Notes
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[1]
1. Depuis l’indépendance en 1963, le Kenya était de facto et de jure un État à parti unique sous l’Union nationale africaine du Kenya – Kenya African National Union (kanu). Cependant, au début des années 90, quelques hommes politiques, des leaders religieux et civiques exigèrent une démocratie multipartite, en mettant en place le Forum pour la Restauration de la Démocratie (ford). Ils forcèrent finalement le gouvernement de Moi à organiser des élections pluralistes en 1992. On a appelé ce mouvement politique la Seconde Libération (Throup et Horsby 1998).
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[2]
2. Aux élections nationales de 2007, le pnu (Party of National Unity) de Kibaki et l’odm (Orange Democratic Movement) de Odinga étaient en compétition frontale. Kibaki appartenait au groupe ethnique le plus large, les Kikuyu ; Odinga était ethniquement un Luo. Les hauts dirigeants de l’odm sont des Luyia, des Kalenjin et des Arabes de la côte. Comme les élections nationales kenyanes depuis l’indépendance se caractérisaient apparemment par une arithmétique ethnique, les campagnes politiques tournaient au conflit ethnique (Kimani 2009).
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[3]
3. Philip Waki, un juge de la Cour d’appel, fut nommé à la tête de la Commission d’enquête sur les violences postélectorales. La Commission fut créée pour déterminer comment et pourquoi les heurts avaient éclaté et qui en étaient les principaux responsables ; son rapport a été publié en ligne le 4 novembre 2008.
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[4]
4. Cette théorie de Turner et Killian désignait les normes floues et changeantes qui émergent sur place (Turner et Killian 1972, Turner 1964).
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[5]
5. Les Maragoli sont un sous-groupe ethnique. Avec seize autres groupes qui parlent une langue bantoue, ils forment les Luyia, la deuxième plus grande communauté ethnique du Kenya.
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[6]
6. La première confrontation directe entre ces groupes dans les rues de Nairobi a eu lieu en juillet 1969, aussitôt après l’assassinat en plein jour de Tom Mboya, une étoile montante de la politique parmi les Luo. Mus par la colère, de jeunes Luo se sont révoltés et ont affronté la police. Avec la complicité de jeunes Luyia, les Kikuyus s’en sont pris violemment aux hommes luo et les ont circoncis de force.
1 Cet article vise à illustrer les origines de l’esprit communautaire des rues en milieu urbain. Si les grandes villes ont été depuis longtemps considérées comme des laboratoires de recherche du monde moderne, elles deviennent maintenant, sous l’influence de la mondialisation, le théâtre de bouleversements sociaux radicaux. Depuis la fin du xx e siècle, une réorganisation politique et économique de l’ordre mondial a entraîné des changements considérables au sein de diverses sociétés à travers la planète. Cela provoque des transformations qui standardisent la société et atomisent les individus.
2 Aujourd’hui, voir des jeunes gens se rendre dans les cybercafés et utiliser des téléphones portables est un spectacle courant dans toutes les villes du monde. Cependant, les mutations dues à la mondialisation ne se laissent pas réduire à une simple standardisation. La mondialisation intègre des éléments hétérogènes qui entrent parfois en conflit les uns avec les autres. Elle affecte les individus en termes d’identité culturelle, de foi religieuse, d’idéologie politique, de statut économique et d’orientation sexuelle. Elle peut également renforcer les notions de communauté traditionnelle et fermée. On peut de nos jours considérer la société urbaine comme un laboratoire de recherche sociale dans lequel ces diverses forces sont contestées, articulées et se trouvent enchevêtrées.
3 Dans cette situation urbaine complexe, nous sommes confrontés à un certain nombre de questions fondamentales. Comment les gens parviennent-ils à construire un sentiment communautaire (communality) et une solidarité en transcendant leurs différences ? Les fondements de ces sentiments sont-ils totalement démantelés, et chaque individu éclaté, lié mécaniquement aux autres ? Quand ils existent, les sentiments et les pratiques communautaires reposent-ils sur des formes traditionnelles d’appartenance, telles l’ethnicité, la nationalité, la classe sociale ou la religion ? Ou sommes-nous plutôt confrontés à un nouveau genre d’appartenance communautaire qui ne requiert aucune identification arrêtée ?
4 La question de savoir si le type de sentiment communautaire que l’on trouve en ville est juste une reprise de l’ancienne catégorisation humaine ou s’il s’appuie sur une identité fluide de style postmoderne a été abondamment discutée en anthropologie urbaine. J’explorerai ici une troisième possibilité, en m’attachant à la violence collective dans les rues d’une ville, où l’on assiste à l’émergence de normes et d’un ordre parmi les émeutiers qui stimule la genèse d’un sentiment d’appartenance communautaire.
5 Afin d’illustrer ce sentiment communautaire urbain, j’analyserai les événements survenus dans les rues de Nairobi au moment de la Seconde Libération dans les années 90 [1] et pendant les violences postélectorales (abrégées maintenant en vpe) de 2007-2008 [2]. Les vpe kenyanes se sont soldées par de lourdes pertes humaines avec plus de mille victimes. En un temps éclair, 125 habitants de Nairobi ont été tués en pleine rue, la ville devenant alors un théâtre de violence collective dans un État en proie au chaos. Ces violentes émeutes urbaines ont rassemblé des gens de différentes appartenances politiques et religieuses, d’identités ethniques et de statuts économiques divers. Au départ étrangers les uns aux autres, ils ont créé un sens de l’ordre social et des normes dans la rue. Ils ont construit et partagé un sentiment provisoire de communauté, à la fois naissant et encore fluide mais non moins réel et solide.
6 L’incertitude, l’instabilité et le désordre sont peut-être des caractéristiques sociales de l’espace urbain, mais ça ne veut pas dire pour autant que les rassemblements qui s’y déroulent sont déconnectés et éclatés, ni que leurs participants se transforment en masses aveugles avec une mentalité de troupeau. La rue sert plutôt à faire naître un sentiment d’appartenance à travers lequel les participants créent de véritables formes de solidarité sociale.
Les rues comme des scènes de théâtre
7 Dans l’histoire récente du Kenya, les rues des villes ont été le principal théâtre de la violence politique. Suite à l’élection présidentielle controversée du 27 décembre 2007, la société kenyane a connu un tumulte sans précédent pendant deux mois. Des vpe collectives ont éclaté juste après la victoire du président sortant Mwai Kibaki. Les partisans de son opposant, Raila Odinga de l’Orange Democratic Movement (odm), ont dénoncé une fraude électorale et sont descendus dans les rues de la capitale en signe de protestation. Selon le Rapport Waki [3], les premières violences de rue à Nairobi ont eu lieu juste après l’annonce des résultats de l’élection, le 30 décembre. Elle se poursuivirent pendant le Nouvel An, la police ayant empêché les partisans de l’odm d’organiser un défilé d’« un million de personnes » vers le parc Uhuru, situé dans le quartier des affaires de Nairobi.
8 À première vue, il semble qu’il y ait eu une impasse politique entre la jeunesse kikuyu, ralliée au Président sortant, Kibaki, et les Luo, Luyia et Kalenjin, des ethnies qui soutenaient le candidat de l’opposition. La violence se déroula de manière extrêmement fluide. Elle s’exprima de plusieurs manières qui toutes s’écartaient de l’idée que l’on se fait habituellement du conflit. Par exemple, des éclats de violence eurent lieu par moments entre les Luo et les Luyia et entre les Luyia et les Kalenjin, qui pourtant soutenaient tous Raila Odinga. Il est arrivé que des jeunes luo et kikuyu, censés être ennemis, se mobilisent de concert contre les unités de maintien de l’ordre qui patrouillaient dans les « bidonvilles ». Ces dynamiques témoignent du caractère fluide et déconstructif des rues urbaines.
9 Je ne prétends pas dans cet article proposer un rapport détaillé sur la violence dans les émeutes postélectorales au Kenya. Plus modestement, je souhaite dégager le potentiel que recèlent les rues dans la société moderne. Pour ce faire, je m’appuierai sur une analyse empirique de ce qui se construit et se déconstruit dans les rues où se déroulent des soulèvements violents.
10 Les rues de la ville sont devenues le théâtre de changements sociaux et politiques au Kenya au début des années 1990. À ce moment-là, le pays était soumis à la dictature paternaliste et à parti unique du président Moi, qui le dirigeait d’une main de fer depuis 1978. C’est de modestes marchands de rue de Nairobi qui, les premiers, défièrent le régime de Moi.
11 Le 26 mai 1990, le marché ouvert de Muoroto, situé à côté de la gare routière qui assurait les liaisons longues distances, fut évacué par la police de Nairobi avant d’être rasé. Le gouvernement justifia ces mesures en disant qu’elles étaient rendues nécessaires par l’extension du terminal de bus et, plus généralement, par les besoins du développement local, ajoutant que le marché ouvert était illégal et qu’il constituait une « menace au programme d’aména-gement » de cette zone. En l’espace de quelques heures, les bulldozers démolirent les étals du marché, détruisant au passage les biens personnels des gens. Des habitants qui manifestaient jetèrent des pierres sur les forces de l’ordre, mais des escadrons de police antiémeute mirent fin à leur mouvement de protestation. Pour finir, on déplora plus d’une douzaine de blessés graves, dont dix enfants. L’un d’eux mourut enseveli sous les décombres.
12 Cette violence déclencha de fréquentes émeutes antigouvernementales dans les rues autour des bidonvilles. Au mépris des interdictions du gouvernement, le 7 juillet une immense manifestation de masse se déroula place Kamukunji à Nairobi, débouchant sur d’intenses affrontements. Ce jour-là, quinze personnes perdirent la vie et près d’une centaine furent grièvement blessées. Cette émeute qui dura sans discontinuer pendant plusieurs jours fut baptisée « Saba Saba » car, en Swahili, « saba » veut dire sept. Le soulèvement gagna les grandes villes du pays, au point que la nation entière bascula dans un état de paralysie.
13 Ces incidents ont inspiré un mode de manifestations de masse contre le gouvernement où l’on appelait les gens à descendre dans la rue. Cela marqua la naissance d’une nouvelle culture politique au Kenya. Jusque-là, les principales décisions politiques, sociales et économiques étaient prises par les élites dirigeantes qui opéraient au cœur du régime. Ces décisions servaient leurs intérêts et on leur inventait après coup un fondement juridique. Les leaders politiques et civiques ainsi que les organisations internationales opposés au régime protestaient en formulant des critiques rationnelles et logiques sur ces stratégies gouvernementales. Des formes plus virulentes de protestation se limitaient à de sporadiques émeutes étudiantes. En revanche, après les violents événements que j’ai brièvement décrits, on commença à inciter les gens à descendre dans la rue et à manifester avec une vive hostilité contre les mesures injustes du gouvernement afin de les abolir. Évidemment, les organisateurs ne parvenaient pas toujours à canaliser comme ils l’auraient souhaité l’animosité qui se déversait dans les rues et il arriva que la colère enfle au-delà de leurs attentes. À d’autres occasions, les manifestants ont critiqué ou chassé les organisateurs du mouvement. Malgré l’incertitude qui lui était propre, cette nature antiréglementaire des manifestations de rue est devenue la force motrice de la culture politique kenyane de l’époque.
Collectivité et communalité dans les rues
14 « Incertitude » est le mot-clé des manifestations de rue. Néanmoins, les gens qui s’y réunissent ne sont pas coupés de leurs identités individuelles, pas plus qu’ils ne créent obligatoirement une communauté. Les rues possèdent un mécanisme unique pour susciter un sentiment communautaire. Les progrès de la mondialisation ont aliéné les individus et engendré un système de gouvernance humaine connu sous le nom d’intégration des marchés. S’y opposer exige de réintégrer ces individus aliénés autrement qu’en revitalisant ou en restaurant l’ancienne communauté pré-existante. Le développement communautaire dans les rues autour d’enjeux politiques et sociaux semble indiquer que c’est possible.
15 Cela mérite une explication plus détaillée. Tout d’abord, lorsque les pouvoirs et l’autorité sont contestés, on apporte une contre-mesure qui consiste à redessiner un sentiment collectif afin de recréer la communauté ; elle fragmente les identités nichées au centre des communautés humaines et brise les catégories auxquelles les gens pensent naturellement appartenir. Cependant, cette contre-mesure se heurte à des difficultés, dont la principale concerne le fait que le rétablissement de la communauté (ou sa représentation) comporte plusieurs problèmes. L’un d’eux s’incarne dans la discutable idéologie romantique qui peint les communautés traditionnelles sous la forme d’utopies harmonieuses. En outre, comme on l’a vu, la communauté à ranimer est conçue de manière stratégique par le pouvoir même qui perpétue la mondialisation, en fonction des besoins de ce dernier. De nombreux cas de coopération re-territorialisée sont marqués par de telles influences.
16 Des efforts visant à réaliser une coopération qui échappe à ces pièges ont été menées, notamment en s’unissant sans souscrire à une identité rigide. Certaines de ces tentatives rappellent la « communauté désœuvrée » telle que la définit Jean-Luc Nancy (1986), ou ce que Alphonso Lingis (1994) appelait « la communauté de ceux qui n’ont rien en commun ». Ce sont des communautés artificielles et provisoires créées par des gens sans liens entre eux, étrangers aux « communautés naturelles » entendues au sens de descendance humaine, telles que la famille, la classe sociale, le rang. Évidemment, l’inclination pour des communautés dégagées des questions d’identité ou qui bannissent toute catégorisation peut servir de point de départ pour que les communautés du monde moderne se réinventent. On pourrait établir un lien avec l’idée de communalité créée ad hoc et de manière performative que développe Judith Butler. Cette idée souligne la possibilité de former des communautés qui ne s’appuient pas sur des identités individuelles rigides, et qui connaissent les limites d’une solidarité fondée sur ces catégories a priori qui façonnent l’identité des gens (Butler 2005, Matsuda 2004). Se concentrer sur le potentiel de ces communautés est devenu une contre-mesure modèle pour résister à la fragmentation et à la standardisation issues de la mondialisation.
17 À l’ère de la mondialisation, on émancipe les identités des gens de leurs communautés et on instaure de nouvelles méthodes de gouvernance qui recourent à la fragmentation et à la fluidité des identités. Cependant, même lorsque l’on tente de ressusciter des communautés traditionnelles, il devient évident qu’elles sont conçues pour structurer le processus de renouveau lui-même. Dans une telle situation, les gens à la recherche d’une communauté possible se tournent vers la solidarité naissante et les communautés « désœuvrées » nées des émeutes urbaines. Toutefois, ces tendances posent problème, car ces communautés sont déconnectées des réalités de l’expérience humaine. Les communautés dans lesquelles se déroule la vie en société sont des entités significatives, réelles et stables qui font fortement appel chez les individus à un sentiment commun d’appartenance ; elles garantissent la solidarité, contrairement aux communautés « désœuvrées » qui apparaissent et disparaissent de manière ponctuelle, comme des bulles de savons.
18 Certes, les communautés ne sont pas ces identités rigides et substantielles que la société moderne tente de réglementer. Elles ont été imaginées et construites historiquement et se sont transformées sous l’effet de forces sociétales. Néanmoins, il faut reconnaître que celles qui ont surgi d’un processus de constante légitimation et d’essentialisation (ou naturalisation) ont apporté aux populations une réalité solide et une identité stable. Dans ce sens, les communautés ne sont en aucun cas des processus amorphes qui apparaissent au gré des circonstances ; les gens les reçoivent plutôt comme des entités « essentielles » qui ont une présence réelle, des frontières claires et qui attirent leurs membres en permanence.
19 Les communautés créées dans les rues possèdent sans conteste ce trait de la communauté « essentielle et réelle ». On y voit des individus différents, qui ne partagent pas des attributs tels que la compréhension commune, les principes, les origines ou la culture. Quand une volonté de violence canalisée dans une direction claire et un sentiment de résistance sont partagés, les gens dans la rue peuvent bien être « désœuvrés » et sans liens réciproques, ils n’en éprouvent pas moins un sentiment « essentiel » et « réel » de communauté, qui inspire leur action collective. Ceci permet de comprendre le type de communauté que l’on a vu naître sur le pavé. Ce n’est pas simplement un phénomène propulsé par la mondialisation, il ne survient en situation d’urgence et ce n’est pas davantage une résurgence utopique des communautés traditionnelles. Elle se crée et prospère là ou les gens se réunissent en tant que communauté « essentielle et réelle ».
La culture de la violence dans les rues
20 Parmi les questions à poser figure la suivante : comment une action collective qui vise une même direction devient-elle possible dans la rue ? Cet enjeu est probablement lié à la création de normes au sein de la rue, conçue comme un espace collectif. La connaissance acquise jusqu’à maintenant à travers la recherche sur les émeutes urbaines et le comportement des foules sert de point de référence pour aborder cette question. Nous analyserons ici les émeutes urbaines au Kenya dans les années 90 comme étude de cas.
21 Les émeutes urbaines s’accompagnent souvent d’actes de foule tels que le lynchage et le pillage. Jusqu’à aujourd’hui, une telle attitude a été taxée d’irrationnelle, rattachée à des émotions brutes et à l’anarchie. Depuis Le Bon et Tarde, les théories sociologiques sur les comportements collectifs coercitifs ont abordé les émeutes comme des actions impulsives et irrationnelles qui différent nettement des normes collectives et des schémas comportementaux ordinaires. On croit que les émeutiers sont en proie à un dérèglement psychique qui échappe au contrôle social ; on considère que leurs actions ne sont que pure imitation ou qu’elles répondent à une contagion émotionnelle.
22 Cependant, depuis les années 60, cette vision des émeutes a été remise en question. On a constaté qu’à l’intérieur d’une foule divers regroupements s’opèrent parmi lesquels figurent des émeutiers violents. De plus, étant donné qu’au sein d’une émeute, on accepte certains comportements de groupe tandis qu’on en rejette d’autres, on ne peut pas simplement écarter comme anormal le comportement associé. Cette critique a débouché sur l’idée – formulée par Turner sous forme de « théorie de la norme émergente [4] » – que les émeutiers conçoivent des normes ad hoc adaptées à la situation présente. Turner a commencé par définir comme « expres-sion différentielle » les divers sentiments et comportements des individus qui appartiennent à une foule. En réalité, nombre de ces individus caractérisés par l’expression différentielle créent et partagent de nouvelles valeurs qui définissent des circonstances particulières. Ce sont des normes émergentes. C’est en s’y conformant qu’une action rationnelle et concertée entre les gens devient possible. Cette approche a clairement démontré que le phénomène de la violence, qui peut paraître anormal de prime abord, fait en réalité partie de la vie en société – qu’il est une continuation de la vie normale et quotidienne.
23 Par exemple, un Maragoli [5] partiellement au chômage et qui a participé aux émeutes de Saba-Saba lorsqu’il avait une vingtaine d’années m’a raconté en détail son expérience quand il s’est joint au blocage d’une route dans une zone d’habitation précaire à l’ouest de Nairobi, jetant des pierres sur les voitures qui passaient et mettant le feu à droite et à gauche. À l’époque, il n’avait pas d’emploi fixe et vivait de petits boulots. Il appartenait à une catégorie de personnes que le gouvernement dénonça comme des « punks drogués » dans une déclaration faite immédiatement après les émeutes. Ce jeune homme fut blessé au bras suite à des échauffourées avec la police. Ce qui suit est sa description de l’ambiance qui régnait sur place :
J’ai commencé par lancer des pierres sur les voitures qui passaient les unes après les autres. J’avais presque l’impression d’aller en discothèque. J’éprouvais un vrai frisson à voir leurs pare-brise voler en éclats. En tout cas, ça ne faisait aucun doute que les types au volant de ces voitures avaient dérobé de l’argent quelque part. Ensuite, je les ai laissés partir une fois qu’ils se sont arrêtés et m’ont fait le signe « v ». Faire ce signe signifiait que c’était des alliés. Bien sûr, j’ai frappé sans pitié sur les fourgons de police avec des pierres et j’y ai mis le feu. Ça n’était pas comme s’il y avait un leader ou quelque chose dans ce genre. Chacun faisait simplement ce dont il avait envie (o. g., 20 ans environ, homme, Maragoli, interviewé le 16 août 1990).
25 Le signe « v » nécessite une explication. Dans les années 90, lorsqu’a culminé le mouvement qui réclamait une démocratie multipartite, le fait de brandir deux doigts est devenu un symbole de soutien à ce mouvement. Alors que le signe v prenait une signification, les partisans du gouvernement manifestèrent leur désaccord en levant un seul doigt comme symbole du gouvernement monopartite. Pendant les émeutes, la règle qui consistait à épargner les voitures qui affichaient ce signe se mit en place naturellement, et spontanément, dans les quartiers où se déroulaient les soulèvements. Cela ne se limitait pas au quartier de o. g. On eut vent de la même chose dans les quartiers d’Eastleigh et de Pumwani, entre autres.
26 A lire le récit de o. g., il est évident que les émeutes ne se déroulaient pas en situation de totale anarchie et de dérèglement psychologique ; au contraire, les participants décidèrent eux-mêmes des situations et créèrent des normes adaptées à celles-ci. Cela confirme la « théorie de la norme émergente », qui rejette le point de vue selon lequel les émeutes sont une manifestation de pure anarchie et qui reconnaît un certain type de normes et une certaine culture dans les émeutes. Il est intéressant de noter qu’une optique similaire a été développée dans la recherche en histoire sociale au sujet de l’économie morale des révoltes paysannes en Angleterre (Thompson 1971). Les masses qui participèrent aux soulèvements de la faim adoptèrent des normes émergentes et une morale commune. Comme dans le cas des émeutes de Saba-Saba, ce n’est pas comme si ces protestataires s’étaient livrés à des déprédations aveugles et au pillage ; si leur hostilité visait avant tout la propriété, ils perpétrèrent des agressions soigneusement sélectionnées contre la vie ou l’intégrité physique de leur ennemi. Aucun chef spécifique n’imposa des normes ni une morale. Ces dernières furent créées ad hoc et par émergence. On peut raisonnablement considérer l’ensemble de ces règles de conduite, qui garantirent un certain degré d’ordre dans les soulèvements populaires, comme la culture des émeutes de rue.
Créer un ordre
27 On pourrait observer la culture des émeutes de rue que j’ai décrite dans les récents troubles des vpe au Kenya. Comme dans le cas des normes créées par émergence durant les émeutes de Saba-Saba, grâce auxquelles le signe v servait de symbole protégeant de la violence ceux qui l’affichaient, de nouvelles normes sont apparues pendant les perturbations des vpe et de nouveaux symboles de solidarité ont détourné la violence. Cette question s’est fait jour dans une interview avec o. g., maintenant âgé d’une bonne quarantaine d’années, au sujet des désordres des vpe. Un candidat odm, qui était un Luyia comme o. g., s’est présenté aux élections dans la circonscription de o. g. à Nairobi. Celui-ci est devenu très actif dans la campagne électorale au sein de son « bidonville ». À l’élection présidentielle, il a soutenu Odinga. La majorité des habitants de son « bidonville » sont des travailleurs migrants au bas de l’échelle sociale, originaires de l’ouest du pays, comme les Luyia et les Luo. C’est suite à l’énorme croissance démographique de Nairobi après l’indépendance que les terres agricoles, sur lesquelles les Kikuyu cultivaient à l’origine le maïs, sont devenues des quartiers déshérités. Aujourd’hui encore, les propriétaires fonciers et autre sont kikuyu, et à l’élection ils soutenaient évidemment Kibaki. D’après ce que o. g. déclara :
Quand on a entendu parler des irrégularités dans le décompte des bulletins de vote, mes amis et moi nous nous sommes réunis dans la rue principale de notre quartier. Des policiers lourdement armés sont aussitôt arrivés, et les gens qui s’étaient rassemblés ont reçu des coups de matraque et ont été dispersés. Nous avons rapidement quitté les lieux. Ensuite, une fois que la police est partie, nous y sommes retournés et nous avons crié que les élections étaient truquées. Lorsque la police a de nouveau débarqué, nous sommes entrés en guerre en leur jetant des pierres. Nous étions avec des Luo qui, cette fois-ci, étaient nos frères. Parmi nous, il y avait aussi quelqu’un qui avait l’air kikuyu et qui s’est joint à nous pour lancer des projectiles sur la police. Les Kikuyu aussi détestent les policiers et ceux qui se déplacent dans le coin en Mercedes et en Toyota. C’est pourquoi ils se sont ralliés à nous. Je hais Kibaki et les riches Kikuyu. Mais ici, les pauvres ne voient pas tout le monde comme un ennemi. Il y en a qui les détestent et il y a eu ceux qui en ont profité pour s’attaquer aux maisons et à leurs propriétaires. Or mon propriétaire n’est pas quelqu’un de mauvais. C’est pourquoi je le saluais amicalement, même pendant les émeutes. Je disais : « Ça va vraiment mal, hein ». En janvier, j’ai participé en ville à une manifestation convoquée par Raila (Odinga). Mais presque personne n’écoutait ses discours. On pensait y rencontrer nos amis, peut-être même récolter un peu d’argent de poche, mais ce rassemblement n’était pas intéressant. C’est pourquoi je n’y suis plus retourné depuis. C’est plus intéressant ici (o. g., 40 ans environ, homme, Maragoli, interviewé le 22 août 2008).
29 Le récit de o. g. sous-entend une multitude de choses. D’abord, pendant les affrontements violents des années soixante et du début des années 80, les Luo et les Luyia étaient de farouches adversaires. Il y avait aussi de fréquents incidents de violence sexuelle, où les Luyia, avec la complicité des Kikuyu, qui observent une tradition de circoncision masculine, ont circoncis de force des Luo, qui ne la pratiquent pas dans leur culture [6]. Toutefois, dans les événements décrits plus haut, ils se sont regroupés comme des « frères ». Dans le « bidonville » de o. g. à Nairobi, les propriétaires kikuyu et les locataires à faible revenu luyia, luo, masaï et d’autres origines ethniques ont organisé, sur la base du volontariat, un système de patrouilles multiethniques pour protéger leur environnement pendant les troubles des vpe. Cela confirme qu’il existe un sens fluide de la solidarité, étranger à toute haine ethnique établie. De plus, dans ces circonstances, le schéma de confrontation qui voulait que les Kikuyu défendent Kibaki et que les Luo et les Luyia soutiennent Odinga s’est tout simplement effondré. Ici, on a ouvertement constaté la persistance des relations quotidiennes et l’existence d’une règle permettant d’identifier les ennemis. Pour être plus précis, même au milieu des émeutes, il apparut que les participants ont fait émerger et partagé des règles pour reconnaître un adversaire, évitant de la sorte d’exercer une violence sans discernement. En même temps, il est clair également qu’ils n’ont pas inconditionnellement obéi aux instructions et aux ordres émis par les organisateurs et les élites du pouvoir. Ces dernières poursuivent leurs objectifs personnels en utilisant la conscience ethnique pour mobiliser les masses ; cependant, dans les rues et les espaces publics où les foules grouillent et se dispersent, ces élites n’ont pas tout à fait le contrôle de la situation ; il n’est pas rare de remarquer que des actions ou des attitudes vont à l’encontre de leurs intentions.
Échapper au contrôle
30 Les élites qui cherchent à diriger et à soumettre les gens considèrent les manifestations de rue comme des moyens efficaces de violence ; en même temps, la nature insaisissable des comportements de la rue que j’ai décrits leur fait l’effet d’une bombe à retardement très dangereuse. Ils ont donc imaginé divers stratagèmes pour pacifier les rues et les mettre sous leur coupe.
31 On a pu observer leurs méthodes pour gérer et dominer la violence des rues pendant les émeutes des années 1990 au Kenya. Le gouvernement kenyan déclara à plusieurs reprises que les participants aux soulèvements répétés dans les rues n’étaient pas des habitants locaux. Ces déclarations accusaient des éléments perturbateurs venus de l’extérieur et qui se faufilaient – tels les « punks drogués » mentionnés plus haut – et affirmaient qu’ils seraient chassés et que le calme serait rétabli dans les rues.
32 Cette réaction venait directement du manuel d’État sur la gestion et le contrôle de la violence des rues. Cependant, les récentes émeutes kenyanes évoluaient d’une manière qui résistait au manuel en question. Comme lieux incarnant des points d’ébullition pour une violence incontrôlable, les rues sont des armes à double tranchant pour les élites du pouvoir. Quand une élite dirigeante est en minorité au parlement ou dans le gouvernement, elle peut appeler les gens à descendre sur le pavé et à utiliser la violence pour faire pencher la situation en sa faveur. De telles méthodes ont souvent été utilisées par des leaders appartenant à des élites minoritaires dans l’histoire politique du Kenya depuis 1992 afin de forcer la main au gouvernement. À l’inverse, il arrive aussi que le gouvernement utilise de telles circonstances comme moyen de rester au pouvoir en contrôlant et en gérant la violence dans les rues.
33 Plusieurs mécanismes de gestion et de contrôle sont prêts à être mis en œuvre, puisque les élites au cœur du pouvoir étatique se méfient de la puissance de la rue qui peut retourner la violence contre elles. Dans le cas de la récente agitation postélectorale, les autorités n’ont pas seulement cherché à réprimer les manifestations de rue en déployant des forces policières armées ; elles ont essayé de justifier l’utilisation massive de la force contre les protestataires en affirmant qu’on avait à faire à des asociaux désaxés – des camés, des ivrognes et des gangs de voleurs – profitant du chaos politique pour commettre des actes illégaux nuisibles à la société civile, comme le pillage, le vol et le meurtre. Cette stratégie était identique à celle utilisée dans les années 90.
34 D’autre part, pour la direction de l’odm, le pouvoir explosif des rues était la force motrice nécessaire pour régler la situation depuis le bas. C’est pourquoi elle chercha à attirer des personnes soutenant les actions populaires. Les manifestations de janvier firent de nombreuses victimes car elles furent à certaines occasions empêchées par la force, à d’autres menées par la force. Néanmoins, les participants à ces rassemblements protestataires n’agirent pas tous d’une manière collective et unifiée. Il est arrivé que des appels à l’unité soient ignorés et les rassemblements dispersés, et que parfois les leaders politiques soient chahutés pendant leurs discours. Dans certaines situations, quand les rassemblements ne se passaient pas comme l’avaient prévu les organisateurs, ces derniers réagissaient conformément au manuel de contrôle de l’État : ils déclaraient que le chaos était provoqué par des « espions du gouvernement » qui avaient infiltré les cortèges en se présentant comme des partisans du parti d’opposition.
35 C’est la façon originale d’avoir la main sur les rues. On crée des éléments « polluants » dans l’espace public et tout ce que n’obéit pas à l’autorité est taxé de « polluant », avec les connotations antisociales d’espion ou de voyou, avant d’être expulsé. Cependant, durant les troubles de vpe au Kenya, on a observé à maintes reprises que cette technique était détournée et que la rue se caractérisait par un regain du refus de tout contrôle. Cela est devenu un trait distinctif de la récente violence de rue. Pendant la vpe, il n’y avait pas d’élites, de leaders ou d’organisateurs pour canaliser cette violence. De même, alors qu’on entendait les slogans habituels dénonçant la fraude électorale et réclamant la démission immédiate du président, il n’y avait aucun semblant de culture ethnique ni de déclarations retentissantes de principes politiques. De plus, les jeunes, qualifiés par les élites du pouvoir de « contaminateurs » – décrits, on l’a vu, comme des voyous, des camés et des ivrognes –, identifiés comme des individus « antisociaux » et des nuisances publiques dans le quartier des affaires du centre-ville, étaient en réalité des habitants ordinaires des bidonvilles. Dans ces circonstances, les techniques de gestion et de contrôle de la violence de rue se révélèrent totalement inefficaces. Plus on essayait d’éloigner les « contaminateurs » des rues, plus les rues se rebellaient et intensifiaient leur résistance.
Conclusion :
les normes émergentes dans les rues et les communautés de vie
36 Jusqu’en 2007, le Kenya a joui d’une croissance économique et d’une démocratisation politique sans précédent. Hommes et femmes en costumes et en tailleurs, conduisant des voitures japonaises, arborant des porte-documents avec des ordinateurs et des assistants numériques étaient un spectacle répandu à Nairobi ; dans les banlieues, on construisait de nombreuses maisons et des appartements de luxe visant cette nouvelle classe aisée. D’autre part, les taudis des quartiers limitrophes prirent de l’ampleur en raison du nombre croissant de personnes au chômage, privées d’emplois stables et menant une existence précaire au jour le jour. Autrefois, elles avaient pu se débrouiller grâce à des petits boulots de travailleurs journaliers ; par exemple, des travaux de construction ou de la vente ambulante. Maintenant, ces gens sans emploi n’arrivent même plus à trouver une place dans le secteur informel ; alors, la plupart du temps, ils renoncent à vivre en ville et trouvent refuge dans les villages agricoles où ils sont nés.
37 Ce genre de fossé et de polarisation sociale était le résultat problématique des réformes sociales néo-libérales introduites à la fin des années 90 et vivement soutenues par le gouvernement de Kibaki depuis 2002. Ce gouvernement a cherché à stabiliser l’ordre public en affaiblissant et en démantelant de manière ciblée certaines catégories et communautés qui jusque-là avaient maintenu un sens de la communauté ; on transforma alors les individus en automates et on les laissa à la dérive dans un environnement soumis aux lois du marché. D’une part, un tel style de gouvernance a rapidement élargi la classe moyenne des nantis ; d’autre part, il a engendré une classe marginale démesurée, privée de toute possibilité de voir son sort s’améliorer.
38 Ceux qui se sont opposés à cette gouvernance ont essayé de retrouver un sentiment communautaire qui avait été détruit par la dérive néo-libérale. Dans les années 90, cette tentative a pris la forme d’une identité ethnique reconstruite. La tradition et l’ethnicité sont devenues un double moyen symbolique de traduire les frustrations et le mécontentement des gens, s’exprimant par moments à travers des actes de violence. Par exemple, leur rancœur autour des problèmes fonciers, créés par le contrôle colonial puis aggravés par les gouvernements africains après l’indépen-dance, a pris la forme d’une opposition interethnique à l’intégration des communautés ethniques. En se parant de costumes traditionnels, en maniant des armes traditionnelles et en entonnant des chants guerriers, les populations ont réaffirmé leur communauté et sont devenues des agents de la violence collective. Dans les rues de Nairobi, les normes reconnues pendant les émeutes s’appuyaient sur la foi dans la permanence du passé, non pas sur les prescriptions morales que leur imposait l’État. On peut aussi appréhender à la lumière de ce contexte les activités des « devins traditionnels » pendant les émeutes de Nairobi, et la résurgence des chansons populaires chantées aux funérailles. En recourant à la « tradition », la violence des rues a été redéfinie dans un cadre symbolique en cohérence avec le passé, et c’est dans ce cadre que les gens ont été capables de créer des liens.
39 Toutefois, durant les dernières émeutes de rues lors des vpe à Nairobi, la propension à résister à l’autorité du gouvernement à travers la création d’une communauté via l’ethnicité et la tradition a disparu. Dans la société kenyane actuelle, où les inégalités empirent et s’enracinent, le sous-prolétariat retourne son mécontentement et sa colère directement contre l’autorité de l’État. Les rues sont l’endroit désigné pour l’expression de ces dynamiques. Pour établir un sentiment d’appartenance communautaire et assurer leur solidarité réciproque, les gens ont commencé à abandonner les notions d’ethnicité et de culture traditionnelle au profit des étiquettes de « marginal désaxé », de « voyou », de « toqué » qui leur ont été imposées par l’État afin de procéder à leur exclusion. Dans un régime néo-libéral, les fondements de leur survie ont été détruits et la possibilité de s’élever leur a été confisquée. Ils restent alors dans les « bidonvilles » où ils parviennent à peine à s’en sortir, condamnés à une existence précaire et sans lendemain. Ces gens ont été appelés à descendre dans la rue en tant que partisans enthousiastes des élites au pouvoir, se réclamant à tour de rôle du parti de la majorité ou de l’opposition ; ils ont été enrôlés dans la stratégie de mobilisation de ces élites et dans leur manière d’utiliser des sentiments ethniques non déguisés. Cependant, cela n’a finalement fonctionné qu’en surface. En se rassemblant dans les rues, les gens ne se comportent pas comme des marionnettes suivant à la lettre les consignes des élites. Ils les ont même parfois ignorées ou ridiculisées ; parfois, ils ont résisté à leurs projets et ont mené des actions collectives, mobilisant des relations fondées sur leurs propres mondes de vie et porteuses de sentiments communautaires. Au milieu de ces conditions diverses et fluides dans la rue, ils s’appuient sur leur communauté située au bas de l’échelle sociale, que l’on appelle « bidonvilles », et jettent les bases d’une solidarité émergente mais réelle à construire.
Références
- Butler, J. (2005) Trouble dans le genre, trad. française par C. Kraus. Paris : La Découverte.
- Kimani, N. (2009) Healing the Wound: Personal Narratives about the 2007 Post-Election Violence in Kenya. Nairobi : Twaweza Communications.
- Lingis, A. (1994) The Community of Those Who Have Nothing in Common. Bloomington, in : Indiana University Press.
- Matsuda, M. (2004) « 変異する共同体:創発的連帯論を超えて », 文化人類学, 69(2) : 247-270.
- Nancy, J.-L. (1986) La Communauté désœuvrée. Paris : Christian Bourgois.
- Thompson, E. P. (1971) « The Moral Economy of the English Crowd in the Eighteenth Century », Past & Present, 50 : 76-136.
- Throup, D. et Horsby, C. (1998) Multi-Party Politics in Kenya. Athens, oh : Ohio University Press.
- Turner, R. H. (1964) « New Theoretical Frameworks », The Sociological Quarterly, 5(2) : 122-132.
- Turner, R. H. et Killian, L. M. (1972) Collective Behavior. Upper Saddle River, nj : Prentice Hall.
Notes
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[1]
1. Depuis l’indépendance en 1963, le Kenya était de facto et de jure un État à parti unique sous l’Union nationale africaine du Kenya – Kenya African National Union (kanu). Cependant, au début des années 90, quelques hommes politiques, des leaders religieux et civiques exigèrent une démocratie multipartite, en mettant en place le Forum pour la Restauration de la Démocratie (ford). Ils forcèrent finalement le gouvernement de Moi à organiser des élections pluralistes en 1992. On a appelé ce mouvement politique la Seconde Libération (Throup et Horsby 1998).
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[2]
2. Aux élections nationales de 2007, le pnu (Party of National Unity) de Kibaki et l’odm (Orange Democratic Movement) de Odinga étaient en compétition frontale. Kibaki appartenait au groupe ethnique le plus large, les Kikuyu ; Odinga était ethniquement un Luo. Les hauts dirigeants de l’odm sont des Luyia, des Kalenjin et des Arabes de la côte. Comme les élections nationales kenyanes depuis l’indépendance se caractérisaient apparemment par une arithmétique ethnique, les campagnes politiques tournaient au conflit ethnique (Kimani 2009).
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[3]
3. Philip Waki, un juge de la Cour d’appel, fut nommé à la tête de la Commission d’enquête sur les violences postélectorales. La Commission fut créée pour déterminer comment et pourquoi les heurts avaient éclaté et qui en étaient les principaux responsables ; son rapport a été publié en ligne le 4 novembre 2008.
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[4]
4. Cette théorie de Turner et Killian désignait les normes floues et changeantes qui émergent sur place (Turner et Killian 1972, Turner 1964).
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[5]
5. Les Maragoli sont un sous-groupe ethnique. Avec seize autres groupes qui parlent une langue bantoue, ils forment les Luyia, la deuxième plus grande communauté ethnique du Kenya.
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[6]
6. La première confrontation directe entre ces groupes dans les rues de Nairobi a eu lieu en juillet 1969, aussitôt après l’assassinat en plein jour de Tom Mboya, une étoile montante de la politique parmi les Luo. Mus par la colère, de jeunes Luo se sont révoltés et ont affronté la police. Avec la complicité de jeunes Luyia, les Kikuyus s’en sont pris violemment aux hommes luo et les ont circoncis de force.