Diogène 2006/1 n° 213

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Article de revue

Une théorie de la naissance des rumeurs

Pages 107 à 132

Notes

  • [*]
    Gérald Bronner : maître de conférences en sociologie à l’université Paris-Sorbonne. Ses recherches portent sur les croyances collectives et la cognition sociale. Il a, sur ce sujet, publié L’Empire des croyances (Paris, puf 2003).
  • [1]
    La notion de marché est ici prise en un sens métaphorique. Le marché cognitif n’a pas les mêmes caractéristiques que le marché économique, mais il partage avec lui certains traits, et cette communauté justifie l’utilisation de cette métaphore. Le marché cognitif appartient à une famille de phénomènes sociaux (à laquelle appartient aussi le marché économique) où les interactions individuelles convergent vers des formes émergentes et stables (sans être réifiées) de la vie sociale. Il s’agit d’un marché car s’y échangent ce que l’on pourrait appeler des produits cognitifs : hypothèses, croyances, connaissances etc. De la même façon que pour les phénomènes économiques, la pure concurrence entre les produits cognitifs (nécessitant une série de critères impossibles à réunir : exhaustivité de l’information etc.) n’existe pas. Le sociologue des croyances aura donc pour tâche de décrire les différentes caractéristiques de ce marché qui influent beaucoup sur la diffusion et le succès de certaines croyances. Pour des développements sur cette notion voir Bronner (2003).
  • [2]
    Par exemple la théorie du noyau central de Abric (1989) ou du principe organisateur de Doise (1985).
  • [3]
    Voir tout de même le livre collectif sous la direction de Moliner (2001).
  • [4]
    C’est pour tenter d’éclaircir un peu ce sujet que j’y ai consacré un livre (Bronner 2006).
  • [5]
    Comme le rappelle, par exemple, Kapferer (1995, p.11) : « Sauf exception, le chercheur en apprend en général trop tard l’existence : la rumeur est soit terminée, soit dans sa phase finale. »
  • [6]
    Par exemple Campion-Vincent et Renard (2002, p.12) : « Ces créations sont anonymes et collectives ; car, bien que nées d’innovations individuelles, elles sont transmises et constamment réélaborées par le groupe social dans lequel elles jouent un rôle fonctionnel. »
  • [7]
    Elle correspond à la thèse du marché cognitif que je propose dans Bronner (2003).
  • [8]
    Conformément à certaines des propositions des neurosciences qui considèrent que l’apprentissage humain se fait toujours par un tâtonnement cognitif, voir par exemple Changeux (2002).
  • [9]
    La seule qui permettait une approche expérimentale.
  • [10]
    En réalité, plusieurs situations énigmatiques furent testées pour éprouver les hypothèses, mais les limites volumétriques d’un article ne me permettent pas d’en exposer plus d’une.
  • [11]
    On s’assurait au cours de l’entretien que l’interviewé n’avait jamais entendu parler de cette situation auparavant. Les entretiens qui ne correspondaient pas à ce critère furent éliminés de l’analyse.
  • [12]
    Ce que les psychologues sociaux appellent l’analyse prototypique et catégorielle : elle consiste à croiser le rang d’apparition du scénario et sa fréquence dans le discours (pour plus de précisions, Vergès, 1992 et 1994).
  • [13]
    Je remercie ici la promotion de la licence pluridisciplinaire 2003-2004 sans l’aide matérielle de laquelle cette recherche eût été beaucoup affaiblie.
  • [14]
    Les interviewés lisaient les énoncés un certain nombre de fois et l’entretien ne commençait qu’à partir du moment où ils déclaraient avoir compris l’énigme.
  • [15]
    Je remercie J. B. Renard et V. Campion-Vincent pour les précisions qu’ils ont eu la gentillesse de m’apporter sur cette affaire.
  • [16]
    Le journal Libération (01/11/83) semble admettre que quelques cas de fraudes sont avérés, sans en dire plus. La chose n’est bien sûr pas impossible, mais, comme le précise le quotidien, le phénomène est tellement marginal qu’il ne peut prétendre à rendre compte de l’énigme présentée.
  • [17]
    Par référence à la schèmatologie de Berthelot (1996).
  • [18]
    Je remercie la promotion 2004-2005 de licence pluridisciplinaire de l’Université de Nancy 2 sans l’aide matérielle de laquelle cette recherché eût été beaucoup affaiblie.
  • [19]
    L’ordre dans lequel était présenté les scénarios possibles était aléatoire afin de ne pas introduire de biais dans l’expérimentation.
  • [20]
    Ce point m’a semblé intéressant car les anthropologues cognitifs focalisent leur attention sur ce facteur mnésique pour penser la diffusion de la croyance. Or, on sait que, dans la réalité, c’est le scénario 10 qui s’est imposé. Il semble que le facteur mnésique ne puisse en rendre compte à lui tout seul. Ce résultat (fondé il est vrai sur un nombre limité d’entretiens : 60) me conforte dans l’option retenue pour cette recherche de prendre en compte plusieurs facteurs pour simuler l’émergence d’une croyance.
English version

Introduction et problématique

1Il arrive que l’on connaisse très bien l’origine d’une croyance collective. Par exemple, l’histoire du base-ball aux États-Unis constitue une sorte de mythe contemporain, mais dont l’origine n’est pas mystérieuse. Il existe aux États-Unis un lieu nommé Temple de la renommée, dédié aux grandes figures de l’histoire du baseball. On peut trouver ce temple à Cooperstown, une petite ville américaine du centre de l’État de New York qui n’a, par ailleurs, rien de remarquable. Pourquoi y avoir érigé un bâtiment célébrant ce sport si emblématique des États-Unis ? Tout simplement parce que le fameux base-ball est censé y avoir été inventé par un certain Abner Doubleday en 1839. La date est précise, mais le mythe des origines qui lui est associé ne l’est pas moins. Doubleday aurait, en cette première partie du xixe siècle, interrompu des enfants jouant aux billes derrière l’échoppe du tailleur de la ville. Il aurait alors entrepris de leur enseigner les règles d’un nouveau jeu, plus réjouissant, qu’il venait d’inventer (si l’on suit ce mythe des origines) et qu’il proposait d’appeler : base-ball. Il dessina alors un terrain miniature sur le sol : la première partie de ce sport si typiquement américain pouvait commencer.

2Voici donc l’énoncé de ce mythe. Or, tous les historiens du sport s’accordent pour dire que cette version des faits est fantaisiste. En effet, on sait qu’en 1907 A. G. Mills présida une commission qui s’était donnée pour tâche de découvrir les origines de ce sport. Celle-ci était composée de notables, dont certains avaient présidé la ligue nationale. Il y avait, parmi eux, A. G. Spalding qui avait été à l’initiative de la constitution de cette commission. On examina témoignages, archives, mais rien de probant, rien qui puisse élucider le mystère des origines du base-ball, jusqu’à ce que Spalding apporte une lettre d’un ingénieur des mines de Denver, Abner Graves. Celle-ci narrait sans autre argument le mythe de la fondation du base-ball par Doubleday à Cooperstown. La commission ne put faire autrement que trouver la preuve un peu faible, mais comme tout le monde s’était mis d’accord pour admettre que le base-ball avait bel et bien été inventé aux États-Unis, un mythe venait de naître. En réalité, il n’y avait pas vraiment d’origine fixe de ce sport, les spécialistes admettent que sous la forme qu’on lui connaît, il résulte d’un obscur processus d’évolution de plusieurs jeux de balle-au-camp anglais. Il y avait dans la création de ce mythe des objectifs d’identité nationale, mais aussi l’expression d’une aversion courante de la pensée pour les modèles d’explications pluricausales. Le mythe du base-ball présente ce sport comme s’il avait une essence, et donc une origine unique.

3Les raisons pour lesquelles les vraies origines du base-ball restent obscures ressemblent beaucoup à celles qui compliquent la tâche du chercheur lorsqu’il s’intéresse à l’émergence d’une croyance en général et d’une rumeur en particulier sur le marché cognitif [1]. En effet, il ne connaît alors cette croyance collective que sous sa forme constituée, mais ne sait pas grand-chose de son processus de constitution. Il peut donc supposer abusivement, comme A. G. Spalding, qu’elle a une origine unique, sans voir qu’elle a peut-être connu des mutations successives, des amputations, des hybridations avec des croyances concurrentielles ou complémentaires, etc.

4On commence à savoir un certain nombre de choses sur ce que l’on peut appeler la statique des croyances[2], c’est-à-dire la façon dont elles sont hiérarchisées, rendues approximativement cohérentes et dont elles se défendent face aux démentis de la réalité. On en sait beaucoup moins sur la question de la dynamique des croyances[3] : comment se transforment-elles, comment disparaissent-elles ? On ne sait presque rien, enfin, sur la génération des croyances[4], c’est-à-dire sur leur processus d’émergence sur le marché cognitif. C’est en particulier vrai pour le phénomène de la rumeur [5], sur lequel je concentrerai mon attention dans cet article.

5Pourquoi une rumeur naît-elle, à quoi ressemble son processus d’émergence, comment acquiert-elle une certaine stabilité ?

6Les spécialistes [6] de cette question font presque unanimement remarquer que les rumeurs ont une utilité sociale, qu’elles disent quelque chose de l’état de nos interrogations et de nos angoisses partagées, qu’elles sont une sorte de métalangage collectif. Cette thèse serait sans doute excessive si elle était généralisée, mais il est vrai que les rumeurs revêtent sous leur forme aboutie, si ce n’est toujours une fonction, du moins souvent une efficience sociale. De là, en convoquant l’ancienne maxime selon laquelle la fonction crée l’organe, pourrait-on croire l’énigme de l’émergence de la rumeur résolue : la naissance d’une rumeur viendrait de ce qu’elle aurait une utilité sociale, elle émergerait lorsque le besoin s’en ferait sentir.

7Cette constatation, cependant, déplace l’énigme plutôt qu’elle ne propose de la résoudre. En effet, sans autre précaution, cette proposition recèle des difficultés théoriques redoutables. Ainsi, il s’agit de postuler que la génération d’une croyance est placée sous l’autorité d’une causalité téléologique : puisque au terme de sa constitution la rumeur est censée assumée une fonction sociale, c’est que quelque chose l’y fait tendre initialement. C’est la fin qui est ici la cause de l’origine du processus. Or, si le régime téléologique de la causalité est utilisé avec bonheur pour éclairer les actions et décisions d’individus doués de raison, sa mobilisation dans le cas présent est un peu incommode. En effet, on doit supposer que les croyances ont, en elles, dès leur naissance, une force qui les fait tendre vers ce qu’elles doivent devenir si leur destin est d’assumer une fonction sociale.

8C’est un problème dont la nature intellectuelle n’est pas sans en rappeler un autre qui occupa un temps la biologie. En effet, de même que les rumeurs sont « adaptées » à leur environnement social, la vie, dans sa formidable diversité, est adaptée à son environnement (fonction de prédation, de protection, de reproduction, d’alimentation, etc.). Comment en rendre compte ?

9L’histoire des idées a retenu deux figures emblématiques de ce débat en biologie : Darwin et Lamarck. Le second concevait que la nature était animée par un mystérieux « principe vital » qui faisait, par exemple, s’allonger, d’une génération à l’autre, le cou des girafes pour qu’il puisse servir une fonction biologique fondamentale : l’alimentation. On sait que Darwin proposa à l’énigme de l’adaptation des morphologies du vivant à l’environnement une solution beaucoup plus satisfaisante parce qu’elle ne se fondait sur aucune hypothèse ad hoc. Pour lui, les modifications biologiques survenaient aveuglément, sans aucune autre intention que celle du hasard, la cruelle sélection ne retenant que les formes aptes à survivre, par conséquent, l’observateur pouvait avoir l’illusion, comme Lamarck, que la formidable adaptation du vivant était la conséquence d’une mystérieuse force téléologique. Cette illusion ne tenait que pour autant qu’on était incapable de reconstruire le processus d’émergence et de modification de la vie.

10C’est intellectuellement au point où nous en sommes avec la question de la rumeur.

11Deux hypothèses virtuelles se proposent pour solutionner l’énigme de l’efficacité sociale de la rumeur. La première correspond, dans son esprit, à celle du lamarckisme en biologie. Elle considère que les objets sémantiques tendent vers une fonction sociale qui assure leur genèse, leur survie, donc leur diffusion, rôle que Jean-Baptiste de Monet, chevalier de Lamarck, attribuait à une mystérieuse force vitale, contenue dans toute vie, qui orientait l’évolution biologique. La deuxième, au contraire, est une position « darwinienne [7] ». Elle affirme que c’est parce qu’un processus de sélection a déjà eu lieu au moment où l’observateur enregistre la forme émergeante d’une idée, et que les moins « adaptés » ont été éliminés, que les objets dominants peuvent donner l’illusion qu’ils tendaient, dès leur origine, vers une fonction sociale. En d’autres termes, plusieurs croyances peuvent émerger concernant le même objet, ces croyances n’apparaissent pas totalement au hasard puisque l’imagination humaine est limitée et partiellement structurée, mais du moins ne sont-elles pas orientées a priori vers une fonction sociale. Ensuite, elles sont comme des produits qui se proposent sur un marché : livrées à la concurrence. La sélection fait alors son office, certains disparaissent, d’autres « survivent ». À ce stade, les énoncés ne sont pas toujours arrivés à maturité et plusieurs processus sont possibles qui peuvent les transformer comme l’indique le schéma ci-dessous.

figure im1

12La confirmation : la croyance apparaît initialement sous une forme performante, elle ne subit aucune transformation notable.

13L’hybridation : deux produits concurrentiels fusionnent et produisent une nouvelle croyance.

14L’élimination : Un produit apparaît, puis disparaît simplement parce qu’il cesse d’être cru ou parce que les conditions de sa diffusion ne sont pas réunies.

15La mutation : un produit se transforme, par adjonction ou amputation d’un ou de plusieurs éléments.

Les expérimentations

16Pour mieux faire comprendre comment peut se produire le processus de sélection sur le marché cognitif, j’ai mené trois expérimentations qui tentent de décrire le genre de tâtonnements cognitifs [8] qui précèdent l’émergence de certaines rumeurs. Mais, pour ce faire, je ne me suis intéressé qu’à l’une des trois situations [9] que Kapferer (1995, p. 140) considère comme propice à l’émergence de la rumeur : celle où des faits ambigus créent une demande de réponses insatisfaites.

17Dans les deux premières expérimentations, il s’agissait de confronter des individus volontaires seuls ou en groupe à des énoncés narrant une situation énigmatique [10]. Des entretiens étaient alors réalisés où l’on demandait aux sujets de proposer une ou plusieurs solutions possibles à l’énigme. La situation évoquée dans les entretiens individuels ou collectifs n’était pas factice, elle s’était réellement produite par le passé et avait généré une rumeur [11]. Une troisième expérimentation proposait à des sujets une liste d’une quinzaine de solutions à l’énigme et mesurait le travail de sélection de la mémoire. Ces trois expérimentations seront décrites plus bas en détail, mais pour en expliquer l’intention, je dirais que trois critères d’analyse de contenu, qui s’inspirent des travaux fondamentaux sur la question, ont servi à constituer le protocole. Ces trois critères prétendent simuler, en première approche, le processus de sélection sur le marché cognitif et, comme on le verra (en faisant varier les facteurs individuels/collectifs, contextuels/acontextuels), l’environnement social.

18Les trois critères de sélection sur le marché cognitif :

19• Le critère d’évocation traduit la facilité avec laquelle les individus, seuls ou en groupe, évoquent tel ou tel scénario. Je m’inspire ici des travaux de la psychologie sur les représentations sociales. Il s’agissait de tenir compte à la fois de la spontanéité avec laquelle un récit apparaissait dans le discours (en repérant l’ordre dans lequel les scénarios étaient mentionnés) et de la récurrence du thème dans l’entretien [12]. Je misais ici sur le fait que plus le facteur d’évocation d’un récit est fort, plus sa probabilité d’apparition sur le marché cognitif est importante. Bien entendu, une fois le récit constitué, rien ne dit qu’il s’imposera. Le critère d’évocation sera noté, dans le texte et dans les graphiques, ipc (c’est-à-dire indice prototypique et catégoriel).

20• C’est pourquoi j’ai retenu un deuxième critère, celui de la crédibilité. Il traduisait l’évaluation subjective des individus quant à la crédibilité des différents scénarios évoqués en supposant que la force de leur conviction avait quelque chose à voir avec la nature des arguments soutenant les récits. Je m’inspirais ici de la tradition boudonienne de la sociologie cognitive.

21• Un troisième critère, enfin, fut retenu, celui de la mémorisation qui traduisait l’effet cognitif produit par les scénarios sur les esprits. Sur ce point, je m’inspirais de certains des travaux de l’anthropologie cognitive.

La première expérimentation : les entretiens individuels

22144 entretiens ont été réalisés [13] en face à face auprès de 72 hommes et 72 femmes. La moitié des interviewés se voyait soumettre un énoncé décrivant sommairement les faits de la première énigme et une autre moitié, un autre énoncé d’où l’on avait retiré toute mention contextuelle (époque, endroit, nature des individus concernés). En d’autres termes, chaque sujet était confronté à une énigme avec contexte ou sans contexte. Après avoir enregistré toutes les solutions imaginées par l’interviewé, on lui demandait de choisir celle qui lui paraissait la plus crédible.

23L’hypothèse fondamentale qui soutient l’expérience que je présente ici est que les scénarios qui peuvent émerger face à une énigme et qui deviendront peut-être bientôt des croyances sont sans doute sans cesse renouvelables, mais sont aussi, quant à leurs « structures », quant aux schèmes qui les soutiennent, quant à leur argumentation sous-jacente, liés à un espace logique restreint. L’ambition est ici de sérier cet espace logique en voyant bien que le contexte, on va le mesurer, est un facteur important de la variation de ces scénarios.

Le xiiie arrondissement de Paris et la dissimulation des morts

24Voici donc l’énoncé de l’énigme [14], avec contexte et sans contexte, qui donnèrent lieu à une première série d’entretiens :

Énoncé avec contexte

Normalement, on dénombre une centaine de morts par an dans une population de 10 000 habitants. Or, dans les années 80, on a remarqué que dans le quartier chinois du xiiie arrondissement de Paris, qui compte 10 000 habitants environ, il n’y avait que deux ou trois morts par an. Comment expliquer cette différence ?

Énoncé sans contexte

Normalement, on dénombre, en moyenne, une centaine de morts par an dans une population de 10 000 habitants. Or, on a remarqué que dans un quartier précis d’une grande ville x, quartier peuplé de 10 000 habitants, il n’y avait que deux ou trois morts par an. Comment expliquer cette différence ?

25Ces faits, tout à fait réels [15], engendrèrent, dans le Paris des années 80, une croyance remarquable qui permettait de résoudre de façon crédible l’énigme posée en mobilisant une solution qui avait des chances de frapper les esprits en une période où le thème de l’immigration était l’enjeu de beaucoup de débats. Elle affirmait ceci : on ne déclare pas les morts dans cette communauté pour pouvoir récupérer leurs papiers. Les corps sont acheminés et enterrés vers des pays voisins (Hollande, Belgique) de façon anonyme. De cette façon, il est possible, et lucratif, de faire entrer de nouveaux émigrés qui seront des « vrai-faux » clandestins. Ces papiers sont revendus et permettent l’arrivée d’une nouvelle main-d’œuvre bon marché.

26Le scénario et l’argumentation qui fondent cette croyance semblent acceptables et même plutôt convaincants, mais, mis à part de très rares exceptions [16], ne renvoient à aucune réalité. Ils se présentent sous la forme d’un paralogisme que voici.

271) Pour une population de 10 000 personnes, on dénombre une centaine de morts par an.

282) Dans la population du xiiie arrondissement, on dénombre moins d’une dizaine de morts par an.

293) Il y a des morts dans cette communauté qui ne sont pas déclarés.

30Où est le défaut argumentatif ici ? Dans la comparaison initiale. En effet, prévoir le nombre de morts dans deux populations distinctes suppose qu’elles soient comparables, notamment dans leur structure d’âge. C’est la clause toutes choses égales par ailleurs qui est oubliée. Car la prémisse 1) néglige le terme « en moyenne ». En effet, on ne dénombre une centaine de morts dans une population de 10 000 personnes qu’en moyenne. Selon la structure démographique de cette population, par exemple, ce chiffre peut largement varier. Or, la communauté asiatique considérée était caractérisée par un grand nombre d’enfants en bas âge et, d’une façon générale, de jeunes gens. Cette situation démographique n’était donc pas comparable avec celle de la population française plutôt vieillissante. Par conséquent, il n’y avait rien d’étonnant à constater un taux de mortalité moindre dans cette communauté.

Les résultats

A – Les résultats généraux

31Les résultats ne montrent aucune différence remarquable entre les hommes et les femmes tant pour le nombre de scénarios évoqués (5,12 pour les hommes ; 5,08 pour les femmes) que pour la spontanéité avec laquelle certains le furent et la crédibilité qui leur fut accordée.

32En revanche, la présence ou non du contexte dans l’énoncé bouleversera le rapport de force entre les différentes postures mentales exprimées à travers les scénarios.

33Avant cela, notons à titre introductif que le nombre moyen de scénarios évoqués par personne est de 5,11. La différence sur ce point entre les entretiens avec et sans contexte n’est pas probante, même si on peut noter marginalement que le contexte semble inhiber légèrement les imaginations, puisque le nombre moyen de scénarios évoqués dans les entretiens sans contexte est légèrement inférieur à cinq.

34Un des faits les plus remarquables à ce niveau d’analyse est que les individus évoquent la plupart du temps (dans 90% des cas) des scénarios monocausals. Ils en imaginent volontiers plusieurs, mais qui sont disjoints les uns des autres. Il y a une gymnastique mentale minimum pour concevoir qu’un effet puisse être produit par deux causes simultanées. Certains auteurs comme Fischhoff (1984) ou Nisbett et Ross (1980) ont déjà souligné, quoique de façon très différente, l’attraction des esprits pour les explications monocausales.

B – Les stratégies d’inversion et de séparation

35Une première typologie des scénarios inventés par les interviewés pour résoudre l’énigme fut réalisée sur la base d’un échantillon aléatoire issu de 30 entretiens ; elle dégage quinze types de scénarios dont certains sont assez proches.

361. Hygiène de vie : Dans ce scénario, les individus sont censés avoir une meilleure espérance de vie parce qu’ils se nourrissent mieux, qu’ils ne fument pas, qu’ils ne boivent pas, etc.

372. Démographie 1 : Ce scénario propose la bonne solution, si le taux de mortalité est faible dans ce quartier, c’est parce que ses habitants sont plus jeunes que la moyenne de la ville.

383. Démographie 2 : C’est l’idée symétrique qui est présentée ici puisqu’on suppose que les personnes âgées quittent le quartier avant de mourir (elles retournent en Chine par exemple).

394. Argument de la séparation : Cf. plus bas.

405. Infrastructure médicale : Le taux de mortalité est bas dans ce quartier parce que les habitants y bénéficient d’un meilleur encadrement médical.

416. Sécurité environnementale 1 : le quartier en question est particulièrement protégé naturellement. On note que ce scénario est souvent hybridé avec le scénario d’inversion car les récits mentionnent souvent le fait que ce quartier à la faible mortalité a pu être épargné par une inondation qui a touché le reste de la ville.

427. Sécurité environnementale 2 : le quartier en question serait protégé de l’insécurité créée par les hommes (délinquance, insécurité routière si le quartier est piéton…).

438. Inversion : Cf. plus bas.

449. État psychologique : La population du quartier aurait une meilleure hygiène mentale, serait moins angoissée, moins déprimée…

4510. Disparition des morts : Il s’agit du scénario qui s’était répandu dans les années 80 à Paris.

4611. Statistiques fausses : Ici, on conteste tout simplement la réalité des chiffres proposés par l’énoncé, la méthode de calcul…

4712. Statut social : Dans ce quartier vivrait une population aisée qui aurait une meilleure espérance de vie.

4813. Sexe : Dans ce quartier vivraient plus de femmes qui ont une meilleure espérance de vie.

4914. Religion – culture : La population de ce quartier aurait une culture, une religion qui favoriseraient l’allongement de la vie (par exemple, elle enjoindrait de s’occuper convenablement des vieillards).

5015. Autre : Sont regroupés ici les rares scénarios échappant à la typologie précédente.

51Certains de ces scénarios seront sensibles à l’énoncé du contexte ; parmi eux, deux le seront tout particulièrement : Ceux qui ont recours à une manipulation dont le résultat est de simplifier abusivement l’énigme (scénarios 4 et 8).

52Dans le graphique ci-dessous, on voit que la présence de ces deux scénarios (selon le critère d’évocation) dépend fortement de celle du contexte : avec le contexte, ils tendent à disparaître.

figure im2

53Le scénario 4 est celui de la séparation. Les individus imaginent, contrairement à ce que propose l’énoncé, que la zone où le taux de mortalité est plus faible est, géographiquement ou temporellement, séparée de celle où elle est normale. Par exemple, certains expliquent que la zone à faible mortalité se situe dans un pays occidental tandis que la zone où 100 personnes sur 10 000 meurent en moyenne par an appartient à un pays plus pauvre. Des partitions urbain/rural, passé/présent se proposent encore pour aider à solutionner l’énigme.

54Le scénario 8, quant à lui, propose une inversion du problème. Alors que l’énoncé affirme que le taux de mortalité de 100 pour 10 000 par an est normal, l’interviewé va considérer qu’il s’agit d’une surmortalité tandis qu’il considérera comme normale la sous-mortalité du mystérieux quartier. Dès lors, il ne lui restera plus qu’à expliquer, non pas pourquoi l’on meurt moins en moyenne dans ce quartier, mais pourquoi l’on meurt plus ailleurs. Certains évoquaient, par exemple, une catastrophe naturelle qui aurait épargné le quartier à faible mortalité. Il semble qu’il soit plus aisé d’élucider ce qui peut interrompre la vie, plutôt que ce qui peut la prolonger.

55Les scénarios 4 et 8 furent presque toujours hybridés avec d’autres puisqu’ils ne constituent pas en soi une résolution de l’énigme, mais seulement une posture qui facilite cette résolution. L’apparition du contexte dans l’énoncé interdit presque ce recours dans la mesure où il est précisé que les choses se déroulent à Paris et dans le quartier chinois, et que, dès lors, le recours aux schèmes de séparation et d’inversion devient périlleux, même pour l’esprit de mauvaise foi. La sélection fait donc son œuvre et ces scénarios disparaissent.

La réduction de la typologie

56Les treize autres types de scénarios peuvent être ramenés à une typologie simplifiée qui dépasse les histoires narrées pour dégager les postures mentales qu’elles impliquent. Pour me faire comprendre, il faut en revenir au problème sous sa forme stylisée.

57L’énigme qui est posée implique en fait une question d’hétérogénéité. Il s’agit de savoir pourquoi, dans un espace homogène, une zone va présenter des caractéristiques hétérogènes, en d’autres termes pourquoi, dans une ville, un quartier présente une mortalité moindre. Sous une forme simplifiée, l’énigme se présente comme suit avec trois catégories qui pourront être mobilisées pour la résolution de l’énigme.

figure im3

58La zone 2 représente le reste de la ville, la zone 1 représente le quartier où la mortalité est faible et le P désigne la population de la zone 1.

59Dès lors, le scénario 4 apparaît comme une stratégie de dissociation des zones 1 et 2 que n’autorise pas l’énoncé et dont la difficulté est rendue plus explicite encore par la mention du contexte. Le scénario 8, quant à lui, indique que l’esprit focalise sur la zone 2 plutôt que sur la zone 1, ce qui contredit, là encore, l’énoncé de l’énigme.

60La typologie simplifiée que j’évoquais plus haut permet de ramener les scénarios à quatre postures mentales simples.

61La première sera celle des causes exogènes : on y trouvera tous les scénarios qui prétendent expliquer la faible mortalité de la zone 1 par des caractéristiques de cette zone qui viendraient s’imposer aux individus. Par exemple, il y aurait, dans cette zone, de meilleures infrastructures médicales qui permettraient de prendre en charge plus facilement les blessés ou les malades ; certains évoquent encore la possibilité que le quartier soit piéton et que les habitants soient peu confrontés à l’insécurité routière, etc.

62La deuxième sera celle des causes endogènes. S’y trouveront regroupés tous les scénarios qui prétendront expliquer cette faible mortalité de la zone 1 par les caractéristiques de la population qui l’habite. Par exemple, la population considérée a un statut social supérieur aux autres quartiers, elle a une meilleure alimentation, une meilleure hygiène de vie, résiste mieux au stress pour des raisons culturelles, etc.

63La troisième sera nommée herméneutique[17] : on regroupera, sous cette étiquette, les scénarios qui contestent la réalité des statistiques mentionnées dans l’énoncé de l’énigme et considèrent qu’elles cachent quelque chose qu’il s’agit de deviner. Le scénario émergeant de cette posture est celui de la disparition des morts : la population de la zone 1 fait disparaître ces morts et ne les signale pas pour diverses raisons, la conséquence est que l’on a le sentiment fallacieux qu’on y meurt moins qu’ailleurs.

64La quatrième de ces postures sera appelée explication structurelle parce qu’y seront regroupés les scénarios qui analyseront la structure de la population de la zone 1 en termes de sexe ou de classe d’âge pour tenter de résoudre l’énigme posée. Le scénario 2, par exemple, considère que l’espérance de vie est meilleure dans la zone 1 parce que des jeunes sont venus s’y installer, le scénario 3, connexe du précédent, prétend lui que c’est parce que les vieux fuient ce quartier. Le scénario 13, beaucoup plus rare, considère que c’est un quartier où vivent plus de femmes que d’hommes et que les premières ayant une espérance de vie supérieure aux seconds, ceci expliquerait le faible taux de mortalité de la zone 1.

Tableau. Scénarios classés selon leur schème explicatif

tableau im4
Causes exogènes Causes endogènes Solution herméneutique Explication structurelle Scénarios concernés 5, 6, 7 1, 9, 12, 14 10, 11 2, 3, 13

Tableau. Scénarios classés selon leur schème explicatif

65Le critère d’évocation (ipc) permet d’indiquer quelque chose du premier rapport de force entre les postures cognitives. Le graphique qui suit permet de voir que, face à cette énigme « d’hétérogénéité », les explications endogènes s’imposent dans les discours.

figure im5

66Le graphique de la crédibilité semble apporter une information intéressante.

figure im6

67On le voit, les causes structurelles qui étaient assez faibles ordinalement pour l’ipc dépassent toutes les autres quant au facteur de crédibilité. Cette posture structurelle, dans ce problème d’hétérogénéité, semble apporter une satisfaction cognitive plus grande en moyenne, ce qui peut être interprété en termes de rationalité procédurale. En effet, certains produits cognitifs, comme ici les causes structurelles, seront plus satisfaisants que d’autres, mais ne s’imposeront pas forcément si les efforts mentaux pour les découvrir sont trop coûteux. L’explication par les causes structurelles est moins aisée, moins spontanée que les explications endogènes, par exemple, mais lorsqu’elles sont mentionnées, elles jouissent d’une sorte d’effet de dévoilement qui entraîne souvent la conviction de l’interviewé. En effet, dans 65% des cas, lorsque la cause structurelle est évoquée, c’est aussi elle qui est choisie comme la plus crédible, ce qui n’est vrai que dans 30% des cas environ pour les causes endogènes (soit moitié moins). Pour comprendre ces chiffres, il faut se rappeler que la posture endogène est plus fréquemment évoquée que celle des causes structurelles.

Résultats avec et sans contexte

68On constate qu’il y a, dans certains cas, une grande variation de l’importance des scénarios dans les discours selon que le contexte est précisé ou non. En réalité, les scénarios varient par grappes, selon qu’ils sont rattachés à telle ou telle posture mentale (ce qui justifie a posteriori les regroupements qui ont été opérés). D’une façon générale, on note que l’absence de contexte a tendance à aiguiser l’imagination et les discours, ce qu’avait suggéré déjà le nombre moyen de scénarios évoqués par individu. Comme on le voit dans le graphique qui suit, les indices ipc sont plus importants sans le contexte.

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69Une seule exception : la posture herméneutique. Le scénario de la disparition des morts est celui qui bénéficiera le plus de la présence du contexte dans l’énoncé car celui-ci tend à faire focaliser l’esprit sur les caractéristiques ethnico-culturelles en active des stéréotypes (ethniques en l’occurrence). C’est pour cette raison que, à l’inverse, la posture qui pâtit le plus de la présence du contexte est l’explication par les causes exogènes. Ceci est vrai pour l’ipc où ce mode d’explication passe de la position numéro deux sans le contexte à la dernière place avec le contexte, comme pour la crédibilité où il s’effondre littéralement et occupe de loin la dernière position. La mention de la spécificité nationale de la population rend moins satisfaisante, du point de vue cognitif, la catégorisation par la zone 1, c’est-à-dire l’espace social où se manifeste l’hétérogénéité. Il n’y aura donc aucune surprise à constater la force de la posture endogène pour le critère ipc Elle domine les autres dans tous les domaines dès lors que le contexte est précisé.

70En revanche, elle perd sa primauté dans l’évaluation de la crédibilité lorsque les individus sont confrontés aux énigmes sans le contexte. Comme on le voit dans le graphique qui suit, c’est alors la posture structurale, qui l’emporte ce qui apparaissait déjà dans les résultats généraux.

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Les entretiens collectifs

71Parallèlement à cette recherche, j’ai voulu voir l’influence que pouvait avoir la délibération collective sur la résolution de cette énigme [18]. Le groupe aura-t-il plus d’imagination que l’individu ? Le rapport de force entre les différentes postures mentales sera-t-il modifié ? Selon quels critères (crédibilité, spontanéité, récurrence) ?

72Voici le protocole qui fut choisi pour répondre à ces questions. On soumettait, de la même façon que pour les entretiens individuels, à un groupe de quatre personnes, l’énigme de la mortalité du xiiie arrondissement. L’entretien ne commençait que lorsque chacun déclarait avoir compris les termes du problème. Une conversation s’engageait alors entre les sujets où l’intervieweur utilisait les techniques habituelles de l’entretien pour stimuler l’expression individuelle tout en favorisant le débat. Il notait, dans l’ordre d’apparition, les scénarios. Ensuite, lorsqu’il s’était assuré que personne n’avait plus de solutions à proposer à l’énigme, il suscitait une discussion sur la crédibilité de chaque scénario en demandant par exemple : « Si vous aviez à parier sur l’une des solutions que vous avez proposées, laquelle choisiriez-vous ? »

73Une fois la conversation achevée, il faisait voter anonymement les quatre interlocuteurs pour recueillir leur point de vue. Cette procédure du vote anonyme après l’échange libre, fut adoptée pour laisser à la fois l’influence des différents arguments opérer et les intimes convictions s’exprimer.

74On recueillait donc plusieurs informations : le nombre et le type de scénarios évoqués, l’ordre dans lequel ils l’étaient et leur crédibilité.

75Certains groupes (30) se voyaient proposer l’énigme avec contexte, d’autres (30) sans contexte. En tout, 60 groupes furent interrogés (soit 240 individus). Comme la variable sexe n’avait pas eu d’impact notable pour les entretiens individuels, elle fut abandonnée. En revanche, un critère de dispersion fut retenu : l’âge moyen des groupes devait être supérieur à 35 ans ; par ailleurs, ceux-ci devaient être composés d’individus exerçant des professions différentes. En outre, on signalait sur la fiche d’entretien lorsque certains individus du groupe interviewé se connaissaient au préalable.

76Ces remarques de méthode faites, le premier constat est que, dans les conditions de ce protocole, les individus en groupe (de quatre) ont plus d’imagination que les personnes seules. Cela n’a rien d’étonnant, mais on aurait pu s’attendre tout aussi bien au résultat inverse dans la mesure où le groupe peut inhiber la parole. Cela n’a pas été le cas, que les individus se connaissent ou qu’ils ne se connaissent pas. Dans certains cas en effet, les sujets de l’expérience étaient bons amis ou de simples connaissances ; dans d’autres, ils ne s’étaient jamais rencontrés.

Les résultats des entretiens collectifs

77Le nombre de scénarios évoqués en moyenne par entretien collectif est de 7. Je rappelle que pour les entretiens individuels il était de 5,11. On retrouve, de même que dans les entretiens individuels, une différence entre les entretiens faits avec contexte et les entretiens sans contexte. Le contexte, en effet, semble, là aussi, légèrement inhiber les imaginations : 6,3 scénarios sont évoqués en moyenne face à l’énigme avec contexte, alors qu’on en trouve 7,7 sans contexte.

78On peut faire l’hypothèse que la précision du contexte réduit le champ du possible de notre imaginaire. Il peut être tentant, à partir de là, de supposer qu’en situation sociale, c’est-à-dire avec un contexte réel, cette tendance est amplifiée et le nombre de scénarios envisagés diminue encore.

Le facteur d’évocation (ipc) dans les entretiens collectifs

79De la même façon que pour les entretiens individuels, l’ipc fut considéré comme un indice de la capacité des scénarios à être évoqués par les individus (celui-ci intègre, comme je l’ai rappelé plus haut, à la fois la récurrence et l’ordre d’apparition des scénarios dans les discours).

80Si l’on compare, au regard de l’ipc, les résultats des entretiens collectifs et individuels, on est frappé de ce que, globalement, les rapports de force entre les scénarios varient peu.

81Plusieurs choses, malgré tout, sont à remarquer. Tout d’abord, on observe un effondrement spectaculaire du scénario 4. Ce scénario, comme le 8, propose une résolution simpliste de l’énigme, fondée sur une mauvaise interprétation de l’énoncé. Dans les entretiens individuels, ce mode de résolution avait connu un grand succès, au point d’être dans le tiercé de tête des scénarios évoqués. Il n’en est rien dans les entretiens collectifs, comme si le fait d’être quatre rendait plus attentif à l’énoncé et aux erreurs d’interprétation possibles. Sans doute les sanctions sociales diffuses, le regard des autres, ont-ils inhibé le recours spontané à ce type de scénario. Le scénario 8 recule un peu lui aussi, mais moins spectaculairement, ce qui s’explique dans la mesure où il est fondé sur une erreur plus subtile, moins visible. Ce point n’est pas anodin car il souligne que tout à la fois l’existence d’un contexte d’énonciation et sa réception collective opère une sélection dans les scénarios possibles.

figure im9

82Deux éléments sont encore notables. Premièrement, on observe une évocation plus fréquente et plus spontanée dans les entretiens collectifs que dans les entretiens individuels, des scénarios 2 et 3, qui correspondent aux explications « structurelles ». Le scénario 2, en particulier (qui correspond à la vraie résolution de l’énigme), arrive en tête des évocations, alors qu’il n’était que second pour les entretiens individuels. Deuxièmement, on observe une percée du scénario 10 (disparition des morts) qui correspond à la croyance qui s’était répandue dans les années 80 à Paris. Cette saillance se confirmera par la suite et constituera l’une des informations notables des résultats de cette seconde enquête.

83Lorsque l’on ramène ces scénarios aux postures mentales aux quelles ils correspondent, les différences « individuel / collectif » disparaissent presque complètement. À peine remarque-t-on une légère augmentation des causes structurelles qui dépasse d’une courte tête les causes exogènes alors qu’elles les suivaient de près dans les entretiens individuels.

figure im10

84Les causes endogènes restent donc, dans cette énigme d’hétérogénéité, les plus facilement évoquées.

Avec et sans contexte

85On observe, dans les entretiens collectifs, les mêmes phénomènes que dans les entretiens individuels. On le voit dans le graphique qui suit, le contexte affaiblit considérablement les scénarios de type « exogène » de la même façon qu’il accroît la puissance d’évocation des scénarios « herméneutiques » puisqu’ils passent du simple au double. Un regard plus attentif permet même de constater que le scénario 10 passe du simple à plus du quadruple lorsque le contexte est précisé. On observait un phénomène semblable, mais beaucoup plus atténué dans les entretiens individuels.

figure im11

86Ce point est important car il se confirmera avec le facteur de crédibilité. Tout se passe comme si le stéréotype émergeait avec plus d’évidence en collectivité qu’individuellement. Ce rapport entre le recours au stéréotype et la délibération collective avait d’ailleurs déjà été noté par Argote, Seabright et Dyer (1986).

Facteur de crédibilité

87En ce qui concerne la crédibilité, en revanche, on observe des différences notables avec les entretiens individuels. En effet, les causes structurelles arrivent en tête, comme dans les entretiens individuels, mais en se détachant beaucoup plus nettement des causes endogènes, et ce d’autant plus remarquablement que ces modes d’explication n’arrivent qu’en troisième position derrière les explications herméneutiques qui progressent beaucoup par rapport aux entretiens individuels.

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88Le scénario 10 arrive, quant à la crédibilité, en deuxième position, derrière le scénario deux. De la même façon qu’il arrivait en deuxième position pour le critère d’évocation avec contexte. Plus fort, il arrive largement en tête lorsque le contexte est précisé. C’est là un fait remarquable qui confirme ce qui était écrit un peu plus haut.

89La délibération collective a donc une incidence importante sur les résultats ; non seulement elle favorise l’émergence du scénario de la disparition des morts lorsque le contexte est précisé, mais elle en fait encore le récit qui convainc le plus aisément.

90Sans contexte, le quarté des postures cognitives reste le même que pour les entretiens individuels ; avec le contexte en revanche, il est bouleversé. Les scénarios « herméneutiques » arrivent largement en tête, alors que dans les entretiens individuels ils occupaient la troisième position. Le contexte retiré, le scénario 10, et la posture herméneutique en général, reculent beaucoup, mais cette dernière reste tout de même au coude à coude avec les scéna rios de type « endogène », alors qu’elle arrivait bonne dernière dans les entretiens individuels.

91Les résultats des entretiens collectifs est un peu déconcertant. On a peut-être plus d’imagination à quatre que tout seul, mais il semble que tout à la fois on se rapproche plus facilement de la vérité (on le voit avec l’augmentation des scores de l’évocation et de la crédibilité pour la posture « structurelle » et en particulier du scénario 2 dans les entretiens collectifs) et que l’on s’abandonne plus aisément à un scénario aussi fantasmatique que celui de la disparition des morts. Ce résultat un peu paradoxal est cependant compréhensible. En effet, le scénario de la disparition des morts est fondé sur un stéréotype ethnique, or, le stéréotype correspond souvent à un plus petit dénominateur commun communicationnel. Dans le même temps, l’explication structurale connaît plus de succès que dans les entretiens individuels parce qu’elle augmente sa possibilité d’évocation. En effet, il est plus probable que l’on imagine ce scénario à quatre que tout seul. Or, on a vu dans les entretiens individuels que ce type de scénario, une fois évoqué, avait un pouvoir d’attraction important. Pour cette raison, la posture « structurale » fait une percée dans les entretiens collectifs.

92La réalisation de ces entretiens n’aura donc pas été inutile, mais je rappelle que, globalement, les résultats des entretiens individuels et collectifs ne divergent pas spectaculairement. Les entretiens collectifs, à ce titre, ne font que confirmer les grandes lignes qui avaient été celles des entretiens individuels. En revanche, ils montrent que, pour obtenir une bonne simulation de l’émergence des croyances, on doit tenter de pondérer les résultats des entretiens individuels avec ceux des entretiens collectifs.

Le facteur mnésique

93Les entretiens individuels et collectifs laissent échapper une donnée cependant. Celle-ci est fondamentale, non pour l’émergence à proprement parler de la croyance, mais pour sa diffusion initiale. En effet, certains récits s’imposent sur le marché cognitif, non parce qu’ils viennent spontanément à l’esprit, non parce qu’ils sont jugés plausibles, non parce qu’ils peuvent être facilement conçus par la moyenne des esprits, mais parce qu’ils sont spectaculaires et/ou adéquats à notre système de représentation, et qu’ils peuvent, pour ces raisons, être facilement mémorisés. Le facteur mnésique peut-être considéré comme révélateur de l’effet cognitif qu’une information produit sur les esprits. Il a d’ailleurs déjà été utilisé à plusieurs reprises tant par la psychologie sociale ou cognitive (Slovic, Fischhoff, Lichtenstein,1984) que par l’anthropologie (Barrett, 1996).

94La procédure qui fut retenue fut la suivante : on présentait à un individu l’énigme avec contexte et les différents types de solutions possibles [19]. Il n’était pas autorisé à prendre de notes. Vingt-quatre heures plus tard, on lui demandait de mentionner toutes les solutions possibles de l’énigme. Bien entendu il n’avait retenu que certaines d’entre elles. Deux informations étaient recueillies : les scénarios mémorisés et l’ordre dans lequel ils l’étaient. Quinze points étaient attribués au premier, quatorze au second, etc. (selon le même principe que pour l’ipc, la récurrence en moins).

9560 individus furent interrogés qui mémorisèrent, en moyenne, 5,8 scénarios.

figure im13

96Ce test de mémorisation a été fait avec des énoncés avec contexte et, bien entendu, individuellement. Par conséquent, le seul point de comparaison possible avec les résultats précédents est celui de l’ipc des entretiens individuels passés avec contexte.

figure im14

97La comparaison entre les deux graphiques fait apparaître plusieurs choses remarquables. D’abord, le fait que l’on observe globalement un resserrement entre les différents scénarios dans les entretiens mnésiques qui indique une concurrence plus rude entre eux.

98Ensuite, si l’on excepte le fait que le scénario le plus facilement évoqué (scénario 1 : hygiène de vie) est aussi celui qui est le plus facilement mémorisé, on constate surtout des bouleversements entre les hiérarchies de l’évocation et celle de la mémorisation. Par exemple, le scénario 3, celui du retour vers la Chine des personnes âgées, peu évoqué, est facilement mémorisé [20]. On note, par ailleurs, une percée du scénario 10, qui arrive en 3e position, ce qui ne constitue pas une surprise puisque le scénario de la disparition des morts produit à l’évidence un effet cognitif qui le rend aisément mémorisable. En outre, si l’on ne tient compte que du nombre de mémorisation, sans regard pour le facteur d’ordinalité, le scénario 10 arrive en tête ex æquo avec le 1 et le 3.

Discussion

99Ce qui est observé dans ces expériences ce n’est pas, à proprement parler, l’émergence d’une croyance, mais la définition des possibles de la croyance et des rapports de force prévisibles entre ces possibles. La question de savoir si la première a quelque chose à voir avec la seconde reste entière en vérité. C’est une piste qui me paraît fertile, même s’il reste à préciser l’importance respective des facteurs impliqués dans l’émergence de la croyance (évocation, crédibilité, mémorisation).

100Cette simulation de l’émergence d’une croyance autorise deux types de modélisation. Le premier, probabiliste, ne tiendra que peu compte de ce qui s’est produit dans la réalité sociale. Il considère que celle-ci n’est qu’une actualisation parmi d’autres qui auraient bien pu s’imposer dans des circonstances différentes. Par exemple, dans l’énigme 1, le scénario 10 (disparition des morts) s’est imposé dans la réalité, mais il en eût pu être autrement. Le scénario 1, notamment, avait ceteris paribus, plus de chances d’émerger si l’on suit l’indication des trois critères retenus. Les dés, un peu pipés il est vrai, de l’imaginaire social, en ont décidé autrement. D’ailleurs, si l’histoire a retenu cette légende urbaine, c’est sans doute parce que c’est le scénario 10 qui a émergé : il est spectaculaire, a frappé les esprits et a pu amuser les commentateurs. Mais si le scénario 1, au contraire, l’avait emporté, il est probable qu’on n’en eût trouvé aucune trace, aucune mention dans les journaux ou dans les livres sur les rumeurs. Par conséquent, je n’aurais moi-même pas choisi cette énigme pour réaliser cette expérimentation in vitro. La conclusion de cette modélisation est donc que l’on ne peut pas faire beaucoup plus qu’évaluer approximativement les probabilités d’émergence de tel ou tel type de récit face à tel type ou tel type d’énigme, sans être jamais assuré que le scénario, dont les trois facteurs retenus font un favori, s’imposera finalement sur le marché.

101Le deuxième type de modélisation procède autrement. Avec une interprétation beaucoup plus maximaliste, il pose l’hypothèse que le scénario qui finit par s’imposer est celui que les trois facteurs retenus favorisent. Il s’agit alors de pondérer chacun de ces facteurs pour faire correspondre les résultats à la réalité. C’est un peu artificiel, mais cela ouvre la voie d’une réflexion sur un modèle prédictif. Les résultats de l’expérience ne sont plus alors utilisés comme simulation de la réalité, mais comme une information sur les rapports cardinaux qui, dans la réalité, lient l’évocation, la crédibilité et la mémorisation. En augmentant l’importance du facteur de crédibilité, par exemple, ou celui de mémorisation, on obtient des résultats qui correspondent à ce qu’il s’est produit dans la réalité.

102Plusieurs difficultés peuvent être mentionnées.

103D’une part, les informations sur l’énigme proposée dans cette expérimentation sont toutes des données de seconde main : je n’étais pas dans le Paris des années 80 pour enregistrer ce qu’il s’est vraiment produit. Par conséquent, les résultats de cette expérimentation sont comparés à des faits qui sont déjà passés par le prisme d’autres chercheurs ou commentateurs. Sans doute y avait-il, sur le terrain, d’autres croyances plus minoritaires qui concurrençaient celle que la mémoire collective a retenue. Les traces que l’on en a gardées viennent de ce qu’une question sur ce point a été posée au conseil municipal et de quelques articles de presse. Personne, sans doute, n’aurait posé cette question si l’on avait supposé que les Chinois vivaient plus longtemps parce qu’ils s’alimentaient mieux, qu’ils avaient une meilleure hygiène de vie, ce qui ne signifie pas que certains Parisiens ne l’ont pas pensé, et peut-être plus nombreux que ceux qui ont adhéré à la thèse de la disparition des morts. Comme on le voit, le sociologue est confronté ici à un obstacle d’archivage ou d’émergence et donc, une fois de plus, à l’opacité du phénomène de genèse des croyances collectives. Comme le chercheur n’arrive qu’au terme du processus de cristallisation des croyances, et qu’il ne connaît de ce terme que ce que l’histoire en a retenu, son interprétation ne peut être que partielle.

104D’autre part, le problème de la temporalité est un obstacle redoutable à la démarche que j’ai retenue. Dans cette expérimentation, j’ai procédé comme si les trois facteurs retenus arrivaient au même niveau dans le processus d’émergence de la croyance. Les choses ne se produisent pas de cette façon pourtant. L’évocation précède la crédibilité qui précède la mémorisation, ces facteurs ne sont pas disjoints, ils s’emboîtent, mais dans un certain ordre. Comme on l’a vu, l’« évocation » et la « crédibilité » sont en moyenne beaucoup plus sélectifs que la mémorisation. Nous avons fait, dans les entretiens mnésiques, comme si les individus pouvaient être confrontés à tous les scénarios envisagés. Or, il est probable que, sur le marché cognitif, une sélection aurait déjà eu lieu, et donc la mémoire n’aurait eu à s’exercer que sur certains d’entre eux. On peut supposer, par ailleurs, qu’un individu confronté à des croyances concurrentielles déjà constituées n’aura pas beaucoup d’ardeur pour en inventer d’autres (ce qui limite l’influence du facteur d’évocation). En effet, pourquoi imaginer et défendre des solutions concurrentes à des produits qui se proposent sans coûts (d’imagination ou d’énergie mentale investie) pour résoudre efficacement une situation énigmatique ? On le voit, la question de la temporalité est particulièrement dure à simuler in vitro.

105Cependant, malgré toutes ces remarques, il n’y a pas de raisons d’être pessimiste par rapport à cet espace de recherche qui s’entrouvre. Les résultats obtenus sont plutôt encourageants quant à la bonne adéquation entre ce qu’il s’est réellement produit et ce qu’il est possible de simuler. Il s’agit donc seulement de rester lucide sur les difficultés méthodologiques présentes pour tenter, pourquoi pas, de les contourner, en tout cas, d’être capable d’évaluer l’impact des biais introduits.

106Le contexte social et la variation qu’il induit quant à l’émergence des scénarios n’échappent pas totalement à l’expérimentation d’ailleurs. En effet, l’introduction, d’une part, du contexte dans le récit, et, d’autre part, de la délibération collective, permet d’avoir un aperçu de l’impact du contexte social sur les variations du rapport de force entre les récits. On peut donc faire l’hypothèse que l’observation du passage récit sans contexte/récit avec contexte et entretiens individuels/entretiens collectifs permet d’entrevoir un mouvement qui sera vraisemblablement amplifié par le contexte social réel.

107Le recours à l’idée de prédiction en sociologie est éminemment périlleux. Je l’avoue sans difficulté, je suis particulièrement mal à l’aise, avec cette possibilité, car j’ai toujours été convaincu que les phénomènes sociaux et les phénomènes mentaux sont essentiellement stochastiques. Mais stochastique ne signifie pas sans logique, sans possibilité d’évaluation probabiliste. C’est parce que l’espace logique de notre imagination, qu’elle soit individuelle ou partagée, est restreint, quoique presque infiniment renouvelable, que cette hypothèse de travail me semble envisageable. Certaines des réponses de l’Homme aux grandes énigmes qui se posent à sa cons cience : D’où venons-nous ? D’où vient l’univers ? Qu’est-ce que le mal ? Qu’y a-t-il après la mort ?, etc., n’offrent-elles pas à la fois un éventail de possibles immense et des réponses dont la structure est étrangement semblable ? Face à des catastrophes comme les épidémies ou un tremblement de terre, ne voit-on pas apparaître sur le marché cognitif des types de réponses qui, dans leur déclinaison, peuvent varier, mais qui, dans leur esprit, sont comparables ? Dans ces conditions, l’ambition d’une sociologie cognitive apparaît dans toute sa légitimité, elle qui tiendrait compte dans ses travaux, à la fois des invariants cognitifs et des variables sociales.

Bibliographie

Références

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  • Vergès P., « L’évocation de l’argent : une méthode pour la définition du noyau central d’une représentation », Bulletin de Psychologie, 1992, xlv, 405, pp. 203-209.
  • Vergès P., « Approche du noyau central : propriétés quantitatives et structurales », dans C. Guimelli (éd.), Structure et transformations des représentations sociales, Neuchâtel/Paris, Delachaux et Niestlé 1994.

Notes

  • [*]
    Gérald Bronner : maître de conférences en sociologie à l’université Paris-Sorbonne. Ses recherches portent sur les croyances collectives et la cognition sociale. Il a, sur ce sujet, publié L’Empire des croyances (Paris, puf 2003).
  • [1]
    La notion de marché est ici prise en un sens métaphorique. Le marché cognitif n’a pas les mêmes caractéristiques que le marché économique, mais il partage avec lui certains traits, et cette communauté justifie l’utilisation de cette métaphore. Le marché cognitif appartient à une famille de phénomènes sociaux (à laquelle appartient aussi le marché économique) où les interactions individuelles convergent vers des formes émergentes et stables (sans être réifiées) de la vie sociale. Il s’agit d’un marché car s’y échangent ce que l’on pourrait appeler des produits cognitifs : hypothèses, croyances, connaissances etc. De la même façon que pour les phénomènes économiques, la pure concurrence entre les produits cognitifs (nécessitant une série de critères impossibles à réunir : exhaustivité de l’information etc.) n’existe pas. Le sociologue des croyances aura donc pour tâche de décrire les différentes caractéristiques de ce marché qui influent beaucoup sur la diffusion et le succès de certaines croyances. Pour des développements sur cette notion voir Bronner (2003).
  • [2]
    Par exemple la théorie du noyau central de Abric (1989) ou du principe organisateur de Doise (1985).
  • [3]
    Voir tout de même le livre collectif sous la direction de Moliner (2001).
  • [4]
    C’est pour tenter d’éclaircir un peu ce sujet que j’y ai consacré un livre (Bronner 2006).
  • [5]
    Comme le rappelle, par exemple, Kapferer (1995, p.11) : « Sauf exception, le chercheur en apprend en général trop tard l’existence : la rumeur est soit terminée, soit dans sa phase finale. »
  • [6]
    Par exemple Campion-Vincent et Renard (2002, p.12) : « Ces créations sont anonymes et collectives ; car, bien que nées d’innovations individuelles, elles sont transmises et constamment réélaborées par le groupe social dans lequel elles jouent un rôle fonctionnel. »
  • [7]
    Elle correspond à la thèse du marché cognitif que je propose dans Bronner (2003).
  • [8]
    Conformément à certaines des propositions des neurosciences qui considèrent que l’apprentissage humain se fait toujours par un tâtonnement cognitif, voir par exemple Changeux (2002).
  • [9]
    La seule qui permettait une approche expérimentale.
  • [10]
    En réalité, plusieurs situations énigmatiques furent testées pour éprouver les hypothèses, mais les limites volumétriques d’un article ne me permettent pas d’en exposer plus d’une.
  • [11]
    On s’assurait au cours de l’entretien que l’interviewé n’avait jamais entendu parler de cette situation auparavant. Les entretiens qui ne correspondaient pas à ce critère furent éliminés de l’analyse.
  • [12]
    Ce que les psychologues sociaux appellent l’analyse prototypique et catégorielle : elle consiste à croiser le rang d’apparition du scénario et sa fréquence dans le discours (pour plus de précisions, Vergès, 1992 et 1994).
  • [13]
    Je remercie ici la promotion de la licence pluridisciplinaire 2003-2004 sans l’aide matérielle de laquelle cette recherche eût été beaucoup affaiblie.
  • [14]
    Les interviewés lisaient les énoncés un certain nombre de fois et l’entretien ne commençait qu’à partir du moment où ils déclaraient avoir compris l’énigme.
  • [15]
    Je remercie J. B. Renard et V. Campion-Vincent pour les précisions qu’ils ont eu la gentillesse de m’apporter sur cette affaire.
  • [16]
    Le journal Libération (01/11/83) semble admettre que quelques cas de fraudes sont avérés, sans en dire plus. La chose n’est bien sûr pas impossible, mais, comme le précise le quotidien, le phénomène est tellement marginal qu’il ne peut prétendre à rendre compte de l’énigme présentée.
  • [17]
    Par référence à la schèmatologie de Berthelot (1996).
  • [18]
    Je remercie la promotion 2004-2005 de licence pluridisciplinaire de l’Université de Nancy 2 sans l’aide matérielle de laquelle cette recherché eût été beaucoup affaiblie.
  • [19]
    L’ordre dans lequel était présenté les scénarios possibles était aléatoire afin de ne pas introduire de biais dans l’expérimentation.
  • [20]
    Ce point m’a semblé intéressant car les anthropologues cognitifs focalisent leur attention sur ce facteur mnésique pour penser la diffusion de la croyance. Or, on sait que, dans la réalité, c’est le scénario 10 qui s’est imposé. Il semble que le facteur mnésique ne puisse en rendre compte à lui tout seul. Ce résultat (fondé il est vrai sur un nombre limité d’entretiens : 60) me conforte dans l’option retenue pour cette recherche de prendre en compte plusieurs facteurs pour simuler l’émergence d’une croyance.
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