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Article de revue

Modalités d’identifications et de défenses chez des parents dont les bébés sont hospitalisés

Pages 129 à 147

1Dans le cadre d’un séminaire consacré aux bébés malades, aux détours d’échanges entre professionnels, il m’est rapidement apparu que, probablement de façon défensive, le regard et les discussions de la majorité des membres du groupe s’orientaient immanquablement vers les parents. Cette attention portée sur l’environnement du bébé aurait fini par aller à contre-courant des objectifs de notre travail groupal, en obturant notre regard sur les processualités spécifiques au bébé, voire sur les modalités de liens en train de se tisser, si la dynamique contre-transférentielle du groupe n’avait pas été questionnée. J’avais le sentiment, si on reprend la conceptualisation de Bion (1961), qu’on passait, à certains moments, de la dynamique d’un groupe de travail à un groupe à présupposé de base attaque-fuite. Ce qui se jouait là possédait une telle force que cela méritait d’être questionné. Que vivaient donc ces parents, dans le lien à leur bébé malade, qui puisse mobiliser de telles réactions contre-transférentielles ? À quelles modalités de défense avaient-ils recours pour surmonter cette épreuve, se maintenir vivants et maintenir au mieux le lien à ce bébé qui est le leur ?

2Tout adulte secondarisé, probablement plus encore si ses processus secondaires sont peu stables, sent son organisation psychique ébranlée par le contact avec des bébés, plus encore avec des bébés en souffrance, que cette souffrance soit physique ou psychique. Le danger est alors, pour l’adulte, d’ordre narcissique ; le danger touche à ses repères identitaires quand il est confronté à ses modalités d’identification primaire par une processualité que P. Marty et M. Fain (1954) considéraient comme de l’ordre de l’identification sensorimotrice primaire. La force de ce qui se joue dans cette identification fait appel à l’émotion, incluant la corporéité ; ainsi, par exemple, dans les cas de tristesse, celle-ci peut être accompagnée de ressentis corporels, voire somatiques, qui s’y associent, ou même la couvrent. On ne sait pas vraiment qu’on est triste, mais on ressent une boule au ventre.

3Par le biais de cette identification sensorimotrice, ce qui se passe pour le bébé a un impact assez direct sur les parents, mais aussi chez ceux qui occupent la fonction parentale, surtout lorsque ces bébés malades, hors langage verbal, sont confrontés à des ressentis très pénibles, souvent persécutifs, qui les débordent, les abattent. Ces ressentis internes au bébé malade, souvent excessifs, sont difficilement perceptibles et décodables par les parents, par les soignants, qui ont besoin de s’en défendre, comme l’a montré le mythe du bébé insensible à la douleur du fait de son immaturité. Cette croyance infirmée en 1987 a trouvé une résistance, car lever le déni de la douleur demandait aux soignants et aux parents de se confronter à la douleur du bébé et à leurs réactions face à la violence que la maladie, le bébé, l’hôpital leur font subir.

Processus d’identification et de défense mis en place par les parents

Investissements, négativation, répression des vécus et ressentis hospitaliers du bébé

4Je vais débuter cette réflexion en évoquant ma surprise à propos de comportements de parents de bébés prématurés récemment rentrés à la maison et présentant des difficultés d’endormissement chez eux. Dans de telles circonstances, il arrive que des parents reviennent dans le service de néonatologie pour enregistrer le bruit des machines et aider leur bébé à s’endormir. Ils indiquent par là et en après-coup la reconnaissance et l’introjection par identification de ce que leur bébé a vécu, en dehors d’eux, la reconnaissance des expériences qui l’ont marqué, qui ont laissé des traces douloureuses mais aussi positives en lui.

5Cela exprime encore, chez ces parents, une forme de gratitude vis-à-vis de ces machines qui ont pris soin de leur bébé, l’ont materné en maintenant l’homéostasie de ses fonctions vitales. J’oserais dire que la machine est un peu perçue et acceptée comme un possible soutien à leur parentalité, dans une forme de fonction grand-maternelle.

6L’alliance avec les machines étant étroitement dépendante de la qualité du fonctionnement mental des parents, de leur capacité à la reconnaissance, de leur adéquation à la réalité, de l’intensité de leurs projections persécutives, plus nombreux sont les parents qui, après avoir quitté l’hôpital, ne veulent plus rien savoir de ces machines qui ont volé leur bébé et l’ont fait souffrir. Ces parents tentent, en revanche, d’organiser un clivage plus ou moins stable entre ce qui s’est joué à l’hôpital et ce qui se joue à la maison, entre avant la naissance, le no man’s land de l’hôpital et le présent.

7On voit qu’il s’agit là de toute une processualité de mise en pensée avec mobilisation de défenses de type plus ou moins projectives, plus ou moins paranoïdes en fonction des blessures narcissiques de chacun.

De l’opératoire à la « sémiotisation » du somatique pour aller vers l’apaisement

8Faire appel à une modalité de fonctionnement opératoire n’est pas rare chez les parents, comme chez les soignants confrontés à cette clinique. Il semble que quasiment tous les parents soumis au choc d’un bébé hospitalisé, surtout dans les cas graves, aient besoin, pour se maintenir efficients auprès de leur enfant, de mobiliser, à des degrés divers, des défenses de type opératoire et/ou des défenses chargées en confusion et en déni.

9L’opératoire, ce travail de « dé-psychisation » et de désaffectation, serait une réponse défensive face à un bébé hospitalisé, un bébé démuni et impuissant qui nous confronte douloureusement à notre propre impuissance et à certains fantasmes chargés en potentialités destructrices. L’extrême dépendance des bébés, de surcroît lorsqu’il s’agit de bébés malades, soumet le psychisme de l’adulte à rude épreuve, du fait même qu’ils se sentent en position de « res-ponsability » (2009) et d’impuissance relative.

10De nombreux parents confrontés à la maladie de leurs enfants cherchent dans la curiosité, la quête de compréhension, un soutien secondarisé pour ne pas défaillir. Cette mobilisation dans la pensée peut s’associer à un fonctionnement plus ou moins coupé de l’affect, plus ou moins opératoire, mais peut ouvrir sur d’autres modalités défensives, comme la recherche de compréhension, que je ne rangerai pas du côté de la sublimation.

11La recherche de compréhension de ce que ressent et vit leur bébé peut expliquer certains liens étonnants qui se tissent entre l’un des parents (ou les deux parents) et les machines qui aident à la survie de leur bébé, les machines qui leur indiquent partiellement ce qui se passe en lui, les aident à « sémiotiser » le somatique, à en faire des données corporelles libidinalisées et ainsi frayer la voie aux autoérotismes. Ainsi, certains parents parviennent à transcender le rapport à la machine (éléments inscrits sur le scope, chiffres, schémas, couleurs, bips…) et à utiliser les informations données par celle-ci sur la vie somatique interne de leur bébé pour mobiliser des liens chargés en vitalité avec lui : « Tu vas bien, tu sais, on est content… » Ces informations chargées de vitalité érotisée permettent aux parents de dialoguer avec leur bébé, même lorsqu’il est « sédaté », leur permettent de dialoguer entre eux et avec les soignants. On peut retrouver la distinction développée par D. Braunschweig et M. Fain (1993) entre apaiser et calmer par une intervention dans le lien au bébé : « La pulsion de mort n’agirait pas dans le silence, mais pour rétablir le silence », déclare M. Fain. Ainsi, un bercement constant, mécanique d’une mère peut provoquer le calme chez le bébé, sans satisfaction, sans libidinalisation, il est calmé par « une forme particulière d’excitation ». À l’inverse, un bercement chargé de tendresse provoquerait la cessation des cris ou l’endormissement du bébé, mais dans le bien-être. Le calme permet la cessation de la souffrance sans satisfaction ni détente, mais en sidérant les fonctions psychiques du bébé et en mettant en péril l’intégrité de son Moi.

12C’est cette dynamique d’apaisement qu’on entend dans l’investissement de la machine par certains parents, elle devient un prolongement d’eux qui prend soin du bébé, un prolongement de la famille et, de ce fait, introduit d’emblée la triangulation.

13Tout le monde n’est pas à même de se mobiliser pour un tel travail psychique de liaison ; certains parents débordés par l’angoisse, la colère, la dépression… n’y parviennent pas. Ils se sentent blessés narcissiquement, en rivalité avec ces machines, avec le personnel, projetant leur culpabilité, leur agressivité considérant que tout ce monde médical leur dérobe leur enfant, le coupe d’eux, le déshumanise, en font un étranger. Toutes ces modalités projectives permettent à ces parents de dénier le risque vital qu’encourt leur bébé, évite, dénie leur propre besoin d’aide et, de façon plus globale, leur détresse et leur ambivalence vis-à-vis de ce bébé qui leur fait vivre des expériences si douloureuses et si blessantes…

14Pour synthétiser, on peut considérer que la machine peut devenir, en fonction de la qualité et des modalités de l’investissement, un espace de projection, voire un protagoniste de l’univers relationnel. Elle propose des signes qui peuvent être saisis par les parents, signes qui parlent de leur bébé malade, endormi, anesthésié et qui lui donnent des nouvelles de ce qui se passe en lui, dans son petit corps, de l’autre côté de la peau, dans le versant somatique. Ces signes pourront prendre sens, se « sémiotiser », se symboliser et favoriser l’organisation d’un discours sur le corps du bébé, ce corps devenant alors susceptible d’être investi, érotisable.

Le somatique, un protagoniste pour la psyché

15L’idée communément admise est que le somatique précède ou mobilise le psychique (Freud, 1915). Notre observation des bébés nous amène à proposer l’idée que le somatique serait plutôt à poser pour la psyché comme un protagoniste, voire un élément même de la psyché plutôt que comme un creux de celle-ci. La grande plasticité du cerveau à cette période de la vie semble aller dans ce sens. Le socle somato-psychique inclut l’objet : la fonction maternelle essentielle est de permettre l’établissement d’un équilibre homéostatique. Ainsi, les constantes biologiques nous parlent, en partie, de la relation primaire à l’objet primaire, puisque l’homéostasie interne du bébé dépend intimement de l’objet primaire.

16Comme le dit Green, la pulsion porte en elle la vocation d’un lien avec l’objet qui est conçu comme faisant partie de soi, mais qui est situé hors de soi. Ce dehors est perçu comme un dedans. La reconnaissance de ce qui est en soi ne peut aboutir que par son réfléchissement préalable sur l’objet qui la renvoie par réflexion, comme dans le contre-transfert, par exemple, car le processus est inconscient.

17La tâche est d’autant plus difficile que la détresse primaire se situe dans un manque à représenter qui crée un manque à représenter. Comment des parents parviennent-ils à investir leur bébé qui présente des maladies sans espoir de guérison, voire de survie ?

Thomas, 5 mois

Sidération traumatique maternelle et angoisse massive de sa dangerosité interne

18Thomas a 5 mois, ses parents viennent d’apprendre qu’il est porteur d’une maladie métabolique : une hypertonie, une spasticité musculaire d’origine neuronale, progressive, de plus en plus envahissante et entravant sa motricité. C’est dans ce contexte d’annonce de cette maladie grave et non réversible que la maman est retombée enceinte. Quand la psychologue entre dans la chambre, Thomas est allongé dans son lit : « Il me sourit dès que je m’approche. Il a des mouvements d’ouverture et de fermeture de la bouche avec la langue qui sort comme pour téter. Le père est près de lui, accoudé au bord du lit. Mme S. est assise sur une chaise, un peu à l’écart. Pendant toute notre rencontre, les parents ne se rapprochent pas de Thomas, ils ne le toucheront pas. Ils arrivent d’Avignon où il a été hospitalisé et où il a beaucoup souffert. L’hospitalisation s’est très mal passée. Pendant deux jours, Thomas se cambrait de douleur et ils n’ont rien fait pour le soulager. Là, ils ont le sentiment qu’il est plus détendu. Pour le père, Thomas se rend compte de son état. Avant d’être malade, il cherchait à se mettre assis, il attrapait les jouets. Il aimait beaucoup avoir quelque chose sur la tête pour s’endormir, soit les barreaux du lit, soit son doudou qu’il faisait glisser sur sa tête. Les parents lui ont mis le doudou contre lui, mais il ne peut plus l’attraper.

19« Thomas gazouille et gémit de temps en temps. Le papa m’explique qu’il va s’endormir. Je ressens une plainte de la part de cet enfant et je sens les parents désemparés, ne pouvant pas venir le soulager. Leur plus grande inquiétude, c’est au niveau moteur, la mère dit que s’il ne peut pas marcher, ni tenir assis, alors… En plus, il n’aura pas de problèmes d’un point de vue intellectuel, donc il se rendra compte de son état ; et s’il a envie de faire comme son frère et sa sœur ? »

20Dans le cas de Thomas, lors des premières rencontres, on peut percevoir que les parents, en particulier la mère, face à la perte des capacités motrices de Thomas, manifeste une grande difficulté à toucher son bébé malade, alors que celui-ci maintient des aptitudes relationnelles et d’investissement : il sourit à la psychologue qui entre. Lors du premier entretien, les parents déclarent à la psychologue : « Thomas se cambrait de douleur et ils n’ont rien fait pour le soulager. »

21« Ils » renvoie là au personnel de l’hôpital, et ce n’est pas le cas dans la phrase qui suit : « Là, ils ont le sentiment qu’il est plus détendu. » Le ils renvoie cette fois-ci à eux-mêmes.

22Il est probable que les parents se ressentent comme un environnement « défaillant », comme des objets non transformationnels (Bollas, 1989) inaptes, incapables de remplir leur mission. Leurs réactions portent le signe de la blessure narcissique. Cette blessure rend probablement compte que tout leur être est attaqué : le non-être du bébé leur renvoie quelque chose de leur non-être à eux. La désobjectalisation génère de la désubjectivation. Pour se défendre contre cette désubjectivation, ils ont recours à la projection : ils projettent leur culpabilité et leurs angoisses persécutives sur d’autres responsables, en particulier les « médicaux », le personnel du premier centre hospitalier. La projection fragile fonctionne alors comme une défense anti-désubjectivante : ce n’est pas nous, mais eux. Ils ne sont pas humains.

Le clivage fonctionnel au service de la réorganisation des liens

23Durant l’observation, la psychologue déclare : « Je ressens une plainte de la part de cet enfant et je sens les parents désemparés, ne pouvant pas venir le soulager. »

24Ces parents sont encore sidérés, sous le choc de ce qui arrive à leur bébé, de ce qui leur arrive. L’immense dépendance du bébé mobilise à la fois notre responsabilité d’adulte et de soignant vis-à-vis de lui et génère simultanément le fantasme de notre dangerosité et des défenses exacerbées, afin de réprimer et d’évacuer tout mouvement psychique négatif.

25Un mois plus tard on peut voir la mère de Thomas beaucoup plus pertinente et capable de parler de son ambivalence sans avoir besoin de recourir à un processus projectif. Elle déclare à la psychologue que son mari et elle ne peuvent pas « le prendre toujours dans les bras, même s’il s’énerve ». Elle ajoute même qu’elle a parfois envie « de le mettre sur orbite ». L’observation révèle dans le même temps qu’elle s’adapte mieux à lui : « La mère porte son enfant dans ses bras en regroupant son corps vers l’avant. Elle le tend à son mari pendant qu’elle téléphone et tout de suite Thomas se cambre en arrière, pleure, gémit. Le père lui demande ce qu’il a, semble désemparé. La mère raccroche et se lève, le prend dos contre elle et le recroqueville en lui faisant comme un fauteuil. Il se calme. »

26On voit que le père, au moment de l’annonce, a adopté une fonction maternelle, car sa femme était par trop désemparée. À présent qu’elle s’est un peu remise de cette annonce traumatique, il lui cède la place et elle parvient à trouver la gestuelle et les enveloppements qui aident leur bébé. Pour apaiser un bébé, encore faut-il être soi-même apaisé a minima.

27Dans les observations que nous avons travaillées, les mères sont souvent encore plus blessées, encore plus désorganisées que les pères par l’annonce de la maladie de leur bébé, probablement parce qu’elles ont été pendant neuf mois dans un lien somato-psychique avec celui-ci. Elles n’ont pas su le protéger dans leur ventre de ce danger qui le fait à présent souffrir. Plus terrible encore, ce sont elles qui le lui ont transmis.

28Qui a transmis cette maladie, quel est l’auteur de cette souffrance ? Cette question devient souvent un enjeu, mobilise des conflits, des clivages entre les familles, dans le couple. Dans le cas de Thomas, les tests signalent que les deux parents sont porteurs de la maladie. Que le bébé à venir a toutes les chances d’être lui-même malade. Les parents décident une interruption de grossesse médicalement assistée. À leur retour, la mère imagine que Thomas a compris qu’ils ont choisi de ne pas garder ce bébé porteur de la même maladie que lui. « Elle se demande s’il a pensé à ce qu’ils auraient fait s’ils avaient su pour lui. »

29On peut se rendre compte aussi, dans cette observation de Thomas, à quel point la projection sur un bébé de pensées qui sont les nôtres est massive, à quel point les parents ont recours à des processus primaires, même lorsqu’ils sont assez bien secondarisés. Une part de déni est aussi nécessaire à la survie psychique des parents, au lien, à leur aptitude à pouvoir continuer à investir leur bébé. Ce déni transparaît dans les dires des parents, qui critiquent le déni de la grand-mère, tout en évacuant eux-mêmes le risque vital qu’encourt Thomas :

30« Le plus difficile, c’est d’accepter qu’il soit différent. Sa mère à elle ne se rend pas compte, elle pense juste au régime, mais elle ne se rend pas compte qu’il ne marchera peut-être jamais.

31« Thomas se réveille. Nous nous approchons de lui. Je lui dis bonjour. Il me regarde, me sourit, gazouille. Ses mains sont plus ouvertes, moins crispées. Mme S. me dit alors qu’il ne la “calcule” pas. Comme je suis là, il ne la regarde pas. J’observe en effet qu’il évite son regard. Elle semble très touchée de cette situation. »

32La maman interprète cette situation du côté de la rivalité plutôt que de se confronter psychiquement à cette situation chargée en dynamiques primaires blessantes : Thomas percevrait son incapacité à l’aider, à le sauver, pire, il imaginerait leur désir de mort sur lui, d’où l’évitement du regard. On perçoit l’angoisse de la mère quant à son ambivalence, voire sa dangerosité vis-à-vis de son enfant dont la maladie serait une sorte de confirmation. Cependant, au cours de l’hospitalisation, la répression semble moindre, favorisant une meilleure adaptation de la mère à son bébé, un nouveau mode d’accordage ajusté à la réalité actuelle de son bébé.

Paul, 6 mois

33Paul arrive au CAMSP à 3 mois, orienté par un hôpital de Marseille.

34Les parents, primipares, avaient programmé une grossesse en réunissant toutes les conditions fastes pour un bon accouchement. Peu avant l’accouchement, la mère se rend à la maternité pour des « pertes incontrôlées ». Elle subit une césarienne en urgence. À la naissance, leur bébé présente un ensemble de troubles graves (d’ordre métabolique, respiratoire, vasculo-cérébral, touchant les zones de la mobilité et des émotions). Paul passe en très peu de temps de la maternité choisie avec soin par les parents à l’hôpital d’Aix-en-Provence puis, à son troisième jour de vie, à l’hôpital de Marseille où il restera huit jours en réanimation, puis un mois en néonatologie.

35Sachant l’intensité de ce qui se joue pour un bébé et ses parents dans ces premiers jours après la naissance, on ose à peine imaginer le vécu catastrophique des uns et des autres.

36Le travail avec des enfants lourdement handicapés nous confronte et confronte les parents à une temporalité très particulière. Il faut, partiellement, oublier ou nier la temporalité pour garder vivante notre capacité à investir, à nous maintenir dans une dynamique psychique chargée en espoir, en restant attentifs à des modifications peu visibles par un œil non avisé.

37On peut, par ce biais, mieux ressentir ce qui se passe pour les parents confrontés, dans leur quotidien, aux incapacités de leur enfant et aux comparaisons inévitables avec d’autres enfants du même âge qui mettent à mal leurs capacités à la dénégation partielle. Pour parvenir à « survivre » psychiquement, à ne pas se désorganiser psychiquement, à maintenir leur investissement vis-à-vis de cet enfant par ailleurs si blessant narcissiquement, il importe de respecter certaines modalités de défense primaires auxquelles ils ont recours.

Émergence de potentialités représentationnelles dans l’objet

38Lors de la première rencontre avec la psychologue et la pédiatre du CAMSP, la mère logorrhéique paraît très opératoire, parlant peu d’affects, se concentrant sur l’énumération des maladies, des événements, des soins à faire. Son fonctionnement opératoire n’est cependant pas stable, comme le signale déjà sa logorrhée ; il cède assez rapidement la place à de la colère lorsqu’elle parle des hôpitaux. Le père, plus silencieux, porte attention au bébé et s’occupe de lui. Il interprète toute expression sonore ou plainte du bébé comme une demande de biberon. Lors de la seconde rencontre avec la psychologue et la psychomotricienne, les parents inquiets de ce que leur enfant ne mange pas sont très intrusifs dans le nourrissage. On sent dans cette intrusivité, surtout chez la mère, de la colère contre ce bébé qu’elle imagine hostile : il refuse son lait, ce lait qu’elle s’astreint à tirer régulièrement de ses seins. Son impossibilité à boire, à absorber, est ressentie chaque fois comme autant d’oppositions et d’attaques à son encontre.

39« Le père donne finalement à manger à Paul. Il force pour faire entrer la tétine dans la bouche de Paul qui la prend en accrochant le regard de son père. Puis il la lâche, le père se lève pour lui faire faire un rot. Paul semble s’endormir. Madame dit alors qu’il fait semblant de dormir. Pour vérifier elle lui met une sucette dans la bouche, qu’il prend. “Vous voyez”, dit-elle. »

40C’est la fin de la consultation. Les thérapeutes se sentent sidérées et la psychologue dit ressentir, corporellement, un sentiment de dégoût lié à cette expérience de forçage. Il s’agit là d’une identification sensorimotrice primaire au bébé. La sidération des thérapeutes renvoie à celle que les parents ressentent, mais ne conscientisent pas. Les thérapeutes, les parents, comme Thomas se trouvent débordés par un excès d’excitations ingérables. Ici, il n’y a pas de partage de l’affect mais du trauma.

41Lors de notre séminaire, après la présentation du cas, la réaction immédiate du groupe a été de se lancer dans une forme de questionnement médical, tentative de mise à distance du vécu de catastrophe de ce bébé et de ces parents auxquels il était pénible de s’identifier. Dans le second temps, c’est la mère et sa façon de tenir à distance son bébé sur laquelle se centre l’attention du groupe. Puis, dans un troisième temps plus réflexif, nous prenons peu à peu conscience que, dans ce besoin de savoir et de comprendre, nous nous étions, de fait, totalement identifiés aux modalités défensives de la mère, nous coupant comme elle de l’affect, recourant à des défenses de type opératoire et projectives.

42Dans notre séminaire, c’est souvent par le prisme de ce qui s’est joué contre-transférentiellement que nous sommes parvenus à mieux saisir ce qu’il en était de la dynamique psychique des parents. C’est parfois par le biais de conflits passionnels, frôlant le clivage, que nous avons pu percevoir notre identification aux modalités défensives éprouvées, vécues par les parents et que chaque partie du groupe ou certains membres du groupe portaient contre-transférentiellement.

43Nous nous sommes alors rendu compte que, dans cet univers où les aspects représentationnels sont plutôt situés du côté de la sensorimotricité, c’est dans l’objet (thérapeutes, groupes de supervision…), que la qualité des conflits et des défenses peut être appréciée, se représenter. Nous avons mieux perçu, ressenti, devrais-je dire, avec quelle force la question des limites soi-non soi, la question de la différenciation (en grande partie issues de l’extrême dépendance, et des niveaux de régressivité auxquels nous revenons du seul fait d’être confrontés aux bébés) remobilisent nos souffrances infantiles et nous interpellent sur notre responsabilité vis-à-vis d’eux.

Répression et déni chez les soignants

44Chose assez étonnante, pendant longtemps, dans cette présentation de cas à trois voix (psychologue, psychomotricienne et kinésithérapeute), aucune description du bébé n’est proposée avant l’âge de 6 mois, moment où la kiné intervient comme nouvel intervenant. Ce qui est réprimé, l’« éthiquement incorrect », est levé : « Tu vas voir, c’est un bébé impressionnant. » Paul a 6 mois.

45« Je découvre une grosse tête comme coincée contre les bords du berceau, des yeux immobiles comme son corps ; seules les lèvres bougent autour de la sucette. Je reste un instant immobile et silencieuse. Je suis saisie par l’aspect figé et massif de ce bébé qui paraît plus vieux que 6 mois. Je me dis qu’il ne ressemble pas à un bébé, qu’il n’est pas beau. »

46Il est fréquent qu’avec des bébés malades, handicapés, surtout si le risque vital est engagé, un travail de répression empêche de faire une description corporelle qui implique l’affectivité et qui irait dans le sens contraire du déni et laisserait s’exprimer les ressentis de mise à distance, voire de rejet (ressenti contretransférentiel, en identification aux parents). Dans cette même dynamique, il est fréquent aussi que le prénom de l’enfant soit peu utilisé au profit des génériques « le bébé » ou « l’enfant ». Les projections négatives se concentreront, le plus souvent sur la mère, perçue comme inadéquate.

47Au cours du séminaire, nous nous sommes peu à peu rendu compte que la violence des réactions de la mère de Paul semble liée à sa moindre aptitude à activer ses défenses de façon efficiente, à « oublier », à faire abstraction de la temporalité effective. Elle n’a pas assez de capacité de déni, à la répression, et encore moins au refoulement. Elle se situe dans une urgence, confrontée aux incapacités de son bébé au quotidien, aux comparaisons avec les enfants du même âge. Dans des situations traumatiques, s’adapter nécessite l’appel à des défenses primaires dont la présence manifeste la souplesse du fonctionnement mental des adultes chargés de s’occuper de l’enfant. La mère de Paul n’a pas cette souplesse, elle se débat dans une grande détresse, d’où des formules impératives qui ne tiennent pas compte des possibilités de son bébé, mais pointent l’incompétence des praticiens pourtant investis. Ainsi, elle note que la station assise n’est toujours pas tenue et qu’elle aimerait bien que ça se fasse rapidement.

48Dans une conception psychosomatique, on peut dire qu’elle présente des défenses de caractère qui l’aident à ne pas se désorganiser somatiquement. Voyons ce qui se passe alors que Paul a 2 ans et un mois lors d’une séance de travail avec la psychomotricienne.

49« La mère de Paul est dans la salle d’attente et discute avec Gisèle notre auxiliaire de puériculture qui tient Paul dans ses bras. Je souhaite mes meilleurs vœux à Paul et à sa mère. Madame baisse les yeux et fait la moue. Elle me raconte que Paul ne voulait plus être dans ses bras et qu’il est bien mieux avec Gisèle et me dit : “Nous allons l’embarquer avec nous dans la séance de psychomotricité.” Paul est lové dans les bras de Gisèle et il la regarde. Madame finit par récupérer Paul dans ses bras et moi, je pousse la poussette. »

50On voit immédiatement à quel point les échanges sociaux chargés en ritualisations banalisées sont pour cette mère des rappels de la cruauté de ce qu’elle vit. Elle confiera à Olivia (la psychomotricienne) qu’elle a encore appris pendant les vacances que son fils présente « une cardiopathie en plus de tout le reste ». Il y a de quoi faire la moue…

51Il est probable que, de plus, ces annonces répétées de catastrophes mobilisent de façon plus ou moins consciente les fantasmes et les souhaits de mort des parents. À ces blessures narcissiques répétées d’« avoir fait » un enfant en si grande difficulté se rajoute la douleur (en miroir ?), chez la mère, de ne pas se sentir aimée de lui. « Elle me raconte que Paul ne voulait plus être dans ses bras et qu’il est bien mieux avec Gisèle. »

52Pour la mère, il s’agit là d’une confirmation de plus de son inadéquation à être une mère aimante et aimée, malgré les efforts considérables qu’elle mobilise pour s’occuper de son fils. Ceci est confirmé dans sa modalité d’interprétation des productions sonores chargées en « mmm » de son fils. Ce n’est pas elle qu’il appelle par ces sons, mais son doudou.

53Voici la séance avec la psychomotricienne :

54

« Paul et ses parents m’attendent dans la salle d’attente. Paul est dans son “cosy” sur sa poussette : il dort bien profondément. Papa dit qu’il s’est endormi dans la voiture. Le père dit qu’il va se réveiller petit à petit. Arrivé dans la salle de psychomotricité, il dépose Paul sur le tapis et il s’éloigne de lui. Je dis à Paul qu’il dort bien profondément, mais que d’après son père il va bientôt se réveiller. Quelques minutes après, Paul se réveille. Sa sucette est dans sa bouche. Paul sourit, s’étire. Ses parents et moi-même commentons son réveil. “Tu t’étires”, dit sa mère. “Tu souris”, dit son père. “Ça a l’air d’être un réveil agréable”, dis-je.
Paul sur le tapis s’étale de tout son long. Petit à petit des mouvements du bas de son corps apparaissent et, comme il a l’habitude de faire très souvent, il active ses jambes et tape le sol avec. La mère dit “vas-y, fais le Tour de France”, en référence aux mouvements de pédalage de Paul.
Deux bâtons de bois en main, je propose à Paul des petits tapotements sur tout son corps. Ces bâtons émettent ainsi un son mais aussi des vibrations à la rencontre de l’os.
Paul me regarde très attentivement et me sourit. Il semble apprécier ces tapotements que j’imprime sur son corps. Il suit du regard les bâtons parcourant son corps. C’est nouveau que Paul aille regarder son espace droit avec beaucoup d’intention. Paul se laisse faire et facilite ma proposition en détendant son bras gauche dans un premier temps. Puis son bras droit s’ouvre petit à petit. Cela semble plus difficile pour lui, mais aujourd’hui Paul accepte le toucher sur ce côté-là. La main gauche attrape un des bâtons et je l’aide à attraper le second avec sa main droite. Paul accepte de se laisser guider par mes mouvements de rassemblement de main au niveau de son centre (thorax). Je fais part à Paul des mouvements qu’il fait avec son corps. Je m’en trouve très touchée et j’ai la sensation que mes poils se hérissent. Je suis touchée en fait par ses progrès et sa grande envie d’aujourd’hui.
Père et mère observent Paul se mouvoir et se font des commentaires en chuchotant. Il est rare que père et mère ne parlent pas, mais observent. Le père peut dire à son épouse : “Regarde, tu as vu ? Il a ouvert sa main.” Et la mère peut aussi lui dire : “Regarde, il tape.” “Si ça n’est pas un enfant intelligent !”
Un moment de pause pour Paul. Je lui propose de se détendre et de bouger comme il en a envie. Il reprend ses mouvements de jambes, sourit et gazouille. Cependant le père, assis sur une chaise, masse la mère qui est au sol.
Je propose à Paul de faire des roulés-boulés, ce qu’il accepte. De sa mère vers une balle sonore ou de la balle vers elle, qui est au sol. Paul a une phase d’alerte et d’orientation très franche lorsque je fais retentir la balle clochette. Je suis extrêmement surprise par sa réactivité aujourd’hui et par le climat positif qui règne dans la pièce.
En roulant, Paul aperçoit un bac rempli de choses (riz, plumes, perles). Attentive à son regard qui souligne son attention vers l’objet, je le guide vers une station assise. Le bac est plus de son côté droit. Paul plonge sa main gauche. Sa main droite est poing serré, mais est aussi dans le bac. Je commente vivement les effets que le riz, les plumes peuvent faire sur son corps. Paul prend du plaisir, sourit et émet des sons. J’alterne les sollicitations à droite et à gauche en déplaçant le bac. Paul est actif et regarde attentivement le contenu. Je suis un peu dos à lui à ce moment-là. Paul semble me chercher du regard et engendre une légère rotation du côté droit. Je lui fais remarquer ses mouvements et lui dis que peut-être il me cherche. Il sourit.
Je propose une pause à Paul. Il est allongé sur le tapis. Des “mmmmm” sortent de sa bouche. Je lui dis : “C’est maman que tu appelles ?” Elle me dit que non. C’est sa sucette qu’il réclame. Il l’a prénommée “mmmm”. »

55Cette forme de négation met en évidence la question que l’investissement du bébé pose à sa mère : si elle imagine qu’il ne l’investit pas, c’est blessant mais aussi plus simple de ne pas l’investir, de se sentir moins responsable. Là encore, la projection est à l’œuvre, favorisant un travail de dé-transitionnalisation. La sucette ne serait pas chargée de l’investissement de la mère, mais supplanterait l’objet maternel.

56

« Se pose la question de savoir s’il fallait répondre à sa demande ou comment en tout cas lui faire comprendre que nous avons bien compris ce qu’il voulait. Le mère dit qu’elle le lui dit, mais qu’elle attend qu’il râle beaucoup pour la lui donner. Le père ne semble pas d’accord avec son épouse et reprend. “C’est pas bien, il faut lui donner pour qu’il sache qu’on a bien compris.” La mère se questionne. Mais, sans rien dire, me la tend. Paul sourit lorsque la sucette s’approche. Il la prend dans sa main, mais ne l’amène pas jusqu’à la bouche.
Paul est assis sur un plancher en bois sous lequel il y a des balles de tennis. La planche roule. C’est la première fois que je propose cette exploration à Paul. En position assise, Paul semble inconfortable et a besoin d’un grand soutien pour tenir dans cette position. Comme il râle encore, je décide de le mettre allongé. Paul sourit et retrouve ses mouvements du bas du corps. Il tape sur le plancher en étant tourné sur le côté, dos à moi, et à mon tour je tape. Je dis “à toi” et Paul tape. Un échange de frappe peut se faire pendant deux longues minutes. La mère peut dire “bravo, bravo, bravo !” “C’est bien, mon fils”, “Si tu n’es pas intelligent, alors !” Je suis à mon tour frappée par ce qui vient de se passer entre moi et ce petit garçon. Je dis à Paul “bravo”, à mon tour. Il se retourne vers moi.
Paul sur le plancher à l’air de se rendre compte en faisant des arrêts de mouvements que le plancher bouge lorsque lui aussi bouge. Son visage est alors ouvert, surpris puis souriant.
Je dis à Paul et à ses parents que c’est la fin de la séance. Paul doit être changé, car il a fait dans sa couche. Le père l’installe sur le tapis et “bizouille activement” son enfant. Paul rigole et suit les mouvements de son père (des baisers à droite dans le cou, puis à gauche). Paul se replie sur un de ses côtés. Comme s’il signifiait que ce n’est assez. Je tente de verbaliser en décrivant : “Ah ! Paul, tu tournes le dos à ton papa ?” Mais le père continue jusqu’à ce que Paul râle. La mère, voyant la scène, s’approche du tapis et range les affaires en faisant comprendre au père que Paul était fatigué et qu’il fallait y aller. »

L’identification sensorimotrice favorise l’identification au bébé et l’investissement de celui-ci

57On retrouve les parents de Paul plus apaisés, davantage dans l’affect partagé. Le fait que le couple soit présent, se préoccupant l’un de l’autre permet à la psychomotricienne de se concentrer sur Paul. Leur capacité à observer leur enfant et à tenir compte de ce qui se passe pour lui, en dehors d’eux, signale que s’est introduit, par le biais de l’institution CAMSP et du travail qui s’y effectue, un élément tiers dans une relation qui, jusque-là, ne semblait que duel.

58On assiste là à une séance où le rythme de chacun s’accorde avec celui des autres, où l’urgence semble moindre. Un climat serein s’installe dès le démarrage en douceur de la séance, grâce au père qui respecte le sommeil de Paul, à la mère qui accepte de se laisser porter et apaiser et à la psychomotricienne qui porte la parole du père auprès de Paul. La pression semble moins forte pour elle qui peut travailler tranquillement, le père servant de pare-excitation à la mère. Les parents se montreront, cette fois-ci, capables d’observer, de respecter et de reconnaître avec plaisir le travail s’effectuant entre la psychomotricienne et Paul.

59Dans cette séance, on assiste en direct à diverses identifications de type sensori-moteur :

  • La détente de Paul a un effet d’apaisement sur tous les adultes. On voit a contrario ce que provoque un enfant qui va mal.
  • La confiance de Paul mobilise une émotion sensorimotrice chez la psychothérapeute qui nous aide à mieux saisir encore à quel point les processus de métaphorisation sont issus de ressentis émanant du corps et mobilisent des représentations qui s’inscrivent sur celui-ci.
    « Paul accepte de se laisser guider par mes mouvements de rassemblement de main au niveau de son centre (thorax). Je fais part à Paul des mouvements qu’il fait avec son corps. Je m’en trouve très touchée et la sensation que mes poils se hérissent. »
  • Les parents émus aussi, renarcissisés pour une fois par leur enfant, observent et chuchotent pour ne pas troubler la séance. On perçoit, chez la mère, un début de déplacement des prouesses motrices sur l’intellect ce qui lui facilite l’investissement de son enfant.
  • Le père masse la mère comme pour l’aider à « lâcher », non pas sur une modalité anale mais en position féminine. Elle lâche temporairement son accroche musculaire, sa rigidité. Dans une dynamique en double, on peut observer l’identification sensorimotrice de la mère à son bébé. Elle se fait materner par son mari, ce qui lui permet d’être plus à l’écoute de Paul en fin de séance.
  • Suit un beau travail de liaison et de contenance impulsé par la psychomotricienne avec sa balle à grelot. Chacun contient l’autre dans la séance avec des alternances de passivité et d’activité, le père étant contenu dans son identification à la psychomotricienne.
  • Dans ce contexte, comment penser l’excitation paternelle autour des bisous en fin de séance ? A-t-il beaucoup été à l’écoute de sa femme et ne s’est-il pas senti porté ? Retrouve-t-il la dynamique du trop, comme la thérapeute qui a voulu en demander trop à Paul ? Pourrait-il s’agir aussi d’un passage d’une fonction maternante à une fonction paternante, un passage du câlin au jeu excitant, dans une forme de rivalité masculine ? Le père se permet-il de chahuter son fils, le sentant plus solide ? On voit qu’il s’opère une forme d’homéostasie interne à ce couple, dont on ne sait pas le fonctionnement avant ce tremblement de terre qu’a été l’arrivée de Paul.

60Ce travail montre à la fois la nécessité vitale pour les parents de recourir à certaines modalités de défenses primaires qui les maintiennent les plus adéquats possible pour répondre aux appels de leur bébé. Le recours constant à des défenses de type opératoire est d’un autre ordre, il s’agit de défenses de survie qui se situent dans la dynamique du négatif mobilisateur de désymbolisation, de désubjectivation (comme on le voit très bien chez la mère de Paul lorsqu’elle se coupe de son enfant par le biais du savoir médical, infirmier…).

61Ce n’est pas un hasard si cette notion de négatif a été créée par un psychanalyste s’intéressant aux bébés (Winnicott) pour être ensuite brillamment développée par Green mobilisé par la clinique des états limites. On voit là tout ce que cette clinique du bébé peut mobiliser dans la réflexion en psychanalyse et en psychosomatique.

62Conflit d’intérêts : aucun

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Mots-clés éditeurs : désymbolisation, défenses primaires, désubjectivation, souffrances somato-psychiques familiales, identifications sensorimotrices, sémiotisation du somatique, bébés hospitalisés

Date de mise en ligne : 10/09/2019

https://doi.org/10.3917/difa.042.0129

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