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Article de revue

L'esthétique du quotidien

Pages 196 à 210

Notes

  • [1]
    Welsch (2005) par exemple utilise le paradigme de l’art, que Quinet mobilise autour de la nourriture, pour soutenir que les sports sont artistiques.

1Une jeune fille, une jument, une lyre et une marmite sont les exemples choisis par Hippias pour répondre aux questions de Socrate sur le beau, dans l’Hippias majeur. Le débat conceptuel sur l’esthétique prend donc sa source dans les choses concrètes, les êtres et les événements auxquels nous sommes confrontés dans la vie quotidienne. La joie et le réconfort que l’on retire d’une musique dansante, d’un repas chaud, d’une composition chromatique inattendue ou d’une étoffe agréable au toucher constituent des expériences qui ont bercé notre sensibilité depuis des générations. Ces menus aspects de la vie sont de fidèles compagnons et sources de sereins ou intenses plaisirs dans notre existence fugace. Cela explique peut-être pourquoi la théorie occidentale de l’esthétique les a donnés pour acquis, préférant se concentrer sur le caractère extraordinaire du grand art et sur les formes de beauté à couper le souffle. Revenons donc à ces assises esthétiques, qui recèlent des éléments essentiels pour comprendre la sensibilité humaine.

2Dans cet article, nous nous pencherons sur les choses les plus terre-à-terre, celles qui sont dépourvues de toutes les qualités généralement associées à l’esthétique : ni originales, ni créatives, ni sophistiquées, elles ne sont pas davantage élégantes, ornées ou gracieuses. Ces choses ne se conforment à aucun modèle d’art et de beauté. Elles ne remplissent pas les conditions généralement acceptées pour que des objets soient considérés comme esthétiques, à savoir : posséder une forme intrigante, être expressif ou pourvu d’une complexité syntaxique et sémantique. Les objets auxquels je fais allusion sont les plus prosaïques qui soient. Ils ont néanmoins la capacité de provoquer en nous une profonde réaction esthétique, comparable à celle que suscitent les objets esthétiques traditionnels. Voilà un cas difficile à défendre mais qui possède une caractéristique pour le moins digne d’intérêt en dépit du fait qu’elle est totalement ignorée par la théorie esthétique. On pourrait qualifier cette caractéristique de prosaïque ou terrestre, dans la mesure où elle tend vers une célébration sensuelle et symbolique de la pure matérialité de la vie quotidienne.

3Je procèderai comme suit : 1) j’analyserai les précédentes tentatives d’analyser les objets de tous les jours, les qualités ou les comportements liés au terrestre, puis 2) je situerai ce dernier dans son propre contexte empirique afin de montrer comment il agit sur nous de manière esthétique. Je ne doute pas que cette recherche sur la pertinence esthétique du prosaïsme soit riche de promesses.

Objets, qualités, attitudes de tous les jours : trois approches autour de l’art

4L’esthétique occidentale s’est traditionnellement concentrée sur les œuvres d’art et, plus récemment, sur la nature (paysages et jardins) comme objets de délectation esthétique. Les tentatives d’inclure des objets non naturels ou non artistiques dans l’esthétique occidentale sont très rares. John Dewey a été l’un des seuls à prêter un intérêt esthétique aux situations et objets non artistiques et non naturels. S’il n’est pas allé jusqu’au bout de sa réflexion sur l’esthétique du quotidien, il n’en demeure pas moins un pionnier qui a élargi le champ de la discussion esthétique à ces objets non conventionnels. Parmi les innombrables exemples tirés de la vie quotidienne, il indique que « boire du thé dans une tasse » implique aussi « d’apprécier la forme et la délicatesse de son matériau ». Il prend en considération des choses qui « incarnent la vitalité par excellence aux yeux du plus grand nombre » même si on « ne les considère pas comme de l’art : le cinéma, la musique de jazz, les bandes dessinées et, trop souvent, les faits divers des journaux où s’alignent les potins amoureux, les meurtres et les exploits des truands » (Dewey 1980 : 272, 6). Cinquante ans plus tard, quelques livres portant sur divers sujets en rapport avec l’esthétique du quotidien ont été publiés par des intellectuels ou des universitaires appartenant aux cercles anglo-américains (Kupfer 1983, Tuan 1993, Dissanayake 1995, Berleant 1991, 1995, 2005, Saito 2008) ainsi que par des auteurs non anglo-saxons (Mandoki 1994, 2006a, 2006b, 2006c, 2007a, 2007b, Naukkarinen 1998). En considérant l’environnement comme partie intégrante de l’expérience, Berleant a ouvert la voie à une réflexion sur une esthétique environnementale, active et non contemplative, se concentrant sur des contextes à la fois naturels et artificiels à travers un « engagement esthétique » actif. Dissanayake opte pour une approche darwinienne de l’esthétique mais en réalité s’intéresse aux comportements artistiques ou à l’« artification » comme elle appelle la transformation du non-art en art. Saito suit l’idée de Tuan et considère la nature et les aspects de la vie quotidienne en remplaçant le paradigme centré sur l’art par une perspective axée sur le beau. Kupfer et Mandoki laissent de côté à la fois l’art et la beauté et s’intéressent à l’impact positif et négatif de l’esthétique, comme dans les cas de violence esthétique et de manipulation à travers l’éducation, la politique et d’autres institutions sociales.

5J’examinerai trois auteurs qui s’intéressent aux objets en lien avec le concept de prosaïsme dont il est question ici : Quinet (1981), Leddy (1995) et Dissanayake (1995, 2007). Chacun d’eux incarne l’une des trois directions empruntées aujourd’hui pour analyser l’esthétique du quotidien de manière qui ne soit pas centrée sur la beauté (Tuan, Saito), la décoration ou le design (Naukarinen). Quinet se focalise sur un objet ordinaire, la nourriture, et affirme qu’elle pourrait ou devrait être considérée comme artistique. Leddy explore deux ensembles de qualités binaires (soigné/négligé et propre/sale) et suggère de les intégrer aux catégories esthétiques. Ellen Dissanayake se concentre sur le comportement quotidien qu’elle appelle « making special » (ou transfiguration du banal) pour soutenir qu’il faudrait le voir comme le comportement esthétique par excellence et le considérer comme la racine de toutes les formes d’art. Quinet plaide pour l’esthéticité de l’objet quotidien, Leddy pour celle des qualités quotidiennes, Dissanayake pour celle des comportements quotidiens. Tous les trois élaborent leurs études de cas en relation avec l’art. Cette démarche est-elle efficace ?

Les objets quotidiens

6Quinet adopte une stratégie argumentative qui consiste à prendre un objet généralement considéré comme non artistique – la nourriture par exemple – et à l’intégrer dans le cadre restreint de ce qui peut prétendre à l’appellation d’art. Elle entend ainsi nous persuader que cet objet est digne d’appréciation esthétique et s’inscrire à l’encontre de la thèse qui veut que : « 1) La principale et unique fonction d’une œuvre d’art, qua art, est de produire un objet destiné à la contemplation esthétique. 2) La nourriture, qua nourriture, a pour fonction principale de produire un objet destiné à être consommé et digéré. 3) Par conséquent, rien ne peut être simultanément considéré comme nourriture et comme art » (Quinet 1981 : 160). Elle retourne l’argument comme suit :

71) Si une fonction d’ordre esthétique correspond à la capacité d’une chose d’offrir aux sens un objet d’appréciation esthétique,

82) et si la connaissance des qualités nutritives de certaines nourritures est signifiante pour notre appréciation esthétique,

93) « nous pourrions alors très bien reconnaître que la nourriture est une authentique œuvre d’art » (Quinet 1981 : 169-170).

10Sa démonstration échoue pour plusieurs raisons. Elle ne prouve pas que 2 est vrai, 3 ne découle pas de 1 et 2, et le nouvel élément en 3, « une authentique œuvre d’art », apparaît tout d’un coup, sans être défini ni même mentionné en ouverture, car en principe Quinet traite de l’esthétique et non de l’art. Sa thèse s’embrouille dans une définition circulaire où la « fonction d’ordre esthétique » est définie par l’« appréciation esthétique pour les sens » et vice versa.

11Bien que l’« esthétiquement signifiant » concerne les sens, il ne se réduit pas au sensuel : la compréhension, l’imagination, l’émotion et d’autres facultés sont sollicitées. Quinet suggère que nous devrions « élargir note conception des “sens” de façon à inclure des formes d’appréciation intellectuelle ». Nous sommes d’accord avec elle sur ce point. Néanmoins, il existe plusieurs formes d’appréciation intellectuelle qui pourraient ou non relever de l’appréciation esthétique. Pourquoi alors prêter une spécificité à la connaissance de facteurs nutritifs ? Connaître avec précision la teneur en calories des crêpes fourrées ou des côtelettes d’agneau à la hongroise n’entre pas vraiment en ligne de compte dans le fait d’apprécier ces mets, puisque leur succulence dépend de leur goût et leur saveur, non pas d’une charte des calories. Si on voulait élargir la question, il serait peut-être plus judicieux de prendre en compte le umami, le sens du savoureux ou délicieux en japonais, où la dimension gustative est rattachée à la valeur nutritive de la viande et de la graisse. L’appréciation intellectuelle ne fait pas vraiment partie des « sens » et ne suffit pas pour justifier que l’on retienne la nourriture – à moins, ironiquement, que Quinet ne présuppose une conception de l’esthétique en tant que purement sensorielle, qu’elle se sent du coup obligée d’intégrer par un élément cognitif. Nous voulons bien que la connaissance participe de l’appréciation, mais pourquoi justement celle-ci porte-t-elle sur des facteurs nutritifs plutôt, par exemple, que sur la façon dont un plat est épicé ou sur les associations symboliques que d’autres cultures lui prêtent ? Certes, rares sont les œuvres d’art qui ne requièrent pas un certain degré d’appréciation intellectuelle, mais celle-ci ne porte pas sur la composition chimique de la peinture à l’huile ou sur le pourcentage de coton ou de lin entrant dans la fabrication de la toile, et encore moins sur le type de bois utilisé pour construire un instrument de musique – elle privilégie plutôt le contenu et la signification de l’œuvre. Enfin, il ne découle pas des prémisses de Quinet que la nourriture peut être reconnue comme une œuvre d’art car elle ne nous donne aucune information, même allusive, sur la façon dont nous sommes censés comprendre l’expression « œuvre d’art » dans ce contexte. Ce qui peut prétendre au titre d’esthétique ne s’inscrit pas automatiquement dans la catégorie de l’art. C’est le cas de la nature par exemple.

12Pour défendre sa position, Quinet aurait mieux fait de se pencher sur la thèse de Beardsley (1958 : 98-99 ; cf. Quinet 1981 : 166). selon laquelle l’odorat et le goût manquent de cohérence suffisante à produire « des symphonies de goût et des sonates d’odorat ». Malheureusement, cette remarque pour le moins provocatrice n’a pas trouvé de réponse. Ce vaste effort pour appliquer à un objet non artistique les critères de l’art afin d’en justifier la valeur esthétique apparaît d’autant plus vain que la nourriture, pour commencer, possède déjà une richesse sensuelle qui en appelle à notre sensibilité, c’est-à-dire à notre esthésie. Le meilleur argument en sa faveur aurait été une expérience directe avec l’œuvre d’un grand cuisinier ou celle vécue par les invités de Babette dans Le Festin de Babette de Karen Blixen (ou Isak Dinesen). Quiconque aurait le privilège de goûter des plats aussi raffinés ne pourrait nier leur authentique valeur esthétique. Leur statut artistique relève d’un autre débat qui dépend des règles de l’institution, comme Danto et Dickie l’ont clairement montré. En bref, Quinet aurait pu défendre la valeur esthétique de la nourriture sans convoquer un paradigme centré autour de l’art et en la laissant à sa place : sur la table, pour notre plaisir [1].

Les qualités quotidiennes

13Cette volonté d’intégrer des éléments quotidiens à la théorie esthétique apparaît aussi dans la proposition de Leddy, selon laquelle il existe des qualités esthétiques qui constituent « une catégorie entière de propriétés négligées », aussi importantes que les propriétés expressives auxquelles elles s’opposent. La dichotomie entre qualités expressives et qualités de surface, qui sert de fondement à son argument, représente déjà une petitio principii problématique. Ces « qualités de surface » du quotidien, comme soigné, négligé, propre et sale, ou des activités telles que « ranger sa chambre », sont aussi pensées selon un axe artistique, en référence aux catégories de Beardsley, Sibley, Hermerén et Goodman. Leddy élabore son argument en affirmant d’abord que ces qualités appartiennent à l’une des cinq sortes de qualités esthétiques énumérées par Göran Hermerén, à savoir la gestalt (les quatre autres étant l’émotion, le comportement, le goût et l’affectif). Il applique ensuite les critères de Sibley pour les concepts esthétiques (être lié à des concepts non esthétiques, être perceptuel, être déterminé par la sensibilité, être dépourvu de règles) et parvient à intégrer le « soigné » dans ces quatre critères, ajoutant qu’on « peut éprouver un immense plaisir à contempler une chose dont le nettoyage a demandé un effort important » (Leddy 1995 : 264) Il affirme que ranger sa chambre peut être une expérience esthétique si l’on se rapporte aux cinq « symptômes » de l’expérience esthétique proposés par Beardsley (être dirigé vers l’objet, le sentiment de liberté, le détachement affectif, la découverte active et une impression de plénitude). Finalement Leddy évalue les qualités apparentes en prenant le contre-pied des « quatre symptômes de l’esthétique » selon Goodman (la densité syntaxique, la densité sémantique, la plénitude syntaxique et l’exemplification). En outre, les qualités de surface ne reposant pas sur des systèmes symboliques et « Goodman insistant sur le fait qu’un seul des symptômes de l’esthétique soit présent », il élimine les trois premiers et retient le quatrième, à savoir l’exemplification, qui fait que « la propreté d’une chambre incarne la propreté par excellence » (Leddy 1995 : 266).

14Leddy appelle « qualités de surface » cette nouvelle catégorie de qualités esthétiques qui se répartissent en « soigné/négligé et popre/sale ». Cependant, de telles qualités ne paraissent pas aussi superficielles et extérieures qu’il l’affirme mais affectent intrinsèquement, dans certains cas, la signification profonde d’œuvres d’art dont le style artistique appartient à l’expressionisme, au minimalisme, au néoplasticisme, au matiérisme (Tàpies et Burri) et à l’abstractionnisme radical, entre autres. Ce n’est pas seulement parce qu’il est propre que nous apprécions le minimalisme ou l’urinoir de Duchamp, et parce qu’elles sont négligées que nous apprécions les toiles de Rouault ou de Burri, mais parce que ces œuvres sont expressives, signifiantes, cohérentes du point de vue de la forme et du fond, et qu’elles nous touchent.

15Comme je l’ai montré à maintes reprises, les catégories esthétiques font partie intégrante non seulement des œuvres d’art mais aussi de la vie quotidienne (Mandoki 1994 ; 2006a ; 2006b ; 2007). Nous ne prenons pas seulement l’ordre en considération mais la symétrie, les proportions, les contrastes, les couleurs, leur saturation, les nuances, l’harmonie, la texture et l’équilibre, comme lorsque l’on choisit des fruits au marché, une maison où habiter, des vêtements à porter, un paysage à admirer, un plat à préparer. L’esthétique englobe une grande variété de qualités positives et négatives et des catégories autres que la beauté et la sublimité. Pensons à la laideur, au grotesque, au tragique, au comique, au sordide, au subtil, au raffiné, au vulgaire, au visqueux, au fleur bleue, au clinquant, au cool, à l’attirant, au repoussant… Le propre et le sale y figurent certainement, mais leur valeur dépend du contexte (Mandoki 1994, 2006a, 2007). Ces qualités, et d’autres encore, reflètent notre capacité à évaluer des aspects de notre expérience quotidienne, cette évaluation étant en partie esthétique.

Les comportements quotidiens

16Dissanayake a aussi tenté de défendre l’esthétique du quotidien à partir de l’idée selon laquelle « celui qui se focalise sur les genres et espèces considère l’art moins comme une entité ou une qualité que comme une manifestation comportementale, une façon de faire les choses » (1995 : 34) Elle fait référence au « noyau biologique de l’art, à cette tache profondément ancrée dans la moelle comportementale des êtres humains », qu’elle définit comme « making special » ou transfiguration du banal : « ce n’est pas l’art […] mais la transfiguration du banal qui a été importante sur le plan de l’évolution, de la société et de la culture » (Dissanayake 1995 : 42, 56). Dissanayake explique que toutes les transfigurations du banal ne sont pas de l’art mais que l’art est toujours une transfiguration, bien qu’elle ne précise pas comment distinguer un « making special » artistique d’un « making special » non artistique. Elle tient surtout à prouver que l’art est une activité naturelle et nécessaire à la survie. Si tel était le cas, on pourrait en tirer deux conclusions : d’abord, qu’en tant que survivants, nous serions tous des artistes ; ensuite, que les artistes spécialisés seraient mieux adaptés pour survivre que les non-spécialisés. Cependant, c’est le contraire qui semble se vérifier comme le montrent les cas de Van Gogh, Modigliani, Mozart, Le Caravage, Artaud, Chopin, Beethoven et un nombre incalculable d’autres artistes qui ont eu des vies très mouvementées aboutissant à une mort prématurée. La difficulté à s’adapter aux conventions sociales est plus souvent la règle que l’exception parmi les artistes les plus talentueux.

17L’art est, par définition, toujours artificiel. Il appartient au monde de l’artificialité et à la dimension de « travail ». Hannah Arendt, dans la Condition de l’homme moderne (1961), distingue cette notion de celle du « labeur ». Tous, en tant qu’humains, sommes capables de réactions et d’actions esthétiques, mais cette égalité ne fonctionne plus dans le domaine du travail artistique. Cette conception de l’art amène Dissanayake (2007 : 8) à parler de comportement artistique ou d’« artification » en tant que « système primordial de motivation ou d’adaptation, qui comprend la danse, le chant, la décoration, la gravure – bref, les divers arts ». Hélas, il nous arrive tous de danser dans les mariages, les fêtes, ou sur notre terrasse, de chanter sous la douche et de décorer des gâteaux et des tables : mais cela ne fait pas de nous des artistes.

18La difficulté principale des thèses de Quinet, Leddy et Dissanayake réside dans le fait qu’elles n’établissent pas de distinction préalable entre l’esthétique et l’artistique. Ce détail fâcheux les empêche de reconnaître que manger, nettoyer et décorer sont certainement des activités esthétiques parce qu’elles agissent sur notre sensibilité, mais qu’elles n’ont rien à voir avec l’art. Elles sont esthétiques parce qu’elles sont liées à l’esthésie et à la sensibilité, non à la dextérité ou au sens artistique. Le paradigme centré autour de l’art ne constitue pas un moyen efficace d’analyser les objets non-artistiques parce qu’il leur applique, par définition, des critères extérieurs qui n’ont aucune pertinence.

Laisser les objets, les qualités et les attitudes à leur place : à côté de la cuisine

19L’esthétique a été considérée comme synonyme de beauté et de raffinement. Le non-raffiné, par opposition, se rattache au cru – animal ou végétal – et se trouve là où l’on cuit et prépare le cru : dans la cuisine. Cependant, génération après génération, c’est là que s’est silencieusement constituée une partie importante du plaisir dans la vie de la plupart des gens. C’est autour de la cuisine que prennent forme les souvenirs d’enfance les plus joyeux et qu’on éprouve un certain sens d’enracinement. Tout ce qui nourrit et réchauffe la famille se situe tout près de l’âtre, là même d’où émergent les parfums les plus agréables qui soient – non pas les délicates fragrances d’un attrayante nature en fleur, mais les fumets et les senteurs de bouillons, d’herbes, d’huiles et de fruits. La cuisine nous nourrit corps et âme.

20Un bol de soupe et un morceau de pain n’ont rien d’extraordinaire, d’original ou de nouveau. Ils sont bien trop communs pour susciter l’admiration et bien trop prosaïques pour provoquer un état de contemplation. On ne fait pas cuire du pain ou de la soupe dans un but esthétique mais simplement par nécessité. Ces gestes ne réclament aucun travail créatif ou original, mais un labeur banal et éphémère (selon la distinction d’Arendt). Une femme qui fait la lessive et tend un drap blanc sur lequel la lumière se réfléchit exprime le sens du sublime dans une scène du Maître du logis de Dreyer, selon Jean-Louis Schefer (1995 : 121-123). Pauliina Rautio (2009) saisit l’esthétique dans la vie quotidienne à travers des interviews et des correspondances avec diverses femmes. Celles-ci mentionnent des événements tels que étendre le linge, ce qui pour la femme appelée Laura est l’occasion d’expérimenter la couleur, le rythme, l’ordre, les résonances, les harmonies et les symboles. « Je suis toujours envahie par la solennité lorsque je fais sécher dehors ma première lessive de printemps », écrit-elle. Comme le dit Rautio, cette expérience dépend du moment et du contexte – selon les termes de Berleant, de l’environnement. Ces événements quotidiens – faire la lessive, faire bouillir la soupe ou préparer du pain – expriment un sens du terrestre que l’on observe déjà dans la laitière de Vermeer, qui nous donne presque l’impression de sentir la consistance, le parfum et le goût du pain et du lait, de toucher le panier en osier, le pot de crème, la boîte en bois, la lampe en cuivre, les vêtements épais en laine et en coton, et même de percevoir la chaleur du corps de la paysanne. Tout cela fait intervenir notre sensibilité et enracine la signification esthétique dans la matérialité de la vie de tous les jours.

Savoir et pétrir

21Pétrir du pain paraît trop simple pour être digne de la moindre attention philosophique. En revanche, l’acte de connaître a inspiré de solides et considérables ouvrages, depuis le Théétète de Platon jusqu’à la Critique de la raison pure de Kant, sans oublier tout un domaine de la philosophie et de la science : l’épistémologie et les sciences de la cognition. Est-ce que pétrir et savoir sont aussi opposés qu’ils le paraissent ? Pétrir de la pâte s’inscrit dans un rapport d’analogie parfaite avec le travail théorique ou artistique : même mouvement de va-et-vient sur la pâte, l’œuvre d’art ou le texte ; légère cuisson avec la main ou les idées, malaxage ponctuel, aplatissage du travail quand il tend à trop monter, amélioration de sa consistance, variation des ingrédients, temps de fermentation puis mise en forme définitive avec passage au four avant la présentation aux autres sous un aspect éloquent. Savoir et pétrir partent de ce qui a été fait auparavant : pour savoir, il faut commencer par les pensées et les idées élaborées par d’autres, pour faire un pain on prélève un peu de levain sur la boule de la veille.

22À l’instar du langage et de l’art, le pain est apparu presque partout il y a plusieurs milliers d’années. Il a pris des formes variées mais semblables : depuis le shrak des Bédouins jusqu’aux chapatis indiens, en passant par les fogli di musica de Sardaigne, les sang-gak iraniens, les chernyi klib ukrainiens, les limpa scandinaves et les coburgs anglais, les tortilla mexicaines, les khobz marocains, les man-t’ou chinois et j’en passe. Tout bien considéré, une miche de pain peut stimuler différents sens : l’odorat, le goût, le toucher et la vue. Un pain tout chaud posé au milieu d’une table peut constituer l’apogée d’une journée quand sa fabrication est le résultat d’un effort collectif de la famille. Combien parmi nous peuvent rester indifférents à un pain fait maison, tout droit sorti du four ? Quiconque a fait son pain et l’a posé fièrement sur la table connaît parfaitement le pur plaisir esthétique que cela procure.

23Le pain, à l’image de l’art, a des connotations symboliques et des usages cérémoniels. Il fut la première chose offerte par Abraham au Seigneur descendu sur lui et c’est du pain azyme que Lot donna aux anges qui lui apparurent à Sodome. C’est encore du pain et du potage aux lentilles que servit Jacob à Ésaü en échange de son droit d’aînesse, et que Rebecca donna à son fils Jacob, avec un délicieux ragoût de chevreau, afin d’amener son mari agonisant à bénir Jacob. C’est du pain toujours que Joseph envoya d’Égypte à son père bien-aimé, parmi d’autres vivres (Genèse 18.5-6, 19.3, 25.3, 27.17, 45.23). Le pain sans levain symbolise, au moment de Pessah, la fuite des Juifs hors d’Égypte (Exode 12.8-17). Dans l’Eucharistie, le pain représente le corps du Christ pour les croyants : « Je suis le pain de la vie ». Le pain a été lié aux divinités à travers le monde et est modelé différemment en fonction des occasions. Les anciens Suédois avaient pour coutume de donner à la pâte à pain la forme d’une figure féminine symbolisant la fertilité. Les Mexicains « nourrissent » leurs morts d’un pain spécial les 1er et 2 novembre et dressent pour ce faire des tables et des tombes magnifiquement arrangées. Les idoles découvertes par Hernán Cortés et les conquistadors à Tenochtitlán, capitale de l’empire aztèque, étaient une sorte de pain à base de maïs mélangé à du sang. Le mythe aztèque de la création évoque un homme et une femme créés à partir d’une boule de pâte de maïs ayant reçu la vie grâce aux gouttes de sang tombées du pénis du dieu Quetzalcoatl blessé par une épine de cactus. Tous ces métaphores montrent à quel point la pâte et le pain se rattachent au corps. Nous nous voyons comme des créatures faites à partir du pain et intimement liées à cet aliment.

24D’autres mythologies abondent en exemples du même type. Chez les Grecs, les hommes étaient décrits avant tout comme des mangeurs de pain. Dans l’Odyssée, on dit du cyclope Polyphème qu’il « n’avait rien d’un bon mangeur de pain, d’un homme : on aurait dit plutôt quelque pic forestier qu’on voit se détacher sur le sommet des monts » (ix, 190). De même que l’ambroisie et l’ichor définissent les dieux, le pain et le vin définissent les humains : « au-dessus du poignet de la déesse, jaillit son sang immortel : c’est l’“ichor”, tel qu’il coule aux veines des divinités bienheureuses : ne mangeant pas le pain, ne buvant pas le vin aux sombres feux, elles n’ont point de sang et sont appelées immortels » (Iliade v, 340) « Quand ils se soulevèrent ouvertement, voici ce qu’ils firent [les Babyloniens] : ils mirent de côté leurs mères et, en outre, chacun une femme de sa maison, à son choix ; et, ayant rassemblé toutes les autres, ils les étouffèrent ; la seule que chacun réservait devait lui préparer à manger. Ils étouffèrent les femmes pour éviter la dépense de leurs provisions » (Hérodote, Histoires : iii, 150). Hésiode, dans Les Travaux et les jours, écrit qu’en offrant la boîte de Pandore, « les habitants de l’Olympe […] font présent du malheur aux hommes qui mangent le pain » (81-82) – personne n’est donc épargné.

25Dans les textes classiques et bibliques, comme dans les conversations ordinaires, le pain est synonyme de vie, de sorte que « gagner son pain » signifie littéralement « gagner sa vie ». Là où il y a du pain, la vie humaine est possible. Dans sa Bibliothèque historique, Diodore de Sicile écrit : « Beaucoup de monde répondit à cet appel et quand ils eurent pris connaissance d’un oracle d’Apollon, qui leur disait de fonder une ville dans un site où ils habiteraient en “buvant de l’eau modérément, mangeant du pain immodérément”, ils firent voile vers l’Italie… » (iii, 10.5). Rompre le pain avec quelqu’un veut dire partager bien davantage que cette nourriture. Donner du pain à ses hôtes est aussi un symbole de bienvenue et d’accueil. « Vint la digne intendante : elle apportait le pain et le mit devant eux » (Odyssée i.136-140). Dans l’Odyssée, Homère reprend cette image encore cinq fois au moins (iv.55, vii.175, xv.135, xvii.90 et 255). La tâche quotidienne principale des femmes consistait à faire du pain, ce dont se plaint amèrement Hécube chez Euripide : « Les travaux les plus pénibles à supporter pour mon grand âge, c’est ceux-là qu’on m’imposera : à une porte, comme domestique, je devrai garder les clefs, moi la mère d’Hector, ou faire le pain » (Euripide 1966 : v. 467-510).

26Le pain n’est ni beau, ni artistique, mais s’il ne parlait qu’à notre estomac, il serait difficile d’expliquer ces innombrables associations symboliques qui confirment qu’il pince la corde de notre sensibilité. À mille lieues du superficiel et du clinquant, il se distingue par une qualité propre à l’éthique comme à l’esthétique : la bonté. Le pain est esthétique en raison de ses connotations symboliques, imaginaires, émotionnelles et sensuelles. Sa signification très riche sur le plan mythique, social et religieux est probablement due au sentiment répandu selon lequel si l’essence de la vie est contenue dans quelque chose, cela ne peut être que dans le pain. La lune est peut-être faite de fromage, mais la terre est sans nul doute faite de pain.

Le merveilleux dans une marmite de soupe

27Quoi de plus terrestre que le pain, sinon une simple marmite de soupe « noire de suie et tout ébréchée » ? Le pain au moins est propre, contrairement à cette vieille soupière sale. Loin de l’œuvre d’art (en dépit de la beauté de la description), l’interprétation que donne un Sioux de ce récipient illustre de façon éloquente une réaction esthétique face à une chose très ordinaire :

28

Que vois-tu là, mon ami ? Simplement une vieille marmite, toute cabossée et noire de suie…
Elle trône sur ce vieux poêle à bois ; l’eau bout et la vapeur qui soulève le couvercle s’échappe vers le plafond. Dans l’eau bouillante de cette marmite, il y a de gros morceaux de viande avec les os, la graisse et plein de patates.
Elle ne semble pas porter un quelconque message, cette vieille marmite, et j’imagine que tu ne lui prêtes pas grand intérêt, hormis la bonne odeur de la soupe qui réveille ta faim. Tu as peut-être la frousse que ce soit un ragoût de chien ? Non, ne sois pas inquiet, c’est uniquement du bœuf, pas un chiot bien gras pour quelque cérémonie particulière… Ce n’est qu’un repas ordinaire.
Mais je suis indien. J’observe les choses simples, comme cette marmite. Cette eau qui bout vient des nuages de pluie. Elle symbolise le ciel. Le feu du soleil nous réchauffe tous, humains, animaux, arbres. La viande représente les créatures à quatre pattes, nos frères animaux qui se sont offerts pour que nous puissions vivre. La vapeur est le souffle de vie. C’était de l’eau, et maintenant elle s’élève vers le ciel pour devenir à nouveau nuage… Ces choses sont sacrées. En regardant cette marmite pleine de bonne soupe, je n’oublie pas que Wakan Tanka prend simplement soin de moi. Nous les Sioux, nous passons beaucoup de temps à méditer sur ces réalités ordinaires qui, dans notre esprit, se mêlent au spirituel. Nous percevons dans le monde alentour bien des symboles qui nous enseignent le sens de la vie. Un dicton dit que l’homme blanc voit si peu qu’il ne doit regarder que d’un seul œil ! Nous sommes sensibles à des choses que vous ne remarquez pas. Vous pourriez, si vous le vouliez, mais en général vous êtes trop occupés pour cela… Les Indiens vivent dans un univers de symboles et d’images où le spirituel et l’ordinaire se confondent. Pour vous, les symboles ne sont que des mots, parlés ou écrits. Pour nous, ils font partie de la nature, de nous-mêmes, comme la terre, le soleil, le vent et la pluie, les pierres, les arbres, les animaux, même les insectes minuscules comme les fourmis et les sauterelles. Nous essayons de les comprendre non pas avec notre tête mais avec le cœur, et une étincelle suffit pour que le sens se révèle.
Ce qui vous semble banal nous apparaît merveilleux grâce au symbolisme. Ce qui est drôle c’est que nous n’avons même pas un mot pour « symbolisme » alors que nous baignons dedans. Vous, vous avez seulement le mot…
(Lame Deer et Erdoes 2009 : 139-140.)

29Considérer cette marmite comme un symbole de l’univers et de la vie exige une sensibilité aux résonances profondes du monde qui nous entoure. Cet exemple propose une illustration littérale du « libre jeu de l’imagination et de l’entendement » qui selon Kant (1995 : 196 [218]) caractérise la réaction esthétique. Aussi commune soit-elle, une simple marmite de soupe –ni idée géniale, ni chef-d’œuvre – devient l’occasion idéale d’établir une relation esthétique avec notre environnement.

30Lame Deer ne prétendait pas faire de la littérature et ce serait trahir ses intentions que d’interpréter son récit comme artistique. Il reste que sa perception de la casserole qui bout est intrinsèquement humaine et met en avant ce qui nous caractérise tous en tant qu’êtres humains.

31Aucune des associations établies ici n’est arbitraire : l’eau qui bout/la pluie, le nuage/le ciel, le feu/le soleil, la viande/les créatures à quatre pattes, la vapeur/le souffle. Quiconque regarderait une marmite de soupe ne verrait normalement rien d’autre qu’un « repas ordinaire ». Pourtant, ce que Lame Deer y a décelé par-delà son sens le plus strictement fonctionnel est parfaitement sensé. Il ne cherchait pas les « qualités nutritives » de Quinet et n’a pas découvert dans la marmite « une authentique œuvre d’art ». La saleté de la suie et le mélange des ingrédients ne demandaient pas à être nettoyés ou ordonnés pour acquérir une « apparence esthétique ». Il n’y a pas de « making spécial » dans cette marmite de soupe. Néanmoins, Lame Deer la décrit en termes foncièrement esthétiques. Dans la perception de cet homme, qui passe de la dénotation à une connotation symboliquement foisonnante, s’exprime une compréhension de l’esthétique comme conscience du merveilleux au sein de l’ordinaire et se manifeste la joie qui émane de la pure matérialité.

32Loin du chef d’œuvre culinaire de Babette, cette modeste marmite de soupe brûlante reste esthétiquement parlante et attirante. À l’instar du pain, elle dégage une sensation terrestre qui met en branle notre sensibilité et embrasse les quatre éléments naturels énumérés par le vieux philosophe présocratique, Empédocle d’Agrigente : le feu et la terre, l’eau et le vent.

33Accorder trop d’attention aux résonances de ce qui constitue notre vie quotidienne nous distrairait en permanence et mettrait à mal notre capacité de faire face aux problèmes concrets et immédiats. Nous avons besoin de moyens élémentaires et efficaces pour organiser notre vie pratique, de sorte que s’attarder sur les échos symboliques et les significations cachées peut s’avérer dangereux quand il faut réagir avec promptitude. Cependant, il est essentiel, pour notre existence, de demeurer attentifs à ces significations et à ces échos.

34La soupe qui bout et le pain qui cuit ne sont pas, évidemment, les seules occasions d’expérimenter le sens du terrestre, mais la certitude que de la soupe fumante et du pain chaud nous sont destinés n’est pas moins satisfaisante sur le plan esthétique que la contemplation d’un paysage ou d’une peinture. Ils nous offrent la chance de pouvoir « plonger sans effort dans un état de calme et de satisfaction sereine, caractérisés par un sentiment de joie tranquille et de bien-être ». Telle est la description faite par Carlson (1997 : 47) de son expérience face aux jardins japonais dans laquelle je n’ai modifié qu’un mot : « satisfaction » à la place de « contemplation ». Dans la Critique de la faculté de juger, Kant (1995 : 182 [204]) déclarait : « même si les représentations données étaient mêmes rationnelles, […] dès lors que, dans un jugement, on les rapporterait purement et simplement au sujet (à son sentiment), le jugement serait alors toujours de type esthétique ». Les représentations du terrestre comme de la beauté et du sublime sont esthétiques parce qu’elles renvoient au sujet et à ses sentiments. Le terrestre ne dépend pas d’un savoir : inutile de connaître la composition et la proportion de farine, de levure et d’eau dans le pain ou la quantité de vitamines et de protéines dans la soupe comme le prétend Quinet. Aucun arrangement décoratif ne s’impose ici, rien de spécial dans le pain ou la soupe, pas d’espaces propres et ordonnés, mais plutôt le contraire : la poussière noire du charbon et la poudre blanche de la farine ont la même consistance que la terre, la même densité que les briques ou l’argile fraîche. Le terrestre dépend du sentiment que le pain et la soupe, à l’instar d’une mère nourricière, expriment la générosité de la vie. Ni beauté, ni art : simplement la prévenance et l’énergie.

35J’ai tracé le contour esthétique du terrestre pour décrire la façon dont il nous touche sur le plan de la sensibilité. Comme on l’a vu, ce n’est pas l’objet en soi – la miche de pain ou le bol de soupe – qui suscite notre intérêt esthétique, mais plutôt, comme l’a affirmé Berleant, l’environnement créé autour de ces simples choses et la manière dont nous nous investissons en elles. Pour reconnaître et expérimenter ces atmosphères et ces événements comme esthétiques nous n’avons pas besoin d’un paradigme centré sur l’art ou sur la beauté. La question n’est pas de contempler une boule de pain ou une marmite de soupe pour avoir une expérience d’ordre esthétique. Elles ne possèdent ni beauté, ni originalité artistique. Un pâton de levain et de farine humide ou un linge taché par un épais bouillon peuvent difficilement être considérés comme explicitement intéressants ou dignes de contemplation. Néanmoins, ils sont riches en connotations et émotionnellement gratifiants, capables de stimuler notre imagination et nos sens en apportant une profondeur symbolique à qui sait se rendre réceptif. Ces divers cas illustrent des situations qui engagent notre sensibilité et font naître des résonances archaïques en touchant notre sens du terrestre. Pas plus que l’homme ne vit que de pain, l’esthétique ne saurait se limiter à l’art et la beauté.

Bibliographie

Références

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Notes

  • [1]
    Welsch (2005) par exemple utilise le paradigme de l’art, que Quinet mobilise autour de la nourriture, pour soutenir que les sports sont artistiques.
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