Notes
-
[1]
Tout au long de cet article, nous entendons par « dispositif de formation » : « une organisation de ressources (humaines, pédagogiques, matérielles, etc.) au service d’une action finalisée; une construction sociale qui, jouant des contraintes et de la variété des ressources, agence des situations susceptibles d’entrer en résonance avec les dispositions des apprenants » (Lameul, Trollat, Jézégou, 2009, à paraître).
-
[2]
Mocker et Spear, 1984 ; Brookfield, 1987 ; Garrison et Baynton, 1986; Hiemtra et Sisco, 1990 ; Hiemstra et Brockett, 1991; Carré, 1992 ; Jézégou, 1998 ; Staka, 2000 ; Carré et Moisan, 2002.
-
[3]
Stratégies motivationnelles et d’autorégulation.
-
[4]
Garrison et Baynton, 1987 ; de Hiemstra et Boocket, 1991 ; de Carré, 1992 ; de Hiemstra, 2000 ; Carré et Moisan, 2002 ou encore Jézégou, 2005.
-
[5]
Supports d’apprentissage (ressources d’autoformation, bases de données, sites Internet, ouvrages, etc.) et, dans le cas de la formation à distance, également les outils de communication (adresses électroniques, forums de discussions, chats, visioconférences, wikis, whiteboards, workflows, etc.).
-
[6]
« La structure renvoie à la rigidité ou à la flexibilité des objectifs éducatifs, des stratégies d’enseignement et des méthodes d’évaluation » (Moore, 1993, p. 26).
-
[7]
« Interaction ou série d’interactions ayant des qualités positives que d’autres n’ont pas. Il peut y avoir des interactions négatives ou neutres, mais le dialogue, par définition, améliore la compréhension des savoirs par l’étudiant. […]. Le dialogue est déterminé, construit et évalué par chacun des participants. Chaque participant engagé dans le dialogue est un auditeur respectueux et actif ; chacun contribue au dialogue et s’appuie sur les contributions des autres» (Moore, 1993, p. 24).
-
[8]
Ou la diminution de son niveau de flexibilité.
-
[9]
Cette conférence a eu lieu lors du quatrième « atelier de recherche » du réseau European Distance and E-learning Network (EDEN) à Castelldefels en Espagne du 25 au 26 octobre 2006. Les propos de Moore, lors de cette conférence, sont transcrits dans l’article de Ulrich Bernath et de Martine Vidal paru fin 2007 dans la revue Distances et Savoirs. (Voir références bibliographiques).
-
[10]
Propos extrait du site de l’équipe de recherche québécoise TACT (téléapprentissage communautaire et transformative) de la faculté de sciences de l’éducation de l’Université de Laval. http:// www. tact. fse. ulaval. ca
-
[11]
Ce courant anglo-saxon nord américain fondé par Peirce, James et Dewey est une théorie de la méthode.
-
[12]
L’expression des émotions et d’anecdotes personnelles, le sens de l’humour.
-
[13]
Le maintien du fil conducteur de l’objet de la communication, le respect de l’autre, la référence explicite aux messages des autres, le questionnement vers les autres, l’expression de son accord avec les autres ou le contenu de leurs messages, etc.
-
[14]
S’adresser ou faire référence aux autres en utilisant leur prénom, s’adresser ou faire référence au groupe en utilisant des expressions inclusives, salutations, etc.
-
[15]
Émergence du problème à résoudre, expression des convergences/divergences au regard de ce problème.
-
[16]
Échanges d’informations et de connaissances, suggestions, brainstorming, confrontations des points de vue, etc.
-
[17]
Ajustements mutuels, convergences de points de vue, synthèses, solutions.
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[18]
Application, test, argumentation.
-
[19]
Présenter au collectif d’apprenants le cadre général et les méthodes de travail, faire des commentaires généraux sur l’organisation à mettre en place, leur donner des repères temporels, etc.
-
[20]
Aider les apprenants à identifier leurs points d’accord et/ou de désaccords, à atteindre le consensus et/ou la compréhension mutuelle ; encourager, reconnaître et renforcer les contributions de chaque apprenant, etc.
-
[21]
Orienter les échanges vers des dimensions spécifiques, apporter des connaissances issues de diverses sources, etc.
-
[22]
Voir figure 3.
-
[23]
Axe horizontal de la figure 6.
Introduction
1En Amérique du Nord, la théorie de l’apprentissage autodirigé et les travaux sur la formation à distance se sont développés en parallèle. Depuis plus de trois décennies, ces deux courants ont souvent fait référence l’un à l’autre sans vraiment s’articuler. Deux grandes raisons peuvent expliquer ce phénomène. La première est liée à la prédominance des recherches sur la dimension psychologique de l’apprentissage autodirigé ou, en d’autres termes, sur l’autodirection de l’apprenant. Ces recherches ont peu abordé le rôle joué par le dispositif de formation [1] dans cette autodirection. La seconde raison est liée au fait que les travaux sur la formation à distance se sont principalement centrés sur les dispositifs et notamment sur leurs aspects organisationnels, pédagogiques ou encore technologiques. Une telle centration sur les dispositifs a placé en retrait d’autres travaux abordant les dimensions psychologiques de l’apprentissage autodirigé à distance.
2Afin de combler le vide apparent entre ces deux courants, nous mettons en synergie les fondements théoriques de l’apprentissage autodirigé et les principaux apports de la recherche anglophone nord américaine sur la formation à distance. Nous montrons que ces deux courants tendent aujourd’hui à se rejoindre dans la perspective transactionnelle de la formation à distance.
3Puis nous mettons en exergue trois grands leviers d’articulation entre « apprentissage autodirigé » et « formation à distance ». Ces leviers contribuent ensemble, nous semble-t-il, à fournir à la formation à distance un cadre inédit dont les prolongements peuvent, à terme, participer à l’élaboration d’une théorie dans ce domaine.
1 – L’apprentissage autodirigé : fondements théoriques
4Comme beaucoup de courants de recherches en éducation, la théorie de l’apprentissage autodirigé prend sa source dans la pensée de Dewey. Au cours de la deuxième moitié du XXe siècle, cette théorie prit progressivement de l’ampleur dans le domaine de la formation des adultes à partir des travaux fondateurs de Rogers (1969), de Tough (1971) et de Knowles (1975). Ce dernier définit l’apprentissage autodirigé comme « un processus dans lequel les individus prennent l’initiative, avec ou sans l’aide d’autrui, de déterminer leurs besoins de formation, de recenser les ressources humaines et matérielles nécessaires à la formation, de sélectionner et de mettre en œuvre les stratégies de formation adéquates, d’évaluer les résultats de leur formation » (Knowles, 1975, p. 18).
5Bien qu’outre atlantique, l’apprentissage autodirigé soit aujourd’hui un objet scientifique largement partagé par la communauté scientifique anglophone travaillant sur les problématiques de formation formelle et informelle, il n’est pas toujours appréhendé de la même manière. Par conséquent, il apparaît souvent comme un objet multiforme et polysémique. Pour Hiemstra (2000), la principale raison réside dans le fait que l’apprentissage autodirigé a été le plus souvent réduit à sa dimension psychologique, c’est-à-dire à l’autodirection de l’apprenant.
1.1 – La distinction à opérer entre autodirection de l’apprenant et apprentissage autodirigé
6Depuis plus de 30 ans, les recherches sur l’apprentissage autodirigé ont toujours accordé une place prédominante à l’étude de l’autodirection de l’apprenant. Par conséquent, elles ont fortement contribué à réduire l’apprentissage autodirigé à des dynamiques psychologiques individuelles. Elles ont ainsi laissé de côté d’autres travaux [2] montrant le rôle joué par le dispositif de formation pour que l’autodirection de l’apprenant puisse s’exercer et se développer. Nous pensons notamment ici aux travaux de Garrison et Baynton (1986) sur « le contrôle de la transaction éducative » ou encore à ceux de Hiemstra et Brockett (1991) sur « le modèle de la responsabilité personnelle ». Ces travaux ont notamment montré que l’apprentissage autodirigé résulte des interactions existantes entre l’autodirection de l’apprenant et le dispositif de formation :
Distinction entre « autodirection de l’apprenant » et « apprentissage autodirigé » d’après Hiemstra et Brockett (1991)
Distinction entre « autodirection de l’apprenant » et « apprentissage autodirigé » d’après Hiemstra et Brockett (1991)
7Long (1989) est certainement l’auteur qui a le plus contribué à affiner le concept d’apprentissage autodirigé en l’étayant par la notion de contrôle. Cette notion revêt deux dimensions. La première renvoie à l’autodirection de l’apprenant ou au contrôle psychologique qu’il exerce sur sa formation et sur ses apprentissages. La seconde dimension se réfère au contrôle pédagogique exercé par le dispositif sur les situations d’apprentissage.
1.2 – Le contrôle psychologique exercé par l’apprenant sur sa formation et sur ses apprentissages
8Le contrôle psychologique – ou l’autodirection de l’apprenant – renvoie à deux dynamiques fondamentales : la motivation d’une part, et l’autorégulation d’autre part.
Les deux dynamiques du contrôle psychologique ou de l’autodirection de l’apprenant d’après Jézégou (2002, 2005)
Les deux dynamiques du contrôle psychologique ou de l’autodirection de l’apprenant d’après Jézégou (2002, 2005)
9D’une manière générale, la motivation est un état dynamique qui se construit dans l’interaction continue avec l’environnement (Viau, 1997 ; Vallerand et Blanchard, 1998 ; Deci et Ryan, 2000 ; Carré, 2003). Elle trouve « ses origines dans les perceptions que la personne a d’elle-même et de son environnement et qui l’incite à choisir une activité, à s’y engager et à persévérer afin d’atteindre un but » (Viau, 1997, p. 7). Par « perception », on entend ici l’interprétation subjective qu’elle a de son environnement, d’une action à mener, de ses comportements, de ses caractéristiques personnelles, etc. Les travaux de recherches, d’orientation sociocognitive, ont mis à jour plusieurs perceptions motivationnelles à l’égard de la formation. Il s’agit notamment de la perception d’efficacité personnelle (Bandura, 2002), de la perception du futur en lien avec les buts poursuivis au travers de la formation (Nuttin, 1986 ; Vallerand et Blanchard, 1998) ou encore de la perception de libre choix à l’égard de la formation (Deci et Ryan, 1985). Ces perceptions motivationnelles sont notamment à l’origine des décisions prises par la personne à l’égard de sa formation et de ses apprentissages. Elles ont également une influence sur les stratégies [3] que la personne met en œuvre ; ces stratégies ayant elles-mêmes un effet sur les résultats obtenus (Carré, 2003 ; Fenouillet, 2008).
10La seconde dynamique du contrôle psychologique est l’autorégulation (Zimmerman, 2000, 2002 ; Jézégou, 2005). Elle s’appuie sur des stratégies de surveillance, de pilotage et d’évaluation de ses propres apprentissages. D’une manière plus spécifique, ses stratégies d’autorégulation concernent tout aussi bien le contrôle de ses états émotifs, socio-affectifs et motivationnels (autorégulation interne), le contrôle de ses comportements d’apprentissage (autorégulation comportementale) que le contrôle des différentes composantes de son environnement d’apprentissage (autorégulation environnementale). Ces trois formes d’autorégulation agissent également sur la motivation notamment au cours de la formation (Fenouillet, 2008).
11Les recherches (Zimmerman et Schunk, 1989) ont révélé, qu’à la différence des personnes qui obtiennent des résultats médiocres, celles qui obtiennent de très bons résultats sont plus motivées à l’égard de la formation et utilisent davantage des stratégies d’autorégulation. De plus, elles se sentent efficaces et personnellement responsables du contrôle de leurs apprentissages. Ainsi, une personne fortement motivée et autorégulée présente un niveau élevé de contrôle psychologique (Carré et Moisan, 2002). Par conséquent, elle est hautement autodirigée.
12Dans ses travaux, Long (1988, 1989) a toujours accordé un poids prépondérant au contrôle psychologique au point d’affirmer qu’il constitue la condition nécessaire et suffisante de l’apprentissage autodirigé. Cette position de Long explique notamment la forte mobilisation des recherches ultérieures sur l’autodirection de l’apprenant. Toutefois, un autre courant de recherches a progressivement obligé à considérer de façon plus large et complexe la réalité de l’apprentissage autodirigé. Ce contrepoids a notamment été apporté par nombre de travaux [4] qui ont montré le rôle important joué par la seconde dimension de l’apprentissage autodirigé : celle du contrôle pédagogique exercé par le dispositif sur les situations d’apprentissage.
1.3 – Le contrôle pédagogique exercé par le dispositif
13Le contrôle pédagogique, également nommé « contrôle structurel » par Long (1989), porte sur les possibilités offertes par le dispositif pour que l’apprenant puisse structurer lui-même ses situations d’apprentissage. D’une manière plus spécifique, le contrôle pédagogique varie en fonction du degré de liberté de choix accordé à l’apprenant dans la détermination des différentes composantes de ses situations (Leclerc et al, 1987 ; Hiemstra, 2000 ; Jézégou, 2005 ; Dron, 2007).
14Trois grandes logiques peuvent se présenter ici (Jézégou, 2006). Dans la première, l’apprenant peut structurer lui-même ses situations d’apprentissage. Ici, le dispositif lui ouvre des libertés conséquentes pour choisir ses propres objectifs et méthodes d’apprentissage, les conditions spatio-temporelles ou encore les moyens [5] et les personnes-ressources nécessaires à ses apprentissages. Dans la deuxième logique, les situations d’apprentissage sont entièrement conçues et prédéterminées par le dispositif ; cette logique correspond à une démarche d’hétéro-structuration de ces situations. Ici, le dispositif n’accorde aucune liberté de choix à l’apprenant ; ses situations d’apprentissage lui sont imposées. Dans la troisième logique, les situations d’apprentissage sont structurées conjointement par l’apprenant et par les agents éducatifs, dans le cadre d’une négociation régie par les ressources et les contraintes des deux parties en présence ; elle correspond à une démarche de co-structuration de ces situations à partir de libertés de choix négociées (Jézégou, 2006 ; Paquelin, 2006).
15Dans la première logique, le dispositif est hautement ouvert car il exerce un faible degré de contrôle pédagogique en offrant à l’apprenant des libertés de choix conséquentes (Jézégou, 2005, 2007). En revanche, dans la deuxième logique, le dispositif peut être qualifié de « fermé » car il exerce un contrôle pédagogique élevé en n’ouvrant pas de libertés de choix à l’apprenant.
16Entre ces deux extrêmes, il existe des niveaux intermédiaires d’ouverture – ou de contrôle pédagogique – qui varie selon le degré de liberté de choix ouvert par le dispositif à l’apprenant dans la détermination des différentes composantes de ses situations d’apprentissage (Jézégou, 2005).
Degré de liberté de choix et niveau de contrôle pédagogique ou d’ouverture du dispositif de formation d’après Jézégou (2005)
Degré de liberté de choix et niveau de contrôle pédagogique ou d’ouverture du dispositif de formation d’après Jézégou (2005)
17L’articulation existante entre ces deux niveaux de contrôle – pédagogique et psychologique – renvoie à des configurations plus ou moins favorables à l’apprentissage autodirigé (Long, 1989 ; Hiemstra et Sisco, 1990 ; Carré, 1992 ; Jézégou, 2002).
18Les travaux anglophones nord américains sur la formation à distance ne se saisirent que très rarement de cette grille d’analyse de l’apprentissage autodirigé, initialement proposée par Long (1989). D’une manière générale, ils utilisèrent le concept comme un terme générique. Toutefois, dans un ouvrage majeur publié en 2003 sous la direction de Moore et d’Anderson intitulé Handbook of Distance Education, plusieurs auteurs insistent sur la valeur ajoutée que peut apporter la théorie de l’apprentissage autodirigé aux travaux sur la perspective transactionnelle de la formation à distance (Garrison, 2003 ; Gibson, 2003 ; Saba, 2003).
2 – Le concept d’apprentissage autodirigé dans les recherches sur la formation à distance
19Moore (1982) fut le premier à publier sur l’implication de la théorie de l’apprentissage autodirigé pour la formation à distance. En s’appuyant sur les apports de cette théorie, il promut le rôle fondamental joué par l’autodirection de l’apprenant dans le domaine spécifique de la formation à distance. Son intention était de contrer ainsi le mouvement massif d’industrialisation et de standardisation existant dès cette époque aux Etats-Unis sur le marché de la formation à distance. Suite à cet article, Willen (1984) fit un appel à la communauté scientifique nord américaine pour approfondir l’analyse de l’apprentissage autodirigé dans le contexte spécifique de la formation à distance. Il proposa d’adopter le concept d’apprentissage autodirigé comme une référence pertinente et appropriée pour fonder une conception radicalement nouvelle de la formation à distance. Cette proposition fût notamment retenue par Moore (1993) dans l’élaboration de la théorie de la distance transactionnelle, sans pour autant aller jusqu’au bout de la logique proposée.
2.1 – Le concept d’apprentissage autodirigé et la théorie de la distance transactionnelle
20La théorie de la distance transactionnelle (Moore, 1993) fonda le principe selon lequel la distance en formation est principalement transactionnelle et non spatiale ou temporelle. Elle emprunte ici le concept de transaction à Dewey (1916) pour signifier que toute expérience formative intègre un degré de distance dans les transactions existantes entre l’apprenant et le dispositif de formation. La distance transactionnelle est déterminée par deux variables-clés. La première renvoie à la structure du dispositif vue sous l‘angle de son niveau de flexibilité [6]. La seconde variable de la distance transactionnelle est le dialogue [7] ou les interactions existantes entre les formateurs et les apprenants mais aussi entre les apprenants. Les relations qu’entretiennent la structure et le dialogue permettent d’estimer le degré de distance transactionnelle d’un dispositif de formation (Moore, 1993 ; Saba et Shearer, 1994 ; Bouchard, 2000 ; Jézégou, 2007). Ces relations peuvent se résumer à deux dynamiques : le dialogue et la distance transactionnelle varient de façon inverse : lorsque l’un augmente, l’autre diminue (1). L’augmentation de la structure [8] diminue les possibilités et l’ampleur du dialogue qui, à son tour, augmente la distance transactionnelle (2).
21Parallèlement, Moore ajoute à ces deux variables de la distance transactionnelle un autre paramètre : l’autonomie de l’apprenant. C’est-à-dire le fait que « c’est plutôt l’apprenant que le formateur qui détermine les objectifs, les expériences d’apprentissage et les décisions d’évaluation » (Moore, 1993, p. 26). Il renvoie ici l’autonomie aux caractéristiques de l’apprentissage autodirigé (Moore, 1993, Moore et Kearsley, 1996). Mais il utilise le terme d’apprentissage autodirigé de façon générique. En effet, il ne précise pas si ce terme renvoie à l’autodirection de l’apprenant (contrôle psychologique), au contrôle pédagogique exercé par le dispositif de formation ou encore aux relations existantes entre ces deux niveaux de contrôle de l’apprentissage autodirigé. Tout au moins, il stipule qu’il existe un lien entre le degré de distance transactionnelle du dispositif et l’autonomie en formation, sans vraiment développer davantage la nature et les mécanismes de ce lien.
22La théorie de la distance transactionnelle fait l’objet, depuis près de quinze ans, de plusieurs recherches empiriques visant à vérifier sa validité (Saba et Shearer, 1994 ; Bunker et al, 1996 ; Bischoff et al, 1996 ; Chen et Willits, 1998 ; Faust, 1999 ; Garrison, 2000 ; Jung, 2001 ; Chen, 2001). Suite à un important travail d’analyse des publications liées à ces recherches, plusieurs auteurs (Garrison, 2000 ; Power, 2002 ; Gorsky et Caspi, 2005 ; Jézégou, 2007) ont montré qu’elles ne soutiennent que partiellement la théorie de Moore. Par conséquent, elles ne permettent pas de la valider totalement. La principale raison tient à son manque de précision. Ainsi, les chercheurs ne disposent pas d’un soubassement théorique stable dans la mesure où les deux variables clés de la distance transactionnelle que sont la structure et le dialogue n’ont jamais été clairement définies par Moore, pas plus que le terme d’autonomie.
23Bien que la théorie de la distance transactionnelle soit encore aujourd’hui dotée d’une forte notoriété outre atlantique, elle fait de moins en moins l’objet de recherches empiriques pour les raisons évoquées précédemment. Pour Jung (2001), elle a eu toutefois le mérite de fournir, malgré ses limites, un cadre pour définir et comprendre la formation à distance. Pour Garrison (2003) et Dron (2007), elle a également contribué à donner à la formation à distance une dimension sociale jusqu’alors peu manifeste dans les recherches anglophones nord américaines. En 2006, lors d’une conférence [9], Moore affirma que le principal effet de sa théorie est d’avoir fait émerger, aux Etats-Unis, un mouvement de prise en compte du champ de la formation à distance, ouvrant ainsi la voie à toute une lignée de recherches. Selon Saba (2003), cette théorie a plus spécifiquement incité la communauté scientifique, au début des années 2000, à orienter ses efforts de conceptualisation de la formation à distance vers la perspective transactionnelle issue de la philosophie du pragmatisme.
2.2 – Au cœur de la perspective transactionnelle de la formation à distance : la notion de « communauté d’apprentissage »
24La perspective transactionnelle de la formation à distance s’appuie sur les fondements liés à la création et au développement d’une community of inquiry (Anderson, 2002 ; Saba, 2003 ; Garrison et Anderson, 2003 ; Garrison, 2003). Une community of inquiry est une communauté d’apprentissage. C’est à dire un « groupe de personnes, membres volontaires aux expertises diverses et d’égale valeur, qui sont constamment en train d’apprendre ensemble afin de solutionner des problèmes » [10]. De même pour Charlier et Peraya (2003), « une communauté d’apprentissage est fondée sur une démarche d’apprentissage par l’action, finalisée en fonction de projets, souvent transdisciplinaires incluant la résolution des problèmes et basée sur la coopération/collaboration entre les apprenants ». Elle s’inscrit dans la perspective du socioconstructivisme. Plusieurs décennies de recherches, dans la lignée des travaux de Vygotsky, ont notamment montré le rôle prépondérant joué par les interactions entre pairs dans les apprentissages et donc dans la construction de connaissances. Selon Dillenbourg, Poirier et Carles (2003), la spécificité d’une communauté d’apprentissage est de fonder cette construction de connaissances sur une démarche collaborative de résolution de problèmes.
25Dans les travaux anglophones nord américains, l’expression community of inquiry s’inscrit dans la perspective transactionnelle de la philosophie du pragmatisme [11]. Une telle perspective entend par transactions des processus créatifs de confrontation et de croisement de points de vue, d’ajustements mutuels, d’accommodations visant la création de mondes communs de connaissances et de significations partagées (Dewey et Bentley, 1949). De tels processus s’appuient sur des actions conjointes et communes d’identification de situations problématiques, de formulation d’hypothèses, de mise en place de démarches de résolution de problèmes et d’évaluation de résultats. Une community of inquiry s’appuie sur une démarche collaborative de résolution de problèmes basée sur les grands principes de la méthode scientifique ; cette méthode favorise par ailleurs la construction individuelle et collective de connaissances (Dewey et Bentley, 1949). Dans le cas de la formation à distance, les membres de cette communauté sont éloignés géographiquement et interagissent de façon synchrone et/ou asynchrone via des outils de communication intégrés au dispositif. Une telle communauté est souvent qualifiée de « virtuelle » (Taurisson et Sentini, 2003 ; Dillenbourg et al, 2003).
26Le modèle de la présence développé par Garrison et Anderson (2003), dans leurs travaux sur la formation à distance, est certainement celui qui développe le mieux les conditions liées à l’émergence et au développement d’une communauté d’apprentissage ou d’une community of inquiry au sein d’un dispositif de formation à distance.
2.3 – Le modèle de la présence
27Selon le modèle de la présence, une communauté d’apprentissage ne peut émerger, en milieu éducatif institué, que si le dispositif de formation présente une certaine flexibilité structurelle. En effet, ce n’est qu’à cette condition que les interactions entre les formateurs et les apprenants mais aussi entre les apprenants peuvent être possibles. Il rejoint ainsi une des propositions de la théorie de la distance transactionnelle quant à la relation entre le niveau de flexibilité du dispositif et les possibilités de dialogue ou d’interactions (Moore, 1993 ; Saba et Shearer, 1994).
28Mais l’apport majeur de ce modèle, au regard de l’objet traité dans cet article, est de montrer que les interactions entre ces différents acteurs du dispositif permettent, à certaines conditions, de créer une présence qui non seulement soutient le développement d’une community of inquiry mais aussi et surtout, favorise l’apprentissage autodirigé à distance (Rourke et al, 1999 ; Garrison, Anderson et Archer, 2000 ; Garrison et Anderson, 2003; Garrison, 2003). Ces conditions portent sur la co-existence des trois dimensions de la présence : sociale, cognitive et éducative.
29La présence sociale porte sur « la capacité des participants à se projeter eux-mêmes socialement et émotionnellement, dans toutes les dimensions de leur personnalité, au travers du média de communication qu’ils utilisent » (Garrison, Anderson, Archer, 2000, p. 94). Elle se manifeste dans les interactions entre le formateur et les apprenants ainsi qu’entre les apprenants au travers de certaines formes de réactions affectives [12], d’ouverture à la communication [13] et de réactions de cohésion [14] (Garrison et Anderson, 2003). La fonction de cette dimension de la présence est de soutenir la présence cognitive par la création d’un climat et d’un espace social favorable à la constitution d’une communauté d’apprentissage.
30La présence cognitive renvoie à « l’ampleur avec laquelle les participants sont capables de construire et de confirmer le sens grâce à la réflexion et au dialogue dans une communauté d’apprentissage » (Garrison et Anderson, 2003, p. 55). Selon les auteurs, la présence cognitive se manifeste au travers de quatre phases plus spécifiquement liées à la démarche de résolution de problèmes : le déclenchement [15], l’exploration [16], l’intégration [17] et la résolution [18].
31Les présences sociale et cognitive sont des éléments fondamentaux pour soutenir le développement d’une communauté d’apprentissage. Il en est de même pour la présence éducative. Cette troisième dimension de la présence porte plus spécifiquement sur le rôle joué par le formateur dans « la conception, la facilitation et la direction des processus cognitifs et sociaux pour atteindre des résultats d’apprentissage personnellement significatifs et intéressants d’un point de vue éducatif » (Garrison et Anderson, 2003, p. 55). Les auteurs précisent qu’elle se manifeste dans les interactions du formateur avec les apprenants, lors de quatre activités qui lui sont spécifiques : la conception et l’organisation [19], la facilitation du dialogue [20] et l’instruction directe [21].
32Ainsi, la coexistence des présences sociale, cognitive et éducative contribue à l’émergence et au développement d’une communauté d’apprentissage. Par ailleurs, toujours selon Garrison et Anderson (2003), ces trois dimensions de la présence peuvent ensemble favoriser l’apprentissage autodirigé dans la mesure où elles encouragent chaque apprenant à exercer et à développer son autodirection personnelle.
33Si le modèle de la présence est celui qui traduit le mieux la perspective transactionnelle, Garrison et Anderson (2003) précisent toutefois qu’il ne permet pas, à lui-seul, d’élaborer une théorie de la formation à distance. La principale raison est qu’il souffre d’une articulation insuffisante avec le concept d‘apprentissage autodirigé. Ce constat est manifeste dans deux points majeurs de ce modèle. Tout d’abord, il pose la flexibilité structurelle du dispositif comme principale condition d’émergence d’une communauté d’apprentissage en milieu éducatif institué. Toutefois, il occulte le fait que cette flexibilité traduit un faible degré de contrôle pédagogique du dispositif sur les situations d’apprentissage (Jézégou, 2006 ; Dron, 2007). Par conséquent, il n’aborde pas la question de la flexibilité sous l’angle de cette dimension essentielle de l’apprentissage autodirigé. Ensuite, ce modèle ne fait que vaguement référence aux dynamiques psychologiques individuelles qui contribuent à créer une présence sociale et cognitive au sein du collectif d’apprenants. Par conséquent, il ne développe pas la seconde dimension essentielle de l’apprentissage autodirigé : c’est à dire le contrôle psychologique ou l’autodirection personnelle de chaque apprenant.
34Or, nous pensons qu’en articulant ces deux niveaux de contrôle de l’apprentissage autodirigé aux travaux actuels de la perspective transactionnelle, notamment ceux de la présence, qu’il peut être possible de fournir à la formation à distance un cadre conceptuel inédit.
3 – Trois leviers d’articulation entre apprentissage autodirigé et formation à distance
35L’articulation entre « apprentissage autodirigé » et « formation à distance » s’appuie, selon nous, sur trois grands leviers. Le premier résulte du croisement entre les deux dimensions – pédagogique et psychologique – de l’apprentissage autodirigé. Ces deux dimensions sont abordées ici sous l’angle du degré de contrôle exercé par chacune d’entre-elles. Il met à jour quatre configurations plus ou moins favorables à l’apprentissage autodirigé. Ces configurations peuvent exister dans tous les dispositifs de formation, notamment ceux de formation à distance. Le deuxième levier est issu du croisement entre le degré de contrôle pédagogique exercé par un dispositif de formation à distance donné et le niveau de présence existant au sein de ce dispositif. Au stade actuel de nos travaux sur ce levier, nous identifions plus particulièrement deux configurations : l’une favorable à l’apprentissage autodirigé et l’autre lui étant défavorable. Enfin, le troisième levier lie le degré de contrôle psychologique exercé par chaque apprenant et le niveau de présence existant au sein du dispositif de formation.
3.1 – Contrôle pédagogique et contrôle psychologique
36Comme nous l’avons évoqué précédemment, l’apprentissage autodirigé se joue dans l’articulation entre :
- le degré de contrôle psychologique de l’apprenant ou son autodirection (Long, 1989) ;
- et le degré de contrôle pédagogique exercé par le dispositif de formation (Long, 1989) ou le niveau d’ouverture de ce dernier (Jézégou, 2005).
Les quatre configurations plus ou moins favorables à l’apprentissage autodirigé
Les quatre configurations plus ou moins favorables à l’apprentissage autodirigé
37La configuration 2 est la plus favorable à l’apprentissage autodirigé. Ici, l’apprenant possède un contrôle psychologique élevé. Son autodirection peut pleinement s’exprimer puisque le dispositif exerce un faible contrôle pédagogique en lui ouvrant des libertés de choix pour structurer ses situations d’apprentissage (Jézégou, 2005). Ce même apprenant, inscrit dans un dispositif exerçant un fort contrôle pédagogique (configuration 1), se trouve alors dans une situation « conflictuelle » (Long, 1989) dans la mesure où son autodirection ne peut pas s’exprimer car ne disposant pas de liberté de choix. Elle génère chez l’apprenant hautement autodirigé de la frustration et de l’insatisfaction (Long, 1989). Nous avons notamment constaté que, face à cette situation, l’apprenant doté de ce profil tend à structurer par lui-même un environnement informel propice à ses apprentissages, à la marge du dispositif institué (Jézégou, 1998 ; 2005). La configuration 4 est la moins favorable à l’apprentissage autodirigé. Le dispositif n’offre pas de liberté de choix et exerce donc un fort contrôle pédagogique ; l’apprenant, quant à lui, est doté d’un faible degré de contrôle psychologique. Ce même apprenant, inscrit dans un dispositif exerçant un faible contrôle pédagogique en ouvrant des libertés de choix – configuration 3 – se trouve alors dans une situation « amorphe » (long, 1989) dans la mesure où il ne possède pas un degré de contrôle psychologique suffisant pour diriger ses apprentissages.
38Entre ces « extrêmes », il existe une variété de configurations plus ou moins favorables à l’apprentissage autodirigé, à la croisée du degré de contrôle pédagogique exercé par le dispositif de formation et du degré d’autodirection de l’apprenant (Jézégou, 2005). Ces configurations existent tout aussi bien dans des dispositifs en présentiel que dans ceux soumis à un éclatement spatio-temporel.
39Considérons maintenant chacun de ces deux niveaux de l’apprentissage autodirigé pour les articuler à la notion de présence telle que développée par Garrison et Anderson (2003) dans leurs travaux sur la formation à distance.
3.2 – Contrôle pédagogique et présence
40Le modèle de Garrison et Anderson (2003) précise que la présence au sein d’un dispositif de formation ne peut être effective que si ce dernier comporte une certaine flexibilité structurelle (Garrison et Anderson, 2003). En Europe, les travaux de Jézégou (2006, 2007) et de Dron (2007) ont montré qu’une telle flexibilité dépend du degré de liberté de choix ouvert aux apprenants dans la structuration de leurs situations d’apprentissage. D’une manière plus spécifique, elle dépend du degré de contrôle pédagogique exercé par le dispositif sur ces situations [22].
41Dans la lignée de l’ensemble de ces auteurs, nous pouvons déduire que plus le contrôle pédagogique exercé par le dispositif est faible, plus ce dispositif offre des possibilités de présence sociale, cognitive et éducative.
42Nos travaux sur le modèle de la présence (Jézégou, 2007, 2009) montrent qu’il peut exister un écart important entre les possibilités de présence offertes par le dispositif et le niveau effectif de cette présence. Ils montrent aussi et surtout que ce dernier est lié à l’implication des participants engagés dans ces interactions. Garrison et Anderson (2003) confirment également ce phénomène. Mais l’apport majeur du modèle de la présence est de préciser qu’un niveau conséquent de présence favorise l’apprentissage autodirigé à distance, ce dernier intégrant également ici une dimension collaborative (Garrison, 2003).
Contrôle pédagogique et possibilités de présence
Contrôle pédagogique et possibilités de présence
43Nous obtenons ainsi le premier levier d’articulation entre le concept d’apprentissage autodirigé – vu sous l’angle du contrôle pédagogique exercé par le dispositif de formation – et le modèle de la présence. Au stade actuel de nos travaux, nous proposons d’illustrer cette articulation de la manière suivante, tout en mettant plus particulièrement en exergue deux configurations :
Articulation entre degré de contrôle pédagogique et niveau de présence
Articulation entre degré de contrôle pédagogique et niveau de présence
44Ainsi un dispositif de formation à distance exerçant un faible contrôle pédagogique sur les situations d’apprentissage offre de fortes possibilités de présence [23]. Lorsque cette présence est effective et d’un niveau significatif alors on assiste à une configuration favorable à l’apprentissage autodirigé.
45En revanche, un dispositif exerçant un fort contrôle pédagogique sur les situations d’apprentissage offre de faibles possibilités de présence. Il serait donc étonnant que cette présence puisse être d’un niveau significatif. On assiste alors à une configuration défavorable à l’apprentissage autodirigé.
46Malgré la reformulation et l’étayage conceptuel du modèle de la présence que nous proposons ici, ce dernier comporte une limite importante. En effet, il exclut de son analyse le rôle fondamental joué par le degré de contrôle psychologique exercé par l’apprenant sur sa formation et sur ses apprentissages à distance.
3.3 – Contrôle psychologique et présence
47Comme nous l’avons souligné précédemment, la présence sociale et cognitive se réfère notamment aux interactions entre les différents membres du collectif d’apprenants (Garrison et Anderson, 2003). Pour ces auteurs, cette présence ne peut exister et se développer que si chaque apprenant du collectif s’implique suffisamment dans les interactions avec ses pairs, tout en gérant lui-même les aspects socio-affectifs, émotifs et cognitifs de ces interactions. Une telle condition interroge directement le degré de contrôle psychologique exercé par chacun d’entre eux, ce degré de contrôle pouvant varier d’un sujet à l’autre.
48D’une manière générale, un apprenant hautement autodirigé est motivé à l’égard de la formation et doté de compétences à l’autorégulation (Carré et Moisan, 2002 ; Jézégou, 2002, 2005). Selon Zimmerman (2000), ces compétences lui permettent de contrôler ses états émotifs, socio-affectifs et motivationnels (autorégulation interne), ses comportements d’apprentissage (autorégulation comportementale) et les différentes composantes de son environnement (autorégulation environnementale). De façon plus spécifique, on peut supposer que cet apprenant manifeste également une forte motivation pour interagir avec les autres, tant au niveau social que cognitif, et qu’il met en œuvre des stratégies d’autorégulation efficaces pour contribuer aux interactions nécessaires à l’élaboration d’une communauté d’apprentissage. En revanche, un apprenant faiblement autodirigé est probablement peu motivé pour interagir avec les autres. De plus, il ne dispose pas de compétences suffisantes pour réguler lui-même les interactions. D’une manière générale, il exerce un degré de contrôle psychologique insuffisant pour diriger lui-même sa formation et ses apprentissages.
49Ces deux apprenants peuvent se trouver dans un même collectif, au même titre que d’autres apprenants dotés d’un profil identique ou encore d’un profil situé entre ces deux extrêmes. La mise en synergie des degrés de contrôle psychologique des apprenants d’un collectif donné génère, selon nous, un niveau plus ou moins conséquent de présence sociale et cognitive.
50Toutefois, un autre niveau de présence intervient également ici. Il s’agit du niveau de présence éducative du formateur qui, selon les cas, permet de dynamiser et de soutenir la présence sociale et cognitive (Garrison et Anderson, 2003). Pour que la présence éducative soit significative, le formateur doit gérer simultanément deux grands aspects complémentaires. Le premier consiste à aider la communauté d’apprentissage à s’installer et à se développer (Dillenbourg et al, 2003). Il lui donne notamment des conseils pour s’organiser et collaborer, tout en veillant à ne pas imposer des règles trop formelles. De plus, il favorise les échanges et les modes d’interactions spontanées, tout en reconnaissant les contributions de chacun des apprenants. Le second aspect lié à la présence éducative du formateur est d’encourager l’exercice et le développement de l’autodirection de chaque apprenant du collectif. D’une part, le formateur peut l’inciter à s’engager et à persévérer dans les interactions sociales et cognitives avec ses pairs. D’autre part, il peut, si besoin, le conseiller pour améliorer ses stratégies afin de réguler les interactions. Ces deux activités ne sont pas dénuées de risques car, comme pour tout projet d’agir sur la motivation et sur l’autorégulation, elles peuvent mener à des erreurs méthodologiques, à des désillusions pédagogiques ou encore à des dérives éthiques (Carré, 1999). De plus, elles sont limitées par le caractère intentionnel de la motivation de l’apprenant à l’égard de la formation et par son niveau de compétences à l’autorégulation.
51Ainsi, l’articulation entre « contrôle psychologique » et « présence » se joue non seulement dans la mise en synergie des dynamiques individuelles liées à l’autodirection de chacun des apprenants du collectif mais aussi dans la présence éducative du formateur lorsqu’il encourage, avec les limites et risques évoqués précédemment, cette autodirection à s’exercer et à se développer.
4 – Conclusion
52Comme nombre d’auteurs l’ont déjà souligné (Garrison, 2003 ; Moore, 2003 ; Saba, 2003), l’articulation entre la théorie de l’apprentissage autodirigé et la perspective transactionnelle de la formation à distance permettrait d’ouvrir une voie prometteuse à l’élaboration d’une théorie de la formation à distance qui fait actuellement défaut.
53Face à l’ampleur d’un tel chantier, cet article est à la fois modeste et ambitieux. Modeste dans la mesure où il essaie de contribuer à ce chantier tout en n’ayant qu’une vocation heuristique. Modeste également car il ne peut pas, à lui seul, couvrir et développer les multiples aspects liés à chacune des notions abordées et se limite donc à une macroanalyse.
54Ambitieux parce qu’il contribue à combler le vide existant, depuis plus de trois décennies, entre deux courants importants de recherche en Amérique du Nord : celui de l’apprentissage autodirigé et celui de la formation à distance, ces derniers ayant souvent fait référence l’un à l’autre sans vraiment s’articuler. Ambitieux aussi car il livre une proposition théorique susceptible de contribuer à la construction de l’articulation entre « apprentissage autodirigé » et « formation à distance ». Ambitieux encore parce qu’il étaye cette proposition par trois grands leviers d’articulation entre le concept d’apprentissage autodirigé et le modèle de la présence ; ce dernier étant celui qui reflète le mieux la perspective transactionnelle de la formation à distance.
55Toutefois, un long et délicat chemin reste encore à parcourir, non seulement pour consolider chacun de ces leviers, mais aussi pour élaborer un modèle théorique susceptible de formaliser les liens existants entre ces mêmes leviers. Mais le travail présenté dans cet article ouvre d’ores et déjà des pistes de recherches empiriques pour tester la pertinence de tels leviers.
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Mots-clés éditeurs : contrôle psychologique, présence, contrôle pédagogique, apprentissage autodirigé, autodirection de l'apprenant
Mise en ligne 30/01/2009
https://doi.org/10.3166/ds.6.343-364Notes
-
[1]
Tout au long de cet article, nous entendons par « dispositif de formation » : « une organisation de ressources (humaines, pédagogiques, matérielles, etc.) au service d’une action finalisée; une construction sociale qui, jouant des contraintes et de la variété des ressources, agence des situations susceptibles d’entrer en résonance avec les dispositions des apprenants » (Lameul, Trollat, Jézégou, 2009, à paraître).
-
[2]
Mocker et Spear, 1984 ; Brookfield, 1987 ; Garrison et Baynton, 1986; Hiemtra et Sisco, 1990 ; Hiemstra et Brockett, 1991; Carré, 1992 ; Jézégou, 1998 ; Staka, 2000 ; Carré et Moisan, 2002.
-
[3]
Stratégies motivationnelles et d’autorégulation.
-
[4]
Garrison et Baynton, 1987 ; de Hiemstra et Boocket, 1991 ; de Carré, 1992 ; de Hiemstra, 2000 ; Carré et Moisan, 2002 ou encore Jézégou, 2005.
-
[5]
Supports d’apprentissage (ressources d’autoformation, bases de données, sites Internet, ouvrages, etc.) et, dans le cas de la formation à distance, également les outils de communication (adresses électroniques, forums de discussions, chats, visioconférences, wikis, whiteboards, workflows, etc.).
-
[6]
« La structure renvoie à la rigidité ou à la flexibilité des objectifs éducatifs, des stratégies d’enseignement et des méthodes d’évaluation » (Moore, 1993, p. 26).
-
[7]
« Interaction ou série d’interactions ayant des qualités positives que d’autres n’ont pas. Il peut y avoir des interactions négatives ou neutres, mais le dialogue, par définition, améliore la compréhension des savoirs par l’étudiant. […]. Le dialogue est déterminé, construit et évalué par chacun des participants. Chaque participant engagé dans le dialogue est un auditeur respectueux et actif ; chacun contribue au dialogue et s’appuie sur les contributions des autres» (Moore, 1993, p. 24).
-
[8]
Ou la diminution de son niveau de flexibilité.
-
[9]
Cette conférence a eu lieu lors du quatrième « atelier de recherche » du réseau European Distance and E-learning Network (EDEN) à Castelldefels en Espagne du 25 au 26 octobre 2006. Les propos de Moore, lors de cette conférence, sont transcrits dans l’article de Ulrich Bernath et de Martine Vidal paru fin 2007 dans la revue Distances et Savoirs. (Voir références bibliographiques).
-
[10]
Propos extrait du site de l’équipe de recherche québécoise TACT (téléapprentissage communautaire et transformative) de la faculté de sciences de l’éducation de l’Université de Laval. http:// www. tact. fse. ulaval. ca
-
[11]
Ce courant anglo-saxon nord américain fondé par Peirce, James et Dewey est une théorie de la méthode.
-
[12]
L’expression des émotions et d’anecdotes personnelles, le sens de l’humour.
-
[13]
Le maintien du fil conducteur de l’objet de la communication, le respect de l’autre, la référence explicite aux messages des autres, le questionnement vers les autres, l’expression de son accord avec les autres ou le contenu de leurs messages, etc.
-
[14]
S’adresser ou faire référence aux autres en utilisant leur prénom, s’adresser ou faire référence au groupe en utilisant des expressions inclusives, salutations, etc.
-
[15]
Émergence du problème à résoudre, expression des convergences/divergences au regard de ce problème.
-
[16]
Échanges d’informations et de connaissances, suggestions, brainstorming, confrontations des points de vue, etc.
-
[17]
Ajustements mutuels, convergences de points de vue, synthèses, solutions.
-
[18]
Application, test, argumentation.
-
[19]
Présenter au collectif d’apprenants le cadre général et les méthodes de travail, faire des commentaires généraux sur l’organisation à mettre en place, leur donner des repères temporels, etc.
-
[20]
Aider les apprenants à identifier leurs points d’accord et/ou de désaccords, à atteindre le consensus et/ou la compréhension mutuelle ; encourager, reconnaître et renforcer les contributions de chaque apprenant, etc.
-
[21]
Orienter les échanges vers des dimensions spécifiques, apporter des connaissances issues de diverses sources, etc.
-
[22]
Voir figure 3.
-
[23]
Axe horizontal de la figure 6.