Notes
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[1]
L’auteur remercie la FMSH (Collège d’Études Mondiales, Chaire Éthique et Finance) et le groupe SMA-BTP, partenaire du programme CHRONOS, pour le soutien en vue de sa participation au Congrès de l’ASPLF à Pékin. Il remercie Christian Walter et Mara Madga Maftei pour le partage d’arguments, au sein de la Chaire, sur les liens entre recours aux modèles, risques et artificialisation des relations sociales.
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[2]
Pour des éléments généraux et diverses approches, on peut se reporter à Després et Machinal (2014) ; Godin (2013) ; Hayles (1999) ; More & Vita-More (2013) ; Ranish & Sorgner (2014).
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[3]
Sur ce point, je me permets de renvoyer à ma recension détaillée (Picavet 2018).
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[4]
Cette perspective oblige à réfléchir, latéralement, au rôle de la technique comme condition nécessaire, non suffisante de l’autonomie ou de la liberté au regard de fins dictées par la nature, donc reçues dans l’hétéronomie. Voir, à ce propos, dans le contexte d’une étude sur la responsabilité et l’humanisme (à partir de la philosophie d’Hans Jonas), Pommier (2014 : 121).
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[5]
Voir en ce sens l’inquiétude exprimée par Blay et Euvé (2019 : 10) dans le contexte de la dénonciation d’un usage des techno-sciences qui ne visent que la maîtrise, la consommation et l’innovation, et non plus véritablement le progrès, présenté par ces auteurs comme lié à une espérance téléologique : « […] l’artificialisation de la nature, à laquelle nous avons assisté principalement depuis le xixe siècle, concerne maintenant l’homme, devenu homme-machine, homme-électronique, homme neuronal et algorithmique ».
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[6]
6. Sur la complémentarité de l’émancipation par la technique et du recours au jugement, on peut se souvenir de l’exemple éminent donné par Pascal (1954 [1645] : 355) dans son avis à l’utilisateur de la machine arithmétique (la « pascaline ») : « Tu sais de même comme, en opérant par la plume, on est à tous moments obligé de retenir ou d’emprunter les nombres nécessaires, et combien d’erreurs se glissent dans ces rétentions et emprunts à moins d’une très longue habitude et en outre d’une attention profonde et qui fatigue l’esprit en peu de temps. Cette machine délivre celui qui opère par elle de cette vexation ; il suffit qu’il ait le jugement, elle le relève du défaut de la mémoire […] ».
Introduction
1Les enjeux du « transhumanisme » en tant que mouvement culturel et intellectuel contemporain – tel qu’il s’est affirmé notamment à la fin des années 1990 sous l’impulsion de Nick Bostrom et de David Pearce au moment de la fondation de l’Association transhumaniste mondiale – sont à lire dans des aspirations que l’on peut dire perfectionnistes au sens naturaliste du terme. Il s’agit fondamentalement de perfectionner l’espèce humaine et les individus qui l’incarnent [2]. Habituellement, cela s’entend sous la forme d’une action directe sur la nature humaine : modification génétique, recours à l’équipement artificiel (technologique) des personnes, altération des fonctionnements naturels par une voie ou une autre, voire modification des conditions de la procréation.
2C’est donc avec un appui naturaliste – le fonctionnement des êtres humains en tant qu’êtres naturels, tel qu’on le connaît ou tel qu’on cherche à le connaître – que se déploient des ambitions dont le caractère est volontariste (provoquer des changements d’une manière délibérée), technicien (utiliser et perfectionner les méthodes et outils technologiques) et finalisé (viser des buts par l’action sur l’homme qui est entreprise). Bien que la référence à la vie individuelle soit indispensable dans ce complexe d’aspirations contemporaines, il peut s’agir de buts qui concernent une situation collective. En effet, il est question d’améliorer de telle ou telle manière les fonctionnements ou les capacités typiques, ou encore les moyens disponibles, dans l’espèce humaine. On a aussi en vue, dans un registre non moins collectif, de sélectionner ex ante, par un moyen ou un autre, les individus devant constituer la population ou bien une population spécifique.
3Dire que l’on vise un certain perfectionnement, ou bien l’émancipation au regard de certaines contraintes de la vie humaine ordinaire, implique des jugements de valeur. Il est supposé bon de s’émanciper de ces contraintes ou de chercher à modifier dans un sens défini les conditions ordinaires de la vie en tant qu’être humain, ou bien encore la configuration de la population (ou d’une population) humaine. La référence aux possibilités techniques et aux progrès des sciences de la nature est insistante ; elle est même constitutive de ce qui distingue les aspirations transhumanistes d’autres systèmes de croyances relatifs au progrès dans le monde contemporain. Pour autant, et quoi qu’il en soit des attitudes positivistes affichées par les uns ou les autres, cette référence ne peut en aucun cas masquer l’importance d’une strate axiologique et normative, voire prescriptive : ce qui est mobilisable est supposé devoir être convoqué comme instrument au service de fins qui sont posées, ou bien au service de la conformité à des normes, éventuellement avec une intention prescriptive consistant à spécifier, à l’usage des individus ou des collectivités, ce qui doit être réalisé ou de quelle manière il faut s’organiser collectivement et institutionnellement.
4Voici donc le paradoxe. La référence aux virtualités techniques est utilisée pour conforter la croyance au progrès et son influence dans les décisions collectives ; or, le progrès n’a pas de sens clair dans une approche qui oublie la collectivité, et aucune doctrine consensuelle toute prête ne relie les aspirations individuelles à ce qui serait automatiquement ratifiable comme un progrès absolument parlant. C’est ce qui nous oblige aujourd’hui à tenter d’aller au-delà des croyances confuses dans un progrès collectif intégralement distribué dans les individus, au temps d’un « post-humanisme » manifestement habité par la méfiance envers les idées progressistes concernant l’ensemble de l’humanité. La prise en compte équilibrée des aspirations qui s’expriment dans le transhumanisme oblige à affronter les défis de la dimension collective de toute idée de progrès conservant sa pertinence. Pourtant, et c’est une vraie difficulté, il faut essayer de le faire en un temps qui est marqué – étant donné l’emprise des idéologies (souvent radicalisées) favorables à l’individualisme et à la concurrence – par la mise en cause systématique de toute idée de progrès à partager dans l’ensemble de l’humanité.
Amélioration et progressisme : quel débat engager ?
Deux voies de l’affranchissement au regard des contraintes
5Dans une culture dominante marquée par la valorisation très forte de l’autonomie individuelle (voire de l’indépendance à conquérir par rapport au concours ou au soutien d’autrui), telle qu’elle est aujourd’hui très largement véhiculée par la culture populaire et par les idéologies politiques d’inspiration libertarienne ou néolibérale, les rêves ou les espoirs d’une « amélioration » du corps humain et de nos fonctionnements mentaux et sociaux renvoient à une sorte de dépassement de limites qui pèsent sur nos vies. On peut remarquer d’emblée que le corps humain lui-même, si « naturel » qu’on se le représente, est susceptible d’une approche en termes de puissance, qui le rapproche de la technique (Jaquet 2001). Le rêve d’immortalité, évidemment, renaît dans ce contexte et sous de nouvelles formes ; il marque la limite d’un vaste ensemble d’aspirations qui, dans une veine naturaliste, relaient les aspirations religieuses traditionnelles à la guérison, à la délivrance ou à la vie nouvelle. La conjonction des aspirations naturalistes et spirituelles reste d’ailleurs très fréquente, comme en témoigne la référence insistante à Dieu et aux rapports entre l’homme et Dieu dans les créations culturelles transhumanistes.
6Si on l’aborde à partir d’une perspective naturaliste, l’émancipation est avant tout un franchissement des barrières imposées par ce qui est perçu (ou ce qui a été trop longtemps considéré) comme le cadre « naturel » de la vie humaine, et ce franchissement est ambigu. S’agit-il d’adaptations continues s’inscrivant dans la longue suite des améliorations des formes typiques de la vie humaine permises par la médecine, la psychologie, les sciences sociales, le droit et la politique ? Dans ce cas, aucune rupture n’est nécessaire par rapport à un humanisme traditionnel prônant l’acceptation d’une « nature humaine » plus ou moins stable, et simplement capable d’adaptations dans ses formes de vie en fonction des circonstances et au gré des progrès technologiques et des aspirations sociales.
7Dans ce registre, on pourrait dire par exemple que les défis du réchauffement climatique et de la perturbation irréversible des écosystèmes dus à l’activité humaine devraient nous conduire à apporter des modifications substantielles à nos modes de vie – de la consommation d’énergie à l’alimentation en passant par les règles comptables et bien d’autres choses – afin de nous délivrer de pratiques mortifères pour la planète et pour les êtres qu’elle abrite. C’est alors une perspective qui met au premier plan l’équipement des hommes par des règles et par des normes – éventuellement non impératives, comme de simples « standards » – de la vie en collectivité, de l’éducation et de la culture. De fait, la multiplication en apparence désordonnée des études et des démarches politiques mettant l’accent sur la « transformation », la « transition », l’« intégrité », l’« éthique » (au sens le plus large et le moins précis) ou encore la « conformité » laisse apercevoir un noyau commun qui est de cet ordre.
8D’une certaine manière, l’évidente montée en puissance d’enjeux relatifs à la vie humaine qui imposent une prise en charge collective – et souvent transnationale ou internationale – donne une importance accrue à la prise de conscience collective des directions à imprimer à la transformation graduelle des règles de la vie en collectivité. L’idée d’affranchissement ou d’émancipation est essentielle, parce qu’il s’agit de se délivrer de conséquences collectives prévisibles et fâcheuses, non intentionnelles au reste, de nos actions intentionnelles respectives. Bien entendu, la prégnance de ces idées est d’autant plus forte que l’évolution économique, très paradoxalement, a privilégié depuis le tournant anti-social, anti-égalitariste et dérégulateur des années 1980 dans de nombreux pays, des formes d’organisation ou de désorganisation en vertu desquelles on creuse aussi profondément que l’on peut le fossé entre l’action intentionnelle et les résultats non intentionnels. Cela s’effectue par l’entremise de mécanismes de concurrence aveugles aux conséquences des interactions entre les êtres humains, incorporant le recours à des modèles parfois porteurs de risques additionnels (en particulier dans le champ financier comme le montre Walter (2013), et complétés par une hyper-réglementation qui n’est pas sans danger non plus (Rodarie 2015). Les espoirs que l’on fonde dans des tâches fines de « régulation » des marchés – comme dans les rapports entre diagnostics (très sombres) et recommandations (complexes et incertaines) développés par Tirole (2016) – sont marquées au coin d’un optimisme auquel il demeure problématique de se rallier [3].
9Le « transhumanisme », quant à lui, s’inscrit volontiers en rupture par rapport à l’idée générale de l’acceptation d’une nature humaine dont les contours essentiels seraient à respecter en dépit d’adaptations nécessaires dans les formes de vie. De cette manière, c’est une forme d’affranchissement ou d’émancipation qui est visée. Si l’intention n’est pas toujours de susciter des bouleversements brusques, il s’agit du moins de remettre en doute, sur un mode que l’on peut dire « post-humaniste » (bien que le post-humanisme renvoie aussi à bien d’autres choses), la valorisation générale (par principe) d’éléments stables rapportés à une « nature humaine » servant de point de référence et d’horizon normatif, sous la forme d’une destination de l’être humain. C’est ainsi que le transhumanisme révèle une affinité décisive avec le post-humanisme. À cet égard, ce qui apparaît critique dans ce dernier est la mise en question d’idées régulatrices empruntées à une vision – supposée largement partagée et en tout cas non interrogée – de ce qui convient à l’humanité. Les figures d’un « passé » étranger à l’ère du développement rapide de la technoscience sont en effet perçues comme les témoignages de la croyance non critique dans un tel tableau de la destination (fixe) de l’humanité.
10Si l’on s’accorde sur la différence entre ces deux approches, l’examen des rapports respectifs de celles-ci avec les figures du progrès s’imposera. Si l’on compare les discours transhumanistes actuels aux formes principales que l’aspiration progressiste à l’émancipation a revêtues au cours des derniers siècles, on ne peut qu’être frappé par leur enracinement naturaliste et individualiste, et par leur insistance sur des ruptures décisives à créer. Tout se passe souvent comme si le progrès de l’humanité et la régression (visée) des contraintes devaient procéder du corps et de son fonctionnement, dans une optique d’abord individuelle [4]. Cela n’exclut certes pas la prise en compte des aspects sociaux, mais à un stade second et comme dérivé. De ce fait, inévitablement, la prise en compte des règles et des normes – pourtant centrale dans tout discours convaincant sur le progrès – disparaît ou passe au second plan des préoccupations.
L’individualisme comme phénomène collectif
11Quoi qu’il en soit de la force éventuelle des aspirations ou convictions personnelles qui s’expriment au regard du corps humain individuel, ces aspirations sont aussi des phénomènes culturels et représentent des défis collectifs. De fait, en réponse, certaines aspirations et des craintes sont formulées en faisant référence au destin de collectivités politiques (pour ce qui concerne la résistance à l’eugénisme par exemple), mais aussi, le cas échéant, en référence à l’humanité entière car tel est bien le niveau de certaines interventions philosophiques dans les débats, parmi les plus décisives, comme celles de Jürgen Habermas (2002) ou de Dominique Lecourt (2003).
12Les aspirations et les craintes les plus sérieuses vont au-delà de la réaction à des avancées scientifiques ou techniques ponctuelles. Elles mettent en jeu des conceptions de la vie humaine, du progrès, des rapports entre l’homme et la technique. Quant à la dénonciation « à la mode » du catastrophisme, elle est impuissante face aux raisons qui président à l’expression des craintes, lesquelles ne se réduisent pas à des sentiments personnels. La manière de donner sens aux aspirations ou craintes conduit à prêter attention aux conceptions alternatives des liaisons entre individu et société, puisque les craintes concernent très largement le sort de l’individu en société. Il faut se pencher aussi sur les interprétations des principes, normes ou valeurs éthiques les plus importantes pour l’existence en société et pour le respect de la personne (ou de l’humanité en chaque personne), puisque le discours de dénonciation vise invariablement, en creux, des garanties qu’il faudrait apporter ou créer pour que le pire n’advienne pas.
13Relié de diverses manières à l’approche mécanique de l’être humain individuel dont La Mettrie (1748) avait fourni le modèle historique, le transhumanisme suscite à cet égard de nombreuses questions. Par ses perspectives d’amélioration de l’homme et de remplacement au moins partiel par la machine, il oblige à saisir ensemble l’enthousiasme pour la technique, l’inscription de l’homme dans la nature et les rapports entre individu et société. De fait, l’une des bases du mot d’ordre « améliorer l’humain » est le diagnostic d’une inadaptation présumée de notre structure naturelle et de notre vie sociale actuelle à un environnement technologique en évolution rapide. Si le diagnostic est en partie social (l’inadaptation des règles, normes, pressions sociales), le siège de la valeur est, lui, individuel : il s’agit de l’être humain individuel dont les facultés et la longévité doivent être développées. Nul ne pourra manquer d’observer que l’harmonisation entre description collective et préconisation individualiste ne va pas de soi.
14Reliés à des conceptions (inévitablement plurielles) de la vie humaine en société, les enjeux véhiculés par le transhumanisme ne concernent pas seulement des attentes au regard des évolutions techniques, mais aussi des systèmes d’orientation collective volontariste, de concertation et d’organisation du débat, de garanties (et d’interdictions corrélées), de régulation politique ou administrative des interactions sociales (avec leurs volets économiques, scientifiques technologiques et normatifs). Se posent donc des problèmes de conception de la délibération, de la concertation et de la décision collective. Les idées de progrès sont dès lors inévitablement sollicitées – explicitement ou implicitement – à l’articulation des représentations de l’individu et des représentations de la vie sociale.
Le caractère évolutif des idées sur le progrès
15La référence collective au progrès est traditionnellement solidaire d’un humanisme qui offre un ancrage : le progrès n’est pas une aventure quelconque mais une forme d’engagement pour l’avenir qui témoigne de la fidélité à la destination de l’homme, ou encore à la figure de l’homme, ou à ce qui convient à l’homme comme tel. Le progrès est un canal de résistance à l’opportunisme des développements proposés par la technoscience. La remise en cause « post-humaniste » de la valeur normative d’une destination ou d’une essence de l’homme – véritable étalon des appréciations du progrès dans une perspective traditionnelle – représente ainsi un défi pour l’idée même d’un progrès. Elle pose à tout le moins le problème du caractère unitaire d’un « progrès » de l’humanité comme telle.
16De plus, les espoirs transhumanistes de transformation de l’homme n’ont aucune raison de s’arrêter au seuil de nos capacités d’évaluation. Après tout, de nombreux problèmes humains tiennent à la manière dont nous évaluons les choses plus ou moins spontanément, dans le cadre des cultures et des processus d’évolution normative qui sont les nôtres. Ainsi, une attitude de désintérêt envers la santé est dangereuse pour la santé, le souci du point d’honneur et le nationalisme étroit causent des guerres, l’intolérance divise les sociétés, etc. Améliorer l’humain, cela pourrait passer par le développement systématique de procédés modifiés d’évaluation des situations (comme on a commencé de le faire dans les cadres d’action inspirés par le « paternalisme libéral » en ayant recours aux données de la psychologie cognitive) [5]. Historiquement, l’émancipation technique par rapport à des contraintes a souvent été complémentaire d’une sollicitation du jugement personnel, mais on pourrait imaginer que le progrès technique serve à améliorer ou à orienter le jugement [6]. En poussant les choses à la limite, une question se pose donc : certaines attitudes au sujet du progrès et de son rapport à l’humanité pourraient être considérées comme gênantes pour la geste transhumaniste. On pourrait vouloir les modifier, sinon peut-être par l’intervention sur le cerveau humain, du moins par l’éducation et par le conditionnement des comportements qu’induisent les routines sociales. Il n’y aurait plus alors à espérer de consensus autre que fabriqué à dessein, au sujet de la destination de l’homme et du type de progrès qui convient à l’homme.
17À qui voudrait explorer tant soit peu cette frontière, il serait vite évident que le problème central est celui de la pensée critique. L’accord sur le progrès n’est rien s’il est fabriqué à dessein, puisque la résistance (constitutive du progrès en tant que tel) qu’il oppose à l’opportunisme technologique présuppose la critique, donc la libre pondération des bonnes raisons. De fait, la préservation de la pensée critique et de sa portée est la grande oubliée des idées contemporaines sur le progrès par la transformation de l’homme. Si l’on convient facilement du rôle de la pensée critique dans l’émergence de la science moderne qui fonde aujourd’hui les espoirs du transhumanisme, on ne tire pas toutes les conséquences de la permanence des perspectives critiques, lesquelles concernent de plein droit la formation du jugement individuel, la délibération collective, les orientations normatives ou prescriptives.
18Il va sans dire qu’on ne peut absolument pas supposer que le mouvement des idées à propos du progrès soit stabilisé. Il n’est que de songer à l’articulation entre la dimension sociale et la dimension individuelle du progrès, et aussi au rôle des sciences et des techniques dans le progrès. Le mouvement des idées à propos de ces notions est continu, diversifié en un temps donné en fonction de la pluralité des courants de pensée, et par ailleurs susceptible de revirements ou changements de cap au fil du temps, à l’intérieur même de chacun des courants de pensée repérables parmi ceux qui sont en présence.
19Tout cela rend profondément problématique la référence au « progrès » ou à l’hostilité au « progrès », ce dernier étant entendu sur un mode unitaire, alors même que les débats sur la technologie et ses usages sont fréquemment ramenés, dans la rhétorique du débat public, à une opposition entre une attitude générale d’acquiescement optimiste et la résistance conservatrice globale. Souvent, on paraît désigner par « le progrès » une orientation qui s’impose à l’attention de tous, alors que ce statut de point focal reste discutable en réalité, pour ne rien dire de l’évidence présumée du contenu ainsi visé. En l’absence de maintien des perspectives critiques et pluralistes, la référence au « progrès » ne peut être qu’opaque : le progrès selon qui ? Avec qui ? Favorable aux finalités de qui ?…
20On ne peut se dissimuler le lien qui s’est créé entre l’oubli du lien entre progrès et critique d’une part et, d’autre part, la diffusion et la popularité des idéologies individualistes radicales dans les pays occidentaux, depuis les années 1980 surtout, en réponse à des initiatives politiques bien repérables (en provenance des milieux micro-sociaux et souvent sectaires de l’ultra-libéralisme économique faisant fi de la démocratie sociale). C’est le programme politique radical (« contre-révolutionnaire » selon ceux qui auraient préféré une révolution dans l’autre sens) qui conditionne encore pour nous les idées dominantes sur « le progrès ». Il a pu sembler signer l’arrêt de mort des espoirs du progressisme social fondé sur l’amélioration de la sociabilité humaine et de ses cadres sociaux, économiques et institutionnels. Inattentif par méthode aux liens entre l’individuel et le collectif (puisqu’il repose sur l’idée que le collectif n’existe pas vraiment), ce programme politique a compromis l’aptitude collective à mettre en rapport d’une manière rationnelle les espoirs d’amélioration, l’action collective et l’aménagement des règles sociales.
21Pour autant, il existe manifestement de fortes aspirations à un renouvellement du progressisme social concerté depuis la crise de 2008, qui a incontestablement aidé à comprendre les dangers de la confiance dans les vertus sociales du système pur de l’égoïsme et de la concurrence. Rien n’a été plus instructif que l’effondrement de constructions financières reposant sur des présomptions (souvent fragiles) de prédominance factuelle des motifs auto-intéressés dans l’ensemble de la société, sur des théories contestables des anticipations et des équilibre de marché, et plus généralement sur des modèles mal maîtrisés du comportement humain, des risques et des équilibres sociaux. Les déceptions qui en résultent peuvent être l’occasion du réveil : oui, le collectif existe puisque les conséquences des actions individuelles sont indissolublement liées à l’organisation collective. C’est aussi pourquoi l’affranchissement individuel des contraintes ne peut être considéré dogmatiquement comme un « progrès » en lui-même, contrairement à ce que présupposent les discours favorables à toute espèce de dérégulation.
Perspective collectives : proposition d’une recherche d’un consensus (négatif) contre l’orientation arbitraire de l’évolution de l’espèce humaine
Interroger la compréhension du progrès en termes collectifs
22Au vu de ce qui précède, il apparaît indispensable de prendre en compte la dimension sociale du « progrès » auquel l’humanité peut se référer pour s’orienter. Les aspirations au bonheur, à la liberté de choix, à l’épanouissement individuel n’ont rien de « purement individuel » après tout : la manière dont elles se réalisent (ou non) est tributaire de relations sociales et de l’organisation collective. De ce point de vue, la thématique de la perfectibilité sociale offre bien une sorte de point de référence. Malgré la diversité avérée des conceptions substantielles (perfectionnistes) du progrès, on peut au moins identifier comme un problème, à propos d’une doctrine quelconque du progrès individuel ou biologique, le fait de ne pas s’articuler à une conception défendable et cohérente du progrès humain en société, tel qu’il s’incarne dans l’histoire partagée.
23De plus, les conditions concrètes de la vie sociale ont indéniablement une influence sur la congruence (ou la divergence) entre ce qui peut valoir comme une « amélioration » à l’échelle individuelle et une perspective plus générale d’amélioration dans la vie collective. Il en va ainsi de l’emprise des normes de concurrence (à travers l’extension croissante donnée à l’économie de marché) et des normes de réputation et de conformité (en raison de l’essor des réseaux sociaux). Ces évolutions favorisent des comportements dont les effets sociaux agrégés peuvent s’avérer problématiques au point de rendre les efforts individuels contre-productifs pour chacun (au regard des valeurs de chacun). De ce fait, elles interdisent formellement de considérer que l’amélioration individuelle de « capacités » ou facultés soit, en soi, un gage d’amélioration de la vie humaine, puisque c’est simplement faux.
24Les questions que nous soulevons ici ne relèvent pas d’un face-à-face entre la recherche individuelle du bonheur et des impératifs qui seraient d’emblée « sociaux » et solidaires d’un plan de la réalité qu’il faudrait tenir séparé de celui des personnes individuelles. Il est important de le souligner parce qu’une partie notable des effets rhétoriques obtenus par la référence au libre choix individuel (dans une culture qui le valorise en tant que tel au plus haut point) repose sur la conviction erronée d’une association entre la recherche du bonheur et l’amélioration des chances d’obtention du bonheur.
25Dans une société qui se dote de normes et de principes de référence, on ne peut ignorer le nécessaire travail d’harmonisation des aspirations individuelles les unes avec les autres, afin de leur éviter d’être contre-productives. Les sociétés du monde contemporain abritent des contextes de vie concurrentiels au plan économique et du point de vue de l’accès aux statuts sociaux, dans des environnements qui sont marqués par ailleurs par de fortes pressions dans le sens de la conformité sociale (au regard des capacités, de l’autonomie, des traits physiques ou psychologiques, des marques de réussite, de l’apparence sociale). Dans de telles conditions, les effets de composition des initiatives individuelles posent des problèmes réels pour les individus eux-mêmes. Le progrès est-il vraiment pensable sans donner la première place à une perspective collective ?
26Le fait de prendre en compte le corps individuel n’enveloppe pas, en soi, l’injonction d’une réduction à l’individuel (l’histoire de la santé publique, de l’épidémiologie, de la médecine du travail en porte témoignage). Ce rappel évident est peut-être nécessaire dans un contexte intellectuel marqué par des formes abusives de réductionnisme conduisant à laisser de côté la dimension sociale des choses. Les aspirations transhumanistes représentent à ce niveau une sorte de défi. Elles nous obligent à dévoiler et à justifier nos jugements de valeur dans une perspective sociale. Elles nous conduisent inévitablement à expliquer les liens que nous croyons corrects entre les valeurs individuelles et les valeurs collectives. Elles rendent enfin nécessaire – et nous voudrions nous y attarder – de chercher à mieux interroger nos représentations courantes du lien entre le progrès individuel et le progrès social.
L’unité d’un regard critique : une voie argumentative à explorer
27Ne peut-on s’accorder, négativement en quelque sorte, à donner congé aux perspectives post-humanistes trop ambitieuses, celles qui prétendent imposer au destin de l’espèce humaine actuelle une inflexion qui s’inscrirait délibérément en rupture par rapport à l’héritage de l’expérience humaine dans les cadres de l’espèce humaine, au fil des générations innombrables qui ont précédé la nôtre ? Serait-il possible, tout en respectant la diversité des expériences humaines et des aspirations auxquelles elles donnent naissance, de se mettre ainsi d’accord sur le rejet de conceptions arbitraires du « progrès » dans (ou de) l’espèce qui auraient pour conséquence de nous interdire collectivement, à l’avenir, de respecter la diversité des expériences et formes de vie constitutives de notre humanité partagée?
28Le diagnostic fréquent des « excès » de la littérature transhumaniste est intéressant à cet égard, puisqu’il suggère une recherche de limites, et parce que les limites à chercher semblent devoir être destinées à préserver une forme de continuité dans l’aventure humaine, gage d’un legs à accepter et non pas à subir dans chaque génération. Mais qu’en serait-il au juste des voies d’un consensus de ce genre ? Il me semble – bien que je ne puisse être très affirmatif sur ce point – que la restauration des perspectives sociales sur le progrès est une source de bonnes raisons allant dans ce sens. On peut du moins tenter d’esquisser la proposition argumentative correspondante.
29Les aspirations à un « progrès » centré sur l’individu et accessible aux décisions individuelles (ou familiales) risquent de compromettre la vision unitaire que nous avons de l’humanité, en favorisant des démarches porteuses de différenciations dans la constitution humaine, dans l’expérience humaine du monde et dans les communautés humaines. C’est bien la préoccupation qui préside à la dénonciation des inégalités qui pourraient résulter (dans le corps même des individus) d’un chemin « transhumaniste » d’évolution de l’humanité. Le consentement collectif à des chemins d’« amélioration » librement choisis enveloppe tacitement le consentement à des différenciations sociales capables de se durcir et de se reproduire, d’être des bases de discrimination, de division et d’exclusion. À terme, c’est la perspective même d’une vie commune sous des normes communes qui risque de pâtir. Ne devons-nous pas agir en sorte de préserver la possibilité de dire, dans le futur, e pluribus unum (en songeant au genre humain plutôt qu’au corps politique)?
30La réflexion collective à ce propos impose de prendre au sérieux les aspects unitaires du regard critique de l’humanité sur elle-même et sur sa propre évolution. Il importe, pour l’expérience morale et politique, de pouvoir se regarder les uns et les autres comme les membres d’une communauté unique (même si elle se différencie dans le détail et même si les conceptions de la « meilleure » vie collective ne sont pas plus unitaires que les conceptions de l’« amélioration » humaine). Or, l’orientation transhumaniste vers un « meilleur » état de l’humanité risque de créer des discontinuités dans l’histoire humaine. Elle risque d’affecter, voire de bouleverser la conscience d’une continuité des expériences humaines au cours de la succession des siècles. En effet, elle peut encourager une tendance dangereuse à s’abstraire des leçons de l’histoire au prétexte d’un état désormais « amélioré » de l’humanité (ce qui a déjà été testé à plusieurs reprises dans les diverses idéologies de l’homme nouveau).
31Selon cette orientation argumentative, ce qui est à préserver tout d’abord est la permanence de la possibilité effective d’un questionnement sur ce qui est commun à partir des expériences communes et avec comme horizon des normes (droits, garanties, statuts) à reconnaître en commun. Pour cette raison, n’est-il pas indispensable de faire preuve de précaution en prenant en compte les risques des transformations humaines pour la vie sociale et pour les points de vue réflexifs inscrits dans la vie sociale ? Si l’on donne du crédit à l’importance d’une perspective unitaire sur l’humanité, la réponse semble bien devoir être positive.
32À court terme, l’intensification de la compétition pour la conformité à des standards sociaux à travers l’utilisation de moyens techniques librement accessibles (et relevant de l’« amélioration » humaine) est susceptible de renforcer les contraintes sociales et de compromettre la jouissance équitable de la valeur de la liberté de choix. C’est donc aussi à plus court terme qu’il faut faire face aux risques d’affaiblissement d’une position réflexive capable de demeurer réellement critique, et détachée des pressions de conformité et d’adaptation aux standards sociaux. Les perspectives de division sociale induites par la recherche d’une « humanité à la carte », librement améliorable, ne laissent pas intactes les chances d’un questionnement éthique universel.
33Au plan pratique et à titre de corrélat, il apparaît important de rechercher une certaine précision dans la définition des interventions vraiment médicales sur l’équipement génétique et sur l’instrumentation artificielle. Ce qui est « médical » doit demeurer lié à une vision critique du progrès, pas seulement à l’exploitation d’opportunités technologiques, idéologiques ou économiques. Pour cela, il importe certainement de remettre en usage des approches raisonnablement précises du souci légitime de la santé et de la régression des infirmités, pour que les outils de la recherche médicale et de la médecine ne soient pas mis au service d’un souci incontrôlé et arbitraire de normalisation des êtres humains et de leur point de vue sur le monde. De même, le maintien d’un point de vue critique sur le monde passe certainement par la préservation de la pluralité linguistique et culturelle, gage de la permanence de ressources critiques et d’une résistance active aux tentatives arbitraires d’uniformisation des visions du monde et de la société.
La diversité des héritages et des identités
34L’approche des problèmes dont nous traitons est évidemment tributaire des dispositifs en vigueur dans les différents États et dans les enceintes internationales. Au regard de ces dispositifs, la question se pose toutefois d’une utilisation adéquate à la spécificité d’enjeux qui sont à la fois mondiaux (transnationaux) et identitaires à une échelle inédite (celle de l’espèce humaine). Nos systèmes délibératifs et décisionnels sont-ils à la hauteur des enjeux ? La dimension mondiale appelle d’emblée un dialogue dépassant les héritages nationaux et culturels à un certain échelon de la problématique, sans nier pour autant les diffractions significatives des problèmes communs dans les différents « milieux » humains structurés par des identités et héritages particuliers.
35Les problèmes communs ont évidemment différentes manières d’apparaître et de s’imposer à l’attention. Si les identités et héritages particuliers ne doivent certainement pas être méprisés ou laissés de côté, ils ne doivent pas non plus opposer des barrages artificiels à l’échange des arguments et des réflexions à cause de « tabous culturels qui doivent inévitablement être eux-mêmes interrogés », et qui sont potentiellement porteurs d’usages éminemment contestables des opportunités techniques. Le rapport aux « améliorations » est en partie culturel et il faut en tirer les conséquences. Les identités collectives et les héritages culturels sont en vérité des éléments importants pour saisir la signification humaine des différentes approches possibles, tant sur le fond (ce qu’il advient de l’homme et de l’évolution de ses techniques) que pour les aspects procéduraux, importants aussi dans leur genre (la manière dont on débat, dont on se décide, dont on laisse émerger des repères collectifs en tenant compte des aspirations et des valeurs contrastées présentes dans la société ou plus largement dans l’ensemble des sociétés humaines).
36C’est souvent à cause de pressions sociales liées à des normes héritées (ou constitutives d’une identité culturelle ou sociale) que les ressources offertes par la technique se transforment en éléments constitutifs d’une sorte de fatalité sociale, pour des familles ou individus sommés de s’adapter à des conventions sociales qu’ils ne sont pas en mesure de remettre en cause par leur propres moyens ou dans des actions collectives susceptibles de réussir. Par exemple, la concentration sur le sport de compétition, la réussite économique, la beauté et la jeunesse dans les sociétés contemporaines est de nature à induire une pression forte et dangereuse dans la direction d’« améliorations » présumées qui risquent bien, à l’expérience, de se solder par des déceptions. C’est ce qu’attestent déjà, dans certains milieux sociaux, le recours abusif à la chirurgie esthétique en rapport avec des impératifs de carrière, l’usage dangereux de substances toxiques stimulantes en réponse au « stress » des fonctions professionnelles, les risques pour la santé de certaines formes d’entraînement sportif intensif, ou encore le recours à des formes contestables de conditionnement psychologique dans des missions professionnelles. Le recours à des changements radicaux incarnant les thématiques « transhumanistes » peut susciter l’inquiétude parce qu’ils risquent d’accentuer l’enfermement individuel dans les conventions sociales, et de le faire d’une manière qui bouleverse (selon des orientations arbitraires) la structure de l’expérience humaine du monde et de la vie sociale.
37Dans des domaines du questionnement moral qui sont fondamentalement ouverts et dans lesquels il est inapproprié de raisonner à partir de certitudes non interrogées, il est important que la diversité des expériences humaines enracinées dans des héritages culturels, loin de fermer l’horizon des débats par des interdits hâtifs, offre un support au dialogue et à la perception des enjeux dans toute leur largeur. Pour que ce soit possible, il apparaît indispensable que les « améliorations » soient abordées de manière contextuelle, en s’attachant à comprendre les formes collectives de validation ou de reconnaissance qui leur sont associées. Pour cela, il faut abandonner tout « fétichisme » technologique mais aussi se préparer à intégrer la diversité des aspirations et des références culturelles dans l’élaboration de normes communes visant à éviter des dérives inacceptables dans la constitution de l’humanité et de l’expérience humaine du monde.
38En somme, le champ de questionnement ouvert par le transhumanisme contemporain est jalonné de repères culturels particuliers et de contexte historiques. Seule une approche délibérément appauvrissante pourrait nous convaincre d’y déceler un obstacle pour l’universalité d’un questionnement critique dans et pour l’humanité. On a au contraire toutes les raisons d’y voir un gage de pluralisme et d’invitation au dialogue critique. C’est la direction dans laquelle on peut raisonnablement espérer travailler à établir des limites acceptables aux espoirs de libre transformation radicale des êtres humains, dont les effets, s’ils ne sont pas contrôlés, risquent d’imposer des différenciations et des pressions sociales compromettant l’effectivité du dialogue critique sur les règles, l’organisation et l’action.
Conclusion
39Aucun essai de bilan instantané à propos des conceptions du progrès et de la perfectibilité ne peut valablement servir de « toile de fond » figée dans le contexte d’une réflexion sur le transhumanisme et sur ses rapports avec le post-humanisme dans le monde d’aujourd’hui. Les idées à propos du progrès sont en mouvement mais la thématique de la précaution, qui comporte des volets procéduraux, est de nature à inspirer utilement la préparation collective, par la délibération, aux inflexions éthiques, politiques, économiques et politiques qui pourront caractériser les réponses aux aspirations « transhumanistes ».
40Il ne convient pas de se borner à prendre en compte les aspirations au bonheur dans un format qui se voudrait purement et simplement « individuel ». Ce type de filtrage des éléments du débat n’est pas acceptable, même s’il est favorisé par l’arbitraire individuel ou communautaire dans les diverses aspirations à l’amélioration « transhumaniste » de l’humaine condition telle qu’elle est. La dimension collective de la référence au progrès est en effet cruciale, si l’on parle bien du progrès en tant que tel et non d’autre chose. Compte tenu des enjeux évoqués, la préparation internationale et pluridisciplinaire est cruciale pour que la réponse aux innovations techniques et aux évolutions sociétales ne soit pas de l’ordre de la réponse dans l’instant ou dans la « panique morale » qu’avait bien décrite Ruwen Ogien (2004).
41Le temps de la réflexion doit être celui de la délibération collective, comme on la pratique dans les instances chargées de donner des avis « éthiques » (y compris dans les assemblées démocratiquement élues et qui ont à légiférer sur des sujets dont l’importance éthique est reconnue). Si l’on ambitionne de mettre en communication les choix collectifs et la recherche en éthique, il faut aussi, cependant, poursuivre l’examen de fond des principes à mobiliser et des conséquences de leur mise en œuvre effective, ainsi que l’étude de leur mise en compatibilité les uns avec les autres. Il importe en effet que les choix à effectuer répondent à des principes éprouvés et à des valeurs défendues dans une perspective critique et sur la base de raisons compréhensibles (même lorsqu’elles ne sont pas consensuelles).
Bibliographie
Références
- Blay, M. et Euvé, F. (2019) Dialogue sur l’histoire, la religion et les sciences. Paris : CNRS Éditions.
- Després, E. et Machinal, H., dir. (2014) Posthumains : frontières, évolutions, hybridités. Rennes : Presses universitaires de Rennes.
- Godin, C., dir. (2013) « Dossier : Aujourd’hui, le post-humain », Cités, 55 (3).
- Habermas, J. (2002) L’avenir de l’espèce humaine, traduit de l’allemand par Christian Bouchindhomme. Paris : Gallimard.
- Hayles, N. K. (1999) How We Became Posthuman : Virtual Bodies in Cybernetics, Literature and Informatics. Chicago, IL : University of Chicago Press.
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- La Mettrie, J. O. de (1748) L’Homme Machine. Leyde : Elie Luzac Fils.
- Lecourt, D. (2003) Humain, posthumain. Paris : Puf.
- More, M. et Vita-More, N. (2013) TheTranshumanist Reader : Classical and Contemporary Essays on the Science, Technology, and Philosophy of the Human Future. Oxford : Wiley-Blackwell.
- Ogien, R. (2004) La Panique morale. Paris : Grasset.
- Pascal, B. ([1645] 1954) Avis nécessaire à ceux qui auront la curiosité de voir la machine d’arithmétique, et de s’en servir, dans Œuvres complètes, éd. J. Chevalier, pp. 353-358. Paris : Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade.
- Picavet, E. (2018) « Economic Regulation, Social Complexity and The Economic Viewpoint ». OEconomia. History, Methodology, Philosophy, 8 (2) : 257-266.
- Pommier, E. (2013) « En quel sens Le principe responsabilité est-il un humanisme ? », dans E. Pommier et C. Larrère (dir.), L’éthique de la vie chez Hans Jonas, pp. 119-142. Paris : Publications de la Sorbonnne,
- Ranisch, R. et Sorgner, S. L. (2014) Post- and Transhumanism : An Introduction. Berne : Peter Lang.
- Rodarie, H. (2015) La Pente despotique de l’économie mondiale. Paris : Salvator.
- Tirole, J. (2018) Economie du bien commun 2e éd. augmentée. Paris : Puf.
- Walter, C. (2013) Le Modèle de marche au hasard en finance. Paris : Economica.
Notes
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[1]
L’auteur remercie la FMSH (Collège d’Études Mondiales, Chaire Éthique et Finance) et le groupe SMA-BTP, partenaire du programme CHRONOS, pour le soutien en vue de sa participation au Congrès de l’ASPLF à Pékin. Il remercie Christian Walter et Mara Madga Maftei pour le partage d’arguments, au sein de la Chaire, sur les liens entre recours aux modèles, risques et artificialisation des relations sociales.
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[2]
Pour des éléments généraux et diverses approches, on peut se reporter à Després et Machinal (2014) ; Godin (2013) ; Hayles (1999) ; More & Vita-More (2013) ; Ranish & Sorgner (2014).
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[3]
Sur ce point, je me permets de renvoyer à ma recension détaillée (Picavet 2018).
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[4]
Cette perspective oblige à réfléchir, latéralement, au rôle de la technique comme condition nécessaire, non suffisante de l’autonomie ou de la liberté au regard de fins dictées par la nature, donc reçues dans l’hétéronomie. Voir, à ce propos, dans le contexte d’une étude sur la responsabilité et l’humanisme (à partir de la philosophie d’Hans Jonas), Pommier (2014 : 121).
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[5]
Voir en ce sens l’inquiétude exprimée par Blay et Euvé (2019 : 10) dans le contexte de la dénonciation d’un usage des techno-sciences qui ne visent que la maîtrise, la consommation et l’innovation, et non plus véritablement le progrès, présenté par ces auteurs comme lié à une espérance téléologique : « […] l’artificialisation de la nature, à laquelle nous avons assisté principalement depuis le xixe siècle, concerne maintenant l’homme, devenu homme-machine, homme-électronique, homme neuronal et algorithmique ».
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[6]
6. Sur la complémentarité de l’émancipation par la technique et du recours au jugement, on peut se souvenir de l’exemple éminent donné par Pascal (1954 [1645] : 355) dans son avis à l’utilisateur de la machine arithmétique (la « pascaline ») : « Tu sais de même comme, en opérant par la plume, on est à tous moments obligé de retenir ou d’emprunter les nombres nécessaires, et combien d’erreurs se glissent dans ces rétentions et emprunts à moins d’une très longue habitude et en outre d’une attention profonde et qui fatigue l’esprit en peu de temps. Cette machine délivre celui qui opère par elle de cette vexation ; il suffit qu’il ait le jugement, elle le relève du défaut de la mémoire […] ».