait ici l’un de ses meilleurs carburants en suscitant des réflexions autour des interactions entre le personnel et le collectif, entre le monde et le mouvement ouvrier, entre les figures de l’engagement individuel et la logique des organisations.
103L’ampleur impressionnante des publications de Marc Vuilleumier, qui témoignent d’une large diffusion de ses travaux en dehors de la Suisse, détonne avec le fait qu’il n’ait pas soutenu de thèse doctorale. Sans doute est-ce là aussi le produit de sa conscience aiguë de l’inachèvement, mais c’est en même temps une lacune difficile à comprendre qui laisse un certain vide dans l’histoire du mouvement ouvrier. Son Histoire et combats de 2012 comble en partie cette lacune, mais reste un recueil d’articles.
104Les travaux de Marc Vuilleumier ont suivi notamment deux principaux fils conducteurs : celui de l’histoire de l’émergence du mouvement ouvrier en Suisse et celui de la question des exilés, immigrés et réfugiés. Cela l’a mené en particulier à travailler sur les communards et les proscrits dont il est un spécialiste reconnu. Dans son remarquable récit autobiographique introduisant son Histoire et combats, il évoque l’hostilité qu’il a dû affronter alors qu’il s’efforçait, en pleine Guerre froide, de développer une histoire ouvrière critique, contrant celle qui se développait alors dans une perspective surplombante, conservatrice et anticommuniste. Le jeune Marc Vuilleumier a été en effet un étudiant communiste plusieurs fois sanctionné pour des activités contre l’arme atomique et pour la paix qui a aussi eu des difficultés, par la suite, à trouver un poste dans l’enseignement secondaire. Il raconte, par ailleurs, s’être rapidement aperçu de l’importance du croisement des sources, notamment pour sortir du trop « étroit cantonalisme » qui caractérisait l’étude de l’histoire suisse. Il a ainsi découvert que l’histoire sociale de la Suisse ne se concevait pas en dehors de celle de l’Europe, raison pour laquelle il l’a développée au-delà des frontières.
105Dans son récit d’ego-histoire (p. 44), Marc Vuilleumier n’esquive pas l’absence dans ses travaux d’un opus magnum synthétisant toutes ses recherches. Il reconnaît que cela n’est pas dû seulement aux aléas de ses investigations, mais aussi à son caractère. En effet, souligne-t-il, « de nécessité faisant vertu, j’ai trouvé de l’attrait à passer sans cesse d’un sujet à l’autre, sans jamais rien abandonner ; à reprendre des recherches délaissées longtemps auparavant, avec une nouvelle documentation, de nouvelles perspectives. Je comprends fort bien Fourier qui a compté la “papillonne” au nombre de ses douze passions radicales. » Il précise cependant qu’en toile de fond de ces activités intellectuelles s’est manifestée pour lui une précarité sociale de longue durée, une difficulté à trouver un poste et des financements de recherche, un ostracisme de la part de la Faculté des lettres de son université, autant de réalités qui sont d’autant plus désolantes, rétrospectivement, en mesurant la richesse de l’ensemble des travaux qu’il a quand même pu effectuer.
106Ce témoignage sur un parcours de recherche révèle également l’ampleur des difficultés qu’il a rencontrées pour accéder aux archives, non pas seulement par le fait des restrictions appliquées dans les archives institutionnelles, mais aussi à cause d’entraves rencontrées au sein même des structures émanant du mouvement social. On apprend par exemple qu’un Arthur Lehning se gardait une exclusivité sur des archives concernant Bakounine, ou que le nombre de documents à consulter, et surtout à photocopier, était parfois strictement rationné.
107Encore une fois, les regrets qui se justifient face à tout ce que Marc Vuilleumier n’a pas pu terminer font écho à la conscience de l’inachèvement qui lui était propre, à une forme d’honnêteté intellectuelle qui le caractérisait d’une manière peut-être exacerbée. Cette honnêteté s’exprimait également par rapport au sens pour le présent qu’il donnait à ses recherches en tant que citoyen critique et engagé. Pour lui, l’histoire était d’abord une méthode pour mettre en évidence des problèmes de société et décrire le monde environnant, mais sans jamais céder, entre passé et présent, au déterminisme, à la simplification ou à la distorsion. Il laisse donc inachevés des travaux qui étaient attendus sur la révolution de 1848, la Commune de Paris et la Suisse, ou encore une biographie de James Guillaume déjà largement entamée depuis longtemps. Une sauvegarde de ses documents de travail est en cours.
108Charles Heimberg, professeur ordinaire à l’Université de Genève
Textes cités
109Marc Vuilleumier, « James Guillaume, sa vie, son œuvre », in James Guillaume, L’Internationale. Documents et souvenirs, Paris, Lebovici, 1985 [1re éd, Genève, Grounauer, 1980], p. i-lvii.
110Jean Batou, Mauro Cerutti, Charles Heimberg (dir.), Pour une histoire des gens sans Histoire. Ouvriers, excluEs et rebelles en Suisse, xixe-xxe siècle. Mélanges offerts à Marc Vuilleumier à l’occasion de son soixante-cinquième anniversaire, Lausanne, Éditions d’en bas, 1995.
111Marc Vuilleumier, Histoire et combats. Mouvement ouvrier et socialisme en Suisse, 1864-1960, Lausanne / Genève, Éditions d’en bas / Collège du Travail, 2012.
112Marc Vuilleumier, Colloque AIT : Marc Vuilleumier (Genève), La Première Internationale en Suisse : nouvelles approches, 2014 [https://www.youtube.com/watch?v=dBnEMB6-W_4] (consulté en avril 2021).
Notes
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[1]
Robert Le Quillec, La Commune de Paris. Bibliographie critique 1871-1997, Préface d’Alain Dalotel, Paris, La Boutique de l’Histoire éditions, 1997.
-
[2]
Jean-Philippe Luis, L’Ivresse de la fortune. A.-M. Aguado, un génie des affaires, Paris, Payot, 2009.
-
[3]
Jean-Philippe Luis, L’Utopie réactionnaire. Épuration et modernisation de l’État dans l’Espagne de la fin de l’Ancien Régime (1823-1834), Madrid, Casa de Velázquez, 2002.
-
[4]
Manuel Martínez, Los famosos traidores refugiados en Francia convencidos de sus crímenes, y justificación del Real Decreto de 30 de mayo por FMMMC, Madrid, Imprenta Real, 1814 ; Juan López Tabar, Los famosos traidores. Los afrancesados durante la crisis del Antiguo Régimen (1808-1833), Madrid, Biblioteca nueva, 2001.
-
[5]
Jean-Philippe Luis, « Vivre et survivre en exil : le cas du clergé français émigré en Espagne pendant la Révolution », in Lucienne Domergue, Georges Lamoine (dir.), Après 89 : la Révolution, modèle ou repoussoir, Toulouse, Presses Universitaires de Toulouse-Le Mirail, 1991, p. 89-103.
-
[6]
Jean-Philippe Luis, « La Década Ominosa y la cuestión del retorno de los josefinos », Ayer, n° 95, 2014, p. 133-153.
-
[7]
Jean-Philippe Luis, « El proyecto social de los epígonos de la Ilustración en España », in Jean-Pierre Dedieu, Juan Luis Castellano, María Victoria López-Cordón (dir.), La pluma, la mitra, la espada. Estudios de Historia institucional en la Edad Moderna, Madrid/Bordeaux, Marcial Pons/Université de Bordeaux, 2000, p. 319-337. Le PAPE (Personal Administrativo y Político de España) était une équipe de recherche informelle à composition variable, qui a mené un projet historiographique d’ample répercussion dans l’historiographie moderniste espagnole depuis les années 1980.
-
[8]
Sa communication au colloque en témoigne, publiée sous le titre « La fin de l’Ancien Régime en Espagne des années 1780 aux années 1840 : une crise des élites ? », in Laurent Coste, Stéphane Minvielle, François-Charles Mougel (dir.), Le Concept d’élites en Europe de l’Antiquité à nos jours, Bordeaux, Publications de la MSH d’Aquitaine, 2014, p. 187-198.
-
[9]
Ramón de Mesonero Romanos, Memorias de un setentón, Barcelone, Crítica, 2008 [1879], p. 413-415.
-
[10]
Jean-Philippe Luis, « La Década Ominosa (1823-1833), una etapa desconocida en la construcción de la España contemporánea », Ayer, n° 41, 2001, p. 81-118.