Notes
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[1]
Je tiens à remercier ici Ken-ichi Sasaki pour m’avoir invité à contribuer à ce numéro de Diogène, et surtout pour les commentaires extrêmement constructifs qu’il a apportés aux version antérieures de cet article.
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[2]
Pour les antécédents historiques du xviiie siècle, voir Guyer (2008).
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[3]
On peut la considérer comme standard au sens où c’est à Levinson que l’on doit l’entrée « Ethics and Aesthetics » de l’OCP, l’un des plus récents ouvrages philosophiques de référence en langue anglaise (Honderich 2005 : 270-1). Voir Levinson (1998, 2003), Eldridge (2003), Gaut et McIver Lopes (2005). Dans la suite de cet article, je me réfèrerai autant que possible à des ouvrages de référence.
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[4]
Le concept de « théorie de la valeur » est employé ici au sens classique d’investigation philosophique de la nature de la propriété ou de ce qui est considéré comme un objet de valeur ou comme ayant de la valeur (Lemos 1999).
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[5]
Sur la valeur esthétique, voir Janaway (2005). Sur la valeur éthique, voir Chisholm (2001).
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[6]
Je m’appuie principalement sur Pollitt (1990), Hurwitt (1985 : 320-355), Boardman (1991), Ridgway (1993) et Holzmann (2010 : 118-179).
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[7]
Dans les années 1880, des archéologues allemands furent à l’origine des premières excavations systématiques de ces statues. L’écrivain-voyageur grec Pausanias avait déjà signalé l’importance de débris perses toujours visibles sur l’Acropole. Voir C. Habicht 1985.
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[8]
Platon l’évoque également dans le Cratyle, le Protagore et le Phèdre.
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[9]
Voir cependant les réserves exprimées par Irwin (1999 : 350) dans les notes à sa traduction.
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[10]
Sur les statues masculines et féminines de cette période, voir Richter (1970, 1968). Je me concentre ici uniquement sur certains aspects de deux nus masculins de l’Acropole datant de la période transitionnelle. Parce qu’ils appartiennent à cette période, ils ne constituent pas à proprement parler des kouroï.
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[11]
Signalons au passage le sens quelque peu général de la notion d’éthos au sens de caractère. Sur le concept et les significations d’éthos, voir Woerther (2007).
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[12]
K.-i. Sasaki, communication personnelle concernant la formulation de mon argument.
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[13]
Notons toutefois l’objection de K.-i. Sasaki (échange personnel) que j’espère pouvoir commenter plus amplement une autre fois. « Il faut considérer un double y a deux axes : esthétique/éthique et ancien/contemporain. Afin de prouver la pertinence de la relation ou du lien entre les deux premiers, vous renvoyez à une instance plus ancienne et essayez de la transposer dans le contexte contemporain de la relation entre esthétique et éthique. Cette relation se manifeste clairement dans l’exemple ancien. Mais sa transposition dans le contexte contemporain est équivoque car, dans le cas de l’exemple ancien, la signification naissante de la future éthique que suggèrent les sculptures ne peut être déchiffrée qu’à travers le regard expert d’un historien de l’art, et bien longtemps après. En d’autres termes, cette signification n’a pas été décodée par des yeux contemporains aux sculptures. Donc, même si vous transposez cet exemple à notre époque, nous ne pouvons espérer quoi que ce soit de positif d’une telle orientation. » En guise de partielle réponse seulement, je dirai que mon souci n’est pas de transposer quoi que ce soit. J’espère plutôt suggérer que l’avenir de l’esthétique en tant que discipline pourrait se bâtir, entre autres choses, sur le développement d’une nouvelle forme de réflexion esthétique axée sur les relations entre esthétique et éthique dans certaines œuvres historiques.
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[14]
Pour une tentative récente de recontextualisation, seulement en partie réussie, voir McCormick (2010).
1Le thème général de cet article porte sur les futures possibilités offertes à l’esthétique en tant que discipline [1]. Comme l’esthétique s’accompagne souvent d’un type particulier de réflexions (voir par exemple Toulmin et al. 1984 : 349-367), approfondir de manière critique certaines réflexions inchoatives pourrait avoir des conséquences significatives pour développer de nouvelles orientations pour l’esthétique de demain.
2Nous nous situons ici dans une optique davantage esthétique qu’éthique. Néanmoins, nous allons étudier comment les relations toujours problématiques entre esthétique et éthique pourraient engendrer de nouvelles formes de réflexion esthétique. Nous chercherons moins à critiquer ce qui est ordinairement dit au sujet de ces relations souvent compliquées, qu’à intégrer ces observations.
3L’un des objectifs de ce recueil consiste à « fournir un contexte différent à l’esthétique afin d’encourager une nouvelle perspective dans la discipline », selon les termes qui m’ont été communiqués par Ken-ichi Sasaki. Je suggèrerai ici qu’une manière d’offrir un « contexte différent » et d’esquisser de nouvelles orientations en esthétique pourrait naître d’une « recontextualisation » de l’esthétique, c’est-à-dire d’un type particulier de réflexion esthétique ne se limitant pas à une interprétation immédiatement philosophique du terme, mais s’ouvrant à une optique plus globale.
4Il est vraisemblable que le caractère éthiquement problématique de notre situation globale soit devenu durable. Cette situation caractérise notre contexte présent et futur. Une esthétique de l’avenir devrait donc inclure une réflexion critique quant à la place des œuvres d’art dans ces contextes. Cette réflexion nous obligera de surcroît à reprendre et à développer certaines des tensions conceptuelles qui ont divisé esthétique et éthique par le passé et que l’on a eu tendance à perdre de vue depuis l’invention de l’esthétique moderne par A. G. Baumgarten au xviiie siècle [2].
5Je suggèrerai donc qu’un certain type de réflexion esthétique, encore à ses débuts aujourd’hui, préfigure plusieurs possibilités nouvelles autant pour mieux définir les relations entre esthétique et éthique que pour ouvrir de plus amples horizons à l’esthétique de demain.
Les relations entre esthétique et éthique aujourd’hui
6L’esthétique et l’éthique entretiennent des relations complexes (voir par exemple Carroll 2004). Un certain nombre d’idées non dénuées d’importance en esthétique contemporaine continuent de faire abstraction des contextes éthiques propres à certaines œuvres d’art, telles par exemple leurs relations avec les questions environnementales. Réciproquement, des travaux tout aussi importants en éthique contemporaine continuent de négliger le fait que certaines expériences esthétiques pourraient contribuer au développement du jugement éthique, par exemple en cultivant les sensibilités morales. Avant d’aller plus loin, il serait donc utile d’évoquer comment l’esthétique et l’éthique en sont venues à être considérées comme corrélées aujourd’hui.
7Conformément à la formulation de J. Levinson, qui pourrait être considérée comme standard, l’esthétique et l’éthique seraient corrélées d’au moins trois façons [3]. On pourrait résumer la teneur de cette assertion comme suit :
8D’abord, l’esthétique est généralement considérée comme une branche de la théorie de la valeur [4]. Et puisque l’éthique est généralement considérée elle aussi comme une branche de la théorie de la valeur, l’esthétique et l’éthique seraient liées par le fait de constituer deux manifestations différentes de la même théorie.
9En deuxième lieu, si l’on considère que l’esthétique s’intéresse à la valeur intrinsèque que possèdent certains objets, et que l’éthique s’y intéresse aussi, un deuxième lien entre elles serait représenté par cet intérêt commun pour la valeur intrinsèque des objets.
10La troisième manière de relier esthétique et éthique élargit le champ. Selon celle-ci, l’esthétique s’intéresse à « la valeur de l’expérience perceptuelle et imaginative qui naît de notre interaction avec des objets, naturels et/ou artificiels, ou à la valeur intrinsèque de ces objets par rapport à l’existence humaine ». Conformément à cette interprétation, l’éthique s’intéresse spécifiquement à « l’évaluation de la conduite humaine, à la manière dont les êtres humains doivent fondamentalement se comporter, particulièrement dans leurs rapports l’un avec l’autre » (Lemos 1999). Esthétique et éthique apparaissent donc corrélées à travers leur intérêt commun pour l’évaluation des actions humaines.
11Une tel argument est certainement plausible. Il est même solide. Il n’est pourtant pas exempt de critique. Ainsi, même s’il est vrai que l’on peut considérer et l’esthétique et l’éthique comme des formes apparentées de la théorie de la valeur, la nature de la valeur, qu’elle soit esthétique, morale ou autre, demeure très controversée (voir par exemple Zimmerman 2001 : 3). Tout argument qui affirmerait la corrélation entre esthétique et éthique à partir du constat que ces deux disciplines sont des « branches de la théorie de la valeur » serait donc redevable d’un consensus quant à la nature précise de ces valeurs – un consensus auquel la communauté des philosophes n’est toujours pas parvenue. Peut-être pourrait-on y ajouter d’autres éléments, d’ordre historique par exemple ?
12La même objection peut être portée à l’encontre de la seconde affirmation, selon laquelle esthétique et éthique sont interdépendantes en raison de leur intérêt commun pour la valeur intrinsèque. À nouveau, voire davantage, la majorité des philosophes ne sait pas précisément comment décrire non seulement la nature de la valeur mais aussi les nombreuses formes de valeur, y compris les valeurs dites extrinsèque et intrinsèque [5]. Peut-être faudrait-il identifier des catégories supplémentaires, telles par exemple la précision et l’imprécision (vagueness) axiologique ?
13L’affirmation encore plus abusive selon laquelle l’esthétique et l’éthique s’intéressent à l’évaluation des actions s’avère particulièrement problématique. Le problème ne repose pas ici sur l’absence de consensus quant à la nature de la valeur en général ou de la valeur intrinsèque en particulier, mais relève plutôt d’un phénomène d’exagération. De fait, si l’on mesure cette thèse à l’aune des réflexions qui apparaissent régulièrement dans des revues savantes, des thèses et des annuaires, la plupart des travaux d’esthétique et d’éthique ne sont pas centrés sur l’évaluation.
14Si certains travaux d’esthétique cherchent effectivement à évaluer des œuvres d’art et se concluent par des jugements esthétiques, la majeure partie d’entre eux ne conduit point à des jugements de valeur. La plupart sont d’ordre historique, descriptif ou interprétatif. Dans les travaux d’esthétique portant sur les œuvres d’art de la Renaissance, on ne parle plus d’évaluation ou de jugement, mais plutôt de « lecture de l’œuvre d’art » (Shearman 1992 : 5-6). Quant à l’éthique, si certains travaux émettent des jugements sur des actions concrètes, la plupart d’entre eux, notamment en éthique normative, s’intéresse davantage à ce qui contribue à rendre des actions moralement justes ou éthiquement bonnes. Le discours éthique sur les problèmes sociaux se traduit moins par des évaluations ou des jugements à propos d’une situation sociale que par l’identification des facteurs cruciaux qui la caractérisent (Brighouse et Tobeyns 2010 : 10-11). Peut-être serait-il utile d’avoir recours à des formes descriptives plus complètes, par exemple d’ordre herméneutique ?
15Répondre à chacun de ces contre-arguments n’est pas difficile. Mais il est clair que l’espace pour de nouvelles réflexions reste ample. Je reviendrai plus loin sur chacun de ces grands points de rapprochement entre esthétique et éthique. Ce qui importe maintenant est d’observer que des investigations plus approfondies sur ces relations pourraient s’avérer favorables au développement de nouvelles orientations pour l’esthétique d’aujourd’hui et de demain.
16Dans les sections qui vont suivre, j’analyserai plusieurs de ces possibilités. Je le ferai à travers un détour historique, en revenant au moment précis où prenait naissance ce qui allait devenir la principale tradition européenne dans le domaine des beaux-arts.
Athènes : les kouroï et l’apparition de la sophrosyne
17En 480 av. jc, après les batailles des Thermopyles et de Salamine entre les Grecs et les Perses, et juste après le sac d’Athènes par ces derniers, des ouvriers enterrèrent dans une large fosse creusée sous les ruines de l’Acropole, dévastée par le feu, des fragments d’objets témoignant de l’émergence d’une nouvelle vertu éthique nommée sophrosyne [6]. Ces débris datent d’entre 485 et 480 av. jc environ et comprennent plusieurs exemples d’art statuaire de la période allant de la fin de la Grèce archaïque au début de la Grèce classique, une période de transition qui s’étend approximativement de 480 à 450 av. jc [7]. Ces statues témoignent encore aujourd’hui de l’émergence de la sophrosyne.
18La sophrosyne est l’une des vertus éthiques classiques que Socrate soumet à l’analyse philosophique dans la République de Platon [8]. Le terme sophrosyne est généralement rendu par « temperance » [9] ou paraphrasé comme suit : le fait d’agir vertueusement en pleine conscience de ses limitations, le fait de faire preuve de modération ou de retenue.
19Dans le cadre de la philosophie morale de langue anglaise actuelle, néanmoins, le discours a évolué. La tempérance a cédé la place à la modération, à son tour interprétée comme tendance à éviter à la fois les excès et les extrêmes. De surcroît, la réflexion philosophique s’est tournée en large mesure de l’étude de la tempérance en tant que vertu éthique vers l’analyse de la maîtrise de soi, comprise comme « la capacité de se comporter de la manière que l’on considère la plus appropriée lorsque l’on est fortement tenté d’en faire autrement » (Mele 2005 : 861 ; voir Mele 1985).
20Aussi l’interprétation contemporaine de la sophrosyne au sens de maîtrise de soi ou self-control a-t-elle élargi le sens originaire du terme. Contrairement à Aristote, qui limitait la sophrosyne en tant que tempérance au domaine éthique, la majeure partie de la réflexion contemporaine tend à l’élargir à l’ensemble du champ pratique. L’innovation éthique athénienne de 460 av. JC n’était pourtant pas la sophrosyne au sens contemporain de maîtrise de soi, pas plus qu’elle n’était interprétée au sens de tempérance telle que cette notion était comprise à l’époque. Au contraire, il s’agissait d’une interprétation préphilosophique de la sophrosyne équivalant à ce que nous pourrions appeler la retenue.
21Évidemment, les concepts de maîtrise de soi, tempérance et retenue sont étroitement corrélés. L’expression « maîtrise de soi » telle qu’on l’emploie aujourd’hui renvoie essentiellement à l’effort de modérer des états d’esprit tels que les sensations, les sentiments, les passions et les motivations de telle sorte qu’ils n’en arrivent à aucune manifestation extrême. On peut interpréter la « tempérance », telle qu’elle était entendue à l’époque, comme la disposition à exercer le « juste niveau d’indulgence » et de « satisfaction des désirs corporels » (Aristote 1990). Par contraste, on peut concevoir la « retenue » comme cet effort visant à réduire encore et de manière volontaire ce qui pourrait être l’expression déjà modérée de tels états d’esprit et plaisirs sensuels.
22Pris dans ces sens restrictifs, la sophrosyne n’équivaut plus aujourd’hui à ce qui était alors la vertu éthique de la tempérance, mais à la maîtrise de soi. Et ce que j’appelle la vertu préphilosophique de la retenue ne correspond ni à la simple tempérance aux sens platonicien et aristotélicien, ni à la simple maîtrise de soi au sens actuel du terme. Peut-être pouvons-nous maintenant postuler que l’émergence esthétique de la retenue précède l’émergence éthique de la tempérance.
23Si notre lecture de l’histoire de l’art est correcte, on se trouverait en présence d’un cas historique où une forme particulière de réflexion esthétique historico-artistique a précédé la réflexion philosophique. Plus précisément, une forme particulière de la réflexion esthétique d’aujourd’hui a contextualisé certaines relations du passé entre esthétique et éthique. En effet, la réflexion esthétique contextualise la manière selon laquelle la représentation de la figure humaine dans la statuaire grecque de la période transitionnelle. Pourtant, ce type de réflexion esthétique semble aussi commencer à « recontextualiser » cette transition. Elle place cette transition stylistique dans son contexte d’origine, mais l’introduit également dans un nouveau contexte : elle commence à placer les œuvres d’art dans un contexte éthique. Ce dernier reste cependant contemporain à l’œuvre. Cette réflexion esthétique doit donc s’ouvrir au contexte actuel et commencer à réexaminer les relations entre esthétique et éthique sur des bases historiques et non plus seulement axiologiques.
24À l’époque où la culture athénienne vit les deux guerres perses de 490 et 480 av. jc, puis les évacuations et le sac d’Athènes, la civilisation grecque passe de la fin de l’époque archaïque au début de la période classique. Elle passe des représentations de figures humaines présentes dans la poésie de Pindare à celles de Simonide, des peintures sur amphores d’Onésime à celles du peintre de Kléophradès représentant Cassandre s’emparant de la statue d’Athéna pour se protéger contre la lance meurtrière d’Ajax à Troie, et des tragédies d’Eschyle à celles de Sophocle.
25Au même moment, la représentation sculpturale des êtres humains change de manière radicale (Hallett 1996). Les statues athéniennes représentant le visage humain témoignent à la fois de l’omniprésence des désirs excessifs et de la nécessité non seulement de les maîtriser mais aussi de ce que j’appelle la retenue.
26Parmi les statues brisées de jeunes athlètes nus enterrées par les Athéniens, jadis révérées et maintenant profanées, on trouve deux pièces devenues célèbres. Elles ont été baptisées, d’après l’auteur présumé et du fait des traces de peinture dorée toujours visibles sur leur visage, « l’éphèbe de Kritios » et « l’éphèbe blond » (Hurwitt 1985 : 341-342, Johnston 1993, Hurwitt 1989). Elles ont été datées de la décennie qui sépare la première invasion perse et la bataille de Marathon (490 av. jc) de la deuxième invasion perse avec la bataille des Thermopyles, en 480 av. jc (Tulle-Kastenbein 1983). Examinons donc comment ces deux sculptures illustrent l’émergence d’une nouvelle vertu éthique [10].
27L’éphèbe de Kritios et l’éphèbe blond, écrit J. Hurwitt (1985 : 344),
possèdent quelque chose qui manque aux [premiers] kouroï [les statues de jeunes hommes nus, debout, datant de la période archaïque] : une vie mentale, une intériorité, un caractère (éthos). Quelque chose leur pèse sur l’esprit et affecte leur posture : le corps possède maintenant un langage. L’éphèbe blond, en particulier, semble mélancolique. Il est probable que les deux statues célèbrent des athlètes, et il peut sembler curieux que leurs méditations sur la victoire – sur leur aretê personnelle [la vertu au sens d’excellence] – aient suscité non pas l’assurance ou l’exaltation, mais, semble-t-il, la conscience du combat mortel qu’ils durent mener pour parvenir à l’« excellence » ou leur échec à se surpasser. Ils ont agi, le monde a agi sur eux, et ils réagissent en se retirant en eux-mêmes. C’est comme si les artistes qui les ont sculptés s’étaient attaqués aux prétentions des kouroï – celles de l’intemporalité et de l’assimilation aristocratique de la beauté au bien (la kalokagathia). C’est comme si ces jeunes hommes un peu boudeurs prenaient conscience tout à la fois de leurs limitations, de la responsabilité de leurs actions et de la possibilité du choix, du flux et de leur précarité. L’éphèbe de Kritios et l’éphèbe blond annoncent en réalité un nouvel idéal, une nouvelle vertu, la sophrosyne : modération, doctrine de la connaissance de soi et conscience des limitations humaines – la doctrine classique par excellence.
29Certains décrieront peut-être le caractère excessivement subjectif et/ou moralisateur de ce type inhabituel de réflexion esthétique. Mais avant d’accepter de telles critiques, réfléchissons aux arguments que fait valoir cette interprétation historico-artistique. La réflexion esthétique développée par Hurwitt apparaitra peut-être moins comme étant subjective ou moralisatrice que comme une forme élargie de contextualisation, un repositionnement des œuvres d’art dans le contexte des tensions conceptuelles qui séparaient à l’époque œuvres d’art et actions, esthétique et éthique.
30Son analyse invite d’abord à apprécier le contraste existant entre les représentations sculpturales de jeunes hommes à la fin de l’époque archaïque et leur équivalent au début de l’âge classique. L’idée est que même si des statues de l’époque archaïque imitaient la vie au moyen, par exemple, d’impassibles sourires, les visages des deux éphèbes témoignent d’une activité mentale, « l’intériorité ou le caractère (éthos) » [11].
31Deuxièmement, Hurwitt insiste sur la nécessité d’apprécier le caractère suggestif des représentations sculpturales d’êtres humains au début de l’âge classique, leur « comme si ». Il rappelle que ces statues voulait exprimer l’intemporel et revendiquaient l’identification de la beauté et du bien. Puis, il fait référence au fait que les personnes que les statues sont censées représenter ont l’air de bouder. Finalement, il observe que ces deux hommes semblent sur le point de prendre conscience de leurs limitations, leur responsabilité et leur nature éphémère.
32L’idée centrale développée consiste donc à interpréter les statues comme des personnifications d’états d’esprits ou de vertus abstraites. Selon Hurwitt, les deux kouroï ne représentent pas uniquement des personnages historiques qui auraient triomphé au cours de compétitions athlétiques, mais dépeignent aussi certaines qualités abstraites propres aux êtres humains – en l’occurrence, ils « annoncent un nouvel idéal, une nouvelle vertu, la sophrosyne ». Aussi, le contexte esthétique des deux statues est-il élargi diachroniquement de manière à inclure d’autres contextes qui marqueront par la suite la réflexion éthique grecque. Il n’inclut pas pour autant le contexte contemporain, où se sitient les remarques de Hurwitt.
33Voici donc un exemple de fait esthétique qui semble requérir une contextualisation plus large, voire une recontextualisation des relations entre esthétique et éthique. En esthétique, une réflexion recontextualisante conduirait à replacer l’œuvre d’art dans le contexte original duquel elle a été retirée. En d’autres termes, « à la différence de la simple contextualisation qui ne prend en compte que le contexte originel artistique, la recontextualisation consiste à situer l’œuvre dans son contexte originel total ou global » [12].
34Quelques clarifications devraient nous aider à mieux appréhender cette idée. Si l’on envisage la recontextualisation de l’œuvre d’art comme l’une des nouvelles possibilités offertes à l’esthétique, il nous faut non seulement situer l’œuvre dans ses deux contextes – le contexte contemporain à l’œuvre et le contexte actuel – mais aussi « actualiser » la réflexion esthétique contemporaine sur cette œuvre. Autrement dit, la recontextualisation au sens d’actualisation consiste à faire en sorte que l’œuvre soit actuelle par rapport aux préoccupations de ceux qui participent à l’environnement éthique de l’œuvre telle qu’elle est appréciée aujourd’hui. Cette forme de réflexion esthétique ne se contente pas d’actualiser l’œuvre d’art, mais en fait ressortir les aspects qui contribuent à sa pertinence. L’œuvre est perçue comme intéressante mais surtout comme pertinente du fait qu’elle présente des caractéristiques qui présentent un intérêt éthique de grande actualité.
35Notons toutefois que la symétrie n’est pas parfaite. La notion d’actualité d’une réflexion esthétique présente un certain degré de précision car elle repose sur une distinction nette entre ce qui était contemporain à l’œuvre dans le passé, et ce qui lui est contemporain aujourd’hui. En revanche, la notion de pertinence reste floue, car elle est liée aux fluctuations dans les hiérarchies éthiques qui traversent une société et les conflits que celle-ci connaît à cet égard. Dans le premier cas, nous faisons face à une catégorie raisonnablement précise, dans le deuxième à une catégorie raisonnablement vague (Williamson 1994 : surtout 216-247).
Attitude, attention et introversion
36Lorsque l’on examine les deux statues qui sont à l’origine de cette tentative de recontextualiser la réflexion esthétique, on est amené à réexaminer un passage précédent de l’ouvrage de Hurwitt. Ce dernier développe son analyse de manière qui dépasse les caractères historico-artistiques propres aux changements stylistiques :
En déplaçant le poids de son corps et en se libérant, l’éphèbe de Kritios s’anime. Une partie du corps en affecte une autre, et toutes les parties sont subordonnées au mouvement harmonieux de l’ensemble. Le bloc de marbre qui a toujours été implicite dans le kouros carré et l’a rigoureusement contrôlé a finalement éclaté. Aussi la barrière entre l’espace limité de la statue et l’espace sans bornes du spectateur est-il tombé. L’éphèbe de Kritios n’est pas cet homme démocratique de la rue qu’en ont fait les spécialistes : il reste une représentation aristocratique. Mais dans une démocratie, les aristocrates doivent adopter un comportement différent de ce qui serait le leur dans un régime aristocratique. L’avènement de la démocratie à Athènes a contraint l’aristocratie à modifier la conception qu’elle avait d’elle-même et de ses valeurs. Il fallait donc que des modifications soient également apportées aux représentations par lesquelles l’aristocratie choisissait de se refléter et de se présenter. Le kouros n’était donc pas seulement passé de mode artistiquement parlant : il constituait une image lourde de significations politiques et sociales, mal connotée et exprimant des idéaux dépassés. C’est pourquoi il ne pouvait plus faire l’affaire. Dans tous les cas l’éphèbe de Kritios semble exercer son libre arbitre et occuper le même espace que nous, de la même manière que nous, en respirant le même air. Le kouros aristocratique est distant, impénétrable. L’éphèbe de Kritios peut être approché. Il est presque vulnérable.
38Hurwitt présente l’émergence d’une nouvelle vertu éthique comme le résultat d’un phénomène d’adaptation de la société et la culture athéniennes. Elles auraient réagi à l’avilissement que leur a été infligé par les envahisseurs perses. Hurwitt introduit de la sorte un élément nouveau dans la réflexion esthétique et accorde une attention majeure à des considérations qui ne sont d’ordre purement historico-artistique. « L’avènement de la démocratie à Athènes » a conduit a une innovation artistique – le premier classicisme – et à une innovation éthique : cette nouvelle vertu qui n’est ni tempérance ni modération ni simple retenue mais retenue réfléchie.
39Pourtant, le discours de Hurwitt reste éminemment esthétique :
L’éphèbe blond ou l’éphèbe de Kritios – résume-t-il – ne représentent pas une conception abstraite du jeune homme, à la manière du kouros, mais un jeune homme idéal. Et pourtant ils semblent boudeurs. Le kouros, en sécurité dans le schéma et le cadre spatial qui sont les siens, regarde au-delà de nous. Il transcende et ignore les limitations et la mutabilité humaines. L’éphèbe blond et l’éphèbe de Kritios marquent une pause et semblent très attentifs. Leur regard n’est pas tourné vers l’extérieur mais vers l’intérieur, et c’est autant leur introversion que leur attitude qui les rattachent au classicisme.
41Ces remarques sur la manière dont la représentation sculpturale du visage reflétait l’évolution de la conception de l’agir juste propre aux membres de la classe privilégiée après la dévastation d’Athènes, constituent bien autre chose qu’une simple réflexion esthétique ou stylistique. À travers le cas des œuvres grecques de la période transitionnelle, elles préfigurent de nouvelles approches à cheval entre l’esthétique et l’éthique, donc des possibilités nouvelles pour l’esthétique même. D’un point de vue historique, on pourrait penser que cette forme de recontextualisation pourrait recouvrer certains aspects des relations entre art et éthique qui ont émergé dans l’art grec avant de se perdre durant la période moderne. En termes plus généraux, il y a lieu de penser que « la portée morale de ce qui est représenté (…) apporte une contribution essentielle à la perfection de l’objet, et qu’une critique éthique du contenu de l’œuvre fait partie intégrante de la critique de l’objet en tant qu’œuvre d’art » (Guyer 2008 : 5.)
Réorientations
42J’ai considéré quelques exemples de réflexions esthétiques contemporaines dans le but d’esquisser des perspectives d’avenir pour l’esthétique. Ces considérations ont porté sur l’émergence d’un art et d’une vertu éthique à un moment-clef de l’histoire de la culture occidentale. L’accent a été mis sur les premières innovations artistiques propres à la statuaire grecque de la fin de la période archaïque, qui ont accompagnée l’apparition d’une nouvelle sensibilité éthique. D’abord visible sous la forme d’une innovation artistique, cette « retenue réfléchie » a aidé les sociétés grecques à modifier l’idéal autodestructeur d’un éthos violent et guerrier qui était alors le leur (Guyer 2008 : 5).
43Une telle innovation éthique aurait-elle pu voir le jour sans les innovations artistiques apportées au préalable à l’art sculptural grec ? Et inversement, cette nouveauté artistique aurait-elle pu émerger si les sculpteurs grecs n’avaient reflété dans leur art un nouveau type de réflexion ? Et pouvons-nous comprendre de manière critique les relations entre ces innovations artistiques puis éthiques sans une recontextualisation de la réflexion esthétique ?
44Recontextualiser les innovations artistiques visibles dans certaines œuvres d’art aujourd’hui pourrait aussi ouvrir de nouvelles possibilités pour l’esthétique contemporaine. Souvenons-nous de l’histoire d’Athènes. Par la violence, les anciens Perses ont réduit la population athénienne à une masse désorientée d’individus abasourdis et évacués en toute hâte vers les îles les plus proches, telle Égine. Leur richesse inégalée a été mise à sac ; leurs temples et sculptures sacrés ont été profanés ; leur ville a été entièrement détruite par le feu ; et le ciel lumineux est devenu presque invisible sous les cendres apocalyptiques soulevées par le vent.
45Dans la foulée de ce qui ne fut pas qu’un simple désastre culturel, les artistes conservèrent, sous des formes ressemblantes mais encore muettes, de sobres vestiges de la catastrophe. Les sculptures auxquelles donnèrent forme leurs propres réflexions artistiques, encore imprécises, encouragèrent ensuite les tragédiens et les philosophes à trouver les mots nécessaires pour ne pas oublier les leçons dues à un orgueil excessif, à une affirmation démesurée de soi, à l’hybris et à l’inévitable catastrophe qui s’en suivit, la némésis. Beaucoup plus tard, des historiens de l’art ont commencé à développer une réflexion esthétique recontextualisante qui souligne l’importance qu’il y a, pour l’esthétique et la réflexion esthétique futures, à recontextualiser certaines œuvres d’art dans l’espace encore flou aujourd’hui entre esthétique et éthique [13].
46Ces nouvelles formes de recontextualiser la réflexion esthétique [14] pourraient accroître de manière fructueuse la compréhension encore limitée que nous avons des limites qui séparent l’esthétique de l’éthique.
Bibliographie
Références
- Aristote (1990) Éthique à Nicomaque, éd. par J. Tricot. Paris : Vrin. Blackburn, S. (2005) The Oxford Dictionary of Philosophy. Oxford : Oxford up.
- Boardman, J. (1991) Greek Sculpture: The Archaic Period. Londres : Thames & Hudson.
- Brighouse, H. et Tobeyns, I., éds (2010) Measuring Justice: Primary Goods and Capabilities. Cambridge : Cambridge up.
- Carroll, N. (2004) « Art and the Moral Realm », dans P. Kivy (éd.) The Blackwell Guide to Aesthetics, p. 126-151. Oxford : Blackwell.
- Chisholm, R. (2001) « The Things that are Intrinsically Good », dans J. R. White (éd.) Ethics and Intrinsic Values, p. 25-35. Heidelberg : Universitätsverlag C. Winter.
- Eldridge, R. (2003) « Aesthetics and Ethics », dans J. Levinson (éd.) The Oxford Handbook of Aesthetics, p. 722-732. Oxford : Oxford up.
- Gaut, B. & McIver Lopes, D., éds (2005) The Routledge Companion to Aesthetics. Londres : Routledge.
- Guyer, P. (2008) « Is Ethical Criticism a Problem? A Historical Perspective », dans G. L. Hagberf (éd.) Art and Ethical Criticism, p. 3-32. Oxford : Blackwell.
- Habicht, C. (1985) Pausanias’ Guide to Ancient Greece. Berkeley : University of California Press.
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Notes
-
[1]
Je tiens à remercier ici Ken-ichi Sasaki pour m’avoir invité à contribuer à ce numéro de Diogène, et surtout pour les commentaires extrêmement constructifs qu’il a apportés aux version antérieures de cet article.
-
[2]
Pour les antécédents historiques du xviiie siècle, voir Guyer (2008).
-
[3]
On peut la considérer comme standard au sens où c’est à Levinson que l’on doit l’entrée « Ethics and Aesthetics » de l’OCP, l’un des plus récents ouvrages philosophiques de référence en langue anglaise (Honderich 2005 : 270-1). Voir Levinson (1998, 2003), Eldridge (2003), Gaut et McIver Lopes (2005). Dans la suite de cet article, je me réfèrerai autant que possible à des ouvrages de référence.
-
[4]
Le concept de « théorie de la valeur » est employé ici au sens classique d’investigation philosophique de la nature de la propriété ou de ce qui est considéré comme un objet de valeur ou comme ayant de la valeur (Lemos 1999).
-
[5]
Sur la valeur esthétique, voir Janaway (2005). Sur la valeur éthique, voir Chisholm (2001).
-
[6]
Je m’appuie principalement sur Pollitt (1990), Hurwitt (1985 : 320-355), Boardman (1991), Ridgway (1993) et Holzmann (2010 : 118-179).
-
[7]
Dans les années 1880, des archéologues allemands furent à l’origine des premières excavations systématiques de ces statues. L’écrivain-voyageur grec Pausanias avait déjà signalé l’importance de débris perses toujours visibles sur l’Acropole. Voir C. Habicht 1985.
-
[8]
Platon l’évoque également dans le Cratyle, le Protagore et le Phèdre.
-
[9]
Voir cependant les réserves exprimées par Irwin (1999 : 350) dans les notes à sa traduction.
-
[10]
Sur les statues masculines et féminines de cette période, voir Richter (1970, 1968). Je me concentre ici uniquement sur certains aspects de deux nus masculins de l’Acropole datant de la période transitionnelle. Parce qu’ils appartiennent à cette période, ils ne constituent pas à proprement parler des kouroï.
-
[11]
Signalons au passage le sens quelque peu général de la notion d’éthos au sens de caractère. Sur le concept et les significations d’éthos, voir Woerther (2007).
-
[12]
K.-i. Sasaki, communication personnelle concernant la formulation de mon argument.
-
[13]
Notons toutefois l’objection de K.-i. Sasaki (échange personnel) que j’espère pouvoir commenter plus amplement une autre fois. « Il faut considérer un double y a deux axes : esthétique/éthique et ancien/contemporain. Afin de prouver la pertinence de la relation ou du lien entre les deux premiers, vous renvoyez à une instance plus ancienne et essayez de la transposer dans le contexte contemporain de la relation entre esthétique et éthique. Cette relation se manifeste clairement dans l’exemple ancien. Mais sa transposition dans le contexte contemporain est équivoque car, dans le cas de l’exemple ancien, la signification naissante de la future éthique que suggèrent les sculptures ne peut être déchiffrée qu’à travers le regard expert d’un historien de l’art, et bien longtemps après. En d’autres termes, cette signification n’a pas été décodée par des yeux contemporains aux sculptures. Donc, même si vous transposez cet exemple à notre époque, nous ne pouvons espérer quoi que ce soit de positif d’une telle orientation. » En guise de partielle réponse seulement, je dirai que mon souci n’est pas de transposer quoi que ce soit. J’espère plutôt suggérer que l’avenir de l’esthétique en tant que discipline pourrait se bâtir, entre autres choses, sur le développement d’une nouvelle forme de réflexion esthétique axée sur les relations entre esthétique et éthique dans certaines œuvres historiques.
-
[14]
Pour une tentative récente de recontextualisation, seulement en partie réussie, voir McCormick (2010).