Vomir : littér. Laisser sortir, projeter au dehors. Vapeurs, laves vomies par un volcan.
1 Je voudrais souligner à travers l’histoire de la psychothérapie de Léo, âgé de 4 ans, comment une compréhension des processus en cause dans l’apparition de vomissements précoces, en lien avec une défaillance de l’étayage maternel, entrave l’intégration d’un processus d’introjection conduisant à une vulnérabilité somatique. Je verrai Léo une fois par semaine jusqu’à ses 7 ans.
2 L’étayage maternel est responsable de l’intégration du soma par le bébé. La vie pulsionnelle partant du corps, l’enfant introjecte les fonctions contenantes de l’objet qui fonderont l’espace intérieur, extérieur et lui permettront d’organiser sa pulsionnalité. Particulièrement vulnérable, le bébé est d’autant plus réceptif aux angoisses et projections maternelles pouvant le conduire à des aménagements défensifs précoces, s’il est confronté répétitivement à un objet trop excitant. Un objet destructible du fait de la désintrication pulsionnelle liée à un investissement maternel inadéquat.
3 Dans les vomissements précoces, l’objet primaire concrétisé par l’aliment est expulsé – décharge visant à évacuer une excitation pulsionnelle non liée – puis récupéré par l’ingestion-incorporation qui échoue à constituer des introjections durables et conduit à des ratages de l’investissement autoérotique. Cette forme primaire d’incorporation destructrice permet simultanément une forme d’appropriation sadique de l’objet, de contrôle, et de mise à distance et de perte.
Premier temps du travail
4 Léo vomit depuis le départ de la maternité – moment où la mère n’a plus été contenue dans la maternité. Quand il vomissait, elle lui redonnait le sein. Elle se demandait si son lait n’était pas mauvais. Aucun reflux n’a été diagnostiqué et le jour de l’examen, d’ailleurs, Léo n’a pas vomi. Léo refuse d’aller à l’école. Au moment des séparations, Léo lui dit : « Moi, je veux toi » ou : « Moi, je veux de toi. » Quand il part de la maison, il emporte un jouet mais le perd souvent.
5 Actuellement, à 4 ans, les vomissements sont toujours présents le jour et la nuit, mais moins fréquents. Il hurle avec des sanglots une heure après l’endormissement et vomit. Madame F. associe sur le spasme du sanglot pour préciser qu’il ne s’agit pas de ça. « Il m’a déjà vomi » dans un magasin, aussi elle évite qu’il pleure. Elle le réveille dès qu’il pleure, anticipant les vomissements. Quand Léo vomit, il peut remanger. Il dévore, est toujours pressé et sollicite constamment sa mère.
6 Angoissée pendant sa grossesse, madame F. a failli faire une fausse couche. Elle a pris un traitement avec la crainte fantasmatique qu’il pouvait entraîner un risque de malformation et a vécu sa grossesse avec l’idée d’un enfant anormal. Elle avait des brûlures d’estomac, des problèmes de régurgitation. Elle a eu un ulcère gastrique et a des remontées d’acide qui lui donnaient envie de vomir. Elle a pensé qu’elle regrettait d’avoir Léo. Elle a beaucoup culpabilisé d’avoir pensé cela. Culpabilité probablement ravivée par son agressivité devant les troubles somatiques de Léo. Elle insiste sur son épuisement.
7 Léo est décrit comme un enfant autoritaire, plus difficile que sa sœur aînée. Fuyant, il exprime peu ses affects et les câlins durent peu de temps. Léo a peur du noir, de l’orage, de la pluie. Il refuse de faire des rondes à l’école, se plaint qu’il a mal au ventre et pleure. C’est sa grand-mère paternelle qui garde Léo. Madame F. exprime son désaccord avec la manière de faire de sa belle-mère qui autorise tout à Léo. J’entends là la rivalité de deux femmes dans la façon de s’occuper de l’enfant. Léo m’a semblé pouvoir représenter le double du père pour la grand-mère.
8 Le père, qui était aussi vomisseur jusqu’à l’âge de 6 ans, évoque des relations conflictuelles avec sa mère, autoritaire. Ses vomissements étaient associés à un contexte d’opposition. Il a été étonné que sa femme demande une césarienne alors que ce n’était pas nécessaire. Il s’est occupé de Léo bébé. Il a dormi avec lui de l’âge de 2 mois à 11 mois dans le salon, alors que sa femme fatiguée restait dans leur chambre. Quand Léo vomissait, il le prenait contre lui. Calmé, Léo s’endormait. Monsieur F. suscite en moi l’image d’un père plutôt maternant, il m’apparaît qu’il y a eu une permutation des rôles dans ce couple.
La fatigue
9 Léo, comme sa mère, se plaint souvent qu’il est fatigué. Fatigue qu’il exprime avec théâtralité. D’un pas lourd il se dirige vers le bureau, baille, répète qu’il est « crevé » et peut se mettre à pleurer tristement. Fatigue pouvant être utilisée de manière défensive quand il me répond : « Laisse-moi… On parle pas de ça… Je suis fatigué. » Mais fatigue derrière laquelle je ressens, à côté de son omnipotence, une tonalité dépressive. Il a l’air triste, grave, et j’ai le sentiment qu’il se donne beaucoup de mal pour être actif. Il me dit alors qu’il fait tout son possible pour jouer. Je le sens comme dévitalisé, sans énergie. Il dit aussi qu’il est fatigué parce qu’il a faim et soif. Apathie qui contraste avec sa vivacité lors d’autres séances.
Le volcan et l’excitation pulsionnelle
10 Au début de nos rencontres apparaissent une peur panique du feu et une recrudescence des vomissements. Léo manifeste une réaction phobique à la vue d’un feu de cheminée – « C’est violent, c’est violent », hurle-t-il ; de même il a peur du feu dans la chaudière de la maison qui pourrait exploser. En séance, il dessine un volcan qui dégouline de lave. Le feu brûle les maisons et les jardins. Une voiture de pompier est là mais le moteur ne marche plus, il n’y a plus d’essence. Le pompier accroché au volcan ne peut pas éteindre le feu. La maison, devenue noire, et le pompier sont détruits. Quant au chat : « Le chat, il a mangé tout le pot de viande et après il sent le feu. » Le pompier arrive pour « réparer le chat », mais la voiture de pompier est pleine de feu. Léo termine en me parlant très animé du pompier qui allume le feu ! Je lui exprime mon étonnement devant ce pompier inefficace et pyromane.
11 Le fantasme explosif d’une scène primitive perçue sensoriellement par les sensations de feu, de brûlure, apparaît comme l’expression d’une violence interne confusionnante liée à l’excitation pulsionnelle – qui a un aspect de brûlure et de dangerosité. Si le chat sent le feu lorsqu’il avale, n’est-ce pas parce qu’il est tout excité lorsque le feu rentre en lui en même temps que la nourriture ? L’incorporation, source d’excitation, peut amener à la destruction. Le pompier est impuissant à réparer le chat, c’est-à-dire à le protéger de l’excitation. Au contraire, le tuyau amène la brûlure et n’est pas calmant. Ses fantasmes témoignent d’une tentative d’érotisation orale du tube digestif où le tuyau du pompier n’est pas assez puissant pour calmer le feu de l’excitation pulsionnelle.
12 « Le chat a mangé tout le pot de viande et après il sent le feu. » Léo n’a-t-il pas le fantasme d’avoir non seulement sucé mais mangé le sein, un sein trop excitant ? Fantasme qui est celui des mères qui allaitent. Ce que Winnicott exprime ainsi : « Être dévoré est le désir et même le besoin d’une mère à un stade très primitif des soins de l’enfant. » Il parle d’« orgie de la tétée » (Winnicott, 1957, p. 114). Festin cannibalique où s’expriment les pulsions cannibaliques de dévoration et de destruction du sein maternel. Sein qui est fécalisé et expulsé par le vomissement. Âge cannibalique où l’enfant est confondu avec le sein. La dévoration est en lien avec le fantasme d’incorporation. Nicolas Abraham et Maria Torok précisent, à propos de la pathologie du deuil, la distinction entre l’incorporation qui correspond à un fantasme et l’introjection à un processus : « Le fantasme d’incorporation trahit une lacune dans le psychisme, un manque à l’endroit précis où une introjection aurait dû avoir lieu » (Abraham et Torok, 1968, p. 261). « L’introjection des pulsions met fin à la dépendance objectale, l’incorporation de l’objet crée ou renforce un lien imaginal » (ibid., p. 237).
13 L’incorporation, en renforçant la dépendance à l’objet, s’opposerait alors au développement des mécanismes introjectifs. « Opérer ce passage [de l’incorporation à l’introjection], c’est réussir que la présence de l’objet cède la place à une auto-appréhension de son absence » (ibid., p. 263). C’est à cette condition que l’enfant peut élaborer ses propres représentations de l’absence, de la perte de l’objet, sans laquelle il ne peut faire face à la séparation, ni au deuil.
14 « La pieuvre est fatiguée d’attaquer », me dit Léo projetant une imago maternelle dévoratrice. Comme la pieuvre, c’est aussi Léo qui est fatigué, envahi d’un sentiment de vide dépressif par identification à cette mère/pieuvre interne. À force d’attendre la satisfaction espérée qui ne vient pas, c’est l’épuisement. La seule issue « illusoire », pour posséder l’objet qui se dérobe, reste l’incorporation – la pieuvre qui se livre à une attaque cannibalique comme le chat – sans cesse renouvelée, là où l’introjection échoue. L’incorporation est réduite à son aspect de vécu sensoriel qui est surinvesti. Mais il faut cracher ce qui est avidement ingéré. Si Léo se vide au fur et à mesure qu’il se remplit, c’est qu’il ne peut rien garder de la mère, ni de lui désirant la mère.
15 Si « la pieuvre trompe son monde », comme le précise Léo, n’est-ce pas aussi lui qui est dupé ? Le fantasme d’incorporation serait une tromperie, un mensonge. Car « répondre à une telle demande en offrant de la nourriture n’apaise pas la vraie faim d’introjection qui demeure vivace ; ce geste ne fait que la tromper » (Torok, 1968, p. 238). L’objet ne remplit pas alors sa fonction de médiateur dans l’introjection du désir, des pulsions.
16 On se construit sur ce qui est gardé de l’objet en lien avec la première satisfaction. L’hallucination de satisfaction répète quelque chose de cette première satisfaction et, si elle ne vient pas, la mise en route de la satisfaction hallucinatoire du désir est compromise. L’absence de satisfaction à la demande ne pourra pas conduire à l’hallucination négative « positive », c’est-à-dire devenir « structure encadrante » pour le sujet (Green, 1993) permettant à une activité de liaison pulsionnelle de se développer. La frustration de la déception entraîne « l’expulsion des affects violents condensés avec l’objet auxquels il s’adresse » (Green, 1993 p. 132). Il s’ensuivrait un rejet, une éjection à la fois du sujet et de l’objet confondus. « Ce qui signifie que la vie pulsionnelle s’identifie en tant que telle avec l’objet qui ne saurait la satisfaire » (ibid., p. 133). L’enfant est amené à une identification inconsciente à cette mère, maintenant avec elle un lien symbiotique, une relation corporelle archaïque et érotique.
La séparation
17 Léo me parle de son chat qui a comme particularité de vomir et qui « passe à l’attaque » sur la nourriture quand sa mère est au téléphone. Il vomit quand elle lui donne trop à manger – j’entends : quand sa mère l’excite trop. Il me dit qu’il n’est pas d’accord avec sa mère qui a mis le chat dehors parce qu’il a vomi. Il ajoute qu’il est sûr qu’elle ne ferait pas ça avec lui. Elle aurait dû l’emmener chez le vétérinaire. Je lui dis : « Comme ce qu’ont fait papa et maman en t’emmenant me voir. » La mère me raconte une autre version où c’est Léo qui a voulu mettre le chat dehors !
18 Je pense à ce que m’a confié Léo. À la maison il ne manque de rien. Ce qui l’embêterait, c’est de ne plus avoir faim, car il aime bien avoir faim et, de toute façon, il a toujours faim. Léo semble dans une impasse relationnelle et narcissique quand il dit vomir parce qu’il a trop mangé et se plaint d’être fatigué parce qu’il n’a pas assez mangé au moment des séparations avec moi. Difficulté de séparation associée à une angoisse d’abandon, que seule la nourriture pourrait calmer dans une tentative de retrouver l’objet perdu à travers cette rage alimentaire inassouvie. Difficulté que je relie à cet effondrement du tonus et à la sensation de vidage que Léo me communique. En même temps, manger ne semble pas apaiser l’excitation liée à la sensation de faim, de vide, comme s’il n’y avait pas de soutien efficace du côté de l’intériorisation d’une mère calmante. La seule manière de calmer l’excitation serait alors d’expulser, de vomir. Calmer au mieux, mais sans rien satisfaire. La fatigue aurait une fonction calmante de l’excitation.
19 Les vomissements peuvent être envisagés entre mérycisme et procédés autocalmants (Szwec, 1996). Vomir serait-il un moyen de défense érotisée pour lutter contre les angoisses de séparation ? Le résultat d’une faim/excitation dévorante qui viserait à rétablir un lien érotique à l’objet et témoignerait d’une sexualisation des liens. Si les vomissements donnent à penser la présence et l’absence de la mère, ils ne sont pas sans évoquer le jeu de la bobine, mais un For Da avorté, comme ils peuvent évoquer le mouvement masturbatoire dans ce jeu de va-et-vient expulsion/dévoration. Le rejet par le vomissement attesterait le refus de la séparation, de l’échec des introjections précoces où le symptôme vient à la place de la remémoration. On est loin d’un processus qui suppose la possibilité d’un travail de séparation, d’individuation avec la mise en place des compensations autoérotiques et des phénomènes transitionnels.
20 La veille de vacances, Léo dessine dans le volcan un lézard géant et me parle des lézards qui mordent. Il va en voir plein à la mer cet été. Il évoque le volcan qui gonfle, le trou qui avale la lave. C’est dangereux quand la lave sort, ça peut tuer. Les gens essaient de fermer les volets mais ça ne marche pas. La lave fait un trou au-dessus de la porte et inonde la maison. Le lézard peut être tué par la lave. Il se réfugie dans une pièce au fond où il est à l’abri et tranquille. Léo ajoute qu’avant on chassait les lézards en Afrique. Je lui signifie qu’il ressent peut-être que je le traite comme le lézard en le « chassant » pour les vacances. Au retour des vacances, Léo vomit en séance, ce que j’interprète comme une façon de me dire qu’il s’est senti « vomi » par moi, rejeté, et aussi comme une façon d’exprimer sa colère à mon égard – et de l’accepter lorsque je réagis en ne nettoyant pas le vomissement pendant la séance. J’ai alors en mémoire les préoccupations de la mère autour de la propreté.
21 La séparation éveille l’agressivité exprimée dans un fantasme régressif de dévoration : les lézards mordent, mais par rétorsion ils risquent d’être chassés – réactivation d’un fantasme d’abandon et de destruction. Il y a quelque chose à mettre dehors comme les vomissements. Il y a là aussi la représentation d’un enracinement de la représentation psychique dans l’éprouvé corporel. Léo projette son sadisme oral face à la séparation sur le lézard. Mais le lézard est aussi la représentation du pénis paternel et des bébés dans le ventre maternel sur lesquels il projette sa rivalité. Ce sont également les bébés que je pourrais faire pendant notre séparation. Car le gonflement et l’avalement évoquent un fantasme de grossesse, de vie intra-utérine. On peut associer sur une imagerie digestive comme le lieu d’une zone érogène orale, lieu du conflit, celle de la mère en lien avec la grossesse et celle de Léo en lien avec les vomissements, confondues dans une indistinction et témoignant d’une illusion fusionnelle mais persécutrice. Continuellement préoccupé par les bébés que je pourrais faire entre les séances, il est en identification « hystérique » avec une mère/thérapeute, fatiguée de faire des bébés.
Le recours au perceptif
22 Partie dans une rêverie devant la répétition d’un matériel où je le sens sans énergie, je suis tirée de ma torpeur lorsqu’il s’écrie, tout à coup devenu présent : « Mais dis donc, toi, aujourd’hui, t’es coiffée comme un pétard ! » L’effet de surprise passé, où je me surprends à rire, je vois ce rappel à l’ordre comme un témoin de ses efforts pour solliciter ma présence qui devient potentiellement excitante. Il associe, devenu animé, sur la niche de son chat qui est « en bois à brûler ». Son chat n’aime pas, car ça lui donne chaud. Il déclare ensuite que mes chaises sont en bois à brûler. Je lui signifie qu’il veut me dire qu’il n’aime pas quand il me sent loin de lui. En même temps, si je suis trop près, il me ressent comme un pétard-volcan prêt à exploser et ça devient trop chaud en lui, dans sa tête, comme pour son chat. Léo projette sur moi une représentation phallique menaçante. Mais c’est aussi lui qui allume ce feu de l’excitation en excitant la mère pour la ranimer et la séduire.
Deuxième temps du travail
23 Deux ans après le début du travail, les vomissements s’estompent et le cp se passe bien. Léo est plus autonome, il exprime ses affects, n’a plus peur du noir et dort avec une peluche. Les vomissements sont occasionnels, mais apparaissent des accès hypochondriaques. Léo se plaint d’avoir mal à un œil. Cette plainte me paraît plaquée. Je me demande s’il ne commence pas plutôt à « voir », à exprimer ses pulsions épistémophiliques. Il se plaint ensuite de cystite. Plainte qui prend le relais du mal à l’œil et lui fait dire : « J’ai ma cystite » et : « Ça brûle parce que je bois pas assez. » Symptôme de tonalité hystérique, plus typiquement féminin, qui sera accompagné d’un comportement de vérification du pénis par des envies d’uriner, témoignant de ses angoisses de castration. La sensation de brûlure paraît liée à des fantasmes de caractère urétral, la cystite exprimerait des fantasmes masturbatoires et sa crainte que son pénis soit châtré en brûlant. Cystite que je relie à une identification projective à l’envie du pénis chez la mère.
24 Il va bientôt faire intervenir des pompiers efficaces qui éteignent le feu en sortant « leur zigounette pour pisser sur le feu » et précise qu’avant les pompiers étaient de mauvais pompiers, car ils faisaient tout ce qu’ils voulaient. L’investissement d’un père phallique émerge sur lequel il peut s’appuyer et s’identifier sans qu’il soit redouté par ce qu’il pouvait éveiller de pulsionnel sexuel destructeur. L’excitation peut être calmée, maîtrisée.
25 Dans le volcan, un bébé ours porte une cape pour se protéger de la lave. Quand il sort, il est protégé par le papa ours. Apparaît là encore la possibilité d’une référence paternelle étayante grâce à la cape comme enveloppe protectrice, un pare-excitation contre des excitations internes traumatiques maintenant transformables. La représentation d’un père interne qui l’empêche d’être brûlé, absorbé, s’intériorise et permet une ébauche de différenciation de la problématique de la mère. Je pense aussi à la fonction de holding du père qui le calmait bébé. Une transformation psychique s’opère dans un processus de liaison et d’intégration pulsionnelle de la destructivité, de la libido qui s’accompagne d’une dimension triangulaire dans le transfert.
L’investissement moteur
26 Léo affirme qu’il n’est plus un bébé quand je lui souligne ses aspects infantiles « fragiles ». Fragilité qu’il avait fini par me confier. J’ai le sentiment qu’il lutte contre une position passive et féminine liée à un ressenti dépressif, voire d’effondrement, en lien avec ses identifications maternelles et féminines. Il veut me montrer qu’il est le plus grand, le plus fort, le plus gentil. Il déploie un investissement moteur où il exhibe une démarche de conquérant, fier, et me fait le récit de ses exploits guerriers. Si, au début, ses démonstrations de force m’ont paru de bon aloi, je reste réservée devant l’exhibitionnisme de sa mégalomanie dans son désir de surpasser les rivaux, manière de se prémunir contre le danger de la castration. Le risque ne serait-il pas l’idéalisation d’un investissement phallique mégalomaniaque de lui-même ? Les parents me disent qu’il ne se défend pas à l’école. On peut néanmoins penser que si l’inhibition des jeux actifs en maternelle cède la place à la recherche d’une maîtrise musculaire, elle soutient, dans sa référence phallique anale, le début d’une construction narcissique du Moi. L’organisation anale donne la possibilité d’un contenant plus fiable et, par sa fonction organisatrice, liante, lui permettrait de sortir de la confusion. La maîtrise anale n’ayant pu se mettre en place, le vomissement anal remplace le contrôle sphinctérien anal. La capacité de clivage organisateur est fragile et entraîne des confusions précoces sur le plan narcissique, avec une difficulté d’organisation des rapports intérieur/extérieur. Échec du clivage qui l’amène à tout rejeter, le bon et le mauvais confondus. Quand la motricité est investie, la trace motrice reprise dans une représentation est le début de l’organisation de l’espace phobogène avec la possibilité de la projection. Le recours à l’analité triomphante lui permettrait d’échapper en partie à cette mère phallique, pieuvre dévoreuse. L’illusion de force serait-elle une construction phallocentrique défensive, une formation réactionnelle contre le féminin ?
27 La dernière année de thérapie, Léo ne vomit plus. Il est plus spontané, moins triste. Il est moins dépendant de sa mère et à l’école il se défend mieux. La mère, soulagée, a pu investir un nouveau travail. Les parents me rapportent, médusés, les propos de Léo qui leur a dit qu’il savait pourquoi il vomissait. À son père, il a dit : à cause « d’un spermatozoïde vomisseur » ; à sa mère : il n’avait pas assez de place dans son ventre, il faisait trop chaud, il y avait plein de gaz, il avait envie de péter et il y avait plein d’eau. Si l’on peut voir dans les explications que se donne Léo l’expression de théories sexuelles infantiles orales et cloacales, ne dit-il pas à son père, en quelque sorte : c’est ta faute, c’est toi qui es à l’origine du volcan à cause de ton pénis vomisseur éjaculateur de lave-sperme ? Et ne risquait-il pas alors de sauter, d’exploser avec le tout dans une identification au pénis paternel ? Et à sa mère, ne signifie-t-il pas : je n’avais pas assez de place dans ta tête et c’était trop excitant ? Auprès de moi, il qualifie de « bon vieux temps » l’époque où il vomissait ! Nostalgie du passé liée au temps de l’omnipotence infantile…
28 En séance, il déclare qu’il est « constructeur » car il a grandi. Il exprime des fantasmes de réparation liés à des fantasmes œdipiens dans lesquels il y a la présence d’un personnage qui veille à protéger des explosions. Il introduit un bonhomme « miniature » en pâte à modeler. Aspect infantile de lui-même qu’il accepte mieux. Il lui construit une maison, car il est encore fragile et je dois le protéger. Il me fait maintenant confiance. Il lui ajoute un fil électrique dans le dos. Le bonhomme devient un robot. Je m’interroge devant un danger de robotisation, d’un enfant mécanisé, asexué, imperméable aux émotions, carapace défensive ; le robot ne peut-il cependant avoir une fonction de pare-excitation en contenant des émotions trop vives, explosives ? L’aspect de rigidité serait-il le garant contre le risque d’expulsion ? En outre, l’électricité est source d’énergie.
29 On peut se demander si le passage d’une identification primaire à la mère à une identification secondaire à un père phallique ne demeure pas fragile et ne vient pas jouer comme un leurre en masquant la blessure narcissique, contribuant à un aménagement défensif en faux self. A-t-il pu négocier ce passage de l’homosexualité à une identification paternelle par le biais d’une identification hystérique à la mère ? Le robot, organisation phallique prothétique, lui permettrait de sortir de la confusion et le conduirait jusqu’à la réorganisation pubertaire de l’œdipe.
Commentaires
30 Quand une mère est trop prise ailleurs, par sa vie fantasmatique, le temps de l’enfance ne se déroule pas parce qu’il n’est pas scandé par le plaisir de la relation. Léo est contaminé par la problématique maternelle, par la vie psychique de sa mère. Madame a demandé une césarienne par crainte que l’utérus ne s’ouvre. Crainte fondée sur une hystérographie faite avant la naissance de Léo suite à des saignements qui a repéré une pathologie gynécologique. Diagnostic qui semble entrer en résonance avec des fantasmes en lien avec la grossesse et l’accouchement, venant réactiver des théories sexuelles infantiles propres à la mère, des fantasmes ayant trait à la scène originaire, renvoyant à une confusion des zones érogènes, à une indistinction de l’anal et du génital. Le passage de l’analité à la génitalité ne se fait pas par échec de leur élaboration introjective. Mais pour Léo aussi est à l’œuvre une confusion des zones érogènes orale et anale témoignant « d’un corps pour deux » (McDougall, 1982, p. 144). L’investissement de l’oralité revient avec un sens anal. On assiste à un défaut d’intégration des tendances prégénitales de la libido. Les orifices du tractus digestif étant le support de la pulsionnalité prégénitale.
31 La question de la séparation, de l’individuation est omniprésente dans l’ambivalence de la mère, angoissée à la moindre séparation avec Léo en lien avec sa crainte des vomissements. D’un côté, il y a un comportement surprotecteur, une emprise : « Ne m’oublie pas. » D’un autre côté, la séparation de la naissance – la césarienne – a un caractère de coupure radicale. Cette séparation brutale ne serait-elle pas une façon de ne pas ressentir le mouvement des forces qui poussent à la séparation ? Autrement dit, le resserrement, la rétention et l’acceptation de lâcher en lien avec le couple activité/passivité ? Elle ne pourrait vivre l’aspect anal de son utérus qui se contracte et se relâche pour laisser sortir l’enfant. L’objet semble investi sur le mode narcissique et non pas objectal. Puisqu’elle ne peut se séparer « toute seule », elle fait appel à un acte chirurgical, où on va la césariser pour extraire l’enfant. Il lui faut avoir recours à un tiers, père/chirurgien, au pénis bistouri pour trancher, couper. Seule, elle ne pourrait sortir l’enfant – ni « s’en sortir », comme elle est venue me le dire en me demandant de l’aide. Ai-je représenté, comme le chirurgien accoucheur au geste maïeutique, un tiers séparateur ?
32 L’accouchement par les voies naturelles serait-il ressenti comme l’équivalent d’un coït incestueux, assimilant pénis paternel et enfant ? Melanie Klein, reprenant les idées de Karen Horney dans « La fuite devant la féminité », précise que « la fille rapporterait inconsciemment à son vagin ses désirs et fantasmes incestueux » (Klein, 1932, p. 230).
En conclusion
33 On peut conjecturer que Léo s’est organisé en fonction des défenses et de la structure de la mère, en s’identifiant projectivement à ses objets internes. Enfant en symbiose interne avec la mère interne. Le transfert, en lui permettant de ressentir, de « vivre sa faim », a permis d’enrayer l’automatisme de répétition et a favorisé la mise en route d’une élaboration introjective des pulsions libidinales primitives.
Bibliographie
Bibliographie
- Abraham, N. ; Torok, M. 1968. L’écorce et le noyau, Paris, Flammarion, 1987.
- Green, A. 1993. Le travail du négatif, Paris, Minuit.
- McDougall, J. 1982. Théâtre du Je, Paris, Gallimard.
- Klein, M. 1932. La psychanalyse des enfants, Paris, Puf, 1959.
- Szwec, G. 1996. « Subversion érotique et subversion autocalmante », Revue française de psychosomatique, 10, 47-58.
- Winnicott, D.W. 1954-1955. « La position dépressive dans le développement affectif normal », dans De la pédiatrie à la psychanalyse, Paris, Payot, 1972.
- Winnicott, D.W. 1957. « L’allaitement au sein », dans L’enfant et le monde extérieur, Paris, Payot, 1972.