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Article de revue

Comment gérer les paradoxes des « ateliers putois » pour innover : le cas de l’automobile

Pages 77 à 98

Notes

  • [1]
    A skunkworks ne s’écrit pas au singulier en langue anglaise ; nous avons souhaité garder ce format orthographique dans le reste du texte.
  • [2]
    Steve Blank est un entrepreneur de la Silicon Valley connu pour ses propositions sur la méthode Lean Startup. Il enseigne l’entrepreneuriat à Stanford et Berkeley.
  • [3]
    Citation extraite du blog de Steve Blank dans son article « Why corporate skunk works need to die ». Accessible depuis l’adresse : https://steveblank.com/2014/11/11/why-corporate-skunkworks-need-to-die/
  • [4]
    L’expression « Skunk Works » (écrite comme telle) et son logo représentant une moufette nord-américaine sont maintenant des marques déposées de la Lockheed Martin Corporation.
  • [5]
    Kelly Johnson était l’ingénieur aéronautique en chef de l’entreprise Lockheed Martin, il était l’homme en charge du premier skunkworks (Article accessible depuis : https://www.lockheedmartin.com/en-us/who-we-are/business-areas/aeronautics/skunkworks/kelly-14-rules.html). On retrouve également les histoires du skunkworks de Kelly dans l’ouvrage de Rich, Ben R. et Janos, Leo (2013). Skunk Works : A Personal Memoir of My Years of Lockheed.
  • [6]
    Notre revue de la littérature sur les skunkworks a été effectuée à partir des bases de données de revues académiques en management (EBSCO, ScienceDirect et Cairn). Les termes « skunkworks » ou « Skunk works » ont été recherchés. 10 articles (in peer-reviewed scholarly journals) ont ainsi été identifiés dans International Journal of Project Management, le Journal of Management in Engineering, International Studies of Management and Organization, Journal of Economic Behavior and Organization. Nous avons complété cette liste à partir des bibliographies des auteurs qui mentionnaient également des chapitres d’ouvrages.
  • [7]
    L’article de Hemonnet-Goujot et al. (2016) détaille parfaitement ces deux méthodes. Le crowdsourcing correspond à une sollicitation de la foule pour participer à des projets innovants ; le design thinking consiste à recourir aux méthodes du design pour stimuler la créativité des innovateurs.
  • [8]
    Le lecteur pourra se reporter à l’ouvrage Le marketing de l’innovation (Le Nagard et al., 2015) pour connaître l’ensemble des pratiques marketing favorables à l’innovation ainsi qu’aux méta analyses de Henard et Szymanski (2001) ou Evanschitzky et al. (2012) pour comprendre les principaux thèmes et les résultats des études académiques marketing réalisées sur l’innovation.
    L’objet de cette recherche n’étant pas spécifiquement axé sur le marketing et l’innovation, nous n’avons pas cherché l’exhaustivité sur ce thème. Notre revue des recherches a été pour l’essentiel basée sur les articles des revues telles que le Journal of Product Innovation Management, Industrial Marketing Management, Décisions Marketing et Technovation à partir des mots-clés suivants : innovation or new product development process, innovation success/performance, innovation marketing.
  • [9]
    Le principe retenu fut que chaque freinage permettait de comprimer de l’azote dans un réservoir, la pression se relâchait en phase d’accélération et facilitait la propulsion.
  • [10]
    L’Argus du 12 janvier 2015, article écrit par Grégory Pelletier : « Fin de partie pour le système Hybrid Air ». Accessible depuis l’adresse : http://www.largus.fr/actualite-automobile/psa-fin-de-partie-pour-le-systeme-hybrid-air-5731386.html#ixzz4xw7gHgSy
  • [11]
    Dixit Norbert Reithofer. Propos reporté dans un article du The Globe and Mail, “The making of the i8: How BMW is revolutionizing urban mobility” (Octobre 2017).
  • [12]
    Entretien dans Automotive News mai 2013 : “Small BMW team rethought electric cars for huge cities”.
  • [13]
    Les Smart grids sont des réseaux d’électricité qui, grâce à des technologies informatiques, ajustent les flux d’électricité entre les fournisseurs d’énergie et les consommateurs. Pour les voitures électriques, les Smart grids permettent aux utilisateurs de charger leur véhicule à des bornes mais aussi de décharger dans le réseau électrique via les mêmes bornes, le trop plein d’énergie contenu dans leur batterie : l’opération se faisant moyennant une rémunération. Grâce aux smart grids, les batteries des voitures électriques deviennent des zones de stockage d’énergie.
  • [14]
    Cité par Gwynne (1997). Goldsmith a supervisé six skunkworks chez American Express.
  • [15]
    Citation traduite et extraite de l’article de Gwynne (1997).
  • [16]
    Gwynne (1997).
  • [17]
    Les départs des deux chefs de projet ont été longuement commentés dans la presse. Karim Mokkadem de PSA a intégré un fond d’investissement spécialisé sur les technologies nouvelles.
    Ulrich Kranz « voulait travailler dans une entreprise 100 % tournée vers l’avenir, et pas juste lancer un autre modèle électrique ». Il a pris la direction de Faraday une start-up automobile très innovante, spécialisée dans le haut de gamme électrique en concurrence frontale avec Tesla (http://www.aaqius.com/site/wp-content/uploads/2015/03/Press-Release-Karim-Mokaddem-Appointment_vMFLvKM.pdf).

1Déjà dans l’éditorial du numéro 48 de Décisions Marketing, Emmanuelle Le Nagard (2007 : 5) questionnait le « miracle de l’innovation » ; elle rappelait les conditions spécifiques de motivation pour « déclencher l’étincelle créatrice » et le rôle nécessaire des parties prenantes (clients, collaborateurs de l’entreprise, partenaires externes). Deux ans plus tard, Barczak et al. (2009) observaient dans leur étude sur les conditions favorables à l’innovation que seulement 14 % des nouveaux produits connaissaient un succès commercial, rappelant ainsi la difficulté à innover.

2Depuis, la recherche en marketing sur les déterminants de l’innovation à succès s’est considérablement enrichie. Les travaux les plus récents portent notamment sur les sources de la créativité au sein des équipes (Dampérat et al., 2016), les comportements entrepreneuriaux des dirigeants (Liu et al., 2017), la fertilisation croisée de connaissances complémentaires (Andersen et Kragh, 2013), l’action jointe entre les fonctions R&D et marketing (Grimpe et al., 2017) ou l’évolution des capacités dynamiques d’innovation (Tuzovic et al., 2018). Ces résultats renforcent ceux déjà identifiés dans des méta analyses de la littérature sur le succès des produits innovants (Henard et Szymanski, 2001 ; Evanschitzky et al., 2012). Il ressort également de ces synthèses que l’orientation marché de l’entreprise et sa juste gestion des ressources humaines dédiées aux projets d’innovation influencent très positivement le succès des nouveaux produits. En revanche, l’effet des structures internes sur la réussite des innovations est moins marquant, voir non significatif, au regard des résultats de Evanschitzky et al. (2012).

3Cette dernière observation nous interpelle car les entreprises consacrent beaucoup de temps et d’efforts dans l’organisation de structures a priori favorables au développement de leurs innovations. Et, parmi ces structures, il en existe une qui mérite une attention particulière tant elle fait l’objet de controverses sur son efficacité : l’atelier putois ou skunkworks[1]. Un skunkworks est une structure projet développée par un petit groupe de personnes pour produire, dans l’urgence, des innovations radicales. Il se caractérise par trois éléments : le secret absolu, son autonomie totale par rapport à l’organisation centrale de l’entreprise, et la protection directe de la seule direction générale.

4Vantés dans les années 1990 par les chercheurs (e.g., Gwynne, 1997 ; Spurgeon, 1996) et adoptés dans beaucoup d’organisations en quête du miracle de l’innovation (Tableau 1), les skunkworks sont aujourd’hui critiqués par certains spécialistes des organisations innovantes. C’est le cas par exemple de Steve Blank [2] qui prétend que « au milieu du XXIe siècle, les seules compagnies ayant des skunkworks seront celles qui n’auront pas maîtrisé l’innovation continue. Les skunkworks seront les indicateurs des entreprises qui seront laissées pour compte » [3]. De même le chercheur Terrence Brown se demande si les skunkworks sont vraiment les signes d’un échec ou d’un espoir (Brown, 2004). Malheureusement, le caractère secret des skunkworks empêche les chercheurs de les approcher et de comprendre les sources de leurs évaluations contradictoires à propos de leur efficacité (Bommer et al., 2002).

5Notre objectif est d’enrichir nos connaissances sur les skunkworks en apportant de nouveaux arguments sur les conditions de leur réussite en éclairant tout particulièrement le rôle du marketing. Pour atteindre cet objectif, nous avons analysé deux cas de skunkworks chez Peugeot Citroën et BMW. Leur analyse révèle les effets de trois paradoxes liés à leurs caractéristiques originelles (secret, autonomie et protection directe de la direction générale). Nous proposons alors deux pistes de recommandations managériales donnant à la fonction marketing un rôle structurant du succès des skunkworks. L’une renvoie à l’inclusion systématique de la fonction marketing dès les premières phases de travail pour garantir l’orientation marché et préparer la possible commercialisation des innovations réalisées par le skunkworks. L’autre appelle aux compétences de la fonction marketing pour créer les conditions favorables à l’intégration des bénéfices du skunkworks dans l’organisation centrale.

6Cette recherche offre donc des contributions opérationnelles pour les praticiens marketing, amenés à travailler au sein de skunkworks, mais aussi pour les managers qui doivent organiser et piloter de telles structures d’innovations. Elle vient enrichir les contributions académiques sur les skunkworks qui, longtemps réservés aux projets militaires ultra secrets, ne pouvaient être facilement, analysés par les chercheurs. Enfin, notre recherche complète le corpus de travaux académiques sur le rôle du marketing dans l’innovation en offrant une étude qualitative approfondie sur une forme organisationnelle extrême peu connue et dédiée à l’innovation.

7Après une revue de la littérature sur les skunkworks et les possibles rôles du marketing dans leur réussite, nous présentons les cas « Hybrid Air » et « Project i ». Nous y détaillons leur contexte initial ainsi que les éléments marquant leur déroulé. La dernière partie de l’article ouvre la discussion sur la nécessaire gestion des paradoxes des skunkworks pour innover et propose des recommandations d’action pour la pratique marketing.

Revue de la littérature

Les skunkworks comme vecteurs d’innovations

8Déployée dans les plus grandes entreprises high tech comme dans celles des industries matures (Tableau 1), l’organisation skunkworks a été explorée la première fois dans le monde industriel contemporain au printemps de 1943 par l’entreprise Lockheed Martin. Alors que l’armée allemande travaillait sur une technologie de pointe pour un avion à réaction, le constructeur américain releva le défi technologique et construisit en seulement 143 jours (7 jours de moins que la date fixée pour le projet) le premier Jet XP-80 capable de dépasser 800 km/h. Le top management de Lockheed Martin qui commandita le projet nomma une équipe d’ingénieurs qu’il localisa dans une tente de cirque sur un terrain à proximité d’une usine de plastiques éloignée de l’organisation centrale. Par référence à l’odeur qui imprégnait la tente et à l’exclusion des collaborateurs confinés au plus grand secret, le projet s’est appelé « Skunk Works » [4]. Inspirés par le succès de Lockheed d’autres entreprises ont fait du skunkworks leur tremplin pour l’innovation.

Tableau 1

Exemples d’entreprises déclarant avoir développé des projets skunkworks

SecteurOrganisations pratiquant les skunkworks (nom de l’entreprise)
Technologies de l’information et de la communicationGoogle X Lab (Google), Design Lab de McIntosh (Apple), Lab 126 et Lab A9 (Amazon), HP Labs (Hewlett Packard), PARC (Xerox), Thomas Watson Research Center (IBM)
Défense/AviationSkunk Works (Lockheed Martin), Phantom Works (Boeing), Bootlegging (General Electric), Bike Shop (Raytheon), Laboratories (Malaysian Airlines)
Biens de consommation et biens industrielsInnovation Kitchen (Nike), Sports Research Lab (Nike’s Innovation Kitchen), Scrounging (3M), Razr (Motorola), Advanced Institute of Technology (Samsung), Experimental Station (DuPont), Labs (Walmart), Innovation Lab (Nordstrom)
AutomobileSpecial Vehicle Lab (Ford), Silicon Valley Lab (Ford), Quattro GmbH (Audi), Hy-Light Fuel Cell Car (Michelin)

Exemples d’entreprises déclarant avoir développé des projets skunkworks

9Chez Lockheed Martin, Kelly Johnson caractérise les skunkworks par trois mantra (rapidité, silence, qualité) et quatorze règles spécifiques aux projets aéronautiques militaires [5]. S’il n’existe pas de définition unique des skunkworks on trouve dans la littérature académique des caractéristiques plus ou moins détaillées [6]. On retiendra de Gwynne (1997) la constitution de petits groupes de scientifiques, d’ingénieurs et d’autres membres du personnel pour innover et tenter de commercialiser les solutions trouvées à partir de projets secrets non intégrés dans l’organisation centrale. Single et Spurgeon (1996) ajoutent une méthode spécifique de gestion du processus d’innovation, caractérisée par une utilisation extrêmement efficace du temps. Rogers (2003) précise que l’équipe, composée des individus les plus compétents, est externalisée des contraintes et des procédures organisationnelles, dotée de ressources propres et gardée dans le plus grand secret. Enfin, Brown (2004) ajoute à la description précédente l’idée d’un travail sous la pression du temps ; il insiste également sur le soutien de la direction générale et la nature du secret. De ces propositions, nous retiendrons trois éléments distinguant les skunkworks des structures classiques de R&D : leur secret absolu vis-à-vis de l’externe comme de l’interne, une autonomie totale de la structure par rapport à l’organisation centrale et la protection directe de la seule direction générale qui pose une contrainte extrême sur le temps.

10Du fait de leur caractère secret, les skunkworks sont peu étudiés par les chercheurs (Lenfle, 2014). Par ailleurs, lorsque les entreprises ouvrent leurs données, c’est généralement lorsqu’elles sont satisfaites de leurs résultats ; ce qui conduit à survaloriser les avantages de ces structures particulières (Tableau 2).

Tableau 2

Résultats et conclusions des études les plus abouties sur les skunkworks

AuteursPrincipaux avantagesPrincipales conditions de réussite
Single & Spurgeon (1996)Etude de cas chez Ford
  • Unique manière pour rapidement lier les technologies existantes avec les besoins des consommateurs et donc d’améliorer les produits.
  • Permet de combiner les phases de création et de commercialisation car les membres du projet sont dotés de compétences d’ingénierie, ce qui facilite le lien entre la création de concepts et la faisabilité industrielle.
  • Un soutien indéfectible du management le plus haut placé dans la hiérarchie.
  • L’acceptation d’un fonctionnement sans contrainte différent de celui pratiqué dans l’organisation centrale.
  • Une prise en compte des données clients/marchés dès la phase amont du projet
Gwynne (1997)Analyse qualitative sur des grandes entreprises du Fortune 200
  • Aident les grandes entreprises à résister à la concurrence des entreprises de plus petite taille et plus agiles.
  • Une culture d’entreprise capable d’accepter que l’organisation soutienne en son sein une entité de « contre-culture ».
  • Au moins un dirigeant haut placé doit soutenir le skunkworks et pouvoir isoler ses membres des pratiques habituelles de l’organisation.
  • Le management doit définir une stratégie de commercialisation des offres issues du skunkworks.
Bommer, DeLaPorte, & Higgins (2002)Etude de 3 skunkworks au sein d’une grande entreprise classée dans le Fortune 500
  • Les skunkworks permettent de réduire les délais et les coûts.
  • Une formulation claire de la mission donnée aux projets.
  • Une analyse critique des besoins des consommateurs.
  • L’identification des recoupements entre les skunkworks.
  • L’implication rapide des fournisseurs au sein des projets.
  • L’engagement total des équipes.
  • L’autorisation formelle de « casser les règles ».
Fosfuri & Rønde (2009)Modélisation à partir d’un cas d’entreprise
  • En isolant la R&D du reste de l’organisation, le skunkworks réduit les tensions entre la R&D/Production et gomme la myopie des apprentissages organisationnels. C’est un facilitateur d’innovation radicale.
  • Une structure autonome.
  • La liberté d’échapper aux lignes de pensée établies.

Résultats et conclusions des études les plus abouties sur les skunkworks

Les phrases en caractère gras mettent en évidence les conditions de réussite relevant du marketing.

11Les sources de défaillance et les mesures d’échecs des skunkworks sont peu traitées dans la littérature académique. Nous retiendrons cependant que Brown (2004) doute de leur efficacité en insistant sur les problèmes de réintégration des innovations produites au sein des activités ou des produits existants de l’organisation centrale. Il mentionne également, les probables conséquences à long terme du traitement préférentiel accordé aux quelques élus des skunkworks ; traitement qui ne pouvait être offert aux autres collaborateurs de l’organisation. De son côté, Brown (2007) prétend que l’isolement de la structure permet aux gestionnaires de l’organisation centrale d’ignorer les idées nouvelles qui émergent d’un skunkworks lorsque celles-ci ne leur conviennent pas ou menaceraient leurs activités habituelles. En outre, ces mêmes gestionnaires pourraient considérer le skunkworks comme la seule partie innovante de l’organisation et donc se contenter d’exploiter leurs routines quotidiennes suivant la méthode du « business as usual ». Ces critiques sont relayées par ceux qui comme Steve Blank pensent que le skunkworks est synonyme d’innovation par exception alors que pour survivre, les entreprises ont besoin de recourir à des méthodes de création d’innovations continues et ouvertes telles que le crowdsourcing ou le design thinking[7] (Hemonnet-Goujot et al., 2016).

Les rôles du marketing dans les skunkworks

12Le tableau 2 révèle des dimensions propres au marketing parmi les principales conditions de réussite des skunkworks (e.g. prise en compte des données clients/marché ; commercialisation des offres issues des skunkworks ; analyse critique des besoins des consommateurs). Pourtant, les auteurs des études mentionnées ne développent pas particulièrement de recommandations pour les responsables marketing et nous n’avons pas recensé d’études spécifiques sur le rôle du marketing dans les skunkworks ; quand bien même il existe une importante littérature en marketing sur les processus d’innovation, le développement des nouveaux produits/services ou le marketing de l’innovation [8]. Nous choisissons donc d’éclairer ici quelques contributions significatives sur les rôles du marketing dans le développement de nouveaux produits et plus largement, les facteurs d’influence du marketing dans les organisations.

13L’étude de Drechsler et al. (2013) constate une faible capacité des départements marketing à influencer les décisions d’innovations. Les auteurs recommandent d’augmenter le niveau des compétences techniques des équipes marketing et d’améliorer les méthodes d’interactions avec les consommateurs pour traduire leurs besoins dans les spécifications des innovations sorties des bureaux de R&D. La question des compétences est également au cœur de l’étude de Verhoef et Leeflang (2009) qui montrent que l’innovativité du département marketing, sa responsabilité (accountability) et ses connexions avec les clients sont les clés de son influence dans l’organisation, dans la réussite de l’orientation marché et finalement dans la performance globale. Les auteurs plaident en faveur d’un département marketing qui ne se cantonne pas à des missions opérationnelles de communication, de placement de produits ou de définition des prix mais à un engagement organisationnel plus large, au-delà de sa zone de confort structurelle (Salerno et al., 2013). Dans ce cadre, le marketing en tant que pivot d’une stratégie orientée marché doit trouver sa place au sein de structures d’innovations radicales à côté des ingénieurs et autres managers de projets.

14En résumé, l’engouement des skunkworks dans les grandes organisations innovantes et les arguments théoriques en leur faveur conduisent à valider leurs attraits pour gagner le miracle de l’innovation. Toutefois, ces formes organisationnelles se caractérisant avant tout par le secret, l’autonomie et le seul contrôle de la direction générale, sont aussi vues comme le signe des entreprises qui ne peuvent retenir, intégrer et valoriser les connaissances produites dans le cadre du skunkworks et d’exploiter l’innovation sur le marché. Il est alors intéressant de s’interroger sur les rôles des collaborateurs des départements marketing au sein des skunkworks. Les recherches sur le marketing et l’innovation présentent les départements marketing comme les facilitateurs de la mise en œuvre des stratégies basées sur le développement des innovations grâce aux compétences techniques des collaborateurs en analyses des marchés et des comportements des consommateurs (Drechsler et al., 2013 ; Verhoef et Leeflang, 2009. Ce faisant, le marketing peut aider les skunkworks à lever les barrières à l’acceptation de leurs nouvelles offres.

15Toutefois, le fonctionnement de ces formes organisationnelles spécifiques n’étant pas encore bien détaillé dans la littérature, il nous a semblé pertinent d’étudier deux cas de skunkworks pour ensuite élaborer des recommandations sur la place du marketing en leur sein. La section suivante présente ces cas. Nous y décrivons les motivations, le contexte et leur déroulé.

Deux cas de skunkworks pour innover dans l’automobile

16Le contexte empirique des cas étudiés est celui de la rupture technologique de l’électrification des automobiles et l’avènement de l’électromobilité (Donada, 2014 ; Von Pechmann et al., 2016). Les nouvelles contraintes écologiques et énergétiques imposées aux industriels par les pouvoirs publics à horizon 2020 conduisent les constructeurs à innover radicalement en changeant les modes de combustion des voitures et plus globalement leurs offres de mobilité. C’est dans ce cadre que Peugeot Citroën et BMW ont établi des skunkworks. Leurs expériences sont analysées dans cette étude avec le skunkworks « Hybrid Air » de Peugeot Citroën et celui de BMW appelé « Project i ».

Hybrid Air, un succès d’exploration

17Le 22 janvier 2013, jour de la « journée de l’innovation » du centre R&D de Peugeot Citroën à Vélizy, une centaine de journalistes, décideurs politiques, investisseurs, partenaires économiques et industriels du constructeur automobile étaient réunis pour découvrir les innovations de l’année. Parmi les technologies présentées, figurait un nouveau type de chaîne de traction hybride appelé Hybrid Air : une technologie innovante mariant l’essence et l’air comprimé. Dans la presse spécialisée du lendemain, les journalistes écrivaient que le constructeur français venait de trouver une « innovation révolutionnaire » et les experts du secteur confirmaient. En janvier 2015, deux ans après la révélation, et un an avant la commercialisation programmée de la première voiture Hybrid Air, la même presse annonçait la fin de l’aventure.

Le contexte

18L’origine du skunkworks commence en 2010 lorsque Peugeot Citroën était le leader européen des technologies hybrides. Le constructeur disposait de ressources et compétences compétitives sur l’hybridation mais le directeur de la R&D voulait explorer de nouvelles options techniques et développer une nouvelle chaîne de traction. Or, « …une nouvelle chaîne de traction, c’est plus de 4 ans de développement. C’est donc maintenant que cela se joue pour 2020 [ingénieur méthodes de l’organisation centrale] ». Toutefois, le constructeur français était en plein marasme économique depuis la crise de 2008. Il ne trouvait plus les volumes nécessaires pour rentabiliser ses modèles urbains et subissait de plein fouet la concurrence allemande sur les grosses cylindrées seules contributrices de marges. Le patron de la division « moteurs et transmissions du futur », Karim Mokkadem, se vit alors confier la mission de réfléchir sur un véhicule urbain, compatible avec les futures réglementations, rentable, totalement innovant et en rupture avec les projets connus des autres constructeurs sur le véhicule électrique : « Nous avions déjà beaucoup brainstormé sur l’hybridation, mais pas de manière totalement débridée. Pour créer la rupture, il fallait être capable de “think out of the box”, et ne pas recommencer ce que les autres avaient fait [ingénieur R&D] ». Les ingénieurs de l’équipe proposèrent de remplacer l’hybridation électrique coûteuse (du fait du prix des batteries) par un système de propulsion sans CO2[9] et le projet fut présenté devant le Comité d’Innovation de l’entreprise. À l’issue de la présentation, la proposition fut jugée prometteuse par le Président qui soutint le projet contre l’avis d’autres membres du comité, à l’exception du directeur de la R&D : « Je crois au projet et je veux donner le temps aux équipes de le réaliser, le temps de répondre à toutes les questions qui ne manqueront pas d’arriver ». Ce dernier ordonna cependant de garder le secret et de travailler en skunkworks. Jamais l’entreprise n’avait expérimenté cette pratique du secret absolu pour une innovation indépendante du style. Un collaborateur ingénieur nous dira : « Je, nous, ne savions pas ce voulait dire skunk. Je suis allé voir sur internet et j’ai appris que c’était un mot anglais qui signifiait putois. J’ai aussi vu que Skunk works est le nom du département de R&D de Lockheed Martin depuis la Seconde guerre ».

Encadré 1 : Méthodologie des études de cas

Compte tenu des propositions théoriques contradictoires sur les bienfaits des skunkworks pour innover et des preuves empiriques limitées du fait de la nature secrète de ces « ateliers putois », nous ne pouvions mobiliser qu’une approche qualitative exploratoire de type « théorie enracinée » (Glaser, 2001). Suivant les recommandations de Yin (2013) nous avons méthodiquement analysé les données empiriques des deux cas. Moins mobilisée en marketing qu’en management, cette approche par les cas permet d’explorer les phénomènes organisationnels dans leur propre contexte et d’obtenir des informations détaillées sur des problèmes managériaux spécifiques.
En complément des sources secondaires aujourd’hui disponibles sur ces cas, nous avons bénéficié d’un accès direct aux collaborateurs des entreprises concernées. Les données des cas ont donc été récoltées et triangulées à partir de sources primaires et secondaires. Les sources primaires sont des retranscriptions d’entretiens individuels semi directifs d’une heure environ [a] auprès de responsables et collaborateurs associés aux équipes skunkworks : 5 managers ou collaborateurs (ingénieurs et techniciens R&D) impliqués à 100% dans les skunkworks, 5 collaborateurs appartenant à l’organisation centrale (managers R&D, ingénieur méthodes, chefs de projets), 1 collaborateur ingénieur d’un partenaire externe impliqué dans le projet de PSA et 1 chercheur externe directement associé au projet BMW sur les phases expérimentales. Il est à noter que le relatif faible nombre de répondants doit être mis au regard de la petite taille des équipes sur les projets (10 personnes chez PSA et 8 chez BMW au démarrage, une petite centaine lors de leur phase de maturité pour BMWi). Les données primaires sont également issues d’enregistrements (son et/ou vidéo) des chefs de projets ou de leurs collaborateurs directs, captés lors de séminaires de recherche, de conférences d’experts du secteur automobile, de cours au sein d’écoles d’ingénieurs et de commerce. Les sources secondaires sont extraites des rapports d’entreprise, d’articles de presse, de commentaires de bloggeurs et spécialistes de l’automobile [b] et de l’innovation, de vidéo des services de communication des entreprises présentant les résultats de leurs projets. Pour BMW, des études de cas existantes et des documents de recherche sur la firme ont également été consultés. Les informations couvrent la période 2010-2015 pour le projet « Hybrid Air » de Peugeot Citroën et 2005-2017 pour le projet « i » de BMW. Toutes ces informations ont été regroupées dans un tableur pour être analysées et codées séparément par les deux chercheurs. L’analyse et le codage n’ont pas été réalisés sous l’assistance d’un logiciel mais « à la main » par les chercheurs.
Les skunkworks étant définis par les caractéristiques de secret, d’autonomie totale par rapport à l’organisation centrale et par la protection directe de la direction générale (e.g., Gwynne, 1997 ; Spurgeon, 1996), les données des cas ont été regroupées selon ces catégories. Par ailleurs, les éléments contextuels aux projets, les modalités de fonctionnement (avec mise en évidence des difficultés et des facilités) ont constitué des catégories à part. Enfin, nous avons recherché les éléments représentatifs de la performance d’innovation des skunkworks (mise sur le marché de l’innovation produite, intégration des nouvelles connaissances). Sur ces bases, nous avons relevé dans l’ensemble des données les éléments empiriques associés aux catégories. Une mise en commun des analyses a été validée par un troisième chercheur, indépendant et non connaisseur fin des cas, de manière à contrôler des éventuels biais de subjectivité. Une seule divergence de classement d’information entre les codeurs a été relevée à propos d’un verbatim illustrant à la fois le rôle du secret et la grande autonomie de la structure vis-à-vis de Direction générale. Cet écart de codage est tout à fait marginal et sans incidence sur l’analyse des données.

Le déroulé

19Il fut donc décidé que le projet soit physiquement éloigné des centres de décision et situé à une trentaine de kilomètres du siège et de la direction de la R&D. La contrainte de temps imposée au projet fut « à la limite du possible [manager Hybrid Air]». Enfin, la rupture technologique étant identifiée, l’équipe ne cherchait plus des idées « en dehors des sentiers battus », mais des développeurs. Aucun collaborateur du marketing de PSA ne fut embauché sur le projet mais la Direction permit aux « putois » de « débaucher les meilleurs ingénieurs [manager Hybrid Air] » en exigeant que les directeurs de l’organisation centrale mettent à disposition des compétences, peu importe que cela gêna leurs activités habituelles. Il fallut cependant convaincre les collaborateurs de changer de poste sans pouvoir leur expliquer le projet pour lequel ils travailleraient. Le recrutement se faisait uniquement sur « la confiance mutuelle et la conviction de participer à un projet ambitieux [collaborateur du projet en charge de son organisation] ». Un esprit start-up se mit en place avec un management agile, une liberté d’organisation totale et selon un collaborateur du projet, ce fut « une agrégation de bonnes volontés qui permis de déplacer des montagnes » malgré le rythme intense de travail. Les outils de gestion bureaucratiques en vigueur chez le constructeur furent immédiatement abandonnés au profit d’un auto contrôle complet et d’un reporting léger limité au seul directeur de la R&D : « Les décisions étaient prises en local, au niveau de chaque sous-équipe… Les processus décisionnels étaient immédiats. Dans un projet normal, il faut toujours remonter la ligne des chefs successifs et cela rallonge les délais. Une AUTONOMIE décisionnelle comme ça dans un grand groupe comme PSA, ça n’arrive qu’une fois dans votre carrière ! [manager de projet] ». Cette autonomie était telle que le chef de projet pouvait aller chercher des compétences externes additionnelles sans avoir à passer par les circuits décisionnels habituels de sélection des partenaires. C’est ainsi que des collaborateurs de fournisseurs comme Bosch, Faurecia ou Plastic Ominum ont été impliqués dans Hybrid Air. Leur seule contrainte était de respecter scrupuleusement le secret.

20L’isolement de l’équipe donnait aux collaborateurs du skunkworks « l’impression d’avancer sans le monde [collaborateur externe] ». Ils se ressentaient comme des privilégiés, identifiant positivement les signaux faibles en provenance de l’organisation centrale : « Il y avait une envie externe, les gens nous en voulaient de ne pas les avoir pris, c’était sentimental. Ça nous faisait plaisir de savoir que beaucoup de personnes voulaient travailler avec nous car nous étions directement en relation avec le directeur R&D. Chacun par son réseau en interne de collègues essayait de savoir ce qui se passait mais on s’amusait à brouiller les pistes. Les gens non impliqués dans le projet étaient impressionnés car dans le climat de morosité que l’entreprise vivait, notre projet apparaissait comme un diamant [manager de projet] ». Pourtant, cet isolement a créé des distorsions de perception et le retour dans l’organisation centrale des collaborateurs d’Hybrid Air fut difficile. Reprendre le « business as usal » avec ses procédures bureaucratiques, ses hiérarchies décisionnelles et ses contraintes de reporting était mal vécu par les anciens « putois ». Par ailleurs, les collaborateurs jaloux de ne pas avoir sélectionnés dans le projet n’étaient pas toujours enclins à accueillir leurs anciens collègues : « il y avait un air de rira bien qui rira le dernier ! [collaborateur organisation centrale] ».

21Le skunkworks pris fin lorsque l’innovation fut révélée. Cette étape marquait le retour d’Hybrid Air dans l’organisation classique du constructeur qui devait désormais étudier très précisément le coût additionnel du module Hybrid Air avant de le développer. Evalué à quelques 2 000 € le directeur de la marque Peugeot jugea impossible de le rentabiliser à moins de 500 000 voitures. Sachant que le constructeur produisait moins de 2 millions de voitures par an, le nouveau PDG Carlos Tavares enterra l’exploitation de l’innovation début 2015 lors de la présentation de sa nouvelle stratégie de redressement de l’entreprise. A cette annonce, la presse spécialisée commentait : « Ingénieux, en totale rupture… la technologie Hybrid Air est un projet d’innovation qui est arrivé à la fin de son développement. D’ailleurs depuis l’automne dernier, les ingénieurs ne sont plus en rang serré et se sont dispersés sur d’autres projets. De prime abord, nous pouvons blâmer le groupe français pour son manque d’audace. Mais alors que Carlos Tavares tente de redresser la barre, et que le groupe continue de dégraisser ses effectifs, le capitaine peut-il se permettre de prendre des risques financiers ? » [10].

Les skunkworks « i » de BMW

Le contexte

22Au début des années 2000, BMW travaillait sur une gamme de voitures hybrides. Le développement était assez lent et les premiers modèles proposés ne trouvaient pas le marché attendu. Sentant aussi la pression exercée par le nouveau règlement européen sur les émissions de CO2 et le besoin d’innovations pour maintenir les parts de marché dans l’industrie, le constructeur allemand voulait remettre à plat sa stratégie de produits vers les voitures électriques. Ne « voulant pas être le prochain Kodak… et mourir avec le meilleur produit dans un segment que personne ne cherche » [11], le Président du conseil de surveillance de BMW, Norbert Reithofer, se penchait sur une offre disruptive de mobilité durable pour des clients urbains. Il exigea la création d’un groupe de réflexion interne de type skunkworks pour « repartir de zéro » sur des nouveaux concepts, matériaux et composants. Il est ici important de préciser qu’à la même période, l’organisation centrale travaillait déjà sur des innovations, Active Hybrid et iPerformance, destinées à greffer des moteurs électriques sur des voitures à essence pour créer des gammes de voitures hybrides très performantes. Mais, la feuille de route que proposait le dirigeant était beaucoup plus large ; il voulait « créer une vision ambitieuse pour l’avenir de BMW [un ingénieur R&D de l’organisation centrale] » et donna l’ordre à Ulrich Kranz, d’identifier les ingénieurs les plus expérimentés du groupe pour composer un « atelier putois ».

23La direction générale exigea de localiser l’équipe dans une structure autonome et indépendante de l’organisation centrale. Cette décision ne fut pas une surprise en interne car BMW pratiquait les skunkworks depuis bien longtemps. Déjà en 1972, le constructeur avait créé le skunkworks « BMW M », pour accélérer l’innovation sur ces voitures de course. De cette structure étaient sorties les célèbres soupapes six cylindres et les systèmes de freinage avec antiblocage, des innovations majeures qui furent par la suite intégrées dans les véhicules grand public et qui différencièrent longtemps les modèles BMW de ceux de la concurrence. Quelques années plus tard en 1985, un autre skunkworks, le « BMW Technik », rassemblait une équipe des 60 ingénieurs les plus prometteurs de l’entreprise pour imaginer la première voiture à deux portes de la gamme. Comprenant l’avantage de ce mode d’organisation, le constructeur a ensuite créé une usine complète en skunkworks, « plant zero », pour explorer des sources d’innovations sur les modes de production et d’assemblage des véhicules. Fort de sa maîtrise des skunkworks et convaincu de leur efficacité, « pour avoir de l’innovation radicale et vraiment faire des choses nouvelles sans être influencé par ce qui est déjà là [Dixit S. Ellgas le Senior Advanced Technology Engineer pour BMWi] », le skunkworks, « Projet i », est lancé en 2007 pour développer « la voiture électrique la plus innovante et futuriste ».

Le déroulé

24A ses débuts, « Projet i » regroupait 7 personnes (un designer ; un architecte de véhicule ; un acheteur ; trois autres spécialistes de la production, du marketing et de la finance ; puis une personne en charge de l’exécution de toute l’organisation) dirigées par Ulrich Kranz qui était sous la responsabilité directe du PDG, comme en témoigne le nom de code associé au skunkworks : « Initialement, le projet i portait le code AI. Le A signifiait qu’il était porté par le numéro un de l’entreprise, le PDG. Ainsi, le chef du Projet i relevait directement de Norbert Reithofer et non pas au département R&D traditionnel. Le i signifiait qu’il s’agissait d’explorer un éventail d’innovations qui auraient pu être occultées et refusées par la R&D centrale ». L’équipe était située dans la banlieue de Munich loin du siège mais au sein de la BMW Research and Technology House, une structure d’innovation accueillant des projets universitaires et des start-up. Pour créer le lieu du projet, « j’avais improvisé un style de bureaux à la Silicon Valley… Aucun d’entre nous n’avait vu Palo Alto mais nous avons créé des espaces de réunion, des bureaux ou chacun venait avec son propre ordinateur… c’était tout nouveau pour nous [ingénieur du BMW i ChargeForward pilot program] ». La direction générale facilita le transfert des collaborateurs vers le skunkworks et Kranz « eu la liberté de monter une équipe comme [il] je le voulais ». Toutefois, il y avait interdiction de recourir à des compétences externes additionnelles, du moins sur les premières phases du projet. La base de connaissances mise à disposition Projet i était donc la même que celle de l’organisation principale mais le débridage des pratiques a permis d’explorer en toute liberté : « c’est l’un des aspects les plus marquants du projet ; au début, il n’y avait pas idées préconçues sur la solution ou de pratiques à appliquer. Il y avait simplement des questions à considérer [ingénieur R&D] ». Autre aspect organisationnel important, le reporting des résultats ne devait passer ni par la R&D centrale ni par les divisions associées aux lignes de produits. Les silos métiers et produits étaient ainsi entièrement éliminés et les méthodes de management étaient officiellement agiles. Le management agile n’était pas une nouveauté chez BMW du fait de son expérience en skunkworks mais ce qui changeait avec Projet i c’était la volonté de tester à grande échelle les innovations au fur et à mesure de leur conception.

25Dès 2008, la démarche choisie était explorative, technologique et marketing : « Nous nous sommes demandés à quoi l’avenir pourrait ressembler et nous sommes allés dans 20 grandes villes du monde entier pour rencontrer des gens qui disaient être sensibles à la recherche d’un mode de vie plus durable. Une partie de l’équipe a même vécu avec ces personnes, dans leurs maisons, pendant quelques jours. Nous nous sommes déplacés avec elles jusqu’à leur travail et voyagé dans leur voiture. Nous avons aussi interrogé des maires et des urbanistes car nous voulions connaître toutes les exigences concernant l’avenir [ingénieur R&D] ». Cette démarche fut complétée par des expérimentations ouvrant les voies d’une éventuelle exploitation : « on a pris une Mini normale, on a modifié le coffre, retiré les sièges et posé sur le plancher un tas de cellules de batteries de portables. Du coup, la voiture pouvait avoir une autonomie de 160 km (100 miles) par charge, ce qui est d’ailleurs devenue la norme pour les premiers modèles officiels qui ont suivi (BMW i3) [ingénieur du BMW i] ». En 2009, plus de 500 Mini transformées réparties dans plusieurs mégalopoles à travers le monde (Los Angeles, New York, Paris, Berlin et Pékin) ont été mises à disposition d’automobilistes pour tester leur acceptation générale ainsi que des points technologiques et marketing très précis comme par exemple ceux liés aux difficultés de facturation de recharge électrique aux bornes : « Nous donnions un véhicule aux gens pour les habituer à conduire une voiture électrique et nous recueillions des données. Cela nous a permis de répondre à toutes les questions que tout le monde se posait à l’époque mais auxquelles personne ne pouvait répondre. C’est ainsi qu’on a pu voir les besoins réels d’autonomie, les problèmes d’absence de bruit, les procédures de chargement [Dixit Ulrich Kranz, Chef du Projet i [12]] ». Le nombre de collaborateurs dans l’équipe projet augmentait et des spécialistes du marketing étaient recrutés pour analyser les besoins et les comportements des utilisateurs. Après la validation de certains résultats le projet s’est ouvert à des collaborations externes et notamment avec des laboratoires universitaires pour modéliser les systèmes de tarification des recharges intelligentes dans les Smart grids[13].

26Au-delà des apprentissages sur les comportements des consommateurs et les enjeux marketing, deux innovations technologiques majeures sont nées du skunkwork. La première concerne l’architecture même du véhicule autour d’un concept baptisé « LifeDrive ». « Le problème des batteries est qu’elles sont très lourdes or, une voiture lourde dépense beaucoup d’énergie. Il nous fallait donc trouver de nouveaux matériaux, légers tout en restant robustes [manager de projet] ». L’idée vient alors aux ingénieurs de faire tout l’habitacle (le lieu de vie nommé « Life ») de leur véhicule en fibre carbone. S’est posé également un problème de châssis de la voiture et la démarche d’innovation a permis de créer un module en aluminium capable de supporter la structure mécanique du véhicule et les batteries (le Drive). « Les architectures LifeDrive de tous les nouveaux modèles électriques sont grâce à nous [ingénieur structure] ». La seconde innovation produite par les « putois » est en 2011 la technologie « eDrive » qui permet la récupération d’énergie lors des phases de freinage ou de décélération. Cette technologie sera reprise sur les modèles de la gamme électrique ou hybride de BMW et sera mise en avant comme facteur différenciant.

27Il est à noter qu’au fur et à mesure que le projet prenait de l’ampleur, l’équipe des putois dialoguait davantage avec les autres parties de BMW Group car « Project i était une initiative dans le cadre de notre stratégie générale Number One ». En outre, « il était clair dès le début que la tâche du skunkworks était de développer beaucoup plus qu’une nouvelle voiture mais de concevoir un nouvel ensemble de comportements [chef de projet] ». Au printemps 2011, les résultats du skunkworks étant jugés suffisants, la direction générale a décidé le lancement d’une nouvelle structure baptisée « BMW i ». Autonome mais plus du tout secrète, cette structure devait porter la stratégie du développement des voitures électriques du constructeur. Elle portait également la nouvelle marque de BMW, la « i », qui fut apposée en 2013 aux modèles BMW i3 et i8. L’intégration de l’équipe Projet i à BMWi fut assez bien acceptée car la culture de BMW autorisait la séparation temporaire des équipes « si vous voulez avoir une innovation radicale et si vous voulez vraiment faire des choses nouvelles … vous commencez comme un groupe de réflexion, complètement séparé, mais un jour le concept doit se tourner vers un développement sérieux. Vous devez construire l’usine … Ce n’est plus penser, c’est faire [ingénieur de l’organisation centrale] ». Les ingénieurs de la R&D centrale venus intégrer la nouvelle structure (plusieurs centaines de personnes) ont donc dû faire avec les choix technologiques du skunkworks et abandonner leurs pratiques habituelles. Par ailleurs, l’autonomie donnée à BMWi a permis de lever de possibles difficultés d’exploitation de l’innovation en construisant une unité de production spécifique pour les pièces en fibre.

28Finalement, une analyse d’entretien de Ulrich Kranz par l’agence d’innovation Dragon Rouge résume le succès du skunk-works de la manière suivante : « “Project I” a été plus que la réponse de BMW à un futur changeant. C’était une déclaration claire que la société avait l’intention de prendre la responsabilité de créer un monde plus désirable et plus durable pour l’avenir… Il est stupéfiant de voir combien a été accompli en seulement cinq ans ».

29Ces deux cas mettent en évidence des facteurs clés de succès déjà identifiés dans la littérature : le soutien indéfectible du plus haut niveau de décision dans l’organisation, l’acceptation d’un fonctionnement libre et différent de celui pratiqué dans l’organisation centrale, l’engagement total des membres de l’équipe pour la recherche de l’innovation radicale (Single et Spurgeon, 1996 ; Gwynne, 1997 ; Bommer, DeLaPorte, et Higgins, 2002 ; Fosfuri et Rønde, 2009). Les issues opposées des deux projets révèlent des paradoxes et des limites qui n’ont pas été entièrement traités dans la littérature et alors même qu’ils constituent des menaces pour les praticiens.

Gérer les paradoxes des skunkworks pour innover

30Les skunkworks sont présentés par Peters (1997) comme une voie d’excellence pour surmonter les limites organisationnelles. Ils représentent des espoirs pour l’innovation dans les grandes organisations. Les cas étudiés dans cette recherche révèlent que les motivations pour la création des skunkworks relevaient de cette perception et leurs résultats positifs au regard des technologies produites confirment leur pertinence. Mais, en interprétant les signaux faibles des cas on distingue les talons d’Achille des skunkworks du fait de trois paradoxes issus de leurs caractéristiques originelles et théoriques. Nous présentons les trois paradoxes et tenterons ensuite d’établir des liens entre des recommandations générales pour les managers des skunkworks et le rôle plus spécifique que pourrait jouer le marketing au sein de ces structures. Cette démarche vient enrichir les propositions des chercheurs qui questionnent le renouvellement de la démarche marketing et son rôle dans le processus d’innovation (Salerno et al., 2013).

Trois paradoxes

31Les trois paradoxes identifiés sont liés au secret absolu, à l’autonomie totale et au seul soutien de la direction générale. Si toute démarche d’innovation radicale nécessite pour sa réussite des protections particulières en termes de secret, de liberté de recherche et de soutien par la hiérarchie, ce qui distingue le skunkworks d’un autre projet est bien l’intensité et l’exclusivité de ces protections.

32Un premier paradoxe découle du secret absolu qui peut empêcher les apprentissages de l’organisation centrale. Si l’innovation résulte très largement de capacités dynamiques favorisant la combinaison et le transfert de ressources et compétences (Sheng, 2017), le secret absolu ne facilite pas ce transfert. Et, lorsque le projet se termine par un échec, la direction générale est souvent tentée de transformer le secret en tabou pour ne pas révéler son erreur de jugement et ce choix organisationnel hors norme. La non-concrétisation commerciale d’Hybrid Air chez PSA n’a pas été un tabou mais elle n’a pas, non plus, été reconnue comme un échec dont on pouvait tirer des enseignements : « Comme la presse parlait d’Hybrid Air avec succès nous étions fiers mais en interne personne ne venait nous interroger pour savoir comment on avait fait pour aller si vite [manager de projet] ». Le changement de direction générale et la préparation d’une nouvelle stratégie ont même bien aidé à ne plus parler du skunkworks en interne. Chez BMW, le secret absolu valait pour les équipes associées au projet mais les collaborateurs de l’organisation centrale savaient que la direction générale avait lancé un skunkworks et l’entreprise avait déjà une expérience positive de ces pratiques d’innovation. Lorsque les innovations du Projet i ont été divulguées, les blocages au transfert de compétences ont été amoindris par les effets favorables de la culture d’entreprise : « Les anciens du “BMW Technik” savaient qu’on pouvait sortir des choses intéressantes d’une organisation secrète et qu’il ne fallait pas tout négliger [collaborateur de l’organisation centrale] ». Par ailleurs, les managers de l’organisation centrale en charge des futurs développements savaient que des études sur les comportements des utilisateurs de voitures électriques Mini avaient été réalisées sur de grandes échelles. Ils n’en connaissaient pas les contenus gardés secrets mais ils savaient que le skunkworks disposait d’une base d’information marketing très importante qu’il conviendrait un jour d’exploiter.

33Le second paradoxe découle du caractère autonome de la structure. Vantée par les défenseurs de l’agilité et de la liberté d’entreprendre, l’autonomie totale ne permet pas de bénéficier des synergies positives que les grandes organisations peuvent obtenir avec des économies d’échelles et des effets d’apprentissages collectifs (Argyres et Silverman, 2004). L’autonomie nuit aux conditions de ce que Bergek et al. (2013) appellent l’intégration accumulative, c’est-à-dire le processus efficace de génération de nouvelles connaissances à partir d’une évolution de l’existant. Pour ces chercheurs, le piège des unités autonomes réside justement dans le fait qu’elles confortent la séparation organisationnelle entre des activités d’exploration et d’exploitation qui devraient être complémentaires pour innover durablement. L’issue du cas Hybrid Air est tout à fait caractéristique de ce paradoxe de l’autonomie. Autant la séparation du skunkworks a permis à l’équipe de s’affranchir des contraintes bureaucratiques pour inventer une technologie nouvelle en un temps record, autant sa séparation avec les équipes de l’organisation centrale ne lui a pas permis de préparer son développement en vue d’une industrialisation à des coûts abordables pour le constructeur ni d’anticiper le changement de paradigme technologique qui s’opérait vers l’abandon des moteurs thermiques : « le problème d’Hybrid Air est que les gars ne se rendaient pas compte que le monde changeait et que l’hybridation des moteurs n’était plus la voie du futur. Il fallait aller vers l’électrique [collaborateur de l’organisation centrale] ». Sans fonction marketing d’envergure et sans contact avec l’extérieur, « Hybrid Air a évolué en dehors de la vie [collaborateur d’un partenaire externe] ». Chez BMW, les effets négatifs de l’autonomie n’ont pas été ressentis au niveau du marketing du fait de l’approche orientée marché du skunkworks. En revanche, ils ont été ressentis au niveau de la gestion des ressources humaines et de la difficile réintégration de plusieurs collaborateurs clés du skunkworks dans l’unité centrale. Le chef de projet a notamment quitté l’entreprise pour retrouver un environnement de travail comparable à celui vécu dans le Projet i. Il a été suivi par plusieurs de ses collaborateurs.

34Enfin, le paradoxe du parrainage de la direction générale traduit l’incapacité de cette dernière à gérer l’organisation comme un tout, à tirer le meilleur de ses équipes au service de sa vision d’innovation et enfin à n’avoir pas su adapter les structures et les outils de management pour sortir des routines et favoriser l’exploration. Le parrainage et le contrôle du skunkworks par la direction générale éclairent ainsi une situation paradoxale où le pouvoir centralisateur impose l’autonomie à un groupe et lui ordonne l’affranchissement des règles de contrôle qu’il a lui-même initiées. Ce paradoxe crée des injonctions contradictoires pour les collaborateurs et ceux qui non pas été sélectionnés dans les skunkworks voient l’existence d’un « apartheid de l’innovation ». Un collaborateur d’une entreprise partenaire impliquée dans Hybrid Air nous confiait à ce sujet : « je parle d’apartheid car un skunkworks c’est l’acceptation par les “grands chefs” d’une séparation officielle entre les employés qui doivent se soumettre à la bureaucratie avant d’exprimer leurs capacités d’innovations et les autres qui peuvent s’affranchir de toute contrainte au nom de leur créativité ». En revanche, les personnes élues dans le skunkworks, se satisfont de la situation : « Nous étions heureux que nos chefs nous exonèrent des systèmes de reporting étouffants qu’ils nous imposaient habituellement dans nos métiers [ingénieur R&D sur Hybrid Air] ». La prise de conscience de cet apartheid complique la mise en œuvre des autres décisions stratégiques de la direction générale laissant entendre que si elles concernent l’organisation centrale, elles doivent être de moindre importance (Schrage, 1999). Or, ce que la littérature en management de l’innovation démontre (e.g., Le Masson et al., 2006) c’est que la création de valeur par l’innovation ne dépend pas de quelques directions générales visionnaires ou de structures temporaires créatrices d’innovations remarquables. C’est surtout le résultat d’une organisation collective de la conception, une structure pérenne soutenue par toutes les parties prenantes de l’organisation.

Deux recommandations managériales pour gérer ces paradoxes

35Compte tenu de ces paradoxes, nous proposons deux recommandations visant le rôle du marketing dans les skunkworks. La première renvoie à l’inclusion systématique de la fonction marketing dès les premières phases de travail du skunkworks pour garantir son orientation marché et préparer la possible commercialisation des innovations réalisées. La seconde vise à créer des conditions favorables à l’intégration des bénéfices du skunkworks dans l’organisation centrale.

Inclure systématiquement le marketing pour limiter les effets du secret et de l’autonomie totale

36Les paradoxes du secret absolu et de l’autonomie totale créent des effets « tour d’ivoire » qui isolent les membres du skunkworks du reste de l’organisation mais aussi du marché. Pour sortir de cet isolement, sans renier les principes « skunk », nos interlocuteurs ont insisté sur le besoin de construire le projet autour des enjeux du couple produit-marché comme BMW a pu le faire à partir des expérimentations sur les 20 plus grandes villes du monde. Renforçant les recommandations de Single et Spurgeon (1996) et les résultats de Prenkert (2012), le cas BMW montre les bénéfices d’une interaction entre les activités de développement technique et celles du marketing, tout au long du process de construction de l’innovation radicale. L’absence de compétences marketing dans l’équipe Hybrid Air peut alors être vue comme un élément explicatif de l’échec commercial du projet. Une telle hypothèse fait écho aux propos de Goldsmith [14] lorsqu’il note dans son analyse des facteurs de réussite des skunkworks que 85% des problèmes viennent du manque d’inclusion des activités complémentaires.

37Une première recommandation managériale opérationnelle pour limiter les effets négatifs des paradoxes du secret absolu et de l’autonomie totale serait d’inclure systématiquement un responsable marketing dans le noyau dur de l’équipe initiale du skunkworks. Sa mission serait de participer, dès les premières phases de réflexion, à la conception des offres innovantes dans un travail conjoint avec les ingénieurs et les techniciens. Dans un second temps, des marketers dotés de fortes compétences analytiques contribueront à la préparation des marchés. Une telle démarche faciliterait la conduite de l’orientation marché de l’entreprise et redonnerait au marketing le rôle d’influenceur qu’il mérite (Verhoef et Leeflang, 2009).

38Par ailleurs, lorsque l’innovation produite doit s’insérer dans un écosystème industriel complexe (comme c’est le cas pour les entreprises automobile), Costa et al. (2004) rappellent qu’il ne faut pas seulement préparer le marché, mais aussi considérer les réactions des autres parties prenantes comme les distributeurs, les experts influenceurs, les régulateurs, et l’ensemble des complémenteurs de la chaîne de valeur. Toutes ces actions relèvent d’une responsabilité marketing élargie qui existait dans le Projet i, mais pas dans Hybrid Air. Les personnes que nous avons interrogées chez PSA n’ont jamais évoqué les effets de l’absence de compétences marketing dans leur équipe. Un manager du skunkworks nous confiait avoir travaillé sur beaucoup plus de dimensions pour ce projet qu’il ne le faisait auparavant dans la structure centrale ; il se disait fier d’avoir fait équipe avec un spécialiste de l’après-vente pour étudier les enjeux de la maintenance de leur produit Hybrid Air dans les ateliers de réparation des voitures. Néanmoins, les compétences marketing et commerciales manquaient au projet.

39La commercialisation d’une innovation produite dans un skunkworks doit aussi être pensée très en amont et conjointement avec les techniciens, comme le suggère Gwynne (1997) et Arthur Single (responsable d’un skunkworks chez Ford). Selon ce dernier, « vous ne pouvez pas seulement jeter votre technologie par-dessus le mur. Si votre œil n’est pas sur le business dès le début, ça ne marche pas » [15]. Cela implique d’inscrire les différents chantiers de la commercialisation dans le cahier opérationnel du projet. Cette recommandation va aussi dans le sens de l’étude d’Aarikka-Stenroos et Lehtimäki (2014) qui valide qu’une commercialisation réussie d’innovation radicale dépend d’un process dynamique et structuré autour d’une stratégie marketing bien définie ciblant des segments de consommateurs et des partenaires. Suivent la mise en place d’actions de création du marché (construction de la légitimité, de la confiance et de l’intérêt pour le produit) et enfin la politique de commercialisation proprement dite.

40Si ces recommandations d’inclusion du marketing (et de ses différentes composantes) dans les projets d’innovations radicales ne sont pas spécifiques aux skunkworks, elles prennent dans ce contexte une valeur de nécessité. L’archétype du skunkworks à la Lockheed Martin, suivant une démarche dite « techno-push », dans laquelle le marketing intervient généralement en fin de processus ne doit pas être considéré comme un modèle à suivre. Les conditions de l’environnement du constructeur aéronautique pendant la guerre n’étaient pas celles des entreprises de biens et services grand public d’aujourd’hui. Lockheed cherchait seulement des solutions techniques pour développer, dans l’extrême urgence, une innovation radicale. Il se moquait bien du marché ou des clients car l’armée américaine était son seul client captif. Nous pensons donc qu’en dehors de ces facteurs de contingence exceptionnels, le skunkworks à la Lockheed ne doit pas être vu comme un modèle à reproduire. La référence explicite à ce skunkworks par l’équipe Hybrid Air l’a sans doute empêchée de considérer à sa juste valeur l’importance du marketing et son implication dès les phases amont. Chez BMW, les références n’étaient pas celles de Lockheed mais ses propres succès commerciaux issus de skunkworks passés. Motivée par une stratégie générale de conquête de nouveaux marchés, l’approche suivie par BMW a été d’inclure des compétences marketing au cœur de la démarche. Sans divulguer le secret, les équipes marketing en charge des expérimentations de mobilité en situations réelles ont ainsi pu limiter les effets « tour d’ivoire » qui isolent les membres du skunkworks du reste de l’organisation mais aussi du marché (Brown, 2004).

Créer les conditions de l’intégration accumulative

41L’intégration accumulative correspond la création de compétences intégratives (Bergek et al., 2013) qui améliorent la créativité, favorisent la coordination entre les activités et les produits de celles-ci et, par-delà, facilitent l’exploitation de l’innovation (Öberg, 2013).

42Si le paradoxe de l’autonomie et celui du parrainage de la direction générale créent une séparation organisationnelle négative entre des activités d’exploration et le reste de l’organisation, les cas étudiés (et tout particulièrement celui de BMW) révèlent trois conditions favorables à l’intégration des bénéfices des skunkworks dans leur organisation centrale : la valorisation des résultats par leur intégration, la gestion des compétences qui lient les apprentissages et les productions nouvelles à ceux déjà existants dans la structure centrale, la culture de l’innovation au niveau de la firme.

43Le cas BMW éclaire sur une manière de valoriser les résultats d’un skunkworks pour créer les conditions d’une intégration cumulative (Bergek et al., 2013). Au terme de son projet de recherche dans le skunkworks, la direction générale n’a pas remis le Projet i dans le portefeuille des autres projets de R&D de l’organisation centrale. Elle l’a intégré dans une nouvelle structure dotée d’une marque propre : BMWi. En valorisant les bénéfices du skunkworks, la direction générale a divulgué le secret et limité les effets négatifs des paradoxes du parrainage et de l’autonomie. L’intégration du Projet i a facilité la pollinisation des connaissances nouvellement créées dans le skunkworks avec celles déjà éprouvées dans les services de l’organisation centrale. Ainsi, les études marketing et les résultats des expérimentations ont servi de base aux plans marketing et commerciaux des BMWi. Toutes les innovations technologiques produites dans le skunkworks n’ont pas été reprises mais le Life Drive et le eDrive ont bien été intégrés. Ces offres font désormais parti du catalogue général des technologies du constructeur. La valorisation des résultats du skunkworks a été facteur d’intégration car comme nous le rappelait un ingénieur de la structure : « … je remercie tous les jours mes collègues qui ont travaillé sur le Life Drive car ils nous ont permis d’aller très vite par la suite. Non seulement les grandes options technologiques étaient étudiées mais en plus nous savions que les clients aimaient bien l’idée d’une voiture en carbone. C’est motivant de travailler sur quelque chose que l’on sait déjà aimée par les autres et qui sera achetée ». Cette citation vient encore confirmer l’importance du rôle de la fonction marketing dans sa capacité à façonner la conduite d’une intégration réussie (Kjellberg et al., 2015) et à limiter les effets paradoxaux des skunkworks.

44La deuxième condition de l’intégration cumulative révélée dans les cas est la gestion appropriée des compétences. Plus que tout autre chef de projet, le manager d’un skunkworks doit savoir appréhender de manière holistique des problèmes globaux et complexes (Rich, 1994). Cette condition renvoie à la question des compétences à intégrer dans les équipes skunkworks. Si le chef de projet doit avoir une capacité systémique pour créer des conditions de confiance dans un environnement de travail marqué par des interactions personnelles étroites (Brown, 2004), le responsable marketing devra aussi veiller à la composition de son équipe en favorisant le recrutement de talents complémentaires (Single et Spurgeon, 1996 ; Gwynne, 1997). Il devra également veiller à la rotation des collaborateurs marketing entre le skunkworks et l’organisation centrale. Une bonne rotation a été identifiée par Goldsmith [16] comme une clé de voute de l’intégration accumulative parce qu’elle diminue les risques de l’isolement (conséquences des paradoxes du secret et de l’autonomie) et facilite la mise en œuvre de stratégies orientées marchés voulues par la direction générale. Le marketer pourra s’appuyer sur ses compétences en gestion de portefeuilles pour aider à l’intégration des bénéfices du skunkworks dans le portefeuille d’innovations de l’entreprise. Cette proposition de mobilisation des compétences en gestion de portefeuille du marketer fait écho à celles de Barczak et al. (2009) qui insistent sur la nécessité d’une gestion de portefeuilles de projets d’innovations. Elle renvoie également à Gwynne (1997) qui montre la pertinence à développer des portefeuilles de projets concurrents au sein même des skunkworks pour stimuler la production dynamique de ressources et compétences intégratives. Néanmoins, une bonne gestion des compétences ne suffit pas sans un système d’incitations et de récompenses qui permettent de garder les talents (Song et al., 1996). L’étude de Barczak et al. (2009) relève que les deux mécanismes de récompense les plus utilisés par les entreprises innovantes sont : la célébration de fin de projet (levée du secret) et l’opportunité donnée aux collaborateurs de travailler sur des projets de plus en plus importants. Ces propositions représentent des actions concrètes pour les managers. La célébration de fin de projet chez PSA et la communication autour de la présentation d’Hybrid Air au salon de l’automobile de Genève ont certes flatté les collaborateurs mais elles n’ont pas été suffisantes pour les garder et éviter la perte de compétences. Dans les deux cas étudiés pour cette recherche, nous avons observé une dizaine de départs de collaborateurs qui ne souhaitaient pas retrouver les routines de leur service. Leur témoignage illustrait leur perte de confiance dans leur organisation à créer les conditions d’une stratégie long terme et orientée marché sans passer par les avantages d’un skunkworks protégé par la direction générale. Les démissions des deux chefs de projet [17] qui n’ont pas souhaité réintégrer leur organisation centrale sont sans appel sur les limites des trois paradoxes des skunkworks. En conséquence, il faut aussi innover pour construire un système d’incitation approprié et revoir les mécanismes de récompense pratiqués et acceptés dans le cadre de projets d’innovations classiques pour qu’un skunkworks ne soit pas synonyme de pertes de compétences mais source d’intégration accumulative.

45Enfin, la reconnaissance des skunkworks comme contributeurs à l’intégration cumulative ne peut exister sans une politique de communication en phase avec une véritable culture de l’innovation dans l’entreprise. Lorsque des innovations exceptionnelles naissent de ces structures, elles deviennent les vecteurs d’une mythologie de la réussite et de l’audace. Nombre d’entreprises célèbres comme Walmart, IBM, ou Apple ont ainsi ouvertement communiqué sur leurs « ateliers putois » pour afficher leur capacité supérieure d’innovation et maintenir une pression concurrentielle dans leur secteur. Cependant, les entreprises qui le font doivent être conscientes des messages contradictoires qu’ils véhiculent, en interne et qui contribuent à l’établissement du paradoxe du parrainage de la direction générale (Brown, 2004). En effet, les messages qui révèlent l’existence de collaborateurs élus, identifiés comme supérieurs aux autres et seuls capables d’innover au sein de structures exemptes de contraintes sont à proscrire. De tels messages formels n’ont pas été identifiés dans les cas étudiés. Toutefois, des collaborateurs « non-putois » nous ont révélé (sous couvert d’anonymat) qu’ils avaient très mal vécu le fait de ne pas avoir été sélectionnés dans les projets et qu’ils n’avaient rien fait pour réintégrer dans leur groupe social leurs anciens collègues : « les skunks, quand ils revenaient, on ne leur proposait pas de déjeuner avec nous ». C’est pourquoi, la pratique de skunkworks doit faire l’objet d’une communication interne adaptée, mettant en valeur la nécessaire union des intelligences, des savoirs et des talents, ainsi que des liens entre tous les collaborateurs. Il s’agit d’offrir les conditions d’un environnement qui encourage l’innovation sans raccourcis managériaux ni apartheid au sein de l’organisation. Cette remarque renvoie à Evanschitzky et al. (2012) qui concluent leur méta analyse des études sur le succès des innovations en insistant sur le rôle modérateur de la culture d’entreprise dans la réussite des nouveaux produits. Là encore, les équipes marketing spécialisées dans la communication ont des compétences à offrir.

Conclusion

46Les « ateliers putois » sont vus par certains comme les signes avant-coureurs d’une mort annoncée, le chant du cygne incapable d’évoluer naturellement dans des environnements disruptifs. Ils sont pourtant déployés à grande échelle dans des entreprises réputées pour leur créativité ou leur position concurrentielle favorable sur les marchés. La question qui se pose actuellement dans ces entreprises est celle des facteurs-clés de succès de leurs skunkworks. Dans ce cadre, notre objectif n’est pas de vouloir trancher un débat peu productif entre les attaquants et les défenseurs des skunkworks mais de pouvoir contribuer à leurs conditions de succès. Il s’agit d’aider les entreprises à profiter pleinement des avantages de ces formes organisationnelles particulières en identifiant des facteurs de réussite par l’éclairage du rôle du marketing. Nous pensons en effet que les compétences indispensables aux yeux de Verhoef et Leeflang (2009) pour marquer l’influence d’un département marketing au sein d’une entreprise (innovativité, accountability et connexions avec les clients) deviennent des atouts clés pour les skunkworks.

47Notre étude empirique basée sur deux cas de skunkworks présente diverses contributions. Vis-à-vis de la littérature marketing sur l’innovation, elle contribue à enrichir les connaissances sur des structures organisationnelles extrêmes dédiées à l’innovation. Si les études liant les théories des organisations et le développement des nouveaux produits sont nombreuses celles sur les fonctionnements des skunkworks restent rares du fait de leur accès empirique particulièrement difficile (Lenfle, 2014). La principale contribution conceptuelle de notre recherche est donc d’enrichir la littérature existante à partir d’un terrain empirique quasiment inexploré. Les résultats des cas étudiés vont dans le sens de ceux présentés dans les études sur l’importance des ressources et compétences marketing dans la réussite des projets « non-putois ». Bien que l’échec de l’innovation produite par Hybrid Air ne puisse être entièrement imputable à l’absence d’un travail marketing, nous nous permettons de croire que cette absence n’a pas aidé, comparativement à l’expérience du Projet i.

48Du point de vue empirique, cette étude vient compléter une série de recherches conduites dans l’industrie automobile et plus particulièrement dans le domaine des voitures électriques (Donada, 2014 ; Von Pechmann et al., 2016) où la qualité de l’innovation apparaît comme le principal déterminant des positions concurrentielles de demain. Du point de vue managérial, ces cas éclairent des paradoxes propres aux skunkworks. Ils ouvrent ainsi la voie à deux pistes de recommandations incitant les praticiens à faire évoluer leurs organisations pour limiter les effets négatifs du secret et de l’autonomie totale, et créer les conditions d’une intégration accumulative positive des bénéfices des skunkworks. Ces recommandations concernent la fonction marketing qui a une place pivot à prendre dans cette forme d’organisation particulière.

49Bien évidemment, ces recommandations mériteraient d’être discutées, enrichies et validées par de nouvelles recherches. Nous pensons notamment à des études très opérationnelles sur les rôles spécifiques du responsable marketing dans les skunkworks et les outils de communication qu’il faudrait déployer pour gérer les paradoxes. Une recherche sur les rôles et les actions des collaborateurs marketing au sein des skunkworks viendrait notamment enrichir la littérature sur les conditions de réussite des structures innovantes. Elle mettrait en lumière l’importance du marketing dans la réussite du passage de l’exploration d’innovation à son exploitation industrielle et commerciale. Par ailleurs, nous avons vu à travers le cas Hybrid Air que la sélection des membres d’un skunkworks avait fait l’objet d’un processus particulier. Ce sujet n’est pas abordé dans la littérature alors qu’il correspond à des problèmes managériaux réels qu’il faut résoudre. Une proposition de recherche future serait de traiter de ce sujet tout en mettant l’accent sur les conditions particulières de management à chaque étape du cycle de vie d’un skunkworks. Une telle étude permettrait ainsi de déterminer les phases pour lesquelles le responsable marketing aurait le plus d’influences et de responsabilités. Un autre thème qui viendrait encore enrichir nos connaissances sur les skunkworks serait de voir si, au-delà de leurs caractéristiques essentielles, il est possible de distinguer différents types de skunkworks. Tout comme le courant de recherche sur les alliances avait commencé ses travaux par des typologies d’alliances, nous pourrions faire de même avec les skunkworks car les deux cas de cette recherche nous ont montré des situations différentes. En fait, rien ne permet de savoir si les skunkworks Google fonctionnent de la même manière que ceux de Boeing ou de Malaysian Airlines dans la littérature sur le sujet. Enfin, il serait intéressant de mettre en perspective les structures ultra fermées que sont les skunkworks avec celles ouvertes et participatives de l’open innovation. De telles recherches viendraient enrichir le trop faible corpus de travaux académiques sur les skunkworks.

Remerciements

Les auteurs remercient le programme Peak (Purchasing European Alliance for Knowledge), conduit par le centre expert des métiers de l’innovation Thésame, pour son aide au développement de cette recherche.

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Mots-clés éditeurs : paradoxe, rôle du marketing, études de cas, skunkworks, innovation, secret

Date de mise en ligne : 28/05/2021

https://doi.org/10.7193/DM.095.77.98

Notes

  • [1]
    A skunkworks ne s’écrit pas au singulier en langue anglaise ; nous avons souhaité garder ce format orthographique dans le reste du texte.
  • [2]
    Steve Blank est un entrepreneur de la Silicon Valley connu pour ses propositions sur la méthode Lean Startup. Il enseigne l’entrepreneuriat à Stanford et Berkeley.
  • [3]
    Citation extraite du blog de Steve Blank dans son article « Why corporate skunk works need to die ». Accessible depuis l’adresse : https://steveblank.com/2014/11/11/why-corporate-skunkworks-need-to-die/
  • [4]
    L’expression « Skunk Works » (écrite comme telle) et son logo représentant une moufette nord-américaine sont maintenant des marques déposées de la Lockheed Martin Corporation.
  • [5]
    Kelly Johnson était l’ingénieur aéronautique en chef de l’entreprise Lockheed Martin, il était l’homme en charge du premier skunkworks (Article accessible depuis : https://www.lockheedmartin.com/en-us/who-we-are/business-areas/aeronautics/skunkworks/kelly-14-rules.html). On retrouve également les histoires du skunkworks de Kelly dans l’ouvrage de Rich, Ben R. et Janos, Leo (2013). Skunk Works : A Personal Memoir of My Years of Lockheed.
  • [6]
    Notre revue de la littérature sur les skunkworks a été effectuée à partir des bases de données de revues académiques en management (EBSCO, ScienceDirect et Cairn). Les termes « skunkworks » ou « Skunk works » ont été recherchés. 10 articles (in peer-reviewed scholarly journals) ont ainsi été identifiés dans International Journal of Project Management, le Journal of Management in Engineering, International Studies of Management and Organization, Journal of Economic Behavior and Organization. Nous avons complété cette liste à partir des bibliographies des auteurs qui mentionnaient également des chapitres d’ouvrages.
  • [7]
    L’article de Hemonnet-Goujot et al. (2016) détaille parfaitement ces deux méthodes. Le crowdsourcing correspond à une sollicitation de la foule pour participer à des projets innovants ; le design thinking consiste à recourir aux méthodes du design pour stimuler la créativité des innovateurs.
  • [8]
    Le lecteur pourra se reporter à l’ouvrage Le marketing de l’innovation (Le Nagard et al., 2015) pour connaître l’ensemble des pratiques marketing favorables à l’innovation ainsi qu’aux méta analyses de Henard et Szymanski (2001) ou Evanschitzky et al. (2012) pour comprendre les principaux thèmes et les résultats des études académiques marketing réalisées sur l’innovation.
    L’objet de cette recherche n’étant pas spécifiquement axé sur le marketing et l’innovation, nous n’avons pas cherché l’exhaustivité sur ce thème. Notre revue des recherches a été pour l’essentiel basée sur les articles des revues telles que le Journal of Product Innovation Management, Industrial Marketing Management, Décisions Marketing et Technovation à partir des mots-clés suivants : innovation or new product development process, innovation success/performance, innovation marketing.
  • [9]
    Le principe retenu fut que chaque freinage permettait de comprimer de l’azote dans un réservoir, la pression se relâchait en phase d’accélération et facilitait la propulsion.
  • [10]
    L’Argus du 12 janvier 2015, article écrit par Grégory Pelletier : « Fin de partie pour le système Hybrid Air ». Accessible depuis l’adresse : http://www.largus.fr/actualite-automobile/psa-fin-de-partie-pour-le-systeme-hybrid-air-5731386.html#ixzz4xw7gHgSy
  • [11]
    Dixit Norbert Reithofer. Propos reporté dans un article du The Globe and Mail, “The making of the i8: How BMW is revolutionizing urban mobility” (Octobre 2017).
  • [12]
    Entretien dans Automotive News mai 2013 : “Small BMW team rethought electric cars for huge cities”.
  • [13]
    Les Smart grids sont des réseaux d’électricité qui, grâce à des technologies informatiques, ajustent les flux d’électricité entre les fournisseurs d’énergie et les consommateurs. Pour les voitures électriques, les Smart grids permettent aux utilisateurs de charger leur véhicule à des bornes mais aussi de décharger dans le réseau électrique via les mêmes bornes, le trop plein d’énergie contenu dans leur batterie : l’opération se faisant moyennant une rémunération. Grâce aux smart grids, les batteries des voitures électriques deviennent des zones de stockage d’énergie.
  • [14]
    Cité par Gwynne (1997). Goldsmith a supervisé six skunkworks chez American Express.
  • [15]
    Citation traduite et extraite de l’article de Gwynne (1997).
  • [16]
    Gwynne (1997).
  • [17]
    Les départs des deux chefs de projet ont été longuement commentés dans la presse. Karim Mokkadem de PSA a intégré un fond d’investissement spécialisé sur les technologies nouvelles.
    Ulrich Kranz « voulait travailler dans une entreprise 100 % tournée vers l’avenir, et pas juste lancer un autre modèle électrique ». Il a pris la direction de Faraday une start-up automobile très innovante, spécialisée dans le haut de gamme électrique en concurrence frontale avec Tesla (http://www.aaqius.com/site/wp-content/uploads/2015/03/Press-Release-Karim-Mokaddem-Appointment_vMFLvKM.pdf).

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