Notes
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[*]
Lynn Hunt enseigne l’histoire européenne contemporaine au département Eugen Weber de l’UCLA. Née au Panama, elle a étudié dans le Minnesota et en Californie et s’est spécialisée dans l’histoire de la Révolution française et en méthodologie de l’histoire culturelle. Elle est l’auteur de : Politics, Culture And Class In The French Revolution ; The Family Romance of The French Revolution ; Telling The Truth About History, avec le concours de Joyce Appleby et Margaret Jacob. Sous sa direction ont été publiés : The New Cultural History, Histories : French Constructions of The Past, avec Jacques Revel ; Beyond The Cultural Turn, avec Victoria Bonnell et Human Rights And Revolutions, avec Jeffrey Wasserstrom et Marilyn Young.
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[1]
Michel Foucault, Surveiller et Punir : la naissance de la Prison, Paris, Gallimard 1975, p. 242, 251, 311.
-
[2]
Michel Foucault, Histoire de la Sexualité, Paris, Gallimard, vol.1, La Volonté de Savoir 1975, p. 205 ; vol.2, L’usage des Plaisirs, 1984 ; vol. 3, Le Souci de Soi, 1984.
-
[3]
Histoire de la Sexualité, vol. 1, p. 191.
-
[4]
Dans une interview citée par Jana Sawicki, « Feminism, Foucault, and ‘Subjets’ of Power and Freedom » dans Susan J. Heckman, (éd.), Feminist Interpretations of Michel Foucault, University Park, PA 1996, p. 173.
-
[5]
Norbert Elias, La Civilisation des Mœurs, Calmann-Lévy 1973, p. 149-150.
-
[6]
Pour un regard critique, voir Barbara H. Rosenwein, « Worrying about Emotions in History » American Historical Review, 107 2002, p. 821-845.
-
[7]
James H. Johnson, Listening in Paris: A Cultural History, Berkeley, University of California Press 1995, citation p.61.
-
[8]
Jeffrey S. Ravel insiste sur le brouhaha continuel des spectateurs debout au parterre dans The Contested Parterre : Public Theater and French Political Culture, 1680-1791, Ithaca, Cornell University Press 1999.
-
[9]
Annik Pardailhé-Galabrun, La Naissance de l’Intime, 3000 Foyers Parisiens, XVII° et XVIII° siècles, Paris, P.U.F 1988.
-
[10]
Georges T. M. Shackelford et Mary Tavener Holmes, A Magic Mirror: the Portrait in France, 1700-1900, Houston, Museum of the Fine Arts 1986, p. 9.
-
[11]
Ellen G. Miles, (éd.), The Portrait in Eighteenth-Century America, Newark, DE, University of Delaware Press 1993, p. 10.
-
[12]
T. H. Breen, « The Meaning of “Likeness”; Portrait Painting in an Eighteenth-Century Consumer Society », Miles, (éd.), The Portrait, p. 37-60.
-
[13]
Lettres sur les peintures, sculptures et gravures de Mrs de l’Académie Royale, exposées au Salon du Louvre depuis MDCCLXVII jusqu’en MCDDLXXIX, Londres, John Adamson 1780, p. 28 (salon de 1767), p. 51 (salon de 1769).
-
[14]
Michel Foucault, Surveiller et Punir, p. 19.
-
[15]
Julius R. Ruff, Crime, Justice and Public Order in Old Regime France: The Sénéchaussées of Libourne and Bazas, 1696-1789, Londres, 1984.
-
[16]
Richard Mowery Andrews, Law, Magistracy, and Crime in Old Regime Paris, 1735-1789, vol.1, The System of Criminal Justice, Cambridge, Cambridge University Press 1994, en particulier p. 385, 387-388.
-
[17]
Le Body of Liberties (1641) (Recueil des Libertés) du Massachusetts permet d’obtenir le nom de complices par la torture et il montre, en outre, le flou des notions de châtiments barbares et inhumains : « Personne ne sera forcé par la torture à avouer un crime contre lui-même ou n’importe quel autre à moins qu’il ne s’agisse d’une affaire capitale dans laquelle il est déclaré entièrement coupable par preuves bien claires et suffisantes. Après quoi, si la cause est de cette nature, s’il est manifeste qu’il y a d’autres conspirateurs ou complices avec lui, alors il peut être torturé, mais sans que ces châtiments soient barbares ou inhumains. » Lawrence M. Friedman, A History of American Law, New-York, Simon & Schuster, inc. 1991, p. 70.
-
[18]
Edward Peters, Torture, Philadelphia, University of Pennsylvania Press 1985.
-
[19]
Cela ne semble pas toujours le cas en Angleterre. Par exemple, le Parlement accrut considérablement le nombre de fautes capitales au xviiie siècle (selon certaines estimations leur nombre tripla au cours de ce siècle). Léon Radzinowicz, A History of English Criminal Law and its Administration from 1750, 4 volumes, London, Stevens & Sons 1948, vol. 1, p. 3-5 et 165-227.
-
[20]
John H. Langbein, Torture and the Law of Proof: Europe and England in the Ancien Régime, Chicago, University of Chicago Press 1976.
-
[21]
Andrews, Law, Magistracy, and Crime, citations p. 283 et 453.
-
[22]
J. S. Cockburn, « Punishment and Brutalization in the English Enlightenment », Law and History Review, 12 1994, p. 155-179, en particulier p. 177-178. Cette comparaison semble cependant fallacieuse ; on ne peut mettre sur le même plan le traitement brutal infligé par le gouvernement sur les corps des condamnés et la violence de la foule sur le lieu du supplice.
-
[23]
Cockburn, « Punish(ment) and Brutalization » p. 163.
-
[24]
Cité dans Randall McGowen, « The Body and Punishment in Eighteenth-Century England, » Journal of Modern History, 59 1987, p. 651-679, citation p. 668.
-
[25]
Pieter Spirenburg, The Spectacle of Suffering Executions and the Evolution of Represion: From a Preindustrial Metropolis to the European Experience, Cambridge, Cambridge University Press 1984.
-
[26]
Lisa Silverman, Tortured Subjects: Pain, Truth, and the Body in Early Modern France, Chicago, University of Chicago Press 2001. Sur les réformateurs anglais, voir McGowen, « The Body and Punishment. ».
-
[27]
Pour la France, voir Silverman, Tortured Subjects. L’affaire Calas eut moins de retentissement en Angleterre, mais le traité de Beccaria exerça une grande influence sur les idées réformatrices de William Eden, Principles of Penal Law, 1771 et de Samuel Romilly ainsi que sur Jeremy Bentham. Radzinowicz, A History of Criminal Law, vol. 1, p. 301-381.
-
[28]
Les origines du vocabulaire des droits de l’homme sont loin d’être une affaire réglée. Sur l’influence de l’école napolitaine de la loi naturelle, voir Vincenzo Ferrone, La Società giusta ed equa: repubblicanesimo e diritti dell’uomo in Gaetano Filangieri, Rome, Laterza 2003, en particulier p. 100-123.
-
[29]
Mémoires secrets pour servir à l’histoire de la République des lettres en France depuis MDCCLXII jusqu’à nos jours, Londres 1780, réimprimé 1970, vol.1, p.230 (passage relatif au 13 juin 1763). Puisque les volumes furent publiés après les dates qu’elles étaient censées couvrir, nous ne pouvons être absolument certains que l’usage de l’expression « droits de l’homme » soit aussi courant dès 1763 que ne le conclut l’auteur. The Inequality of Conditions se rapporte aux thèses de Rousseau sur l’origine de l’inégalité.
-
[30]
Berriat-Saint-Prix, Des tribunaux et de la procédure du grand Criminel, p. 93-96.
-
[31]
David D. Bien, L’Affaire Calas: Hérésie, Persécution, Tolérance à Toulouse au XVIII° siècle, trad. Philippe Wolff, Eché 1987.
-
[32]
La volonté de Voltaire de placer cette affaire dans le cadre de l’intolérance religieuse apparaît très nettement dans le Traité sur la Tolérance à l’occasion de la mort de Jean Calas (1763), dans Voltaire, L’affaire Calas et autres affaires, Paris, Gallimard 1975, p. 88-194.
-
[33]
Voir, par exemple Alexandre-Jérome Loyseau de Mauléon, Mémoire pour Donat, Pierre et Louis Calas, Paris, Le Breton 1762, et Jean-Baptiste-Jacques Élie de Beaumont dans Mémoire pour Dame Anne-Rose Cabibel, veuve Calas, et pour ses enfants sur le renvoi aux Requêtes de l’Hôtel au Souverain, ordonné par arrêt du Conseil le 4 juin 1764, Paris, impr. de L. Cellot 1765. Voir aussi Sarah Maza, Vies Privées, Affaires Publiques : Les causes célèbres de la France pré-révolutionnaire, trad. Christophe Beslon, Pierre-Emmanuel Dauzat, Paris, Fayard 1997.
-
[34]
Dans une lettre datée du 16 octobre 1765 Voltaire mentionne qu’il a lu Beccaria. Il y fait aussi allusion à l’Affaire Calas et au cas Sirven (impliquant également des Protestants). Théodore Besterman et al. (éds), Les Oeuvres Complètes de Voltaire, 135 volumes, Genève ; Banbury, Oxfordshire ; Toronto : Institut et Musée Voltaire ; Voltaire Foundation ; University of Toronto Press 1968.2001, 113, Correspondence and Related Documents, April-December 1765, 29, 1973, p. 346.
-
[35]
Sur l’accueil fait à l’ouvrage en France et dans d’autres pays européens, voir les lettres reproduites dans Franco Venturi, (éd.), Cesare Beccaria, Dei Delitti e delle pene, con une raccolta di lettere e documenti relativi all uscita dell’opera e alla sua fortuna nell’Europa del settecento, Turin, Giulio Einaudi 1970, en particulier p. 312-324.
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[36]
Le commentaire de Voltaire met encore davantage en lumière les excès des châtiments cruels. Voir An Essay on Crimes and Punishments, Translated from the Italian, with a Commentary attributed to Mons. De Voltaire, Translated from the French, 4th ed, Londres, F. Newberry 1775. Dès 1768, la torture était au tout premier rang des scandales dénoncés par Voltaire. Dans une lettre adressée à Beccaria au début de l’année, il décrit les avanies subies par le Chevalier de la Barre. Venturi, (éd.), Cesare Beccaria, p. 438 (lettre non datée mais précédant juste une autre datée de mai 1768).
-
[37]
Luigi Firpo, « Contributo alla bibliografia del Beccaria. Le edizioni italiane settecentesche del Dei delitti e delle pene », dans Atti del convegno internazionale su Cesare Beccaria promosso dall’Accademia delle Scienze di Torino nel secondo centenario dell’opera « Dei delitti e delle pene », [Turin, 4-6 octobre 1964], Turin, Accademia Delle Scienze 1966, p. 329-453.
-
[38]
Marcello Maestro, Cesare Beccaria and the Origins of Penal Reform, Philadelphia, Temple University Press 1973, p. 43.
-
[39]
An Essay on Crimes and Punishments, Translated from the Italian, with a commentary attributed to Mons. De Voltaire, Translated from the French, 4e éd., Londres, F. Newberry 1775, citations p. iii et vii.
-
[40]
Crimes and Punishments, citations p. 2 et 179.
-
[41]
Crimes and Punishments, citations p. 107, 43 et 112.
-
[42]
En ce qui concerne les variations en France, voir Berriat-Saint-Prix, Des tribunaux et de la procédure du grand Criminel, p. 74-103.
-
[43]
Crimes and Punishments, citation p. 41.
-
[44]
Franco Venturi, (éd.), Cesare Beccaria, p. 30-31 pour l’édition italienne définitive (la dernière supervisée par Beccaria lui-même). Le paragraphe apparaît au même endroit de la traduction anglaise originale, au chapitre 11. Mais les éditions italiennes suivantes reprirent l’ordre adopté dans la traduction française. Voir par exemple, Dei delitti e delle pene. Edizione rivista, corretta, e disposta secondo l’ordine della traduzione francese approvato dall’autore, Londres, Presso la Società dei Filosofi 1774, p. 4. Selon Luigi Firpo, ce volume fut en réalité imprimé par Coltellini à Livourne. Firpo, « Contributo alla bibliografia del Beccaria », p. 378-379.
-
[45]
Voltaire publia un pamphlet de 21 pages en août 1762 sur l’Histoire d’Elisabeth Canning et des Calas. Il emploie les mêmes anecdotes et expressions pour décrire la torture et la mort que les autres commentateurs. Il est scandalisé, non par l’usage de la torture mais par ses abus injustifiés. Voltaire, L’Affaire Calas, p. 81.
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[46]
Loyseau de Mauléon, Mémoire pour Donat, Pierre et Louis Calas, p. 38-39. Elie de Beaumont rapporte exactement les mêmes mots prononcés par Calas. Voltaire les avait insérés aussi dans son pamphlet.
-
[47]
Commentary Attributed to Mons. De Voltaire, p. lxi. Les pages du commentaire sont numérotées en chiffres romains bien qu’elles suivent le traité de Beccaria. Voltaire ne milita pas immédiatement pour l’abolition de la torture ; cela ne vint que dans son Prix de la Justice et de l’Humanité, publié l’année de sa mort en 1778. Venturi, (éd.), Cesare Beccaria, p. 493-495.
-
[48]
Crimes and Punishments, p. 60-61
-
[49]
Spierenburg, The Spectacle of Suffering, p. 53.
-
[50]
Cité dans McGowen, « The body and Punishment in Eighteenth-Century England », p. 669.
-
[51]
Cité dans McGowen « The Body and Punishment in Eighteenth-Century England », p. 670.
-
[52]
[Pierre-François] Muyart de Vouglans, Réfutation du Traité des Délits et des Peines,&c., imprimé à la fin de Les Loix criminelles de France, dans leur ordre naturel, Paris, Benoî Morin 1780, p. 811.
-
[53]
Muyart de Vouglans, Réfutation, p. 815.
-
[54]
Muyart de Vouglans, Réfutation, p. 824-826.
-
[55]
Muyart de Vouglans, Réfutation, p. 830.
-
[56]
Venturi, (éd.), Cesare Beccaria, p. 496. Ce paragraphe est extrait de l’ouvrage de Linguet, Annales Politiques et Littéraires, 5, 1779.
-
[57]
Il est impossible de faire ici un recensement complet des écrits contre la torture. Voir Sarah Maza, Vies Privées, Affaires Publiques : Les causes célèbres de la France pré-révolutionnaire et Jacobson, The Politics of Criminal Law Reform.
-
[58]
Jacobson, The Politics of Criminal Law Reform, p. 316.
-
[59]
Les citations proviennent de l’essai de Brissot, Discours sur les moyens de prévenir les crimes en France, titre qu’il donna à son ouvrage destiné au concours de l’Académie Royale de Châlons-sur-Marne quand il le publia de nouveau dans la Bibliothèque du Législateur. Reproduit dans Venturi, (éd.)., Cesare Beccaria, p. 517.
-
[60]
Brissot décrit les réactions dans ses mémoires, Claude Perroud, (éd.), J. P. Brissot, Mémoires (1754-1793), 2 vols, Paris, Alphonse Picard & Fils, s. d., vol. 1, p. 222-226.
-
[61]
Brissot utilise la même dialectique que les avocats rédigeant des dossiers dans les diverses causes célèbres des années 1780 ; non seulement ils défendaient leurs clients injustement accusés, mais de plus en plus ils mettaient en accusation le système judiciaire dans son ensemble. Ces dossiers étaient habituellement rédigés à la première personne comme si leurs clients avaient eux-mêmes écrit ces récits romancés mélodramatiques pour donner plus d’impact à leurs arguments. Ces procédés stratégiques sont analysés en profondeur par Sarah Maza, Vies Privées, Affaires Publiques : Les causes célèbres de la France prérévolutionnaire.
-
[62]
Shelby T. McCloy, The Humanitarian Movement in Eighteenth-Century France, Lexington, KY, University of Kentucky Press 1957, p. 196.
-
[63]
Joseph Michel Antoine Servan, Discours sur le progrès des connoissances humaines en général, de la morale, et de la législation en particulier, s. é. 1781, p. 99.
-
[64]
Cité dans McGowen, The Body and Punishment in Eighteenth-Century England, p. 669.
-
[65]
Jourdan, (éd.), Recueil Général des anciennes Lois Françaises, 28, 528.
-
[66]
Muyart de Vouglans, Les Loix Criminelles, p. 796.
-
[67]
En comptant de 1 à 1125, 1 étant la fréquence la plus élevée, la fréquence des sujets qui apparaissent dans les cahiers de doléances, on relève :
- pour le code criminel : 70,5 pour le Tiers État, 27,5 pour la Noblesse, 337 pour le Clergé ;
- pour la procédure légale : 34 pour le Tiers État, 77,5 pour la Noblesse, 15 pour le Clergé ;
- pour les poursuites et les sanctions : 60,5 pour le Tiers État, 76 pour la Noblesse, 171 pour le Clergé
- pour les peines données par la loi criminelle : 41,5 pour le Tiers État, 213,5 pour la Noblesse, 340 pour le Clergé
-
[68]
Pour une vue d’ensemble, voir McCloy, The Humanitarian Movement, p. 202-209.
1Depuis une trentaine d’années, les historiens ont entamé l’étude des changements survenus dans la représentation du corps humain. À cet égard Michel Foucault a joué un grand rôle en soutenant que le sujet individualiste occidental s’est construit par de nouvelles règles de discipline corporelle qui sont apparues dans des domaines aussi différents que la prison ou la vie sexuelle. On ne peut ignorer les travaux de Foucault, mais pour comprendre les droits du corps on va adopter ici une démarche différente centrée sur les notions d’indépendance, d’inviolabilité et donc d’autonomie du corps de l’individu, caractéristiques que l’on retrouve dans des domaines aussi divers que l’art du portrait ou la torture judiciaire.
2Dans Surveiller et Punir, Foucault analyse les pratiques disciplinaires de la prison, mais soutient très clairement que les écoles, les hôpitaux, les usines et les casernes utilisent essentiellement les mêmes méthodes. Toutes ces institutions mettent en place une « individualisation coercitive », qui permet aux autorités d’observer, de surveiller, de contrôler et de réglementer des individus qui sont censés être intrinsèquement transformés, corrigés et amendés en un long et lourd processus de « normalisation ». « Le réseau carcéral… avec ses systèmes d’insertion, de distribution, de surveillance, d’observation, a été le grand support, dans la société moderne, du pouvoir normalisateur [1]. » Dans l’Histoire de la Sexualité, Foucault avance un argument similaire concernant une question toute différente ; il soutient que le développement des nouvelles technologies du sexe (qui vont de la confession à la psychanalyse) a produit un individu nouveau, défini par sa capacité à s’auto-surveiller et par son identité sexuelle. « C’est par le sexe… que chacun doit passer pour avoir accès à sa propre intelligibilité [2]. »
3Ainsi, l’accent mis sur l’identité individuelle née des règles imposées au corps fait que les droits de l’homme ne peuvent être compris qu’au sein de la règle disciplinaire : « Le droit à la vie, au corps, à la santé, au bonheur, à la satisfaction des besoins, le “droit”, par delà toutes les oppressions ou “aliénations”, à retrouver ce qu’on est et tout ce qu’on peut être, ce “droit” … a été la réplique politique à toutes ces procédures nouvelles du pouvoir [3] ». Bien que Foucault ait dit dans un autre contexte que « Cela ne signifie pas que nous devons nous débarrasser de ce que nous appelons les droits de l’homme », il est clair qu’il associe ces droits à « l’humanisme » qui, selon lui, a été « indifféremment utilisé par les marxistes, les libéraux, les nazis, les catholiques [4]. » Autrement dit, pour Foucault, ces droits ne permettent nullement de se protéger ou de résister au nombre croissant de disciplines corporelles ni à la régulation démographique ; ils font partie intégrante des nouvelles règles disciplinaires. Si les individus n’avaient pas de droits, alors la prison (qui est la suppression légale de la liberté individuelle) ne pourrait pas fonctionner en tant que châtiment.
4Le problème soulevé par cette interview de Foucault est résumé dans ce qu’il dit de l’humanisme dont il fait un caractère commun au marxisme, au libéralisme, au nazisme et au catholicisme. La notion de discipline définie par Foucault ne permet pas d’établir une distinction entre les régimes politiques modernes ; la démocratie, le fascisme, le communisme et le régime policier autoritaire reposent tous sur un système de régulation disciplinaire. Bien qu’une certaine forme de discipline puisse être nécessaire dans tout régime politique, la discipline en soi ne permet pas de distinguer entre les différents systèmes politiques.
5La vraie différence se situe dans le poids que ces régimes donnent à l’autonomie de l’individu et corollairement aux droits de l’homme. Bien que le contrôle de soi et la surveillance puissent servir l’ordre – et donc être aussi dans une certaine mesure –nécessaires en démocratie – ils représentent le minimum requis pour la vie sociale et non la participation totale de l’individu à la vie politique qui, elle, demande à l’homme d’être autonome, c’est-à-dire de s’auto discipliner et d’être, par son corps, une individualité isolée, différente des autres, et en quelque sorte sacrée.
6La personnalité liée à l’individualité du corps a fasciné Norbert Elias, l’un des rares intellectuels qui, avant Foucault, ait pris au sérieux le corps comme sujet d’étude historique. Elias retrace l’histoire des mœurs pour montrer que la notion de personnalité autonome ne s’est peu à peu développée qu’à partir du xive siècle. Ce qui avait fait défaut auparavant « c’était ce mur invisible de réactions affectives se dressant entre les corps, les repoussant et les isolant, mur… qui se manifeste dans le sentiment de gêne que nous éprouvons en assistant à certaines fonctions physiques, et très souvent à leur évocation, il se manifeste aussi dans le sentiment de honte qui s’empare de nous quand certaines de nos fonctions physiques sont exposées au regard des autres… [5] » Peu à peu la maîtrise du corps fit disparaître ce sentiment de gêne. Les gens commencèrent à utiliser des mouchoirs plutôt que leurs doigts pour se moucher. Cracher, manger à même une écuelle commune, dormir dans le même lit qu’une personne étrangère, tout ceci devint répugnant, ou pour le moins désagréable. Exprimer violemment ses émotions, avoir un comportement agressif devint socialement inacceptable. Ces changements dans les attitudes physiques furent les signes visibles d’une mutation en profondeur de la personnalité. Ils marquèrent l’avènement de l’individu indépendant dont l’interaction sociale doit respecter l’autonomie.
7Bien que le récit téléologique d’Elias de l’apparition progressive du contrôle de soi ait été à juste titre critiqué en raison surtout de la caricature qu’il fait de l’époque médiévale, il a bien le mérite d’attirer l’attention sur les variations historiques de l’expérience de la personnalité [6]. Écouter de la musique, aller au théâtre, organiser sa maison, faire exécuter son portrait, devint de plus en plus, ainsi que l’ont montré des études récentes, des pratiques propres à chaque individu qui, à leur tour, permirent des recherches de soi plus profondes.
8Selon James Johnson, dès les années qui ont suivi 1750, les amateurs d’opéra se mirent à écouter la musique au lieu d’aller et venir pour parler avec leurs amis. Cette nouvelle attitude individualiste leur permit de ressentir d’intenses émotions personnelles à l’écoute de l’œuvre. Une femme décrit ce qu’elle a éprouvé en assistant à Paris en 1776 à la première de l’opéra de Gluck Alceste : « J’ai écouté cette œuvre nouvelle avec une émotion profonde […] Dès les premières mesures, j’ai été saisie d’un sentiment si puissant de crainte respectueuse et j’ai senti en moi si intensément cet élan religieux […] que, sans même m’en rendre compte, je suis tombée à genoux dans ma loge et suis demeurée dans cette position, les mains jointes, implorante, jusqu’à la fin du morceau [7]. » Les amateurs de théâtre étaient enclins, eux, à faire du tapage pendant la pièce, mais même là, une nouvelle disposition des sièges laissa présager le silence quasi religieux qui plus tard devait accompagner les représentations. Dans les théâtres français, occuper un siège sur la scène fut interdit en 1759, et en 1782 la Comédie Française réussit à établir l’ordre au parterre en y plaçant des bancs. L’évolution était claire ; les déchaînements collectifs allaient faire place à des expériences individuelles [8].
9L’organisation intérieure de la maison renforça cette tendance. La « chambre » dans les maisons françaises devint de plus en plus spécialisée durant la seconde moitié du xviiie siècle. La pièce qui auparavant était destinée à tous les usages devint « la chambre à coucher » ; les deux tiers des maisons parisiennes en possédaient dès cette période, alors que seules 14% avaient des salles à manger réservées à cet usage. L’élite de la société parisienne se mit à adopter la pratique de diverses pièces à usage privé, allant du « boudoir » (une pièce pour « bouder » en privé) au cabinet de toilette et de bains [9].
10Cette individualisation du corps se retrouve dans l’intérêt grandissant pour le portrait au xviiie siècle. Dans la seconde moitié du siècle, des expositions publiques qui faisaient alors leur apparition dans le paysage social, présentèrent régulièrement de plus en plus de portraits à Londres et à Paris. Même quand la peinture d’histoire s’imposa en France sous la Révolution et l’Empire, les portraits constituaient encore 40% des toiles exposées dans les Salons [10]. Les prix demandés par les portraitistes augmentèrent dans les dernières années du xviiie siècle et la technique de la gravure ouvrit à un large public la connaissance de ceux qui avaient posé, seuls ou avec leur famille.
11Plus que partout ailleurs, c’est chez les colons britanniques d’Amérique, ces précurseurs du futur, que l’art du portrait atteignit son apogée : entre 1750 et 1776, quatre fois plus de portraits furent exécutés dans les colonies qu’entre 1700 et 1750 [11]. Cette floraison de portraits avait, certes, plus d’une cause. En particulier, faire faire son portrait, reflétait tout autant la montée du consumérisme qu’un simple snobisme social… En outre, la ressemblance – signe de l’individualité particulière – n’était pas toujours le souci majeur des clients. Les gens ordinaires ne souhaitaient pas avoir l’air ordinaire, et certains portraitistes s’étaient fait une réputation de rendre habilement les dentelles, soies et satins bien plus que les visages [12]. Cependant, l’abondance même de portraits ressemblants renforça l’idée que chacun était un individu, c’est-à-dire un être unique, séparé, distinct et original. Certes, les critiques se plaignaient de cette multiplication ; quand Bachaumont fit le compte-rendu de l’exposition française de 1769, il insista sur le fait que « le public se plaint depuis longtemps de cette foule obscure de bourgeois qu’on lui fait passer sans cesse en revue. La facilité du genre, l’utilité qu’il procure & la vanité de tous ces petits personnages encouragent nos Artistes naissans… Graces au malheureux goût du siècle, le Sallon ne sera plus insensiblement qu’une galerie de portraits [13]. »
12Le corps humain séparé et limité à lui-même établit l’autonomie de chacun par rapport aux autres et rendit même possibles de nouveaux types d’expérience émotionnelle. Mais pour que ces émotions soient mobilisées en faveur des droits de l’homme, il fallut aussi qu’existât un certain sens du caractère inviolable du corps. Sous les régimes de justice criminelle de la plupart des pays européens au début du xviiie siècle, les corps étaient loin d’être inviolables ; ils étaient plutôt, comme le dit Foucault, le centre d’attraction du « spectacle horrible du châtiment public [14] ». Selon la loi française de l’Ancien Régime, par exemple, la peine de mort pouvait être appliquée de cinq manières différentes : le condamné était écartelé et démembré par des chevaux, il était brûlé sur un bûcher, il était roué, il était pendu, il était décapité. L’écartèlement et le bûcher tombèrent en désuétude au xviiie siècle, sauf dans certains cas notoires, mais ce que les réformateurs nommaient les châtiments cruels fut conservé [15]. Le supplice de la roue, réservé aux hommes, se déroulait en deux temps. D’abord, le bourreau attachait le condamné sur une croix en forme de X, frappait chacun de ses membres et son tronc de deux coups d’une lourde barre de fer ; puis il liait le corps, membres repliés en arrière, à une roue de charrette fixée au sommet d’un poteau de dix pieds de haut où le malheureux, déjà expirant, demeurait jusqu’à ce que mort s’ensuivît.
13Les exécutions n’étaient pas les seules formes de châtiments corporels ; la plupart des sentences prononcées selon le code criminel français de 1670 incluaient certaines formes de supplices : les condamnés, par exemple, étaient marqués au fer, fouettés, introduits dans un carcan de fer, amputés des lèvres, de la langue ou de la main. En examinant de près les jugements pénaux prononcés en appel par le Parlement de Paris en 1762, Richard Andrews a trouvé 82 condamnations au bannissement et au marquage au fer s’ajoutant habituellement à la peine du fouet, 9 condamnations identiques avec le carcan en plus, 19 au marquage au fer et à l’emprisonnement, 20 à l’enfermement à l’Hôpital Général après marquage au fer et/ou le carcan, 12 à la pendaison, 3 au supplice de la roue et un au bûcher. Si toutes les autres cours de justice de Paris étaient prises en compte, le nombre de tortures et de mutilations effectuées en public se monterait à cinq ou six cents, en y incluant quelque 18 exécutions capitales [16], le tout à Paris en une seule année.
14Les outrages physiques n’étaient pas limités aux châtiments qui suivaient le jugement. Quand la torture était pratiquée au cours du procès pour arracher des aveux, c’était pour forcer le corps à dire la vérité sous l’empire de la souffrance alors qu’il ne l’aurait pas révélée autrement. La torture légale dans le but d’obtenir des aveux avait été introduite ou réintroduite dans la plupart des pays européens (l’Angleterre étant l’exception la plus notable) au xiiie siècle. Au cours des siècles suivants, nombre de juristes européens très éminents s’attachèrent à codifier, normaliser et justifier l’usage de la torture judiciaire. Même en Angleterre où la torture ne faisait pas partie de l’arsenal judiciaire ordinaire, on allait souvent voir donner le fouet, assister à des exécutions capitales, soit par éviscération et écartèlement, soit sur le bûcher pour les femmes accusées d’actes plus ou moins graves de trahison. Ce spectacle des souffrances des corps suppliciés était pour le peuple la juste rétribution des fautes commises. La torture judiciaire trouva, temporairement du moins, refuge dans certaines colonies britanniques d’Amérique où la peine du fouet, le marquage au fer, les mutilations et même la castration (réservée aux esclaves) étaient des pratiques courantes [17].
15Vers le milieu du xviiie siècle, la tendance se renversa contre la torture et les châtiments cruels. En 1754 Frédéric le Grand de Prusse abolit toutes les pratiques de torture judiciaire, et pendant les décennies qui suivirent la plupart des gouvernants européens en firent autant [18]. En 1780 le gouvernement français supprima officiellement la question préparatoire, c’est-à-dire l’utilisation de la torture pour arracher des aveux de culpabilité avant de rendre la sentence, et en 1788 il abolit provisoirement la question préalable, torture qui précédait immédiatement l’exécution et qui avait pour but d’obtenir les noms des complices. En 1783 le gouvernement anglais supprima la procession publique à Tyburn où les exécutions étaient devenues une distraction populaire très importante et établit l’usage régulier de la « trappe », une plate-forme surélevée que faisait basculer le bourreau afin d’assurer une pendaison plus rapide et plus humaine. En 1787 Benjamin Rush, un médecin de Philadelphie, publia un traité qui eut une grande influence dans la lutte contre la peine de mort ; de nombreuses colonies avaient déjà commence à réduire le nombre de crimes passibles de mort. En 1792 le gouvernement révolutionnaire français introduisit l’usage de la guillotine afin de rendre l’exécution de la peine de mort aussi rapide et indolore que possible. L’opinion semblait demander partout la suppression des nombreuses blessures infamantes constatées sur les cadavres des condamnés [19].
16Les historiens se sont récemment demandés si l’humanitarisme des Lumières avait eu quelque influence sur ce changement d’attitude. John H. Langbein a tourné en dérision ce « conte de fées » qui attribuait l’abolition de la torture à l’influence des écrivains des Lumières qui la combattaient. Il soutient qu’elle n’a disparu que parce que les juges ne croyaient plus à l’exemplarité de la peine [20]. Dans la même ligne, Richard Andrews a rejeté les « mythes » créés par les pamphlétaires des Lumières et les législateurs révolutionnaires pour dénoncer le système judiciaire de la France de l’Ancien Régime. La torture judiciaire qui consistait à broyer les membres à l’aide de brodequins de bois ou à verser de force de l’eau au fond de la gorge, était soigneusement réglementée et, selon Andrews, au bout du compte, « elle mettait à mal l’autorité et la perspicacité des juges bien plus que la vie et les membres des accusés [21]. » J.S. Cockburn affirme que la pensée des philosophes des Lumières sur les questions pénales contribua en réalité à accroître la violence des troubles qui éclataient autour des gibets et des piloris dans l’Angleterre du xviiie siècle bien plus qu’elle n’amena une diminution de la brutalité [22].
17Cependant, même ces critiques doivent admettre que quelque chose avait changé dans le comportement envers les corps des accusés et des condamnés. En Angleterre, Cockburn l’admet lui-même, « il y avait probablement un large consensus pour que l’exécution fût la plus efficace possible et qu’on épargnât au cadavre des mutilations cruelles et inutiles [23]. » Le réformateur anglais Samuel Romilly écrit en 1786 : « à mesure que les hommes ont réfléchi et raisonné sur cet important sujet, les idées absurdes et barbares concernant la justice qui ont prévalu pendant des siècles, ont été discréditées, et à leur place furent adoptés des principes humains et rationnels [24]. » Même les défenseurs de la torture judiciaire éprouvèrent alors la nécessité de montrer leur aversion devant la cruauté inutile [25]. En bref, dès 1789, la plupart des européens avaient renoncé à l’usage judiciaire de la torture et en étaient arrivés à considérer avec répugnance ce qui apparaissait alors comme une brutalité excessive dans les châtiments.
18Bien que des attaques contre la torture judiciaire et les châtiments cruels aient été publiées auparavant, un véritable torrent de critiques déferla après 1750 dont la plupart émanaient de personnes extérieures au monde judiciaire. Les juges du Parlement français parlaient rarement dans leurs Cours de l’utilisation de la torture, et en Angleterre, ce furent des juristes et des médecins qui exigèrent des réformes [26]. Deux événements survenus dans les années 1760 semblent avoir enflammé l’opinion : l’Affaire Calas en France de 1761 à 1765 et la publication en 1764 du Traité des Délits et des Peines de Cesare Beccaria [27]. Au même moment (1762-1763) la notion des Droits de l’Homme fit sa première apparition en français sous, semble-t-il, l’influence grandissante de Rousseau.
19Si l’on lance une recherche sur la littérature française sur le site ARTFL : http://humanities.uchicago.edu/ARTFL/ARTFL.htm, la première utilisation de cette expression se trouve dans Le Contrat Social de Rousseau en 1762 [28]. En juin 1763, Bachaumont dans ses Mémoires Secrets, rend compte d’une pièce jouée à la Comédie Française et fait une remarque très intéressante sur le langage courant : « Il y a un rôle de sauvage qui pourrait être magnifique ; il récite en vers tout ce que nous avons lu çà et là sur les rois, la liberté, les droits de l’homme, dans le Discours sur l’Inégalité, dans Émile, dans le Contrat Social [29] ». Dans les années 1770 et 1780, la réforme pénale et le discours des droits de l’homme se trouvèrent mutuellement renforcés, non seulement en France, mais plus largement dans le monde occidental.
20Le 13 octobre 1761, Marc-Antoine Calas, fils de Jean Calas, fut retrouvé mort et son corps portait des marques de corde autour du cou. Son père, sa mère, son frère ainsi que leur domestique et quelqu’un qui leur rendait visite furent arrêtés et inculpés du meurtre de Marc-Antoine pour l’empêcher de se convertir du calvinisme au catholicisme. Le Parlement de Toulouse condamna le père, Jean, à la question préalable et à la mort par le supplice de la roue. Calas fut d’abord pendu par les mains avec des cordes qui se resserraient progressivement tandis qu’un poids de fonte tirait sur ses pieds. Comme il refusait d’avouer après deux traitements de ce genre, on l’attacha à un banc et on lui versa de force des brocs d’eau dans la gorge tout en lui maintenant la bouche ouverte avec des morceaux de bois. Malgré deux séances d’une telle torture, Jean n’avoua jamais ni ne donna de noms de complices [30], et il persista à nier même quand il fut soumis au supplice de la roue. Ses tortures et son exécution eurent lieu le 10 mars 1762. Les autres suspects échappèrent à la mort mais ne furent pas innocentés [31].
21Voltaire se saisit de l’affaire quelques mois plus tard et finit par obtenir l’annulation du jugement. Tout d’abord, le Conseil Royal rejeta le verdict pour des raisons techniques, et en 1765 vota l’acquittement de tous les inculpés auxquels furent rendus les biens familiaux confisqués. Il y eut beaucoup d’interventions dans cette affaire qui aboutirent à un examen général de l’organisation de la justice. Bien que Voltaire eût interprété, au départ, le cas Calas comme un exemple d’intolérance religieuse (Jean fut condamné parce que ses voisins catholiques croyaient qu’un calviniste préférerait tuer son fils plutôt que de le voir se convertir au catholicisme), il en vint, peu à peu, à y voir un signe des imperfections du système judiciaire [32]. L’Affaire Calas, en elle-même, n’aurait pas suffi à déclencher un mouvement en faveur de l’abolition de la torture judiciaire. Tout comme Voltaire, les nombreux juristes qui publiaient des dossiers sur cette affaire ne s’opposaient pas catégoriquement à cette forme de torture ; ils se souciaient surtout du fanatisme religieux qui mobilisait à la fois le peuple et les juges de Toulouse [33]. Il fallut deux autres éléments pour donner à cette affaire une répercussion directe sur le problème de la torture : un lien évident avec le système de justice criminelle dans son ensemble et l’émergence d’une sensibilité nouvelle aux souffrances des condamnés. L’italien Beccaria fournit le premier élément. L’autre était déjà contenu dans les compte rendus de l’Affaire Calas, mais il devait sortir du cadre du système judiciaire traditionnel.
22Voltaire modifia son opinion sous l’influence du Traité des Délits et des Peines [34] de Beccaria. Cesare Bonesana, marquis de Beccaria, issu d’une famille aristocratique de Milan, avait fait des études de droit. Lecteur enthousiaste des Encyclopédistes français, il écrivit à 25 ans son livre en quelques mois et le publia anonymement en 1764 juste au moment où éclatait en France l’Affaire Calas. Aussitôt, Jean d’Alembert et d’autres philosophes français témoignèrent publiquement de son importance [35]. L’Abbé André Morellet, un ami intime de d’Alembert, en donna en 1766 une traduction française. La même année, Voltaire en publia un commentaire sous le pseudonyme d’ « un avocat de province [36]. » Tout le bruit fait autour de l’ouvrage de Beccaria attira l’attention de Rome qui le mit à l’index des livres interdits. Il y eut à peu près 28 éditions italiennes, souvent sous de faux noms d’éditeurs et 9 éditions françaises avant 1800 [37]. Une traduction en anglais parut à Londres en 1767 et elle fut suivie d’éditions anglaises venues de Dublin, Charleston et Philadelphie. Se succédèrent alors presque immédiatement des traductions en allemand, néerlandais, polonais et espagnol [38]. Cette avalanche de nouvelles éditions fit du livre de Beccaria l’ouvrage le plus important du xviiie siècle sur le chapitre de la justice criminelle.
23Dès sa parution, ce pamphlet cristallisa, semble-t-il, les inquiétudes des contemporains sur les châtiments cruels. Comme le note le traducteur dans sa préface à la première édition anglaise, « les lois pénales… sont encore si imparfaites et accompagnées, dans toutes les nations, de tant d’actes de cruauté inutile que tenter de les ramener à un niveau raisonnable doit intéresser l’humanité tout entière. » À ceux qui prétendaient que les lois anglaises étaient moins répressives, le traducteur rappelait à ses lecteurs « l’emprisonnement pour dettes, la saleté et l’horreur de nos prisons, la cruauté des geôliers et les malversations des auxiliaires de justice » pour ne pas dire – « triste considération » – que le nombre de criminels exécutés en Angleterre était beaucoup plus élevé que partout ailleurs en Europe [39].
24La critique de Beccaria portant sur la torture judiciaire et les châtiments cruels découle de sa remise en cause des principes de la justice criminelle. Il aspire à fonder les lois pénales sur un principe entièrement nouveau (principe qui fut plus tard rendu célèbre par Jeremy Bentham) : « le plus grand bonheur du plus grand nombre d’hommes. » Autrement dit, les lois ne devraient pas être conçues pour défendre le pouvoir absolu des souverains, l’orthodoxie religieuse ou les privilèges des riches et des nobles. Elles « devraient relever de contrats établis entre des hommes libres ». Beccaria insistait sur la conclusion la plus importante à tirer de ses raisonnements : « le châtiment devait être public, immédiat et nécessaire ; le moins grave possible selon les cas ; proportionnel au délit et déterminé par les lois [40]. » Par conséquent deux sujets le préoccupaient plus que tous les autres : la torture et la peine de mort qui, toutes deux, ne résistaient pas à un examen raisonnable en matière de châtiment.
25Beccaria condamnait la torture judiciaire pour plusieurs raisons : elle avait lieu en privé ; c’était un châtiment infligé avant la sentence de culpabilité, en tant qu’épreuve de vérité, elle échouait et elle aboutissait souvent à condamner des innocents. Puisqu’il croyait que la dissuasion était la seule raison d’être du châtiment, il était également opposé à la peine de mort ; il préconisait l’esclavage perpétuel (les travaux forcés) comme substitut parce que « beaucoup sont prêts à mourir avec bravoure et fermeté ». Cependant, l’argument qui consiste à dire que la peine de mort est « pernicieuse pour la société en raison de la barbarie qu’elle offre » est des plus significatifs. Cette sauvagerie ne pouvait qu’être exacerbée par « le cérémonial pompeux » qui l’accompagnait, soutenait Beccaria. Il s’élevait aussi contre « les tourments et les cruautés inutiles » des châtiments qu’il appelait « les instruments d’un fanatisme forcené [41] ».
26Beccaria s’exprime en termes mesurés et réfléchis ; il ne donne aucun exemple précis et n’évoque aucun pays particulier. (La torture pouvait prendre des formes différentes selon les pays et même dans les différentes juridictions d’un même pays [42]). Aucun récit de souffrances individuelles ne vient illustrer son argumentation qui repose sur une déduction rationnelle à partir de principes généraux. Cependant derrière chaque précepte se dessine implicitement l’histoire de la « tyrannie secrète » ainsi que de la « cruauté publique et solennelle [43] ». Le traducteur français a changé l’ordre de présentation de Beccaria afin de mettre en lumière ce qui est implicite et en souligner le lien avec les droits de l’homme. Le paragraphe suivant en est l’exemple le plus révélateur :
Je m’estimerais bien heureux, quand je n’aurais d’autre mérite que celui d’avoir présenté le premier à notre Italie, avec quelque netteté, ce qu’on a déjà écrit et mis en pratique dans d’autres nations.
Mais si, en soutenant les droits des hommes et de l’invincible vérité, je pouvais arracher à la tyrannie ou à l’ignorance quelqu’une de leurs victimes, les larmes et les bénédictions d’un seul innocent dans les transports de sa joie me consoleraient du mépris du genre humain [44].
28Ce paragraphe est plus ou moins relégué à la fin du chapitre 11 de l’édition originale italienne de 1764, mais Morellet le plaça à la fin de l’introduction de l’ouvrage. Ainsi les droits de l’homme apparaissaient nettement comme un rempart dressé contre la souffrance individuelle.
29Beccaria fournit un cadre nouveau aux récits larmoyants des victimes de l’injustice. Les Mémoires des hommes de loi écrits au nom de la famille Calas, comme les pamphlets de Voltaire concernant cette affaire, s’étaient attardés sur les circonstances de la torture et de la mort de Jean Calas, mais n’avaient pas mis en cause leur légitimité en tant qu’actes pénaux [45]. Les juristes qui étaient en faveur de Calas partageaient aussi l’idée qu’un corps qui souffre doit dire la vérité ; Calas prouva son innocence en la soutenant même dans la souffrance. Loyseau de Mauléon, par exemple, dit avec force que « Calas supporta la question (la torture) avec une résignation héroïque qui n’appartient qu’à l’innocence. » Loyseau soutient, en outre, que « la noble constance » du vieux Calas fut à l’origine du revirement des sentiments du peuple. En le voyant affirmer sans cesse son innocence sous la torture et le supplice de la roue, le peuple de Toulouse commença à ressentir de la « compassion » et à se repentir d’avoir, au début de l’affaire, soupçonné aveuglément les calvinistes.. Chaque coup de barre de fer « résonnait au fond des cœurs » de ceux qui assistaient à l’exécution et « des torrents de larmes jaillissaient, trop tard hélas, de leurs yeux [46] ». Ce ne fut que lorsque les critiques générales de Beccaria s’ajoutèrent aux évocations émotionnelles de la souffrance que la torture elle-même devint inacceptable.
30Les hommes du xviiie siècle en vinrent peu à peu à juger inutiles les souffrances provoquées par la torture judiciaire. Comme l’affirmait Voltaire dans son commentaire de Beccaria, « la compassion naturelle du cœur humain » fait détester la « cruauté » de ce châtiment [47]. Les réformateurs refusaient clairement de donner une dimension religieuse à la torture qui ne pouvait se justifier comme un chemin vers la rédemption qui suivrait la confession Dans son chapitre sur la torture, Beccaria dénonçait « une autre justification dérisoire de la torture, à savoir qu’ « elle purgerait l’accusé d’infamie ». Cette « absurdité » ne pouvait être que « le rejeton de la religion. » Puisque la torture faisait d’abord du condamné un être infâme, elle ne pouvait ensuite le laver de sa honte [48]. Dans cette optique, la torture judiciaire se retournait contre la société elle-même, elle brutalisait l’individu au lieu de lui ouvrir la porte de la rédemption par le repentir. La douleur finit par prendre un sens totalement profane et médical. Elle pouvait être admise comme une partie du châtiment (les avis divergeaient sur ce point) ; elle ne pouvait se justifier comme moyen d’obtenir la vérité dans le cours d’un procès.
31Dans l’ancienne organisation des peines, le condamné avait servi de victime expiatoire dont les souffrances devaient restaurer l’intégrité de la communauté et l’ordre de l’état. La nature sacrificielle de ce rite était soulignée par l’introduction dans de nombreuses sentences d’un acte solennel de pénitence ; en France, par exemple, pour l’amende honorable, le condamné portait une torche enflammée, s’arrêtant devant une église pour demander pardon avant d’aller à l’échafaud [49]. Avec la nouvelle organisation ébauchée par Beccaria et d’autres réformateurs, cette souffrance était désormais dénoncée comme une agression tyrannique et grossière de la personne humaine qui ne saurait être sacrifiée pour les besoins de la communauté. Comme le disait avec insistance le réformateur anglais Henry Dagge, « le bien de la société repose essentiellement sur le respect des personnes [50] ». Le bon fonctionnement de la communauté et de l’état nécessite maintenant le respect des personnes. Le juriste anglais William Eden dénonça par conséquent l’exposition publique des cadavres : « nous les laissons pourrir comme des épouvantails dans les haies ; et nos gibets sont remplis de cadavres. Peut-on douter que la promiscuité forcée de tels objets n’ait d’autre effet que d’émousser les sentiments et détruire les dispositions charitables des gens [51] ? »
32Les partisans de la torture judiciaire et des châtiments traditionnels virent aussitôt le danger de la démarche de Beccaria. Pierre-François Muyart de Vouglans qui publia en 1780 l’ultime apologie du système français de justice criminelle de l’Ancien Régime (Les Lois criminelles de la France dans leur ordre naturel) fit paraître aussi en 1767 une réfutation de Beccaria. Muyart jugea nécessaire de commencer par vider l’argument de tout son contenu affectif : « Je me flatte de posséder autant de sensibilité de quiconque ; mais il n’est pas douteux que je n’aie pas une structure nerveuse aussi molle que celle de nos criminalistes modernes, car je n’ai pas ressenti le doux frisson dont ils parlent [52]. » Muyart fut en revanche surpris, pour ne pas dire choqué de voir que Beccaria avait bâti son système sur les ruines de toute sagesse reconnue. Il s’opposait en particulier à la méthode rationnelle de Beccaria ; « Assis dans son bureau, [l’auteur] entreprend de recenser les lois de toutes les nations et de nous montrer que jusqu’à présent nous n’avons pas eu d’idée exacte et sérieuse sur ce sujet fondamental [53]. » Selon Muyart s’il était si difficile de réformer la justice criminelle c’était parce qu’elle était fondée sur des lois positives et qu’elle dépendait moins du raisonnement que de l’expérience et de la pratique.
33Muyart se donna beaucoup de mal pour défendre la torture judiciaire contre sa dénonciation par Beccaria. À l’exemple d’un seul innocent condamné injustement, il opposait les « millions d’autres » qui étaient coupables mais qui n’auraient jamais pu être condamnés sans l’utilisation de la torture. Non seulement celle-ci était donc utile mais l’ancienneté et l’universalité de son usage pouvaient la justifier. Inutile d’ajouter que Muyart récusait également les arguments de Beccaria contre la peine de mort ; son « système » selon lui contredisait le droit canon, la loi civile, la loi internationale, et « l’expérience de tous les siècles [54] ».
34Dans les passages de sa conclusion Muyart alla droit au cœur de la dispute, c’est à dire le sens à donner au châtiment et à la souffrance. Il s’opposa dans les termes les plus vifs à la tentative de Beccaria de fonder son système sur « les sentiments ineffables du cœur. » Il était révoltant, disait-il avec sévérité, d’entendre l’auteur en appeler à « la sensibilité devant la souffrance des coupables ». « Précisément parce que chaque homme [s’identifie] se rapporte à lui-même à ce qui arrive à un autre, et parce qu’il éprouve une horreur naturelle devant la souffrance, il fallait, dans le choix des sanctions, donner la préférence à la plus cruelle pour le corps des coupables » afin de dissuader les futurs criminels. « Qui ignore que leurs passions façonnent les hommes et que la plupart du temps leurs humeurs l’emportent sur leurs sentiments ? » Les hommes doivent être jugés tels qu’ils sont et non tels qu’ils devraient être [55].
35Certains critiques de Beccaria virent le signe d’une conspiration dans la publication imprévue de son ouvrage. En 1779 Simon-Nicolas-Henri Linguet relate ce qu’un témoin lui avait dit :
Quelque tems [sic] après l’affaire de Calas, les encyclopédistes armés de son supplice et profitant de la circonstance favorables, mais sans se compromettre, selon leur usage, écrivirent à Milan au P. F. Barnabite, leur banquier de crédit en Italie et mathématicien digne de sa réputation, que c’étoit le moment de lâcher une déclamation sur la rigueur des peines et sur l’intolérance ; que la philosophie italienne devoit fournir l’artillerie, et qu’eux à couvert la serviroient à Paris [56].
37Linguet se plaignit de ce que le pamphlet de Beccaria était très connu et considéré comme défendant Calas et d’autres victimes récentes de l’injustice.
38Malgré les efforts des détracteurs de Beccaria, dans les années 1780, le concert de protestations qui s’élevait contre la torture devint assourdissant [57]. À cette époque des sociétés savantes en France, dans les états italiens et les cantons suisses offraient des prix aux meilleurs essais sur la réforme pénale. Le gouvernement français prit tellement ombrage du ton pris par la critique qu’il ordonna à l’Académie de Châlons-sur-Marne de cesser d’imprimer les exemplaires de l’essai de Jacques-Pierre Brissot, le lauréat du concours de 1780 [58]. Brissot suivait Beccaria en plaidant pour l’abolition de la peine de mort mais c’est le ton enflammé de son discours qui alarmait le gouvernement. Brissot invoquait « ces droits sacrés que l’homme tient de la nature » et il affirmait avec insistance qu’ « il est inconcevable qu’une nation douce, vivant sous un climat tempéré, sous un gouvernement modéré, puisse allier avec un caractère aimable et des mœurs paisibles toute l’atrocité des cannibales. Car nos peines judiciaires ne respirent que sang, que mort, ne tendent à inspirer que rage, que désespoir dans le cœur de l’accusé [59]. » Le gouvernement français n’apprécia pas de se voir ainsi comparé à des cannibales.
39L’ouvrage suivant de Brissot, Théorie des Lois Criminelles (1781), écrit primitivement pour un concours d’essais organisé à Berne, fit de lui le nouveau porte-drapeau du mouvement en faveur de la réforme pénale [60]. Le terme « humanité » (par exemple, « le spectacle de l’humanité souffrante ») apparut maintes et maintes fois dans ses écrits. Malgré son jeune âge et son manque d’expérience, Brissot, encouragé par les autres réformateurs, entreprit alors de publier une Bibliothèque Philosophique du Législateur, du Politique, du Jurisconsulte (1782-1785) en dix volumes qui dut être édité en Suisse et introduit en France en contrebande. Cet ouvrage rassemblait ses propres écrits et ceux d’autres réformateurs. En 1788, Brissot devait fonder La Société des Amis des Noirs, la première association française à militer pour l’abolition de l’esclavage. La campagne pour la réforme pénale devint alors étroitement associée à la défense générale des droits individuels.
40Les réformes suggérées dans les années 1780 n’allaient pas plus loin que celles déjà proposées par Beccaria, mais les partisans d’une réforme pénale commencèrent à dire avec insistance que des pratiques telles que la torture judiciaire étaient incompatibles avec une société civilisée [61]. Brissot compara le code criminel français au despotisme oriental [62]. En 1781, Servan qui luttait depuis longtemps pour la réforme pénale, applaudit à l’abolition récente par Louis XVI de la question préparatoire, « cette torture infamante qui pendant tant de siècles a profané le temple même de la justice et en a fait une école de la souffrance où les bourreaux suppliciaient avec raffinement. » La torture judiciaire était pour lui « une sorte de sphinx… un monstre absurde à peine digne de trouver asile chez des peuplades sauvages [63] ». Déjà en 1775 le réformateur William Eden avait rapproché tyrannie et châtiments cruels : « Quand les droits de la nature humaine ne sont pas respectés, ceux du citoyen sont généralement méprisés. Les lieux où prévalent les châtiments cruels se sont, dans l’histoire, révélés fatals pour la liberté. La clémence devrait être le garant des gouvernements modérés [64]. » La campagne en faveur de l’abolition de la torture et de la modération des peines s’engouffra dans la voie tracée par l’émergence de la notion des droits de l’homme et contribua à l’élargir. Une société « civilisée » défendait les droits humains de ses citoyens et interdisait donc la torture et les châtiments cruels.
41Dès 1788, la couronne de France avait adhéré à nombre d’idées nouvelles ; dans le décret abolissant provisoirement la question préalable, le gouvernement de Louis XVI parlait de « rassurer l’innocence… de supprimer tout excès dans l’application des peines… (et) de punir les malfaiteurs avec toute la modération qu’exige l’humanité [65] ». Les quelques tenants de la torture judiciaire adoptèrent de plus en plus le ton de la défensive. Muyart de Vouglans, dans son traité de 1780 sur la loi criminelle française, en convient tout en continuant de défendre la validité des aveux obtenus sous la torture : « Je n’ignore pas du tout que je dois combattre un système qui a plus que jamais gagné du crédit ces derniers temps. » Mais il refusa d’entrer dans le débat, arguant que ses adversaires ne sont que de simples polémistes alors que lui, il a la force du passé pour le soutenir [66].
42Les campagnes pour la réforme de la loi criminelle française aboutirent pendant la Révolution de 1789. Les Cahiers de Doléances (listes de griefs préparées pour les États Généraux de 1789) du Tiers État firent de la correction des abus dans le code criminel une des questions les plus importantes [67]. On ne peut guère s’en étonner puisque les partisans de la réforme de la loi criminelle sortaient des rangs du Tiers État (les roturiers) et qu’ils continuèrent à jouer un rôle éminent pendant la Révolution ; Brissot, par exemple, devint l’un des chefs des Girondins (appelés parfois Brissotins). Les décrets des 8 et 9 octobre 1789 et du 6 octobre 1791 réformèrent le code criminel ; la peine de mort demeurait, mais seulement pour quelques crimes et ne serait plus désormais appliquée que par décapitation. Être exposé publiquement avec un carcan de fer autour du cou n’était plus réservé qu’aux femmes et aux étrangers, et non aux citoyens masculins. La torture, le supplice de la roue, l’amende honorable, la mutilation et le marquage au fer furent tous abolis [68]. De la même façon, dans les nouveaux États-Unis, le Bill of Rights (la Déclaration des Droits) proscrivit « les châtiments cruels et inhabituels » (de l’aveu général, une large interprétation de cette notion est encore possible, spécialement en ce qui concerne les esclaves).
43En quelques décennies, des comportements nouveaux face à la torture judiciaire et aux châtiments cruels s’étaient profondément enracinés. Les notions séculaires de châtiments sacrificiels et de vérité par la souffrance avaient dépéri sous la pression de nouvelles expériences corporelles ; celles-ci, à leur tour, facilitèrent l’émergence de conceptions nouvelles des droits individuels et de critiques des anciennes pratiques, inspirées par les Lumières. Ce qui avait été banal devint barbare et sauvage. Ces changements ont peut-être permis la « normalisation » telle que l’entend Foucault, mais ils ont aussi donné une toute autre signification au mot « normal ». La notion d’un moi possédant des droits, autonome, inviolable devint l’idéal fondateur de la démocratie, même si cet idéal n’a pas été atteint dans le passé, et qu’il est aujourd’hui encore loin de l’être effectivement.
44Traduit de l’anglais (États-Unis) par Jean Pascaud.
Notes
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[*]
Lynn Hunt enseigne l’histoire européenne contemporaine au département Eugen Weber de l’UCLA. Née au Panama, elle a étudié dans le Minnesota et en Californie et s’est spécialisée dans l’histoire de la Révolution française et en méthodologie de l’histoire culturelle. Elle est l’auteur de : Politics, Culture And Class In The French Revolution ; The Family Romance of The French Revolution ; Telling The Truth About History, avec le concours de Joyce Appleby et Margaret Jacob. Sous sa direction ont été publiés : The New Cultural History, Histories : French Constructions of The Past, avec Jacques Revel ; Beyond The Cultural Turn, avec Victoria Bonnell et Human Rights And Revolutions, avec Jeffrey Wasserstrom et Marilyn Young.
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[1]
Michel Foucault, Surveiller et Punir : la naissance de la Prison, Paris, Gallimard 1975, p. 242, 251, 311.
-
[2]
Michel Foucault, Histoire de la Sexualité, Paris, Gallimard, vol.1, La Volonté de Savoir 1975, p. 205 ; vol.2, L’usage des Plaisirs, 1984 ; vol. 3, Le Souci de Soi, 1984.
-
[3]
Histoire de la Sexualité, vol. 1, p. 191.
-
[4]
Dans une interview citée par Jana Sawicki, « Feminism, Foucault, and ‘Subjets’ of Power and Freedom » dans Susan J. Heckman, (éd.), Feminist Interpretations of Michel Foucault, University Park, PA 1996, p. 173.
-
[5]
Norbert Elias, La Civilisation des Mœurs, Calmann-Lévy 1973, p. 149-150.
-
[6]
Pour un regard critique, voir Barbara H. Rosenwein, « Worrying about Emotions in History » American Historical Review, 107 2002, p. 821-845.
-
[7]
James H. Johnson, Listening in Paris: A Cultural History, Berkeley, University of California Press 1995, citation p.61.
-
[8]
Jeffrey S. Ravel insiste sur le brouhaha continuel des spectateurs debout au parterre dans The Contested Parterre : Public Theater and French Political Culture, 1680-1791, Ithaca, Cornell University Press 1999.
-
[9]
Annik Pardailhé-Galabrun, La Naissance de l’Intime, 3000 Foyers Parisiens, XVII° et XVIII° siècles, Paris, P.U.F 1988.
-
[10]
Georges T. M. Shackelford et Mary Tavener Holmes, A Magic Mirror: the Portrait in France, 1700-1900, Houston, Museum of the Fine Arts 1986, p. 9.
-
[11]
Ellen G. Miles, (éd.), The Portrait in Eighteenth-Century America, Newark, DE, University of Delaware Press 1993, p. 10.
-
[12]
T. H. Breen, « The Meaning of “Likeness”; Portrait Painting in an Eighteenth-Century Consumer Society », Miles, (éd.), The Portrait, p. 37-60.
-
[13]
Lettres sur les peintures, sculptures et gravures de Mrs de l’Académie Royale, exposées au Salon du Louvre depuis MDCCLXVII jusqu’en MCDDLXXIX, Londres, John Adamson 1780, p. 28 (salon de 1767), p. 51 (salon de 1769).
-
[14]
Michel Foucault, Surveiller et Punir, p. 19.
-
[15]
Julius R. Ruff, Crime, Justice and Public Order in Old Regime France: The Sénéchaussées of Libourne and Bazas, 1696-1789, Londres, 1984.
-
[16]
Richard Mowery Andrews, Law, Magistracy, and Crime in Old Regime Paris, 1735-1789, vol.1, The System of Criminal Justice, Cambridge, Cambridge University Press 1994, en particulier p. 385, 387-388.
-
[17]
Le Body of Liberties (1641) (Recueil des Libertés) du Massachusetts permet d’obtenir le nom de complices par la torture et il montre, en outre, le flou des notions de châtiments barbares et inhumains : « Personne ne sera forcé par la torture à avouer un crime contre lui-même ou n’importe quel autre à moins qu’il ne s’agisse d’une affaire capitale dans laquelle il est déclaré entièrement coupable par preuves bien claires et suffisantes. Après quoi, si la cause est de cette nature, s’il est manifeste qu’il y a d’autres conspirateurs ou complices avec lui, alors il peut être torturé, mais sans que ces châtiments soient barbares ou inhumains. » Lawrence M. Friedman, A History of American Law, New-York, Simon & Schuster, inc. 1991, p. 70.
-
[18]
Edward Peters, Torture, Philadelphia, University of Pennsylvania Press 1985.
-
[19]
Cela ne semble pas toujours le cas en Angleterre. Par exemple, le Parlement accrut considérablement le nombre de fautes capitales au xviiie siècle (selon certaines estimations leur nombre tripla au cours de ce siècle). Léon Radzinowicz, A History of English Criminal Law and its Administration from 1750, 4 volumes, London, Stevens & Sons 1948, vol. 1, p. 3-5 et 165-227.
-
[20]
John H. Langbein, Torture and the Law of Proof: Europe and England in the Ancien Régime, Chicago, University of Chicago Press 1976.
-
[21]
Andrews, Law, Magistracy, and Crime, citations p. 283 et 453.
-
[22]
J. S. Cockburn, « Punishment and Brutalization in the English Enlightenment », Law and History Review, 12 1994, p. 155-179, en particulier p. 177-178. Cette comparaison semble cependant fallacieuse ; on ne peut mettre sur le même plan le traitement brutal infligé par le gouvernement sur les corps des condamnés et la violence de la foule sur le lieu du supplice.
-
[23]
Cockburn, « Punish(ment) and Brutalization » p. 163.
-
[24]
Cité dans Randall McGowen, « The Body and Punishment in Eighteenth-Century England, » Journal of Modern History, 59 1987, p. 651-679, citation p. 668.
-
[25]
Pieter Spirenburg, The Spectacle of Suffering Executions and the Evolution of Represion: From a Preindustrial Metropolis to the European Experience, Cambridge, Cambridge University Press 1984.
-
[26]
Lisa Silverman, Tortured Subjects: Pain, Truth, and the Body in Early Modern France, Chicago, University of Chicago Press 2001. Sur les réformateurs anglais, voir McGowen, « The Body and Punishment. ».
-
[27]
Pour la France, voir Silverman, Tortured Subjects. L’affaire Calas eut moins de retentissement en Angleterre, mais le traité de Beccaria exerça une grande influence sur les idées réformatrices de William Eden, Principles of Penal Law, 1771 et de Samuel Romilly ainsi que sur Jeremy Bentham. Radzinowicz, A History of Criminal Law, vol. 1, p. 301-381.
-
[28]
Les origines du vocabulaire des droits de l’homme sont loin d’être une affaire réglée. Sur l’influence de l’école napolitaine de la loi naturelle, voir Vincenzo Ferrone, La Società giusta ed equa: repubblicanesimo e diritti dell’uomo in Gaetano Filangieri, Rome, Laterza 2003, en particulier p. 100-123.
-
[29]
Mémoires secrets pour servir à l’histoire de la République des lettres en France depuis MDCCLXII jusqu’à nos jours, Londres 1780, réimprimé 1970, vol.1, p.230 (passage relatif au 13 juin 1763). Puisque les volumes furent publiés après les dates qu’elles étaient censées couvrir, nous ne pouvons être absolument certains que l’usage de l’expression « droits de l’homme » soit aussi courant dès 1763 que ne le conclut l’auteur. The Inequality of Conditions se rapporte aux thèses de Rousseau sur l’origine de l’inégalité.
-
[30]
Berriat-Saint-Prix, Des tribunaux et de la procédure du grand Criminel, p. 93-96.
-
[31]
David D. Bien, L’Affaire Calas: Hérésie, Persécution, Tolérance à Toulouse au XVIII° siècle, trad. Philippe Wolff, Eché 1987.
-
[32]
La volonté de Voltaire de placer cette affaire dans le cadre de l’intolérance religieuse apparaît très nettement dans le Traité sur la Tolérance à l’occasion de la mort de Jean Calas (1763), dans Voltaire, L’affaire Calas et autres affaires, Paris, Gallimard 1975, p. 88-194.
-
[33]
Voir, par exemple Alexandre-Jérome Loyseau de Mauléon, Mémoire pour Donat, Pierre et Louis Calas, Paris, Le Breton 1762, et Jean-Baptiste-Jacques Élie de Beaumont dans Mémoire pour Dame Anne-Rose Cabibel, veuve Calas, et pour ses enfants sur le renvoi aux Requêtes de l’Hôtel au Souverain, ordonné par arrêt du Conseil le 4 juin 1764, Paris, impr. de L. Cellot 1765. Voir aussi Sarah Maza, Vies Privées, Affaires Publiques : Les causes célèbres de la France pré-révolutionnaire, trad. Christophe Beslon, Pierre-Emmanuel Dauzat, Paris, Fayard 1997.
-
[34]
Dans une lettre datée du 16 octobre 1765 Voltaire mentionne qu’il a lu Beccaria. Il y fait aussi allusion à l’Affaire Calas et au cas Sirven (impliquant également des Protestants). Théodore Besterman et al. (éds), Les Oeuvres Complètes de Voltaire, 135 volumes, Genève ; Banbury, Oxfordshire ; Toronto : Institut et Musée Voltaire ; Voltaire Foundation ; University of Toronto Press 1968.2001, 113, Correspondence and Related Documents, April-December 1765, 29, 1973, p. 346.
-
[35]
Sur l’accueil fait à l’ouvrage en France et dans d’autres pays européens, voir les lettres reproduites dans Franco Venturi, (éd.), Cesare Beccaria, Dei Delitti e delle pene, con une raccolta di lettere e documenti relativi all uscita dell’opera e alla sua fortuna nell’Europa del settecento, Turin, Giulio Einaudi 1970, en particulier p. 312-324.
-
[36]
Le commentaire de Voltaire met encore davantage en lumière les excès des châtiments cruels. Voir An Essay on Crimes and Punishments, Translated from the Italian, with a Commentary attributed to Mons. De Voltaire, Translated from the French, 4th ed, Londres, F. Newberry 1775. Dès 1768, la torture était au tout premier rang des scandales dénoncés par Voltaire. Dans une lettre adressée à Beccaria au début de l’année, il décrit les avanies subies par le Chevalier de la Barre. Venturi, (éd.), Cesare Beccaria, p. 438 (lettre non datée mais précédant juste une autre datée de mai 1768).
-
[37]
Luigi Firpo, « Contributo alla bibliografia del Beccaria. Le edizioni italiane settecentesche del Dei delitti e delle pene », dans Atti del convegno internazionale su Cesare Beccaria promosso dall’Accademia delle Scienze di Torino nel secondo centenario dell’opera « Dei delitti e delle pene », [Turin, 4-6 octobre 1964], Turin, Accademia Delle Scienze 1966, p. 329-453.
-
[38]
Marcello Maestro, Cesare Beccaria and the Origins of Penal Reform, Philadelphia, Temple University Press 1973, p. 43.
-
[39]
An Essay on Crimes and Punishments, Translated from the Italian, with a commentary attributed to Mons. De Voltaire, Translated from the French, 4e éd., Londres, F. Newberry 1775, citations p. iii et vii.
-
[40]
Crimes and Punishments, citations p. 2 et 179.
-
[41]
Crimes and Punishments, citations p. 107, 43 et 112.
-
[42]
En ce qui concerne les variations en France, voir Berriat-Saint-Prix, Des tribunaux et de la procédure du grand Criminel, p. 74-103.
-
[43]
Crimes and Punishments, citation p. 41.
-
[44]
Franco Venturi, (éd.), Cesare Beccaria, p. 30-31 pour l’édition italienne définitive (la dernière supervisée par Beccaria lui-même). Le paragraphe apparaît au même endroit de la traduction anglaise originale, au chapitre 11. Mais les éditions italiennes suivantes reprirent l’ordre adopté dans la traduction française. Voir par exemple, Dei delitti e delle pene. Edizione rivista, corretta, e disposta secondo l’ordine della traduzione francese approvato dall’autore, Londres, Presso la Società dei Filosofi 1774, p. 4. Selon Luigi Firpo, ce volume fut en réalité imprimé par Coltellini à Livourne. Firpo, « Contributo alla bibliografia del Beccaria », p. 378-379.
-
[45]
Voltaire publia un pamphlet de 21 pages en août 1762 sur l’Histoire d’Elisabeth Canning et des Calas. Il emploie les mêmes anecdotes et expressions pour décrire la torture et la mort que les autres commentateurs. Il est scandalisé, non par l’usage de la torture mais par ses abus injustifiés. Voltaire, L’Affaire Calas, p. 81.
-
[46]
Loyseau de Mauléon, Mémoire pour Donat, Pierre et Louis Calas, p. 38-39. Elie de Beaumont rapporte exactement les mêmes mots prononcés par Calas. Voltaire les avait insérés aussi dans son pamphlet.
-
[47]
Commentary Attributed to Mons. De Voltaire, p. lxi. Les pages du commentaire sont numérotées en chiffres romains bien qu’elles suivent le traité de Beccaria. Voltaire ne milita pas immédiatement pour l’abolition de la torture ; cela ne vint que dans son Prix de la Justice et de l’Humanité, publié l’année de sa mort en 1778. Venturi, (éd.), Cesare Beccaria, p. 493-495.
-
[48]
Crimes and Punishments, p. 60-61
-
[49]
Spierenburg, The Spectacle of Suffering, p. 53.
-
[50]
Cité dans McGowen, « The body and Punishment in Eighteenth-Century England », p. 669.
-
[51]
Cité dans McGowen « The Body and Punishment in Eighteenth-Century England », p. 670.
-
[52]
[Pierre-François] Muyart de Vouglans, Réfutation du Traité des Délits et des Peines,&c., imprimé à la fin de Les Loix criminelles de France, dans leur ordre naturel, Paris, Benoî Morin 1780, p. 811.
-
[53]
Muyart de Vouglans, Réfutation, p. 815.
-
[54]
Muyart de Vouglans, Réfutation, p. 824-826.
-
[55]
Muyart de Vouglans, Réfutation, p. 830.
-
[56]
Venturi, (éd.), Cesare Beccaria, p. 496. Ce paragraphe est extrait de l’ouvrage de Linguet, Annales Politiques et Littéraires, 5, 1779.
-
[57]
Il est impossible de faire ici un recensement complet des écrits contre la torture. Voir Sarah Maza, Vies Privées, Affaires Publiques : Les causes célèbres de la France pré-révolutionnaire et Jacobson, The Politics of Criminal Law Reform.
-
[58]
Jacobson, The Politics of Criminal Law Reform, p. 316.
-
[59]
Les citations proviennent de l’essai de Brissot, Discours sur les moyens de prévenir les crimes en France, titre qu’il donna à son ouvrage destiné au concours de l’Académie Royale de Châlons-sur-Marne quand il le publia de nouveau dans la Bibliothèque du Législateur. Reproduit dans Venturi, (éd.)., Cesare Beccaria, p. 517.
-
[60]
Brissot décrit les réactions dans ses mémoires, Claude Perroud, (éd.), J. P. Brissot, Mémoires (1754-1793), 2 vols, Paris, Alphonse Picard & Fils, s. d., vol. 1, p. 222-226.
-
[61]
Brissot utilise la même dialectique que les avocats rédigeant des dossiers dans les diverses causes célèbres des années 1780 ; non seulement ils défendaient leurs clients injustement accusés, mais de plus en plus ils mettaient en accusation le système judiciaire dans son ensemble. Ces dossiers étaient habituellement rédigés à la première personne comme si leurs clients avaient eux-mêmes écrit ces récits romancés mélodramatiques pour donner plus d’impact à leurs arguments. Ces procédés stratégiques sont analysés en profondeur par Sarah Maza, Vies Privées, Affaires Publiques : Les causes célèbres de la France prérévolutionnaire.
-
[62]
Shelby T. McCloy, The Humanitarian Movement in Eighteenth-Century France, Lexington, KY, University of Kentucky Press 1957, p. 196.
-
[63]
Joseph Michel Antoine Servan, Discours sur le progrès des connoissances humaines en général, de la morale, et de la législation en particulier, s. é. 1781, p. 99.
-
[64]
Cité dans McGowen, The Body and Punishment in Eighteenth-Century England, p. 669.
-
[65]
Jourdan, (éd.), Recueil Général des anciennes Lois Françaises, 28, 528.
-
[66]
Muyart de Vouglans, Les Loix Criminelles, p. 796.
-
[67]
En comptant de 1 à 1125, 1 étant la fréquence la plus élevée, la fréquence des sujets qui apparaissent dans les cahiers de doléances, on relève :
- pour le code criminel : 70,5 pour le Tiers État, 27,5 pour la Noblesse, 337 pour le Clergé ;
- pour la procédure légale : 34 pour le Tiers État, 77,5 pour la Noblesse, 15 pour le Clergé ;
- pour les poursuites et les sanctions : 60,5 pour le Tiers État, 76 pour la Noblesse, 171 pour le Clergé
- pour les peines données par la loi criminelle : 41,5 pour le Tiers État, 213,5 pour la Noblesse, 340 pour le Clergé
-
[68]
Pour une vue d’ensemble, voir McCloy, The Humanitarian Movement, p. 202-209.