Dialogue 2012/3 n° 197

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Article de revue

Douleur de l'enfant et thérapies avec les familles

De l'impasse à l'imaginaire familial

Pages 81 à 90

1Il y a deux années, nous avons ouvert une consultation de thérapie familiale au sein de l’unité fonctionnelle de lutte contre la douleur de l’enfant et du Centre de référence de la migraine de l’enfant et de l’adolescent à l’hôpital pédiatrique Armand-Trousseau à Paris. Une trentaine de familles ont depuis été reçues en consultation et ont bénéficié d’une thérapie de courte durée dont les effets positifs se sont révélés souvent tout à fait intéressants. Certaines familles ont profité de ces entretiens pour sortir d’une impasse relationnelle, ce qui leur a permis de réaliser une meilleure prise en charge de la douleur de l’enfant en diminuant les stress et les conflits susceptibles de déclencher ou d’accentuer ces douleurs. Cependant, il est trop tôt pour tirer des conclusions « définitives » de ce travail et ce que nous avançons dans cet article pourra, bien entendu, être remis en cause par notre pratique clinique et thérapeutique et par le dialogue avec d’autres cliniciens.

Les services de lutte contre la douleur de l’enfant

2Le service de lutte contre la douleur de l’enfant et le Centre de référence de la migraine de l’enfant et de l’adolescent ont été créés à partir de 1998 par le Dr Daniel Annequin ; ce sont des services pionniers et pilotes dans leurs domaines. En effet, la douleur de l’enfant a longtemps été négligée, mais aujourd’hui, grâce au travail de ces pionniers, appuyés par des associations comme Sparadrap, elle est prise en considération et soignée ; il s’agit d’une partie de la pédiatrie où se réalisent des prises en charge efficaces et des formations ouvertes à tous les professionnels de santé. Depuis l’ouverture du Centre de référence de la migraine de l’enfant et de l’adolescent, plus de sept mille enfants ont bénéficié de soins spécialisés et spécifiques. Ce centre est unique en France et sa file active annuelle de sept cents enfants le place en tête des centres européens. Sa pratique s’appuie sur un modèle biopsychosocial qui intègre aux données médicales les contextes social, familial et psychologique.

3La mise en place de thérapeutiques non médicamenteuses n’est pas étonnante puisque les recommandations de l’anaes (Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé) en février 2003, après consultations des experts dans ce domaine, ont souligné l’intérêt de ces traitements : « Ces méthodes sont préférables en première intention aux traitements médicamenteux. » Selon R. Amouroux (2010), en ce qui concerne les douleurs chroniques chez l’enfant et l’adolescent, on a en 2009 identifié trente-quatre études randomisées contrôlées sur le sujet. « Les auteurs ont démontré les effets positifs de la psychothérapie sur la douleur et le maintien de ces effets plusieurs mois après la fin de la prise en charge. L’efficacité est établie pour les céphalées et les douleurs abdominales récurrentes. Elle est probable pour d’autres pathologies douloureuses comme la drépanocytose, la polyarthrite juvénile et l’algodystrophie » (Amouroux, 2010).

4Cette efficacité ne doit pas amener à confondre les facteurs déclenchants et l’étiologie des crises douloureuses. Par exemple, pour la migraine, il est indéniable qu’il s’agit d’une maladie aux origines génétiques ; le stress, les conflits sont des situations déclenchant des crises. Ainsi, lors des consultations, il est essentiel de rechercher les facteurs déclenchants, spécifiques à chaque situation, pour permettre à l’enfant et à ses parents de les identifier afin d’éviter si possible l’accentuation et la multiplication des crises (Annequin, 2010). La confusion entre facteurs déclenchants et étiologie peut entraîner des désillusions, car la maîtrise des facteurs déclenchants, si elle peut atténuer l’intensité des douleurs, ne les fera pas disparaître définitivement.

La consultation de thérapie familiale

5Cette consultation s’est d’abord adressée à des familles où un enfant ou adolescent souffrait de migraine, puis à des familles d’enfants souffrant d’autres douleurs dont l’étiologie était connue ou restait en suspens. Les consultations ont lieu dans une salle au sein de l’unité de lutte contre la douleur de l’enfant. Du côté des soignants, y participent deux psychiatres thérapeutes familiaux (Jean-François Le Goff et Marlène Bittar), ainsi que le pédiatre ayant proposé à la famille les entretiens familiaux. La présence de ce dernier permet de faire le lien entre les souffrances exprimées dans la famille et la douleur de l’enfant et symbolise, pour la famille comme pour les soignants, l’unité du soma et de la psyché.

6Les familles qui ont été reçues sont extrêmement diverses tant dans leur composition que dans leur fonctionnement, leur histoire ou leur insertion sociale. Le plus souvent, ce sont des familles avec deux ou trois enfants, comme la plupart des familles actuelles. Dans le cas de parents divorcés ou séparés, avec ou sans garde alternée, mais restés tous deux en contact avec le ou les enfants, nous les recevons lors d’un entretien conjoint avec leurs enfants ; cela change de notre pratique habituelle avec les familles monoparentales où l’usage est de ne pas recevoir les parents dans une même séance. Ici, le contexte spécifique de la douleur de l’enfant amène le plus souvent un fort investissement parental, tant du père que de la mère, qu’il convient de reconnaître même s’il est souvent conflictuel.

7Bien entendu, les séances de thérapie familiale, à la différence des traitements psychologiques individuels, n’ont pas pour objectif de soulager directement la douleur, mais de prendre en considération les impacts de la maladie de l’enfant sur la vie quotidienne dans la famille, les relations entre parents et enfants et les relations entre les sexes. Le stress est souvent invoqué comme facteur déclenchant des crises douloureuses (migraine, douleur abdominale) et, en réaction, cette crise crée du stress dans la famille. Pendant les crises aiguës, la famille doit s’organiser autour des soins. En dehors des crises, l’angoisse de leur reproduction est importante. Les séances de thérapie famille peuvent se donner pour objectif une diminution de ces stress par l’intermédiaire de la reconnaissance de la contribution de chacun à la vie quotidienne et permettre à chacun de renouer avec l’imaginaire familial.

8Dans ce sens, les séances de thérapie familiale pourront avoir des effets à court terme, mais aussi d’autres à plus long terme. Ces effets ne sont pas prédictibles. Dans un autre contexte, nous avons souvent rencontré des familles quelques années après l’arrêt de la thérapie. Elles nous ont fait part de leur satisfaction, mais, quand nous avons demandé ce qui s’était amélioré, nous avons rarement reconnu nos objectifs ; cela est fort rassurant et montre qu’une thérapie est réussie quand elle devient une thérapie par les membres de la famille eux-mêmes – c’est-à-dire prendre soin des uns et des autres –, et non plus celle des thérapeutes.

9Dans nos consultations au centre de lutte contre la douleur, même si, au début de la première séance, certains membres de la famille peuvent être réticents par crainte par exemple d’être considérés comme de mauvais parents responsables de la détresse des enfants ou stressés par cette situation inhabituelle, le dialogue qui s’instaure entre les membres de la famille et les thérapeutes entraîne déjà des effets non négligeables. Le temps de séance est un temps où l’on peut parler sans être bousculé par les obligations quotidiennes et donc observer, évaluer, imaginer et redéfinir ce quotidien. Le dialogue permet la reconnaissance de la contribution concrète de chacun, aussi minime soit-elle, pour améliorer la situation.

10Les séances durent le plus souvent trois quarts d’heure, parfois un peu plus. Mais au-delà, en fonction de la fatigue, le dialogue thérapeutique risque de se tarir et d’être remplacé par des conversations répétitives sans réelle dimension thérapeutique. Le nombre de séances est habituellement de quatre à six ; cependant une séance unique peut avoir des effets importants, comme l’ont montré quelques familles parmi les plus réticentes. La confrontation avec le groupe des thérapeutes peut stimuler des restructurations tant de l’organisation familiale que des symptômes.

11Les séances ne doivent pas être trop rapprochées afin de ne pas reproduire les mêmes échanges et donner l’impression d’une stagnation non fructueuse. Le rythme des séances en thérapie familiale ne peut être celui de la thérapie individuelle ; le temps familial est de plus longue durée. Les deux premières séances sont séparées de quinze jours et les suivantes de trois semaines à un mois, le plus souvent.

12Beaucoup de parents viennent aux séances avec des explications et des connaissances issues de la « psychologie médiatique » écrite ou télévisuelle. Ils peuvent s’accuser d’avoir failli à leur rôle de parents ou considérer que les enfants, par leur attitude d’opposition ou d’indiscipline, par leur refus de l’autorité, les empêchent « d’être parents ». Ces éléments ne sont jamais des facteurs de clarification, mais agissent comme des normes inatteignables et culpabilisantes. Ainsi les notions de « réintroduire du père », « réhabiliter l’autorité », « enfant-roi », « répétition » sont probablement intéressantes dans une émission de télévision, mais ne nous semblent pas fructueuses en séance de thérapie. Elles induisent des demandes de conseils sur « comment bien faire », mais dans ce domaine, comme le rappelait Winnicott (1965), les conseils sont toujours inadaptés et bloquent l’investissement dans les relations thérapeutiques ainsi que la recherche de réponses personnelles cohérentes avec la situation familiale. Il est impossible pour les thérapeutes de répondre à ces demandes de conseils, car de la famille ils ne connaissent que quelques aspects, ceux que la famille révèle en séance, et non toute la complexité du quotidien. Nous différencions ces demandes de conseils des informations claires et précises sur la maladie de l’enfant que donne le pédiatre lors de la consultation douleur et qui permettent aux parents de mieux soigner l’enfant en comprenant sa souffrance.

13Dès le début de la séance, on peut noter les points suivants :

  • chaque membre de la famille est rassuré par l’attention qui lui est portée et par l’absence de critique sur ses attitudes lors des crises douloureuses ;
  • la rencontre avec le groupe de thérapeutes donne à la famille la possibilité de s’observer et de se définir et, en fonction du dialogue qui s’établit, de se redéfinir afin de découvrir de nouvelles possibilités de dialogue familial ;
  • pour les thérapeutes, ces descriptions sont importantes, car elles montrent si la famille est restée en contact avec la créativité de son imaginaire familial ou si ce contact est rompu. Dans cette dernière situation, l’expression de rancœurs, de rejets, de conflits témoigne d’une impasse relationnelle.
Plusieurs éléments sont au centre de l’attention des thérapeutes :

14Le degré de parentification des enfants (Le Goff, 1999) : quel est l’enfant le plus parentifié ? L’enfant douloureux ou une sœur ou un frère, un aîné, un cadet ? Le processus de reconnaissance de la parentification, afin de soulager l’enfant de tâches trop lourdes pour son âge et sa situation, s’impose dès la première séance et se poursuivra tout le long de la thérapie. Souvent, les parents, écrasés par la souffrance, sont aveugles à ce que donne l’enfant, surtout lorsque celui-ci réclame des soins importants ; la thérapie doit se préoccuper de cela dès les premiers instants de la rencontre.

15Quel est le degré d’épuisement relationnel dans la famille ? Ce dernier entraîne-t-il des distances relationnelles, facteurs de solitude et de sentiments d’abandon ?

16Les conflits parentaux : il peut s’agir de conflits au sujet des crises douloureuses, mais celles-ci peuvent actualiser des conflits de couple plus anciens. Il me semble toujours nécessaire de soulager les enfants de ces conflits qui pèsent lourd dans leur vie, activent leur culpabilité et ne sont pas des facteurs d’évolution et de maturation. La proposition d’une séance avec les parents sans les enfants – en quelque sorte, le « licenciement des enfants », comme nous le disons ironiquement – est paradoxale quand la demande se situe autour de la douleur de l’enfant. Mais elle rassure les enfants et les libère de leur fonction d’intermédiaires dans les conflits parentaux. De leur côté, les parents sont le plus souvent ravis d’avoir la possibilité de s’exprimer sans la « censure » que représente la présence d’enfants inquiets.

17Nous évaluons s’il s’agit d’une situation d’impasse, voire de l’accumulation d’impasses qui, en couches successives, ont fini par empêcher toute évolution familiale et individuelle. Il y a alors comme une glaciation, une rétraction. Une des traductions de ces impasses réside en l’expression de reproches centrés sur le monde médical : « Les médecins ne veulent pas nous comprendre, ils ne sont pas assez attentifs, ils n’ont pas de temps… » Ces sentiments d’hostilité et d’incompréhension peuvent s’étendre à l’ensemble des activités sociales : scolarité, vie associative, vie sociale. L’imaginaire familial est bloqué et ne constitue plus une ressource ; il s’exprime sous la forme d’un cauchemar gris, informe et triste dominé par les affects persécutifs. Les intervenants extérieurs mettent la famille en danger et ne résolvent pas ses problèmes, la famille est incapable de créer ses solutions.

Situation clinique

18Luigi, 15 ans, souffre de douleurs abdominales sévères ayant à plusieurs reprises entraîné des consultations aux urgences suivies d’hospitalisations. Toutes les explorations cliniques, les examens biologiques et d’imagerie médicale ont été effectués, mais n’ont pas permis de rattacher ces douleurs à une cause organique précise. Après chaque investigation, alors que Luigi espère que la cause de ses douleurs sera élucidée et qu’il pourra en être libéré par un traitement efficace, les médecins lui annoncent – ce qu’ils considèrent comme une bonne nouvelle – qu’il n’y a rien aux examens, donc rien de grave. Pour Luigi, c’est le contraire d’une bonne nouvelle, car cela veut dire qu’il va continuer à vivre avec ses douleurs et en subir les conséquences. Il est envahi par la colère et les affects dépressifs. Il ne fait plus confiance aux médecins. Il n’apprécie pas d’entendre que ses douleurs auraient des causes psychiques. Avec lucidité, il affirme : « Ce n’est pas le stress qui crée ces douleurs, mais ces douleurs qui me stressent. » En tant que thérapeutes familiaux, nous n’entrons jamais dans un débat étiologique. Notre conception repose sur l’unité du « corps » et de la « psyché » et surtout sur leurs interactions ; cela permet de ne pas hiérarchiser dans le cadre de nos entretiens l’esprit par rapport au corps – cela est d’autant plus important qu’il s’agit d’entretiens de famille où les corps sont présents sous la forme du soin à l’autre, mais aussi des désirs en relation avec le respect de l’intimité et des limites (psychiques et corporelles) de l’autre. Cette conception se rapproche, avec quelques nuances, de celle qu’a développée Sami-Ali dans son dernier livre Penser l’unité (2011).

19La famille est composée de quatre membres. Le père, Mario, âgé de 45 ans, est un homme dynamique et actif, cadre dans une entreprise en voie de restructuration, se sentant mal à l’aise vis-à-vis de son travail et développant une vision pessimiste de la vie. La mère, Angelina, 42 ans, travaille dans l’industrie chimique. Gina, 7 ans, est une adorable petite fille qui, lors des entretiens, montre beaucoup de dynamisme et recherche le contact.

20Le premier entretien s’ouvre de manière paradoxale, car tous les membres de la famille expriment leur conviction que cela ne servira à rien. Il y a une unanimité pour se déclarer insatisfait des prises en charge. Le père, la mère et Luigi décrivent un monde triste où les demandes de chacun ne sont pas reconnues. Le père explique que les nouvelles pratiques managériales dans son entreprise entraînent des suicides et des divorces, l’obligent à des déplacements qu’il ne souhaite pas, mais il affirme, en serrant les poings, qu’il tiendra bon. La mère dit que les enseignants n’ont jamais écouté ses explications. Les conséquences pour Luigi sont dramatiques : il se retrouve dans une impasse à la suite d’un absentéisme scolaire important. Luigi se bat pour connaître la cause de ses douleurs, pour y échapper et pour tenir bon malgré tout. Il est déçu par les médecins qui ne trouvent pas la cause, par les enseignants qui doutent de sa sincérité et par des camarades qui se sont éloignés de lui. Tous les trois se plaignent de Gina : elle est trop active, elle ne veut jamais rester seule, elle a toujours besoin de parler, elle rit pour un rien, elle décide des émissions de télévision, dès qu’elle se réveille elle veut du mouvement, etc. Par son activisme Gina semble chercher à stimuler la famille pour la faire sortir de la dépression mais, loin d’y parvenir, elle est blâmée parce qu’elle n’accepte pas le pessimisme familial. À la fin de la séance, ils expriment leur satisfaction sur la manière dont l’entretien s’est déroulé ; ils s’attendaient à des reproches et à des tensions. Les quatre membres expriment leur envie de continuer ce type d’entretien. « Cela est nécessaire, dit le père tout en affirmant que cela ne servira pas à grand-chose, tant qu’on n’aura pas trouvé la cause des douleurs de Luigi. »

21Deuxième séance. Luigi se plaint : depuis la séance précédente, il a eu plusieurs crises. Ses douleurs, abdominales basses, sont violentes et surviennent le soir pour durer plus d’une journée. Les répits entre les crises sont courts, le plus souvent deux jours, plus rarement trois. Lors de ces dernières crises, son père, qui était en déplacement professionnel en province, n’a pu s’impliquer dans les décisions. Lui, il aurait emmené son fils aux urgences « même si cela ne sert à rien ». La mère l’a informé par téléphone, mais elle a préféré prendre soin de son fils à la maison. Pendant les crises, Gina s’est montrée calme et n’a sollicité ni son frère ni sa mère. Elle leur a offert des dessins.

22La mère dit qu’elle a l’impression de vivre avec une cinquième personne : la douleur de son fils. Elle explique qu’elle commence à être épuisée et qu’elle ne comprend plus rien à la situation. Elle poursuit sur sa métaphore : elle voudrait « vider » cet intrus, lui interdire d’entrer à la maison pour retrouver une vie « normale ». « Tant qu’il sera là, dit-elle de la douleur désormais personnifiée, nous serons ses otages et ne pourrons plus rien faire d’intéressant. » Luigi ne partage pas du tout cette idée et la trouve même absurde, voire agressive vis-à-vis de lui. Il revient sur ses symptômes pour les décrire comme faisant partie de son corps et de son identité. Les attitudes qui se veulent rassurantes des médecins lui annonçant qu’ils n’ont pas trouvé de cause lui sont insupportables. On ne le comprend pas, on ne le prend pas au sérieux. Il a perdu confiance et ne peut plus compter que sur lui-même et l’idée de sa mère le navre. Gina reste calme – elle que ses parents ont décrite comme agitée en permanence et réclamant constamment de l’attention. Elle écoute attentivement et sourit aux thérapeutes. Le père, de son côté, ne partage ni l’opinion de son épouse, ni celle de son fils et concentre ses critiques sur les médecins qui ne prêtent pas assez d’attention à son fils.

23Cette séquence est significative de l’impasse familiale. Le symptôme bloque toute évolution et prend une place à la fois centrale et englobant la famille. La mère tente de sortir de cette impasse en extériorisant le symptôme. En le qualifiant de cinquième membre de la famille, elle le personnifie et tente de l’expulser. Dans cette tentative, elle se heurte à la résistance de son fils qui affirme que sa douleur est désormais une partie de son identité. Deux niveaux s’opposent : pour la famille, c’est une impasse, mais au niveau individuel Luigi voudrait une amélioration et un apaisement de sa douleur. Le conflit pourra sans doute devenir une des modalités pour sortir de l’impasse.

L’imaginaire familial comme réponse à l’impasse

24L’impact de la douleur d’un enfant sur sa famille est toujours important. Selon la réponse des parents, la famille peut se retrouver dans une impasse, en particulier si l’un des parents surinvestit le symptôme douloureux alors que l’autre s’en éloigne et considère que l’enfant « en fait trop ».

25Les différences de genre en sont parfois exacerbées. La mère voit la plus grande partie de sa vie absorbée par les soins à l’enfant. Elle peut en être tout à fait consciente et se décrire comme une mère trop soucieuse, trop inquiète, qui finalement aggrave la situation de l’enfant. C’est là l’expression de sa culpabilité, mais aussi du conflit avec le père. Le père peut adopter une attitude qui se veut basée sur le « rationnel », mais qui n’en a que l’apparence, car elle est infiltrée par la culpabilité non élaborée de ne pas être capable de soigner l’enfant. Dans ces conditions la famille se met dans une impasse qui n’est pas celle de la douleur de l’enfant, mais celle de sa réaction à ce facteur non souhaité et non contrôlable. La principale conséquence de l’impasse est de bloquer la créativité. La famille est enfermée dans l’impasse ; elle ne peut ni la voir, ni en sortir et n’est plus capable d’imaginer un futur.

26Toutes nos interventions en tant que thérapeutes ont pour objectif d’amener les membres de la famille à renouer avec leur créativité et de favoriser ainsi l’élaboration d’un imaginaire familial où chacun pourra puiser des ressources de reconnaissance. C’est en s’appuyant sur cet imaginaire que chacun, dans la famille, trouvera des éléments essentiels pour la continuité de son identité et sa maturation, en particulier la possibilité d’admirer des images parentales sécurisantes, celle d’être admiré par ses proches et d’avoir avec eux des relations d’alter ego. Ces expériences sont indispensables pour dépasser les impasses personnelles ou collectives. Par exemple, nous attachons beaucoup d’importance aux moments où des membres de la famille de générations différentes se sont retrouvés dans des situations d’alter ego. Leurs évocations sont toujours positives et cela permet à l’imaginaire familial de se renouveler en employant le langage de l’utopie, c’est-à-dire d’un futur libre déjà présent dans le présent.

27Au cours du deuxième entretien, Mario, le père, se sentant en confiance, se permet d’enlever discrètement une ceinture lombaire ; comme nous le voyons, il nous sourit et dit qu’il ne sait plus si cette ceinture l’aide ou lui fait du mal, mais il a pris l’habitude de la mettre et considère que son effet est surtout « moral ». « C’est comme si on me soutenait », explique-t-il. Cela l’amène à évoquer les moments avec Luigi, ils vont à la piscine et se fixent des défis. Le fils oublie ses douleurs et le père est soutenu par la compétition et l’amitié qui se crée entre eux. Ce sont des moments qui les éloignent des soucis quotidiens et qui leur permettent d’évoquer le futur et les projets, donc de se rapprocher de leurs créativités.

Conclusion

28Au cours des rencontres avec une trentaine de familles, l’équipe thérapeutique s’est située dans une perspective de dialogue et de reconnaissance des différences excluant toute forme de causalité linéaire ; cela a permis de réactiver la créativité, d’apaiser les stress et de faciliter les évolutions inattendues. Dans ce contexte, notre travail ne peut pas déboucher sur une typologie des familles, car notre méthode thérapeutique est basée sur les différences et les originalités de chaque famille. Chacune a un fonctionnement original qui ne ressemble pas à celui des autres et ces spécificités ne peuvent être réduites par une logique classificatrice. Le plus important pour nous est de permettre à chacun de retrouver dans l’attention à l’autre des sources de liberté, de créativité et de plaisir. Cela est valable pour les familles que nous avons rencontrées et pour le groupe de thérapeutes que nous avons formé.

Bibliographie

  • Amouroux, R. 2010. « Les approches psychothérapiques dans la douleur chronique chez l’enfant et l’adolescent », Pédiatrie pratique, 217, 14-15.
  • Annequin, D. 2010. « Plaintes douloureuses chez l’enfant et l’adolescent : somatisation ? », Pédiatrie pratique, 217, 8-9.
  • Annequin, D. 2011. « Somatisation, plainte douloureuse, douleur chronique ? », dans C. Ecoffey et D. Annequin, La douleur chez l’enfant, Paris, Lavoisier éditeur, 2e édition.
  • Le Goff, J.-F. 1999. L’enfant, parent de ses parents, Paris, L’Harmattan.
  • Sami-Ali, M. 2011. Penser l’unité, Le Bouscat, L’Esprit du Temps.
  • Winnicott, D.W. 1965. La famille suffisamment bonne, Paris, Payot, 2010.

Mots-clés éditeurs : thérapie familiale, impasse relationnelle, imaginaire familial, douleur, migraine

Date de mise en ligne : 26/10/2012

https://doi.org/10.3917/dia.197.0081

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