Couverture de DM_096

Article de revue

Des mots aux maux de la vaccination en France : cartographie d’avis en ligne

Pages 105 à 124

Notes

  • [1]
    Les individus qui prennent la décision de se faire vacciner ou de faire vacciner leurs proches.
  • [2]
    Ou faire vacciner leur(s) proche(s).
  • [3]
    Le périmètre de cette étude exclut les recherches relatives aux essais cliniques, celles qui traitent de la propagation de virus ou prévisions d’épidémies, d’efficacité thérapeutique, (…) qui relèvent davantage du champ médical que du management de la santé publique.
  • [4]
    Selon Morgan et Hunt (1994), « la confiance existe quand une partie croit en la fiabilité et à l’intégrité de l’autre partie à l’échange » (in Swaen et Chumpitaz, 2008).
  • [5]
    Pour une meilleure compréhension des éléments de la grille sémiotique, se référer à Fontanille (2008).
  • [6]
    Etant donné la nature interprétative de la projection/classification des mots-clés sur la grille d’analyse, cette opération a fait l’objet d’un triple codage.
  • [7]
    Sans aluminium, un vaccin serait inefficace puisqu’il joue un rôle de fixateur par exemple.

1Les débats sur la vaccination sont nombreux et parfois virulents, créant des incertitudes chez de nombreux Français. Même si on annonce une légère amélioration de la couverture vaccinale des enfants en 2018 depuis l’augmentation du nombre de vaccins obligatoires, la crise de confiance des Français envers la vaccination ne faiblit pas depuis les années 2000 (Larson et al., 2011 ; Raude et Mueller, 2017). Il s’agit d’un phénomène complexe et inquiétant pour la santé publique, pour les praticiens de santé, et pour les chercheurs qui ne parviennent pas à traiter les maux de la vaccination en France. Pourtant, le nombre de publications associées au mot-clé anglo-saxon vaccine, référencées dans deux bases de données scientifiques (PubMed et Business Source Premier), présente un taux de croissance médian de 13 % par an et atteint un total de 34 880 articles publiés depuis les années 2000 (timeline en figure 1). Cette crise de confiance envers la vaccination est si complexe à appréhender que les résultats d’études réalisées la même année sont parfois difficiles à interpréter. Par exemple, une recherche récente réalisée au niveau mondial montre que la France fait partie des pays les plus méfiants envers la vaccination : 41 % des Français interrogés ont indiqué que « les vaccins ne sont pas sûrs » (Larson et al., 2016). Au même moment (2016), selon l’institut Ipsos (dans une étude réalisée pour le Leem, Les entreprises du médicament), 50 % des Français estiment que la vaccination présente plus de bénéfices que de risques. D’un côté, les bienfaits de la vaccination sur la santé publique (éradication de la variole notamment) sont reconnus par le grand public ; de l’autre, la vaccination fait l’objet de nombreuses controverses à l’origine de la défiance des consommateurs. Les débats font souvent référence aux effets secondaires du vaccin (contre l’hépatite B par exemple), aux avis divergents des médecins (Larson et al., 2016), à la pandémie de la grippe A/H1N1 en 2009, à la présence d’adjuvants (comme l’aluminium) dans les vaccins, aux ruptures d’approvisionnement ou encore aux divers scandales sanitaires comme celui du Médiator (Reinert, 2016).

Figure 1

Nombre de publications obtenues avec le mot-clé vaccine

Figure 1

Nombre de publications obtenues avec le mot-clé vaccine

2Qu’ils soient positifs ou négatifs, la formation de ces avis, de ces croyances, de ces évaluations subjectives, dépend d’un environnement complexe (pluralité des parties prenantes : fabricants, distributeurs, rôle de l’Etat, influence des leaders d’opinion) et mouvant. Au sein de cet environnement, tout évolue de manière régulière et fréquente (les souches de virus évoluent chaque année), et parfois de manière désordonnée (avis divergents d’un médecin à l’autre). A cette complexité environnementale, il faut ajouter celle liée au produit. La compréhension du vaccin nécessite des connaissances biologiques et médicales dont ne dispose généralement pas chacun des individus (Newsome et Wright, 1999 ; Andréani et al., 2015).

3Or les recherches actuelles qui portent sur la perception de la vaccination par les consommateurs [1] examinent de manière empirique seulement une partie du phénomène à étudier. Cela s’explique certainement par cette complexité organisationnelle : il semble préférable de traiter la question de manière segmentée, en isolant une problématique de son ensemble. Ainsi, la majorité des recherches en sciences humaines et sociales traitent de manière approfondie et appropriée une partie du sujet (l’influence des recommandations du médecin traitant sur la vaccination ; ou l’influence des réseaux sociaux sur la vaccination par exemple).

4Il semble pourtant nécessaire d’appréhender le rapport des individus à la vaccination dans sa globalité, c’est-à-dire : rendre compte de toute la complexité que représente la vaccination pour les Français. Sans prétendre prendre le contrepied de précédents travaux sur la vaccination, cette recherche propose de privilégier une approche exploratoire, interprétative et holistique pour mieux comprendre le rapport des individus à la vaccination, à un raisonnement hypothético-déductif et centré sur un périmètre d’étude restreint.

5L’objectif de ce travail consiste ainsi à mieux comprendre les représentations de la vaccination des individus qui doivent prendre la décision d’accepter ou non la vaccination[2] ou qui se soumettront à cet acte par obligation légale.

6Les implications managériales attendues de ce travail consistent à identifier les non-sens (les « maux » de la vaccination) d’une part ; et à proposer des solutions pour produire et structurer des signifiants (codes, signes, symboles, métaphores, narration…) de manière mieux organisée (e.g. Qui doit communiquer sur le produit ? Le fabricant ou les autorités ?).

7Pour cela, la revue de littérature montre la complémentarité des recherches sur la vaccination. Réalisés de manière atomisée, ces travaux couvrent bien l’ensemble du parcours de la vaccination. La présentation de la méthodologie permet ensuite de comprendre comment le rapport des individus à la vaccination a été appréhendé dans sa globalité (à partir de récits déposés librement sur le site « Concertation citoyenne de la vaccination »). Pour analyser ces récits, deux étapes sont nécessaires et structurent la présentation des résultats. Après avoir réduit l’information (suppression des « faux avis » et des doublons), la première étape a permis d’identifier 4 classes (regroupement lexicaux) à l’aide d’une analyse lexicale automatisée, assistée d’un double codage manuel. La seconde étape repose sur une analyse sémiotique dont l’objectif est de structurer les unités identifiées et catégorisées précédemment. En comparant les structures intra- et inter-classes, les apports méthodologiques et les implications managériales de ce travail sont discutés, puis les principales limites exposées.

Structure des recherches sur la vaccination : une approche atomisée

8Le rapport d’un individu à la vaccination [3] fait l’objet de nombreux travaux qui couvrent l’intégralité du parcours d’un vaccin (Encadré 1). En début de parcours (partie peu visible pour le grand public), les processus de fabrication du produit concernent les laboratoires pharmaceutiques et le ministère de la Santé [autorités de contrôle sanitaire et social, Agence Nationale de Sécurité du Médicament (ANSM) pour l’Autorisation de Mise sur le Marché (AMM)]. Les professionnels de la santé publique sont ensuite formés et sensibilisés à la composition des vaccins et à l’intérêt de la pratique en fonction du virus. Les travaux relatifs à ces deux premières étapes s’inscrivent dans le secteur de la biologie (production de biomédicaments tels que les vaccins) ou de la médecine (administration des vaccins).

Encadré 1 : Parcours d’un vaccin et recherches associées

figure im2

9Les recherches qui traitent de la perception de la vaccination par les consommateurs portent sur les étapes suivantes du parcours, lors desquelles l’individu est directement concerné par la vaccination. Ces quatre phases, exposées dans la partie basse de l’encadré 1, sont regroupées en deux sous-groupes afin de structurer cette revue de littérature étendue de la perception de la vaccination par les individus.

Confiance envers les sources et les messages de la vaccination

10Les campagnes de communication préventives sont souvent déployées vers le grand public et le public cible (personnes dites à risque). De nombreux travaux de recherche ont porté sur la perception des messages qui émanent de différentes sources d’information (Casiday et al., 2006 ; Setbon et Raude, 2010 ; Opel et al. 2011 ; Scherer et al. 2016 ; Seanehia et al., 2017). Beaucoup ont cherché à comparer le rôle des différentes sources d’information dans la formation de la perception des individus et leur prise de décision. La confiance envers les sources d’information se réfère le plus souvent à la crédibilité de cette source. Certains travaux se sont focalisés sur l’influence d’acteurs particuliers tels que les groupes de référence (Hesse et al., 2005 ; Serre et Wallet-Wodka, 2008), les personnels de santé (Ammi et Béjean, 2010 ; Maurer et al., 2010) ou encore les réseaux sociaux (Hesse et al., 2005 ; Vera et al., 2012). Ces travaux s’accordent à conclure que les sources d’information les plus influentes sont les professions de santé (médecins traitants, spécialisés, pharmaciens, infirmiers) et soulignent un lien entre la crédibilité de la source et la confiance dans la vaccination, se traduisant par une intention ou un acte de vaccination. Des variables modératrices ont pu être mises en avant telles que l’expérience antérieure ou le fait d’appartenir à une population à risque (Setbon et Raude, 2010). Les professionnels de santé sont donc les mieux placés pour transmettre un message concernant la vaccination, favoriser la confiance des consommateurs, et ainsi aider les individus à prendre la décision d’accepter la vaccination.

11La question de la confiance du consommateur est fondamentale dans le domaine de la santé, elle concerne non seulement l’émetteur du message et sa crédibilité mais également la perception du produit afin qu’il soit accepté. Les travaux sur la crédibilité des sources d’informations sont complétés par des travaux sur la confiance envers les produits eux-mêmes.

Confiance envers les produits et les informations de la vaccination

12Si la confiance envers la vaccination a également fait l’objet de travaux spécifiques (Coutelle et al., 2016), elle a davantage été examinée par le prisme de ses antonymes : la méfiance et l’hésitation vaccinale (Opel et al., 2011 ; Lee et al., 2016).

13En effet, comme souligné par Swaen et Chumpitaz (2008) et Gurviez et Korchia (2002), le concept de confiance est quelque peu confus car il est appréhendé parfois comme un ensemble de croyances, parfois comme une volonté. La majorité des travaux qui étudient ce thème adopte le plus souvent une approche globale de la confiance, mesurant ce concept à partir des deux dimensions retenues par Morgan et Hunt (1994) : fiabilité et intégrité [4]. Appliquée au domaine du médicament, les développements de Andréani et ses collègues (2014) ont montré que la confiance était un concept plus complexe. Ces auteurs distinguent la « confiance dans le produit » et la « confiance dans le fabricant » pour évaluer la confiance globale dans le médicament. Andréani et al. (2014) ont ainsi montré que la confiance envers un médicament est un concept multidimensionnel qui comporte cinq dimensions : la fiabilité du médicament, l’investissement dans l’innovation, la transparence de l’information, la crédibilité des acteurs et la responsabilité sociétale des acteurs du médicament. Coutelle et al. (2016) ont vérifié que cette approche multidimensionnelle de la confiance dans le médicament était adaptée pour étudier la confiance dans la vaccination. Sans véritablement s’éloigner des composantes originelles de la confiance (fiabilité et intégrité), cette approche multidimensionnelle souligne bien l’importance accordée au produit (fiabilité du vaccin et investissement dans l’innovation) et aux informations associées au produit (transparence de l’information, crédibilité et responsabilité des acteurs). Dans le cas de la vaccination en France, les avis des consommateurs sur ces différentes dimensions semblent très partagés.

14Les travaux publiés en médecine abordent moins le concept de confiance que celui d’hésitation vaccinale. L’hésitation vaccinale peut être définie comme « les comportements de refus de certains vaccins ou leur réalisation avec retard dans un contexte où les services de vaccination fonctionnent » (OMS, Peretti-Wattel et Verger, 2015). Cette notion a été particulièrement étudiée dans les travaux de Raude (2016), qui portent sur les antécédents de l’hésitation vaccinale. Selon Raude (2016), l’hésitation vaccinale résulte « d’un arbitrage intuitif entre les risques et les bénéfices perçus » de la vaccination. Il précise que les deux facteurs qui influencent négativement cet arbitrage sont : (1) la « crise de confiance croissante vis-à-vis des pouvoirs publics en général et des autorités sanitaires en particulier », et (2) la « transformation radicale du marché de l’information liée à l’émergence des médias électroniques ». A l’image des travaux développés en management, les problèmes de confiance et d’information sont également bien soulignés dans les revues médicales.

15A nouveau, force est de constater que tous ces travaux choisissent un angle d’approche particulier (tel que la confiance ou l’hésitation vaccinale) pour investiguer un périmètre d’étude relativement réduit/précis (pour Coutelle et al., 2016 : le vaccin contre la grippe).

16Bien que les implications théoriques et/ou managériales de ces recherches soient riches, leur approche atomisée est regrettable. En effet, aucun ne s’emploie à examiner le phénomène dans son ensemble puisque chacun ne traite qu’une partie du sujet. Les raisonnements mobilisés sont principalement analytiques et s’inscrivent, le plus souvent, dans une logique hypothético-déductive. Ils ne permettent pas de saisir le prisme holistique du phénomène étudié. Finalement, cette approche parcellaire du problème nuit à la compréhension du phénomène dans sa globalité. Comment peut-on comprendre la prise de décision individuelle d’accepter ou refuser la vaccination en isolant tantôt un facteur, tantôt un autre ? Nous proposons à présent d’élargir ce focus analytique à l’étude d’un corpus moins restreint, privilégiant ainsi une approche holistique du phénomène étudié.

Les représentations de la vaccination : une approche globale

17Clairement ancré dans une logique interprétativiste, la collecte de données nécessaire à l’étude du sens accordé à la vaccination par les Français devait naturellement autoriser une liberté sémantique totale (pas de guide d’entretien, pas de questionnaire) de la part des répondants. Nous avons donc profité de l’opportunité proposée par le Ministère des Solidarités et de la Santé qui a organisé une grande consultation citoyenne sur le thème de la vaccination en France. La contrainte de ce canal de recueil de données est qu’il n’est accessible qu’aux internautes. Notons que les personnes susceptibles de participer à ce genre de débat citoyen sur Internet peuvent correspondre à des profils particuliers (par exemple, les informations négatives se propagent plus rapidement sur le web que les avis positifs ; Munzel, 2015) et que la population étudiée dans cette recherche n’est certainement pas représentative de la population française. La méthodologie employée pour recueillir ces données est détaillée dans l’encadré 2.

Encadré 2 : Méthodologie de l’étude

L’étude empirique de cette recherche est construite à partir d’une collecte d’avis concernant la vaccination déposés librement et volontairement sur le site de la « Concertation citoyenne de la vaccination » [a]. Les avis récupérés proviennent respectivement de deux espaces en ligne où il était simplement demandé « Exprimez ici votre avis sur la vaccination au sens large » et « Quelles recommandations feriez-vous pour améliorer la confiance dans la vaccination ? »). Cet espace participatif en ligne a été ouvert du 14 septembre au 14 octobre 2016 et a permis le recueil de 8 475 contributions d’internautes sur ces deux espaces. Une extraction manuelle de ces avis postés sur ce forum public a permis d’extraire 6 175 avis postés entre le 15 septembre et le 14 octobre. Chaque commentaire a donc été ouvert, puis la date et le texte du post ont été archivés dans un tableur. Une double lecture attentive et un processus d’analyse itératif nous ont permis de détecter les doublons et les faux-avis (au sens de Munzel, 2015). Par exemple, la mobilisation d’un groupement d’infirmiers et de pharmaciens revendiquant « leur droit de vacciner et la reconnaissance de leurs compétences » a engendré de longues séries de copier-coller de messages prérédigés par les organisateurs. Après ce nettoyage, 5 702 avis ont été retenus à des fins d’analyse.
Au regard de la taille du corpus, les données ont fait l’objet dans un premier temps d’une analyse lexicale via le logiciel Alceste Education. Nous avons procédé à une classification double sur les Unités de Contexte (u.c) : 98 % des unités textuelles du corpus ont été classées. Cette première série d’analyse a permis de structurer et réduire le corpus en classe. Dans un second temps, suivant un processus abductif et à partir des recommandations de Spiggle (1994) suggérant plusieurs niveaux d’analyse, de nouveaux cadres conceptuels plus orientés vers la recherche de sens ont été mobilisés. Parmi les différentes approches développées en sémiotique, la grille proposée par Fontanille (2008) parait tout à fait adaptée à l’objet d’étude. En marketing, elle avait déjà fait l’objet d’une application très enrichissante dans les travaux de Maynadier (2009).

18Le corpus retenu à des fins d’analyse est très dense (5 702 posts ; 100 mots par post en moyenne ; 24 613 occurrences analysées). La première partie des résultats s’emploie à réduire et structurer cette information sous forme de classes lexicales. A partir de techniques de lemmatisation (regroupement de mots qui partagent la même racine) et d’une analyse factorielle des correspondances du corpus, les occurrences et proximités entre les mots employés sont examinées permettant une représentation structurée des avis exprimés sur la vaccination en France. La seconde partie des résultats consiste à approfondir cette première série d’analyses. Comme indiqué par Spiggle (1994), la phase d’interprétation des résultats est bien différente de la phase d’analyse. Pour y accéder, il est parfois utile de procéder à un second niveau d’analyse. Les allers-retours entre le corpus et la littérature sont incessants (dès la première lecture flottante des avis postés en ligne). Mais au fil de ces lectures et lors de concertations entre enquêteurs-chercheurs-praticiens-usagers, le cadre d’analyse adapté pour mieux comprendre le corpus émerge. Pour mieux examiner le sens accordé à la vaccination en France, la deuxième partie des résultats repose sur une analyse sémiotique de ces classes lexicales.

Structure des avis concernant la vaccination

19Les analyses automatisées ont permis d’ordonner les unités en 4 classes (Annexes 1 et 2) qui semblent tout à fait pertinentes au regard de la littérature. Ces classes sont décrites dans le tableau 1, par le truchement des mots les plus significatifs pour chacune d’entre-elles et d’avis représentatifs retenus par le logiciel Alceste.

Tableau 1

Description des classes

ClasseMots les plus significatifsAvis représentatifs de chaque classe
Classe 1 : Actions, prévention et proximitéInfirmier/ ère, libéral, compétent(e), domicile, rôle, patient
« (…) La vaccination faite par l’infirmière n’est pas seulement un acte technique. Elle fait partie aussi de la mise en place d’une démarche de soins, (…) se font en coordination avec le médecin traitant (…) Tout ceci entre dans le parcours de soins et où de santé. La surveillance post vaccination est dispensable et ne peut se réaliser en officine (…) »
« (…) pourquoi ne pas autoriser les pharmaciens à pratiquer certaines vaccinations, grippe, ou revaccinations en liaison et en accord avec le médecin traitant ? L’accès au médecin est de plus en plus difficile, et cela permettrait d’améliorer la couverture vaccinale de la population en particulier dans les zones à densité médicale faible (…) »
« (…) de nombreux patients ne sont pas à jour de leurs vaccins soit par négligence ou manque de suivi médical, soit sciemment afin d’éviter le parcourt du combattant pour obtenir un rdv avec leur médecin traitant ou pour éviter les longues heures d’attente dans les salles d’attente (…) »
Classe 2 : Objectifs et conséquences attenduesMaladie, grave, vie, rougeole, éradiquer, éviter, hygiène
« (…) compte-tenu de l’effet désastreux des effets secondaires de la vaccination mis en avant par les médias, il serait bon de renverser la vapeur et de parler davantage de toutes ces maladies qui ont été éradiquées grâce à elle (…) »
« (…) certaines maladies ont quasiment disparues pas grâce aux vaccins mais ces diminutions sont reliées à l’amélioration des mesures d’hygiène et des conditions de vie en général. Je m’interroge sur l’argument qui consiste à dire que les vaccins permettent d’éviter de nombreuses maladies et des décès (…) »
« (…) convaincue par l’intérêt de la vaccination pour se protéger et protéger les autres, la population française aura à nouveau confiance lorsque les autorités sanitaires publieront tous les ans des bulletins épidémiologiques clairs et compréhensibles (…) »
Classe 3 : Décision, choix, obligationAluminium, obligatoire, adjuvant, choix, obliger
« (…) je suis pour une vaccination où l’on serait libre de choisir les vaccins que l’on veut donner à nos enfants et non être forcé par une rupture de stock (…) je suis pour des vaccins ne contenant pas d’aluminium, formaldéhydes, et Cie (…) »
« (…) je demande à ce que la liberté vaccinale soit instaurée en France (…) »
« (…) je souhaite avoir le choix de faire vacciner mon enfant ou non, et surtout avoir des vaccins sans aluminium et autres composants nocifs ! Imposer aux parents un vaccin hexavalent ou pentavalent alors que 3 vaccins seulement sont obligatoires est une honte (…) »
Classe 4 : Acteurs, intérêts et conflits d’intérêtIntérêt, conflit, ministère, politique, laboratoire, citoyen, confiant
« (…) il ne s’agit pas tant de la confiance dans la vaccination que de la confiance dans nos institutions, à savoir, d’une part les laboratoires, plus motivés par leurs profits que par la santé des patients et celle des comptes de la sécu ! Et d’ autre part les autorités chargées de définir les modalités de choix et d’autorisation de mise en marche des vaccins, ainsi que les modalités de dispensation de ces soins. Ce n’est pas la vaccination en elle-même qui est remise en question c’est la très désagréable impression qu’on nous prend pour des cobayes, et pour des vaches à lait via les comptes des organismes sociaux, et que les pouvoirs publics s’en rendent quelque part complices trop de scandales, trop de compromissions (…) »
« (…) arrêter que les différents ministres de la santé, les experts, les responsables de l’OMS soient en lien direct ou indirect, ou l’ont été, avec les laboratoires pharmaceutiques. On ne peut accorder la confiance dès qu’ il y a conflit d’intérêt (…) »
« (…) pour avoir confiance il est nécessaire qu’il y ait indépendance et transparence. L’industrie pharmaceutique n’est pas une source fiable (…) »

Description des classes

20La classe 1 est nommée : Actions, prévention et proximité. Elle représente seulement 6% des unités textuelles classées et concerne les avis relatifs aux actions des professionnels de santé (infirmier(e)s, médecins et pharmaciens principalement) en matière de vaccination. Elle fait référence aux compétences et à la volonté de ces acteurs d’améliorer la couverture vaccinale en France par leurs actions (« soins », « actes », « former », « suivre »), en valorisant leur proximité avec le grand public.

21La classe 2 est nommée : Objectifs et conséquences attendues de la vaccination. Elle représente 36 % des unités textuelles classées. Elle fait état, non seulement, d’objectifs et conséquences attendues très positives (« protéger », « éradiquer des épidémies ») axés principalement sur la prévention de risques sanitaires, mais souligne également les quelques effets indésirables (probables) liés à la vaccination. Ces thèmes sont moins traités en management qu’en médecine de santé publique.

22La classe 3 est nommée : Décision, choix/obligation. Elle représente 32 % des unités textuelles classées. Les avis traitent de l’obligation vaccinale et revendiquent souvent la nécessité du libre choix, notamment concernant certains composants du vaccin (les adjuvants et plus particulièrement l’aluminium ou encore le mercure). Cette classe fait ainsi écho avec les travaux centrés sur l’analyse des processus de choix et sur la perception des informations-produits. De façon plus conjoncturelle, elle fait également référence à l’annonce des 11 vaccins obligatoires réalisée l’été 2016.

23La classe 4 est nommée : Acteurs, intérêts et conflits d’intérêt. Elle représente 26 % des unités textuelles classées. Dans cette classe, les avis évoquent les intérêts financiers liés aux vaccins, au détriment de la santé publique. Corroborant les conclusions de Raude (2016), la crise de confiance envers les autorités sanitaires y est clairement exprimée en dénonçant un conflit d’intérêt avec les laboratoires pharmaceutiques.

24Ces premiers résultats donnent des éclairages sur les préoccupations spontanées des citoyens concernant la vaccination et sur leurs idées afin d’améliorer la couverture vaccinale. Toutefois, ils peuvent paraître relativement descriptifs. C’est pourquoi, suivant les recommandations de Spiggle (1994), nous avons poursuivi l’interprétation de ces résultats par un processus abductif entre la littérature et les analyses.

Mise en lumière des sens et non-sens de la vaccination

25Comme précisé auparavant, l’approche atomisée mobilisée dans les recherches antérieures sur la vaccination présente certaines limites. Pour examiner le phénomène dans son ensemble, les grilles d’analyse issues de la sémiotique nous ont paru particulièrement adaptées. Maynadier (2009) utilise très habilement celle proposée par Fontanille (2008) qui permet de « prendre en charge l’ensemble des niveaux pertinents où les significations culturelles peuvent s’exprimer » (Fontanille, 2006 in Maynadier, 2009). Ainsi nous avons analysé le sens des mots associés à chaque classe (précédemment identifiées via l’analyse lexicale) à partir d’une grille d’analyse sémiotique. Cette grille de lecture (représentée par l’axe vertical dans la figure 2) [5] permet d’étudier le sens attribué à la perception d’un phénomène, depuis les signes et figures directement perceptibles jusqu’aux valeurs qu’elles représentent pour un individu. L’axe horizontal de la figure considère le passage d’une approche individuelle à une approche collective selon les classes identifiées précédemment.

Figure 2

Seconde analyse des résultats (Grille d’analyse de Fontanille, 2008 ; in Maynadier 2009)

Figure 2

Seconde analyse des résultats (Grille d’analyse de Fontanille, 2008 ; in Maynadier 2009)

26La lecture de cette grille peut être opérée selon deux schémas de lecture. Le premier consiste à utiliser cette grille comme une cartographie des sens et non-sens de la vaccination en France. Il s’agit d’une lecture globale du phénomène étudié. Le second schéma est plus analytique et permet de saisir le sens de chaque élément étudié à partir de son univers figuratif (c’est-à-dire, pour chaque modalité proposée dans la grille de Fontanille, 2008). La présentation de cette seconde série de résultats est structurée selon ces deux schémas de lecture à toutes fins pédagogiques.

Cartographie des sens et non-sens de la vaccination en France

27La projection des mots-clés associés aux classes identifiées précédemment sur la structure sémiotique proposée par Fontanille (2008) [6] représente une grille d’analyse qui peut être lue comme le serait une carte maritime par exemple. Elle permet non seulement d’identifier les apparitions, les non-apparitions et les disparitions (dans le cas d’études longitudinales) des unités sémiotiques sur la grille, mais elle permet également d’apprécier la distance ou la proximité entre ces unités. Par exemple, il pourrait être naturellement attendu que le champ lexical des actions de prévention (communication, information, outil) soit lié aux stratégies d’autorités sanitaires. Un aperçu rapide du côté droit de cette cartographie (Figure 2) montre que ce n’est pas le cas : aucun objet, énoncé ou signe, relatifs à des actions de prévention, ne sont associées à ces autorités sanitaires.

28Cette lecture cartographique permet ainsi d’apporter un nouveau regard sur les premiers résultats et met en lumière de nouveaux enseignements. Les premiers sont relatifs à une lecture horizontale de la grille :

  • Le champ lexical associé aux actions de préventions (classe 1) n’est pas directement lié à celui de l’industrie (laboratoires, pharmacies) pourtant fabricants et distributeurs du produit ; ni à celui des politiques, de la santé publique ou du ministère de la Santé (classe 4) dont c’est la mission. En revanche, le champ lexical relatif aux actions de prévention (classe 1) est clairement associé aux notions de proximité géographique (« infirmier », « libéral », « territoire », « cabinet ») et proximité relationnelle (« quotidien », « former », « suivre »).
  • De même, le champ lexical dédié à la décision de se faire vacciner (classe 3) qui intègre « choix », « obligatoire », « obliger », « imposer », « disponibilité » est associé aux polémiques « toxiques », « adjuvant », « aluminium » [7], alors qu’il n’est pas associé au champ lexical relatif à la finalité même de la décision (« protéger », « éradiquer » un virus) ou à la pathologie traitée (« tétanos », « rougeole »… ; classe 2).

29Les seconds sont relatifs à une lecture verticale de la grille :

  • Le champ lexical de la classe 4 fait état de valeurs (« citoyenneté »), de stratégies (« acteurs décidant ») et de scènes malheureusement négatives ici (« conflit »). Les recommandations en matière de vaccination (énoncés) et leurs supports (objets, signes et figures) n’apparaissent pas dans cette classe. Ces éléments de prévention (affiches, notices, slogan) pourtant rédigés et valorisés par ces acteurs ne sont pas associés à cette classe. Au contraire, les termes « scandales » et absence de « transparence » forment les énoncés attachés à cette classe.
  • La figure, tangible et historique, que représente le carnet de vaccination (extrait du corpus : « (…) Les pages des carnets de vaccination de la plupart des enfants sont déjà noires d’écritures à l’âge de 3 ans (…) ») symbolise le suivi vaccinal mis en pratique par les professionnels de santé auprès de leurs patients. La structure sémiotique de cette classe 1 est la seule dans laquelle il n’apparait pas d’éléments expliquant les maux de la vaccination en France. Ses unités forment un ensemble cohérent : couverture territoriale, proximité, information/soin/suivi, patient.
  • Concernant la décision de se faire vacciner (classe 3), les termes « danger », « imposer » et les représentations mentales associées aux vaccins (« aluminium », « adjuvant ») témoignent de l’incertitude associée à cette décision.
  • La classe 2 montre enfin que les stratégies de protection et d’éradication sont bien associées à l’objet du traitement (les maladies/épidémies et les populations à risque) ; bien qu’il soit également fait mention d’une autre pratique de protection : l’hygiène.

30Cette double analyse (lexicale et sémiotique) permet donc d’appréhender le phénomène étudié de manière holistique. Mais pour approfondir l’examen des sens et non-sens accordés à la vaccination par les Français, une lecture analytique de cette grille est également possible.

Approche analytique des sens et non-sens de la vaccination : implications managériales de l’étude

31Le plan de lecture analytique de cette grille (Figure 2) est structuré à partir de l’axe vertical (structure sémiotique). Il s’agit donc d’une lecture ligne par ligne. Il sera ici l’occasion d’apporter des précisions sur les modalités sémiotiques mobilisées à partir des définitions originales de Fontanille (2008). Les recommandations managériales issues de ces analyses sont exprimées au fur-et-à-mesure de la description de ces modalités (puis synthétisées dans le tableau 2).

Tableau 2

Synthèse des implications managériales en fonction des modalités sémiotiques

ModalitésRecommandations
Signes et figures
  • Développer un discours narratif autour de la production d’un vaccin et assurer sa diffusion afin que le grand public connaisse d’autres terminologies que toxique et aluminium.
  • Développer les outils de communication destinés aux professions médicales et au grand public (module sur la vaccination dispensé lors d’un cours d’éducation en santé publique à l’école).
  • Optimiser le développement du carnet de santé/vaccination en étudiant sa valeur d’usage (notamment la dimension symbolique liée au « premier document santé de bébé »).
Enoncés
  • Diffuser les résultats d’études scientifiques sous un format adapté au public-cible en précisant la source et sa légitimité.
  • Appliquer le principe de l’USP lors de campagnes de prévention vaccinale (un seul énoncé clair et audible).
  • Légitimer les énoncés en utilisant des sources issues d’études scientifiques et les diffuser, dans des formats adaptés, aux professionnels de santé et au grand public (trade marketing et marketing du consommateur).
Objets et supports
  • Considérer les professionnels de santé comme les principaux ambassadeurs de la prévention vaccinale.
Pratiques et scènes
  • Encourager et valoriser les moments d’échanges entre les professionnels de la santé et la population, et théâtraliser ces rencontres (penser/repenser les lieux, les dispositifs, le rôle des interlocuteurs…).
  • Mobiliser la théorie des jeux pour redéfinir les relations (optimales bien qu’imparfaites) entre les autorités sanitaires et l’industrie pharmaceutique (en intégrant comme paramètre dans le modèle la perception du grand public).
Stratégies et situations
  • Redéfinir, mieux exprimer ou identifier, les missions respectives des autorités sanitaires, des fabricants de vaccin, des professionnels de la santé. Qui produit ? Qui contrôle (la production/diffusion…) ? Qui prescrit ? Qui vaccine ? Qui vérifie (effets secondaires, flux de marchandises/financiers…) ?
  • Formaliser le parcours vaccinal en identifiant clairement les guides, les référents et un agenda facilement appropriable (ritualisation en fonction des grands moments de vie par exemple : scolarisation, anniversaire, retraite…).
  • Etablir les programmes de production et de mise à disposition des vaccins en fonction des calendriers vaccinaux (pour éviter l’indisponibilité des produits par exemple).
Formes de vie et valeur
  • Pas de recommandation : les valeurs accordées à la vaccination résultent des actions entreprises sur les autres modalités sémiotiques.

Synthèse des implications managériales en fonction des modalités sémiotiques

32Les signes et figures correspondent aux « formants récurrents ». Dans les avis recueillis de la population française, les formants récurrents sont malheureusement le plus souvent associés aux termes « toxique, adjuvant et aluminium ». Comme indiqué par Newsome et Wright (1999), les consommateurs disposent de connaissances biologiques et médicales limitées. Les termes employés ici sont relativement simples, courants et facilement mémorisables comparés aux autres composants d’un vaccin. Peu d’explications à propos du contenu ou de la manière de produire un vaccin sont communiquées par les autorités sanitaires ou les fabricants.

33Le discours narratif autour de la production d’un vaccin pourrait être développé de manière simple et passionnante (e.g. il s’agit d’un biomédicament et non d’un médicament chimique, qui nécessite plusieurs mois de mise au point et qui pourtant doit s’adapter à chaque souche parfois annuellement ; s’il est si complexe à produire et que l’on prend le temps de le faire, c’est parce qu’il est utile, etc.) et améliorer sa diffusion afin que ne soient plus retenues uniquement les terminologies négatives (toxique, aluminium, nocif) par le grand public.

34Les seconds formants récurrents énoncés dans la grille concernent les outils de communication et de formation. Les avis recueillis dénoncent l’absence d’outil de formation des professionnels de santé à la vaccination et une lutte peu efficace contre la désinformation (comme indiqué par Raude, 2016) sur internet ou d’autres outils de communication. Récemment et suite à cette concertation citoyenne, les autorités sanitaires ont plus largement communiqué sur les sites d’information www.mesvaccins.net et vaccination-infoservice.fr. D’autres outils de communication pourraient certainement être développés comme des affiches à placer dans les cabinets médicaux et autres centres de soin, ou dans les espaces d’éducation publique. A ce propos, un module sur les processus de fabrication des vaccins et les bénéfices/risques de la vaccination pourrait être intégré dans un enseignement dédié à la santé-publique et dispensé dès l’école primaire (comme pour le don de sang par exemple). Par ailleurs, le carnet de vaccination représente une figure clé du programme de vaccination. Alors que les préoccupations à l’égard de ce dispositif sont orientées vers son développement numérique, nos résultats montrent qu’il semble encore plus important de s’intéresser à la construction de sa valeur d’usage. Ce carnet est en effet un des premiers dispositifs, remis à de jeunes parents, dans lequel « figure » un parcours de soin, quand bien même leur enfant est en bonne santé. Il représente ainsi une forme de premier « passeport médical », à présenter aux différents professionnels de santé fréquemment consultés dans cette période d’enfants en bas âge. D’après nos résultats, il semble nécessaire de continuer à assurer sa délivrance par les professionnels de santé (pour que ce dispositif reste inscrit dans le champ lexical de la classe 1 dont le thème dominant est la proximité) et que ce Dossier Médical Partagé (DMP) soit promu par ces professionnels qui sont proches des patients plutôt que par les autorités de santé publique (ce qui conduirait ce dispositif vers la classe 4 et à flirter avec les énoncés « scandale » et absence de « transparence »).

35Les énoncés sont décrits par Fontanille (2008) comme des dispositifs d’énonciation ou encore comme des répétitions fréquentes d’expressions dans un récit qui permettent d’en comprendre le sens malgré une lecture partielle (isotopie figurative de l’expression). Sans surprise, le premier mot-clé associé aux énoncés est « obligatoire » (ce mot a précisément fait l’objet de répétitions incessantes dans les actualités du mois de septembre 2016, précédent la période de concertation citoyenne sur la vaccination). Comme indiqué dans la définition de l’isotopie, cet énoncé a été réduit au caractère obligatoire de la vaccination alors qu’il était intégré dans le « parcours de vaccination » matérialisé par le carnet vaccinal électronique. Ainsi, les avis recueillis montrent que les individus ont perçu cet énoncé de manière menaçante, notamment parce qu’il a été présenté de manière autoritaire par les pouvoirs publics. Pour mieux faire, les autorités auraient dû appliquer le principe fondamental en communication du « unique selling point » (USP) qui consiste à ne présenter qu’un message clairement audible pour chaque action de communication. Il aurait donc été préférable de communiquer dans un premier temps sur un seul énoncé (le parcours vaccinal), puis, sur le deuxième énoncé (obligation vaccinale) lors d’une seconde période. Cet énoncé (« obligatoire ») associé à la classe 3, fait par ailleurs écho à ceux identifiés dans la classe 4 (« scandale » et absence de « transparence »), qui témoignent du conflit d’intérêt perçu par le grand public entre les autorités sanitaires et les laboratoires pharmaceutiques.

36Les objets et supports représentent les supports formels coordonnés par un objectif, au sens de Fontanille (2008). De manière évidente, puisque fonction de l’objet d’étude, cet attribut regroupe le vaccin, les pathologies traitées (ou parfois provoquées : effets secondaires graves), les patients (parents, enfants), et de manière moins prévisible : l’argent (pour la classe 4 relative aux conflits d’intérêt). Le vaccin se trouve dans la classe 3 (au centre des préoccupations individuelles) et donc significativement éloigné, lors de l’analyse lexicale, de la classe 2 (objectifs et conséquences attendues) puisque ces mots-clés ne sont pas répertoriés dans la même classe. Cela montre que la population étudiée a une représentation mentale de la vaccination plus uniforme (« tous les vaccins dans le même panier ») que spécifique à la fonction de chaque vaccin (prévention de maladies infectieuses différentes). Il est cependant possible que ce résultat soit en partie dépendant de la période étudiée puisqu’elle correspond au pic de polémiques à propos de l’annonce des 11 vaccins obligatoires. Pour cette raison, nous ne formulerons pas de recommandation relative à cette observation car il faudrait exprimer de nombreuses réserves. En revanche, l’apparition du terme « patient » dans la classe 1 est plus riche de sens. Il s’agit d’un vocabulaire qui est le plus souvent employé par les professionnels de la santé, qui revendiquent leur proximité avec les patients (et vice versa). Cette proximité est essentielle entre ces deux parties prenantes et ce résultat confirme bien l’importance de cette source d’information (les professionnels de santé) pour le grand public (Ammi et Béjean, 2010 ; Maurer et al., 2010). Enfin, l’objet source des « scandales » et « conflits d’intérêt » identifiés dans la classe 4 par cette population correspond sans surprise à « l’argent ».

37Les pratiques et scènes reflètent les processus d’accommodation. Il s’agit le plus souvent de pratiques d’appropriation qui se déroulent dans des espaces/temps définis (qui peuvent se reproduire ou évoluer). Concernant ces pratiques et scènes, la perception positive de la population étudiée concerne majoritairement les actes et suivis liés à la vaccination, réalisés par les professions de santé (classe 1). A l’inverse, les scènes et pratiques associées aux autorités publiques et à l’industrie pharmaceutique sont perçues comme conflictuelles et malsaines. Faisant référence à la théorie des jeux développée précisément pour résoudre les conflits, déterminer la solution maximisant les gains pour le plus grand nombre (équilibre de Nash) consisterait à savoir si les autorités sanitaires et l’industrie pharmaceutique doivent évoluer sur des scènes distinctes (pas d’interférence pour limiter les conflits d’intérêt visibles ; solution confrontation) ou se produire sur une même scène pour nourrir un objectif commun de santé publique (interférences structurées et transparentes entre une autorité assumant le contrôle et un fabricant ; solution coopération). Quelle que soit l’issue de ce modèle, une position claire semble attendue du grand public dans ce recueil de données. En effet, pour évoquer leurs pratiques individuelles, le grand public utilise le champ lexical de la contrainte « obliger, imposer, danger », qui semblera contre-productif dans un processus d’accommodation.

38Les stratégies et situations font référence à la gestion stratégique des pratiques et l’iconisation des comportements stratégiques. Liée à la recommandation précédente à propos de la clarification des relations entre le gouvernement et l’industrie, il est nécessaire d’ajouter à la liste des acteurs les pharmaciens et les autres professions de santé (infirmiers, médecins, aidants…) pour redéfinir le rôle de chacun. La gestion stratégique des pratiques de ces acteurs semble floue pour le grand public. Ce dernier est à la recherche d’icônes, de référents, de guides et de ritualisation pour mieux pouvoir s’approprier le parcours vaccinal (perçu au stade d’un énoncé tout au plus à cette période). C’est au sein de cette modalité que les perceptions (et donc perspectives) sont les plus encourageantes : la couverture vaccinale peut être améliorée en accordant plus de confiance et de missions au réseau de professionnels de santé (cf. termes « libéral, territoire, couverture, rôle, proximité ») à condition que les rôles (partagés ou non) soient bien définis (procéder à la vaccination par le pharmacien, par l’infirmier, par l’infirmier en pharmacie…). Cette dimension stratégique est perçue de manière plus individuelle (classe 3) par l’attente de choix et de disponibilité des produits par les usagers. La perception de la gestion stratégique de la vaccination est claire : « protéger et éradiquer » (classe 2).

39Enfin, les formes de vie et valeurs sont définies par Fontanille (2008) comme des styles stratégiques. La consonance de style stratégique est particulièrement forte puisque les termes associés à cette modalité apparaissent uniquement dans la classe 4 – Acteurs, intérêts et conflits d’intérêts. D’un côté, il est rassurant que les termes « citoyen, liberté, santé, avis et confiant » s’inscrivent dans une approche collective. Mais d’un autre côté, leur occurrence d’apparition dans les avis recueillis est liée au côté obscur que représentent les conflits d’intérêts entre l’industrie pharmaceutique et les autorités sanitaires. C’est-à-dire qu’ils sont exprimés le plus souvent pour dénoncer l’influence de ces conflits perçus sur la citoyenneté, la liberté, la santé, etc. Il aurait été finalement plus rassurant d’identifier ces mots-clés dans les classes 3 et 2 ; ce qui aurait signifié que ces valeurs associées à la vaccination étaient défendues/perçues à titre individuel (s’inscrivant par exemple dans une logique d’altruisme). Les valeurs de la pratique de la vaccination en France restent donc à construire (en travaillant sur les autres modalités puisqu’il s’agit d’une résultante).

40De manière pragmatique, les recommandations qui viennent d’être détaillées ici sont synthétisées dans le tableau 2. Bien que le corpus examiné corresponde à un recueil d’avis postés en ligne et que la population étudiée ne soit ainsi pas représentative de la population française, il semble que ces résultats et recommandations corroborent les conclusions énoncées par Raude (2016) et Peretti-Watel et Verger (2015). Ainsi, ce travail empirique permet d’illustrer et d’explorer l’approche théorique de ces auteurs à propos de l’hésitation vaccinale en France.

Conclusion

41Le principal apport de cette recherche est la cartographie (Figure 2) de plus de 5 000 avis postés lors d’une concertation citoyenne en ligne, qui interroge les français sur leur rapport à la vaccination. Le format de ce recueil de données réalisé par un groupe de travail mandaté par le ministère de la santé ne permet pas de caractériser précisément la population étudiée (aucune information sur les caractéristiques individuelles des répondants n’est collectée). Il n’est donc pas possible de vérifier la représentativité de ces avis, certainement biaisée par cette méthode de collecte basée sur le volontariat (ce corpus fait davantage état d’avis négatifs que positifs sur la vaccination). Par ailleurs, bien que 473 avis d’acteurs militants (copié/collé de messages, promotion de sites web…) aient été supprimés, certains de ces avis nous ont peut-être échappé (une analyse par logiciel anti-plagiat indique que le corpus a moins de 1 % de similitude avec des informations publiées sur le web et les avis ont fait l’objet d’une lecture attentive de la part des chercheurs).

42Malgré cette limite, les résultats de cette recherche permettent de corroborer et d’apporter une démonstration empirique aux conclusions des travaux qui font autorité sur le thème de l’hésitation vaccinale (Peretti-Watel et Verger, 2015 ; Raude, 2016). En effet, ces articles définissent de manière approfondie l’hésitation vaccinale. Par exemple, Peretti-Watel et Verger (2015) la considère comme « un processus de décision influencé par la confiance que les personnes placent dans les autorités de santé et la médecine classique et leur degré d’engagement dans le « santéisme » (propension à contrôler ses comportements de santé pour augmenter son espérance de vie, en utilisant les informations officielles sur la santé) ». Mais ces auteurs indiquent également que « cette notion est souvent utilisée pour qualifier une catégorie hétérogène de personnes avec des degrés et des motifs variés d’indécision relatifs aux vaccins. Cette hétérogénéité ne facilite pas cependant la recherche sur la compréhension de ces phénomènes ni la conception d’interventions pour y remédier ». L’examen de ces avis en ligne permet justement d’appréhender cette hétérogénéité d’opinion et de proposer des interventions pour remédier à l’hésitation vaccinale (propositions synthétisées dans le tableau 2).

43La grille d’analyse proposée à l’issue de ce travail permet de structurer cette hétérogénéité évoquée par Peretti-Watel et Verger (2015). Par exemple, « la confiance que les personnes placent dans les autorités de santé » est bien illustrée dans la zone ➊ de la grille (Figure 3) ; mais nos résultats indiquent qu’il faut distinguer la confiance envers les autorités sanitaires, de celle envers « la médecine classique » (zone ➋ qui témoigne de la proximité patients-professions de santé). Cette distinction ne transparait pas bien dans les conclusions de Peretti-Watel et Verger (2015) et il conviendrait donc de bien vérifier ce nouveau résultat en réalisant des entretiens individuels par exemple.

Figure 3

Lecture simplifiée de la grille

Figure 3

Lecture simplifiée de la grille

44De même, la « propension à contrôler ses comportements de santé » est bien représentée dans ces résultats (zone ➌) et semble effectivement liée au souhait d’augmenter (ou ici de préserver) son espérance de vie et d’utiliser les informations officielles sur la santé. Mais les résultats de cette recherche apportent d’autres précisions sur ce point : (a) les informations associées à cette notion de contrôle de la décision ne semblent pas provenir de sources officielles sur la santé (cf. les signes aluminium, toxique…) et (b) cette notion de contrôle semble d’autant plus saillante en situation de décision parent-enfant (est-ce un cas isolé de l’hésitation vaccinale ou cette situation de décision est fondamentale pour définir cette notion ?). Ainsi, les résultats de cette recherche permettront certainement de contribuer à l’éclaircissement des maux de la vaccination en France d’un point de vue théorique. Dans une approche davantage managériale, cette grille d’analyse présente l’avantage de cartographier les points forts (zone ➋) et les faiblesses (zone ➊) en identifiant des modalités d’actions (utilité des professionnels de santé de proximité pour promouvoir/réaliser les actes de vaccination dans la zone ➋ par exemple).

45Une lecture plus minutieuse de cette grille permet de comprendre que les unités identifiées sont hiérarchisées sur un continuum selon qu’elles dépendent de notions abstraites et pourtant identitaires (e.g. valeurs) ou de notions concrètes et plus facilement déchiffrables par les consommateurs (e.g. signes et figures). Ce travail montre ainsi par exemple que les éléments relatifs à la prise de décision de se faire vacciner (classe 3) ne sont pas directement associés aux conséquences attendues, ou encore aux objectifs même de cette décision (classe 2). D’un point de vue managérial, cette recherche montre donc que les actions de prévention sont plus souvent associées directement aux personnels de santé de proximité (pour lesquels on pourrait encourager le rôle d’ambassadeur) qu’aux autorités publiques ou aux fabricants. Les résultats montrent ainsi que les missions et le statut de l’ensemble des acteurs liés à la vaccination en France doivent être redéfinis ou plus clairement identifiés/valorisés, notamment autour de l’élaboration du parcours vaccinal.

46Enfin, cette grille d’analyse présente également l’avantage de pouvoir être employée comme un baromètre. Si une concertation citoyenne sur le thème de la vaccination était renouvelée dans 5 ans, une application du protocole détaillé en annexe 3 permettrait de déployer une approche longitudinale pour mieux comprendre l’évolution de la perception des maux de la vaccination en France (apparition de nouveau mots-clés, disparition d’autres, récurrences). Confronter ces résultats à une méta-analyse d’articles relatifs à la perception de la vaccination constituerait aussi une voie de recherche séduisante. La carte (Figure 2) produite dans ce travail pourrait être employée pour coordonner un agenda de recherche sur la vaccination. Et d’un point de vue méthodologique, le protocole d’étude développé dans cette recherche devrait permettre d’examiner des corpus de taille importante (big data) dans d’autres secteurs d’activité.


Annexes

Annexe 1 : Résumé des mots les plus significatifs de chaque classe issu du logiciel Alceste

figure im5

Annexe 2 : Dendrogramme

figure im6

Annexe 3 : Description simplifiée du protocole d’étude

47La grille d’analyse développée dans cette recherche permet d’appréhender un phénomène complexe, au sein d’une seule et même étude, et de manière structurée (la méthode présente les limites traditionnelles des approches interprétativistes). Cette méthodologie semble ainsi adaptée pour réaliser des diagnostics dans l’étude de phénomènes organisationnels complexes. Elle représente en soi un apport méthodologique relativement simple : nous encourageons tous les chercheurs et praticiens qui examinent des corpus de taille importante à :

  1. Préparer le corpus : comme expliqué dans les ouvrages méthodologiques, cela consiste à le dépolluer des observations aberrantes (faux avis…) ;
  2. Réaliser une classification via un logiciel d’analyse textuelle comme Alceste afin de réduire et structurer l’information. Puis analyser cette première série de résultats.
  3. Opérer à un nouvel examen de la littérature (en fonction de la première série de résultats, de la problématique et de la revue de littérature initiale) pour identifier un cadre d’analyse qui permette d’enrichir l’interprétation des résultats par de nouvelles analyses (non automatisées cette fois). Le choix du cadre d’analyse dans cette étude s’est porté sur les travaux de Fontanille (2008) mais il conviendra d’adopter le cadre adapté aux résultats générés dans l’étape 2 de cette procédure.

48Ce protocole n’est finalement qu’une extension des recommandations de Spiggle (1994). Il pourra être utilisé pour examiner d’autres situations (telles que harcèlement sur les réseaux sociaux, propagation de rumeurs, évaluation de e-reputation, mouvements sociaux) ou d’autres types de données, longitudinales par exemple (tels que rapport annuel dans le cadre de la RSE).

Bibliographie

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Notes

  • [1]
    Les individus qui prennent la décision de se faire vacciner ou de faire vacciner leurs proches.
  • [2]
    Ou faire vacciner leur(s) proche(s).
  • [3]
    Le périmètre de cette étude exclut les recherches relatives aux essais cliniques, celles qui traitent de la propagation de virus ou prévisions d’épidémies, d’efficacité thérapeutique, (…) qui relèvent davantage du champ médical que du management de la santé publique.
  • [4]
    Selon Morgan et Hunt (1994), « la confiance existe quand une partie croit en la fiabilité et à l’intégrité de l’autre partie à l’échange » (in Swaen et Chumpitaz, 2008).
  • [5]
    Pour une meilleure compréhension des éléments de la grille sémiotique, se référer à Fontanille (2008).
  • [6]
    Etant donné la nature interprétative de la projection/classification des mots-clés sur la grille d’analyse, cette opération a fait l’objet d’un triple codage.
  • [7]
    Sans aluminium, un vaccin serait inefficace puisqu’il joue un rôle de fixateur par exemple.
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