La guerre franco-allemande de 1870-1871 n’est plus une « guerre oubliée ». Ce constat, dressé au tournant des années 1990 dans deux des principaux ouvrages consacrés par des historiens français à ce conflit, n’est en effet plus de mise. Certes, la présence de l’affrontement meurtrier de ce dernier tiers du xixe siècle dans les imaginaires collectifs français et allemands est désormais à l’état de traces, quasi englouties par les mémoires des deux guerres mondiales, qui l’ont en grande partie effacée. Une histoire de cette disparition serait d’ailleurs à écrire, plus lente, moins linéaire qu’on ne serait tenté de le croire a priori. Alain Corbin, par exemple, a mis en évidence dans sa thèse de 3e cycle la rémanence de la guerre de 1870 dans la mémoire longue des paysans, des employés et des ouvriers de la Haute-Vienne qu’il avait interrogés en 1967, tout comme l’absence, dans leurs propos, du stigmate de « l’ennemi héréditaire » à l’endroit de l’Allemagne, contrastant avec une anglophobie toujours vivace.
Jusqu’à l’été 1914 de surcroît, la guerre de 1870-1871 a été l’événement structurant en fonction duquel les Français et les Allemands, ont pensé leur rapport à eux-mêmes et aux autres. La profusion des écrits publiés de part et d’autre du Rhin sur le conflit – mémoires, souvenirs, chroniques, essais, romans, nouvelles – témoigne de l’intensité du regard alors porté sur l’événement et elle souligne sa place dans la définition des identités collectives des deux nations. En France, le traumatisme de la défaite et de la guerre civile, tout comme la profondeur de l’humiliation nationale sont à l’origine d’un travail complexe de cicatrisation, dans le cadre républicain, qui s’effectue en regard de l’Allemagne, vue à la fois comme un modèle et comme un repoussoi…