Diogène 2016/1 n° 253

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Article de revue

L’Islam entre principe démocratique et démocratie libérale

Pages 97 à 109

Notes

  • [1]
    Cité par Chanial 2011.
  • [2]
    La nouveauté de ces éléments fait que H. Djaït se demande où les tenants de cette nouveauté ont pu puiser leurs idées. Cherchant à comprendre le meurtre du calife Ûthman, il écrit : « Les insurgés voulaient donc que le calife se démette, “qu’il nous rende notre califat”. Où ont-ils pu trouver une telle idée, inexistante dans l’expérience islamique récente de l’autorité et du pouvoir ? Dans quelle culture politique ont-ils puisé ? Était-ce une idée neuve, inventée, sécrétée par leur propre dynamique historique ? On ne le sait pas, mais il devait avoir existé une connaissance quelconque des expériences politiques des peuples soumis comme il a existé en Arabie même une expérience de la royauté, si marginale et si fugace fût-elle » (Djaït 1989 : 183).
  • [3]
    Cet épisode a fait l’objet du livre important de Fahmi Jadaane, La Mihna. Dialectique du religieux et du politique en islam (2000).
  • [4]
    L’ouvrage du marocain Mohamed Lahbabi (1958) est une bonne illustration de cette tendance.
  • [5]
    C’est sur la base de ce principe démocratique que le ‘alem marocain My Larbi Alaoui exprima son opposition à la consécration par la première Constitution du Maroc du mode de succession héréditaire de la monarchie, opposition qui s’adossait à la réticence ou au rejet dans la doctrine juridique classique du principe héréditaire, non pas au modèle de la démocratie libérale qui imprégnait le camp de l’opposition progressiste de gauche (unfp) auquel ce ‘alem était affilié.
  • [6]
    « […] en donnant à voir l’unicité de l’expérience démocratique, ils [les Européens] parviennent à expliquer, par un raisonnement causal relativement pauvre, l’autoritarisme en vigueur dans les pays musulmans. Résolument eurocentristes, ils défendent vigoureusement l’idée selon laquelle la démocratie se prévaudrait d’une origine unique, à savoir la Grèce. L’idée que la démocratie naît à Athènes fait partie de ces vérités indéboulonnables qui, avec le temps, ont acquis une sacralité incommensurable. Néanmoins, les origines romaines de la démocratie sont tout au moins aussi importantes que ses origines grecques, dans la mesure où c’est en elles que la modernité occidentale a puisé sa raison d’être, voire ses institutions. En ce sens, la tradition occidentale a beau jeu de se réclamer d’une souche unique, grecque, alors qu’elle doit sa naissance à une expérience romaine par nature bien plus proche des réquisits et de l’esprit sur lesquels elle s’est progressivement bâtie » (Mestiri 2009 : 27-28).
English version

1 Les pays qui appartiennent à l’ère culturelle et civilisationnelle de l’Islam ont du mal à faire de la démocratie un idéal différent des modes autoritaires de gouvernement : voici une affirmation qui relève du constat. La démocratisation peine toujours à devenir une possibilité crédible de conversion des systèmes autoritaires qui ont dominé et continuent à dominer dans les pays musulmans. Le processus de démocratisation que connaissent certains pays arabes après les évènements du « printemps arabe » est soit réversible, comme le montre le cas de l’Égypte, soit fragile car non encore consolidé par une expérience et une pratique suffisamment longues, comme en Tunisie.

2 On attribue parfois l’échec partiel du processus démocratique dans cette région du monde au fait que la démocratie serait une invention occidentale, issue de sa trame historique et culturelle. Paradoxalement, des points de vue musulmans et occidentaux s’accordent parfois sur cette hypothèse. Un certain extrémisme islamique considère que la démocratie est un produit occidental et qu’il faut en conséquence la rejeter, car elle s’identifierait à une culture séculière et laïque. Il existe toutefois chez des penseurs musulmans une attitude plus modérée qui propose d’adapter ce modèle étranger à la spécificité musulmane. Cette approche relève d’une démarche herméneutique, plutôt apologétique et idéologique, qui alimente un discours selon lequel l’Islam aurait précédé les autres civilisations dans l’invention ou dans la découverte de ce qui est imputé de positif à d’autres cultures et en particulier à la modernité européenne. Cette pensée par analogie est courante chez les musulmans et ne correspond guère à la démarche savante. Elle exprime une approche idéologique visant à intégrer l’idée et le modèle de la démocratie libérale occidentale dans les sociétés musulmanes contemporaines dont on ne saurait cependant nier l’importance. D’autre part, un certain point de vue occidental, largement accrédité dans la sphère académique, ancre aussi la démocratie dans une spécificité historico-culturelle de l’Occident, ce qui explique que les musulmans soient incapables de devenir des démocrates, sauf en s’occidentalisant. La démocratie reste ainsi problématique dans le contexte musulman.

3 Une autre manière d’interroger cet antagonisme apparent consisterait à reconnaître que la démocratie n’est pas exogène à la réalité historique et sociale du monde musulman, mais qu’elle s’accompagne d’une modulation interne d’un « principe démocratique » qui, au moment où le monde musulman rencontre le modèle de la démocratie libérale occidentale à l’époque moderne, s’exacerbe dans sa nature problématique. L’objectif de cette contribution consiste à défendre cette perspective.

Désoccidentaliser la démocratie

4 Quand Hérodote fait écho, dans son fameux dialogue, au débat sur la meilleure forme de gouverner la πόλις, les personnages qu’il met en scène ne sont pas grecs mais perses. C’était peut-être une manière de signifier que les Perses pouvaient être des Grecs ou que la question de la meilleure forme de gouvernement n’était pas spécifiquement grecque. D’autre part, s’il est vrai que les Européens ont intégré l’héritage grec dans leur culture et ont puisé dans cet héritage leur inspiration démocratique, il est tout aussi vrai que la démocratie européenne s’est construite sur la conscience de l’écart séparant l’idéal de liberté des « Modernes » de l’idéal de liberté des « Anciens ». C’est en raison de son identification à la liberté des Anciens que le modèle de la démocratie promu par J.-J. Rousseau fut rejeté par les tenants de la liberté des Modernes ; le rejet est le fait des libéraux du xix e siècle, tel Benjamin Constant, et s’inscrit dans le prolongement de l’opposition « libérale » et aristocratique de Montesquieu à la souveraineté du peuple comme fondement de la liberté démocratique.

5 Quelle que soit la pertinence de cette articulation entre les deux références historiques de la démocratie, pour penser la démocratie au sein de la configuration historico-culturelle de l’Islam il faut la « désoccidentaliser ». C’est ce qu’illustre la perspective promue par le penseur Amartya Sen, qui a refusé d’identifier l’idée de démocratie au modèle occidental de la « démocratie procédurale » (élections et vote), pour l’étendre en revanche au modèle de la « démocratie délibérative » axé sur le débat public. Ce point de vue prolonge la perspective induite par l’approche anthropologique et sociologique de certaines sociétés traditionnelles non-occidentales et permet d’élargir l’assise sociologique et culturelle de la démocratie, dont les multiples formes sont ainsi considérées comme s’enracinant dans un fond commun démocratique. Un sociologue américain, Charles H. Cooley (1864-1929) [1] a affirmé qu’« une démocratie véritable n’est autre que l’application à grande échelle des principes que nous considérons universellement juste de mettre en œuvre dans les petits groupes » (ces principes sont selon lui : l’égalité des chances, l’équité, le dévouement et l’allégeance de tous au bien commun, la libre discussion et la bienveillance à l’égard des plus faibles). Le point de vue de J. Goody reflète une perspective largement partagée sur cette question :

6

L’idée selon laquelle la démocratie n’a pris naissance que dans les sociétés modernes, et pour tout dire occidentales, relève d’une grossière simplification. De toute évidence la Grèce en a fourni le modèle, du moins partiellement. Cependant bien des systèmes politiques primitifs, même les plus simples, avaient introduit des procédures consultatives, destinées à déterminer la volonté du peuple. Prises dans un sens général, les « valeurs » de la démocratie, bien que parfois étouffées, étaient souvent, si ce n’est toujours, présentes dans les sociétés anciennes, même si elles ne s’affirmaient au grand jour que lorsqu’il fallait s’opposer à l’autoritarisme.
(Goody 2004 : 21)

7 L’« arbre à palabre » africain est l’une de ces variantes de la « démocratie délibérative » dont regorgent le passé et le présent à travers le monde. Le sociologue et orientaliste Jacques Berque, qui a étudié longuement le Maroc, a reconnu dans la « jma’a » figure im1 et dans le fonctionnement délibératif de celle-ci qui caractérise les sociétés tribales marocaines, une forme de démocratie qui aurait pu étayer une évolution démocratique du système politique marocain au lendemain de l’Indépendance.

8 Cette perspective nous autorise à avancer que la valorisation de la démocratie délibérative précède sur le plan sociologique la démocratie procédurale. Cette valorisation, à travers les théorisations de la démocratie participative et de la démocratie communicationnelle (Habermas), apparaît comme un retour vers une dimension sociologique de la démocratie de laquelle la démocratie procédurale s’est détachée. La démocratie délibérative comporte une permanence démocratique que la démocratie procédurale n’assure pas en raison de la périodicité du jeu électoral. Cependant, une analyse approfondie du mode de production des décisions dans la démocratie délibérative conserve à la démocratie procédurale l’originalité et l’importance de son invention historique, en particulier dans sa déclinaison occidentale. Celle-ci substitue un mode participatif des citoyens au consensualisme ou à l’unanimisme de la démocratie délibérative, qui est la marque des sociétés où l’individualité s’efface devant la force d’entraînement de la collectivité et qui, en général, rend le pouvoir de décision tributaire d’une minorité influente qui contraint, d’une manière ou d’une autre, le reste des participants à l’acquiescement. D’autre part, la notion de « démocratie procédurale » ne peut se réduire à une conception formelle et formaliste de la démocratie comme tendent à le penser parfois les théoriciens de la démocratie délibérative. Le vote qui fait l’originalité de la démocratie procédurale ne relève pas uniquement d’une question de forme et de procédure. Lorsqu’il a pour enjeu le choix de celle ou de celui qui doit gouverner la collectivité, le vote repose sur la mise en œuvre d’un principe de fond selon lequel la légitimité de celui ou celle qui gouverne procède du choix et de la volonté de la collectivité. Le vote se trouve ainsi associé au principe de la souveraineté du peuple, qu’il se limite à mettre en œuvre. En même temps, cette démocratie procédurale n’est qu’une dimension de la démocratie libérale. Celle-ci renvoie tout autant à un contenu de valeurs exprimé par les Droits humains et le libéralisme ; elle est à la fois une démocratie procédurale et substantielle. C’est en large partie cette association qui accrédite l’idée selon laquelle la démocratie est une invention occidentale.

9 Si cette association fait l’originalité de la démocratie occidentale, il convient néanmoins de ne pas l’essentialiser. Contrairement aux théoriciens qui tendent à penser en général la démocratie procédurale en termes de discontinuité, cette dimension procédurale s’inscrit dans un fond démocratique commun qui dépasse le cadre de la seule démocratie occidentale. Ce fond commun est représenté par le principe selon lequel la légitimité et le pouvoir de celui ou de ceux qui gouvernent émanent de la collectivité, la « communauté » ou le « peuple ». Ce même principe démocratique appartient tout aussi bien à la démocratie procédurale qu’à la démocratie délibérative. La première implique nécessairement ce principe, alors qu’elle n’implique pas obligatoirement un régime politique démocratique. Enraciner la légitimité et le pouvoir dans le « peuple souverain » peut se combiner au principe de la délégation/aliénation et conduire à légitimer un « principe monarchique » ou un « principe aristocratique ». L’histoire occidentale en fournit maintes illustrations. Le « principe démocratique » a été prôné au moins depuis le bas Moyen Âge en Europe, mais ce n’est que très récemment qu’il a débouché sur le régime politique de la démocratie procédurale. Marsile de Padoue, à cheval entre les xiii e et le xiv e siècles, a à la fois défendu le principe de souveraineté du peuple chrétien et théorisé le « principe monarchique » en faveur de l’empereur. Les théories contractualistes de l’école du droit naturel du xvi e siècle ont ancré la légitimité dans le peuple tout en légitimant le pouvoir monarchique absolu à travers le pacte de soumission. On comprend que J.-J. Rousseau ait dû s’opposer au principe de la délégation, que les penseurs de l’école du droit naturel avaient intégré à leur théorie contractualiste, pour que le « principe démocratique » du peuple souverain puisse conduire au régime démocratique, et on comprend pourquoi Rousseau s’est vigoureusement opposé au principe du mandat des représentants du peuple, dans lequel il a vu une inévitable aliénation de la souveraineté du peuple.

10 On peut par conséquent suggérer que la démocratie procédurale procède de la neutralisation du mécanisme implicite ou explicite de la délégation reposant sur le consensualisme, voire l’unanimisme de la démocratie délibérative. La démocratie grecque surgit de ce processus de neutralisation. Si elle s’est construite en dépassant certaines contraintes de l’organisation tribale de la société (par exemple en déterminant la citoyenneté sur base résidentielle, au lieu que par appartenance clanique), c’est néanmoins sur fond d’une organisation anciennement tribale et de son fonctionnement délibératif qu’elle semble se détacher. À la différence de la démocratie grecque, la démocratie occidentale libérale s’est accommodée du principe de délégation. Elle a d’une certaine manière combiné, avec succès, le principe démocratique et le principe de délégation à travers la démocratie représentative, sans se prémunir complètement, il est vrai, contre les formes d’aliénation de la volonté populaire contre lesquelles s’érigent les partisans contemporains de la démocratie « participative » ou « délibérative ». Mais elle a aussi associé démocratie procédurale et démocratie substantielle ; or si la présence d’un principe démocratique dans une configuration sociale, historique et culturelle non occidentale peut prédisposer celle-ci à intégrer l’ordre procédural de la démocratie libérale, rien n’assure que ce principe démocratique s’accompagne d’une démocratie substantielle. C’est précisément dans cette perspective que s’inscrit la problématique de la démocratie dans l’Islam.

Le principe démocratique à l’œuvre dans la configuration historico-culturelle de l’Islam

11 Faire de la démocratie une préoccupation immanente à la configuration historico-culturelle de l’Islam ne signifie pas se réclamer de formes tribales de société intégrées dans l’ensemble communautaire islamique. Il s’agit au contraire d’inscrire l’idéal démocratique au sein de l’Islam en tant qu’ensemble historico-culturel commun. Cette possibilité a été récemment et brillamment évoquée par une chercheuse tunisienne, Soumaya Mestiri (2009), qui a identifié dans l’œuvre d’Ibn Khaldûn une analogie entre la République romaine et le mode de désignation du chef tribal dans la société arabe, prolongé dans l’expérience islamique sous la forme de la « shûra » figure im2 . Ibn Khaldûn attribue au Sénat romain le refus du principe monarchique :

12

Les Romains ont refusé à l’unanimité de se laisser gouverner par un empereur figure im3 . En conséquence, ils ont élu trois cent vingt sénateurs figure im4 qu’ils ont chargés de les gouverner. C’est ainsi qu’ils ont pu mener leurs affaires figure im5 avec la plus parfaite rectitude jusqu’au moment où César triompha et prit le titre d’empereur. Tous ceux qui lui succédèrent prirent le titre d’empereur.
(Ibn Khaldûn 1956 : 401, cité in Mestiri 2009 : 34-35)

13 L’analogie khaldounienne présente un intérêt heuristique certain. Opérée en dehors du contexte contemporain, où la pensée réformiste musulmane l’a transformée en analogisme apologétique, elle s’inscrit dans la perspective d’un fond sociologique commun où la démocratie ne se présente pas comme une invention occidentale. Le parallèle établi par Ibn Khaldûn permet d’établir la présence d’un « principe démocratique » (qui, en fait, bénéficie à la catégorie aristocratique) et lui confère une profondeur historique qui permet d’échapper au débat entre les partisans de l’invention occidentale de la démocratie et les défenseurs d’un fondement culturel élargi de l’universalité de la démocratie. Soumaya Mestiri enracine cependant cette extension de l’universel démocratique dans l’analogie khaldounienne, comme si elle n’était pas possible en dehors d’elle ou avant qu’elle ne s’opère. Or c’est la réalité sociale qui rend possible chez Ibn Khaldûn l’analogie. S’il faut donc concevoir la démocratie comme immanente à la configuration historico-culturelle de l’Islam, c’est parce qu’elle est présente dans la dynamique historique, culturelle et politique de l’Islam bien avant qu’Ibn Khaldûn n’applique son analogie. Dans cette perspective, c’est toute l’histoire politique de l’Islam qui apparaît, en partie, animée par le heurt entre un principe démocratique et un principe monarchique.

14 C’est dans la trame du processus de légitimation de la fonction califale en tant que continuation de la fondation prophétique que le principe démocratique surgit et s’oppose au principe monarchique. Il s’y révèle moins en tant qu’interprétation possible pour l’observateur qu’en tant que sens attribué par les acteurs eux-mêmes aux évènements vécus. C’est ainsi que procède l’historien Hicham Djaït dans son analyse des évènements de la « Grande discorde ». Djaït identifie le volet démocratique dans le processus qui conduit à institutionnaliser la continuité avec la période prophétique tantôt dans la délibération, tantôt dans l’élection. S’y ajoute un troisième élément d’ordre contractuel, la bay’a figure im6  : le sens de ce dernier aura tendance à évoluer au fil de l’histoire, penchant tantôt vers l’allégeance et la soumission au chef, tantôt vers la nature « synallagmatique » de l’engagement des parties. La pesanteur sociologique du système tribal et les émanations idéologiques des nouvelles conditions créées par le fait islamique déterminent cette trame. La pesanteur tribale inscrit la légitimité « démocratique » du chef dans la double délibération de la tribu et des clans ; il s’agit d’un choix aristocratique émanant des notables et qui est entériné par le consensus ou l’unanimité. L’élection s’articule avec la délibération, car elle résulte d’un processus consultatif.

15 Ces deux éléments possèdent toutefois une différente normativité idéologique. L’élection prolonge son origine « profane » dans le processus qui institutionnalise la continuité avec la période prophétique. L’élection du calife transpose dans la succession au Prophète le « mécanisme » tribal selon lequel c’est la collectivité qui choisit son chef. Elle ne trouve sa consécration idéologique ni dans le texte coranique, ni dans une recommandation prophétique. La délibération, en revanche, présente une plus forte normativité religieuse dans la mesure où elle se trouve consacrée par le Coran sous forme de « shoura » et qu’elle est mise en œuvre à ce titre. L’élection relève d’emblée du droit de regard de l’ûmma figure im7 sur la manière dont le calife exerce son pouvoir (comme le montre le discours qu’aurait prononcé le premier calife Abû Bakr après son élection). Or, à la faveur des évènements qui constituent la « Grande fitna », cette émanation tribale se combine aux dérivations idéologiques liées à la foi islamique. Elle va être rattachée au principe qui subordonne le pouvoir califal à l’ûmma qui l’a choisi et légitimé, ainsi qu’au « droit de tyrannicide » contre le calife qui aurait transformé son office en « royauté » et rompu le contrat de la bay’a [2]. Le principe démocratique à l’œuvre lors de ces évènements (et qui sert de paravent aux insurgés contre le calife Ûthman) se démarque ouvertement du principe monarchique. L’opposition au principe monarchique se greffe sur l’idéologie anti-mûlk qui connote le message coranique et se traduit par l’accusation de chercher à « transformer le califat en mûlk » portée à l’encontre du calife Ûthman. Le Coran s’en prend en effet à la forme monarchique au motif qu’elle se prête à l’usurpation de l’attribut de mûlk, qui revient exclusivement à Dieu et dont le Pharaon est le repoussoir. Cette idéologie foncièrement anti-mûlk du message coranique sert d’arrière-fond à l’accusation de vouloir transformer le califat en mûlk.

16 Le « principe démocratique » de la shûra (l’élection, le choix) ne faisait probablement qu’entériner un mécanisme politique de la société tribale, tout en continuant à favoriser les notables, qui de fait se voyaient déléguer la fonction de représenter la communauté sur une base consensuelle ou d’unanimité. Mais il s’articulait désormais aux soubassements idéologiques de la nouvelle religion. Avec le temps, lorsque l’autorité cléricale des ûlémas une fois constituée commencera à peser sur la vie légale et spirituelle des sociétés musulmanes, ces soubassements se cristalliseront au profit des théorisations juridiques du fiqh figure im8 politique et conduiront le principe démocratique et la délégation à bénéficier aux clercs religieux, érigés en « autorité qui lie et délie » figure im9  ; aussi, le principe démocratique permettra-t-il de théoriser le pouvoir théologico-politique clérical.

17 Cette mise à contribution du principe démocratique au profit du pouvoir théologico-politique clérical se heurta à la réalité du pouvoir califal et au primat dont se réclamait ce pouvoir politique : le conflit entre le calife al-Mamûn et le clerc Ibn Hanbal, le fondateur du hanbalisme, constitua un épisode marquant de cet antagonisme dans l’histoire politique de l’Islam [3]. Cette logique du politique, qui opposait un principe monarchique au principe démocratique et qui a conduit al-Mamûn à légitimer son pouvoir en intégrant systématiquement l’héritage philosophique grec, pèsera lourd dans la théorisation du fiqh politique. Ce dernier devint ambivalent dès lors qu’il perpétuait le modèle théorique du gouvernement de Dieu par la médiation du pouvoir clérical, le calife étant conçu comme un savant religieux garant de l’ordre de la chari’a figure im10 , et validait juridiquement des principes émanant de la logique du pouvoir politique. Le mode de dévolution successoral, et bientôt dynastique, du califat finit par reposer sur le fiqh, tout en continuant à faire valoir théoriquement le principe selon lequel le pouvoir politique califal devait tenir sa légitimité de la communauté musulmane. Ce mode de dévolution, en confisquant son droit de regard à la communauté musulmane et, surtout, à ceux qui s’érigeront en représentants de cette communauté et en autorité qui « lie et délie », soustrait le pouvoir politique à la tutelle religieuse de légitimation.

18 Pareille validation s’accompagna de la légitimation juridique et politique du pouvoir sur une base rationnelle. Le pouvoir politique ne procède pas seulement d’un fondement légal d’ordre religieux, il se justifie par le besoin naturel des hommes à s’organiser de manière à échapper au désordre, à la fitna figure im11 , et à élaborer un mode d’existence « civilisée ». Le fiqh politique, comme l’illustre principalement l’œuvre du publiciste al-Mâwardî (972-1058), entérina la « rationalité » du politique telle que promue auparavant par la littérature des « Miroirs des princes » en la combinant à la rationalité mû’tazilite figure im12 . Al-Mâwardî a implicitement validé la dévolution successorale (sans se prononcer sur la validité des solutions défendues par d’autres, comme il fait ailleurs à plusieurs reprises) et juxtaposé les deux manières d’accorder un fondement au pouvoir politique, laissant sous-entendre que le défaut de légalité du pouvoir politique n’exclut pas sa légitimité rationnelle. Ainsi le « principe monarchique » obéit à un processus et à une volonté de rendre le pouvoir politique autonome face au pouvoir clérical et à la tutelle que ce dernier cherche à exercer ; la correspondance du principe démocratique avec la promotion du pouvoir clérical (au travers de la délégation) se trouve ainsi mise à mal. À l’inverse, le principe démocratique correspond à une forme théologico-politique de la communauté qui a servi la logique du pouvoir théologique et clérical.

Le principe démocratique contre la démocratie libérale

19 La perspective qui vient d’être exposée permet d’inscrire la démocratie dans la configuration historico-culturelle du monde musulman. Or entre la présence d’un principe démocratique et la sublimation de la démocratie comme idéal politique et social se dessine le processus conscient d’une invention et d’un choix civilisationnels. La valeur négative qu’elle a revêtue chez Platon, dont la pensée a été la principale référence des philosophes musulmans en matière politique, n’a pas été de nature à la projeter intellectuellement à l’horizon du possible comme idéal. Ce n’est plus le cas avec le modèle de la démocratie libérale occidentale. Celle-ci constitue désormais l’horizon par rapport auquel la diversité civilisationnelle du monde musulman se problématise et par rapport auquel s’évalue la capacité de ce monde musulman à évoluer. Face à la démocratie occidentale, l’Islam se trouve en porte-à-faux dans la mesure où cette démocratie se propose comme modèle laïque et libéral, fondé sur le principe de souveraineté du peuple législateur et sur les droits humains. Si l’on peut identifier un élément démocratique dans la configuration historico-culturelle de l’Islam, cette dernière est désormais mise au défi de penser le principe démocratique en rapport avec le modèle de la démocratie libérale. Un tel défi complique la relation entre la démocratie libérale occidentale et l’Islam.

20 La démocratie libérale, en tant que modèle inscrit par l’histoire dans l’horizon évolutif du monde musulman, exacerbe la contradiction entre la tendance du principe démocratique à étayer un ordre théologico-politique clérical et la tendance du principe monarchique à émanciper le pouvoir politique de la tutelle religieuse et favoriser par conséquent un processus de sécularisation. D’où un paradoxe : à savoir, le fait que le principe démocratique joue contre la démocratie libérale. Pourtant, cette affirmation n’est vraie qu’en partie. La pensée réformiste musulmane a en effet accompagné, voire balisé le processus de construction des États nationaux à l’aune des édifices constitutionnels et institutionnels promus par les systèmes politiques occidentaux à partir d’un idéal démocratique et grâce à un effort intellectuel d’interprétation. En procédant par analogie, la pensée musulmane a, depuis la Nahda, intégré des principes et des institutions issues de la démocratie occidentale en les considérant comme déjà inscrites sous une forme équivalente dans les fondements scripturaires ou culturels de l’Islam classique. C’est ainsi que la démocratie représentative a pu trouver son assise dans le principe, considéré comme identique, de la shûra. Cette analogie mise en œuvre par les penseurs musulmans depuis la Nahda permet de neutraliser le caractère exogène du modèle de référence occidental et fournit une assise idéologique aux réformes entreprises dans le contexte des États nationaux, la nouvelle réalité politique du monde musulman.

21 Cette évolution n’a été toutefois possible que dans le cadre de systèmes politiques qui, en dépit d’institutions représentatives, procédaient largement d’un principe monarchique, que ce soit sous la forme de royautés ou de monarchies républicaines. Ce principe monarchique et autoritaire a prolongé dans l’histoire contemporaine sa logique politique séculaire, permettant d’endiguer le pouvoir clérical et la logique théologico-politique de ce dernier, et entraînant les sociétés musulmanes sur la voie de la transformation et de la modernisation que le clergé a tenté de contrecarrer. L’autonomisation du pouvoir politique que le principe monarchique avait dans une certaine mesure assurée dans le passé s’est renforcée dans la période contemporaine grâce à la sécularisation découlant des réformes qu’il a entreprises. Mais l’ancrage des gouvernants dans une pratique despotique ou autoritaire du pouvoir a réduit les institutions et les principes de la démocratie procédurale libérale à une réalité formelle, peu efficace et vide de sens. Le pouvoir d’un seul est resté la forme dominante de gouvernement des sociétés musulmanes et a entravé toute possibilité de démocratie libérale. Cela a entaché la crédibilité de l’idéal démocratique.

22 Dans un tel contexte, encore fortement marqué par la religion, le modèle de la démocratie libérale a été moins prégnant que la présence du principe démocratique, car ce dernier est resté bien ancré dans le théologico-politique encore dominant dans la culture des sociétés musulmanes. Lorsque ce contexte était encore largement marqué par le réformisme modernisateur, la contestation du pouvoir autoritaire et du principe monarchique a pu, à travers l’analogisme, établir une certaine convergence entre le principe démocratique hérité du passé et la démocratie libérale en interprétant les éléments classiques (la bay’a comme principe contractuel d’où procède l’idée que la communauté musulmane est la source et le fondement du pouvoir politique ; le choix du chef par la communauté musulmane ou ses représentants ; la responsabilité du chef devant la communauté) dans le sens de la démocratie procédurale [4]. Mais la culture du principe démocratique est restée autonome par rapport au modèle démocratique libéral. Cette culture a coïncidé avec une attitude anti-autoritaire et progressiste [5] jusqu’au moment où l’islamisme politique est devenu la principale force d’opposition aux autoritarismes en place. À la faveur de la constitution et du renforcement du mouvement de l’islamisme politique, le principe démocratique a entraîné le rejet du modèle de la démocratie libérale. Toute une littérature islamiste a ainsi développé une théorisation politique dans laquelle le rejet du principe monarchique incarné par les régimes autoritaires modernes ou sécularistes s’efface devant l’option du principe démocratique qui enracine la source, donc la légitimité du pouvoir dans la communauté musulmane.

23 Cette littérature n’est pas en rupture totale avec l’héritage du réformisme intellectuel issu de la Nahda, dans la mesure où elle entérine le travail de l’analogisme par lequel le principe démocratique a pu s’articuler au modèle de la démocratie procédurale. Mais en instaurant le principe de délégation au profit du pouvoir théologique et clérical, ou tout au moins au profit de la représentativité des forces islamistes, elle ne peut concevoir la démocratie procédurale qu’au sein d’un ordre théologico-politique exclusif. Cette évolution est illustrée par le cas de la République islamique d’Iran, qui fait coexister dans un même modèle principe démocratique, démocratie procédurale et délégation du faqîh figure im13 . On y observe, d’une part, l’intégration partielle de la démocratie libérale grâce au développement du principe démocratique en démocratie procédurale ; d’autre part, le rejet de la même démocratie libérale dès lors que l’autonomie du politique et neutralisée en faisant appel au principe démocratique. C’est cette disjonction entre principe démocratique et autonomisation, voire sécularisation du pouvoir politique et de la société qui pose problème ; leur articulation constitue le défi majeur de la démocratie libérale pour l’Islam.

24 Le monde musulman peut-il encore éluder ce défi ? En étudiant l’analogie khaldounienne, Soumaya Mestiri s’est donnée pour tâche de mener une réflexion qui permettrait d’y échapper. Son objectif était de « bâtir la possibilité d’un islam démocratique sur des bases républicaines et non pas libérales » et « de donner à voir que l’échec des expériences démocratiques actuelles en terre d’Islam ne saurait être un échec épistémologique » (2009 : 29). On peut concéder, ou plutôt reconnaître, que l’échec épistémologique a été dépassé en partie grâce au recours à l’analogie khaldounienne, mais peut-on pour autant considérer que le modèle de la démocratie libérale est évitable ? Soumaya Mestiri associe la démocratie libérale principalement à la dimension laïque de celle-ci et considère que le défi qu’elle représente peut être évité si la démocratie est pensée comme idéal politique et social en référence au modèle romain plutôt qu’au modèle grec [6] :

25

Il me semble que la mondialisation, ainsi envisagée comme phénomène typiquement postmoderne, est une chance rêvée pour les musulmans en ce qu’elle leur permet d’instituer des régimes démocratiques qui, si j’ose dire, « leur parlent ». Puisqu’il n’est plus question de faire rimer démocratie et laïcité au sens d’une récusation totale du religieux comme composante de la sphère publique, alors nous pouvons concevoir une démocratie fondée sur le principe de débat contradictoire autour des questions que les musulmans ne sont pas arrivés à résoudre depuis la mort du 3e calife, il y a pratiquement quinze siècles, trop englués dans un passé glorieux mais totalement inopérant.
(Mestiri 2009 : 37)

26 Bien qu’elle conçoive le défi de la démocratie à l’Islam en rapport avec le modèle général de la démocratie libérale, Soumaya Mestiri situe en fait implicitement ce défi surtout par rapport au modèle français de la laïcité ; or ce dernier n’est pas, loin s’en faut, celui de la démocratie libérale dans les autres pays européens, où l’on privilégie davantage l’aspect séculier que laïque. Même sans concevoir la démocratie en référence au modèle de la démocratie laïque et en privilégiant le modèle républicain romain, il n’est pas sûr que ce dernier parvienne à écarter la question de l’autonomisation et de la sécularisation du politique, car celle-ci est sous-jacente à la dialectique du politique et du religieux dans la configuration historico-culturelle de l’Islam – et cela bien avant la revendication de la laïcité par la démocratie libérale. Cette question est aujourd’hui au cœur du problème politique dans le monde musulman.

27 Si le chemin qui conduit à développer et à transformer le principe démocratique en démocratie procédurale a été, me semble-t-il, largement parcouru sur le plan de l’intégration culturelle, celui qui doit mener à la jonction entre démocratie procédurale et autonomisation et sécularisation du pouvoir politique reste à parcourir. Toutefois, l’évolution qu’il implique est déjà bien entamée, car les pouvoirs politiques dans le monde musulman ont largement consolidé une relative autonomisation de leur constitution à l’égard du pouvoir clérical et une profonde sécularisation des sociétés. La conjonction entre principe démocratique, démocratie procédurale et autonomisation, voire sécularisation du pouvoir politique n’est pas une chimère mais s’observe dans la réalité. Jusqu’à récemment, la Turquie en a été une illustration. En intégrant le modèle de l’État laïque, la Turquie a radicalisé l’autonomie du pouvoir politique face au religieux. Mais elle y est parvenue au moyen d’un pouvoir politique autoritaire. Or l’Islam comme référentiel religieux et culturel est resté sans attache avec cette expérience. D’autres pays, telle la Tunisie, s’inscrivent aujourd’hui dans une évolution similaire. S’il en est ainsi, c’est aussi en raison de la contrainte de changement que le modèle de la démocratie libérale exerce sur la réalité politique des sociétés musulmanes.

Bibliographie

Références

  • Bouvier, A. (2007) « Démocratie délibérative, démocratie débattante, démocratie participative », Revue européenne des sciences sociales, xlv-136 : 5-34.
  • Chanial, P. (2011) La Sociologie comme philosophie politique et réciproquement. Paris : La Découverte.
  • Djaït, H. (1989) La Grande Discorde. Paris : Gallimard.
  • Goody, J. (2004) « Démocratie, valeurs et modes de représentation », Diogène, 206 : 6-22.
  • Jadaane, F. (2000) figure im14 . Amman : Dar as-Shuruq.
  • Lahbabi, M. (1958) Le Gouvernement marocain à l’aube du xx e siècle. Rabat : Éd. techniques nord-africaines.
  • Mestiri, S. (2009) « L’Islam, un interlocuteur démocratique ? Vers un concept global de démocratie », Diogène 226 : 27-38.
  • Urfalino, P. (2007) « La décision par consensus apparent. Nature et propriétés », Revue européenne des sciences sociales, xlv-136 : 47-70.

Notes

  • [1]
    Cité par Chanial 2011.
  • [2]
    La nouveauté de ces éléments fait que H. Djaït se demande où les tenants de cette nouveauté ont pu puiser leurs idées. Cherchant à comprendre le meurtre du calife Ûthman, il écrit : « Les insurgés voulaient donc que le calife se démette, “qu’il nous rende notre califat”. Où ont-ils pu trouver une telle idée, inexistante dans l’expérience islamique récente de l’autorité et du pouvoir ? Dans quelle culture politique ont-ils puisé ? Était-ce une idée neuve, inventée, sécrétée par leur propre dynamique historique ? On ne le sait pas, mais il devait avoir existé une connaissance quelconque des expériences politiques des peuples soumis comme il a existé en Arabie même une expérience de la royauté, si marginale et si fugace fût-elle » (Djaït 1989 : 183).
  • [3]
    Cet épisode a fait l’objet du livre important de Fahmi Jadaane, La Mihna. Dialectique du religieux et du politique en islam (2000).
  • [4]
    L’ouvrage du marocain Mohamed Lahbabi (1958) est une bonne illustration de cette tendance.
  • [5]
    C’est sur la base de ce principe démocratique que le ‘alem marocain My Larbi Alaoui exprima son opposition à la consécration par la première Constitution du Maroc du mode de succession héréditaire de la monarchie, opposition qui s’adossait à la réticence ou au rejet dans la doctrine juridique classique du principe héréditaire, non pas au modèle de la démocratie libérale qui imprégnait le camp de l’opposition progressiste de gauche (unfp) auquel ce ‘alem était affilié.
  • [6]
    « […] en donnant à voir l’unicité de l’expérience démocratique, ils [les Européens] parviennent à expliquer, par un raisonnement causal relativement pauvre, l’autoritarisme en vigueur dans les pays musulmans. Résolument eurocentristes, ils défendent vigoureusement l’idée selon laquelle la démocratie se prévaudrait d’une origine unique, à savoir la Grèce. L’idée que la démocratie naît à Athènes fait partie de ces vérités indéboulonnables qui, avec le temps, ont acquis une sacralité incommensurable. Néanmoins, les origines romaines de la démocratie sont tout au moins aussi importantes que ses origines grecques, dans la mesure où c’est en elles que la modernité occidentale a puisé sa raison d’être, voire ses institutions. En ce sens, la tradition occidentale a beau jeu de se réclamer d’une souche unique, grecque, alors qu’elle doit sa naissance à une expérience romaine par nature bien plus proche des réquisits et de l’esprit sur lesquels elle s’est progressivement bâtie » (Mestiri 2009 : 27-28).
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