1Dans son fameux ouvrage L’Art et l’illusion, Ernst Gombrich (1987 : 196) se dit intrigué par l’aspect suivant de la peinture chinoise :
Gombrich remarque que, d’une part, la Chine ancienne attachait tellement d’importance à l’inspiration spontanée des peintres que les traces d’improvisation étaient volontairement laissées apparentes dans leurs œuvres ; mais que, par ailleurs, ces mêmes peintres s’appuyaient à tel point sur des formules ou des vocabulaires acquis que l’on peut reconnaître dans chacun de leurs traits de pinceaux la marque de l’un ou l’autre maître réputé des générations précédentes. C’est là une chose qui peut sembler paradoxale, mais en réalité c’est précisément à partir de ces vocabulaires acquis que les peintres chinois exécutaient leurs nouvelles compositions. Cette constatation va nous servir de point de départ pour l’étude du caractère unique de la peinture chinoise.Parmi les plus anciennes traditions, il n’en est certes aucune qui insiste plus fortement sur la nécessité d’une inspiration spontanée que la tradition chinoise, mais c’est elle en même temps qui se repose avec la plus entière confiance sur l’utilisation d’un vocabulaire acquis.
Comment comprendre la notion de « vocabulaires acquis » dans la peinture européenne
2Gombrich poursuit par une discussion de la Roue de la Fortune (ca. 1235) du peintre et écrivain médiéval Villard de Honnecourt dont il reproduit les deux pages que l’on peut voir ci-dessous. Pour Gombrich, les dessins de Villard sont autant d’exemples montrant avec quel empressement les peintres représentent des « universaux » – homme, oiseau, lion, etc. – plutôt que tel ou tel homme, tel oiseau, tel lion. Partant de cet exemple ainsi que d’autres, extraits d’un recueil chinois intitulé Manuel de peinture du jardin grand comme un grain de moutarde (), sur lequel je reviendrai plus loin, Gombrich conclut que dans l’enseignement qui leur est dispensé, les peintres apprennent toujours en premier lieu à représenter des universaux avant de commencer à se pencher ensuite sur le particulier. Il considère la transition de l’universel au particulier comme une progression, parallèlement à sa célèbre formule du « making and matching » (créer et contrôler).
Villard de Honnecourt. Constructions. La roue de la Fortune. Dessin à plume sur parchemin, vers 1235. (Gombrich 1987 :130.)
Villard de Honnecourt. Constructions. La roue de la Fortune. Dessin à plume sur parchemin, vers 1235. (Gombrich 1987 :130.)
3C’est une excellente chose que Gombrich ait juxtaposé des peintures chinoises et européennes en s’efforçant de leur chercher une explication théorique commune. Les deux ouvrages qu’il choisit comme références présentent en effet des similitudes sur beaucoup de points : on peut les considérer tous deux comme des livres d’enseignement pour débutants et tous deux fournissent des formules de base ou, pour employer le terme de Gombrich lui-même, des « vocabulaires de base » à l’intention des novices. Les deux recueils sont cependant fondamentalement différents.
4Chez Villard, on distingue des formes géométriques dans les représentations d’hommes et d’animaux : des carrés, des triangles et des pentagrammes. Dans son article « Villard de Honnecourt et la géométrie euclidienne », dans lequel elle analyse en détail le rapport des carnets de Villard à la géométrie, Marie-Thérèse Zenner (2002 : 65) écrit : « À l’intérieur du bassin méditerranéen dans l’Antiquité et en Occident au Moyen Âge, les érudits considéraient l’artisanat comme l’une des activités humaines les plus nobles, la plaçant au confluent des mathématiques et de la physique tridimensionnelle du monde terrestre. »
5À l’évidence Villard s’intéressait énormément à la géométrie comme le prouvent non seulement les cartons qu’il a laissés, mais aussi les textes qui les accompagnent. « Sur le folio 18v de l’album », rapporte Zenner (2002 : 67), « Villard (ou son scribe) a écrit : Ci commence li force de trais de portraiture si con li ars de iometrie les ensaigne… Ailleurs (fol. 20r), on peut lire un commentaire du Magister II sur une feuille de “dessins techniques” qu’il a ajoutés au carnet : Totes ces figures sont estraites de geometrie. »
6Zenner analyse également la source des connaissances de Villard en géométrie. Elle rappelle qu’une géométrie appliquée se transmettait entre les artisans du Moyen Âge et que « la géométrie appliquée du maître d’œuvre était communiquée strictement par le biais de la tradition orale, ce qui s’expliquait par le fait qu’ils étaient tous illettrés » (ibid.). Il est également fort probable que Villard de Honnecourt ait eu accès aux textes originaux de la géométrie euclidienne dans l’Abbaye de Corbie où il a séjourné pour étudier la géométrie. On trouve d’ailleurs des traces directes de géométrie euclidienne dans ses cartons, comme Zenner l’explique en détail.
7Les méthodes pratiques pour réaliser des peintures découlaient de certaines idées esthétiques de base, par exemple celle qui considère comme belles les formes géométriques régulières. En Europe, il existait une tradition formaliste en esthétique : la conviction selon laquelle, pour utiliser la formule de Tatarkiewicz (1980 : 125), la beauté réside dans « la taille, la qualité, le nombre de parties et la manière dont elles s’agencent ». On fait généralement remonter cette tradition à Pythagore, bien que certains spécialistes lui attribuent des origines plus lointaines. Selon Graham Pont (2004 : 18), par exemple, « la recherche moderne a clairement établi que la plupart des doctrines attribuées à Pythagore sont en réalité des contributions de grandes civilisations plus anciennes, particulièrement celles de Mésopotamie et d’Egypte. » Il se peut fort bien que Pythagore, comme d’ailleurs beaucoup d’autres philosophes grecs, n’ait pas sorti ses théories du néant, mais en ait acquis une grande partie au départ de civilisations plus anciennes. C’est toutefois en Grèce que la tradition s’est cristallisée dans l’œuvre, entre autres, de Pythagore et de Platon, pour ensuite se transmettre comme thème dominant aux générations suivantes.
8Dans le Philèbe de Platon, on peut lire que « quelque chose de droit ou de circulaire, ainsi que les figures planes et les volumes que produisent, à partir du droit et du circulaire, un tour à bois ou la règle et l’équerre du charpentier sont d’une beauté absolue et éternelle » (Beardsley 1966 : 43). On retrouve beaucoup d’idées semblables chez de nombreux écrivains de l’Antiquité grecque et romaine comme aussi tout au long du Moyen Âge et jusqu’à la Renaissance. Tatarkiewicz (1980 : 125-129) les a appelées « la Grande Théorie ». Saint Augustin a été le premier à définir la beauté comme mesure, forme et ordre dans sa célèbre formule : « Seule la beauté plaît ; et dans la beauté, les formes ; dans les formes, les proportions et dans les proportions, les nombres » (ibid. : 127). À la Renaissance, Alberti a défini la beauté comme harmonie et proportion : « la consonance et l’agencement des parties » (ibid. : 128).
9Il existe deux sources pour la Grande Théorie : l’une est la musique et l’autre est l’architecture. Les Pythagoriciens ont découvert l’harmonie dans le son et ont conclu que « les éléments du monde matériel sont, soit des imitations, soit des nombres » (Beardsley 1966 : 27). Mais dans l’esprit des Grecs, l’architecture, qu’ils considéraient comme une « musique gelée », avait la même origine et était également déterminée par les nombres. Cette idée a profondément marqué la conception grecque de l’architecture, et son influence s’est étendue de l’architecture à la sculpture et à la peinture.
10Le terme italien disegno est apparu fréquemment dans les débats consacrés aux formes géométriques de l’architecture et de la peinture. C’est un concept qui s’est développé à partir de la compréhension mathématique de l’architecture et d’autres arts. Le disegno était considéré comme une fonction de la divinité. « Par le disegno, qui est l’origine de la divinité, elle enseigne à l’architecte à construire ses édifices. Elle a inventé les caractères dans lesquels s’écrivent les différentes langues […] donné les chiffres aux mathématiciens […] appris aux géomètres le tracé des figures » (Richter 1970 : 63). Disegno est une abbréviation de segno di dio, c’est-à-dire signe de dieu. « Les œuvres d’art sont des signes, leur aspect visible est le reflet d’une réalité métaphysique, d’une idée » (Carman 2007). Ainsi le disegno est lié à la théologie. Que Dieu se manifeste à travers certaines formes géométriques était une croyance largement répandue parmi les peintres européens du Moyen Âge, du troisième au treizième siècles.
11Il y a quelques années, suite à la parution du Da Vinci Code de Dan Brown et de son adaptation cinématographique, un dessin déjà bien connu l’est devenu encore davantage : l’Homme de Vitruve. Le dessin de Léonard de Vinci est accompagné du texte suivant :
Vitruve, l’architecte, écrit dans son ouvrage sur l’architecture que la Nature a distribué les mesures du corps humain comme suit […] La longueur des bras étendus d’un homme est égale à sa hauteur. Depuis la racine des cheveux jusqu’au bas du menton, il y a un dixième de la hauteur d’un homme ; depuis le bas du menton jusqu’au sommet de la tête, un huitième. Depuis le haut de la poitrine jusqu’au sommet de la tête, un sixième d’un homme.
13C’est exactement le code trouvé et développé par Léonard de Vinci au moyen duquel s’est établi un mystérieux rapport entre la Nature et les êtres humains. Les nombres, les mesures et la symétrie sont tous des codes de Dieu, qui enseigne aux peintres européens l’essence de la peinture, la source de l’Art.
Léonard de Vinci, L’Homme de Vitruve
Léonard de Vinci, L’Homme de Vitruve
La séparation de la peinture et de l’architecture en Chine
14Les nombres et les mesures ont joué un rôle important dans d’autres civilisations anciennes, y compris celle de la Chine. Dans un livre édité par Lü Buwei (, 293 ?-245 av. j. c.), politicien sous le règne du premier empereur Qin (), on peut lire le paragraphe suivant :
L’origine de la musique remonte fort loin. Née de la mesure et de la quantité, elle s’enracine dans le Grand Un.
16Dans un autre chapitre du même ouvrage (« De la musique ancienne »), Lü rapporte comment, pendant la période légendaire de l’Empereur Jaune (, 2697 ?- 2599 ? av. jc), un musicien du nom de Ling Lun () aurait fabriqué douze diapasons à bouche pour distinguer les douze notes d’une octave.
17Ces documents écrits semblent bien indiquer que la Chine a été, elle aussi, parmi les plus anciennes civilisations à avoir découvert le rapport entre la musique et les mathématiques. Ces preuves écrites de connaissance musicale sont corroborées par de nombreuses découvertes archéologiques, entre autres la tombe du marquis Yi de Zeng (), découverte en 1977 et dans laquelle on a trouvé un jeu de cloches de bronze ou bianzhong () daté de 443 av. jc.
18Les bianzhong ou carillons sont des instruments chinois traditionnels datant de bien avant la construction de la tombe du Marquis Yi de Zeng, simple vassal d’un tout petit état. On ne peut qu’émettre des suppositions sur la taille et le luxe des carillons et autres instruments musicaux destinés à l’empereur ou à des vassaux de grands états, mais ce simple échantillon nous permet au moins de constater que les Chinois de l’époque maîtrisaient déjà des techniques suffisamment complexes pour réaliser un objet aussi ingénieux. Graham Pont (2004 : 25) en donne une description enthousiaste :
Les instruments étaient composés de soixante-cinq cloches de bronze, formant un carillon bien accordé de cinq octaves et toujours en état de marche. À la surprise générale, les cloches produisaient une gamme très précise, surtout chromatique […] rien moins qu’une Pierre de Rosette musicale.
20Nous ne savons pas comment les Chinois de l’époque pouvaient arriver à fabriquer un instrument aussi sophistiqué, mais nous pouvons être sûrs que son concepteur avait une connaissance approfondie de la musique et de ses rapports avec les mathématiques, sans quoi la réalisation de l’objet n’eût pas été possible.
21Même si très peu d’anciens bâtiments chinois ont survécu étant donné que la plupart d’entre eux étaient construits en bois, il reste encore beaucoup de pavillons, de terrasses, de pagodes et de vérandas. L’œuvre d’Euclide n’a pas été introduite en Chine avant 1607, mais des douzaines de siècles avant cette date les Chinois avaient déjà développé une connaissance géométrique locale, un mélange de géométrie pratique et de numérologie-géométrie.
22Les anciens Chinois croyaient que la civilisation avait commencé avec deux diagrammes : (Hetu : littéralement, l’image du Fleuve Jaune) et (Luoshu : littéralement, les écrits de la rivière Luo).
23Ces deux diagrammes révélaient des lois numériques vraisemblablement inventées par certains scripteurs anonymes mais attribuées à des cours d’eau et de cette manière revêtus d’une origine crypto-naturelle (Hetu était porté sur le dos d’un cheval-dragon, et Luoshu sur celui d’une tortue). On pensait cependant que Fu Xi ( , le légendaire premier chef tribal) avait inventé le Bagua (, les huit diagrammes) :
24Ceux-ci ont été revus plus tard de la manière suivante par le roi Wen de Zhou () dont le règne a duré de ca. 1105 à ca. 1056 av. jc :
25Tout ceci impliquait qu’une tradition mathématique et géométrique était depuis des siècles omniprésente en Chine. Si l’on peut dire que les Pythagoriciens, convaincus que tout est nombre, ont eu une profonde influence sur la culture européenne, on peut également dire que, dans son développement de Hetu et Luoshu à Bagua, la culture chinoise a connu, elle aussi, une trajectoire mathématique.
26Cette orientation est encore plus évidente en architecture. L’architecture chinoise possède beaucoup de caractéristiques spécifiques, telles que l’importance de la symétrie bilatérale, la largeur horizontale et les toits à pignons. Liang Sicheng (1984) considérait que « les Chinois ont toujours eu recours à un système local de construction qui a gardé ses principales caractéristiques depuis les temps préhistoriques jusqu’à nos jours. »
27Cette tradition était profondément ancrée dans la pratique du fengshui (), un système consistant à orienter les bâtiments selon de mystérieuses relations entre le Ciel, la Terre et les êtres humains. Le fengshui était une géomancie occulte s’appuyant sur l’astronomie pour découvrir les lois du Ciel en même temps qu’une géographie pour connaître les lois de la Terre. Dans cette pratique, on utilisait la boussole et d’autres instruments pour trouver l’axe nord-sud, et de là les autres directions. Les gens étaient persuadés qu’en choisissant un bon fengshui pour construire leur maison ou inhumer leurs morts, ils auraient de la chance dans la vie.
28La pratique du fengshui était également basée sur la cosmographie gaitian (), datant de la culture Longshan (, ca. 4000 av. JC), selon laquelle le ciel était arrondi comme une large voûte alors que la terre était plane et carrée (Li Liu 2004 : 85-88). La cosmographie gaitian, une des premières cosmographies de la Chine ancienne, a exercé une influence considérable sur la conception chinoise de l’architecture, en particulier celle des bâtiments impériaux comme le Temple du Ciel, le Temple de la Terre et le Palais Impérial. Ces images nous rappellent une fois encore l’homme de Vitruve qui tente d’inscrire une figure humaine à l’intérieur d’un cercle et d’un carré.
Pékin : le temple du Ciel
Pékin : le temple du Ciel
Le palais impérial dans la Cité Interdite (Pékin)
Le palais impérial dans la Cité Interdite (Pékin)
29On aurait, dès lors, eu tout lieu de croire que la peinture chinoise allait évoluer dans la même direction que son pendant européen. Beaucoup de peintres chinois ont effectivement poursuivi la voie de la géométrie. Mais une autre ligne de pensée s’est développée en Chine à l’époque du Moyen Âge européen : la peinture de lettrés.
30« Peinture de lettrés » est une traduction de wen ren hua () qui signifie littéralement peintures réalisées par des hommes de lettres, des érudits ou des écrivains. Elle ne s’applique cependant pas seulement au statut du peintre, mais, de manière plus large, à un style de vie spécial témoignant d’un goût esthétique particulier.
31La peinture de lettrés a commencé par un changement dans le statut des peintres. À partir de la fin de la dynastie Han (, c. 200 AD), certains hommes de lettres comme Gu Kaizho (, 348-409), Lu Tanwei (, actif 439-472) et Zhang Sengyou ( , actif en 500-519), se sont mis à prendre part à des activités de peinture. Bien que leur œuvre ne puisse pas être considérée comme peinture de lettrés au sens étroit du terme, son aspect extérieur a été de première importance pour le développement ultérieur de la peinture de lettrés.
32Ayant observé ce fait, Gombrich (1997 : 150) le commente de cette façon :
Les Chinois ont été les premiers à voir dans le travail de l’artiste autre chose qu’une tâche quasi servile et à mettre le peintre sur le même plan que le poète.
34Quelques petits changements dans cette phrase la rendraient tout à fait correcte :
Les Chinois ont été les premiers chez qui les poètes ne considéraient pas la peinture comme une tâche quasi servile mais au contraire s’engageaient dans cette forme d’art.
36Une nouvelle peinture des classes supérieures a émergé à la fin de la dynastie Han. Cette peinture n’était pas seulement destinée à la haute société, mais était également réalisée par des membres de celle-ci. C’est ainsi que s’est établie petit à petit une distinction entre la peinture dite élégante et la peinture vulgaire, et que certains critères de valeur se sont imposés pour la réalisation des œuvres picturales.
37On considère généralement que la peinture de lettrés a pris naissance pendant la dynastie Tang (, 618-907) et que des peintres comme Wang Wei (, 701-761) et Zhang Zao (, actif aux environs de 780) en ont été les précurseurs.
38Sous la dynastie Song (), un groupe de fonctionnaires érudits jeta les bases d’un nouveau type de peinture. Le plus connu d’entre eux est Su Shi (, 1037-1101) qui a avancé beaucoup d’idées de première importance pour cette nouvelle peinture. Susan Bush (1971 : 181), professeur d’Histoire de l’Art chinois à Harvard, décrit son développement comme suit :
Idéalement, depuis ses débuts, la peinture des érudits était celle d’une minorité éduquée, pratiquée uniquement dans un cercle d’intimes et appréciée de quelques personnes triées sur le volet. Pourtant, malgré cette origine élitiste, elle a petit à petit gagné du terrain au point que vers la fin de l’époque des Ming, les styles, les pratiques et les idées des lettrés étaient devenus la règle en matière d’art et de pensée.
40Sous la dynastie Qing (, 1644-1911), ni les peintres orthodoxes gravitant autour de la cour à Beijing, ni les innovateurs des centres commerciaux plus au sud tels que Yangzhou () ne sont devenus des peintres de cour ou des peintres professionnels comme c’était en revanche le cas dans la dynastie Song (960-1279), lorsqu’il existait une division tripartite entre la peinture des lettrés, la peinture de la cour et la peinture professionnelle. Ces deux catégories d’artistes devraient plutôt être considérées comme poursuivant la ligne de la peinture de lettrés. Même si les liens entre le style de ces peintres, orthodoxes ou innovateurs, et leur position sociale, ainsi que les différents rôles de la peinture dans leur vie, méritent une étude approfondie, une telle étude devrait d’abord tenir compte du fait que la tradition de la peinture de lettrés était déjà bien établie à l’époque.
41L’art des lettrés a été créé par des hommes de lettres qui ne faisaient aucun apprentissage dans des ateliers et n’avaient qu’une connaissance limitée de la formation professionnelle des artisans. Ils recevaient par contre une éducation humaniste et étaient initiés à la poésie et à la calligraphie. Il y a, comme on le sait, « trois perfections » dans l’art chinois – la poésie, la calligraphie et la peinture – et le peintre chinois est supposé avoir de bonnes notions de poésie et de calligraphie. Contrairement aux Européens de l’époque, il eut été impensable pour eux de considérer le travail manuel comme une activité noble, et les mathématiques ou la géométrie ne les intéressaient tout simplement pas.
42En provoquant une scission entre peinture et architecture, l’avènement de la peinture de lettrés en Chine a aussi entraîné la perte des savoirs que possédaient les architectes en géométrie et en géomancie. Dans l’esprit de ces érudits, ou hommes de lettres, le travail du peintre était acceptable parce qu’il était avant tout jeu d’encre, c’est-à-dire une extension naturelle de l’écriture et de la calligraphie : mais ils ne voulaient rien avoir affaire avec la construction de maisons, qu’ils considéraient comme une basse tâche d’artisans serviles.
43Parmi les différents genres de peintures, les peintres chinois plaçaient même la peinture architecturale au plus bas de l’échelle. La peinture se divisait en peinture de portraits (comme ceux de monarques et autres personnages royaux, de fonctionnaires et officiers de haut rang ; des images de héros légendaires, de sages ou d’ancêtres, ainsi que des représentations du Bouddha ou d’autres figures bouddhistes ou taoïstes), la peinture de paysage (montagnes, rivières et autres décors naturels), la peinture de fleurs et d’oiseaux (qui incluait celle des « quatre gentilshommes » : le bambou, la fleur de prunier, l’orchidée et le chrysanthème symbolisant les vertus des intellectuels), la peinture animale (chevaux, bœufs, tigres et chiens) et la peinture architecturale (représentant surtout des palais et des temples). Un grand changement s’est opéré dans le statut de ces différents types de peinture au cours des dynasties Song et Yuan. Avant la dynastie Song, les peintres considéraient la peinture de portraits comme prédominante, mais à partir de la dynastie Song, c’est le paysage qui est passé en tête. Par la suite, quelles que soient les variations dans l’ordre de classement, c’est toujours la peinture architecturale qui a occupé la position la plus basse. Gu Kaizhi (ca. 344-405) a écrit : « Les tours et les pavillons ne sont que des objets immuables, difficiles à peindre mais faciles à améliorer » (Gu 1963 : 116). Sous la dynastie Tang, Zhu Jingxuan () classa les peintres qu’il recensait dans l’ordre suivant : « En premier lieu viennent les peintres de portraits, ensuite les peintres d’animaux ou d’oiseaux, puis ceux de paysages, et en dernier lieu les peintres de tours, palais, maisons et bois » (Zhu Jingxuan 1986 : 999). Tang Hou (, actif autour de 1330), écrivain et critique de la dynastie Yuan, citait un adage populaire de son époque : « Quand les gens ordinaires discutaient de peinture, ils disaient toujours qu’il y avait treize catégories. La peinture de paysages était au sommet, celle d’architecture tout en bas » (Tang Hou 1982 : 201). Sous la dynastie Ming, Wen Zhenheng (, actif c. 1630) le dit d’une manière encore plus tranchée : « Il y avait d’abord le paysage, ensuite le bambou, les bois, les orchidées, les rochers. Quant aux hommes et aux femmes, aux oiseaux, tours, palais et maisons, ce qui est de petite taille est peu signifiant, ce qui est de grande taille l’est encore moins » (Wen Zhenheng 1973 : 137).
44La peinture architecturale était appelée jiehua (), ce qui signifie « peindre au moyen d’une règle ». Peindre des palais, des maisons, des temples, des pagodes ou des pavillons exige beaucoup de lignes droites et celles-ci sont inévitablement tracées à l’aide d’instruments de dessin. Vu qu’elle requiert aussi un grand soin dans les calculs, mesures, composition et connaissance de la réduction, cette peinture n’est pas facile. Il serait erroné de croire que les anciens Chinois ignoraient les difficultés techniques que rencontrait le peintre d’architecture dans l’exécution de son travail. Mais ils séparent volontairement la peinture de l’architecture, avec les rapports entre celle-ci, les mathématiques et la géométrie.
45Cette séparation de la peinture et de l’architecture en Chine a aussi donné aux peintres une sorte d’impulsion pour se libérer d’idées telles que le lien entre le Ciel et la Terre, la polarisation du Yin et du Yang, le cercle des Cinq Agents et d’autres notions occultes du même genre liées à la tradition.
Ce que les peintres chinois ont appris du Jardin grand comme un grain de moutarde
46Dans son ouvrage L’Art et l’illusion, Gombrich mentionne un livre chinois intitulé Manuel de peinture de jardin grand comme un grain de moutarde, paru en 1679 (volume i), 1701 (volumes ii-iii) et 1818 (volume iv). « Jardin du grain de moutarde » était le nom d’une petite villa à Nanjing, dont le propriétaire Li Yu (, 1611-1680), critique et dramaturge, encouragea la compilation de l’ouvrage et écrivit la préface du premier volume. La signification du grain de moutarde venait d’une parabole bouddhiste – « Le Mont Sumeru peut tenir dans un grain de moutarde », ce qui signifie qu’un tout petit livre peut contenir une très grande richesse de sens. Ce recueil résumait les théories de base de la peinture chinoise et contenait de nombreuses illustrations que les débutants pouvaient copier ou imiter.
47Gombrich voit dans ce livre la preuve de sa théorie selon laquelle les peintres chinois, tout comme leurs pendants européens, s’initiaient à la peinture en apprenant la manière de représenter des arbres, des rochers, des montagnes, de l’eau, des orchidées, des bambous, des prunes, des chrysanthèmes, des herbes, des insectes, des fleurs, des oiseaux, ainsi que des figures de toutes sortes, adultes et jeunes gens, femmes et enfants. Il estime que ce manuel, comme certains manuels européens, ne permettait pas aux élèves d’atteindre un niveau suffisant pour peindre des objets particuliers, tel arbre ou telle montagne. Selon lui, un universel est un schéma de l’objet situé à un niveau relativement bas, niveau que le peintre doit ensuite dépasser en se basant sur ses propres perceptions s’il veut réaliser une peinture réaliste. Gombrich (1987 : 198) écrit :
Nous nous représentons encore l’artiste chinois comme un « créateur » de montagnes, d’arbres ou de fleurs. Il est capable de les évoquer à nos yeux parce qu’il a su apprendre le secret de leur être, et s’il le fait c’est dans le but de noter et de rappeler un état d’âme qui est profondément lié aux conceptions théoriques concernant la nature de l’univers dans cette culture de la Chine.
49Dans sa célèbre formule du « making and matching », celui qui crée appartient à un niveau plus bas et n’atteint pas le niveau de celui qui « contrôle ». Il a raison de dire que les peintres chinois sont encore des « créateurs », mais nous verrons qu’ils n’avaient rien de commun avec les créateurs européens, et que d’autres critères de valeurs sous-tendent leur œuvre.
50Revenons maintenant au Jardin du grain de moutarde. La première image du premier volume s’accompagne d’un paragraphe d’écriture dont voici la traduction des premières phrases :
Pour peindre des paysages, il convient de savoir d’abord dessiner des arbres. Pour dessiner un arbre, il faut d’abord dessiner le tronc et les branches principales, puis exécuter le feuillage, et ainsi l’arbre finira par devenir luxuriant. Trop de ramures en feront un arbre desséché.
52Ceci prouve bien qu’il s’agit ici d’un manuel d’apprentissage du dessin. L’auteur continue en montrant comment appliquer avec soin les premiers coups de pinceau pour former une composition d’ensemble, et il met l’accent sur l’importance des arbres dans la peinture de paysages.
53Le Jardin du grain de moutarde enseigne les éléments suivants :
54Tout d’abord, comment dessiner le détail d’une image – par exemple, comment dessiner un arbre.
55Deuxièmement, comment mettre les détails ensemble : par exemple en dessinant deux arbres, trois arbres, cinq arbres, etc.
Fan Kuan
Fan Kuan
Guo Xi
Guo Xi
56Troisièmement, comment des éléments comme les arbres ont été peints par des artistes réputés du passé, par exemple dans : le style de Fan Kuan ; le style de Guo Xi ; le style de Wang Wei ; le style de Ma Yuan, ainsi que beaucoup d’autres.
Wang Wei
Wang Wei
Ma Yuan
Ma Yuan
57L’auteur conclut par ces mots :
Les différents styles d’arbres ont été donnés ci-dessus comme modèles établis. Après avoir pris connaissance des styles, examinons maintenant leur application. Bien que l’on ne puisse pas vraiment séparer les styles de leur application, il est conseillé d’établir des distinctions pour les débutants. C’est comme si l’on disposait de cinq arômes qui peuvent se combiner de différentes façons : un chef expérimenté les utilisera de manières variées pour préparer des plats délicieux.
59Lorsqu’il consulte Le jardin grand comme un graine de moutarde et d’autres manuels ou lorsqu’il regarde des peintures anciennes, l’artiste en formation n’en retire que les manières de peindre et les différents styles de peinture ; il est également très important pour lui de bien les utiliser, autrement dit, de savoir comment les appliquer.
60On retrouve ici la manière dont la calligraphie est enseignée en Chine. En général, chaque étudiant chinois l’apprend dès son plus jeune âge car c’est une partie importante de l’éducation. Dans la Chine ancienne, les hommes de lettres reconnaissaient dans une belle écriture un signe d’éducation et de personnalité.
61Dans la pratique, l’étude de la calligraphie commence par la ligne. Une ligne doit avoir un début, un milieu et une fin. Elle reflète la sensibilité et l’état d’esprit de celui qui la trace. On peut dire des lignes qu’elles sont « puissantes » ou « douces », « rigoureuses » ou « séduisantes ».
62Après l’étude d’une simple ligne, le calligraphe peut passer au stade suivant qui consiste à relier des lignes pour créer un caractère. Un caractère peut se composer de huit traits de pinceau de base. Ainsi se compose de plusieurs lignes qui partent dans des directions différentes. L’étudiant doit commencer son apprentissage en traçant des lignes dans différentes directions, ensuite apprendre à les tourner et à les combiner pour finalement arriver à composer des caractères.
63En philologie chinoise, il existe deux sortes de caractères : ceux qui contiennent un seul élément (wen) et ceux qui combinent deux éléments ou plus (zi). Un wen consiste en traits, tandis qu’un zi consiste en wen. Dans cette optique, celui qui écrit ira de traits de pinceau via le wen vers le zi pour passer ensuite aux phrases et arriver finalement à un texte complet.
64Le seul moyen de progresser pour le débutant, c’est de copier : d’abord, en imitant les cahiers d’écriture et les œuvres de calligraphies réputés. L’apprentissage pour devenir calligraphe est extrêmement long, le but n’étant pas d’apprendre certains secrets de l’écriture, comme les astuces du métier ou la géométrie de la composition, mais plutôt d’accumuler de l’émotion. Dans la vie quotidienne, on acquiert de l’expérience après avoir vécu un grand nombre de choses différentes. C’est exactement le même cheminement pour apprendre la calligraphie : ce n’est qu’après de longues années d’apprentissage et de pratique, en copiant et en lisant, que l’on devient un calligraphe accompli et que l’on peut parvenir à écrire de manière spontanée.
65Une œuvre de calligraphie peut avoir des significations différentes pour des observateurs différents. Ceux qui n’ont jamais pratiqué la calligraphie ou ne savent même pas écrire les caractères chinois n’y verront qu’une image composée de lignes abstraites, même s’ils ne tarissent pas d’éloges sur la beauté de l’écriture chinoise. En revanche, pour ceux qui savent écrire les caractères chinois et ont une certaine expérience de la calligraphie, la représentation graphique évoquera le mouvement de leur corps, leurs gestes, leurs positions, et de là, la vigueur des traits de pinceau : ils sentiront la force dynamique du caractère.
66Si nous appliquons cette théorie à la peinture, nous constatons que nous aussi pouvons voir la peinture de deux manières différentes. L’une est de la considérer comme une image, l’autre de la comprendre de manière dynamique en y retrouvant la trace des gestes et des positions de celui qui l’a réalisée. Nous ne pouvons nous empêcher de voir une peinture chinoise comme une image, puisqu’elle représente nécessairement un motif et qu’elle répond à une ressemblance de forme (en chinois : xingshi), mais des émotions calligraphiques et dynamiques s’infiltreront inévitablement dans notre perception. On peut donc dire en quelque sorte que les Chinois n’écrivaient pas des caractères en dessinant des images, mais plutôt qu’ils faisaient des tableaux en écrivant des caractères : la dynamique de l’art d’écrire imprégnait leur compréhension de la peinture.
67À la lumière de ceci, on comprend mieux pourquoi les Chinois ont tendance à rejeter la composition géométrique en peinture. Comme je l’ai démontré ailleurs, ils gardent à l’esprit qu’une belle ligne dans un tableau est une ligne à main libre (Gao 2003 : 173-192). Jin Hao (, 923-936) a donné une définition simple et intéressante du dessin ou de la peinture : « Le dessin consiste à dessiner » ( Hua ze hua ye). C’est en effet une sorte de « vocabulaire acquis », mais un vocabulaire dynamique. Celui qui ne voit qu’une image dans un caractère chinois ne peut apprécier la calligraphie chinoise à sa juste valeur, et celui qui voit une peinture chinoise comme une simple image ne peut pas la comprendre entièrement.
68Je ne veux pas dire par là que celui qui regarde un tableau chinois doit nécessairement être peintre ou avoir étudié la peinture. Il serait faux de dire qu’un profane ne peut pas éprouver d’émotion devant une peinture chinoise à partir de sa propre expérience. Dans la Chine ancienne, le sens dynamique ou kinesthésique de l’acte de peindre venait de la pratique de la calligraphie, une branche importante de l’éducation traditionnelle des intellectuels. Pour diverses raisons, y compris le système impérial d’examen pour les fonctionnaires érudits, on mettait l’accent sur l’habilité calligraphique, un des signes d’éducation et de culture. Pour les gens éduqués, une belle écriture avait beaucoup d’importance étant donné que les autres jugeaient leurs qualités et identifiaient leur tempérament à partir de leur écriture. C’est précisément la popularité de la calligraphie qui a donné naissance au sens de la ligne si caractéristique en Chine pour passer ensuite au domaine de la peinture et conditionner la manière dont la peinture a été produite et appréciée.
69C’est ce sentiment partagé par tous vis-à-vis d’une activité artistique qui a permis aux Chinois de comprendre la peinture d’une manière bien à eux, complètement différente de celle des Européens. Alors que ces derniers voyaient dans un motif la dimension, plus essentielle à leurs yeux, d’une composition géométrique, en Chine la communication entre le public et l’œuvre passait par la pratique commune, familière depuis l’enfance, de l’écriture de caractères.
Conclusion : Les sources de la création en Chine
70Pour conclure, je voudrais, en m’appuyant sur les deux recueils examinés dans le présent essai, avancer certaines idées sur la différence entre la peinture chinoise traditionnelle et la peinture européenne. Comme nous l’avons vu, les peintres chinois n’essayaient pas d’acquérir une compréhension rationnelle du monde divin au moyen des mathématiques ou de la géométrie et ils ne présentaient pas la nature de cette façon. Ceci n’est pas dû à l’absence dans la Chine ancienne d’un Pythagore ou d’un Platon, mais à la naissance de la peinture de lettrés par laquelle les hommes de lettres chinois ont délibérément engagé la peinture chinoise dans une voie différente.
71Les peintres chinois ont même refusé volontairement l’aide d’instruments de dessin et résisté à la tentation d’utiliser des compositions géométriques dans leur peinture. Pour eux, le monde était l’endroit où ils vivaient et non un lieu de secrets que les mathématiques pouvaient aider à découvrir. Tout comme les gens décrivaient leur environnement au moyen du langage, les peintres représentaient le monde au moyen de certains vocabulaires acquis. À l’instar d’une personne bien éduquée qui pouvait, grâce à la richesse de son vocabulaire, donner une meilleure description de son entourage, un bon peintre faisait également usage d’un vocabulaire plus recherché pour présenter sa vision du monde. Il développait celle-ci en copiant des modèles de manuels et de peintres célèbres, et il renouvelait le vocabulaire en observant et en imitant la nature. Pendant la réalisation de son tableau, il n’essayait jamais de le construire à la manière d’un bâtisseur. Il s’agissait pour lui d’une expérience avec son propre commencement, milieu et fin, et non d’une projection combinatoire de différents motifs. Au cours du processus de création, le peintre chinois peut exprimer ses émotions librement au moyen de vocabulaires acquis depuis son plus jeune âge, mais ses expériences et ses émotions cinétiques du moment sont toujours au cœur de sa démarche.
72Nous avons tous entendu parler des peintures de « l’unique trait de pinceau » ( dans la Chine ancienne. Elles étaient considérées comme des cas inhabituels que l’on répertoriait et que l’on transmettait à la postérité. Comme certains peintres chinois l’ont expliqué, ces références font allusion à la manière dont les traits sont reliés pour former un ensemble cohérent :
Zhang Yanyuan disait que seuls Wang Xianzhi et Lu Tanwei étaient capables respectivement de calligraphier et de peindre d’un seul coup de pinceau. Cela ne signifie pas que tous les caractères d’un texte ou toutes les lignes d’un objet étaient rendus d’un seul trait, mais que, du début à la fin, le pinceau poursuivait sa course sans reprise et sans interruption du souffle vital.
74« L’unique trait de pinceau » indiquait sans doute une maîtrise particulière dans l’art de peindre, une manière parfaitement accomplie d’appliquer les « vocabulaires acquis », mais dans la Chine ancienne certains peintres sont allés encore plus loin en avançant une notion assez spéciale du « trait unique » (yi-hua, ). Shi Tao (1986 : 13) a écrit :
Depuis les temps anciens jusqu’à nos jours, les obstacles à la loi ne peuvent être levés parce que les principes du trait unique ne sont pas connus. Si l’on connaît le trait unique, on n’est pas bloqué par les yeux et la peinture peut suivre le cœur. Si la peinture suit le cœur, les obstacles sont tout naturellement écartés.
76Le trait unique est un acte qui sert de pont entre les sentiments intérieurs et leurs traces à l’extérieur. Un pont en tant que tel signifie que la relation entre les sentiments et leurs traces n’est pas l’isomorphisme hétérogène des psychologues ou des néo-kantiens, mais une relation de causalité entre l’action, avec son émotion cinétique, et les traces qui sont le résultat de cette action. De l’ordre des traits, en passant par le trait unique, jusqu’à l’idée métaphysique du « trait unique », c’est là toute la démarche idéologique des peintres chinois. S’il est vrai que le « trait unique » ne peut pas réellement créer le monde comme l’auteur de ce concept l’a soutenu, nous pouvons à tout le moins admettre qu’il peut d’une certaine manière éduquer les peintres. Par cette pratique, le peintre chinois déclare, non pas « je pense, donc je suis », mais plutôt « j’agis, donc je suis ». Le monde est ma trace, et je suis la source de la création.
Bibliographie
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