Couverture de DM_099

Article de revue

Marketing et GRH : un avenir commun ?

Pages 5 à 16

English version

1La fonction RH s’approprie de plus en plus le vocabulaire et les outils du marketing. Dans une approche de marketing RH, l’employé peut alors être considéré comme un client qu’il faut attirer et fidéliser. On observe également chez certains employeurs, dans tous types d’organisation (entreprises privées, services publics, ONG, associations, collectivités territoriales…), une volonté d’aligner les comportements des employés et les souhaits de l’organisation et des parties prenantes, faisant du salarié en contact avec le client un vecteur de l’identité de marque (Aurand, Gorchels et Bishop, 2005 ; Punjaisri et Wilson, 2011 ; Sirianni, Bitner, Brown et Mandel, 2013). En matière de recrutement, les outils et les approches marketing peuvent aussi permettre d’améliorer l’expérience candidat/collaborateur ou la mise en scène de la culture d’entreprise. Les salariés ou les candidats aspirent ainsi, pour certains, à une personnalisation de leur expérience au sein de leur entreprise, comme ils la vivent déjà en tant que consommateur. On peut dès lors comprendre que ces techniques marketing, qui permettent d’avoir une meilleure expérience vis-à-vis des marques, viennent de plus en plus nourrir les stratégies de marque employeur et de recrutement (Charbonnier-Voirin, Poujol et Vignolles, 2017 ; Guillot-Soulez, Saint-Onge et Soulez, 2019 ; Soulez et Guillot-Soulez, 2011). En même temps, force est de constater que la fonction RH travaille le plus souvent sans solliciter les compétences des experts du marketing, que ce soit pour construire l’identité de marque employeur ou pour gérer l’expérience collaborateur (Ind, 2003). Y aurait-il un hiatus entre marketing et GRH ? Le marketing RH, titre de plusieurs ouvrages parus récemment, en serait-il encore à l’état d’oxymore (Brillet et Gavoille, 2017 ; La Pinta et Berthelot, 2015 ; Liger, 2016) ?

2Le marketing RH et la marque employeur sont pourtant des thèmes actuels très importants pour le marketing et l’organisation car ils touchent à son identité. Devenir un employeur « de choix » est devenu un enjeu essentiel. En témoignent le développement de nouveaux métiers autour de la marque employeur, la mobilisation de techniques marketing appliquées notamment au recrutement des employés ou encore l’essor de labels relatifs à la qualité de vie au travail. Dans ce contexte où l’attraction et la rétention des talents sont de plus en plus stratégiques, les relations entre marketing et GRH sont devenues un enjeu central pour les organisations. Lorsqu’une entreprise ou un secteur d’activité souffre d’une pénurie de talents, le candidat peut ainsi parfois être envisagé comme un consommateur qui choisit son employeur au gré de ses envies et de son projet professionnel. La marque employeur permet de communiquer à la fois auprès de candidats sur le marché du travail (marque employeur externe) et auprès de salariés (marque employeur interne) sur les avantages à travailler pour une organisation. Or, tout comme en marketing, les candidats ne se fient plus au discours des annonces ou au site institutionnel car ils estiment que ceux-ci ne décrivent pas la réalité de l’entreprise (Benraiss-Noailles et Herrbach, 2018). C’est donc une véritable approche marketing que l’entreprise doit construire pour promouvoir une marque employeur. Il s’agit de communiquer mais aussi de créer l’offre d’emploi, « produit » du marketing mix. Les gestionnaires de la marque employeur, majoritairement issus des RH, doivent ainsi travailler avec les responsables marketing pour mieux comprendre ce que l’organisation propose et les divers moyens dont elle dispose afin de formuler une promesse perceptible, réaliste et attractive.

3Pour aider la fonction RH à mieux appréhender et utiliser les outils marketing, et pour inciter la fonction marketing à s’approprier les problématiques de GRH, des chercheurs, de plus en plus nombreux, s’intéressent à ces questions. Ainsi, des revues de marketing comme Journal of Personal Selling and Sales Management ou Journal of Service Research publient très régulièrement des travaux sur la capacité des forces de vente et, plus généralement, des personnels en contact, à transmettre les valeurs et l’identité de l’entreprise au consommateur. De plus, les meilleures revues de marketing commencent à publier des articles sur des thématiques de marketing RH (par exemple Sirianni et al., 2013 ; Tavassoli, Sorescu et Chandy, 2014). Le marketing RH intéresse donc les chercheurs en marketing : en témoigne cette phrase des rédacteurs en chef invités du dernier numéro spécial de Journal of Brand Management : “Overall, six of the Top 20 most downloaded articles in the Journal of Brand Management address the topic of (prospective) employees as a target group for brand management, thus indicating relevance for the research community” (Piehler, Grace et Burmann, 2018).

4Malgré ces travaux, les interfaces entre marketing et GRH demeurent encore relativement inexplorées. Même si des publications récentes ont permis d’en dresser les fondements, les connaissances sur ces sujets sont limitées. Les outils utilisés par les différents acteurs du terrain restent ancrés dans une approche traditionnelle centrée sur la communication, alors que ce champ d’étude devrait faire sienne une perspective plus globale et transversale. Il apparaît donc légitime de revisiter les relations que sont susceptibles d’entretenir le marketing et la GRH. Aussi est-il aujourd’hui important, tant d’un point de vue théorique que managérial, d’approfondir ces questions qui portent sur le Marketing des Ressources Humaines et ses enjeux.

Les contours du marketing RH

5L’hybridation marketing/GRH intéresse les chercheurs depuis longtemps, que ce soit en GRH (Igalens, 1992) ou en marketing (Berry, 1981). D’aucuns ont même formé des équipes de chercheurs bi-disciplinaires pour explorer les différentes facettes de l’interface entre marketing et GRH (e.g. Commeiras et Fournier, 1998 ; Guillot-Soulez et Soulez, 2003). Mais le marketing des ressources humaines est devenu « tendance » plus récemment, suite à la publication de l’article fondateur sur la marque employeur co-rédigé par Tim Ambler et Simon Barrow en 1996. Depuis cette date, les articles qui traitent de l’interface entre marketing et RH se sont multipliés (Viot et Benraiss-Noailles, 2014 ; Lievens et Slaughter, 2016 ; Theurer, Tumasjan, Welpe et Lievens, 2018).

6Pour illustrer cette notion d’hybridation, il est notable que certains articles pourraient être publiés dans des revues de marketing comme de GRH. Prenons l’exemple de l’article d’Esslimani et Igalens publié en 2008 dans la Revue de Gestion des Ressources Humaines. Son thème, le rôle de l’empowerment dans le développement d’un comportement orienté client chez le personnel en contact avec la clientèle, est extrêmement proche de celui d’autres articles publiés dans des revues de marketing comme Journal of Service Research (e.g. Chebat et Kollias, 2000) ou Journal of Marketing Research (e.g. Brown, Mowen, Donavan et Licata, 2002). Pour la GRH, ce type de sujet fait partie intégrante de cette discipline, même s’il est teinté de marketing du fait de la présence du client, mais les chercheurs ne s’y intéressent que peu et tardivement car il ne concerne qu’une catégorie d’employé (ce n’est donc qu’un contexte de recherche particulier). Pour le marketing, au contraire, ce type de sujet appartient au marketing, même s’il est teinté de GRH du fait du management des hommes, et la recherche s’y intéresse très tôt (dès les années 1970) car cela s’inscrit dans la Service/Profit Chain Theory en marketing des services (c’est donc une sous-discipline entière du marketing qui est concernée).

7Cet exemple permet d’illustrer les différences de perceptions des acteurs du marketing et de la GRH sur des sujets pourtant identiques, qui se trouvent à l’interface des deux disciplines. Il est donc intéressant de creuser ces perceptions, qui virent parfois à l’antagonisme, avant de proposer une définition du marketing RH.

Le marketing RH du côté de la GRH

8L’usage de concepts de marketing en gestion des ressources humaines n’est pas nouveau, que l’on pense, par exemple, à la segmentation sociale (Igalens, 1997), au mix-rémunération (Sire, 1995) ou encore à la marque employeur (Ambler et Barrow, 1996). Cela fait en réalité plus de vingt ans que marketing et GRH se tournent autour, dans une danse plus proche d’un « je t’aime moi non plus » que des « feux de l’amour ». On peut donc s’interroger : pourquoi la GRH semble-t-elle craindre le marketing ? En premier lieu, pour des raisons de pouvoir dans l’entreprise. Mölk et Auer (2018) montrent ainsi que la fonction RH ne souhaite pas travailler avec le marketing et développe des outils et un langage propres, dont la marque employeur fait aujourd’hui partie, de façon à légitimer son pouvoir sur un domaine particulier, les RH, auquel le marketing ne doit pas avoir accès. Ainsi, dans nombre d’entreprises, la DRH travaille fréquemment avec la direction générale ou avec la communication, mais pas avec le marketing. En second lieu pour des raisons plus fondamentales : certaines approches critiquent le marketing interne, en général, et, plus précisément, le fait de considérer l’employé comme un client (e.g. Igalens, 2019).

9Pourtant, le marketing RH concerne avant tout la fonction RH et sa transformation : les principaux manuels sur le sujet (Liger, 2004 ; Panczuk et Point, 2008 ; La Pinta et Berthelot, 2015 ; Brillet et Gavoille, 2017 ; Cazottes, 2019) sont ainsi rédigés par des universitaires ou des praticiens de GRH et une recherche sur les termes « marketing RH » ou « marque employeur » dans le moteur de recherche de Google renvoie essentiellement à des sites destinés à un public de DRH. En dépit de résistances internes fortes, il semble que la GRH, par la voix de chercheurs, de consultants et de praticiens, ait intégré l’idée du marketing RH, qui permet, par exemple, de proposer aux employés un programme de personnalisation (Emery et Gonin, 2009) et, ainsi, de montrer l’importance que la direction accorde aux salariés, tout en permettant d’avoir une vision plus stratégique de la gestion des talents (Panczuk et Point, 2008). En outre, les modèles actuels du management de la qualité placent la satisfaction du personnel comme l’un des critères importants de l’excellence, ce qui contribue à inciter les entreprises à se tourner vers des pratiques de marketing RH.

10Il faut néanmoins relever que, ce faisant, la fonction RH prend alors le risque de se voir reprocher ce que l’on reproche souvent au marketing : la promotion de la marque employeur pourrait être considérée comme manipulatrice et artificielle par les candidats et les employés (Benraiss-Noailles et Herrbach, 2018) et assimiler le salarié à un client pourrait faire courir le risque qu’il considère l’entreprise qui l’emploie « comme une simple épicerie » (Igalens, 2019). Pourtant, il nous semble que si les collaborateurs ne sont, en effet, pas exactement des clients, cela n’interdit pas de réfléchir à l’opportunité et aux moyens de transférer les bonnes pratiques observées en marketing sur le consommateur vers l’entreprise et ses employés.

Le marketing RH du côté du marketing

11Si le marketing RH, vu du côté de la GRH, ne consiste finalement qu’à transférer des savoirs issus du marketing vers la gestion des ressources humaines, à considérer l’employé comme un client et l’offre RH comme un produit/service à promouvoir, on peut se demander quel est l’intérêt de cette approche pour le marketing en tant que discipline.

12En réalité, les ressources humaines jouent un rôle fondamental pour le marketing, et ce fait est reconnu depuis bien longtemps. En effet, si l’on adopte une approche historique, on observe que le marketing s’intéresse très tôt (Strong, 1925 ; Stevenson, 1934 ; Weitz, 1978) à un employé particulier, le vendeur, comme agent d’interface avec le client et vecteur de la performance commerciale de l’entreprise. Tous les manuels de marketing comprennent d’ailleurs un chapitre sur la gestion de la force de vente qui traite, entre autres, de formation ou de rémunération des vendeurs, sujets éminemment RH. Le marketing, comme discipline académique, s’est ensuite élargi à tous les personnels en contact avec l’essor du marketing des services (Berry, 1981 ; Grönroos, 1984) et le développement de la Service/Profit Chain Theory (Heskett, Sasser et Schlesinger, 1997) qui consacre le rôle du personnel en contact dans la réussite d’une entreprise de service. L’idée que les employés devraient être considérés comme des clients internes est donc ancienne. Dès 1981, Berry discute du rôle essentiel des personnels en contact dans la prestation de services en suggérant qu’ils devraient être considérés comme de véritables clients internes dans l’optique d’un marketing relationnel réussi. Enfin, dans les années 1990, le marketing a élargi son domaine d’application à tous les employés avec le développement de concepts comme le marketing social (Igalens, 1992) ou le marketing interne (Collins et Payne, 1991 ; Seignour, 1998), puis, plus récemment, la marque employeur (Ambler et Barrow, 1996 ; Lievens et Slaughter, 2016) ou l’expérience collaborateur (Plaskoff, 2017). Il faut ainsi noter que les articles traitant de ces derniers concepts sont majoritairement publiés dans des revues de marketing, indiquant que le marketing valide cette extension de son domaine d’application à tous les employés.

Une définition du marketing RH

13Le champ théorique du marketing RH emprunte des connaissances provenant à la fois du marketing et de la gestion des ressources humaines. Alors que le marketing s’adresse à des consommateurs potentiels et à des clients, la GRH a pour objectif de développer ses ressources humaines. Son but est, tout comme en marketing avec le client, que l’expérience au travail des employés soit positive afin qu’ils soient satisfaits et fidèles à l’entreprise. La principale différence entre le marketing « classique » et le marketing RH est son objet particulier, le travail, qui, naturellement, peut être considéré comme hautement impliquant pour l’employé (Igalens, 2019). Le choix d’un travail se fait, pourtant, comme pour un autre produit/service et les candidats adoptent, de plus en plus, un comportement de consommateur face à la promesse employeur (Chertkovskaya, Korczynski et Taylor, 2017). Comme pour une marque, le travail au sein d’une organisation comporte des attributs instrumentaux et symboliques. Conformément à une décision d’achat importante, où le consommateur-candidat fait face à un fort niveau d’incertitude et de risque, celle-ci entraîne une recherche intensive d’informations. Avec le développement du numérique, les différences entre les disciplines s’estompent, l’objectif commun du marketing et de la GRH étant finalement de créer une communauté autour de la marque produit/entreprise afin d’établir de l’interactivité entre l’entreprise (ses marques) et ses clients-candidats.

14Les définitions du marketing RH proposées par les manuels qui traitent de cette thématique, tous rédigés par des praticiens ou des chercheurs de GRH, réduisent peu ou prou ce concept à la promotion de l’offre RH à destination de clients internes ou externes, employés ou candidats/talents. Ce faisant, il nous semble qu’elles omettent une partie importante de l’interface marketing/GRH, à savoir tout ce qui concerne la gestion des hommes par la direction commerciale, que ces hommes soient des commerciaux ou d’autres personnels en contact. C’est pourquoi, par souci d’intégration, nous distinguons au sein du marketing RH les thématiques qui relèvent du marketing du domaine des RH, comme le marketing interne, la marque employeur, l’image métier/secteur/profession ou les applications de la gestion de la relation client à la GRH, et celles qui relèvent du management des RH dans le domaine du marketing, comme le management des ressources humaines commerciales ou, plus largement, du personnel en contact. Les premières concernent principalement le DRH mais font appel à des concepts/théories provenant du marketing (marque, marketing expérientiel, marketing relationnel, etc.), alors que les secondes concernent le directeur commercial/marketing (qui gère les personnels en contact et les commerciaux) mais font appel à des concepts/théories provenant de la GRH (recrutement, formation, management d’équipes, etc.).

15La Service Profit Chain (Heskett, Sasser et Schlesinger, 1997), concept central d’une théorie qui relie la satisfaction des employés à la fidélité et à la rentabilité des clients, permet d’intégrer ces deux perspectives. Dans le cadre de cette théorie, nous proposons que le marketing RH regroupe l’ensemble des activités internes et externes de l’entreprise visant à attirer les talents et à assurer la satisfaction de ses employés, appréhendés comme des clients, dans le but de les fidéliser à la marque employeur et d’assurer leur orientation client.

16Cette définition intégratrice permet, à notre sens, de regrouper toutes les problématiques situées à l’interface entre marketing et gestion des ressources humaines, objet de ce numéro spécial.

Quelques voies de recherches en marketing RH

17La Service Profit Chain met en relation l’expérience des employés et celle des clients vis-à-vis de l’entreprise. La marque employeur et l’expérience de travail des employés ne pouvant être dissociées de l’expérience client (Hogreve et al., 2017), s’intéresser à l’expérience de travail du personnel est ainsi une question transversale importante. Une première voie de recherche porte donc sur l’expérience des salariés. Au-delà des travaux sur la marque employeur interne (Benraiss-Noailles et Viot, 2020), il semble en effet important de mieux comprendre ce qu’est une « expérience salarié ». La littérature en marketing expérientiel différencie l’avant expérience, le cœur de l’expérience (contenu ou expérience vécue) et l’après expérience, i.e. les résultats (satisfaction, valeur, etc.) (Roederer et Filser, 2015). Le cœur de l’expérience correspondant à l’interaction entre l’individu et son travail. A travers le management de la marque employeur, les entreprises présentent le travail comme une activité pouvant faire l’objet d’un choix du point de vue de l’expérience de soi. En considérant le salarié comme un « consommateur » de contexte et d’activité de travail, la marque employeur suggère un rapport expérientiel au travail. Elle communique en direction d’un candidat/salarié qui ne subit ni n’éprouve l’expérience mais qui l’évalue. Il l’évalue ex ante par rapport à un désir (marque employeur externe) et il l’évalue en cours de réalisation (marque employeur interne). L’entrée du travail dans le management des marques peut permettre à certains employeurs de contribuer à promouvoir un rapport de type homo Laborans ou homo Experiens. L’employeur propose une expérience mais n’est pas maître du projet expérientiel. A la relation maître-serviteur inhérente à la relation de travail se substitue une relation maîtreS-serviteurS où les employés co-créent leur expérience de travail et décident de quitter l’entreprise si celle-ci ne correspond pas à leur attentes (Pezet et Poujol, 2020).

18Un autre point fondamental a trait à la communication sur la marque employeur. Si une partie de cette communication paraît maîtrisée par l’entreprise sur ses « médias acquis », notamment via son site Web officiel et ses comptes sur les médias sociaux, les entreprises sont également présentes sur les médias sociaux via leurs employés (« médias conquis »). Ainsi, le développement des réseaux sociaux et des sites d’avis sur les employeurs bouleverse le mode de communication des organisations. Comme pour les autres marques, la marque employeur échappe ainsi partiellement aux entreprises, elle devient une marque communautaire (Berger-Remy et Michel, 2015). Le bouche-à-oreille digital est d’autant plus impactant qu’il est considéré par les candidats potentiels comme une source d’information fiable sur les conditions de travail et les pratiques des entreprises (Van Hoye et al., 2016 ; Korzynski et al., 2020). Contrairement aux sources contrôlées par l’entreprise, comme la publicité ou le site institutionnel, « l’employé porte-parole » (Tsarenko et al., 2018) est puissant car perçu comme n’ayant pas d’intérêt à promouvoir l’organisation. Les connaissances des modes de communication et de leurs effets sur l’attractivité de la marque employeur sont relativement limitées (Kissel et Büttgen, 2015). Le contenu des messages, leur lien avec les dimensions de la marque employeur et les caractéristiques des candidats sont aussi des pistes de recherche importantes. Sur quelles dimensions de la marque employeur communiquer, pour qui et comment, restent des questions à explorer.

19Sur le plan du management commercial, une autre voie de recherche consiste à développer une approche intégrée des marques (entreprise, commerciales, service, employeur) en alignant le recrutement et le management du personnel avec le positionnement de la marque. Le vendeur étant un véritable ambassadeur de la marque (Cervellon et Coudriet, 2013), il s’agit ici de questionner le positionnement de la marque afin de sélectionner et former le personnel en contact qui doit incarner les valeurs cardinales de la marque que l’on souhaite voir exister dans la relation vendeur-client. Ceci est d’autant plus complexe qu’aujourd’hui cette perspective dyadique évolue vers un écosystème de service qui accroît l’éventail des activités et le nombre d’acteurs considérés comme étant impliqués dans la vente (Hartmann, Wieland et Vargo, 2018). Selon cet écosystème de service, de larges ensembles d’acteurs intègrent et appliquent les ressources par le biais d’échanges de services pour co-créer la valeur. Cette perspective montre la complexité et la mobilité des marchés ainsi que le rôle des institutions (pratiques, normes, règles, croyances parmi d’autres coordinations heuristiques) (Vargo et Lush, 2016). Cette perspective élargit le point de vue de l’échange dyadique, la vente et la création de valeur étant encastrées dans des systèmes sociaux plus larges. Ces changements requièrent une nouvelle approche de la vente qui doit considérer les vendeurs externes mais aussi intra-entreprise au sein des groupes d’acteurs (détracteurs, experts, influenceurs, autres parties prenantes…) utilisant divers outils de communication. Ils interrogent ainsi la définition du vendeur et sa performance.

Cinq exemples de recherches dans le champ du marketing RH

20Alors, le marketing et la GRH constituerait l’exemple parfait d’un hiatus. Vraiment ? Il nous semble, au contraire, que la fonction RH n’aurait rien à perdre à considérer le marketing comme un allié. En témoignent les cinq articles qui constituent ce numéro spécial et qui sont autant d’appels à recherches en marketing et en gestion des ressources humaines.

21Jean Pfiffelmann s’est intéressé à la personnalisation dans les publicités de recrutement online. Son article, intitulé « Campagnes publicitaires de recrutement sur Facebook et LinkedIn : à quel niveau de personnalisation vaut-il mieux recourir ? », est un exemple de l’utilisation d’un concept très connu en marketing, et notamment en marketing digital, la personnalisation, et d’une thématique ancrée au sein du mix-marketing, la communication publicitaire, pour les appliquer à un contexte RH, à savoir la communication de recrutement. Grâce à une expérimentation intersujets auprès de 240 employés potentiels, il a pu mesurer l’effet du niveau de personnalisation (non personnalisées vs intégrants le prénom vs intégrants le prénom et la photographie) de publicités diffusées sur Facebook ou sur LinkedIn sur l’attractivité de l’organisation. Il montre (1) que la personnalisation influence le divertissement perçu d’une façon différenciée selon le niveau de personnalisation et le réseau social de diffusion, (2) que la personnalisation ne génère pas d’intrusion perçue et (3) que la personnalisation favorise la formation d’une attitude positive vis-à-vis de la publicité, qui augmente l’intention de poursuivre le processus de recrutement, de cliquer sur la publicité et l’attractivité organisationnelle.

22Fabienne Berger-Remy, Sylvain Delmas et Sophie de Villartay, dans leur article intitulé « Entre désenchantement et pragmatisme, les stratégies des collaborateurs face aux incohérences entre la marque et le vécu de travail », ont exploré les réactions de collaborateurs faisant face à une incohérence entre les valeurs de marque affichées et leur quotidien de travail. Ce faisant, elles s’inscrivent dans le champ du management interne de la marque, qui connaît un intérêt croissant et qui implique que les collaborateurs aient intégré l’identité de la marque, afin qu’ils puissent la vivre et la transmettre aux clients. L’un des intérêts de cet article est de dépasser les travaux ayant une visée instrumentale et dans lesquels les employés sont appréhendés comme un tout uniforme. Via une approche par les récits de vie professionnelle, et à partir de la théorie de la dissonance cognitive, l’article montre que la relation des collaborateurs à la marque est micro-située et dynamique, et qu’elle évolue en fonction de l’attachement initial, des expériences vécues, de certaines prédispositions individuelles, et de l’environnement social.

23Marie-Aude Abid-Dupont, Florian Escoubes, Laurent Giraud et Thomas Ruspil, dans leur article intitulé « Attirer les talents en fonction de leur ancienneté organisationnelle », s’attachent à étudier les dimensions de la marque employeur en tant que levier d’attractivité selon l’ancienneté organisationnelle. C’est ainsi une transposition de la segmentation marketing aux RH qui est proposée, ainsi que la proposition d’un outil de segmentation. Plus précisément cette recherche étudie les dimensions de la valeur de la marque employeur comme levier d’attractivité d’un employeur potentiel à travers le prisme de l’ancienneté organisationnelle. Leurs résultats montrent qu’en-deçà de deux ans d’ancienneté, les salariés sont principalement attirés par la dimension « relations sociales » alors qu’entre trois et cinq ans d’ancienneté, ce sont le « développement des compétences » et « l’intérêt du travail » qui priment. Au-delà de six ans d’ancienneté « les relations sociales » et « le système de rémunération » sont les plus importants. Ce travail sur la valorisation sur-mesure des diverses dimensions de la proposition de valeur employeur offre ainsi aux praticiens des leviers pour gagner la guerre des talents.

24Michel Klein s’est intéressé au travail émotionnel du personnel en contact qui s’inscrit en management des ressources humaines commerciales et de la relation client. Dans son article intitulé « Réussite commerciale et satisfaction des vendeurs face aux comportements négatifs des clients : effet médiateur de la maîtrise des émotions », il examine si les comportements négatifs des clients affectent la capacité des vendeurs à influencer la décision d’achat grâce à leur travail émotionnel. Les résultats montrent le rôle clé joué par l’expression authentique des émotions des vendeurs. Les implications managériales sont nombreuses et portent par exemple sur le développement du potentiel et de l’environnement émotionnel ou encore de normes et règles émotionnelles pour une expression authentique des émotions du vendeur.

25Brigitte Auriacombe et Tessa Melkonian s’intéressent enfin à l’orientation client. Leur article, « Former les managers à l’orientation client : le rôle clé de la prise de perspective », étudie les réactions des salariés à l’écoute de la voix du client. Cette pratique est en effet considérée comme un levier majeur pour initier les salariés à l’orientation client. Une étude qualitative réalisée auprès de managers de différentes positions montre que l’écoute peut se faire depuis trois perspectives. Chacune engendre une compréhension différente de l’expérience vécue par les clients et une capacité différente à formuler des actions concrètes au bénéfice de ces derniers. Ces résultats, enrichis des apports de la théorie de la perspective sociale, permettent de mettre au jour certains des mécanismes psychosociologiques qui sous-tendent l’écoute de la voix du client et de formuler des recommandations managériales à l’attention des entreprises désireuses de développer l’orientation client dans leur organisation.

26Les cinq articles que les lecteurs vont pouvoir découvrir dans ce numéro spécial reprennent donc les principales thématiques du marketing RH tel qu’il a été défini dans cet éditorial. Ils abordent en effet des problématiques de marque employeur externe (Abid-Dupont, Escoubes, Giraud et Ruspil) et de marque employeur interne (Berger-Remy, Delmas et de Villartay), même si ces derniers auteurs préfèrent parler de management interne de la marque et que l’article se rapproche également de la notion de marketing interne. Ils parlent également de l’orientation client (Auriacombe et Melkonian) ou du travail émotionnel (Klein) du personnel en contact et des commerciaux. Ils traitent enfin de communication de recrutement (Pfiffelmann). Ainsi, c’est bien tout le spectre du marketing RH qui est représenté dans ce numéro spécial et nous nous réjouissons qu’une revue scientifique permette, pour la première fois, d’aborder toute la variété que permet l’étude de ce champ. Nous ne pouvons qu’espérer que cela suscitera de nouvelles vocations parmi nos collègues, actuels et futurs !

Remerciements

27Dix-neuf articles ont été proposés pour ce numéro spécial. Après une lecture attentive par les deux rédacteurs en chef invités, trois propositions ont été jugées d’une qualité insuffisante pour une revue comme Décisions Marketing et n’ont pas poursuivi le processus d’évaluation. Les seize articles restants ont été intégrés dans le processus de sélection et ont été évalués par trois évaluateurs enseignants-chercheurs en marketing (38) ou en GRH (10). A la suite d’un processus de près d’un an, d’au moins trois allers-retours entre auteurs et évaluateurs (et parfois quatre), cinq articles ont finalement été retenus pour ce numéro spécial.

28Nous souhaitons donc, en premier lieu, remercier les 48 évaluateurs, dont la liste des noms suit, qui ont donné de leur temps pour évaluer, à plusieurs reprises, des papiers et qui ont contribué à co-construire avec leurs auteurs des articles de très grande qualité. Ce processus de co-construction est LE cœur de la production scientifique et il faut, encore et toujours, saluer les nombreux collègues qui acceptent de participer bénévolement et sans en retirer d’autre bénéfice que moral à ce processus. Nous remercions chaleureusement, en second lieu, les rédactrices en chef de Décisions Marketing, Emmanuelle Le Nagard-Assayag, Géraldine Michel, puis Isabelle Collin-Lachaud, qui nous ont fait confiance et nous ont guidé en répondant à toutes nos questions, ainsi qu’Alexandre Nassar, assistant de rédaction de Décisions Marketing pour son accompagnement efficace.

29Pour finir, nous remercions tous les auteurs qui ont choisi ce numéro spécial pour soumettre leur production scientifique. Dans leur majorité, ils ont un lien avec le GIT Marketing RH que nous animons au sein de l’AFM depuis novembre 2017. Nous félicitons les 11 auteurs qui ont l’opportunité de publier leur travail dans ce numéro. Une analyse de leur origine révèle une forte présence de doctorants ou de jeunes docteurs, ce qui est cohérent pour une thématique en forte croissance. Puisse ce numéro spécial encourager les chercheurs en marketing et en GRH à œuvrer pour un avenir commun !

  • Meriem Agrebi, Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis
    Laure Ambroise, Université Lumière Lyon 2
    Olivier Badot, ESCP Europe Business School
    Mathieu Beal, Grenoble Ecole de Management
    Bertrand Belvaux, IAE de Dijon
    Madeleine Besson, Institut Mines-Télécom Business School
    Pascal Brassier, IAE Clermont Auvergne
    Christèle Camelis, Université de La Réunion
    Sonia Capelli, Université Jean Moulin Lyon 3
    Caroline Cintas, IAE de Rouen
    Amélie Clauzel, Université Paris 1 Panthéon Sorbonne
    Éric Davoine, Université de Fribourg
    Nathalie Fleck, Le Mans Université
    Christophe Fournier, IAE de Montpellier
    Daniel Françoise, IAE Savoie Mont Blanc
    Renaud Frazer, Université de Lorraine
    Patrick Gabriel, Université de Bretagne Occidentale
    Franck Gavoille, ESSCA School of Management
    Christine Gonzalez, Université du Maine
    Chloé Guillot-Soulez, Université Jean Moulin Lyon 3
    Olivier Herrbach, IAE Bordeaux
    Sandrine Hollet-Haudebert, IAE de Toulon
    Éric Julienne, Université d’Evry-Val-d’Essonne
    Laure Lavorata, Université de Reims Champagne-Ardenne
    Sylvie Llosa, IAE d’Aix-en-Provence
    Cindy Lombart, Audencia Business School
    Etienne Maclouf, IAE La Rochelle
    Christelle Martin Lacroux, Université Grenoble Alpes
    Rémi Mencarelli, IAE Savoie Mont Blanc
    Gilles N’Goala, Université de Montpellier
    Lionel Nicod, Aix-Marseille Université
    Pauline de Pechpeyrou, Université Paris-Est
    Éric Pezet, Université Paris-Nanterre
    Karine Picot-Coupey, Université de Rennes 1
    Isabelle Prim-Allaz, Université Lumière Lyon 2
    Fanny Reniou, Université de Rennes 1
    Alain Roger, Université Jean Moulin Lyon 3
    Ouidade Sabri, IAE de Paris
    Sylvie Saint-Onge, HEC Montréal
    Amélie Seignour, Université de Montpellier
    Béatrice Siadou-Martin, Université de Lorraine
    Françoise Simon, Université de Haute-Alsace
    Thomas Stenger, IAE de Poitiers
    Régie Vanheems, Université Jean Moulin Lyon 3
    Alexandra Vignolles, INSEEC
    Catherine Viot, Université Claude Bernard Lyon 1
    Pierre Volle, Université Paris-Dauphine
    Björn Walliser, Université de Lorraine

Bibliographie

Références

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