1La schizophrénie touche près de 1 % de la population et constitue une lourde épreuve pour celles et ceux qui en supportent le joug chroniquement, qu’ils soient eux-mêmes malades, parents, conjoints ou encore enfants de mère ou de père atteint par la maladie. Pour soigner cette affection, les progrès thérapeutiques ont été considérables depuis la mise au point des premiers médicaments neuroleptiques. Pour autant, être enfant de parent psychotique ne va pas toujours de soi, loin s’en faut, et pose la question à la fois du devenir et de l’accompagnement de cette population vulnérable… Nous nous intéresserons dans cet article aux enfants de mère schizophrène. Qu’en est-il de leur devenir ? Quels sont les risques psychologiques ou psychiatriques qu’encourt cette population ? Sommes-nous véritablement au clair avec ce sujet ?
2La question est ancienne. En 1961, Winnicott avait déjà attiré l’attention sur « l’effet des parents psychotiques sur le développement affectif de leur enfant ». Il rapportait notamment l’histoire d’Esther, 11 ans, dont un beau poème empreint d’une atmosphère de sérénité et de sécurité laissait difficilement deviner la trajectoire biographique. À l’âge de 5 ans, Esther avait été jetée dans un canal par sa mère qui, errante, fut aussitôt hospitalisée pour un tableau de schizophrénie paranoïde. Fort heureusement, cette femme avait commis ce passage à l’acte sous le regard attentif d’un agent de police qui avait aussitôt récupéré l’enfant. Winnicott suppose que la mère d’Esther, quoique très malade, a donné à son bébé un départ exceptionnellement bon, fusionnant avec lui à un très haut point, mais il pointe aussi l’une des difficultés majeures qui caractérise la relation entre la mère psychotique et son enfant : la création d’un espace psychique d’individuation pour l’enfant conçu.
3Cinquante ans plus tard, faut-il penser que le problème est résolu par le « progrès thérapeutique » ? Qu’en disent les enfants de mère schizophrène devenus adultes ? Il serait illusoire de croire que les victoires conquises sur la maladie rendent caducs ces questionnements. Il suffit pour s’en convaincre de lire quelques discussions surprises sur le Web, dans des blogs ou des forums.
Quelques témoignages…
4Voici par exemple ce que vanilla3330, une jeune fille de 15 ans, écrit dans un forum de discussion (Bayle, 2008). Sa mère est schizophrène, elle a déjà été hospitalisée en service fermé de psychiatrie à plusieurs reprises. « Je me souviendrai toujours du premier délire qu’elle a eu après ma naissance. J’avais 5 ou 6 ans. Je suis allée chez mon grand-père (il y avait une couche de cinquante centimètres de verre dans toute la maison. Elle avait tout cassé ! Même notre vaisselle). Je suis passée devant elle et elle était coupée à la main. Cette image, je la garderai toujours… »
5Lexiane se confie à son tour dans un autre message : « Ma mère entendait des voix, se bandait de la tête aux pieds avec du strapping et voulait le faire sur nous aussi ! Elle prenait des médicaments “Sédatif pc” et nous obligeait tous les soirs à en prendre pour dormir ! Elle ne se lavait pas, ne sortait pas, ne nous faisait pas à manger, elle ne travaillait pas et dormait toute la journée, sauf pendant ses délires ! Elle rigolait toute seule, entendait des voix ! Bref l’horreur, du coup on est partis habiter chez mon père (suite à une décision du tribunal). Un jour sa voisine nous a dit qu’elle ne l’avait pas vue depuis très longtemps ! Du coup on est allés voir ! Elle avait perdu 40 kg en quatre ou cinq mois ! Les pompiers nous ont dit que 24 h de plus et elle mourait ! Elle ne savait même pas ce qui lui arrivait ! Du coup, hospitalisée quatre mois dans un hosto psychiatrique… Ce genre d’expériences laisse des séquelles ! Elles n’apparaissent pas tout de suite, moi, dans mon cas, avec tous mes soucis, elles refont surface, me minent… »
6Voici encore les propos de binty : « Ma mère m’a coupée de mon milieu. C’est comme si, avec la mort de mon grand-père, toute forme de vie s’était arrêtée pour moi ! Il y avait toujours mon père, moi [et] ma mère, mais nous vivions comme des étrangers ! Sa maladie m’a empêchée de connaître la famille de mon père, ma marraine, elle a coupé tous les liens ! […] Je me souviens d’une coiffeuse qui m’avait accostée dans la rue pour me réclamer dix euros que ma mère lui devait, je lui avais répondu de s’adresser à l’intéressée, elle m’avait répondu, “elle est aussi folle que sa mère” ! Eh bien je peux dire que ce genre de parole fait mal ! Les gens se moquent de vous, ricanent dans notre dos ! Cette maladie est bien plus dure pour l’entourage que pour celui qui est atteint, finalement : lui est dans son monde ! Plus tard je vais devoir m’en occuper et cela me fait extrêmement peur ! Personne n’a jamais voulu la garder en hôpital psychiatrique, ce serait pourtant la meilleure solution ! C’est un poids pour moi depuis toujours ! Elle entend des voix, a des hallucinations, je me souviens un jour elle était partie en chemise de nuit de la maison, j’avais 6 ans ! Imaginez le choc, en plus j’habite une petite ville, la honte ! »
7Il n’est guère difficile de s’identifier à la souffrance de ces enfants propulsés par la vie dans des contextes aussi effrayants et exposés pour des années encore à ce qui constitue pour eux un problème aussi durable qu’incontournable, quels que soient le sens donné et les solutions apportées. Mais les dialogues, dont le ton oscille fréquemment entre douleur et révolte, peuvent verser vers l’endurcissement. Ainsi Ceskina conseille sans concession une interlocutrice du Web dont la sœur est atteinte de la maladie (et qui vient d’être réconfortée par un message d’espoir d’une autre participante) : « Si ta sœur ne se guérit pas complètement, ne la laisse pas avoir d’enfant, ça serait un massacre. Je te dis ça de tout mon cœur. » Quelques lignes plus tôt, Ceskina, 34 ans, confie qu’« il est atroce d’avoir une maman comme ça, ça détruit tout », avant de raconter qu’à l’âge de 16 ans, alors qu’elle se trouvait seule avec son frère de 14 ans et sa sœur de 6 ans, sa mère s’était mise subitement à délirer. « Elle nous a réveillés en pleine nuit, s’est mise à arracher la tapisserie de la chambre, elle a allumé un feu dans un tonneau dans le jardin, elle a brûlé tout ce qu’elle a pu, elle a failli faire boire de la javel à mon frère, elle a arraché son nounours des bras de ma petite sœur, l’a mis au feu, elle disait que je couchais avec mon père. »
8Ces révélations, et d’autres encore, permettent d’entrevoir différents aspects du vécu des enfants de mère schizophrène. Les expériences délirantes de leur mère entraînent à leur acmé un véritable chaos et s’avèrent terrifiantes. Elles semblent s’inscrire durablement dans leur mémoire. Le caractère chronique de la maladie transparaît également, avec une mère coupée du monde, retranchée dans un univers imaginaire, dont l’état s’améliore de façon souvent fluctuante, au gré des traitements plus ou moins bien pris, au point d’apparaître par moments gentille. Nous ressentons aussi combien ces enfants se sentent responsables de leur parent malade. Dans un autre registre, ils expriment souvent une difficulté à communiquer avec les autres. Leur expérience paraît honteuse, incommunicable ; elle semble couper du monde et des autres… Enfin, l’avenir de leur mère malade préoccupe douloureusement ces enfants devenus grands, appelant des sentiments contradictoires où sont convoqués aussi bien la compassion, le rejet, le sentiment de responsabilité ou encore l’exaspération de ne jamais pouvoir goûter la paix.
9De telles discussions invitent incontestablement les soignants à améliorer le système d’accompagnement des enfants de parents malades mentaux. Les carences du dispositif de soins dans ce domaine ne sont pas à démontrer. Les moyens sont largement insuffisants, tout comme nos représentations à l’égard de ce que vivent bien des enfants. L’enfant de parent psychotique ne fait pas forcément parler de lui. Son inhibition, le monde terrorisant dans lequel il vit ne l’incitent pas toujours à parler de ses difficultés. Les pédopsychiatres ont parfois l’attention davantage attirée par des enfants aux troubles comportementaux plus bruyants, comme ceux de mère borderline ; les psychiatres adultes qui interviennent auprès des parents se rendent difficilement compte des conséquences sur les enfants… Pourtant les risques qu’encourent ces enfants sont bien connus.
Quels risques psychologiques pour les enfants de mère schizophrène ?
10Depuis longtemps, des études prospectives longitudinales comparant le développement d’enfants de mère schizophrène avec ceux d’un groupe témoin ont confirmé le risque psychologique encouru par cette population. Outre Atlantique, Fisch, cité par J. Dayan (1999), a suivi à partir de 1952 et durant vingt-cinq ans 12 enfants de mère schizophrène et ceux issus d’un groupe témoin. Il met en évidence un tableau clinique de pandysmaturation corrélé statistiquement à la survenue ultérieure de troubles du développement. « La pandysmaturation associe chez des enfants de moins de 2 ans des troubles tonico-posturaux, des troubles de la coordination visuo-motrice et un retard de croissance » (ibid., p. 196). Parmi les 12 enfants de mère schizophrène, 7 enfants présentent ce syndrome, contre 1 cas dans le groupe témoin. La pandysmaturation est corrélée statistiquement à la survenue de troubles moteurs et cognitifs à l’âge de 10 ans. Au sein du groupe à risque, l’évolution à l’âge adulte est plus nettement péjorative. Une évaluation psychométrique en aveugle détecte un trouble schizotypique, dont 1 cas de schizophrénie, chez 4 à 6 de ces 7 enfants présentant le syndrome et seulement parmi eux.
11O. Masson (1976), dans une étude clinique portant sur 43 enfants de mère schizophrène, constate la grande fréquence des troubles : chez 4 d’entre eux, âgés de 0 à 2 ans, l’auteur observe des perturbations diverses allant de la psychose précoce à l’hospitalisme ; chez 32 enfants âgés de 2 à 11 ans, un tiers montrent des perturbations sévères (une psychose, deux délires induits, des troubles névrotiques accompagnés de perturbations durables de l’efficience intellectuelle), les autres présentent des troubles prénévrotiques ou névrotiques, un seul enfant se développe normalement ; les 7 adolescents frappent par leur absence d’évolution vers l’autonomie, le maintien d’une dépendance aux parents, leur état dépressif, des troubles du rendement scolaire gênant ou empêchant la poursuite de la scolarité, 5 d’entre eux sont des borderlines.
12Cependant, l’étude la plus rigoureuse est sans doute celle dirigée par S.A. Mednick. Cette recherche prospective longitudinale, effectuée au Danemark de 1962 à 1989, apprécie l’état mental de 207 enfants de mère schizophrène, comparés à un groupe de 104 enfants témoins. J. Parnas en rapporte la méthode et les résultats. « Au total, près de 43 % des enfants de mère schizophrène ont, au cours de leur vie, souffert d’un trouble du spectre de la schizophrénie. Les troubles de l’humeur ne se concentrent pas parmi les enfants de mère schizophrène, ni comme diagnostic principal, ni sous forme d’une comorbidité avec les troubles du spectre. […] La fréquence des troubles liés à l’utilisation de substances psychoactives est significativement plus élevée parmi les enfants à haut risque (ehr). L’absence de diagnostic sur les axes I et II est significativement plus fréquente parmi les enfants à bas risque (erb) » (Parnas, 1993). Cette recherche confirme certains résultats antérieurs, en particulier l’importante agrégation familiale de la schizophrénie, mais aussi la concentration autour de la schizophrénie de troubles non psychotiques du spectre de la schizophrénie – les personnalités schizotypique et paranoïaque. La proportion de ces personnalités parmi les enfants de schizophrènes (21,4 %) se situe à l’intérieur de la fourchette des taux recueillis par d’autres auteurs (entre 15 % et 30 %). En revanche, le taux des schizophrènes (16,1 %) apparaît considérablement plus élevé (habituellement, de 3,6 % à 8,9 % selon les publications). Plusieurs facteurs expliquent cette différence. D’abord, le suivi comprend plusieurs vagues d’évaluation et permet de découvrir de nouveaux cas. D’autre part, les critères de sélection retenus ont biaisé l’échantillon vers des mères atteintes de façon sévère et chronique au détriment de schizophrènes paranoïdes, avec début aigu puis rémission ; les pères présentent souvent une pathologie psychotique et l’éducation des enfants se déroule dans des conditions instables. Enfin, la faible proportion de perdus de vue pourrait contribuer à la sévérité des diagnostics observés, d’autres recherches ayant montré que les perdus de vue appartenaient en général à une population présentant davantage de troubles psychopathologiques.
13Ainsi, les enquêtes ont montré peu à peu que les enfants de mère psychotique constituent un groupe à haut risque de troubles du développement psychologique. Cette notion a été confirmée par l’Organisation mondiale de la santé en 1986, qui a préconisé une action préventive.
Du côté de la clinique
14De nombreuses publications nous ont aidés à comprendre les enjeux et les éventuels dangers de la relation parent(s) psychotique(s)-enfant, dès la grossesse parfois, mais surtout lors des premières interactions postnatales. Par exemple, M. Dugnat et E. Perrier ont rapporté le cas de Christiane, une schizophrène hébéphrène, enceinte à l’âge de 35 ans, hospitalisée à plusieurs reprises pendant la grossesse, puis après l’accouchement. Cette femme a toujours manifesté son désir de maternité et a arrêté sa contraception orale, en accord avec son compagnon qui désirait également avoir un enfant. Par le passé, lorsqu’elle se rendait en consultation, elle tricotait de manière compulsive de la layette et, lorsqu’elle était hospitalisée, un test de grossesse était pratiqué chaque fois.
15Durant la grossesse, une recrudescence anxieuse accompagne un tableau délirant d’allure paranoïde. Christiane exprime différents thèmes relatifs à la gestation de l’enfant : « C’est un bout de viande que j’ai dans le ventre… Je ne dois pas manger sinon je vais grossir… Cela pourrit dans mon ventre, ce sont des éléments qui s’accumulent et qui pourrissent… Il y a eu un spermatozoïde et un ovule mais pas comme il faut pour faire un enfant, ça ne peut pas dans ces conditions… » (Dugnat et Perrier, 1990).
16Les travaux de M. Lamour et de M. Barraco nous ont appris à examiner avec attention la clinique souvent chaotique des premiers liens, entre rapprochés intenses et mouvements de délaissement. La surstimulation du bébé conduit volontiers à l’inhibition ultérieure de l’enfant. Le regard mutuel fait parfois défaut. Ainsi, madame B., jeune femme schizophrène de 26 ans, vit dans un centre maternel avec sa petite fille Sophie, conçue lors d’une liaison passagère avec un homme psychopathe. « La mère de Sophie paraît très isolée, comme absente, elle passe ses journées dans son lit, enfermée dans sa chambre, plongée dans l’obscurité, dans un corps à corps avec Sophie qui, appendue à son sein, paraît téter en permanence. L’enfant est amorphe, comme moulée contre sa mère, qu’elle ne regarde pas. Le comportement de madame B. inquiète l’équipe du centre : il est de plus en plus incohérent, madame B. alternant moments de fusion et moments d’abandon de sa fille ; elle peut partir toute une journée sans prévenir, sans se soucier de l’enfant, de façon imprévisible. Elle finira par disparaître en laissant sa fille pendant plusieurs jours, imposant alors le placement de Sophie (âgée de 1 mois et demi) à temps complet, en urgence, par l’équipe du centre maternel » (Lamour et Barraco, 1990, p. 386).
17Par-delà ces exemples singuliers, est-il possible d’établir une clinique plus ou moins spécifique des modalités ultérieures du développement psychique de l’enfant de parent(s) psychotique(s) ? G. Fava Vizziello, G. Disnan et M.R. Colucci incitent à la prudence et soulignent l’impossibilité d’établir une généralisation sur le rapport existant entre « psychose parentale » et « psychopathologie des enfants ». Ils mettent en garde contre les interprétations hâtives : « Les nombreuses études de catamnèse et longitudinales qui ont focalisé ce dernier problème arrivent à des conclusions souvent arbitraires quand elles établissent une relation univoque entre parents psychotiques et enfants pathologiques » (Fava Vizzielo, Disnan, Colucci, 1995, p. 191). Il s’agit en effet de prendre en compte de multiples facteurs : le polymorphisme des troubles, qui se manifeste par des modalités interactives très diverses ; les aspects évolutifs qui émaillent le parcours de la psychose au gré des soins et des non-soins et dont l’impact varie aussi en fonction de l’âge de l’enfant ; les facteurs associés ont également leurs effets propres ; les enfants sont plongés dans un réseau relationnel multicarentiel.
18Certains auteurs ont apporté malgré tout d’incontestables éléments de réflexion. Ainsi, P. Bourdier avait attiré l’attention sur « l’hypermaturation des enfants de parents malades mentaux » (1972). Ce tableau s’observe lorsque le trouble psychotique dont souffre l’un des parents est officiellement reconnu (le caractère officiel de la maladie est décisif car il offre une possibilité de distanciation). L’hypermaturation ne signifie guère l’accès à la normalité. Ces enfants semblent précoces, adultomorphes, sérieux et graves, autonomes ; ils contrôlent leurs affects. Ils ont un appétit ludique et un monde transitionnel limités, ils n’ont pas les phobies habituelles de l’enfance et ne présentent aucune note névrotique manifeste. Ils se portent apparemment bien ; leur adaptation scolaire est sans histoire. Leur destin paraît dominé par quelques phrases clés : « Il ne faut pas contrarier ton père », « Ta mère est comme un bébé », etc. Ces enfants frappent par leur calme, leur capacité d’être seuls, d’apprécier les situations et de discerner. Bourdier distingue deux types prévalents : « L’un avec brillante réussite scolaire, hyperinvestissement des fonctions intellectuelles et du langage, mais avec des effondrements soudains ; l’autre, plus résistant, marqué par le calme, le retrait, la limitation des affects, mais avec une scolarité plus modeste. » Dans certains cas, l’hypermaturation fonctionne avec plus de souplesse et l’enfant a paradoxalement une présentation plus médiocre… Ce tableau garde aujourd’hui encore sa pertinence.
19M. David (1987) apporte dans un article ultérieur des données sur le développement à long terme de ces enfants, illustrant son propos avec le cas de Patrick, suivi depuis l’âge de 2 ans jusqu’à l’adolescence. Selon l’auteur, le devenir de l’enfant et la souffrance à laquelle il se trouve exposé dépendent plus particulièrement de trois catégories de risque : une relation primaire avec la mère pathologique et pathogène ; l’exposition à des événements violents et à des abandons successifs ; des placements multiples, sources de discontinuité et de carence surajoutée en l’absence de la mise en place d’un substitut maternant stable pendant les temps d’indisponibilité de la mère. Les difficultés peuvent rester parcellaires ou varier en intensité et en gravité ; elles passent volontiers inaperçues, car elles sont masquées par les « marques criantes d’attachement » de la mère et par le développement apparemment rassurant de l’enfant. Là encore, ces traits saillants conservent leur actualité.
20G. Fava Vizziello et coll., dans la recherche déjà citée, restent frappés par les possibilités des enfants à s’adapter au délire et aux crises périodiques des mères malades : « Les aspects les plus pathogènes sont liés à l’impossibilité de faire communiquer certains îlots délirants avec le reste de la vie. Malgré ces régimes étrangement matriarcaux, basés sur une mère schizophrène, les évolutions relativement positives sont possibles […] » (Fava Vizzielo, Disnan, Colucci, 1995, p. 74). Cette idée de résilience ne doit pas être oubliée. Les auteurs soulignent l’importance du type d’interaction familiale en présence. Ils distinguent cinq catégories : famille barricadée, famille litigieuse, famille désorganisée, famille rigide, famille dépressive. Selon eux, les modalités évolutives des enfants de parents psychotiques dépendent plus des interactions familiales mises en place que du rapport particulier avec la pathologie parentale.
21Enfin, certains auteurs, comme L. Maire-Declusy (1990), se sont fait l’écho de la souffrance des enfants de parent(s) psychotique(s) devenus adultes. Les exemples cités témoignent de la peur, de la solitude et du rejet dont ils sont fréquemment victimes. Leur souffrance est une douleur cachée, refoulée et indélébile. Ils ont vécu dans un climat relationnel négatif dont ils n’ont jamais pu parler. Leur solitude affective a été extrême. Ce qu’ils ont enduré pendant l’enfance est resté ignoré ou incompris de leur entourage. Leurs familles ne ressemblent à aucune autre. Ils en éprouvent de la honte et, lorsqu’ils tentent de se livrer, ils se heurtent à l’incrédulité des adultes. Ainsi, ils ont pris l’habitude de ne se confier à personne. Leur isolement s’est trouvé accentué par le rejet dont ils sont l’objet – il ne faut pas les voir, car leur père ou leur mère est « fou »/« folle ». À l’adolescence, les tentatives de suicide, la consommation de drogue ou la délinquance ne sont pas rares. Certains d’entre eux s’en sortent pourtant et échappent à ce milieu grâce aux études, atteignant parfois des situations sociales élevées.
22En fin de compte, ces données que l’on souhaiterait plus rassurantes invitent à l’action, une action soucieuse de chacun, de l’enfant comme de la mère et du père, une action qui à la fois intègre les nombreuses connaissances accumulées sur le sujet et bénéficie des dispositifs de soins existants en osant innover, une action qui tienne compte de la nécessité d’inscrire une continuité à travers le temps. Si le chemin parcouru est déjà grand, il nous faut sans cesse remettre en question nos pratiques… Lutter contre l’essoufflement. Oser accompagner par-delà les peurs. Affermir le réseau de soin. Se former. Entreprendre les démarches thérapeutiques, sociales, parfois judiciaires nécessaires. Et évaluer la pertinence de nos interventions sous l’œil nu de l’enfant de mère schizophrène lui-même…
Bibliographie
Bibliographie
- Bayle, B. 2008. Ma mère est schizophrène, Toulouse, érès.
- Bourdier, P. 1972. « L’hypermaturation des enfants de parents malades mentaux (observation clinique et hypothèse) », Revue de neuropsychiatrie infantile, 20, 15-22.
- David, M. 1987. « Souffrance du jeune enfant exposé à un état psychotique maternel », Perspectives psychiatriques, 26e année, 6/1, 7-22.
- Dayan, J. 1999. Psychopathologie de la périnatalité, Paris, Masson.
- Dugnat, M. ; Perrier, E. 1990. « La maternité chez une femme psychotique », Psychologie médicale, 22, 13, 1319-1323.
- Fava Vizziello, G. ; Disnan, G. ; Collucci, M.R. 1995. Parents psychotiques. Parcours cliniques d’enfants de patients psychiatrisés, Genève/Paris, Médecine & Hygiène, 2001.
- Lamour, M. ; Barraco, M. 1990. « Le nourrisson et sa mère psychotique : mode d’abord thérapeutique des interactions précoces », Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence, 38, Paris, Elsevier Masson.
- Maire-Declusy, L. 1990. « Témoignages d’adultes élevés par des parents psychotiques : conséquences affectives », Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence, 38, Paris, Elsevier Masson, 355-358.
- Masson, O. 1976. « Réflexion sur les possibilités d’approches thérapeutiques et préventives chez les enfants de mères schizophrènes », Revue de neuropsychiatrie infantile, 24, 5-16.
- Parnas, J. 1993. « Enfants de mère schizophrène : suivi longitudinal prospectif de 1962 à 1989 », L’information psychiatrique, 5, 479-486.
- Winnicott, D.W. 1961. « L’effet des parents psychotiques sur le développement affectif de leur enfant », dans De la pédiatrie à la psychanalyse, Paris, Payot, 1969, 385-397.
Mots-clés éditeurs : enfant, hypermaturation, résilience, schizophrénie, devenir, parentalité
Mise en ligne 19/04/2012
https://doi.org/10.3917/dia.195.0045