Notes
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[1]
The New Yorker, 22 mars 2004 : 36.
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[2]
Comparez avec Boyd : « On peut définir l’art comme un jeu cognitif avec motif » (2010 : 15, c’est moi qui souligne). Voir aussi Carter (2003).
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[3]
Pour les grandes lignes, voir entre autres Searle (1997).
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[4]
Voir Churchland (1989, 2007).
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[5]
Les bases en ont été jetées par Franscisco Varela (cf. Varela et al. 1991).
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[6]
Une notion associée au nom de Semir Zeki, neuroscientifique éminent et directeur de l’Institut de Neuroesthétique à l’University College de Londres.
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[7]
La cognition située est devenue un domaine de recherche régulier dans le computationnalisme et la robotique.
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[8]
Il existe aujourd’hui assez de preuves empiriques que la plus grande partie de nos processus mentaux est inconsciente. Les neuroscientifiques nous apprennent que seule une minime portion d’actes mentaux se passent dans la conscience (voir, par exemple, Gazzaniga 1998).
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[9]
Pour autant que je sache, les expressions « embodied » et « embedded » ont été utilisées pour la première fois par John Haugeland (1998).
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[10]
Voir, par exemple, Evan Thompson (2007), Alva Noë (2004), Susan Hurley (2002) et Daniel D. Hutto (recensé dans Menary 2006).
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[11]
Une notion élaborée par Andy Clark et David Chalmers (1998).
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[12]
« Notre corps n’est pas dans l’espace comme les choses : il l’habite ou le hante, il s’y applique comme la main à l’instrument, et c’est pourquoi, quand nous voulons nous déplacer, nous n’avons pas à le mouvoir comme on meut un objet. Nous le transportons sans instruments, comme par une sorte de magie, parce qu’il est nôtre et que, par lui, nous avons directement accès à l’espace. Il est pour nous beaucoup plus qu’un instrument ou un moyen : il est notre expression dans le monde, la figure visible de nos intentions. Même nos mouvements affectifs les plus secrets, les plus profondément liés à l’infrastructure humorale, contribuent à façonner notre perception des choses » (Merleau-Ponty 2000 : 39).
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[13]
C’est ainsi qu’Ernst Cassirer définit l’être humain dans sa philosophie des formes symboliques.
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[14]
Sa théorie a suscité de nombreuses réactions que je ne peux pas traiter en détail dans cet article.
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[15]
« La peinture est une science et elle devrait être une constante recherche des lois de la nature. Et pourquoi ne pas considérer la peinture des paysages comme une branche de la philosophie de la nature, dont les expériences ne seraient autres que des tableaux ? » (cité dans Gombrich 1987 : 57-58.)
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[16]
Analysant les raisons possibles pour la « perte de vitesse » de l’esthétique, il continue : « Beaucoup d’esthéticiens sont très forts pour formuler des notions théoriques, mais ne les examinent pas sérieusement en rapport avec les arts eux-mêmes » (Carter 2004 : 2). Si cette critique est correcte, autrement dit, si les esthéticiens ignorent « les arts eux-mêmes », on ne doit pas s’étonner qu’ils ne soient pas ouverts à des phénomènes ou des champs d’investigation comme ceux des sciences naturelles.
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[17]
Le Congrès de Makuhari en 2001 a été un bel effort non seulement pour faire se rencontrer des options esthétiques au-delà des clivages estouest, mais aussi pour insuffler une énergie nouvelle dans la discipline. En dehors de cela, et si l’on en juge par les activités de l’Association Internationale d’Esthétique au cours des dix dernières années, il semble y avoir peu de signes de réelle ambition pour dépasser la tradition ou pour envisager l’avenir d’une manière significativement différente du passé. Même lorsqu’on y parle de « changements », il s’agit d’acquiescement poli plutôt que de réelle initiative pour s’ouvrir à de nouvelles disciplines académiques et à de nouvelles pratiques sociales qui conduiraient à de vrais changements. – Ce que l’on constate, c’est une auto-satisfaction avec la routine, la célébration du connu, le manque de courage pour la nouveauté et le manque de motivation pour des échanges pluridisciplinaires.
M. Einstein, lequel, de l’art ou de la science, est selon vous le plus important ? Einstein répondit : « Pour moi, sans aucun doute, c’est l’art. L’art doit toujours venir en premier lieu, l’art et la sensibilité. » [1]
1Si, comme l’aurait déclaré Einstein, l’art et la sensibilité comptent autant, voire même davantage, que la science, on ne peut assurément se contenter de dire qu’il s’agit là de choses purement plaisantes mais non nécessaires ; une définition plus adéquate consisterait à ranger l’esthétique dans les « réactions les plus complexes de l’esprit humain » (Lipscomb 1982 : 4), ou encore à la considérer comme « une des préoccupations les plus nobles et les plus profondes de l’être humain » (Zeki 1999a : 2). De telles affirmations impliquent que le champ de l’esthétique est plus large que celui qu’on lui attribue habituellement et ne peut, d’autre part, se réduire à de simples réactions ou plaisirs émotionnels sans raison. En d’autres termes, cela signifie que l’esthétique doit être considérée comme une caractéristique de l’esprit humain et faut l’étudier en tant que telle dans le cadre général de la connaissance humaine.
2L’esthétique ne s’est pourtant guère donné de mal pour situer l’objet de sa recherche à l’intérieur du contexte plus large des fonctions humaines mentales et cognitives et elle a mis du temps à reconnaître que la beauté est plus qu’une source de plaisir, d’harmonie ou de sensation physique. Il n’y a pas eu suffisamment d’effort théorique pour encourager l’idée que l’esthétique est une dimension significative de l’étre-au-monde humain, c’est-à-dire un moyen puissant de structurer notre expérience du monde. Lui conférer ce rôle, qui excède ses limites traditionnelles, présuppose que « l’étude du beau » s’ouvre sur une approche pluridisciplinaire de l’esprit, de l’action et de la connaissance de l’homme.
3On a essayé à diverses reprises d’inclure l’esthétique, d’une manière générale, dans le contexte de la cognition (voir, par exemple, Radman 2001, 2004) et, de manière plus explicite, dans celui de la connaissance scientifique (Radman 2004/2005), non seulement pour montrer qu’elle est un mode de connaissance du monde, mais pour faire comprendre au camp cognitif que toute tentative pour expliquer la nature de la connaissance humaine sans tenir compte de l’esthétique est incomplète et vouée à l’échec. Malheureusement, il semble bien que ces efforts et d’autres du même genre n’aient eu que très peu d’impact et que l’esthétique n’ait pas vraiment cherché à reconnaître sa propre importance à l’intérieur des recherches sur la nature de l’esprit humain. Les choses ont cependant évolué et l’on ne peut que se réjouir des efforts accomplis récemment pour analyser la créativité artistique à la lumière cognitive [2].
4Je m’efforcerai dans cet article de démontrer (bien que sur un plan très général) que l’esthétique est une dimension de l’esprit humain et que toute tentative philosophique pour comprendre celui-ci ne peut être complète si elle ne tient pas compte de l’aspect « noble » de la « raison » esthétique. La stratégie consistant à ouvrir l’esthétique sur la philosophie de l’esprit, la phénoménologie et la science cognitive débouche nécessairement sur une rencontre avec au moins quelques-uns des principaux paradigmes dont se réclament ces disciplines. Dans ce qui suit, je donnerai tout d’abord un bref aperçu du computationnalisme tout en en soulignant les limites et j’esquisserai ensuite les grandes lignes de l’inscription corporelle de l’esprit et de la cognition située qui ouvre à l’esthétique un champ à l’intérieur duquel elle peut trouver sa place naturelle. Dans le même ordre d’idée, j’essaierai de découvrir les raisons pour lesquelles l’esthétique a si longtemps ignoré les sources théoriques et empiriques qui élargissent de manière tellement significative notre connaissance des processus biologiques sous-jacents et des options computationnelles pour comprendre l’intelligence et la connaissance humaines. Dans la dernière partie, je tenterai, en m’appuyant sur des textes choisis, de démontrer que les artistes et les esthéticiens possèdent les uns et les autres une profonde connaissance de la mentalité humaine sans laquelle il n’est pas possible d’arriver à une compréhension adéquate de l’esprit. À cet égard, je souscris à la thèse selon laquelle l’inscription corporelle de la philosophie, et en particulier de la phénoménologie, a besoin de s’adjoindre l’esthétique pour déchiffrer avec elle, dans un effort commun, les mystères de l’esprit humain. Cette thèse permet à son tour à la « beauté » d’être, ou de devenir, un élément spécifique et irréductible de notre monde mental.
La « métaphore de l’ordinateur » et autres réductionnismes
5Dans la philosophie de l’esprit et les domaines annexes, les dernières décennies ont été marquées par diverses versions du cognitivisme et des théories (« dures » et « molles ») [3] de l’ia. L’impact de la technologie informatique a été si puissant que même la compréhension des aspects les plus subtils de la nature humaine, à savoir celle de notre façon de penser, ne pourrait s’en passer. Cette tendance a trouvé son expression dans la « métaphore de l’ordinateur » qui signifie en gros que l’esprit n’est rien d’autre que le fonctionnement d’un ordinateur. Concevoir le mental comme une machine, c’est accepter l’idée que le cerveau n’est foncièrement rien de plus que du « hardware », et que l’esprit n’est rien d’autre que du « software ». Cette analogie avec l’ordinateur a eu tellement de succès qu’elle est restée pendant plusieurs décennies le modèle dominant.
6Une autre forme de « nothingbutism », pour employer le terme de Sunny Auyang (2000) concerne la réduction du mental au niveau moléculaire le plus bas des processus neuraux. Par exemple, le célèbre biologiste et prix Nobel Francis Crick affirme que « “Vous”, vos joies et vos peines, vos souvenirs et vos ambitions, la notion personnelle que vous avez de votre identité et de votre libre arbitre, ne sont en réalité rien de plus que les réactions d’un vaste assemblage de cellules nerveuses et de leurs molécules » (1994 : 3 ; c’est moi qui souligne).
7Ce « rien que » ou « rien de plus que » est devenu une formule en vogue pour toutes sortes de réductionnismes. Dans ses autres versions, l’esprit est assimilé au comportement, à l’agencement, au traitement informatique des données, à l’organisation fonctionnelle, etc. Ce réductionnisme implique qu’une connaissance scientifique suffisante des éléments de base auxquels on réduit le phénomène étudié permet d’arriver également à une explication complète du phénomène lui-même. C’est là un optimisme partagé par des experts en neurosciences et par certains philosophes convaincus que, dès le moment où l’on a une connaissance empirique suffisante de la structure et du fonctionnement du système neural, on est aussi automatiquement à même de déchiffrer la nature de l’esprit. En d’autres termes, on n’a besoin de rien d’autre pour résoudre l’énigme.
8Suite à l’essor des méthodes empiristes, on a vu se développer une fusion de la science « dure » et des questions « douces » des sciences humaines dans des couplages tels que biologie de la vision, chimie des émotions, neurophysiologie de la pensée et de la connaissance, neurophilosophie [4], neurophénoménologie [5], et même neuroesthétique [6]. De nouveaux syntagmes, inimaginables jusqu’ici, représentent de nouvelles alliances qui reflètent l’intérêt des sciences naturelles pour la nature de l’esprit humain. C’est ainsi que s’est mis en place, sous l’étiquette de « science cognitive », un nouveau groupe de disciplines dont le but est à la fois de sonder les « mystères » de l’esprit et de fournir des descriptions et des explications naturalisées des processus subtils et insaisissables qui font de nous les êtres que nous sommes.
9La métaphore de l’ordinateur est devenue un modèle généralisé de l’esprit, de même que l’identification de celui-ci avec la « wetware », mais depuis quelque temps déjà, on a commencé à reconnaître les limites du « nothingbutism » (particulièrement dans le domaine de l’ia). Hubert Dreyfus (1993 ; Dreyfus et Dreyfus 1986) a été un des premiers à critiquer de manière significative les modèles cognitifs de l’esprit. Malgré la perspicacité de son analyse, il a fallu attendre encore des décennies avant que les chercheurs en science cognitive et en robotique se rendent compte que, s’il était relativement aisé de simuler les fonctions intellectuelles, il était extrêmement difficile, voire impossible, de simuler les plus simples mouvements du corps. Pour l’ia, ce n’est pas l’intelligence qui pose problème, mais plutôt la résistance qu’opposent à la formalisation, la connaissance ordinaire et le sens commun. Même de ce point de vue, on ne peut pas étudier correctement la cognition et l’action sans tenir compte du fait que l’inscription corporelle et la « mise en situation » [7] sont essentielles pour comprendre la nature des actions humaines.
10Nous constatons aujourd’hui que même la robotique prend en compte les sujets incarnés (chf. Steels et Brooks 1995 ; Pfeifer et Bongard 2006 ; Iida et al. 2004) et lorsque les computationnalistes parlent de « traitement informatique de l’information », ils ne se basent pas uniquement sur le calcul mais s’intéressent de plus en plus à l’inconscient. Tout ceci plaide en faveur de paradigmes opposés aux notions cognitives classiques. De même que la biologie a sa propre évolution naturelle, l’intelligence artificielle évolue à l’intérieur de sa brève histoire. Ce qui justifie ici l’utilisation du terme « évolution », c’est la maturation de l’idée selon laquelle l’esprit encapsulé – c’est-à-dire désincarné et coupé de son environnement naturel et social – a peu de chances de réussir à expliquer l’intelligence comme faculté propre aux humains.
11Le glissement vers l’inscription corporelle de l’esprit ou le « tournant corporel » (Sheets-Johnstone 2009), a ramené nos prétentions philosophiques à reconnaître que l’intellectualisme ne peut couvrir qu’une minime fraction de ce qui constitue l’esprit humain. Nous savons aujourd’hui que la plus grande partie de la sphère mentale est inconsciente, ce qui signifie que la nature des actions humaines n’a pas sa source dans la pensée et la contemplation (Radman 2012). La conscience et la pensée explicite sont des produits de fin de course dans le processus mental et ce qui est « représenté » dans l’esprit sous cette forme n’est qu’une mince portion du vaste champ de l’implicite [8].
12Ayant acquis la certitude que la plus grande partie de notre activité mentale est non consciente, qu’en règle générale nos actions ne sont pas régies par notre intelligence et encore moins contrôlées par notre volonté, nous en arrivons à la conclusion qu’un modèle plus adéquat de l’esprit humain devrait s’affranchir de l’hégémonie de l’intellectualisme, de la suprématie de la réflexion et de la focalisation sur le conscient. Ce nouveau paradigme devrait s’ouvrir sur toutes les capacités reconnues de l’esprit humain qu’on ne peut ni expliquer ni formaliser.
13Il semble donc évident à ce stade que l’intention derrière le plaidoyer pour cette « ouverture » est de montrer que toute tentative visant à offrir un aperçu multidimensionnel de l’esprit doit aussi tenir compte de considérations esthétiques. Les raisons en sont nombreuses et, afin de mieux faire comprendre la nécessité d’intégrer l’esthétique dans une recherche commune d’exploration scientifique de l’esprit, j’esquisserai d’abord les aspects de l’incorporation qui contribuent à montrer que l’esprit n’est pas encapsulé « à l’intérieur » mais exposé à un environnement social, historique et culturel.
L’importance de l’incorporation
14En réaction à la prédominance du paradigme cognitif on a vu se développer ces dernières années un rejet de l’idée selon laquelle la connaissance pouvait se réduire à des systèmes de représentation computationnelle interprétant l’input et produisant l’output sur base d’un traitement interne d’information des données. On a beaucoup remis en question l’hypothèse selon laquelle on peut étudier la connaissance en se basant exclusivement sur ce qui se passe à l’intérieur du cerveau ainsi que les modèles de l’esprit proposés par l’ia qui se sont avérés réducteurs à maints égards. On a conçu une approche plus intégrée qui prend en compte « l’incorporation » (embodiment ») et « l’encastrement » (embeddedness) [9], qui propose « l’énaction » [10] et considère aussi l’esprit comme « étendu » [11].
15La thèse principale de l’incorporation telle qu’elle a transité de la phénoménologie à la science cognitive, consiste à dire que l’esprit ne réside pas seulement dans le corps « comme le pilote dans le bateau » ; le corps n’est pas seulement cette chose matérielle qui ne compte pas pour les processus mentaux plus sophistiqués, mais un moyen de « façonner l’esprit » (Gallagher 2009). La psychologue développementale Esther Thelen clarifie la notion de cognition incarnée de la manière suivante : « Dire que la cognition est incarnée signifie qu’elle résulte d’interactions corporelles avec le monde. De ce point de vue la cognition dépend des types d’expériences liées à la possession d’un corps pourvu de facultés perceptives et motrices particulières, interconnectées et formant ensemble une matrice à l’intérieur de laquelle se coordonnent la mémoire, l’émotion, le langage et tous les autres aspects de la vie (Thelen et al. 2001 : 20).
16Une grande partie de ce que l’on pourrait appeler « le tournant incorporationnel » s’est inspiré des intuitions de penseurs tels que Piaget, Vigotsky et Dewey, mais surtout des tenants de la tradition phénoménologique, en particulier Maurice Merleau-Ponty et Martin Heidegger. Ceux-ci ont contribué de manière significative à nous faire comprendre que toute expérience et toute pensée est structurée par des contraintes corporelles dans lesquelles le corps, loin d’être un simple mécanisme, possède un savoir-faire qui lui est propre grâce auquel il peut aller au-delà de la sensation brute, et avoir éventuellement un impact sur les fonctions cognitives soi-disant supérieures.
17Quand on parle d’encastrement (embeddedness), on se réfère à l’idée que le corps est enchâssé de manière interactive dans un environnement [12] qui fournit ce que Gibson (1986) a appelé les « affordances », littéralement les moyens fournis, condition préalable pour permettre au sujet de se débrouiller le mieux possible dans le monde. Toutefois, je préfère utiliser le terme d’« enmondification » (enworldment) (dont je trace les grandes lignes dans Radman 2007) car il exprime ce qu’il y a de plus authentique chez l’animal symbolicum [13]. Alors que l’encastrement suggère une sorte de relation étroite avec ce qui est immédiatement (physiquement) donné, l’« enmondification » met en évidence l’horizon plus large de l’expérience totale du monde, y compris de sa dimension symbolique ou culturelle. Même la notion de « l’esprit étendu », dont je ne conteste pas l’utilité, ne va pas jusqu’à inclure ce qui est unique chez les agents humains, à savoir, leur existence à l’intérieur d’un réseau de relations sociales, historiques et culturelles à l’échelle du monde. En effet l’esprit doit être « étendu », mais de manière suffisante pour englober le monde culturel.
18L’« enmondification » comprise de cette façon, à savoir, la capacité symbolique des humains à concevoir des choses qui ne sont pas immédiatement présentes à leurs sens et à créer par l’imagination ce qui relève simplement du domaine du possible, offre à l’esthétique un moyen naturel de compléter la structure de l’esprit d’une manière moins superficielle. En fait, les leçons que l’on peut tirer de la longue et riche histoire théorique des considérations esthétiques, c’est que la beauté n’est pas la simple fantaisie d’un esprit décadent mais une capacité profonde de tous les organes cognitifs pour interagir avec le monde d’une manière qui ne soit ni propositionnelle ni logique. Il ne s’agit plus là d’une relation de simple contemplation, mais d’une participation active en dehors de toute pensée, de toute conscience et de toute réflexion explicites ; elle est fortement imprégnée par les « lois » de la pertinence esthétique qui guident implicitement la plupart de nos actes.
19Parmi la quasi totale ignorance de l’incorporation chez les esthéticiens, Richard Shusterman fait figure d’exception. Sa théorie de la soma-esthétique (2008, 1999) constitue une tentative originale (pas vraiment neuve en philosophie, mais souvent laissée de côté) pour enrichir la phénoménologie du corps en mettant en évidence le « potentiel de beauté » du corps (1999 : 299) [14].
20En nous interrogeant sur la place de l’esthétique dans l’étude de l’esprit et sur les raisons de son isolationnisme, nous pouvons sans trop de difficulté expliquer sa réticence vis-à-vis de l’orthodoxie des premières phases du cognitivisme ou son incapacité à y adhérer, mais il est beaucoup plus malaisé de comprendre pourquoi elle s’est si complètement désintéressée de la philosophie et de la phénoménologie de l’incorporation. Alors que l’on n’a aucune peine à reconnaître qu’à l’époque du succès de la « métaphore de l’ordinateur » les subtilités de l’esthétique s’accordaient mal avec la rigueur réductrice d’une machine, il est moins aisé de trouver une explication plausible à l’absence quasi totale, dans toute la richesse et la variété de sa recherche, d’investigations sur l’étude de l’esprit incarné et surtout de la cognition incarnée et située. C’est d’autant plus paradoxal quand on se rend compte que les artistes eux-mêmes se comportent, en quelque sorte, comme des chercheurs en s’interrogeant sur les mécanismes au moyen desquels l’esprit humain interagit avec le monde.
Les artistes comme neuroscientifiques ?
21L’histoire de l’art qu’Ernst H. Gombrich appelle « the story of art » est l’histoire de l’effort créatif des humains pour produire des œuvres d’art d’un haut niveau d’excellence. S’intéresser à ces productions artistiques n’a cependant de sens que dans la mesure où cela mène à une compréhension de la faculté mentale humaine qui les produit. Dans cette optique, les grands artistes ne maîtrisent pas seulement une pratique créative particulière au moyen de laquelle ils transmettent une connaissance spécifique, c’est-à-dire artistique, du monde, ils sont aussi des connaisseurs de l’esprit humain et de ses capacités créatives. Il n’est donc pas inapproprié de considérer les artistes comme des scientifiques de l’esprit (on trouve déjà un exemple de cette attitude lorsque John Constable définit la peinture comme une science [15]). Dans ses publications récentes, Semir Zeki, un neurobiologiste de l’University College de Londres, va encore plus loin en affirmant que « les artistes sont en quelque sorte des neurologues » (1999a : 10) et en n’hésitant pas à classer Shakespeare et Wagner « parmi les plus grands neurologues » (1999a : 2). Eux du moins, dit-il, « savaient comment sonder l’esprit de l’homme au moyen des techniques de la langue et de la musique et comprenaient peut-être mieux que n’importe qui le fonctionnement de l’esprit humain » (ibid.).
22Selon Zeki (1999 : 2-3), « la plupart des peintres sont aussi des neurologues, mais dans un autre sens : ce sont eux qui ont expérimenté et qui, sans en être toujours conscients, ont compris certains aspects de l’organisation du cerveau visuel […] ». Il continue à illustrer sa thèse comme suit : « Les artistes et les neurologues ont, les uns et les autres, étudié la communauté de perception qui sous-tend l’esthétique visuelle. Par exemple, plusieurs années avant la découverte des cellules sensibles à l’orientation (qui répondent sélectivement aux lignes droites et sont presqu’unanimement considérées comme les “blocs de construction” neuraux de la perception des formes ), Mondrian, à la recherche des “vérités constantes sur les formes”, a choisi la ligne droite comme caractéristique principale de ses compositions […] De la même manière, bien longtemps avant que ne soit cartographié le centre visuel de détection des mouvements (zone V5), des artistes cinétiques comme Alexander Calder et Jean Tinguely ont réalisé des compositions qui, chacune à leur manière, mettaient l’accent sur le mouvement aux dépens de la couleur et de la forme. Celles-ci convenaient donc admirablement bien pour stimuler les cellules de la zone V5 et anticipaient au moyen de l’art les propriétés physiologiques des cellules sensibles au mouvement. C’est la raison pour laquelle je suis persuadé que les artistes sont en quelque sorte des neurologues qui, sans le savoir, étudient le cerveau au moyen de techniques qui n’appartiennent qu’à eux » (Zeki 2001 : 51). Il cite alors Picasso qui (« dans une formule presque neurobiologique ») a émis la suggestion suivante : « Il serait très intéressant de préserver photographiquement […] la métamorphose d’un tableau. Cela permettrait peut-être de découvrir le chemin que suit le cerveau pour matérialiser le rêve » (Zeki 1999b : 2062 et 2001 : 52).
23De toute évidence, Zeki ne doute pas que la « matérialisation du rêve » puisse être étudiée et expliquée par les méthodes de la neuroscience, et il montre même comment cela se passe expérimentalement. Il utilise par exemple la technique de l’imagerie par résonance magnétique pour montrer que le cerveau réagit différemment selon que les stimuli dont il traite l’information sont beaux ou laids (Kawabata et Zeki 2003). La conclusion qu’il en tire est claire et nette : « Je suis convaincu qu’il ne peut exister de théorie valable de l’esthétique qui n’ait pas son fondement dans la neurobiologie » (Zeki 2001 : 52).
24La question se pose alors de savoir si l’on peut arriver à une connaissance satisfaisante de l’esprit et de ses processus neurobiologiques sous-jacents sans le type de compétence que possède l’esthétique. La réponse dépend du degré d’engagement que l’esthétique est disposée à déployer pour partager les questions que se posent les scientifiques au sujet des paradoxes de l’esprit et des mystères du cerveau. Avoir l’occasion de participer à ce type de démarche peut contribuer à faire valoir le point de vue que le couple cerveau/esprit est quelque chose de vivant, qu’il est actif et incorporé, ouvert au monde, conditionné socialement, coloré émotionnellement, modelé par la culture, influencé par l’histoire, etc. Il ne serait dès lors plus conçu comme un simple mécanisme d’« input-output », une machine fonctionnaliste, un opérateur logique, ou le « système nerveux central » encapsulé à l’intérieur de la tête pour lequel le reste du corps et ce qui se passe en dehors de lui n’aurait pas la moindre importance. Il s’avèrerait émotionnel aussi bien que rationnel, intuitif tout autant que logique, esthétique non moins que scientifique, beau aussi bien que prépositionnel.
25En endossant ce rôle, l’esthétique quitterait son rôle d’outsider en ce qui concerne l’esprit et deviendrait une partenaire active dans les échanges pluridisciplinaires sur l’une des questions les plus cruciales de la philosophie contemporaine. Une fois cette reconstruction entamée, il semble tout à fait naturel de rechercher la beauté non seulement dans le paysage ou la nature morte, mais aussi dans le cerveau.
Vers un concept de l’esprit esthétique
26On pourrait transformer la célèbre phrase de Pascal « le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point » en une nouvelle version : « l’esprit a ses raisons que la raison ne connaît pas ». La partie non raisonnable et non rationnelle de l’esprit est un vaste domaine du mental qui ne se rapporte pas uniquement à ce qui est « animal » dans l’animal rationale, mais qui est plutôt une façon de concevoir le monde (et nous-mêmes) d’une manière intranscriptible en termes propositionnels. Il serait donc erroné de concevoir une telle « raison » non raisonnable comme simplement brute et non éduquée, réduite aux instincts et sans lien avec la connaissance. En vérité, dans le schéma dualiste traditionnel, la raison et l’émotion, la logique et l’intuition, les faits et l’imagination sont considérés comme s’excluant mutuellement dans un rapport de rivalité, mais cette bipolarité s’est avérée plus dommageable que bénéfique. Elle a mis dos à dos les attitudes esthétiques et le comportement raisonné dans un antagonisme profondément contestable. Je pense qu’il existe assez de raisons pour affirmer que le champ, le rôle et la portée de l’esthétique transcendent ce clivage dualiste. En d’autres termes, je considère que le poids de l’esthétique exerce son impact bien au-delà du domaine qui lui est propre (émotion-intuition-imagination) et peut être un élément important et productif même dans les matières strictement scientifiques. Il s’ensuit que la beauté ne doit pas rester cantonnée à l’intérieur du domaine « doux » de la créativité humaine, non intégrée aux fonctions cognitives plus élevées et aux données « dures » de la science.
27Par ailleurs, la recherche biologique démontre à profusion que la beauté est un élément plus essentiel dans le comportement des êtres vivants que ne l’a généralement admis le point de vue classique (voir par exemple Welsch 2004). Déjà à son époque, Charles Darwin (1981, 1998a, 1998b) avait reconnu la pertinence du sens du beau dans le monde animal aussi bien humain que non-humain. La biologie a en effet beaucoup à dire sur la beauté (voir, par exemple, Dutton 2010), et elle nous fait prendre conscience que l’on a affaire ici à un sujet aux racines évolutionnaires profondes. Bien que Gombrich (1994) ait déjà parlé d’une « vision évolutionniste de l’esprit », il a fallu attendre des décennies pour que se poursuivent timidement les recherches théoriques dans cette direction.
28Une fois admise l’idée que, d’une part, la beauté réside déjà dans l’interaction la plus élémentaire des êtres vivants avec leur environnement naturel et social et que, par ailleurs, elle marque de son empreinte ce qui constitue l’avancée la plus importante de la raison humaine (justifiant le terme de référence « esthétique de la science »), la voie est ouverte à une reconceptualisation de l’esthétique en tant qu’élément constitutif de l’esprit humain en général.
29Il faut malheureusement bien reconnaître que l’esthétique s’est avérée être une discipline introvertie et que, comme le fait remarquer Curtis L. Carter : « Le rôle de l’esthétique est de moins en moins significatif dans le monde académique […] » Et, poursuit-il, le problème vient de ce que « les esthéticiens ont tendance à correspondre entre eux dans des cercles intellectuels restreints, sans considération pour les façons de penser de groupes sociaux plus larges. Les cercles deviennent encore plus petits à mesure que se développe une spécialisation à outrance qui réduit encore davantage les domaines d’intérêt académique » [16]. Il s’ensuit une fermeture de la discipline qui se coupe ainsi de la possibilité de participer aux débats contemporains sur certaines des caractéristiques les plus fondamentales de la nature humaine. Condamnée au soliloque, comment peut-elle jamais faire entendre sa conviction que le beau est un trait essentiel de l’esprit ? Pour réussir à faire passer un tel message, elle doit être mieux intégrée dans la communauté scientifique et se sentir davantage impliquée dans des questions qui touchent à la société [17]. Il est regrettable que l’esthétique elle-même se soucie si peu de ce qui se passe dans le domaine plus vaste de l’étude de l’esprit et de la conscience, se privant par là même de l’occasion de faire partie de l’entreprise pluridisciplinaire dont le but est de déchiffrer « le dernier mystère de notre temps » (comme on le dit habituellement en parlant de l’esprit). Au lieu d’expliquer les phénomènes esthétiques en termes de neuroscience (comme le fait la « neuroesthétique »), on pourrait essayer d’expliquer la nature et le mode de fonctionnement du « wetware » en termes d’expérience esthétique. Il n’y a aucune raison de croire que « l’esthétique de l’esprit » est inférieure à, disons, la philosophie de l’esprit, la psychologie de l’esprit, la neurobiologie de l’esprit, la théorie computationnelle de l’esprit, etc. Une telle théorie reconnaîtrait la capacité de l’esprit à interagir avec le monde humain d’une manière, entre autres, non-propositionnelle, holistique, basée sur la reconnaissance immédiate et implicite de la beauté, et capable de porter des jugements fondés sur des critères esthétiques. De cette manière, elle définirait l’homo estheticus non pas comme une créature à part, mais comme un partenaire omniprésent des sujets cognitifs qui agissent dans le monde.
Conséquences et plus amples considérations
30Si l’esprit qui appartient à un être humain actif et participatif est, comme je l’affirme, « enmondifié » et si le cerveau est profondément façonné par la culture (on pourrait même parler « d’enculturation »), il s’ensuit qu’on ne peut arriver à une explication valable, ni de l’ouverture de l’esprit sur le monde, ni du fonctionnement du cerveau, sans tenir compte des « réflexes », considérations, jugements et théories esthétiques.
31Le leçon tirée du réductionnisme mène à la conclusion que ce qui manque dans la recherche sur l’esprit et le cerveau est une grande image de l’esprit ainsi qu’une conception plus intégrée du cerveau. La « grande image » n’est toutefois pas complète tant qu’on n’a pas pris en compte l’un des « réflexes les plus complexes de l’esprit humain » ; il convient donc de considérer l’esthétique comme une dimension intégrale de celui-ci et d’étudier l’importance de la beauté dans le cadre de l’étude de l’esprit et de la conscience au même titre que la perception, la mémoire et le comportement. De plus, accepter l’idée que le cerveau est tout autant un produit de la culture que de la biologie (voir Singer 2003, 2006), autrement dit, que son évolution n’est pas dictée uniquement par des principes darwiniens, mais est aussi déterminée par son développement culturel, conduit à reconnaître l’importance des qualités esthétiques.
32L’expérience qualitative, discutée avec tant d’acharnement dans la philosophie actuelle de la conscience, n’a nulle part été étudiée et analysée d’une manière aussi approfondie et aussi minutieuse que dans l’esthétique. Cette expérience doit être considérée comme le complément théorique indispensable de l’étude de la subjectivité ; celle-ci s’est trouvée récemment enrichie par l’apport du « problème difficile » (« hard problem ») de la conscience (Chalmers 1996) qui met en évidence l’irréductibilité du subjectif. En conséquence, le caractère unique de la beauté a le mérite d’attirer l’attention d’une portion plus large de la communauté scientifique qui, lorsqu’elle se croit la plus objective et la plus impersonnelle, est en réalité guidée dans ses actes par des mobiles et des critères qu’on ne pourrait mieux décrire que par le terme – esthétique.
Épilogue : « Visez la beauté ! »
33Les élèves des « master class » du célèbre pianiste et chef d’orchestre Leon Fleischer de Baltimore rapportent que le conseil le plus important que leur prodiguait leur maître pour atteindre l’excellence dans leur jeu pourrait se résumer à la simple formule : « Visez la beauté ! » On peut voir dans ce credo, non pas une injonction du pédagogue à ses élèves pour qu’ils fassent ressortir ce qu’il y a de plus plaisant, de plus agréable, de plus attrayant dans un morceau de musique ou dans une œuvre d’art en général, mais comme une invitation à rechercher l’idée intégrante ou plutôt le « sentiment » d’une œuvre d’art qui transcende le formel, le technique, le sensoriel, etc., à trouver, en d’autres termes, ce quelque chose de profond et d’authentique qu’on ne peut cependant pas transcrire entièrement en propositions, ni même sans doute exprimer valablement par la parole, et qu’on ne peut en aucun cas représenter ni dans le style impersonnel, ni dans une simulation par ordinateur.
34En résumé : la beauté, loin de s’identifier simplement à l’attirance, au plaisir ou à l’émotion brute, permet l’accès à un mode de compréhension du monde qu’on n’est pas encore parvenu à traduire en langage formel. Plaider pour sa réalisation (comme dans la formule « visez la beauté »), c’est se motiver pour trouver une expérience synthétique ou holistique pour laquelle il n’existe pas d’algorithme, et qui est néanmoins ressentie comme une qualité authentique et irréductible du subjectif, une expérience grâce à laquelle l’art est irrésistible, la science stimulante et la vie de tous les jours riche de sens.
35Les processus esthétiques sont des preuves fortes que ce qui se passe dans l’esprit humain ne peut être assimilé à des traitements informatiques de données. Ils constituent une sorte de connaissance du monde, un moyen de nous orienter dans le réseau des relations naturelles, sociales et culturelles, une boussole qui n’est basée ni sur l’observation, ni sur le calcul, mais qui s’apparenterait plutôt à une profonde capacité interne déjà présente et active dans le moi pensant avant même que celui-ci en soit conscient.
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Notes
-
[1]
The New Yorker, 22 mars 2004 : 36.
-
[2]
Comparez avec Boyd : « On peut définir l’art comme un jeu cognitif avec motif » (2010 : 15, c’est moi qui souligne). Voir aussi Carter (2003).
-
[3]
Pour les grandes lignes, voir entre autres Searle (1997).
-
[4]
Voir Churchland (1989, 2007).
-
[5]
Les bases en ont été jetées par Franscisco Varela (cf. Varela et al. 1991).
-
[6]
Une notion associée au nom de Semir Zeki, neuroscientifique éminent et directeur de l’Institut de Neuroesthétique à l’University College de Londres.
-
[7]
La cognition située est devenue un domaine de recherche régulier dans le computationnalisme et la robotique.
-
[8]
Il existe aujourd’hui assez de preuves empiriques que la plus grande partie de nos processus mentaux est inconsciente. Les neuroscientifiques nous apprennent que seule une minime portion d’actes mentaux se passent dans la conscience (voir, par exemple, Gazzaniga 1998).
-
[9]
Pour autant que je sache, les expressions « embodied » et « embedded » ont été utilisées pour la première fois par John Haugeland (1998).
-
[10]
Voir, par exemple, Evan Thompson (2007), Alva Noë (2004), Susan Hurley (2002) et Daniel D. Hutto (recensé dans Menary 2006).
-
[11]
Une notion élaborée par Andy Clark et David Chalmers (1998).
-
[12]
« Notre corps n’est pas dans l’espace comme les choses : il l’habite ou le hante, il s’y applique comme la main à l’instrument, et c’est pourquoi, quand nous voulons nous déplacer, nous n’avons pas à le mouvoir comme on meut un objet. Nous le transportons sans instruments, comme par une sorte de magie, parce qu’il est nôtre et que, par lui, nous avons directement accès à l’espace. Il est pour nous beaucoup plus qu’un instrument ou un moyen : il est notre expression dans le monde, la figure visible de nos intentions. Même nos mouvements affectifs les plus secrets, les plus profondément liés à l’infrastructure humorale, contribuent à façonner notre perception des choses » (Merleau-Ponty 2000 : 39).
-
[13]
C’est ainsi qu’Ernst Cassirer définit l’être humain dans sa philosophie des formes symboliques.
-
[14]
Sa théorie a suscité de nombreuses réactions que je ne peux pas traiter en détail dans cet article.
-
[15]
« La peinture est une science et elle devrait être une constante recherche des lois de la nature. Et pourquoi ne pas considérer la peinture des paysages comme une branche de la philosophie de la nature, dont les expériences ne seraient autres que des tableaux ? » (cité dans Gombrich 1987 : 57-58.)
-
[16]
Analysant les raisons possibles pour la « perte de vitesse » de l’esthétique, il continue : « Beaucoup d’esthéticiens sont très forts pour formuler des notions théoriques, mais ne les examinent pas sérieusement en rapport avec les arts eux-mêmes » (Carter 2004 : 2). Si cette critique est correcte, autrement dit, si les esthéticiens ignorent « les arts eux-mêmes », on ne doit pas s’étonner qu’ils ne soient pas ouverts à des phénomènes ou des champs d’investigation comme ceux des sciences naturelles.
-
[17]
Le Congrès de Makuhari en 2001 a été un bel effort non seulement pour faire se rencontrer des options esthétiques au-delà des clivages estouest, mais aussi pour insuffler une énergie nouvelle dans la discipline. En dehors de cela, et si l’on en juge par les activités de l’Association Internationale d’Esthétique au cours des dix dernières années, il semble y avoir peu de signes de réelle ambition pour dépasser la tradition ou pour envisager l’avenir d’une manière significativement différente du passé. Même lorsqu’on y parle de « changements », il s’agit d’acquiescement poli plutôt que de réelle initiative pour s’ouvrir à de nouvelles disciplines académiques et à de nouvelles pratiques sociales qui conduiraient à de vrais changements. – Ce que l’on constate, c’est une auto-satisfaction avec la routine, la célébration du connu, le manque de courage pour la nouveauté et le manque de motivation pour des échanges pluridisciplinaires.