1Le jeune garçon était considéré comme porteur du syndrome de trouble de l’attention avec hyperactivité (TDAH), pathologie traitée le plus souvent par la prise de médicaments associée à diverses rééducations. Les prévisions d’un destin exceptionnel conçues par une mère pour son enfant merveilleux s’accompagnaient d’exigences que les enseignants trouvaient « exagérées », « sans limites », quelle que soit l’école et malgré les multiples changements d’établissement. Cette mère montrait toute la peine qu’elle se donnait pour l’éducation de son fils, comme si elle cherchait à voir reconnu son mérite, écrasant l’enfant sous le poids de sa dette.
2Devant les particularités du tableau clinique, j’eus l’idée d’instaurer une thérapie familiale psychanalytique (TFP), pratique peu usitée dans les cas de TDAH.
3Ce syndrome, depuis sa description, suscite d’inépuisables controverses. Les éléments cliniques qu’il rassemble : inattention, difficultés à se concentrer, impulsivité, opposition, n’ayant que peu de spécificité, entraînent probablement des diagnostics par excès. Les tests nombreux apportent peu, malgré l’épais dossier qui les rassemble, car ils notent seulement des aspects factuels de réussite ou d’échec, sans considération pour le développement affectif. Aucun bilan projectif n’est joint. L’amélioration obtenue par la prescription d’amphétamines (Ritaline ou Concerta), dans 70 % des cas, suffirait à cantonner la recherche dans la psychophysiologie et l’aspect manifeste de la sémiologie. La recherche psychopathologique se trouve ainsi verrouillée. Le syndrome manifeste un dysfonctionnement des neurotransmetteurs dopaminergiques et noradrénergiques. La recherche au niveau des gènes s’est d’abord dirigée sur ces processus de neurotransmission que l’efficacité des amphétamines avait permis de cibler, essayant de déterminer si quelque disposition génique pouvait intervenir dans leur déroulement. On a d’abord pensé à la particularité de la fraction d’un gène isolé, puis à un groupement défavorable de gènes, enfin à des variations de copies de gènes avec multiplication des copies de gènes entiers ou tronqués. Les études fondées sur des statistiques comparatives ne semblent pas montrer un écart tout à fait probant par rapport à la population normale, mais une différence légère apparaît dans certaines études. Quittant ce champ très ciblé, la recherche s’oriente actuellement vers un champ plus large, celui des gènes impliqués dans le développement. Peu à peu, le TDAH est considéré comme une pathologie multifactorielle où l’on tient compte de la corrélation gène-environnement.
4L’approche psychanalytique est elle-même très diverse. Mélanie Klein (1932) a très bien parlé des défenses maniaques des enfants et de la dépression archaïque sous-jacente. Elle en a donné des exemples cliniques. Ses écrits ont inspiré beaucoup de recherches dans l’école française par rapport à l’instabilité (Lebovici, 1985), avec l’élaboration de la notion de dysharmonie d’évolution et d’état limite (Misès, 1990). Houzel (1987) évoque une « défaillance de la constitution des enveloppes psychiques et corporelles ». On peut citer aussi Mallarivé et Bourgeois (1976) qui avaient souligné la composante dépressive des enfants instables dont les troubles peuvent être compris comme des défenses maniaques. D’autres auteurs semblent plus axés sur la dynamique familiale. C. Flavigny (1998) a mis l’accent sur l’aspect incestuel de la relation, « le garçon trouvant bénéfice à jouer le jeu de la sollicitation incestueuse venant de la part de sa mère », alors que le père apparaît « hors champ ». Ainsi s’opérerait un « détournement de l’activité sexuelle infantile vers des investissements archaïques principalement narcissiques, entretenant une vibration corporelle incessante ». La prédominance des garçons dans le syndrome serait expliquée par le fait que « l’instabilité est une vicissitude de l’établissement psychique de la position virile ». Enfin, des théorisations anciennes, faisant du trouble de ces enfants une manifestation d’ordre psychosomatique, ont un intérêt particulier dans le lien qu’elles montrent entre motricité et relations objectales prégénitales (Marty et Fain, 1955).
5Que pourrait apporter la TFP à l’approche du TDAH ? Elle permet d’abord d’envisager ce syndrome sous un autre angle, comme le symptôme d’une souffrance dans les liens familiaux. De fait, c’est un renouvellement de la recherche dans la psychopathologie de cette entité qui est proposé. Enfin, nous escomptons un bénéfice thérapeutique par la réintroduction des affects, de leur soubassement inconscient et de la dynamique des liens dans un univers où le rééducatif comportementaliste réduit tout au factuel.
La thérapie
Premières consultations et organisation du cadre
6Dès le début de la première consultation, la mère de Tim me parle du traitement de l’hyperactivité et me demande d’augmenter les doses de Concerta prescrites, à son avis insuffisantes. Mme G. et Tim (il a 8 ans), tous les deux blonds, beaux, avec des traits réguliers, habillés avec soin, sont à mes yeux un couple narcissique, plus qu’une mère et son fils.
7Tim relève de temps en temps, d’un mouvement brusque, la longue mèche qui lui barre le visage et ses yeux bleus se dirigent vers ceux de sa mère qui le contemple. J’apprends que Tim a de bons résultats scolaires, qu’il a quelques copains, suit des cours de hip-hop et fait de la natation. Mais il est instable, souvent en conflit avec ses camarades, désobéissant. Lorsqu’il était en petite section de maternelle, Mme G. avait été plusieurs fois convoquée par la maîtresse, idem en grande section, où il est souvent réprimandé par la directrice et parfois exclu. C’est surtout sa difficulté à s’intégrer sans conflit aux activités de groupe qui semble poser un problème. Il n’a pas manifesté d’importante angoisse de séparation lors de ses premiers mois de scolarité. À ma question concernant la formation d’un objet transitionnel, la mère a évoqué des bouts de tissu offerts à Tim par sa demi-sœur, sans entrer elle-même dans le processus. À l’entrée du CE1, Mme G. a changé Tim d’école. Après un nouveau signalement, elle le conduit dans une consultation de secteur, puis devant la longueur du bilan, prend la décision d’aller à l’hôpital dans le service qui s’occupe des TDAH. Là, le bilan, confirme que Tim est atteint de ce syndrome et doit être traité par des amphétamines. Il prendra d’abord de la Ritaline pendant six mois, puis du Concerta. En même temps, un programme rééducatif est mis en place : psychomotricité, orthoptie et orthophonie. Mme G. estime que les résultats ne sont pas satisfaisants et souhaite donc me voir augmenter les doses de Concerta. Je lui ai clairement expliqué que je ne donnais pas ce type de traitement et pourquoi. J’ai proposé une autre approche des difficultés de l’enfant, soit dans le cadre d’une psychothérapie individuelle, soit dans le cadre d’une TFP, soulignant qu’il s’agissait d’un symptôme lié au mal-être de l’enfant plus que d’une maladie. Mme G. me parle alors d’elle même. Elle a arrêté son activité de commerçante et vendu son affaire à la naissance de Tim. Elle décrit la relation très fusionnelle (ce sont ses propres termes) avec son fils : il écrit à côté d’elle, aller dans sa chambre, c’est une punition, il dort avec elle. Si elle va bien, Tim va bien. Si l’un va mal, l’autre aussi. Elle a connu des moments dépressifs et a dû prendre du Prozac et des anxiolytiques à plusieurs reprises. Elle se décrit comme très anxieuse. Elle évoque la perte de son père, agent commercial, alors qu’elle avait 25 ans et la maladie de sa mère, « une femme extraordinaire ». Sa famille a été famille d’accueil et a fait l’adoption plénière de deux enfants qui y avaient été placés. Elle est la seconde de sa fratrie. Elle a un ami depuis 5 ans, mais ils n’ont pas de vie commune « on est indépendants, il vient régulièrement ». Un ami que « Tim considère comme son papa ». Le père de Tim ne l’a pas reconnu. « Heureusement » ajoute-t-elle, car « il est Témoin de Jéhovah ».
Seconde consultation
8Je vois Tim seul pour l’observer un peu. Très vite, il joue avec les Lego, improvise des scénarios, se montre adroit et méticuleux dans ses manipulations. Il me semble intelligent et, contrairement à mon attente, très stable dans son jeu et les diverses séquences de celui-ci, fidèle à son premier intérêt. Il dessine ensuite un personnage, près d’une maison sans portes ni fenêtres, donnant un sentiment de vide. Je remarque que le personnage (lui, avec sa mèche rebelle ?) a comme une seconde enveloppe, grâce au trait rouge qui lui définit un second contour.
9Il veut me montrer ses évaluations et je fais rentrer sa mère. Celle-ci raconte que lorsque son ami vient, « il ne veut pas qu’on dorme ensemble ». Elle a des problèmes respiratoires et ronfle. Elle dort avec Tim, sur les canapés du salon qu’on rapproche. Je note sans trop appuyer le coté paradoxal de la situation. Tim dessine au feutre rouge un cœur sur la main de sa mère, puis fouille son sac sans lui en demander la permission. Je marque à la mère mon étonnement qu’il se comporte avec son sac comme s’il s’agissait du sien. Tim, vautré sur elle, continue à écrire des cœurs dans son cou. Elle se défend mollement, complice, une gravure galante du xviiie ! Je m’étonne et lui dis que Tim se comporte avec elle comme un amoureux ardent. Elle sourit. Ces démonstrations répétées m’apparaissent provocantes et j’aborde le problème des limites.
10Mme G. évoque à nouveau la famille nombreuse où elle a grandi et où « les limites étaient respectées », dit-elle.
11Tim entreprend la fouille du sac de sa mère ce qui entraîne un simulacre de dispute, puis fait un paquet cadeau qui rassemble une vache et un veau. « Il va », dit-il, « les laisser se manger entre eux ».
12Mme G. parle de la famille du père géniteur de Tim ; « Ils sont tous artisans dans le bâtiment, tous Témoins de Jéhovah. Si Tim le demande, s’il me dit je veux voir Bertrand, il ira ». Et elle ajoute avec une réelle émotion : « Son papa, je l’aime… j’avais peur pour mon fils car c’est un sectaire, j’aimais cet homme, j’ai voulu essayer de partager sa vie, j’étais comme à l’école, j’allais à la salle du Royaume chanter des cantiques. » Je pense qu’elle a été sous l’emprise de cet homme. Tim a une demi-sœur de 18 ans, pensionnaire dans un collège privé.
Le processus
13Mme G. et Tim étant d’accord pour la thérapie envisagée, que la séance précédente avait en réalité commencée, le travail a continué, le cadre et la fréquence en étant précisés. Il ne m’a pas paru possible d’intégrer l’ami de la mère, qui ne partageait que par moments (des week-ends et des vacances) la vie de la famille, malgré l’intérêt de sa présence auprès de Tim.
14Pour suivre le mouvement de la thérapie, mon choix s’est porté sur les séquences les plus saillantes ou les plus significatives de son déroulement.
15« Si je me dispute, Tim a peur qu’on se sépare avec son papa », Mme G. associe sur la crainte qu’elle avait de la séparation de ses parents s’ils entraient en conflit, trouvant là un nouveau point commun avec son fils. Le souvenir lui vient parallèlement de ses disputes avec son frère de seize mois plus jeune, dont elle dit avoir été très jalouse : elle se sentait « détrônée » et « elle est devenue rebelle, pour se faire remarquer ». Elle se considère comme une rebelle, toujours en révolte contre les injustices, l’égoïsme, l’individualisme et trouve que sa mère l’est cent fois plus qu’elle. Elle évoque la sensibilité exacerbée qui règne dans sa famille. Elle revient à Tim qui joue très près, tout en écoutant, et déclare : « Je n’ai pas voulu que son père le reconnaisse ; il appelle son père biologique “Bertrand” ». « Mon fils ne voulait pas l’appeler papa. » « C’est ma vie », dit Tim, une réflexion probablement empruntée à sa mère. J’associe qu’on ne choisit pas son père biologique comme un père de cœur. Pour les vacances, une colonie a été envisagée. Tim dit qu’il ne veut pas y aller. Sa mère se souvient qu’à 10 ans, elle est partie en classe verte et que cela a été « une semaine de souffrance à cause de la séparation d’avec sa mère ». À l’école, elle se décrit comme très timide, renfermée, perdue sans sa mère. Elle était souvent le souffre-douleur de ses camarades en 6e, tout le monde l’embêtait. Cela rejoint les craintes qu’elle a pour son fils à l’école et Tim se plaint à elle de ses camarades. Il va vers les autres, mais, dit-il, « les autres me laissent de côté ».
16« Tim veut être baptisé », me dit la mère en arrivant, ce que Tim me confirme. Son père témoin de Jéhovah s’y oppose, sa mère se dit de tradition catholique. Tim est resté très sage au cours d’une messe solennelle en présence du cardinal, pendant plus de deux heures ! Il a communié sans être baptisé. Tim dit qu’il y en a d’autres qui ne sont pas baptisés et vont au catéchisme avec lui.
17Mme G. me dit qu’à la maison tout se marchande. S’il travaille bien, il ira à la foire, s’il arrête son jeu sur la tablette, il ira à la foire. Le chantage se fait double, marquant une double emprise, car Tim réplique « Si tu m’amènes à la foire, je serai sage ». L’essai d’emprise totale de la mère se heurte au désir d’émancipation de Tim et la situation semble confinée dans la répétition en l’absence de tiers. Mais la mère trouve que Tim fait beaucoup de progrès, qu’il grandit, qu’il est parfois capable de patienter. Le double harcèlement s’atténue. Elle l’encourage avec force compliments, à la recherche d’un résultat. Elle stimule Tim en le comparant à son ami : « Tu es plus rangé que papa. » Au fond, sous d’autres modalités plus aimables, l’emprise essaie de se pérenniser… Tim dit qu’à la foire, il aimerait aller avec sa mère dans des jeux où il n’y a que des adultes, mais que sa mère a peur d’y aller. Il a toutefois pu prendre la grande roue avec elle.
18La mère m’explique que Tim se plaint d’être souvent exclu du foot par ses camarades lorsqu’il joue à l’école. On retrouve ses plaintes concernant son propre passé scolaire et le rapprochement peut être esquissé. Divers sports sont évoqués, mais « le judo a trop de règles », l’École du cirque, que Tim a fréquentée pendant deux ans, était trop coûteuse ; quant au théâtre, « on en a fait », dit Mme G, reprenant là un discours fusionnel.
19Un autre chapitre s’ouvre sur les dialogues de Tim et de sa mère. Contrairement à ce qu’a vécu la mère dans son enfance (« tout ce qu’on faisait, on le racontait, si on était heureux ou malheureux », ce qui faisait le « bonheur » de ses parents), Tim refuse de se raconter : « Elle m’oblige à parler, je ne veux pas ». Mme G. banalise l’aspect fusionnel de sa famille d’origine, sans secret possible, sans respect de l’intime. Je suis intrigué par l’activité de Tim : il a trouvé un biberon dans le petit bac contenant le poupon et ses accessoires et ailleurs un bout de fer aimanté qui peut s’attacher au biberon, lequel doit contenir quelque partie métallique, et en être détaché. Je pense à une figuration de ses rapports avec sa mère, rapprochements, éloignements qui se répètent. Tim voudrait un frère ou une sœur, « pour jouer avec eux quand ils seront plus grands », il ajoute : « Je pourrai me goinfrer de bonbons », et continue : « Mon beau-père, il aime les bonbons. Ma mère lui en achète ». Le voilà situé dans la fratrie…
20Mme G. revient sur les réussites et les difficultés de Tim dans son intégration à l’école et à l’extérieur. Chez la copine qu’il a près de chez lui, il veut imposer ses jeux, ce qui entraîne des disputes. À la piscine, une petite fille a, me dit-elle, « jeté son dévolu sur Tim et ils semblent en osmose ». Mme G. vante le caractère doux de Tim, sa délicatesse. Elle revient sur le père géniteur de Tim que celui-ci ne veut plus voir. Elle insiste sur son caractère autoritaire, sur le fait que, malgré ses engagements, il avait amené Tim dans ses démarches de prosélytisme à l’extérieur, lui parlant de la fin du monde et du pouvoir de Jéhovah. Elle ne veut pas que son fils vive dans une atmosphère sectaire.
21Retour sur les différentes écoles qu’a fréquentées Tim. « Il était détesté par tout le monde, détesté par les enfants, détesté par les enseignants ».
22Tim réclame sa console qui est dans le sac de sa mère, sans la prendre directement, estimant qu’il a le droit de l’utiliser parce qu’il a bien travaillé. Sa mère lui fait faire beaucoup de problèmes de maths, car la maîtresse l’a recommandé. « Piscine, devoirs, devoirs et puis au lit », se plaint Tim. Sa mère déplore que l’usage de la console lui donne une tendance à sauter les lignes ! Tim tient la DS de la main gauche et de la droite le feu rouge de la boîte de jouets. Il manipule l’un et l’autre. Le feu rouge venant, il doit arrêter de regarder la console et reprendre au vert. Lorsqu’elle est ouverte, il choisit parmi les personnages disponibles un Monsieur à lunettes qui sourit. Il me le montre et me dit : « C’est toi. » Mme G. se plaint que son fils la photographie avec sa console, la caricature et la déforme. À l’école, il s’amuse. Elle voudrait qu’il soit tout seul à un bureau, qu’on lui fasse un traitement spécial. Il nous prend en photo.
23Sa mère trouve Tim parfois « nostalgique, triste », parle-t-elle aussi d’elle-même ? Tim revoit avec elle sa demi-sœur, pensionnaire, qui va passer son bac. Mme G. va la chercher et ils déjeunent avec elle. Ni son père, ni sa mère ne sont d’accord, mais par elle se maintient le lien avec la famille du père de Tim.
24Ils ont fait un voyage en Auvergne à l’occasion des vacances avec l’ami de la mère. Ils ont vu le Puy-de-Dôme et Vulcania, musée des volcans d’Auvergne. Tim a fait un exposé à l’école avec une démonstration. « Je lui avais acheté un volcan avec des dinosaures », explique Mme et « il avait fait un répétition chez son papa ». Cela prend des allures de préparation à un concours. Tim joue avec sa console et parle de temps en temps.
25« Il va inviter ses copains l’autre samedi », me confie sa mère, « pour un faux anniversaire (sic), des choses comme pour un anniversaire dans un centre de loisirs où il y a de fausses vagues ». Elle ajoute : « J’ai payé pour douze personnes, il n’a pas le sens de la valeur de l’argent ». Dans l’organisation de ce semblant d’anniversaire princier, tout en « comme si », Tim et sa mère se confondent dans la recherche d’une reconnaissance sociale qui peut-être leur manque. « Je ne travaille plus », dit-elle, « je ne fais que ça, organiser des activités, pour qu’il arrive à s’intégrer. À sa naissance, j’ai tout vendu, un café ouvert jusqu’à 2 heures du matin… le challenge de ma vie. J’étais très active ». « Si j’étais pas né », dit Tim, « tu aurais une vie mieux que maintenant, tu aurais une vie différente. »
26Tim est allé en vacances chez sa grand-mère maternelle avec sa mère. Celle-ci dit que sa mère a des problèmes de santé graves et s’occupe malgré cela de sa propre mère, âgée et malade. Le jour où cette grand-mère avait affirmé devant elle que « sa mère ne savait pas s’occuper d’elle », elle avait ressenti de la peine et elle en veut à sa grand-mère de cette disqualification. Tout comme sa mère, Mme G. lutte pour montrer sa compétence maternelle : constitution d’une famille d’accueil pour l’une, exemplarité des soins donnés à Tim pour l’autre. Tim se moque des défauts de son arrière-grand-mère de façon amusante, soulignant qu’elle traite sa grand-mère de « saloperie ». Dans le même temps, il construit une sculpture avec des cubes, un homme très grand qu’il veut hisser sur un radiateur et qui s’écroule, les cubes.
27J’apprends que Tim a vu une psychologue qui lui a trouvé 144 de QI. Pour sa mère, il lui faudrait donc une structure adaptée… Elle m’a amené la copie des résultats. Tim a fabriqué un bonhomme et une pancarte où il a écrit : « Ne pas toucher et respectez la salle s’il vous plaît », comme une intégration des règles, incluant la protection de ses productions. Puis, faisant un fusil avec des Lego, il tire sur sa mère et rit bruyamment. Il lui fait ensuite un gros câlin et, brusquement, l’embrasse dans le cou, très excité. « C’est dégoûtant », dit-il, en émettant de la salive dans son baiser.
28Tim a mis des personnages dans la maison de poupée. Dans une chambre, il y a le père et la mère. La mère est policière, dans la chambre à côté deux enfants sont dans le même lit. Pendant que sa mère revient sur le choix d’une école « où il serait tenu » et fait défiler quelques noms, Tim dans la maison sépare les enfants et les met chacun dans un lit. Il déclare : « C’est mon futur petit frère Johan, oui un enfant avec papa. J’aurai un petit frère ou une petite sœur », « Je m’appellerais A… le nom de mon papa ». Le rêve se forme d’une recomposition familiale proposée comme un futur. « Un enfant avec papa », la formulation me questionne, un enfant de lui avec l’ami de sa mère, un enfant de sa mère avec laquelle il se confond avec son ami ?
29Mme G. se remet en question pensant que Tim vit dans l’insécurité, car elle crie et se montre très impulsive. Découragée, déprimée, elle vit son éducation comme un échec. « Je vais te mettre en internat », dit-elle à Tim. L’autorité n’a plus de support que la menace de séparation.
30Tim a passé de nouveaux tests dont les résultats sont encore meilleurs que les précédents. « Je le valorise tout le temps, je lui dis qu’il est beau, sensible, qu’il a de l’humour, mais les résultats scolaires ne sont pas encore assez bons par rapport à ses possibilités. » Tim montre des signes d’exaspération, lorsqu’il entend ces louanges et l’exigence qui les accompagne. Il dit qu’il en avait marre de la vie, d’aller voir l’orthophoniste, les médecins, « sauf comme vous ».
31Tim entre, lisant Auto Plus qu’il a trouvé à la salle d’attente et va vers les jouets. Il lit beaucoup les journaux automobiles de son « papa » lorsqu’il va chez lui avec sa mère et celle-ci pense qu’il pourrait dépenser son temps différemment, s’instruire, lire. Par ailleurs, elle trouve qu’il se dévalorise, qu’il a besoin de reconnaissance, comme elle-même dans son enfance. Tim est revenu vers sa mère, il s’est lové sur elle comme un tout petit et reste calme, blotti, très différent de ce qu’il montrait dans les premières séances. La tendresse s’exprime maintenant sans ambiguïté. Mais Mme G. se plaint à nouveau de Tim qui, s’il est frustré, argumente, l’énerve, fait claquer les portes. Il se fâche pour avoir sa tablette ou ses jeux, il est toujours insatisfait. On retrouve l’intrication des relations d’emprise. Je suis un peu surpris, qu’à ce moment, Mme G. me demande pour elle l’adresse d’un psychiatre. Elle trouve qu’« elle crie trop », qu’« elle s’énerve ». « Elle est agacée que Tim ne parle que de voitures, qu’il rêve d’avoir une Ferrari à 18 ans. » « Oui, dit Tim, je veux avoir mon permis et une belle auto. » Il partage le goût de l’ami de sa mère pour les belles voitures. Les rêves de Tim ne semblent pas être identiques à ceux que sa mère fait pour lui.
32La thérapie s’est déroulée de janvier à juillet, à raison d’une séance par semaine, avec les interruptions liées aux vacances scolaires. J’ai eu la grande surprise de constater l’absence de la mère et de l’enfant à notre rendez-vous de septembre. Ils venaient avec une parfaite régularité. Après une semaine, j’ai pris le parti de téléphoner à la mère. Celle-ci m’a dit que Tim allait bien et qu’elle ne l’amenait plus voir personne. Elle ajoute qu’elle a commencé une thérapie personnelle. J’ai éprouvé un profond sentiment de perte, car c’était une thérapie que j’avais fortement investie.
33Quelques mois plus tard, j’ai à nouveau appelé Mme G. pour prendre de ses nouvelles. Elle a fait un bon accueil à mon initiative et ses premières paroles ont touché un autre point sensible : « vous pensez vraiment à nous ». Elle m’a dit son intention de revenir me voir avec Tim.
34Lorsque nous nous retrouvons, elle m’apparaît un peu vieillie, Tim a grandi, il a les cheveux courts, sa présentation est plus sobre et il se tient à distance convenable de sa mère. Mme G. envisage de nouvelles rencontres, plus espacées, toutes les trois semaines, par exemple, et je dis mon accord. Dans sa nouvelle école « Tim est délégué de classe, il fait partie des meilleurs élèves », me dit sa mère qui revient à ses anciennes ritournelles : « il a des capacités qu’il n’exploite pas… C’est son avenir ». Dans le même temps, Tim a fait décoller l’avion qu’il a pris dans la boîte de jouets, il lui fait porter une maison qu’il déplace sur un autre fauteuil. Il a mis le coffre-fort dans la maison et l’ouvre après m’avoir à nouveau demandé le code. Je pense aux changements multiples qu’il a subis et auxquels il lui est demandé de s’adapter. Il montre à sa mère le trésor et elle s’exclame : « Tu es riche ! On peut partir en Amérique du Sud, vivre différemment, j’ouvre un commerce, j’ai envie de reprendre une affaire… » Tout semble se mêler dans sa rêverie : sa vie avec Tim, dont l’avenir semble moins la préoccuper, sa perspective de travail, sa nostalgie d’un monde différent.
35La mère évoque ensuite le comportement de Tim à la maison : « la discipline, c’est compliqué, les règles, c’est compliqué et il dit que je suis autoritaire ». « C’est vrai » proclame Tim, « je trouve aussi papa sévère ». L’ami de la mère semble prendre une place qu’il n’occupait pas précédemment, Tim l’exprime dans ses jeux accompagnés d’un récit. J’ai le sentiment d’une continuité avec le travail antérieur. Tim a dessiné ma porte d’entrée sur laquelle il applique mon tampon, comme il l’avait fait bien des séances auparavant.
Réflexions sur la clinique
Aspects théoriques
36Dans le cours du travail, les théories qui nous habitent inspirent nos associations ou nos interprétations, le plus souvent sans que nous y pensions de façon explicite. Dans l’après-coup de notre démarche, nous pouvons essayer de relier les éléments cliniques à des notions théoriques.
37La mère est évidemment une personnalité fragile que l’on pourrait qualifier de borderline et cet enfant unique semble pour elle un objet qui la protège de la dépression et peut-être de l’effondrement. L’emprise qu’elle exerce lui permet d’échapper à ses angoisses archaïques (cf. Caillot et Decherf, 1987). La place dévolue à Tim était celle d’un objet narcissique. Le futur envisagé pour lui était apparemment un destin exceptionnel, celui d’un enfant merveilleux par son intelligence et sa beauté, un futur qui le rendait prisonnier du désir de sa mère. Personne, en dehors d’elle, ne pouvait s’en occuper comme il aurait fallu. L’emprise est le nœud de cette relation mère-enfant, une emprise réciproque avec la tyrannie et le chantage qui l’accompagnent. La menace de séparation dans son aspect archaïque prend la place d’une angoisse de castration non organisable. On retrouve ce que P.-C. Racamier (1980) disait de l’emprise maternelle. La relation d’emprise s’intrique ici avec les aspects fusionnels et incestuels mis en reliefs lors des séances.
38L’aspect incestuel est comme imbriqué dans les aspects fusionnels. On peut ainsi les envisager à certains moments comme l’expression d’une relation de couple. Sur le répondeur du portable de Mme G., on entend : A… et Tim G. Mme G. avait décrit les traits fusionnels de sa propre famille et le climat incestuel qui les accompagnait : on se disait tout et elle appelait son père par son prénom. On discerne le glissement du fusionnel à l’incestuel. L’aspect incestuel de la relation est patent et revêt des aspects parfois caricaturaux. Le thérapeute a dû peu à peu retracer des limites, particulièrement au début, lors de l’installation du cadre. Cet aspect incestuel au premier plan masque probablement une relation primaire difficile, peut-être teintée d’ambivalence, si l’on pense à la dépression dont parle la mère évoquant sa grossesse. J. Gammill (1998) parle d’« une forme particulière de compensation pour la déprivation maternelle partielle précoce, dans laquelle les mères donnent inconsciemment à leur fils une gratification excessive pendant la période génitale du complexe d’Œdipe. Celle-ci peut prendre la forme d’un contact physique stimulant de façon excessive, d’une attitude flatteuse en réponse au comportement séducteur du fils ». Les investissements objectaux de Tim, l’élaboration par lui de sa position dépressive ont pu se trouver perturbés dans la période primaire. Citons encore J. Gammill (1998) : « Ce qui frappe chez les enfants dits turbulents et instables, c’est l’instabilité et le manque d’intégration de leurs premières identifications ainsi que le mauvais établissement des limites de leur moi. »
Réflexion sur le cheminement de la thérapie et les aspects transférentiels et contretransférentiels
39La constitution et l’évolution du néogroupe permettent de réfléchir aux aspects transférentiels et contretransférentiels. L’installation du cadre a été difficile. Tim se comportait comme s’il souhaitait une rupture, manifestant son ennui, son impatience, pouvant dire à sa mère : « Maman, c’est nul, on s’en va », comme certain de son pouvoir sur elle. Parfois un certain découragement s’emparait de moi face à cette alliance indéfectible. Mais Tim a probablement perçu le maintien de ma bienveillance à son égard malgré les limites rappelées dans les premières séances et son attitude est devenue beaucoup plus positive, et cela constamment par la suite. Le thème de ses jeux, ses dessins accompagnaient ou même précédaient le mouvement de la thérapie montrant sa participation intuitive. Ses actions montraient son évolution personnelle, séance après séance et parallèlement le cheminement du néogroupe qui la rendait possible. L’ébauche de la constitution d’une idée de triangulation et de scène primitive apparaît lorsqu’il joue avec les personnages et la maison. La régulation de la circulation des voitures par un feu rouge peut montrer l’équivalent d’un interdit œdipien ; les ratages nombreux, l’énervement de Tim lorsqu’il dessine la queue d’un requin peuvent figurer son angoisse de castration en même temps que l’absence de modèle. C’est en creux, dans son manque, que la fonction paternelle se dessine. L’importance de l’ami de la mère semble avoir été croissante. Il passe du rang de frère en gourmandise à celui de fondateur d’une famille recomposée donnant un frère à Tim. À la fin, Tim peut dire comme il se sent bien lorsque sa mère et son ami sont ensemble près de lui. Mme G. a été rapidement confiante dans le processus qui s’organisait. Par vagues, sa résistance se manifestait dans l’avancée de notre cheminement et s’émoussait, lorsqu’elle parvenait à élaborer son sentiment de perte. Elle a pris conscience de l’aspect fusionnel de sa relation à Tim, des aspects projectifs de ses émotions. Un espace de séparation s’est développé. Quant à moi, j’ai eu le sentiment de séances peu à peu agréables avec un aspect ludique, permettant de traiter parfois avec humour les sujets difficiles. Il me semblait travailler dans le cadre d’un transfert groupal positif et cela facilitait mon contre-transfert. À certains moments, le travail d’étayage narcissique de la mère me paraissait essentiel. J’avais, il me semble, évité de poser des questions dans les premières consultations et je disposais par la suite de renseignements très parcellaires. Mais j’avais parfois le sentiment d’une trop grande aisance, voire d’assurance dans le travail, me voilant un souhait de maîtrise inconscient. J’ai été bouleversé qu‘ils ne reviennent pas à la rentrée de septembre. Je me suis évidemment posé ensuite beaucoup de questions : séances trop rapprochées, ne permettant pas à Mme G. une élaboration suffisante pour abandonner ses défenses ? Emprise dont elle aurait voulu se débarrasser ? Difficulté à parler de façon plus précise d’un passé tumultueux ? Quelques prises de position malencontreuses de ma part, par exemple à propos des changements d’école ? J’ai pensé que, dans sa fragilité, elle pouvait se sentir attaquée ou jugée par l’école ou par moi et développer des sentiments persécutifs. Lors de nos reprises de contact, sa phrase : « vous pensez vraiment à nous » et l’émotion de son énonciation, teintée de doute, m’ont apparu ouvrir, à propos de la rupture, une nouvelle perspective, celle d’une attitude abandonnique, le désir et la crainte de l’attachement, le doute sur la valeur qu’elle pouvait prendre pour autrui, la rupture par crainte d’un rejet. Les changements d’école pourraient s’inscrire dans cette optique, ne permettant pas à Tim des liens stables.
40Cette thérapie psychanalytique permet une approche différente de la simple écoute, a fortiori d’une attitude de guidance. Ce qui la fonde, c’est le type d’écoute, le travail associatif s’appuyant souvent sur la construction, l’interprétation, l’abstinence de toute attitude directive après constitution d’un cadre adéquat. La TFP semble tout à fait adaptée aux familles monoparentales. La place du thérapeute dans le trio du néogroupe est un sujet de réflexion, comme elle peut l’être dans une thérapie de couple. Il faut enfin noter la place exceptionnelle que les jeux et dessins de l’enfant prennent dans cette thérapie. Séance après séance, la figurabilité qu’ils assurent permet la relance du travail groupal et en montre les aspects séquentiels.
Conclusion
41La TFP peut constituer une approche très intéressante dans le TDAH. D’une part elle apporte des éléments de réflexion tout à fait nouveaux par rapport à l’origine du trouble dont l’enfant est porteur. On pourrait y voir le symptôme d’une souffrance dans les liens familiaux et même d’une pathologie de ces liens (l’aspect incestuel et l’excitation qu’il entraîne semblent se rencontrer avec une relative fréquence) et pas une pathologie de l’enfant seul avec ses effets secondaires. Seule ou associée à d’autres thérapies déjà mises en œuvre, elle paraît susceptible d’amener une amélioration certaine s’étendant, au-delà du symptôme, à la vie de la famille dans son ensemble.
42Cela amène une réflexion sur le choix de l’approche thérapeutique en pédopsychiatrie. Il semble que la TFP pourrait être proposée de façon beaucoup plus fréquente comme la première indication. Il est évidemment difficile, dès les premières consultations, d’envisager cette orientation. Les constructions qui s’ébauchent, le contre-transfert qui s’installe peuvent aider le choix du thérapeute. Mais l’interrogation quant à ce choix est bénéfique, car elle permet une vision plus large des symptômes d’un enfant, les situant dans l’ensemble des liens familiaux et dans le transgénérationnel. Même si une thérapie individuelle se trouve décidée, elle n’éliminera pas la prise en considération des liens familiaux et de leur souffrance, indirectement abordés lors des rencontres souhaitables avec les parents.
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